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LA DEMEURE ET LE FEU

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Academic year: 2022

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LA DEMEURE ET

LE FEU

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JEAN DESTROY

LA DEMEURE ET LE FEU

Récit

ÉDITIONS SAINT-PAUL, 6, RUE CASSETTE, PARIS - VI

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DICHTUNG UND WAHRHEIT « Poésie et Vérité ». Ce titre d'un ouvrage de GŒTHE, pourrait servir d'exergue à ce récit. Tout y est vérité, car tout répond à des expériences vécues.

Tout y est fiction, car l'imagination, comme une fée ingénieuse, a cousu les morceaux disparates du réel, en une œuvre où la fantaisie, c'est son autre nom, est reine. Tout y est fiction encore, car c'est le sort du passé de perdre peu à peu le tragique de sa réalité.

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PREMIÈRE PARTIE

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I

Jean Larrère n'était jamais mieux, disait-il, que chez lui, c'est-à-dire chez sa mère. Et pourtant le cadre qu'il y trouvait n'avait rien de luxueux ni même de particuliè- rement confortable. Ce matin d'août 1935, il était assis sur une chaise basse, dans le jardinet bien enclos qui bordait l'arrière de la maison. Des murs dont le crépi s'en allait par plaques, l'entrée d'un corridor sombre, un large pan de ciel gris, quelques carrés de légumes bordés de dahlias et de glaïeuls, c'était son « petit monde ». Il faut, pour être complet, y ajouter les deux centres d'intérêt du jour : un gros ouvrage de Physique et une couvée tout juste éclose de petits poulets, les uns jaune-canari, les autres marron-fauve.

Il se mouvait avec lenteur dans ce minuscule univers dont il savourait la densité paisible, si éloignée des auto- matismes et du bruit de son usine, et il n'aimait pas y être dérangé. Aussi réagit-il par un froncement de sourcils à une voix qui l'appelait du premier étage : « Un mot pour toi, Jean ». C'était la voix de sa mère. Et, avant qu'il eût répondu, la lettre fut lancée dans la cour pavée qui séparait en contrebas la maison du jardin. Il fallait éviter la fatigue des étages, dans une maison bâtie tout en hauteur, avec une seule pièce par palier, et l'on « parachutait » ainsi

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les objets insensibles aux chocs, selon un rite vieux de près de vingt ans.

Il prit la lettre, en reconnut l'écriture, mais ne dit rien, bien qu'il eût aperçu distinctement, au-dessus de lui, s'attardant un peu à la fenêtre, le visage intéressé et un peu inquiet de sa mère. ;

Il se rendit tranquillement vers sa chaise, tout en ouvrant l'enveloppe, lut, puis se remit à son ouvrage.

Une demi-heure après, un nouvel appel. C'était le repas.

Il referma son livre, le laissa sur sa chaise, prit l'allée du jardin, descendit dans la cour pavée, monta, les yeux presque fermés, l'escalier qui menait à l'étage et entra dans une assez vaste pièce curieusement tapissée de peaux de mouflons, rapportées jadis, par un grand-oncle, de cam- pagnes africaines.

La table était mise avec cet ordre, cette gaieté des fleurs, cette propreté de la verrerie qui sont le luxe des gens simples et auxquels M Larrère tenait beaucoup.

Jean, sans être taciturne, était un silencieux, un silen- cieux qui savait devenir bavard et même intarissable lors- qu'un sujet lui tenait à cœur. Ce qu'il aimait à la maison, c'était de pouvoir rester sans offenser sa mère, dans un mutisme qu'il goûtait comme le meilleur repos. La mère d'ailleurs, en vraie femme, meublait le silence. Elle parlait de choses et d'autres, des dernières nouvelles des voisins, de la mode, sans oublier les réflexions de l'épicière sur la hausse de la vie et celles du coiffeur sur la politique.

Apparemment, et elle le savait, rien de tout cela n'inté- ressait Jean, mais elle savait aussi qu'elle lui construisait un univers familier qui lui était cher.

Ce midi-là, elle interrompit brusquement la construc- tion du décor verbal et hasarda : « Tu as reçu une lettre

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du P. Robert ? » La réponse fut un oui non pas impatient comme elle s'y attendait, mais un peu lassé.

Elle ajouta intriguée : « Il va bien ? » Un autre oui était tout préparé, mais Jean sentit que, cette fois, il fallait parler. Il posa sa fourchette, leva les yeux et dit : « Le P. Robert quitte Villeneuve. — Ah ! répondit-elle, et où va-t-il ? — A Charmoize. » Ce fut tout pour le moment.

La mère avait laissé sa place à table pour aller chercher sur la petite cuisinière Godin à l'émail bleu un peu usé, le plat de viande et elle servait son fils avec le même soin que lorsqu'il était un petit garçon qui allait partir pour l'école. Tout en ajoutant au bœuf mode quelques carottes, un peu de sauce, elle risqua : « Il a été sympathique de t'annoncer cela, le P. Robert... » Il sourit en lui-même de la finesse féminine de cette interrogation discrète et se décida à rompre tout à fait la glace :

— Tu as deviné. On ne peut rien te cacher. C'est évident que le P. Robert ne perd pas son temps à écrire des lettres inutiles. Il eût certainement attendu que je lui écrive moi-même, s'il n'avait pas eu quelque chose à me demander. Mais ce quelque chose va te faire frémir. Il voudrait que je vienne à Charmoize, où il est nommé directeur.

— Elle l'interrompit :

— Le P. Robert est très gentil, mais tu ne peux pas.

Tu as ton usine.

— Il le sait bien, reprit-il, mais il pense que je pourrais peut-être quitter cette usine pour devenir son professeur de Physique. Je suis licencié, la chose est possible. Elle demande, bien entendu, réflexion.

Le silence s'établit à nouveau pendant que Jean, à qui les situations les plus sérieuses n'enlevaient pas l'appétit,

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engloutissait sa viande. En approchant la salade, M Lar- rère risqua quelques observations, tout en surveillant atten- tivement les réactions, insensibles pour une autre qu'elle, de son grand flegmatique de fils :

— C'est à toi de décider, évidemment... tu es majeur...

seulement tu as une situation sûre, et puis, tu te marieras un jour.

— Pour ça, enchaîna-t-il, tu sais mes principes. Je ne désire pas du tout me marier. N'ai-je pas d'ailleurs ma vieille maman » ?

Et, pris d'un besoin inhabituel d'exprimer sa tendresse, il lui saisit amoureusement le bras et déposa un gros baiser sur son front.

Elle se dégagea, en protestant pour la forme, mais bien touchée elle ajouta : « Il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau. » Ta vieille mère s'en ira un jour, et alors...

— Et alors, reprit-il ?

La conversation en resta là pour l'instant.

L'après-midi, il partit pour la campagne sur son vélo, et il revint dans la soirée, saturé d'air et de soleil.

Au repas, il parla abondamment de l'innombrable faune des prairies et des sentiers, puis s'absorba dans la lecture d'un roman policier : « Mon vice », disait-il.

Après avoir aidé M Larrère à ranger la vaisselle, il grimpa dans la petite mansarde qui lui servait de chambre depuis son enfance, non sans avoir gratifié sa mère d'un nouveau baiser encore plus tendre dont elle chercha vaine- ment à percer le sens.

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II

Lorsque le P. Robert avait quitté l'évêché, muni de sa nomination de directeur, il était à la fois, racontait-il plus tard, amusé et comme un peu ivre. Les évêchés ajoutent en effet à la diplomatie de toutes les administrations humaines une onction qui se voudrait encourageante, mais n'a guère d'autre utilité que de corser les conversations des doyennés : « Vous allez avoir un beau petit collège, lui avait-on dit, joliment construit, avec des bâtiments de style, dans une petite ville si charmante, avec des profes- seurs si compétents. »

Il en souriait en lui-même tout en ayant peine à maî- triser un grand trouble. Non qu'il fût un ambitieux subi- tement comblé, mais le professeur reste toujours, jusqu'à un certain point, un mineur, surtout le professeur de spécialité, comme lui, et, tout à coup, une plénitude lui était offerte, une paternité plus élargie, une aventure. Bien sûr, il allait falloir quitter le laboratoire patiemment édifié, l'enseignement qui le passionnait d'une science aux prolon- gements infinis et le contact avec les jeunes intelligences au moment où elles sont le plus accueillantes. C'était un boule- versement total, mais aussi le début d'une vie nouvelle, semée d'embûches sans doute, mais pleine de joies inconnues.

Il était si absorbé dans ses pensées qu'il ne vit pas sur le trottoir le P. Delourmel, un de ses camarades de

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cours, dans lequel il manqua de buter. Il fut littéralement réveillé par un inattendu : « Bien fier, aujourd'hui ! » sortant d'une bouche amicale, mais interrogative.

— Que fais-tu ?

— Tu vois, je me promène.

— Promenade hygiénique, celle qui t'amène à l'évêché ? Ne deviendrais-tu pas notre patron ?

Et il sentit chez l'autre une extrême curiosité, en même temps qu'une moue indéfinissable lui parut le signe d'un sentiment assez peu orthodoxe, proche, lui sembla-t-il, de la jalousie. Les ecclésiastiques ont ainsi parfois de ces réflexes qu'ils n'osent définir eux-mêmes et qui donnent à leur contact un sel inattendu assez peu conforme, il faut bien le dire, à la charité évangélique. Il s'en tira par un « Pourquoi pas ? » qui jaillit spontanément, avec une nuance sportive, qui ne trompa guère le perspicace Delour- mel.

— En effet, pourquoi pas ? rétorqua-t-il. Beau garçon, langue bien pendue, de l'entregent... et tu vas de ce pas voir la maison ?

Il n'y avait qu'à envoyer promener le secret éventé et à prendre place sur le siège arrière de la moto...

Il la connaissait cette maison, l'ayant souvent choisie comme étape, mais lorsqu'elle se dessina, au bout d'une longue avenue de tilleuls, elle lui parut plus inquiétante, plus attirante. Il ne lui avait jamais trouvé cet air de mys- tère et cette parenté avec ses préoccupations et ses désirs.

L'évêché avait raison : c'était une maison et non pas une caserne en réduction, comme la plupart des collèges de l'époque. Quelle excellente idée d'avoir utilisé au mieux un pavillon « Port-Royal » et un corps de bâtiments très XVIII siècle, aux balcons de fer forgé et aux pierres blanches bien mariées au bleu-gris des toitures. Sans doute

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y avait-on adjoint, cachée dans le fond du petit parc, une bâtisse sans style mais assez discrète pour être supportable.

Il ne remarqua guère l'état des toitures et la vétusté des fenêtres, pas plus qu'un fiancé ne dénombre les rides en formation sur le visage de sa bien-aimée. Ce qui l'inté- ressait était ailleurs.

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III

Le repas qu'on lui servit fut émaillé de bonnes histoires, l'atmosphère était si cordiale, le Corps professoral un peu chenu accueillait avec tant d'indulgente bonhomie le nou- veau chef, qu'il se sentit tout rasséréné lorsqu'il regagna assez tard sa chambre provisoire. La nuit était admirable, une nuit de juillet toute remplie d'étoiles qui étincelaient à travers les grands arbres. Il marchait la tête levée selon son habitude et il avait gardé présents à la mémoire, seuls souvenirs disait-il, de sa philosophie de jadis, les mots de Kant comparant la beauté de la loi morale à celle de la voûte étoilée. Il y reconnaissait d'ailleurs toute l'immense armée des cieux dont les bataillons sacrés : Cassiopée, Persée, Pléiades, Hyades, lui étaient familiers et, au-delà, le monde inconnu et affolant des galaxies auquel il ne pensait jamais sans tressaillir.

Soudain il trébucha dans une masse, à la fois molle et résistante, et il recula d'un saut, puis se rassura : c'était Typhon, le chien familier qui cherchait à flairer son nou- veau maître. Cette rencontre inattendue lui fut très douce ; il lui semblait que c'était la vieille maison tout entière qui venait le saluer, qui l'acceptait pour maître. Suivi de la bête, il fit un tour assez rapide des bâtiments qu'il caressa du regard tendrement.

C'est ce soir-là, a-t-il raconté, qu'il eut l'idée de changer le nom du collège et de le nommer « la Demeure ». Le

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Seigneur changeait ainsi le nom de ceux qu'il appelait à la mission, comme le mari change celui de sa jeune épousée.

Et ce nom aux résonances intimes lui semblait exprimer à la fois la petitesse de la maison et sa mission d'accueil.

Rentré chez lui, il lut quelques pages selon son habitude, puis il s'endormit d'un sommeil sans rêves mais bercé d'heureux pressentiments.

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Imprimé en France

Imprimerie Saint-Paul, Issy-les-Moulineaux, Bar-le-Duc.

Dépôt légal 2e trim. 1962. Imp. N° II-62-519. Ed. N° 697.

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