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Le droit de la régulation des jeux d argent

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Texte intégral

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Collection fondée par Michel BOUVIER Directeurs de collection :

Michel BOUVIER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Laurent RICHER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Jean-Pierre CAMBY, professeur associé à l’Université de Versailles Saint-Quentin

Contrairement aux apparences, il n’existe pas de frontière entre la puissance publique et les jeux d’argent. Leurs relations ne se limitent pas à un principe général d’interdiction et ses dérogations. À l’origine, l’intervention de l’État se limitait à l’autorisation de certains jeux pour financer d’autres besoins d’intérêt général. Mais l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne en 2010 a marqué une nouvelle étape dans la construction d’un véritable droit de la régulation des jeux d’argent. L’adoption de la loi Pacte du 22 mai 2019 ou encore de l’ordonnance du 12 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard ont permis de franchir un nouveau palier. Non seulement le capital de l’opérateur exclusif des jeux de loterie en France s’en trouve substantiellement modifié, mais l’ensemble du droit de la régulation sectorielle des jeux connaît une profonde mutation. Le point d’orgue de cette réforme est bien entendu la création de l’Autorité nationale des jeux, l’introduction d’une nouvelle notion (les jeux de loterie) devenant une acception de celle déjà connue de jeux d’argent ou encore les précisions fiscales.

Toutes les problématiques ne sont pas pour autant réglées. Certaines questions sociales et sociétales, comme la consommation et l’addiction, demeurent. Les évolutions technologiques (intelligence artificielle et algorithme, jeux vidéo) laissent quant à elles présager de nouveaux changements.

Cet ouvrage se propose d’étudier les règles applicables à ce secteur et les problématiques toujours pendantes en retenant deux axes : d’une part, le droit de la régulation sectorielle des jeux d’argent et de hasard ; d’autre part, les droits sectoriels applicables à chaque branche du secteur.

Jean-Baptiste VILA est maître de conférences à l’Université de Bordeaux, directeur scientifique de la Chaire « Régulation des jeux ». Auteur de nombreux articles et colloques internationaux sur le droit des jeux, il a été auditionné par le Comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale lors des réflexions sur la réforme du droit des jeux.

www.lgdj-editions.fr

ISBN 978-2-275-06154-2 26 e

Le droit de la régulation des jeux d’argent

J.-B. VILA

Le droit de la régulation des jeux d’argent

Jean-Baptiste VILA

PRATIQUE

À jour de la réforme 2019/2020

modifiant la régulation des jeux d’argent

et de hasard

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Le droit

de la régulation

des jeux d ’ argent

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Jean-Baptiste VILA

Maître de conférences HDR en droit public Directeur scientifique

de la Chaire « Régulation des jeux » Université de Bordeaux

Le droit

de la régulation

des jeux d ’ argent

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© 2020, LGDJ, Lextenso 1, Parvis de La Défense 92044 Paris La Défense Cedex www.lgdj-editions.fr

ISBN 978-2-275-06154-2 ISSN 0987-9927

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Sommaire

Avant-propos... 7 Introduction... 9

PARTIE I

LA RÉGULATION SECTORIELLE DES JEUX D’ARGENT ET DE HASARD 25

CHAPITRE 1

Les autorités compétentes pour réguler le secteur... 27

CHAPITRE 2

Les modes de régulation des jeux d’argent et de hasard... 55

PARTIE II

LES JEUX D’ARGENT ET DE HASARD SOUS DROITS EXCLUSIFS... 81

CHAPITRE 1

Le droit exclusif de la Française des jeux... 83

CHAPITRE 2

Le droit exclusif du PMU pour les paris hippiques en dur... 109

PARTIE III

LES JEUX D’ARGENT ET DE HASARD SOUMIS À AGRÉMENT... 127

CHAPITRE 1

Les jeux d’argent et les paris en ligne... 129

CHAPITRE 2

Les casinos municipaux... 157 CHAPITRE 3

Les clubs de jeux... 191

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PARTIE IV

LES INCERTITUDES LIÉES À LA RÉGULATION DES JEUX D’ARGENT 201

CHAPITRE 1

Les problématiques internes aux jeux d’argent et de hasard... 203

CHAPITRE 2 Les problématiques périphériques aux jeux d’argent et de hasard 217 Conclusion... 229

Bibliographie... 231

Annexe 1–Textes législatifs et réglementaires... 233

Annexe 2–Opérateurs agréés ou autorisés... 237

Annexe 3–Prélèvements publics sur les jeux... 239

Index... 241

Le droit de la régulation des jeux dargent

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Avant-propos

La question des jeux d’argent et de hasard n’a rien d’anodin. Lorsque l’étude se porte sur les droits qui leur sont applicables, les paradoxes ten- dent même à se multiplier. Le plus important d’entre eux est assurément la discordance qui existe entre d’un côté l’aléa qui caractérise ces activités et, de l’autre, la finalité du droit qui est d’encadrer et de prévenir les effets de situations futures à partir d’expériences passées. L’aléa et le droit, le sujet n’est pas nouveau. Mais il prend un sens tout particulier lorsqu’il est étudié à partir des régimes juridiques qui encadrent les jeux d’argent et de hasard.

Le droit a tenté de saisir l’aléa en élaborant un contrat à part (le contrat aléatoire). Ce dernier révèle des spécificités importantes (par rapport au contrat classique, tel qu’il est visé à l’article 1101 du Code civil1). Dans ce cas, il s’agit d’une convention onéreuse réciproque dont les avantages, ou les pertes, pour toutes les parties ou seulement l’une d’entre elle dépendent d’un évènement incertain2. Pour autant, toutes les problématiques du droit des jeux ne se résument pas autour d’une étude privatiste du contrat qui unit le joueur et l’opérateur, son régime, ses conséquences.

L’objectif poursuivi se veut ici plus large. Il s’agit d’abord de présenter l’ensemble des règles qui trouvent à s’appliquer aux différents secteurs de jeux d’argent et de hasard ou de loterie pour comprendre comment les régi- mes s’articulent, mais aussi, et plus largement, comment a été élaboré un véritable droit pour la régulation des jeux. C’est bien là le sujet principal.

D’un côté, et depuis longtemps, a été consacré un principe général d’inter- diction de se livrer ou d’organiser des jeux d’argent et hasard. De l’autre, se sont progressivement structurés des régimes juridiques sectoriels visant à permettre puis à élargir l’offre des jeux d’argent et de hasard, dorénavant même de loteries, proposés aux joueurs. L’exception initiale prend donc de plus en plus d’importance au point de s’interroger sur la portée exacte et actuelle du principe général d’interdiction.

Le Sénateur François Trucy résuma d’ailleurs très bien la situation en considérant qu’«il est probable qu’on n’a jamais autant joué en France qu’à l’heure actuelle»3. La tendance n’est pas démentie aujourd’hui, comme le montrent très précisément les dernières études économiques, les dernières réformes induites par la loi Pacte du 22 mai 2019 et l’ordonnance du 2 octo- bre 2019 dédiée à la réforme des secteurs des jeux d’argent et de

1. Qui dispose que «Le contrat est un accord de volontés, entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations».

2. C. civ., art. 1108 al. 2 .

3. Rapport d’information sur les jeux 2001-2003, p. 473.

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hasard4. Loin de remettre en cause les régimes juridiques modernes dédiés aux jeux qui ont été forgés au cours du XXesiècle, elles les confortent, les précisent, les améliorent, voire permettent dans une certaine mesure un développement de l’offre proposée par les opérateurs.

Le présent ouvrage se propose donc d’étudier ces régimes et d’actuali- ser les données juridiques disponibles à l’orée de la réforme récemment adoptée. L’ambition poursuivie ne se limite pas à décrire le droit applicable à la régulation sectorielle des jeux d’argent et de hasard. Il s’agit aussi de cerner la logique d’ensemble, d’en mesurer l’efficience et, corrélativement, les paradoxes qui se maintiennent encore et toujours. Nous espérons que le lecteur y trouvera matière à réflexion pour non seulement comprendre les mécanismes, mais aussi pour tenter d’appréhender les lacunes toujours persistantes.

Jean-Baptiste Vila

4. L. nº 2019-486, 22 mai 2019,JO, 23 mai 2019, texte nº 2 ; ord. nº 2019-1015, 2 oct. 2019,JO, 3 oct. 2019, texte nº 18.

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Introduction

« L’État est vertueux et rigoureux en apparence, mais âpre au gain au point que son comportement en devient ambigu ».1 François Trucy 1.Il est parfois des activités prises en charge par l’État qui ne manquent pas d’étonner soit parce qu’elles paraissent éloignées des domaines de pré- dilection de la puissance publique (dont la première justification à l’action publique est l’intérêt général), soit parce qu’elles ont un objet difficilement conciliable avec la sphère publique. Il en est une qui retient particulièrement l’attention dans ce domaine : les jeux d’argent et de hasard et, aujourd’hui, les jeux de loterie.

2.Dans l’inconscient collectif, il n’existe pas ou il ne devrait pas exister de lien entre la puissance publique, que ce soit l’État ou les collectivités ter- ritoriales, et les opérateurs qui officient dans le domaine des jeux d’argent et de hasard. Mais nous sommes ici en présence d’une idée reçue, un totem, presque un tabou pour reprendre la figure consacrée. Disons-le d’emblée et sans détour : les jeux d’argent et de hasard sont étroitement liés à la puis- sance publique. Leur étude permet même de considérer qu’ils n’existent et n’ont pu se développer que sous l’égide et avec l’apport normatif de l’État.

Ce constat conduit à identifier une véritable dialectique qui s’est mise en place au fil du temps. D’une part, l’État a indiscutablement besoin des jeux argent et de hasard, notamment en raison des recettes fiscales qu’ils repré- sentent pour son budget2. D’autre part, ce secteur d’activité ne peut se déployer en dehors d’un cadre normatif et d’un contrôle assuré par la puis- sance publique. Seule cette dernière dispose en effet de la faculté d’endi- guer les externalités négatives (blanchiment d’argent, financement du ter- rorisme, malversations ou pratiques mafieuses, consommation excessive ou l’addiction aux jeux...) qui apparaissent invariablement lorsque la pra- tique des jeux d’argent et de hasard n’est pas encadrée par l’État. L’un et l’autre sont liés. Ils se conditionnent, partiellement pour le premier (l’État) et en totalité pour le second (le secteur des jeux d’argent et de hasard), mutuellement en ce début deXXIesiècle.

3.Et pourtant, rien ne laissait présager cette réunion fonctionnelle forma- lisée par des régimes juridiques, encore réformés récemment et qui sont étu- diés ci-après. Il suffit pour s’en convaincre de relire le célèbre commentaire

1.Rapport dinformations sur les jeux,Assemblée nationale, 2001/2002, p. 34.

2. V. sur ce point les éléments développés dans les Parties II et III. V. aussi MARKUSJ.-P.,Les prélèvements publics sur les produits des jeux et leur affectation, inÉtat et Jeux d’argent, les jeux sont-ils faits ?, ss. dir. VILAJ.-B., L’Harmattan, 2014, p. 257.

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du doyen Hauriou sous la jurisprudenceAstrucde 19163. À l’époque, une salle de spectacle se voyait refuser le caractère d’intérêt général et le doyen Hau- riou de considérer que «le théâtre représente l’inconvénient majeur d’exalter l’imagination, d’habituer les esprits à une vie factice et fictive et d’exalter les pas- sions de l’amour qui sont aussi dangereuses que celles du jeu et de l’intempé- rance». Le contraste est saisissant lorsque l’analyse se porte sur les casinos qui bénéficient aujourd’hui de la qualification de service public grâce à la réu- nion de trois activités parmi lesquelles figurent les salles de spectacle4. Ils sont ainsi, et sans aucun doute possible sauf à remettre en cause leur quali- fication en service public, une activité d’intérêt général5.

4.La mise en évidence de ces conclusions divergentes à deux époques données montre tout l’écart juridique qui caractérise les relations entre l’État et les jeux d’argent et de hasard au début duXXesiècle et celles que nous connaissons aujourd’hui. Deux questions émergent à partir de là.

5.La première consiste à s’interroger sur la période où cette relation est apparue. À partir de quand s’est-elle construite et a-t-elle nécessité l’élabo- ration d’un droit des jeux d’argent et de hasard ? Est-elle un symptôme, une manifestation de l’État postmoderne, dont l’une des figures centrales consiste à réguler (quand il n’intervient pas dedans) un/des secteur(s) éco- nomique(s) donné(s) ? Dans ce cas, les fondements de l’objet étudié ici seraient à rechercher dans la seconde partie duXXesiècle et les prolonge- ments intervenus en ce début deXXIesiècle. Si tel n’est pas le cas, constitue- t-elle le résultat d’un déploiement historique qui montrerait que l’État et les jeux d’argent et de hasard ont toujours, de manière directe ou non selon les époques, entretenu des relations étroites ?

6.La seconde nécessite de s’intéresser à la ou les causes. Quels sont les facteurs sociaux et sociétaux qui ont conduit l’État à encadrer, au moyen du droit, les jeux d’argent et de hasard ? Ces données ne sauraient être élu- dées car elles participent encore à l’évolution de la relation établie juridi- quement entre l’État et ce secteur d’activité.

7.Ces deux grandes questions révèlent à elles seules une amorce de réponse : c’est bien un déploiement historique qui est à l’origine de la dialec- tique entre l’État et les jeux d’argent et de hasard et des régimes que nous connaissons aujourd’hui. L’étude ne peut donc faire l’économie d’un rappel des grandes étapes historiques qui ont participé sa construction. Seule cette démarche préalable permet ensuite de comprendre les enjeux qui caractéri- sent les modalités d’encadrement et de régulation de ce secteur.

3. CE, 7 avril 1916,Astruc et Société du Théâtre des Champs-Élysées c. Ville de Paris,S. 1916 III p. 49, note HAURIOUM.

4. CE, 25 mars 1966,Ville de Royan et société anonyme de Royan et Couzinet, nº 46504 et autres, p. 237 ; Section de lintérieur, avis, 4 avril 1995, nº 357274,Rapport public 1995, p. 414 ; CE, 3 octobre 2003, req. nº 248523,commune de Ramatuelle,BJCP32, p. 50.

5. TRUCHETD., Nouvelles récentes d’un illustre vieillard : label de service public et statut de service public,AJDA1982, pp. 427-439.

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I. Les grandes étapes de la construction d ’ un droit des jeux

8.L’histoire des jeux d’argent et de hasard et de l’État pourrait faire l’ob- jet d’une étude à elle seule6. Mais dans une tentative de résumé, avec les lacunes inhérentes à un tel exercice, il est possible d’identifier trois grandes étapes dans la construction de la dialectique et des relations entre la puis- sance publique et le hasard formalisé dans un secteur d’activité, les jeux d’argent.

9.La première période s’étend des confins de notre histoire jusqu’à l’An- cien Régime. Plus exactement, il semble possible de faire remonter origi- nellement les jeux d’argent et de hasard vers –2000 av. J.-C. avec une forme primitive de jeux de dés. Celle-ci confinait au divinatoire et au symbo- lique, au sens du sacré tel que l’a conceptualisé bien plus tard Sigmund Freud. Cette première forme de jeux d’argent et de hasard, liée à l’État dans une confusion avec le spirituel, s’est prolongée par la suite sous la Grèce antique puis Rome. Jules César rendait compte de cette relation étroite entre les deux sphères d’activité par une célèbre citation «panem et circenses»7; tel un aveu d’impuissance à encadrer (ou plus exactement interdire) sociétalement et juridiquement les jeux d’argent et de hasard. À partir de ce moment-là, jusqu’à la seconde étape historique (l’Ancien Régime), le jeu, qu’il soit divinatoire/religieux ou bien avec un enjeu finan- cier, a toujours occupé une place centrale dans les sociétés. Celle-ci s’est caractérisée par une ambivalence : d’un côté le besoin de laisser les jeux d’argent et de hasard se développer pour occuper la société ; de l’autre les prescrire, les interdire juridiquement par l’État, mais aussi les sanctionner moralement par le fait religieux. Car c’est bien là la particularité originelle de la relation entre l’État et jeux d’argent et de hasard. Ces derniers étaient tolérés pour acheter une paix sociale alors que, dans le même temps, ils étaient juridiquement et socialement sanctionnés. De nombreux auteurs ont rendu compte de ce phénomène. Les propos de Portalis montrent les ambivalences de la position initiale de l’État à l’égard des jeux («La loi n’écarte que les jeux dont le hasard est l’unique élément»), tandis que d’au- tres, comme J.-B. Thiers, révélaient la sanction religieuse réservée à ceux qui s’adonnaient à ces pratiques8(«La nature ne supporte pas que nous aug- mentions nos biens et nos richesses au détriment des autres[...].Il vaut mieux supporter quelques inconforts plutôt que de malmener tous les hommes et les

6. Parmi les nombreuses occurrences possibles, v. notamment Belmas E.,Jouer autrefois : essai sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIesiècle), Champ Vallon, 2006.

7. Des débats dhistoriens existent sur le fait de savoir si de telles paroles ont été prononcées ou non. Limportant ici nest pas de savoir si tel était le cas, mais plutôt quils montrent que la question existait déjà.

8. THIERSJ.-B.,Traité des jeux et des divertissements qui peuvent être permis ou qui doivent être défendus aux chrétiens selon les règles de l’Église et le sentiment des pères, Paris, 1686, chap. XXVIII.

Introduction

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dieux avec injustice, cupidité, débauche et excès»)9. Mais cet équilibre était fragile, car il était étroitement lié aux relations entre l’Église, avec un pos- tulat moral, et l’État, avec sa capacité normative.

10. La remise en cause des liens entre le spirituel et le temporel a ouvert les prémices de la seconde étape historique entre l’État et les jeux d’argent et de hasard, celle où les jeux se sont développés, multipliés dans l’ensemble de la société au point de nécessiter (cf.infra) à terme une nou- velle posture de la puissance publique à leur égard. Cette seconde période s’ouvre donc avec un déplacement des problématiques sociales et sociéta- les. L’avènement de la remise en cause du spirituel opère un déplacement des analyses. Le jeu n’est plus assimilé à un péché et le joueur à une per- sonne ayant cédé à la tentation du Diable. On oppose alors la raison et le travail à l’oisiveté et la tentation du gain facile. C’est de là que les jeux d’ar- gent et de hasard tireraient leur nouvelle dimension immorale. Comment ne pas penser ici aux propos de Montesquieu dans son essai sur le goût10? Celui qui gagnerait remporterait alors les faveurs du destin tandis que les autres le lui contesteraient et lui envieraient11. Mais il ne s’agit ici que d’un prisme (le jeu et le joueur) dans l’analyse du sujet. Dans le même temps, la position de l’État, dans le mouvement d’émancipation vis-à-vis de l’Église, à l’égard du jeu a changé. Il en a résulté un paradoxe : depuis lors, la pratique des jeux d’argent et de hasard a été purement et simplement interdite, à l’exception des cas où elle était organisée par la puissance publique. En effet, l’État a saisi que cette activité, dans l’hypothèse où il l’organisait, pou- vait permettre de satisfaire d’autres besoins d’intérêt général. L’expérience n’était pas récente, ni nationale. AuXVIeetXVIIesiècle, la loterie publique au Royaume-Uni a permis de financer la construction de la tour de Westmins- ter ou encore les travaux d’approvisionnement en eau de la ville de Londres.

En France, les constructions de bibliothèques publiques ou des grands tra- vaux, tels que la construction de l’hôpital de la Salpêtrière, ont été financés de la même manière. Ceci explique que la loterie royale a été créée en 1776 avant d’être transformée en loterie nationale après la révolution de 1789.

Malgré le principe d’interdiction, un lien étroit a ainsi été institutionnalisé entre l’intérêt général et l’aléa, entre l’État et les jeux. La volonté de maîtri- ser le hasard coûte que coûte, que ce soit par le joueur ou la puissance publique, a pris le pas sur l’interdit moral/sacré. Un constat similaire peut caractériser les autres formes de jeux. L’apparition de la mutualisation des paris dès leXIXesiècle, annonçant la création en France de la société des courses en 1930, le montre précisément. Une évolution historique similaire

9. Pascaris J.,De alea sive de curanda ludendi in pecuniam cupiditate, 1561, in VALLEURM., NADEAUL.,Pascarius ou comment comprendre les addictions, Montréal, 2014.

10. «Le jeu nous plaît parce quil excite notre avarice, cest-à-dire lespérance davoir plus ; il flatte notre vanité par lidée de la préférence que la fortune nous donne et de lattention que les autres ont sur notre bonheur ; il satisfait notre curiosité en donnant la surprise ; enfin il nous donne les différents plaisirs de la surprise».

11. CAILLOISR.,Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Gallimard, 1958 : «L’aléa marque et révèle la faveur du destin», p. 58.

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caractérise aussi les casinos dont l’expression est apparue auXVIIesiècle en Lombardie ou en Toscane avant de devenir dans les années 1780-1790 des gentlemen’s cluboù l’on se réunissait pour des parties de cartes impliquant des mises financières. L’admission morale du jeu est ce qui caractérise le mieux cette seconde période. Mais elle n’est que l’avènement d’une troi- sième : l’institutionnalisation moderne d’un droit des jeux d’argent et de hasard en France.

11.C’est la dernière grande étape historique qui s’étend du XIXesiècle jusqu’à nos jours. Elle s’est construite sur un postulat : les jeux d’argent et de hasard sont interdits12. Le principe est admis très tôt dans le Code pénal13 avant d’être repris dans les dispositions actuelles du Code de la sécurité intérieure14. Le fondement au principe repose sur l’idée que les «jeux d’ar- gent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire», de sorte qu’ils doivent faire «l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs»15. Ceci ne signifie pas pour autant que la puissance publique a supprimé purement et simplement les occasions de jouer.

12.Les paris entourant les courses hippiques n’ont pas disparu. Dès le milieu duXXesiècle, ils sont institutionnalisés autour d’une structure, le PMU qui deviendra ensuite, en 1985, un groupement d’intérêt économique dont la principale finalité est d’organiser les courses, les paris des joueurs et dans le même temps le développement de la filière hippique sous l’égide du minis- tère de l’Agriculture. La Loterie nationale française, de son côté, a été créée en 1933 avant de devenir la Société de la Loterie nationale et du Loto national en 1979, puis France loto en 1989, et aujourd’hui la Française des jeux. À compter de 1979, elle est une société anonyme d’économie mixte et connaît aujourd’hui encore de nombreux changements dans la structure de son capital16. Les casinos, quant à eux, ont été saisis par le droit et, corrélative- ment par l’État, au cours duXXesiècle. Le régime permettant l’exploitation de ces salles de jeux a d’abord été forgé par des textes de 1959 qui ont ensuite été largement révisés par des décrets de 2006 et un arrêté de 2007. Initiale- ment réservés aux stations balnéaires, thermales et climatiques, les derniers textes du début duXXIesiècle les ont ensuite autorisés dans les communes ou EPCI de plus de 500 000 habitants. Une nouvelle grande étape fut franchie

12. La corruption morale du joueur est alors encore présente comme le montrait Mathieu B.

dans lexposé dune loi de 1924 : «La loterie est dangereuse comme faisant naître lespoir dun gain important qui na pas sa source dans le travail ; elle détourne de leffort et engage à linaction».

13. V ; ancien art. 410, 475 et 477.

14. Art. L. 322-1 qui dispose : «Les loteries de toute espèce sont prohibées» ; v. aussi pour le régime des peines art. L. 324-1 à 10, CSI.

15. L. nº 2010-476 du 12 mai 2010,JO,13 mai 2010, p. 8881, art. 3 I 1º et art. 5.

16. Cf. partie II, chap. I. LÉtat a activé en novembre 2019 le processus de cession de 50 % du capital de la FDJ qu’il détenait, faisant passer sa participation à un taux variant entre 22 % et 20 %. L’introduction en bourse a été réalisée le 21 novembre 2019.

Introduction

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avec la loi du 12 mai 201017qui permit l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne pour des opérateurs agréés par une autorité administrative indépen- dante (l’Autorité de régulation des jeux en ligne).

13.D’autres formes de jeux d’argent et de hasard ont été appréhendées par l’État moderne (comme les cercles de jeux qui sont devenus les clubs de jeux) ou pourraient l’être dans un avenir plus ou moins proche (comme les jeux vidéo). Cette évolution historique et les questions encore pendantes démontrent un changement systémique dans la position de l’État à l’égard des jeux d’argent et de hasard. Si à l’origine un principe général d’inter- diction autorisant quelques exceptions (paris hippiques, loterie, casinos) avait été consacré en 1836, la superposition des réformes intervenues au cours du XXesiècle et au début du XXIesiècle montre que le principe initial est en réalité devenu l’exception au point que ce soit structuré progressive- ment un véritable droit des jeux, un droit moderne d’une offre de jeux aux multiples facettes.

II. La superposition des réformes : vers un droit moderne des jeux

14.L’une des particularités du droit des jeux d’argent et de hasard est d’avoir vu se multiplier au cours duXXesiècle des réformes des régimes juri- diques. Ces dernières sont venues préciser l’encadrement de chaque bran- che de ce secteur économique. Depuis lors, chaque activité de jeux d’argent et de hasard fait ainsi l’objet d’un encadrement normatif spécifique visant à réguler et donc permettre la pratique de ses activités.

15.La Cour des comptes et le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale ont eu l’occasion en 2016 et 2017 de procéder à un état des lieux des régimes dédiés aux différentes for- mes de jeux d’argent et de hasard18. Les analyses mises en évidence étaient édifiantes et étayaient l’idée selon laquelle le droit, en particulier le droit administratif, se caractérisait (se caractérise toujours) par un éclatement normatif.

16.En ce qui concerne la Française des jeux, on notera que, au-delà de la loi de finances du 31 mai 1933 autorisant la création de la Loterie natio- nale, un décret du 9 novembre 1978, l’article 42 de la loi du 29 décembre 1984, l’article 48 de la loi du 29 décembre 1994 ainsi que le décret du 31 juil- let 1997 structuraient le droit des jeux qui pouvaient être pratiqués par cette société anonyme d’économie mixte. Il ne s’agit pas là d’une analyse exhaus- tive du régime applicable à cette dernière, mais uniquement les textes prin- cipaux. À ceux-ci venaient s’ajouter d’autres textes spécifiques liés au

17. L. nº 2010-476 du 12 mai 2010,JO,13 mai 2010, p. 8881.

18. C. comptes,La régulation des jeux d’argent et de hasard, ss. dir. MALGORNB., 19 oct. 2016.

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conventionnement intervenu entre l’État et la Française des jeux en 1979 et en 2006 qui attribuaient à cette dernière, non pas une mission d’intérêt général ou de service public, mais une activité sous monopole. La qualifica- tion aurait pu paraître discutable. Elle a d’ailleurs donné lieu à contentieux19et pourrait faire l’objet d’une appréciation différente aujour- d’hui comme l’envisagent les analyses qui suivent.

17.De la même manière, pour le PMU, une véritable tutelle de l’État a été instituée à l’origine et fut précisée par le décret du 5 mai 1997 annonçant la création de la Fédération nationale des courses françaises. Là aussi, les textes encadrant les activités des jeux pratiqués par ce GIE sont nombreux, tout comme ceux relatifs à la filière, à la fédération nationale...

18. La situation des casinos n’était pas diamétralement différente, puisque leur secteur s’est aussi caractérisé par un empilement des textes au fur et à mesure de leur exploitation au cours duXXesiècle. La loi de 1907 autorisa d’abord les cercles de jeux et les casinos dans certaines stations touristiques ; loi qui fut complétée en 1920 pour empêcher l’implantation de telles structures dans un rayon de 100 km autour de la capitale, puis en 2006 pour autoriser leur implantation dans des villes de plus 500 000 habi- tants. Mais ces textes relatifs aux conditions d’implantation de ces structu- res ont aussi été complétés par des décrets encadrant non seulement les types de jeux autorisés, les autorisations préalables, mais aussi la fiscalité locale et nationale impactant le produit brut des jeux retirés de l’exploi- tation.

19.Ces différents régimes sectoriels des jeux ont été élargis en 2010 avec la loi du 12 mai qui a ouvert à la concurrence les jeux d’argent et de hasard en ligne pour les opérateurs bénéficiant d’un agrément délivré par une autorité administrative indépendante. Cette dernière a permis à des opérateurs jusque-là interdits sur le territoire national de pouvoir proposer de manière dématérialisée et régulée des jeux d’argent et de hasard. Mais cette réforme a aussi permis aux opérateurs sous droits exclusifs (FDJ, PMU) de pouvoir diversifier leur offre de jeux. Leur situation juridique res- pective ne les écartait pasipso factode ce secteur. Le contexte actuel n’a d’ailleurs pas changé : ces opérateurs sous droits exclusifs disposent d’une offre de jeux constituée en partie d’un droit exclusif pour leurs activi- tés originelles et, de l’autre, d’un agrément pour l’exploitation de jeux en ligne.

20.Sans même évoquer les autorités de régulation (cf.infra), et si l’on ajoute à ces quelques éléments d’analyse le régime juridique fluctuant applicable aux cercles de jeux (devenus clubs de jeux), les réflexions sur l’essor des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle dans les jeux, la question des paris dans les jeux vidéo ou encore les limites

19. CE, 27 oct. 1999,Rolin, nº 171169 et a.,AJDA1999, p. 1008 chron. FOMBEURP., concl. GUYO- MARM. ;JCPG 2000, II, 10365, note CORNELOUPV.

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techniques du droit existant, il est loisible de comprendre que les textes se sont superposés avec le temps et que d’autres auraient pu venir s’ajouter20. Ceci a conduit la Cour des comptes ainsi que le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale à préconiser dès 2016 une refonte et une simplification de ces régimes pour créer les bases d’un droit moderne des jeux d’argent et de hasard. C’est là que doit être recherchée l’origine de l’article 137 de la loi « PACTE » du 22 mai 2019 et de l’ordonnance du 2 octobre de la même année réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard ainsi que leurs textes d’application. Le pre- mier intérêt de cette réforme est d’opérer un premier travail définitoire nor- matif en prenant appui sur les avancées jurisprudentielles passées. L’objec- tif est simple : saisir la notion de jeux et la nature juridique des activités qui la composent.

III. Travail définitoire sur la notion de jeux et ses différentes acceptions

21.Comprendre les régimes juridiques qui encadrent les jeux d’argent et de hasard implique nécessairement de saisir avant tout les contours de la notion. Or, le premier constat qui peut être dressé est que pendant long- temps le législateur, tout comme le pouvoir réglementaire (si tant est que cela relevait de sa compétence) n’ont jamais donné une définition exacte de l’objet d’étude qui nous occupe.

22.Il ne s’agissait pas là de la préoccupation principale du producteur des normes juridiques. L’enjeu consistait surtout pour le législateur ou le pouvoir réglementaire, à l’origine, à structurer juridiquement ses activités –en privilégiant une approche sectorielle comme cela était vu–et à prévoir un cadre fiscal spécifique aux différentes formes de jeux. Certes, les diffé- rents textes adoptés au cours duXXesiècle prévoyaient bien un ensemble de normes allant même jusqu’à détailler le déroulement précis de chaque acti- vité de jeux d’argent et de hasard. Chaque forme était ainsi expliquée dans le moindre détail : de la préparation du jeu, en passant par les modalités de paris, de tirage ou de déroulement et jusqu’à la remise des gains aux éven- tuels joueurs chanceux. Mais point de définition à la lecture des règles applicables. Et pourtant, s’ils «ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire et qu’ils doivent faire l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de la protection de la santé et des

20. Déjà en son temps Nicolas Delamare dans sonTraité de police(1707, Paris 1710, Liv. III, p. 453) considérait que : «De tous les points de morale qui sont de lobjet de la police, il y en a peu qui aient donné l’occasion à un aussi grand nombre de lois que les jeux d’argent et de hasard».

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mineurs»21, le professionnel, le joueur et,a fortiori, la doctrine auraient pu s’attendre à ce qu’ils soient définis dans les textes.

23.Comme bien souvent en pareille situation22, il est alors revenu au juge de préciser les critères qui ont permis de caractériser juridiquement ces activités. Il a été confronté à deux problématiques centrales. La pre- mière, déjà évoquéesupra, consistait à cerner le sens juridique à attribuer à la notion de jeux d’argent et de hasard pour déterminer dans quelle situa- tion une activité entrait dans son champ et quand elle en était exclue. Les éléments de réponse apparaissaient et sont encore essentiels au vu du prin- cipe général d’interdiction et au régime d’infractions et de sanctions qui lui sont attachées23.

24.Aussi étrange que cela puisse paraître, et malgré l’étude jusque-là présentée qui établit un lien entre la puissance publique et les jeux d’argent et de hasard, il n’est pas revenu au juge administratif de trancher cette question. Le juge judiciaire s’en est chargé à l’occasion du contrôle qu’il a opéré du contrat de jeu unissant le joueur et l’opérateur. L’analyse de sa jurisprudence tend à démontrer qu’il avait cerné quatre caractéristiques pour conclure qu’une activité était un jeu d’argent et de hasard : une offre de jeux faite au public, susceptible de faire naître une espérance de gain, proposée selon des modalités faisant intervenir le hasard et imposant une contrepartie financière24.

25.Les textes sont ensuite venus reprendre et compléter cette tentative de caractérisation de la notion. Les jeux d’argent et de hasard sont doréna- vant définis comme : «toutes opérations offertes au public, sous quelque déno- mination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé de la part des participants»25. Si cette notion semble admise dans le droit, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne révèle aucune difficulté. Au contraire, sous l’empire des textes composant la réforme 2019, plusieurs acceptions peuvent être identifiées : celle de jeux d’argent et de hasard qui vient d’être étudiée et qui caractérise l’exploitation des casinos ou des jeux en ligne ; celle des jeux de loteries soumis à un régime de droit exclusif et compre- nant les jeux de répartition ou les jeux de contrepartie commercialisés en

21. Art. 3, loi du 12 mai 2010, préc.

22. Comment ne pas établir ici un parallèle avec la notion même de service public qui, hor- mis une qualification textuelle au cas par cas, résulte surtout dun processus didentifi- cation à partir de critères jurisprudentiels bien connus ; v. CE, sect., 28 juin 1963,Narcy, nº 43834,Rec. CE, p. 401,RDP1963.1186, note WALINEM. ;AJDA1964.ii.91, note De LAUBA- DÈREA. ; CE, 22 févr. 2007,APREI, nº 264541, LEBON;AJDA2007.793, chron. LENICAF. et BOU- CHERJ. ;RFDA2007.803, note BOITEAUC. ;RDSS2007.499, concl. VEROTC. ;RDSS2007.517, note KOUBIG. et GUGLIELMIJ.

23. Cf. Partie IV, Chap. II, II, B.

24. V. par ex. Cass. crim., 30 oct. 2013, nº 12-84784, Bulletin criminel 2013, nº 210.

25. CSI, art. L. 320-1.

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réseau physique de distribution et en ligne par la Française des jeux26; celle des jeux de paris sportifs et hippiques27. Une question demeure : la liste évo- quée est-elle fermée ou permettra-t-elle d’inclure à l’avenir de nouvelles formes de jeux d’argent et de hasard ? La mise en œuvre de la réforme 2019 et son appréciation à venir par le juge permettra certainement de sai- sir avec exactitude les caractéristiques de ces différentes acceptions.

26.Une seconde problématique a pu être identifiée : quelle est la nature juridique des activités composant les jeux d’argent et de hasard ? La réponse à cette question était là aussi essentielle, car de celle-ci dépendait le régime juridique applicable, en particulier en cas de contentieux. Sur ce point très précis, la compétence juridictionnelle s’est inversée, puisque s’agissant d’activités autorisées par l’État (par des droits exclusifs ou des agréments délivrés par ses soins ou une autorité administrative indépen- dante), il est revenu au juge administratif de trancher cette problématique.

L’analyse de ses décisions montre cependant que les certitudes juridiques sont en la matière peu nombreuses et que la qualification retenue au cas par cas a pu se caractériser par de profondes mutations.

27.L’exemple des casinos municipaux est tout à fait représentatif. Après leur avoir refusé la qualification de service public (alors même que les tex- tes imposaient à l’époque la conclusion d’une délégation de service public)28, il l’a accepté en considérant que les casinos municipaux réunissaient trois activités (hôtellerie/restauration, spectacles, jeux) et que les cahiers des charges issus des contrats conclus avec les communes ou EPCI faisaient peser sur eux des obligations de service public29.

28.Les missions confiées à la FDJ en attestent aussi. Si pendant long- temps la question ne s’est pas posée, certainement en raison de la déten- tion majoritaire du capital par l’État, le renouvellement de la convention en 2006 entre la puissance publique et cette SAEM a donné lieu à un conten- tieux célèbre. Il en résultait que la Française des jeux ne s’était pas vue confier un service public dès lors que les activités de jeux qui lui étaient confiées par l’État n’étaient pas à elles seules constitutives d’un intérêt général. Les questions autour d’un tel raisonnement sont nombreuses et la décision n’a pas manqué d’être critiquée. La réforme de 2019 pourrait conduire à renouveler les analyses. Par-delà les activités de jeux de loterie qui lui sont confiées et de l’intérêt fiscal qui en découle, la nouvelle conven- tion prévoit la dévolution d’activités d’intérêt général («canaliser l’offre de

26. CSI, art. L. 322-8 à 11.

27. CSI, art. L. 322-13.

28. CE, 12 mai 1922,Ville de Saint-Malo, Rec CE p. 413

29. CE, 25 mars 1966,Ville de Royan et SA de Royan et Sieur Couzinet, nº 46504, 46707, Lebon, p. 237 ; CE, 19 mars 2012,Sté Groupe Partouche, nº 341562,BJCP2012, p. 93, concl. BOU- LOUIS; Contrats-Marchés publ. 2012, comm. 157, note ECKERTG. ;RJEP2012, comm. 41, note PELLISSIERG. ; AJDA2012 ; p. 578, note GLASERE. ; JCPA 2012, 2319, note NGAPIO- OBÉLÉ-BÉLÉU.

Le droit de la régulation des jeux dargent

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jeux [...], prévenir le développement d’une offre illégale[...] ;contribution de la FDJ aux objectifs généraux de la politique de l’État en matière de jeux») qui pourraient conduire le juge administratif à réviser sa jurisprudence. Il ne peut en aller autrement dès lors que, en raison de la transformation de la moitié du capital social de cette SAEM, une convention lui concède un droit exclusif appartenant à l’État en contrepartie du paiement d’une redevance pour les vingt-cinq années d’exploitation.

29.Comme cela est étudiéinfra, la question demeure pour l’ensemble des secteurs composant le droit des jeux. Mais ces problématiques ne sont pas esseulées. Malgré la superposition des réformes précédentes et la refonte opérée par celle intervenue au cours de l’année 2019, de nombreu- ses questions demeurent toujours. Elles résultent pour l’essentiel d’enjeux sociaux et sociétaux qui caractérisent ce secteur et qui conduisent à envisa- ger un encadrement plus global de ces activités. L’objectif n’est plus d’éla- borer des droits sectoriels spécifiques. Cette expérience a déjà été menée.

Dorénavant, il s’agit surtout de construire un droit de la régulation secto- rielle de l’ensemble des jeux d’argent et de hasard.

IV. Des droits sectoriels à un droit de la régulation sectorielle

30.Les éléments évoqués supra, tant sur le plan historique que défini- toire, démontrent une évolution spécifique pour le droit des jeux d’argent et de hasard. Ce dernier s’est d’abord construit à partir d’un développement de régimes juridiques spécifiques à chaque forme de jeux.

31.Dans un premier temps, les différents jeux d’argent et de hasard ont fait l’objet d’une construction propre reposant sur trois grands piliers com- muns : les objectifs (permettant de légitimer, derrière les considérations relatives aux prélèvements publics sur les jeux, les activités en question) poursuivis par le régime juridique en cause ; les modalités de contrôle des opérateurs disposant soit d’un droit exclusif (ou appréhendé comme tel selon les époques), soit d’un agrément dans le cadre d’un secteur donné ; des sanctions visant aussi bien les joueurs que les opérateurs ne respectant par leur cahier des charges. Sont ainsi apparues et se sont ainsi structurées des dispositions propres à la loterie et ses jeux connexes, les paris entou- rant les courses hippiques puis celles applicables aux casinos et, presque dans le même temps, aux cercles de jeux (devenus aujourd’hui les clubs de jeux). Cette première étape du droit des jeux–qui pourrait être qualifiée de période du droit des jeux classiques et matériels–fut complétée par une seconde visant à élaborer un droit spécifique aux jeux dématérialisés sous l’empire de la loi de 2010. Ce droit des jeux modernes a laissé place à de nombreuses réflexions. L’offre des jeux d’argent et de hasard s’étant très largement développée, un besoin est apparu : créer non plus des droits Introduction

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sectoriels épars pour les jeux, mais un véritable droit de la régulation sec- torielle de l’ensemble de ce secteur.

32.C’est assurément l’étape qui est en partie franchie par réforme de 2019 composée de l’article 137 de la loi « PACTE » du 22 mai 2019 et de l’or- donnance du 2 octobre 2019, ainsi que de leurs textes réglementaires d’ap- plication. Cette transformation n’est pas apparueex nihilo. Elle prend très largement appui sur les droits sectoriels qui ont été élaborés au fil du

XXesiècle et l’expérience de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) qui avait pour mission de mettre en place une régulation sectorielle dans le domaine des jeux dématérialisés.

33.La réforme de 2019 se veut beaucoup plus ambitieuse que les expé- riences passées. Elle poursuit une logique de réunification des autorités de régulation (même si certains secteurs comme les casinos sont encore sou- mis à une régulation sectorielle spécifique), une unification des modalités de contrôle, une refonte des modalités d’accompagnement économique du secteur, la mise en place d’une régulation qui se voudrait cohérente et la construction de normes juridiques unifiées pour mieux encadrer et dévelop- per le secteur. Tous ces éléments sont étudiés ci-après. Mais, partant, il est déjà possible de conclure qu’elle est la première étape d’une mutation du droit des jeux en le faisant d’une logique de normes sectorielles à un véri- table droit de la régulation sectorielle des jeux.

34.L’évolution des textes en cours semble effectivement se caractériser par un passage de normes visant à autoriser et contrôler étroitement des opérateurs à une véritable régulation sectorielle, expérimentée depuis 2010, et dont l’objet est de mettre en place «des mécanismes et des moyens permettant de maintenir l’équilibre d’un marché de biens ou/et de services [...], une organisation de la concurrence et le maintien des missions d’intérêt général»30. Si cette transformation paraît de prime abord indéniable, elle ne signifie pas pour autant que toutes les problématiques attachées au sec- teur sont entièrement et définitivement réglées.

V. Les questions sociétales toujours pendantes

35.L’une des particularités du droit des jeux est de connaître des pro- blématiques qui ont un caractère presque permanent. Elles peuvent être résumées à partir d’un triptyque : les évolutions technologiques constantes, les externalités négatives et, par opposition à l’élément précédent, les diffi- cultés internes du secteur qui résultent de son exploitation même et qui pourraient faire l’objet d’une adaptation terminologique pour être qualifiées d’« internalités » négatives.

30. Définition livrée par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARA- FER).

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36.Le secteur des jeux d’argent et de hasard se caractérise en premier lieu par une très forte volatilité technologique. Les questions inhérentes à l’apparition et au déploiement des algorithmes ou de l’intelligence artifi- cielle sont ainsi devenues omniprésentes en raison des risques qu’elles représentent pour la sincérité des opérations de jeux. Les jeux vidéo, les modalités de prise de paris sur les plateformes des opérateurs, les problè- mes techniques liés à la prise de paris (les décalages dans les prises de paris par rapport à la diffusion réelle de la manifestation sportive), la mani- pulation des algorithmes31, l’apparition de sites internet frauduleux lors de l’opération de cession de 50 % du capital de la Française des jeux par l’État sont autant d’exemples qui montrent le besoin d’adaptation constante des normes juridiques liées à la régulation du secteur en rapport avec son essor technique.

37.Si celles-ci retiennent l’attention et sont étudiées ci-après, il en est une autre qui ne saurait être éludée : les externalités négatives attachées au secteur. Malgré les efforts juridiques d’encadrement, de contrôle et de régu- lation du secteur, il apparaît qu’elles se maintiennent dans le temps. C’est ce caractère permanent qui conduit à se demander si elles ne seraient pas immanentes à la mise en place d’un secteur économique régulé des jeux d’argent et de hasard. Quelles sont-elles ? Dans l’ensemble elles sont consti- tuées des fraudes pénales résultant directement ou indirectement de l’exploi- tation des jeux d’argent et de hasard. Le blanchiment d’argent, le finance- ment du terrorisme, la corruption en sont autant de manifestations. Elles tendent indéniablement à se développer, comme s’en fait l’écho la presse. Il n’est plus rare de constater que des sportifs parient alors qu’ils sont interdits de jeux, des compétitions sportives font l’objet d’une corruption... Les cas concrets rencontrés conduisent même à s’interroger (sans que cet ouvrage n’y propose une réponse) : de telles externalités négatives existeraient-elles si l’offre avait été réduite, voire non développée ?

38.Demeure enfin une dernière problématique essentielle : les « inter- nalités » négatives attachées à l’essor et l’exploitation des jeux d’argent et de hasard. Il est effectivement constant que ce secteur révèle en soi des effets négatifs non pas externes, mais internes et attachés au développe- ment même de cette activité. La principale manifestation de ce sujet est à n’en pas douter la consommation qui est faite des jeux et qui peut avoir deux effets pervers : la consommation par les mineurs ; la surconsommation par les majeurs. Le premier point fait l’objet d’un encadrement strict au terme duquel les mineurs sont purement et simplement interdits de jeux d’argent et de hasard. Mais la consommation dans certains points de vente ou en ligne soulève encore et toujours des questions. S’agissant de la surconsom- mation par les majeurs, il apparaît que la question de l’addiction aux jeux

31. La Chaire « Régulation des jeux » a organisé un séminaire le 17 octobre 2019 pour établir une comparaison sur les manipulations des marchés financiers et celle des jeux d’argent et de hasard.

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interroge toujours. Les données disponibles ne paraissent d’ailleurs pas suffisantes pour en permettre une expertise affinée.

39.Les premières études menées il y a vingt ans32considéraient la part des personnes dans la population souffrant d’addiction aux jeux de l’ordre de 1 à 2 %. Depuis, cette donnée n’a jamais varié. La Cour des comptes rete- nait une analyse similaire dans un rapport de 2002, tout comme la MILDECA en 200733, l’INSERM en 200834ou encore l’INPES en 201435. Au total, ces analyses montrent que 0,5 à 1 % de la population aurait une addiction nécessitant un traitement médical et 2 à 3 % de la population présenterait un risque modéré en raison d’une surconsommation.

40.Ces données ne manquent pas d’étonner pour deux raisons. La pre- mière est que les études menées dans d’autres pays montrent une part sensiblement plus importante du problème d’addiction dans la population36. La seconde est que l’offre de jeux s’est largement étoffée depuis le début des années 2000, ce qui aurait dû, mécaniquement, opérer une modification de ces données comme cela s’est produit dans d’autres pays. Le cas du Royaume-Uni suffit à en rendre compte. La part de joueurs souffrant d’addiction est ainsi passée de 0,4 % à 14 % à compter de l’ouver- ture à la concurrence des jeux en ligne. L’évolution semble (trop ?) impor- tante. Mais si elle n’est peut-être pas comparable en France, la stabilité des données nationales conduit à se demander si les expertises menées ne peu- vent pas être affinées ; étant entendu que, dans le même temps, les dépen- ses de jeu ont progressé de plus de 40 % entre 2000 et 201637.

41.Améliorer les études sur ce sujet permettrait de répondre à deux besoins. Il s’agirait d’un côté d’améliorer l’expertise médicale des joueurs qui souffrent de ce phénomène. De l’autre, l’objectif serait de réduire les coûts indirects liés à cette problématique et qui sont supportésin finepar l’État en réponse à une problématique à la fois d’intérêt général, mais aussi d’ordre public38.

32. VALLEURM.,Le jeu pathologique, Que sais-je ?, 1999.

33. Rapport 2007 de la MILDECA (à lépoque la MILDT) sur leJeu pathologique.

34. Dans son rapportExpertise collective sur les jeux dargent et de hasard en France.

35. Enquête nationale menée en 2014.

36. V. les principales études du Centre québécois dexcellence pour la prévention et le traite- ment du jeu qui a mené plus de 100 études sur le sujet depuis 2000.

37. Observatoire des jeux, rapport danalyse nº 8, déc. 2017, p. 2.

38. V. partie IV, chap I. Sur cette question v. par ex. VILAJ.-B., Addiction aux jeux et santé publique : recomposition de l’ordre public ou nouveau motif d’intérêt général ?, AJDA2008, p. 1804.

Le droit de la régulation des jeux dargent

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VI. Les axes de réflexion du droit des jeux

42.Partant de ces questions sociétales toujours d’actualité et des élé- ments précédemment évoqués, l’étude du droit des jeux impose de retenir une démarche quelque peu originale axée autour de quatre grands axes d’analyse.

43.Le premier consiste à s’intéresser au droit de la régulation secto- rielle des jeux d’argent et de hasard. La justification réside dans le souhait des pouvoirs publics, avec la refonte de la régulation des jeux opérée en 2019, de créer un tel droit spécifique à la régulation de ce secteur. À cette fin, l’attention se portera dans un premier temps sur le cadre général de cette régulation sectorielle propre aux jeux d’argent et de hasard (partie I).

Mais ce premier temps de l’analyse serait cependant fondamentalement incomplet si n’étaient pas envisagés les différents droits sectoriels qui sont toujours applicables à chaque forme de jeux qu’ils soient proposés sous droits exclusifs (partie II) ou sous agréments (partie III). Leur maintien et les précisions qui y sont apportées aux termes de la réforme de 2019 justi- fient, encore aujourd’hui, qu’ils fassent l’objet d’une étude dédiée. L’analyse impose enfin de ne pas éluder les problématiques connexes aux jeux et qui ont une dimension sociale ou sociétale (partie IV). Ces dernières sont peut- être les fondements de réflexions à mener à l’occasion de nouvelles réfor- mes à venir.

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