• Aucun résultat trouvé

Les questions sociétales toujours pendantes

35.L’une des particularités du droit des jeux est de connaître des pro-blématiques qui ont un caractère presque permanent. Elles peuvent être résumées à partir d’un triptyque : les évolutions technologiques constantes, les externalités négatives et, par opposition à l’élément précédent, les diffi-cultés internes du secteur qui résultent de son exploitation même et qui pourraient faire l’objet d’une adaptation terminologique pour être qualifiées d’« internalités » négatives.

30. Définition livrée par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARA-FER).

Le droit de la régulation des jeux dargent

20

36.Le secteur des jeux d’argent et de hasard se caractérise en premier lieu par une très forte volatilité technologique. Les questions inhérentes à l’apparition et au déploiement des algorithmes ou de l’intelligence artifi-cielle sont ainsi devenues omniprésentes en raison des risques qu’elles représentent pour la sincérité des opérations de jeux. Les jeux vidéo, les modalités de prise de paris sur les plateformes des opérateurs, les problè-mes techniques liés à la prise de paris (les décalages dans les prises de paris par rapport à la diffusion réelle de la manifestation sportive), la mani-pulation des algorithmes31, l’apparition de sites internet frauduleux lors de l’opération de cession de 50 % du capital de la Française des jeux par l’État sont autant d’exemples qui montrent le besoin d’adaptation constante des normes juridiques liées à la régulation du secteur en rapport avec son essor technique.

37.Si celles-ci retiennent l’attention et sont étudiées ci-après, il en est une autre qui ne saurait être éludée : les externalités négatives attachées au secteur. Malgré les efforts juridiques d’encadrement, de contrôle et de régu-lation du secteur, il apparaît qu’elles se maintiennent dans le temps. C’est ce caractère permanent qui conduit à se demander si elles ne seraient pas immanentes à la mise en place d’un secteur économique régulé des jeux d’argent et de hasard. Quelles sont-elles ? Dans l’ensemble elles sont consti-tuées des fraudes pénales résultant directement ou indirectement de l’exploi-tation des jeux d’argent et de hasard. Le blanchiment d’argent, le finance-ment du terrorisme, la corruption en sont autant de manifestations. Elles tendent indéniablement à se développer, comme s’en fait l’écho la presse. Il n’est plus rare de constater que des sportifs parient alors qu’ils sont interdits de jeux, des compétitions sportives font l’objet d’une corruption... Les cas concrets rencontrés conduisent même à s’interroger (sans que cet ouvrage n’y propose une réponse) : de telles externalités négatives existeraient-elles si l’offre avait été réduite, voire non développée ?

38.Demeure enfin une dernière problématique essentielle : les « inter-nalités » négatives attachées à l’essor et l’exploitation des jeux d’argent et de hasard. Il est effectivement constant que ce secteur révèle en soi des effets négatifs non pas externes, mais internes et attachés au développe-ment même de cette activité. La principale manifestation de ce sujet est à n’en pas douter la consommation qui est faite des jeux et qui peut avoir deux effets pervers : la consommation par les mineurs ; la surconsommation par les majeurs. Le premier point fait l’objet d’un encadrement strict au terme duquel les mineurs sont purement et simplement interdits de jeux d’argent et de hasard. Mais la consommation dans certains points de vente ou en ligne soulève encore et toujours des questions. S’agissant de la surconsom-mation par les majeurs, il apparaît que la question de l’addiction aux jeux

31. La Chaire « Régulation des jeux » a organisé un séminaire le 17 octobre 2019 pour établir une comparaison sur les manipulations des marchés financiers et celle des jeux d’argent et de hasard.

Introduction

21

interroge toujours. Les données disponibles ne paraissent d’ailleurs pas suffisantes pour en permettre une expertise affinée.

39.Les premières études menées il y a vingt ans32considéraient la part des personnes dans la population souffrant d’addiction aux jeux de l’ordre de 1 à 2 %. Depuis, cette donnée n’a jamais varié. La Cour des comptes rete-nait une analyse similaire dans un rapport de 2002, tout comme la MILDECA en 200733, l’INSERM en 200834ou encore l’INPES en 201435. Au total, ces analyses montrent que 0,5 à 1 % de la population aurait une addiction nécessitant un traitement médical et 2 à 3 % de la population présenterait un risque modéré en raison d’une surconsommation.

40.Ces données ne manquent pas d’étonner pour deux raisons. La pre-mière est que les études menées dans d’autres pays montrent une part sensiblement plus importante du problème d’addiction dans la population36. La seconde est que l’offre de jeux s’est largement étoffée depuis le début des années 2000, ce qui aurait dû, mécaniquement, opérer une modification de ces données comme cela s’est produit dans d’autres pays. Le cas du Royaume-Uni suffit à en rendre compte. La part de joueurs souffrant d’addiction est ainsi passée de 0,4 % à 14 % à compter de l’ouver-ture à la concurrence des jeux en ligne. L’évolution semble (trop ?) impor-tante. Mais si elle n’est peut-être pas comparable en France, la stabilité des données nationales conduit à se demander si les expertises menées ne peu-vent pas être affinées ; étant entendu que, dans le même temps, les dépen-ses de jeu ont progressé de plus de 40 % entre 2000 et 201637.

41.Améliorer les études sur ce sujet permettrait de répondre à deux besoins. Il s’agirait d’un côté d’améliorer l’expertise médicale des joueurs qui souffrent de ce phénomène. De l’autre, l’objectif serait de réduire les coûts indirects liés à cette problématique et qui sont supportésin finepar l’État en réponse à une problématique à la fois d’intérêt général, mais aussi d’ordre public38.

32. VALLEURM.,Le jeu pathologique, Que sais-je ?, 1999.

33. Rapport 2007 de la MILDECA (à lépoque la MILDT) sur leJeu pathologique.

34. Dans son rapportExpertise collective sur les jeux dargent et de hasard en France.

35. Enquête nationale menée en 2014.

36. V. les principales études du Centre québécois dexcellence pour la prévention et le traite-ment du jeu qui a mené plus de 100 études sur le sujet depuis 2000.

37. Observatoire des jeux, rapport danalyse nº 8, déc. 2017, p. 2.

38. V. partie IV, chap I. Sur cette question v. par ex. VILAJ.-B., Addiction aux jeux et santé publique : recomposition de l’ordre public ou nouveau motif d’intérêt général ?, AJDA2008, p. 1804.

Le droit de la régulation des jeux dargent

22

Documents relatifs