LE TRÈS-HONORABLE
M. R.-L. Borden
PREMÎKR MINISTRE DU CANADA.
ARTHUR BEAUCH^SNC
Bejustandfear uot.
IxtbUiheeuds thonaim'etaibethycoiintry's, Tin G^vd'^' «scitratb's-
MONTREAL
LE TEÈS-HONOEABLE
M. R-L Borden
PREMIER-MINISTRE DU CANADA.
ARTHUR BEAUCHESNE
Bejustandfear not.
Letailtheendstliouaim'statbe thycountry's,
ThyGod'sandtrutli's.
SHAKESPEARE.
MONTREAL
Le Trcs-Honoratle
M. R.-L. BORDEN
Premter-jNdintstre
du OanaJa,
NOUS sommes
à la fin d'août 1896.La
Chambre
desCommunes
ouverte depuis troisou
quatre jours esten
pleine séance.M.
Laurier, le
vainqueur
d'hier, entouréde
ses glo- rieux collègues, vient d'essuyer avecune
grâce souriante, presque cynique, les attaquesde
sir CharlesTupper dont
la robuste encolure se détachesur lepremier plande
la gauche.Une
passe-d'armes a eu lieu entre les
deux
grands chefs, lesapplaudissements ont cesséet ladépu- tation se trouvemomentanément en
silence.Tout-à-coup
un député de
taillemoyenne,
la tête puissantecouronnée
d'uneépaisse cheve- lure brune,aux
épaules larges,élégamment
vêtude tweed
anglais, entre par la portevis-à- vis leprésident, s'inclinedevant
celui-ci, ainsi—
2—
que
leveut
lacou
tume,etgagnant
à pas discretsTun
desfauteuilsdeTopposition^s' assiedpromp-
tement,comme
s'il craignait d'attirer les regards.— Quel
est cenouveau
?demandai-je
àmon
voisin,
dans
la tribune desjournalistes.— Bord
en,de
Halifax,un
avocat.De
fortes qualités sedissimulaient sousTal- luremodeste de
cethomme
qui,dans
quatre ans, devait succéder à sir CharlesTupper
et,dix ans après, à sir Wilfrid Laurier lui-même.
Tout
ceque M. Borden
aacquis,au
coursde
sacarrière professionnelleet publique, lui estvenu par
Topiniâtretéau
travail etune admi-
rable intégrité. Intelligence d'élite,aux
visées hautes, studieux,dédaignant
laréclame,—
cequine
se voit guère chez les politiciens,—
il n'a pas tardéàse faireune
placeà luidans
laChambre
desCommunes. Les
questions importantes cap- tèrent vite son attention, et il les traita en maître ; les enquêtes compliquéesfurent con-fiées
à
sesaptitudesspéciales, et il entiragrand
parti.
On remarqua,
en outre, sa distinction native qui, certes, n'était pasde
tropdans
notre parlement.Sous
desdehors froids, il cacheune âme
géné- reuse etune
profondejustessed'esprit.Robert
LàirdBorden
estde descendance
anglaise. D'après la tradition
ou une
légende, sesancêtresauraient été desBourdon, du
Midi ;—
3—
mais
il doity
avoir de cela bienlongtemps
puisque,dèsleXVIIIe
siècle, lesBord en
étaient établisdans
le Connecticut.Vers
1770,au début
dela révolutionaméricaine, ils avaient la loyautéde
venirau Canada pour ne pas
se sé- parerde
lamère-patrie. C'étaient desUnited Empire
Loyalists/' Ils se fixèrent àGrand-Pré.
Andrew Borden y
demeurait le 26 juin 1854, lorsque naquit celuide
ses fils qui estdevenu
lepremier-ministre
du Canada.
Cultivateur et maîtred'école,Andrew Borden
n'était pas riche et avaitdesconnaissances littéraires. Il possé- daitune
bibliothèque choisiedans
laquelleRobert
puisa l'amourde
l'étudeet le goûtdu
travail quilui ont valud'être
non-seulement un
avocatéminent mais
le premier citoyende
son pays.La
mère,Eunice
Laird, est aujourd'hui âgéede
quatre-vingt-sept ans et habiteAnna-
polis.
Le
jeune Borden, touten
aidantaux travaux de
la ferme, fréquenta d'abord l'écolede
son village natal puis l'académieAcadia
Villa,de
Horton,comté de
King's.A
quatorze ans, ildevint instituteur.
Encore
enfant, ilcommence à
gagner savie. Il futsubséquemment
profes- seur à rInstitutGlenwood, dans
leNew
Jersey,où
l'on observa son éclatante lucidité, sabonne
conduite etson
assiduitéau
travail.Rangé,
sérieux, il vit alors avec
économie
afind'amé-
liorer sa position et se trace
un programme
d'études qu'il suivra scrupuleusementpour
suppléerau
cours classique qu'il n'apu com-
pléter
dans
sa jeunesse. Ily
inscritdu
grec,du
latin,
de Tallemand
etdu
français.Chaque
jour il
y
consacre quelquesheures,comme un
séminariste.
Les
maîtresde
lapoésielatine et française lui plaisaient beaucoup. Aujourd'hui encoreM. Borden vous
récitedans
l'intimité jusqu'à cent lignesd'Horace ou de
Virgile.Sa
mentalitén'étaitpas celled'unpédagogue;
elle le dirigeait plutôt vers ledroit,cettescience toute
de
raisonnement qui procure à ses adeptes tantde
satisfactions intellectuelles.Retour au
pays, il étaitadmis au
barreaude
la Nouvelle- Ecosse en 1878, à l'âgede
vingt-quatreans.Le
nouvel avocat ouvrit son premierbureau
à Kentvillemais
n'ydemeura
pas longtemps.Son
talentdemandait un
milieu plus actif.Les
chefs d'une étude influentede
Halifax s'étonnèrentde
ce jeunehomme
qui préparaitsi bien ses causes et lui offrirent d'êtreleur associé. Il
y
consentit.Pendant
les dix-huit ans qui suivirent,M. Borden
exerçasa profes- sion avec intensité. Toujours sur la brèche,occupant dans
la plupart des gros procès, sur- chargéde
dossiers, il travaillait tard et se gagnait desrevenusconsidérables.Sa
réputation de jurisconsulte fut bientôtconnue dans
toutle pays.
A
la Nouvelle-Ecosse,on
l'a appré- ciée tellement qu'il a étéde
longues années vice-président etprésident de l'Associationdes Avocats.Tout
absorbédans
ses affaires, le futur pre- mier-ministrene
se mêlait pasde
politiqueavant
1896. Jusqu'en 1886, il avait plutôt destendances libérales,
mais
elles subirentun
assaut lorsqueM.
Fieldingtentade
séparer sa provincede
la Confédération.Quand, en
1891,M.
Laurier préconisala réciprocité illimitée,M.
Borden
ledésapprouva
sanstoutefois prendreune
part activeaux
luttes électorales.En
1896, leslibéraux-conservateursde Tune
des circons- criptionsde
Halifax lenommèrent
député.C'étaitl'annéedeladébâclelibérale-conserva- trice.
Le
vieuxparti,usépardix-huitans
de pou- voir,venaitde mordre
lapoussière,tandisque
les libéraux, aguerris parce long séjourdans
Top- position, se trouvaient enfinau
Capitole, pleins d'arrogance etbien déterminés àmortifier aussi cruellementque
possibledes adversaires qui les avaient silongtemps
privés des douceurs minis-térielles. SirCharles Tupper, ce patriote éprou- vé qui fut toujours l'amidesCanadiens français et
dont
la carrière estune
longue série d'actes progi^essifs, atteignait alors sa soixante-quin-zième année
;mais
ni les services rendusau
pays, ni sonâge, ni son
dévoûment ne tempé-
raient les injures desnouveaux
arrivés qui refusaientde
lui reconnaîtrelemoindre
mérite.Le
noble vétéran, très dignedans
samauvaise
fortune, avait encore qûatre-vingts partisansdans
laChambre,
etquand
la session futconvoquée,il prit place àlagauche du
pré- sident.A M. Borden on
avait assignéun
siège
dans
la quatrièmerangée, derrière le chefde
l'opposition.Un
célèbre politique anglais a prétenduque
—
6les
nouveaux
députés devraient laisser passerdeux
sessionsavant
d'adresser la parole à laChambre
desCommunes. Mais
cette règle,gé- néralement observée parlesEphèbes de
lavie publique, eûtrendu
trop impatientle représen- tantde
Halifax qui,malgré
sa modestie, avait consciencede
sa valeur.La Chambre
s'était ouvertele 18août etdéjà, ]e28, il prononçait, à proposde
la destitution desemployés
coupablesde
partisannerie outrée,un
discourspondéré, courtois, énergique, lais-sant l'impression d'un
homme
supérieurayant
des principes arrêtéssurlesmoyens
d'adminis- trer le pays.Le
débit, la tenue n'étaient pasd'un
critique violent. Plutôthumble,—
ce qui avaitun charme
d'originalité,—
poli,on
eût ditembarrassé, il
débuta
par lesmots
suivants :Après
avoirentendu
tant d'honorablesdépu-
tés deplusd'expérience
que moi
traiter cette question, c'est avecbeaucoup
d'hésitationque
jeme
risque à faire quelques observa- tions." Il émit ensuite l'idéeque
lesem-
ployés ont bien le droit
de
s'intéresseraux cam-
pagnes
électorales,pourvu
qu'ils agissent loya- lement, avec discrétionet sansque
leurservice en souffre.Ce
n'était pas simal pour une
pre- mière expressionde
penséedans
l'Oppositionde
laChambre
desCommunes. Le
3 septem- bre, il répondait àsirRichard
Cartwrightau
su- jet desmandats
spéciauxdont
le gouverneur- général avait fait, surl'avisde
ses ministres,une
émission abusive.Son
exorde était encoreplein
de modération
:Monsieur
le président,dit-il, c'ést parce
que
cette question soulevée par rhonorable député d'York, (M. Poster), estdans une
certainemesure une
questionlé-** gale
que
j'osedemander
Tindulgencede
cetteChambre pour
quelquesminutes
ce soir. C'est avecbeaucoup de
déférenceque
je parleen
présencede
tantde membres éminents de ma
profession siégeant à votre droite et à votre gauche, monsieur, et c'est aussi avec beau-
coup de
défianceque
j'ose succéderàun
orateurde
l'habileté etde
l'expériencede
l'honorable ministredu commerce."
Une
si belle retenueattire inévitablement lessympathies de
l'auditoire.On ne
peut s'em- pêcherde
porter attention à l'orateur quicommence
par autantde
réserve.M. Borden
semontra
l'égalde
sirRichard
à qui il prouva, constitutionen mains,que
horslescasde
néces- sitéurgente et imprévue, le cabinetne
doitpas- émettrecesmandats. L'enchaînement
rigou- reux des syllogismesdémontra
à laChambre
étonnéeque
leministère compterait àl'avenirledéputé de
Halifaxdont
la vigueurintellectuelle aimaitàsedérobersouslesapparencesd'une par- faite modestie.Les membres de
l'opposition, quelquepeu
accablés par la déroutede
leur parti, constatèrent avecune
satisfaction vive qu'ils avaient recrutéun
*'debater" capablede
relever leurprestige.Après
n'avoir siégéque
quinze joursau
parlement,M. Borden
figuraitau
—
8—
* premier rang des députés, et sirCharles
Tupper
entrevoyait peut-être enlui son digne succes- seur.A
la sessionde
1897 quidura
trois mois, (du 25mars au
29 juin), ilne
se passarien detrès intéressant.Le député de
Halifax s'occupade
ladiscussion d'une
manière
générale,ne
parlant qu'à son touret toujours avecdiscemement.
En
1898, il parut se bornersurtoutaux
ques- tionsde
droit.En
1899, il estde
tous les débats et passepour
l'un des avocats lesmieux
renseignésde
la
Chambre. Toutes
lesbranchesde
l'adminis- trationlui sontfamilières.Notre économie
po- litiquen'apour
luiaucun
secret.Aux
premiers jours, il se jettedans
la mêlée avec les plus forts. Ilaccepte les conclusions foudroyantesdu
réquisitoirede
sir HibbertTupper
sur les affairesdu Yukon
etrépond au
plaidoyer ''prodomo
" deM.
Sifton.Les
déductionscompro-
mettantestombent comme
descoupsde massue
surla têtedu
ministrequi, malgré le prétexte d'unesurdité parfoiscommode,
froncelessour- cils àchaque
conclusion. C'estun triomphe pour M. Bord
endont
le prestige seradésormais établidans
toutleDominion. Sur
l'achatdu chemin
de ferDrummond,
il débiteun
véritablefactum
contre legouvernement
etmontre une
fois
de
plus quellegrande
expérience il aacqui- seau
palais. Il devientune
autoritésur lapro-—
9—
cédure parlementaire et sur tous les points
de
droit quiseprésentent. L'opposition recourtà
lui
dans
les impasses difficilesLe
cabinet craintde
plusenplus cethomme
distingué, ce logicienimplacabledevant
quiTon ne
peut se permettreaucune
faiblesse.M. Borden
sortitde
cette session grandi,admiré dans
lepartilibé- ral-conservateur etrespectépar ses adversaires.Le
premier - ministre estun
lutteur très honnête.La
noblessede
son caractèreTempêche
d'être populacierou de
cultiver les côtés faibles d'un auditoire.Les
appelsaux
préjugésluisont inconnus. Il
ne voudra
jamais profiter d'un incidentmalheureux ou
d'une gaucheriepour
déroutersonantagoniste. L'habi- tudedestribunauxparaît surtoutquand
ilexpo- seun
sujet sous toutes ses faces, le fouille etledissèque avec dextérité. Il s'évertue à prou- ver, et la logique des
arguments
luiapporte
une
chaleur qui atteint les hautes sphèresde
l'éloquence.Quand
il a bien étayé sa cause, il s'élèvedans
des aperçusnouveaux où
lesfigures d'une rhétorique sain©et
non
recherchée viennent d'elles-mêmes orner les périodes quelquefois imparfaitesde
l'impro- visation.La manière de M. Borden
n'est pas celle del'orateurvéhément
qui saisit et frappe l'imaginationpour
letemps
qu'il parle.Ce
n'estpas letorrent qui surgitavecfracas et dis- paraîten diminuant
; c'est plutôt le fleuvedont
le courant s'avance avec énergie et ferti- lise le sol.
M. Borden
a conservéde
lapro-—
10—
fessionle geste qui relève la toge tombante.
A
tout instant il
remonte
ses bras etdonne un coup
d'épaulecomme pour
laremettreenplace.Aux
conclusions, il abaisse samain
droite sur lagauche
etprend un
ton élevé.La
voix est forte et sympathique.Une
phrase claire, lemot
propre
mis
àsaplacedénotentune
connaissance approfondiede
la langueanglaise. Il improvi- se toujours.Une
teinted'humour
vientde temps à
autre jeter la note gaie. C'est gé- néralementune
pointede bon
aloi,un
léger sar-casme pour
accentuerl'argumentation sanslais- serde
blessure.Gentilhomme de
la têteaux
pieds, il
ne
faillit pasau
respect ni àla charité qu'il doit àses collègues,mais
il a le talentde
plaisanter enemployant
des expressionsde
la dernière politesse.En
1896,M.
Lister
dont
la brusquerie étaitconnue
affir-ma, non
sans mépris,que
l'un des discoursdu député de
Halifax ressemblaitàun
plaidoyerde
la
Cour Suprême de
la Nouvelle-Ecosse.M.
Borden
répondit : **J'ai l'honneur d'appar- tenir à lamême
professionque
l'ho- norabledéputé de Lambton,
(M. Lister), et j'ai eu aussi l'honneurde
rencontrerun
''
bon nombre
demembres du
barreaudans
la provincedont
il estlui-même
l'un desrepré-^' sentants si distingués ;
mais
je regrettede ne
pouvoir faireàl'honorabledéputé
le compli-**
ment
qu'ilm'a
adressé. J'aisouvententendu
plusieursavocatséminentsde
l'Ontariodevant
le plus
haut
tribunal d'appelque nous avons
—
11—
dans
ce pays, et jamais leurs plaidoyers surle rapport
du
ton,du
styleou du
caractère n'ont ressemblé lemoins du monde aux
dis- coursque
Thonorabledéputé a
prononcés•*
dans
cetteChambre/'
On
serappelleque
ce fut àM. Borden que
le parti confiale soinde
dénoncer et d'exposer les scandales électorauxde Huron-Ouest
etde
Brockville.
Une
orgie éhontée avait eulieudans
cesdeux
circonscriptions.
On
avait trouvédans
lesboi- tesà
scrutinbeaucoup
plusde
bulletinsque ne
figuraient
de noms
sur la listeélectorale.Les
libéraux avaientmême
chargéun
expert d'en- seigneraux
''sous-ofïiciers-rapporteurs"un
cer-tain tour
de main escamotant
les bulletins des électeurs suspectsou
corrompus.Le
gouver-nement
prit les coupables sous sa protection ets'arrangeade
façon à bloquerl'enquête.M.
Borden
n'était pashomme
à permettrequ'un
tel
abus de
pouvoir passât inaperçu. Il profé- ra contre les corrupteursune
catilinaire im- pitoyableoù
il décrivit tous les agissementsde
lacanaille qui avait volé ces élections.
Ce
dis- courseutun grand
retentissement.Après
la sessionde
1900,quand
le huitième parlement fut dissous,M.
R.-L.Borden
qui n'avait jamais été ministre était, à part sir CharlesTupper,ledéputé
oppositionnisteleplusen vue de
laChambre
desCommunes.
Vinrentles élections générales.
Le
gouverne-ment
Laurier futmaintenu au
pouvoir parune
majoritéaugmentée.
Sir CharlesTupper
était vaincului-même dans son
comté. Il n'yavaitque
consternation etdésappointement
chezleslibéraux-conservateurs
Le
vieux leader profitade
sa défaitepour
sortir
de
la politique qui semblaitlui tournerledos définitivement.
Il fallait lui trouver
un
successeur.Un
chefne
se choisit pas àfroid.On ne
le
nomme
pascomme on
accordeune
place àun commis.
Il doit s'imposer. Il fautque
son passé, son caractère, son prestige aientde
l'ascendant sur les foules.La
popula-rité lui est nécessaire, indispensable.
Dans
notre pays, il est tenude
satisfaire les aspira- tionsde deux
races qui ont leurs fanatiques, leurs brouillons toujours prêts à soulever les préjugés. SirJohn
A.Macdonald
et sir Wil- frid Laurier ontdû
exercerune
vigilance cons- tantepour
se mainteniravec
sûreté entre cesdeux
éléments.Ce
qui plaît àl'unde
ceux-ci est souvent désagréable àl'autre.Et
iJy
avait,en
1901,dans
le parti,de
vieux politiquesaux
ambitionslégitimes. Ils étaient les aînésde M.
Borden,mais
réunissaient-ils,comme
lui,le plus
grand nombre
des qualités requisespour
diriger,non
pas l'opposition mais, éventuellement, toute l'administrationdu
pays
? C'est là ceque
sedemandèrent
les sénateurs et députésdans
leur caucusdu
20avril 1901 alors qu'ils offrirent le sceptre—
13—
à
M. Borden
qui, sentant les responsabilités d'une tâche aussi grave,ne
voulut d'abord pas s'engager. Il connaissaitles difficultés àapla- nirpour
mettre plusde
cohésiondans
leparti.Il craignait sincèrement
de mécontenter
tropde monde.
Cependant, il consulta son dévoue-ment
et son patriotismeplutôtque
ses intérêts personnels. Refuser eûtétéaccentuerlemalai- se qui régnaitdans
l'opposition. Avait-il le droitde
sedérober à l'appelde
ses collègues ? Ilaccepta.Mais
ce futun
sacrificequi
alla tou- jours croissant jusqu'au 21septembre demier
alors qu'il reçut sa première récompense.
Les
débutsde M. Borden dans
ses nouvelles fonctions furent caractéristiques. Il entraen
liceavec
prudence
etmodestie. N'avait-il pasdevant
lùi tout letemps
voulupour
faire samarque
?Peu
lui importaitde
se signalerim-médiatement
parquelque coup
d'éclat. Ilcom mença
par lecommencement. Face
àfaceavec
sir Wilfrid Laurier, il était destiné
à
croiserle fer touslesjours contreun
ministre rusé,popu-
laire et
dans
toutela splendeurdu
pouvoir.On
n'en était qu'à la première session d'un parlement.
Rien ne
pressait.Le nouveau
chef devait d'abord bien choisir son terrain, prendre contact avec ses partisans, voir quels éléments
de
bataille il avait derrière lui,quelles étaient ses forces, quels ses points fai- bles, observerde
prèsson rival etse tracerune
lignede
conduite qui inspirât la confianceau
pays.
_
14La
directiondu
parti libéral-conservateurau temps de Macdonald
étaitmoins
difficile qu'aujourd'hui. L'adversaire de sirJohn
fut toujoursun Anglo-Canadien
à venir jusqu'en 1888quand M.
Laurierremplaça M. Blake
; et encore,pour
contrecarrer lapopularitédu
cheflibéral,
nous
avions l'éloquentChapleau dans
laprovince
de
Québec.Chapleau
alla àSpen- cerwood, et puis ilmourut. Depuis
vingt-cinq ans, les libéraux profitentde
la nationalitéde M.
Laurier. Ils l'ont exploitée avec talent, exagération, persistance,àjet continu et sibien qu'il devint quasi-impossiblede
parler politique dans
noscampagnes.
**Quoi!vous
êtes contre Laurier,vous
? N'avez-vous
pashonte de combattre
leplusgrand
des Canadiens-Fran- çais ?" C'est par ce refrainque
l'on répondaitaux
arguments.Nous avons beaucoup de
mérite d'être restés fermesdevant
cette aberration.Notre
pressene
se gêne pas d'affir-mer, à
chaque
élection,que
voterpour
les ''bleus " seraitune
trahison nationale.M.
Bor-den
eutdonc
àcombattre non un gouveme- ment mais
cette exploitation sentimentaleque
leslibérauxcultivaient avec
un
artconsommé.
La
lutte n'était pas égale.Pour
vaincredans
ces conditions il fallait exercerune
rare sûretéde jugement
et biencomprendre
la mentali- té canadienne-française.M. Borden
finitpary
réussir.
Peut-on
prétendre, après cela, qu'il n'est pas tacticien? Il n'a pas,—
et il fautl'enféliciter,
—
cemanque de
scrupule qui accepte—
15—
tousles
moyens pour
sortird'unemauvaise
po-sition. Il
ne trompera
personneavec
des phrases sonores; iln'amplifiera pasune
circons- tance secondairedans
le butde
jeter Toubli sur le faitprincipal. Il est au-dessusde
toutcela. Il regarde
de
trophaut pour
apercevoir ce qui est bas. Mais il n'ignore pasque
les luttes parlementaires exigentde
la diplomatie, des plansde
batailles etdesstratagèmes. Ilfautdu
tact, et ilen amontré beaucoup
lorsqu'il s'est posé enhomme
d'affairesplutôtqu'enpoliticien.Le
contrastene
pouvaitque
lui être favorabledans
l'opinion des grands industriels etde
la meilleure classe agricole s'ils lecomparaient au
rhéteur Laurier et aux. pitresdu
ministère.Nous
étions souslerégime destireursde
ficelles.M.
Borden,par
sa proverbiale sincérité, prit la confiancequi échappait àM.
Laurier.Gradu-
ellement ilgagna du
prestige. Il subit sansdoute
des hausseset des baisses, n'eut pas tou- jours l'appui qu'il avait droit d'espérer, fut vaincudans
la rencontrede
1904,y
perditson siège, persista à travailler
comme un
nègre,
ne
sedécourageajamais, n'eut guèreplusde
succès àl'électionde
1908,mais
en revint avecun
régiment qui avait la victoiredans
leregard et donnaitles indices
d'un triomphe
rap- proché, tandisque
legouvemement
faiblissait,jusqu'à ce qu'enfin arriva le 21
septembre où
ilterrassa le premier-ministre et planta levieux
drapeau
libéral-conservateur sur la tourdu
parlement
canadien !— —
Il n'y a rien qui
ne
réussit pascomme
l'in- succès.M. Borden
a étémal
jugé aprèsles élections générales de 1904 et IQOS'^;mais on
aurait tortde
letenir responsable des anciennes misères de l'opposition libérale-conservatrice.Personne ne
luiaurait été supérieur,dans un temps où
lepeuple attribuait tropau
gouverne-ment
la prospéritédu
pays.Les
libéraux ont profité ;de circons- tancestrèsheureusespour M.
Laurier.N'em- pêche que
celui-ci a déjàmené
[son parti àla défaiteen
1891 et 1911.La
première fois,un bon nombre de
ses partisans voulaient ni plus nimoins
ledéposer. Ils étaient injustes, caries succès électorauxne
sont pastoujours lapierrede
touche avec laquelleon éprouve
lescapaci- tésd'un
chefpolitique. N'a-t-on pas vu,en
Angleterre, Disraeli battuen
1868 et 1880, Gladstoneen
1874, 1885 et 1886, et Salisbury en 1886 et 1892 ? N'oublions pas, cependant,que dans
notre pays,ilestfacilede semaintenirau
pouvoir grâceau
patronage administratif ;mais
renverser legouvernement
estun
rudecombat
qui n'est presque jamaiscouronné de
victoire
au
premier assaut. L'opposition con- trôlemoins
d'intérêts etne
peut seménager
desamis
par lesfaveurs ministérielles. Celui quila conduitdoitdonc
inspirerune
confianceénorme pour que
les électeurschangent
d'allégeance.Or
personnene
nieraque
l'intégritéde M.
Bor- den, ses incontestables qualités d'esprit et l'ha- bileté oratoire qu'il a déployée ences dernières années ont crééune
impression profondedans
—
17—
le
Dominion. On
sentit qu'ily
a enluiun homme
d'Etat consciencieux etcapablede
bien administrerlachose publique. Il porte digne-ment
lemanteau de Macdonald,
etTon
verraavant longtemps
qu'il est l'égal des grands mi- nistres canadiensou
étrangersdont
lesnoms
se répandent par toutlemonde. A
la têted'un pays de
7,000,000 d'habitants,où
lesproblèmes
sont complexes, il setrouve àdominer
surune
populationplusnombreuse
etun gouvernement
aussi périlleuxque ceux de
plusieursroyaumes
européens.On ne
le connait pas assezdans
la provincede Québec où
il n'apaseuune
pressesympathi-que
etapte àlereprésenter sous sonvrai jour.Les
libéraux ont intérêt à lediminuer
autantque
possible. Ils s'yadonnent
avecsystème
etsans le
moindre
désirde
pallierleurmauvaise
foi. Ils se gardent bien
de
publierses véritables sentiments à l'égard des Canadiens-Français.Pourtant
M.
Borden,chaque
foisque
l'occasion se présente, parleen
termesnon
seulement res-pectueux mais
admiratifsde
notre race etde
nosmœurs
II disait, àlaChambre
desCom- munes,
le22mars
1905:**
Personne
plusque moi
n'apprécie ni neres- pecte plushautement
l'enseignementmoral
**
que
l'Eglise catholiqueromaine donne aux
** enfants qui sont nés
dans
cette croyance.J'estime
grandement
la valeurde
l'instruc-** tion
morale
fournieaux
enfantsde
ce pays,'* et je crois avoirledroit d'avouer
que
j'appré-—
18cie, peut-êtreplus
que
d'autres,rattachement
etle
dévouement
des catholiques romainsà
leurscroyances,
dans
cettecirconstancecomme
lorsqu'il s'est agi d'autres questions.
Les
catholiquesdonnent aux
protestantsdu
Ca-"
nada un exemple dont
ces dernierspourraient tirer des leçons salutaires." (Débats, 1905, col. 3047.)Le
fanatismen'aaucune
prise surM. Borden
qui esttrop froidpour
s'emballer. Il professe la religion anglicane, c'est-à-dire celle qui se rapproche le plusde
l'Eglise catholique-ro- maine. Il n'appartient pas à la franc-maçone-rieni à l'ordre des orangistes,
quoique
celane
soit plus
un
obstacledans
notre vie publique.N'a-t-on pas
vu#
deslibéraux éminents telsque
sir
Mortimer
Clarke, le sénateur Gibson^le sénateur Kerr,
M. Emmerson, M.
EUis, rece- voir les faveursde M.
Laurierquoiqu'ils fussentmembres de
ces sociétés secrètes qui,du
reste, ont toujours eu des adeptesdons
nosdeux
par-tis politiques ?
Devenu
chef,M.
Borden,voyant
quelgrand nombre de
ses partisans sont d'o- rigine française, semit
à étudier notre langue qu'il lisait déjà très bien,mais ne
parlaitguère.Ce
n'était pasune mince
besogne, à l'âgede
quarante-sept ans,au
milieu des occupations onéreuses et des obligations nouvelles qu'ilve- nait d'assumer. Il eutun
professeur, etmada-
me
Borden, cettefemme charmante
quil'atou- jours secondéavec tantde dévouement,
suivit—
19—
les
mêmes
leçonsque
son mari.On ne
pouvait semontrer
plus gracieux envers la provincede
Québec.Les deux
élèves firent des progrès sirapides que,
deux ou
troismois
plustard, tenantune
assembléeau Monument
National,M.
Bor-den
soulevaTenthousiasme en
adressant la pa- roleen
françaisdurant un
quart d'heure. Il tientmaintenant une
conversationdans
notre languequ'il écrit d'ailleurs parfaitement etsansefïort.
Le
30juin 1905, il disaità laChambre
desCommunes
: ''Je partage entièrement l'opinionde
l'honorabledéputé de
Grey-Sud, (M. Mil- 1er),quant
àla valeurque nous
devrionsatta- cher à la langue françaiseen
cepays
etau
respectque nous
devrions avoirpour
elle. Jeme
suis efforcé,moins
par des parolesque
par des actes, àdonner
lapreuve que
je partageles sentiments exprimésce soirpar
monhono-
*' rable ami, et je
ne
crains pasde
répéter ceque
j'ai ditdans
d'autres circonstances,que
la population anglaise
de
cepays
aurait beau-coup
plus de^mérite si elleenseignait àsesen- fantsune
langue parlée parplusde deux
mil-''lions
de
Canadiens." (Débats, 1905, col. 3836),En
cetteannée
1905,une
question brûlante fut soulevéeau
parlement, cellede
l'instruction publiquedans
l'Alberta et laSaskatchewan que
l'onconstituait alors
en
provinces canadiennes.M.
Laurier etM. Borden
se trouvèrent tousdeux
fortembarrassés. Les protestants récla-maient
des écolescommunes
; les catholiques,,parut d'abord se ranger
du
côtéde
ceux-ci ;mais
sous la pressionde
sonmauvais
génie,M.
Fielding, il recula et résolut d'inclure
dans
la nouvelle constitution provincialeune
clauseéquivoque
desOrdonnances
des Territoiresdu Nord-Ouest
décrétantque
touteminorité, catho- liqueou
protestante, peut établirdans
son dis- trictune
école séparée etne payer
taxeque pour
elle.Ce
privilège, remarquons-le bien, n'est accordé qu'àune
minorité;une
majorité, fut-elle catholique, n'enjouit pas. Ily
avait làpeu de
garantie.Néanmoins, M.
Sifton crut qu'ily en
avait trop, et,pour
être conséquent,lui qui avait
approuvé ou
peut-être inspiré lepseudo-règlement Laurier
dans
l'affaire des écoles manitobaines, résigna son porteîeuille et sortitdu
cabinet.M. Borden
n'essaya pasde
leurrerlesdeux
éléments. Ilprit
une
position tranchée, propo- santde
laisserces provinces maîtressesde
leurs lois scolaires, quitte àune
minorité lésée d'en appelerau parlement
fédéral, telque
ledéclare l'article 93de
l'Actede
l'Amérique Britanniquedu
Nord.Dans aucun
desdeux
cas, le principe des écoles séparées n'étaitcomplètement
reconnu.Les
libéraux canadiens-français eurent la fai- blessed'approuver M.
Laurier, tandisque
leurs compatriotes conservateurs se séparaientde
leur partipour demander,
sous la direction deMM. Bergeron
etMonk,
l'établissement sans—
21—
ambages
des écoles confessionnelles.Dans
ces conjonctures délicates, le chefde
l'opposition se naontra toujours respectueuxde
nos tra- ditions, et fut très sensibleau mécontentement
qu'il causait
malgré
lui à ses partisans catho- liques.Seulement
il regardaitTActe
de la Con- fédérationcomme une
arche sainte à laquelleil
ne
faut jamais toucher.Le
débat pritun
ton élevé, et fut des plus intéressants. Il s'y passaun
incident quimontre
toute la largeur de vuesdu
chef libéral - conservateur.M.
Laurier, placé entredeux
feux etne
sachantoù
il allait tomber, eut l'imprudencede
re- mettre sur le tapis la question des écolesdu
Manitoba.M. Borden
le rappela à la réalitéen
lui disant:
«Mon
très honorableami
aparléde
(d'attitude qu'il avait tenuedans
le passé. Il a«fait allusion à ce propos à la discussion qui
«s'était engagée sur la question des écoles
du
«Manitoba.
Loin de moi
le désirde
renouveler«cette discussion en
me
plaçant àun
pointde
«vue
tout à fait opposé à celui oti s'est placé«l'honorable premier-ministre. Je
demanderai
«à mon
honorableami
si, réellement, aujour-«d'hui, il peutseglorifier
lui-même
del'attitude«qu'il aprise sur cette question quiatellement
«troublé l'opinion publique il
y
a dix ans...«S
'adressantaux
populations des provinces an-«glaises,
mon
honorableami
se faisait lecham-
«pion des droits
dont chacune
d'entre elles«devait jouir;
dans
la provincede
Québec, il«devenait le protecteur
de
la minorité, le pro-—
22—
«tecteur désigné par la Providence. C'est
en
«déployant autant d'habileté
pour
réunir ces«éléments disparates qu'il s'est servi
de
cette«question
pour amener
son partiau
pouvoir.«Nos
adversairesavaientdonc
atteint leur but.«Cependant,
en
toute sincérité eten
toute«franchise, je
demande
àmon
très honorable«ami
s'il a rempli entièrement etdans
le sens«qu'il l'entendaitla
promesse
qu'il afaite à ses«compatriotes
de
la provincede
Québec.Les
«élections générales se firent, et les provinces
«dont
la populationsecompose
surtout d'habi-«tants parlant la langue anglaise votèrent
en
«sa faveur, le considérant
comme
lechampion
«des droits provinciaux.
Dans
la provincede
«Québec, mon
très honorableami
obtintune
«majorité encoreplus considérable. Il
y
along-«temps,
Brougham, aux Communes
anglaises,«faisait
un
plaidoyer contre celui qui se trou-« vait alors àla tête
du gouvemement
. Il disait«que
le premie-rministre subissaitle châtiment«du manque de
sincéritédont
il avait fait«preuve
depuis plusieurs années. Est-ceque
«mon
honorableami ne
considère pasque
«cette remarque, jusqu'à
un
certain point,«peut
s'appliquer à lui?» (Débats, 1905, 22 mars.)Un
Canadien-Français n'auraitpu
être plus cinglantpour
ce premier-ministre catholique qui,dans
l'affairedu
Manitoba, a froidementsacrifié ses co-religionnaires.
M. Borden
se fai-wSait l'écho de nos compatriotes les plus éclairés
—
23—
et résumait
une page
d'histoire qui, certes, n'est pas à l'avantage de sir Wilfrid Laurier.M. Borden
est le seul chefde
parti qui ait réellement saisi l'importance et la valeurde
l'Ouest canadien. Il s'estrendu compte du
rôle prépondérant
que
devront jouerdans
l'a- venir ces quatre provincesdont
la population est d'environ 2,000,000 d'habitants etdont
les produits naturels sontpour
ainsi dire inépui- sables.Nous sommes
loinde
l'époqueoù
toutela politique
du pays
se résumaitau
gouverne-ment
desdeux Canadas
et des provinces mari- times.La
région occidentale a pris son essor avec la constructiondu
Pacifique Canadien.L'immigration rapide, la culture
du
blé et la constructionde nouveaux chemins de
fer ontrendu
cette contrée l'une des plus florissantesdu monde
entier.On y
voit surgir des villes progressives,de
riches citésoù
lecommerce
et l'industrie rivalisent d'activité etde
succès.Et
ily
règneun
esprit nouveau. L'influence des colons américains et l'exotismede ceux venus d'Europe
retardent l'assimilation à nosmœurs; mais
ily
aune
intensitéde
vie,un
désir
de marcher de
l'avant quine
veulent point s'attarderaux
obstacles.La
représenta- tion parlementaire de cette partiedu Do- minion
aaugmenté
etaugmente
àchaque
recensement. Elle est exigeante et passable-ment
radicale.Le
chef libéral-conservateurne
pouvait l'oublierdans
l'orientation de sa poli—
24—
tique.
Son programme
s'en est ressenti.Re-
fusantde
s'arrêteraux
vieilles traditions, ils'est fièrement
prononcé en
faveurde
la natio- nalisationdu
Grand-Tronc-Pacifique,du chemin de
ferde
la Baied'Hudson,
des élévateursà
grain,
du
télégraphe etdu
téléphone.Cette glorieuse démocratie n'a
pu que
plaireaux
contribuablespeu
enclins à se saignerpour payer de
gros dividendesaux
propriétaires desutilitéspubliques.
Le nouveau
premier-ministrene
permettra jamaisà
son partide
languirdans
des théo- ries surannées et impraticables.M. Borden
fitdans
l'Ouest,en
1910,une
tournée des plus originales et des plus fruc- tueuses. Il allacombattre
chezeux
les culti- vateurs i^fcréciprocistes, et il leur parla leur propre langage. Ces gens-là, arrogants et intelligents, s'étaient organiséspour
inter-rompre
les discours et poser des questions. Ilscomptaient
sans leur hôte.Grande
fut leur surprise d'entendreun
orateur public leurtenir tête etne
jamais dévierde
sa lignede
con- duite.Quelques mois
auparavant, ils avaient eu la visitede M.
Laurier qui leur avait ré-pondu
à la Balfour, sans rien dire,dans un
trèsbeau
langage.Les tâtonnements
astucieuxdu
premier-ministre les avaient amusés. Ilsadmi-
rèrent la franchisede M. Borden
qui se pro-clama
adversaire déclaré et irréconciliablede
la Réciprocité.
La
loi navale futun
autre sujet épineux.Elle était dangereuse et touchait à la situation constitutionnelle
du Canada.
Ellenous
arrivait assez brusquement, parceque TAUemagne
avait effrayé les Anglais qui désiraient améliorer leur flotte sans trop dépenser d'argent.M. Borden demanda
incontinentque
le peuple fût consulté.Cependant, silamère-patrieétait
dans
lebesoin,il consentait à lui venir en aide sans retard,
mais
il s'opposait à rendre notrepays
solidairede
toutes les guerresde
Tempire. Il n'a jamais proposéque
leCanada
fournisse $25,000,000 à la Grande-Bretagne, tel qu'on l'a prétendudans
la provincede
Québec.On ne
trouvedans
les rapports
de
laChambre aucune motion en
ce sens. Ilne
s'agissait pas ici de deniers seule- ment.L'autonomie du Dominion
étaiten
jeu.Sir Wilfrid Laurier avait soumis
aux Chambres une
loi plaçant la flotte canadienne sous le contrôle absolu des autorités impérialesau
cas d'une guerre entre l'Angleterre etun pays
étranger,que
leCanada y
soitconcemé ou
non.M. Borden
combattitde
toute sa vigueurun
principe aussi dangereux, et il eut mille fois raison.
Le
24novembre
1910, il acceptaun amendement de M. Monk exprimant
le regretque
le discoursdu
trône«ne donne aucune
«indication
quelconque
d'une intentionde
ses«conseillers
de
consulter le peuple sur la poli-«tique navale
du Canada.»
Voici ce qu'il ditau
coursdu
débat:«Tout
d'abord, et en sup-«posant
que
leCanada
décidede
contribuer à«la défense-
de
l'Empiredans
son ensemble,—
26«doit-il le faire sans
que nous ayons
voixdans
«les conseils impériaux touchant les décisions
«à
prendrepour
la paixou
la guerredans
les«diverses parties
de T Empire?
Celane me
«paraît guère juste, et je
ne
pense pasque
le«peuple canadien
y
consentirait volontiers.Eh
«quoi! est-ce
que
personne de nous, qui repré-«sentons ici,
dans
cetteChambre, deux
cent«vingts circonscriptions d'un
pays
quiva de
«TAtlantique
au
Pacifique n'aura, sur ces«graves questions qui intéressent
T Empire en
«général, la
même
voix qui est accordéeau
«plus
humble
contribuable des • Iles Britan-«niques?
Une
condition pareillene
tendrait«guère à
mon
sens à assurer l'intégritéde
«l'Empire, à encourager la coopération
de
ses«diverses parties. Voilà des questions qu'il
«serait
bon
d'étudier sérieusementavant de
«formuler
une
politique permanente. Cette po-«litique,
une
foisconçue
et clairement expli-«quée au
peuple, legouvemement,
quel qu'il«soit, devrait appeler la population à se pro-
«noncer pour approuver ou désapprouver
le«projet, et obéir à ses volontés.»
N'est-il pas singulier
que
cette théorie ait été énoncée parun
chef conservateur à ren- contre de la politique d'un cabinet libéral?Il n'y a pas devrai libéralisme
dans
notre gou-vemement.
Les partis deviennent plus conservateurs
au
pouvoir et plus libérauxdans
l'opposition.Cette affaire de la
marine
a mis en évidencetoutela faiblesse d*un ministèreusé, et
M.
Bor-den
s'y estmontré démocrate dans
le meilleur sensdu
mot.Le
21septembre
1911, le chef libéral-conser- vateurconduisait sonparti àla victoire.Dix
ans de rude labeur,de
droiture et de loyautérece- vaient leur rétribution. Quelle fut lasuprême
pensée, le premier gestedu
vainqueur.'^ L'an- cien citoyen deGrand
- Pré se rappelasa
mère
et, enbon
fils, il quitta Halifax sansbruit
pour
se rendre auprès d'elle. Voilàle côté vertueuxde
cethomme
qui,parmi
les péri- péties de la politique, conservedans
soncœur
la première place
pour
le foyer paternel.M. Borden
et sir Wilfrid Laurier ont tou- jours été personnellement en excellents termes.Ces
deux gentilshommes
se respectent l'un et l'autre. Ilsne
permettent pas à leurs luttes journalières de gâter les relations sociales etcomprennent que
la vie publique est assez âpre et ingrate sans qu'on l'empoisonne par des rancunes inutiles. Ils en ont faitune
expé- rience trop durepour y
tenir beau-coup, et s'ils suivaient leurs penchants, ils retoumeraient àleurs affaires
ou
àleurs «chères études». Mais le devoir et le patriotisme les tiennent àlatêtede
leur parti.Tout
énergique qu'il soitdans
la défensede
ses principes, le premier-ministre abhorresouverainement que
l'on
manque
d'égards à celui qu'il a vaincu.Dès
qu'il eutformé
son cabinet, il s'aperçutque
lenom de M.
Laurierne
figurait pas sur—
28—
la liste des personnes invitées officiellement à lapremièreréception
du duc de Connaught.
Sans perdreun
instant,ildonna
instructionnon
seule-ment
d'inscrire Tex-premier-ministreetmadame
Laurier
mais de
mettre à leur dispositionun wagon
spécialdu gouvernement.
La
politesse nativede M. Borden
s'est aussi m.anifestée lorsde
sa première visite àQuébec
après sonavènement au
pouvoir. Se rappelant la haute positionde
Tépiscopat catholiquedans
notre province, il n'a pas voulu quitter la citéde Champlain
sans aller présenter seshommages
àMonseigneur
l'archevêqueBégin
et à
NN.
SS. les évêquesRoy
etMathieu
quilui ont fait d'ailleurs le plus
sympathique
accueil.
Le
public attenditaveccuriosité laformationdu
ministère Borden.Pendant que
le cabinet battu se préparait à déguerpir, le chef libéral- conservateur,retirédans
sonhôtel delà rueWur-
tenberg, consultait ses amis. S'il devait recon- naître bien des sacrifices et
récompenser
des services, il lui incombait aussi de fournirau pays un gouvernement
puissant et capable d'administrer avecharmonie
la chose publique.Toutes
les sectionsdu Dominion
devaient être représentées. Ilne
fallait pas oublier la pro- vincede Québec
ni les nouvelles recruesde
l'Ontario.
M. Borden
avait besoinde
tact,de
diplomatie,pour
choisir des collèguesdont
il n'aurait pas à regretter trop tôt la nomination, mettre ses forces en ligne afin d'assurer longue—
29—
vie
au
ministère,tromper
nécessairement l'es- poirde
quelquesamis
sans les blesser, agiren un
mot,comme
disaitM. Marchand,
dulciter in modo, fortiterin acht. Il s'en tira avec beau-coup
d'avantage. Il traita les Canadiens-Fran- çais avecmagnanimité. Fermant
lesyeux aux
critiques plus
ou moins
justifiéesdont
il avait été l'objetde
la part des partisansde M. Monk,
il voulut reconnaître le talent, l'intégrité et les
nombreux
sacrificesde
celui-ci.Comme
autre-fois
Macdonald,
il laissa le représentantde
notre province librede nommer
ses collègues.Le
députéde
Jacques-Cartierne manqua
pasde
faireun
choix judicieux.Toute
notrepopu-
lation fut satisfaite.M. Monk
déclaraitdans
la suite qu'il avait été touché de la courtoisie, desménagements
et des sympathiesque M.
Borden
manifestaencettecirconstancevis-à-vis des Canadiens-Français.Le nouveau
premier ministre s'estmontré
à la hauteur de sa position en assurantaux
États-Unisque
leCanada
n'est inspiréd'aucun
sentiment hostile à leur égard et qu'il désire entretenir aveceux
les plus amicales relations.La
réciprocitéa
étéune
propositioncommer-
ciale pure et simple.
Le Canada
a droit d'être fierde l'homme
distingué qui préside à ses destinéesdepuisle 9 octobre.
Le
très-honorableM. Borden
continuela lignée des politiques illustres qui, depuis 1867, ontdonné
à notregouvemement un
cachetde
distinction toute spéciale. C'estun
chef quipays.
Tout
son caractère est décritdans
Téloge suivantque
lui faisait ThonorableM. White devant
les électeursde
Leeds:«Le manteau de John
A.Macdonald
est«tombé
surde
dignes épaulesen
la personne«de
rhonorableR.
L. Borden.Les
qualités«d'un
chef sont rares,mais
il possède les meil-«leures: lapatience, la gentilhommerie,laforce
«tranquille, des vues honnêtes, de Tidéal et
«resprit
de
progrès. »Fin.