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L'INDE AVEC LES ANGLAIS

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Academic year: 2022

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L'INDE AVEC LES ANGLAIS

I I I w

DELHI

Le 10 février, trois officiers nous attendent à Delhi et nous conduisent au camp du vice-roi. J'avais déjà reçu plu- sieurs lettres datées de Viceroy's Camp. Ce n'est pas une façon de parler : au milieu d'un beau jardin sont installés des pavillons de pierre à colonnes et sans étage, entourés d'une centaine de grandes tentes, confortablement aménagées.

C'est là que campent et travaillent, depuis 1911, date du transfert du gouvernement de l'Inde de Calcutta à Delhi, les collaborateurs du vice-roi, tel le maréchal Lyautey à Rabat, au milieu des baraques de bois blanc du « village nègre », de 1912 à 1920.

Lord et lady Irwin nous reçoivent très aimablement et je trouve difficilement les mots pour les remercier du mer- veilleux voyage. Lord Irwin m'ayant demandé mon opinion sur les troupes Indiennes, je lui réponds que ce sont les Gurkhas, les petits montagnards agiles de l'Himalaya, qui m'ont le plus frappé, qu'au reste, dans tous les peuples, ce sont les habitants de la montagne, des bords de la mer ou des fron- tières souvent envahies ou menacées qui sont les plus braves.

J'avais lu sur le paquebot et en route les livres de Maurice Pernot, de Blasco Ibanez. J e savais ainsi qu'il y avait à visiter, à Delhi, bien des monuments remarquables et aux alentours

(1) Voyez la Revue des 1e r et 15 juillet.

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les vieilles capitales en ruines des empereurs mongols. Nous commençons par Firozabad. Passant entre un grand fort rouge et la grande mosquée, on arrive à un vieux fort en ruines, au centre duquel s'élève une haute colonne cylindrique . revêtue de trois inscriptions. La plus intéressante donne, en

langue pâhli, les édits du roi Ashoka, du me siècle avant Jésus-Christ. La tradition rapporte que l'empereur Firoz Shah, qui fit rapporter cette colonne à Delhi, rassembla des savants : aucun ne put lire les inscriptions. J'en serais au même point si mon ami Maurice Pernot ne m'avait appris que, parmi les noms gravés, se trouvent ceux d'Antiochus, roi de Syrie, d'Antigone Gonatas, roi de Macédoine, et de Ptolémée Philadelphe, roi d'Egypte.

De ce belvédère, nous faisons un tour d'horizon. A l'ouest, une grande plaine coupée par le ruban de plomb de la Djumna ; au sud, les dentelures du tombeau de l'empereur Humayoun et du vieux fort hindou ; plus loin, à l'horizon, Qutub Minar, le grand minaret ; au sud-est, la porte monumentale du Mémorial Arch et les palais du nouveau Delhi ; au nord-est, la mosquée rouge, ses coupoles blanches et l'immense fort des empereurs mongols d'où s'élancent des pylônes de T. S. F .

La vieille citadelle de Purana Kila a de hautes portes surélevées au sommet d'escaliers ; une guirlande de mosaïques court au-dessus des portes qui sont surmontées de ces petits kiosques à coupoles qu'on appelle châtris. En partant, nous voyons démarrer un side-car : une femme strictement voilée est assise sur le tan-sad derrière le conducteur, tandis que le mari se prélasse dans le berceau.

Nous passons devant une colline surmontée par le tombeau d'un saint, autour duquel sont plantées des perches qui portent à leur sommet des jarres rondes blanches, jaunes ou rouges du plus curieux effet.

Nous revenons vers la grande mosquée de Sher Shah, au fond d'une vaste place où une centaine de singes gambadent joyeusement au milieu des vaches. La place est limitée par les boutiques et par les murs du vieux fort. Elle est construite sur une plate-forme haute de trente-six marches qui donnent accès à des portes monumentales. La grande cour carrée de la mosquée est entourée d'un double cloître dont les colonnes supportent l'arc musulman dentelé à la mode indienne. Du

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côté est, s'élève un imposant roirhab surmonté de trois cour pôles et flanqué de deux minarets cannelés.

En rentrant en ville, nous nous arrêtons devant l'inscrip*

tion rappelant que « là fut mortellement blessé, le 14 sept t i m b r e 1857, le brave général John Nicholson s, dont nous avons vu le monument au col de Taxila.

Lunch intime, c'est-à-dire que nous sommes une vingtaine à table, Je suis placé à la droite de lady Jrwin. Ma voisiné

©st lady Grey, épouse du cousin de lord Edward Grey qui était président du Conseil lorsqu'on 1914 l'Angleterre se décida à combattre à nos côtés, pour vaincre un jour avee l*oug.

L'après-midi, lord Irwin a la gracieuseté de me montrer lui-même le nouveau palais du vice-roi. Le souvenir de la Grande Guerre, Mémorial Ârch, est un noble arc de triomphe.

Dans son axe se déroule la longue avenue au bout de laquelle s© dresse Le nouveau palais : à droite et à gauche, deux grands bâtiments surmontés d'un vaste dôme et dont les lignes sont heureusement brisées par quatre ailes terminées par une

«olonnade. Plus loin, dans le même axe, le palais lui-même, dont la construction n'est pas encore terminée. Il s'inspire, dans ses grandes lignes, de Versailles : deux ailes terminées par une colonnade enserrent la grande cour centrale. L'entrée officielle de la grande façade se fera par un escalier monu- mental donnant accès à une colonnade qui rappelle celle du Louvre. Le palais sera surmonté d'un dôme recouvert de cuivre rouge avec la rose et le lotus en or, fleurs symboliques de l'Angleterre et de l'Inde. A droite et à gauche de la grande façade, s'ouvrent les entrées ordinaires donnant accès à de grands escaliers de marbre. Au premier étage, la grande colonnade précède la salle officielle du Durbar. En arrière, sur les jardins, une très vaste salle de bal et une non minns grande salle à manger. Pour donner une idée du nombre des invités qui pourront être reçus dans les grands jours de fête, il suffit de savoir que les vestiaires du rez-de>-chaus$ée sont prévus pour recevoir 5 000 chapeaux et manteaux.

Le eèté gauche, dans la partie centrale du palais, est réservé .aux appartements privés du vice-roi ; la partie de droite à ses hôtes. Dans les ailes qui s'avancent d'un eôté Mi de l'autre de la cour, seront logés les aides de camp et

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les secrétaires. Enfui, dans les deux grands bâtiments entre lesquels nous sommes passés avant d'arriver au palais, seront les bureaux de l'état-major et des services civils du vioe-roi.

L'intérieur du palais sera rafraîchi par de nombreuses fon*

taines aménagées dans les galeries.

Pour donner un cachet indien 3L CCS grandes lignes nobles qui rappellent l'architecture classique, on a planté avec goût plusieurs chatris caractéristiques des palais du nord. D'autre part, on a cannelé à la mode indienne l'extrémité supérieure dé ces grandes colonnes et accroché à chacune en forme de chapiteaux quatre clochettes. Une légende hindoue veut qu'elles sonnent quand les destinées du pays changent*.

L'Angleterre peut donc désormais être tranquille.

Derrière le palais s'étendent les jardins, où les dames viendront respirer entre deux danses. Elles domineront du premier étage un jardin à parterre de fleurs et à plan d'eau à l'image de ces magnifiques jardins mongols de Shahlimar a Lahore. Il est naturel que, dans tous ces pays souvent brûlés par le soleil, on ait cherché la beauté des jardins autant dans la fraîcheur de l'eau que dans la vue des fleurs ou dans l'ombre des arbres. Le premier jardin est enserré à droite

et à gauche par d'autres jardins suspendus : une plate-forme*, que supportent dès murs de pierre rouge comme tout le palais, n'est qu'un parterre de roses et de pensées, d'autant plus extraordinaire que tout ce pays était sec, sans une touffe d'herbe, il y a six mois ! Ce premier jardin se prolonge par un autre, traversé en son centre par une pergola de pierre rouge à ornements dans le goût indien à laquelle s'accroche- ront des plantes grimpantes. Enfin, un troisième jardin circulaire au fond duquel s'échappe une nappe d'eau. Par une chance heureuse, la circonférence de ces jardins est rompue par une masse de rochers et une ligne de verdure.

J'étais arrivé devant le nouveau Delhi un peu prévenu, je l'avoue, car, vieux broussard, j'avais été séduit par le camp actuel du vice-roi, avec ses élégants pavillons de pierre blanche, ses tentes au milieu de la verdure, mais j ' a i été fortement impressionné par l'œuvre : cet immense palais de lignes nobles et simples, où l'art hindou trop souvent sur- chargé n'apparaît que pour marquer son sceau, est digne du grand pays que le vice-roi représente. J'ai pu adresser sincè?-

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rement mes félicitations à l'architecte, sir Edwin Lutyens, qui a su imaginer et construire une œuvre puissante par la forme et la matière et y ajouter, par les jardins et les fontaines, le charme de la vie.

Du palais moderne du nouveau Delhi, lord Irwin me ramène au Lai Kila,le «fort rouge» des empereurs mongols.

Dans cette masse de pierre, une haute porte surmontée de kiosques à coupoles et d'une série de sortes de cloches donne accès à un long porche voûté, bordé aujourd'hui de boutiques fort proprement tenues. On débouche sur une vaste espla- nade ; en arrière, un grand hall à colonnes ; au centre, le célèbre balcon de marbre sur lequel s'asseyait l'Empereur pour les audiences publiques. Ce balcon et les piliers qui supportent le dais de marbre sont ornés de fleurs, d'oiseaux, perroquets, perruches, pigeons, coqs, fruits en marbre multicolore, œuvre d'un artiste français : Austin, de Bordeaux. Cette décoration est un exemple unique dans l'Inde. Au pied du balcon, une table de marbre décorée de même, sur laquelle s'asseyait le premier ministre pour passer à son maître les placets : il fallait qu'il eût le bras long.

Derrière, une série de palais en enfilade reliés par un canal de marbre sculpté où coulait un ruisseau.

D'abord le Diwan i Khas. Toutes les pièces sont décorées de fleurs et d'arabesques encadrées ou fermées par des lignes de petits miroirs. Au lendemain de la grande bataille de 1857, qui rendit Delhi aux Anglais, on installa au plus pressé les troupes dans le «palaiç et un mess de sous-officiers dans un des angles du Diwan i Khas. On sait que le séjour des troupes n'a jamais été favorable à l'entretien des monuments. Il faut remercier lord Curzon d'avoir fait évacuer et restaurer autant qu'il a été possible les merveilles des palais mongols. Le centre de la pièce est marqué par une fontaine qui jaillit du cœur d'un lotus largement épanoui.

Dans un autre pavillon, un mécène indien de Delhi a eu l'heureuse idée de restaurer, d'aménager et de meubler l'une des chambres telle qu'elle devait l'être au temps des empe- reurs. Toute la décoration a été refaite ; de riches tapis recouvrent le sol, des coussins semblent attendre le maître avec le narghilé, le cimeterre et le poignard ; les drapeaux

«ont appuyés au mur dans un coin de la pièce. Une douce

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lumière éclaire ce recoin mystérieux : c'est tout à fait réussi.

La princesse Amarjit Singh qui nous accompagne est très emballée et parle comme avec regret du temps où l'on habi- tait de pareils appartements. Pour ma part, je préfère un modeste appartement, ou même une tente, avec la liberté de me promener.

Le balcon du Musamman Burk domine une grande place : l'Empereur devait se montrer tous les matins à son peuple, pour témoigner qu'il n'avait pas été assassiné pendant la nuit. Pour se conformer à cette tradition, lors de leur voyage à Delhi, en 1911, les souverains britanniques sont montés sur ce balcon.

Le Diwan i Khas était le lieu des audiences privées. Là se trouvait alors, posé sur un gigantesque et large tabouret en marbre blanc, le fameux trône du paon, estimé à six millions de livres sterling, et qui fut enlevé par le roi de Perse, Nadir Shah, lorsqu'il mit brutalement fin à la puissance des empe- reurs mongols endormis dans les délices de leurs palais.

En passant par Stamboul, deux ans après, j'eus la surprise de retrouver le trône du paon dans le vieux sérail.

Nous rentrons pour dîner dans l'intimité chez lord Irwin : vingt-sept couverts.

11 février. — Courses à travers les rues de Delhi dans la matinée. Le long des trottoirs d'une large artère plantée d'arbres, courent deux lignes de tramways ; la circulation est intense; toujours les petites voitures légères couvertes d'une toile : ce sont les fiacres de Delhi ; de lourds landaus souvent bien attelés, mais avec un valet minable debout derrière ; des charrettes traînées soit par un bœuf, soit par un chameau ; de petits ânes. La rue n'en est pas moins aux piétons et aux vaches sacrées, ce qui fait que la circulation n'est pas rapide : Indiens de tous les types, la tête nue ou couverte d'un épais turban. Bien que le soleil soit déjà levé, la plupart de ces gens sont enroulés dans une couverture ; des porteurs d'eau ayant sur l'épaule une perche flexible aux extrémités de laquelle pendent deux jarres de cuivre ; des soldats écossais avec la jupe traditionnelle et la veste kaki passent rapidement ; des marchands de jouets recommandent leurs articles. Tous ces gens se dérangent plus ou moins pour laisser passer les voitures ; seules les vaches se couchent tranquillement au

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milieu de la chaussée ou sur les trottoirs ! Elles ne font atten1- tion qu'à la trompette du tramway et lorsqu'elles sont cou- chées sur les rails, elles se lèvent rapidement et remontent sur le trottoir.

Nous allons ensuite faire visite à Meerut au commandant de la division, le général Ironside, qui m'avait frappé aux manœuvres de Pologne de 1925 par sa haute intelligence, son esprit vif, son merveilleux don des langues aussi bien que par sa haute stature. Le général Birdwood me prend dans son automobile et nous échangeons nos souvenirs de GallipolL Le maréchal, — et je le comprends si bien, — aime à parler de ses soldats australiens et néo-zélandais, de ses braves Anzaç de Gaba Tépé. Il fallait un chef aussi vigoureux et hardi, une troupe aussi brave et habituée à la dure pour réussir ce débar- quement, au pied d'une falaise à pente raide au sommet de laquelle les Anzac restèrent accrochés jusqu'à l'évacuation finale, résistant à toutes les attaques. Le maréchal me raconta que pendant cette période, ayant reçu l'ordre d'enlever un piton important, il le bombarda plusieurs jours, à heure fixe, pendant une demi-heure. Au bout d'une huitaine, il lança son attaque et trouva le piton évacué. Il se heurta à l'ennemi qui revenait prendre position, le bombardement terminé. Sur la bataille de Suvla, dont l'échec mit fin à l'expédition, nous sommes d'accord : la tentative pouvait et devait réussir, mais il faisait très chaud le 6 août à Suvla, et les jeunes troupes furent surprises par l'aspect peu engageant de ce sol brûlé et sans eau. Peut-être, s'il s'était trouvé au milieu de ces troupes inexpérimentées une des brigades de Birdwood, et Birdwood lui-même commandant l'ensemble, peut-être eût-on réussi, car pendant deux jours les Turcs, qui ne s'attendaient pas à cette attaque, ne réagirent pas. Quand l'attaque reprit, le moment était passé. Une fois de plus se vérifiait la vieille for- mule militaire prouvée par l'histoire : l'occasion n'a qu'un cheveu.

Nous assistons à Meerut aux exercices de sports du 2e lan- ciers, beaux officiers, beaux chevaux, jolies toilettes. C'est là qu'une aimable dame me demande si je connais André Maurois. Comme je lui parle avec admiration des Silences du colonel Bramble, elle m'interroge sur les romans du grand écrivain. Rentré en France, je lui envoyai Climats.

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Motys rentrons revêtir la grande tenue pour le dîner offi' ciel du vice-roi : quatre-vingt-douze couverts. Parmi les invités, plusieurs maharajas, Patialâ, Kashmii», Alwar, Kapur*

thaï», de nombreuses hautes personnalités. J'ai l'heureuse chance de me trouver à côté de Mrs Vigor, femme d u opraman- dant de la garde du corps du viee-roi, qui fut infirmière, d'abord des blessés français, puis des blessés anglais pendant la guerra*

L'habitude anglaise est de mener les principaux hôtes près des dames ou de rapprocher les hommes des dames pour permettre de causer. C'est ainsi qu'avec Amarjit comme interprète, j ' a i pu m'entretenir avec le maharaja de Kashmir qui a un vague air de Napoléon 1&, mais un Napoléon à turban, avec le maharaja d'Alwar, qui porte un bonnet brodé de pierreries et en sautoir trois rangs de perles et de rubis. Mais la palme dea bijoux revient encore au maharaja de Patiala avec ses boucles d'oreilles, une rivière en diamants serrée du col de sa robe, brodée de fleurs, dont l'éclat fait pâlir les multiples décorations qu'il porte. J'ai également une conversation avec le directeur des Railways de l'Inde, Mr P. C. Sherjdan, que je suis bierç heureux 4e remercier du confortable wagon blane qui a tant facilité 1« voyage, et avee une personnalité originale, sir Victor Sassoon. J'avais assisté à Londres à une magnifique soirée chez un de ses parents, Philip Sassoon. Vjctor Sassoon est un Voyageur, bien qu'il soit paralysé depuis de nombreuses années et qu'il marche courbé en deux, appuyé sur une canné.

Il passe tous les deux ans trois ou quatre mois à Londres et le reste du temps voyage à travers le monde pour ses affaires^

Il est en ce moment à Delhi ; il va partir pour le Japon.

12 février. —^ Après avoir été l'hôte du vice-roi, je deviens celui du commandant en chef, à Flagstafî House. Ainsi par une attention délicate dont je reste reconnaissant, mon séjoup à Delhi aura été partagé entre les honneurs officiels et l'amitié née sur le champ de bataille.

Départ au matin pour prendre le breakfast au mess.

du régiment de cavalerie Central India Horse, un des corps du nouveau cantonnement de Delhi, installe en pleirç bled, à quatre kilomètres du nouveau Delhi officiel, c'est-à-dire à quinze kilomètres du Delhi commercial. Le site a été ekoîsi en raison de sa salubrité : une légère crête s'élève entre New- Delhi et les cantonnements militaires et suffit à arrêter le vent

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rafraîchissant du nord, si bien que les soldats qui passent l'été sur place, alors que le vice-roi et ses services montent à Simla, auront dans leurs cantonnements cinq degrés de moins que dans la région du nouveau palais. En raison des circons- tances, j ' a i fait une exception de principe sur le breakfast : macédoine de fruits avec de la crème fraîche pour commencer, du poisson frit, une aile de perdreau aux petits pois, une tasse de thé. Ce qui a fait notre joie, c'est que le capitaine Amarjit, fervent du breakfast par excellence, a attendu tout le temps du repas les œufs au jambon traditionnels, qui n'ont pas paru. '

Nous allons voir les régiments sur le terrain ; ils défilent d'abord au trot, puis au galop. On voit ensuite sauter des recrues de six mois de service, qui font un parcours très dur d'obstacles, sautant les bras croisés et criant leur nom à l'obstacle le plus difficile. L'entraînement de ces jeunes gens est remarquable.

Enfin, les exercices de Tent pegging que j'avais déjà vus à Jullundur où ces cavaliers enlèvent au bout de leur lance des piquets fichés en terre, en poussant leur cri de guerre. Les plus amusants sont les musulmans qui provoquent le piquet en hurlant. L'encadrement de ces beaux régiments de cavalerie est constitué par une majorité d'officiers indiens.

Nous revenons par les palais du nouveau Delhi avec le maréchal, qui veut nous faire visiter le palais du Parlement où il a souvent affaire, car il est non seulement commandant en chef, mais ministre de la Guerre du gouvernement de l'Inde. Le Parlement est une vaste rotonde à colonnes, au centre de laquelle se trouve une belle bibliothèque, et tout l'espace construit entre la salle des pas perdus extérieure et la bibliothèque est occupée par les trois Chambres des princes, du Sénat et des députés, et par des jardins avec des fontaines.

Nous passons quelques instants dans la Chambre du Sénat où le débit des orateurs manque de vie. Le président porte la perruque des présidents d'assemblée anglais. Chez les Princes, la salle est plus luxueuse ; leurs armoiries sont tracées en mosaïques sur les très beaux bois sombres du Sud qui décorent les salles : lord Irwin préside lui-même. Le maharaja de Patiala lit un long discours. A la Chambre des députés, qui sont plus nombreux, le spectacle est plus animé. L'orateur a un peu l'accent de la réunion publique, la salle rit ou applaudit, et le

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président, un Indien à barbe blanche, à face sombre au-dessus de laquelle la perruque fait le plus curieux effet, le rappelle deux fois à l'ordre. Ce qui est remarquable, c'est la discipline de ces parlementaires ; comme à la Chambre des communes de Londres, il est de règle qu'un homme seul peut être debout ; il s'ensuit que lorsque l'orateur entendu a tenu des propos vifs et qu'un de ses collègues a cru devoir lui répondre, le premier s'est assis, alors que l'autre se levait. De même lorsque le président le rappelait à l'ordre, l'orateur s'est assis et ne s'est relevé que lorsque le président a repris sa place.

Lunch très gai chez le maréchal Birdwood, avec son état- major sous la tente.

Vers cinq heures, garden-party du vice-roi, minutieusement réglée : on défile entre deux haies de superbes gardes du .corps à tunique rouge, à bottes à l'écuyère. Les différentes parties du terrain sont réservées à telle ou telle catégorie d'invités.

Je reçois ma place à la table de thé, comme à un grand dîner.

Tout le monde est en noir, à cause du deuil de la cour de la reine Marie-Christine d'Espagne ; seuls les princes indiens, avec leurs tuniques longues et leurs turbans, jettent une note claire.

Grand dîner chez le maréchal, en trois tables. Je suis placé entre lady Birdwood et lady Salmond, femme du maréchal de l'Air Salmond, qui était passé en Syrie de mon temps, allant à Bagdad. A la gauche de lady Birdwood, le maharaja de Bikaner, colosse à grosses moustaches grises, qui, après le dîner, au moyen d'un petit cinéma complétera notre voyage dans l'Inde en nous montrant son beau château-fort et un voyage en Birmanie avec des danses curieuses de jeunes gens"

sautant comme des oiseaux et de magnifiques pirogues à quarante rameurs qui m'ont rappelé celles que je voyais jadis descendre les rapides de l'Oubangui.

13 février. — Le maréchal nous mène visiter en détail le terrain de l'attaque qui rendit Delhi aux Anglais après dfc sanglants combats en septembre 1857. Quand la mutinerie éclata en mai, les officiers furent massacrés par leurs hommes.

Le maréchal nous montre une maison où arriva, traînée par un cheval sans maître, une charrette contenant quatre cadavres de ces malheureux. A cette époque, les cantonnements mili- taires étaient loin de la ville où ne se trouvait que l'agent de

roit* XLVI. — 1938. 35

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la Compagnie générale des Indes avec les magasins, L'agent put disparaître, mais les magasins furent détruits ou tom- bèrent aux mains des mutins. La plus grande partie du Punjab et du royaume d'Oude étant passée à la révolte, ce ne lut qu'au mois de juin que les Anglais purent songer à reprendre Delhi.

La ville s'élève sur la rive droite de la Djumna, dans une vaste plaine, mais au nord court une ride de terrain grani- tique, qui fut singulièrement utile à l'attaque. Le général Lawrence, le frère du héros de la résidence de Lucknow, s'en empara par un vif combat. Maîtres de cette crête, les Anglais s'y établirent pour recevoir leurs renforts, leurs munitions et leurs approvisionnements qui ne furent complets qu'en sep- tembre. L'existence des troupes sur cette hauteur,— aujour- d'hui boisée, mais qui ne possédait à l'époque aucune végé- tation, — fut terrible pendant les grosses chaleurs de l'été, Une preuve en est dans le sort des différents généraux qui y commandèrent : deux moururent de maladie, le troisième dut se retirer. C'est le quatrième, général Wilson, qui comman- dait les troupes au moment de l'attaque de septembre. E n réalité, d'ailleurs, c'était le général John Nicholson qui par sa haute valeur, son intelligence et son courage, menait l'affaire depuis le début.

Nous nous sommés d'abord arrêtés au sommet de la crête où a été construite une petite tour observatoire ; puis nous sommes allés visiter les batteries de brèches ; la batterie de Sammy qui battait la porte de Moree avec huit canons de 9 livres, et trois autres, qui tirèrent sur la porte de Kashmir, et sur le bastion de l'eau. En 1857, l'artillerie européenne n'avait pas encore d'obus et tirait à boulets pleins à une distance ne pouvant guère excéder 500 mètres. De fait, les batteries de brèches, notamment celle de Water Bastion, étaient établies à 200 mètres à peine de la muraille ; aussi cette partie du rempart de Delhi est-elle restée très fortement ébréchée, alors qu'il est intact entre les points battus, ce qui prouve que le tir était déjà assez précis pour être concentré. En même temps, pivotant sur leur droite, restée fixée à la crête, les assiégeants établissaient leurs lignes parallèlement au mur sud de la

ville.

Dans l'établissement de leurs batteries de siège et de leurs positions d'attaque, à part des tentatives sur leur gauche que

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les rebelles cherchèrent en vain à tourner, les troupes d'at- taque hé furent guère inquiétées. Les mutins dans la ville étaient sans commandement et faisaient la fêtew Le 14 sep- tembre, la brèche jugée praticable au bastion de Moree, à la porte de Kashmir et à Water Bastion, l'attaque fut lancée.

Les Anglais comptaient alors environ 9 000 hommes, troupes européennes et indigènes, car une partie de celles-ci était restée fidèle, notamment les Sikhs et lefc Gurkhas» Lés trois

colonnes d'attaque comptaient 4 000 hommes. Le général John Nicholson péiiétra dans la ville par la porte de Moree et Se chargea d'étendre l'attaqué verB le sud. Il fut mortellement blessé au sud de la porte de Kaboul. Lés remparts enlevés, la lutte continua pendant deux ou trois jours dans là ville, Sans réaction sérieuse.

Ce souvenir tragique est rappelé par un monument de style gothique qui porte les numéros de tous les régiments qui y ont combattu. On a d'autre part conservé l'état délabré des brèches. Non loin de la porte de Kashmir se trouvé une égliâê.

La croiï de son clocher et lé globe sur lequel elle est plantée, Ont été criblés de balles par les rebellés^ Elle a été remplacée au Sommet du clocher et déposée en témoignage de là lutte près du porche.

L'histoire de dette église est assez curieuse : vers lu fin du XVIIIe siècle, un des officiers du général de Soigné, le colo- nel Skinner, avait levé Un régiment indien et commandait à Delhi pour le maharaja de Gwalior, Il avait trois femmes, une chrétienne, une musulmane et une hindoue. Aussi cotti- truisit-il une église. Une mosquée et un temple* Lorsque l'on inscrivit sur le fronton de l'église les lettrés sacrées J. H. S.

le colonel qui n'était sans doute pas très fort en latin protesta en disant que ses initiales étaient J, S* (John Skinner) et fiOn J. H. S. On ne eâit pas ce que sont devenus le terfiplé et là mosquée, mais la vieille église du Colonel est aujourd'hui l'église officielle.

Nous allons nous incliner sur la tombe simple du général John Nicholson et un vieux soldât nous donne* dés rosés blanches, que je vais déposer au pied de sa statué de bronzé qui s'élèye dans un des principaux squares ; lé regard, lé geste, l'allure sont magnifiques : cette statue est belle en <5ê qu'elle fait comprendre le rôle héroïque du gênéfâl û»m te bàttfiïtè.

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Lunch chez sir John Thompson, Chief commissioner, dont le salon est décoré de tableaux de Raphaël, Michel-Ange et autres reproduits par un procédé italien d'une façon très remarquable. On y voit aussi une vue du vieux château de Lahore dans le goût romantique et une vue de la grande mosquée de Delhi la nuit, œuvres d'un Indien.

Le maréchal Birdwood vient m'y prendre pour aller cher- cher le directeur des Antiquités, Mr Hargreaves, que nous trouvons dans un grand hôtel du nouveau Delhi, réservé aux Anglais ; de l'autre côté de la route, s'en trouve un autre pour les Indiens, « La seule différence, me dit gaiement le maréchal, c'est qu'à gauche les hommes ont leur chemise dans le pantalon, à droite, ils la portent dehors. » D'autres hôtels sont entourés de tentes protégées contre les regards par des tapis à couleurs vives : ce sont les campements des princes venus pour l'Assemblée parlementaire.

Nous filons vers le sud. J'ai dit à Mr Hargreaves que Maurice Pernot, dans son ouvrage, expose qu'il y avait six vieilles Delhi, aussi m'a-t-il donné une carte qui en porte sept : il est vrai que la septième est le Delhi actuel dont la fondation remonte à 1650. La première, ville hindoue, bâtie par Raï Pithora, remonte à la fin du x ne siècle ; mais son fondateur fut rapidement détrôné, dès 1192, par Aïbak, et le pays devint musulman : il l'est resté. C'est là que se trouve le fameux minaret de Qutub Minar. Cette ville fut abandonnée pour une autre cité plus au nord, puis l'on se reporta plus au sud.

Ces villes, caprices d'empereurs, furent régulièrement abandonnées au bout de quelques années, faute d'eau.

Nous commençons par Tughlak Abad. Sur des assises de roc s'élève une longue et forte muraille revêtue de maçonnerie parfaitement taillée et flanquée d'énormes tours. Un lac avait été creusé à ses pieds. La ville n'en fut pas moins abandonnée - au bout de vingt ans, faute d'eau. A peu de distance s'élève un fort, au centre duquel est la mosquée contenant la tombe de Tughlak, de sa femme et de son fils. Cette mosquée, cons- truite en pierre rouge dans sa partie inférieure et en pierre blanche au-dessus, — disposition reprise dans les palais de New Delhi, — a cette particularité d'avoir ses murs, non pas verticaux, mais en pente, comme pour leur donner plus

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d'assiette. C'est la disposition que nous avons vue si souvent dans les châteaux édifiés en Syrie par les Croisés.

Nous revenons sur la ville où se trouve l'étonnant Qutub Minar. Le minaret s'élève dans l'enceinte d'une mosquée qui a été agrandie par deux fois. Une partie de ces enceintes successives a disparu, elles sont marquées par de petites haies de buis. Pour la première mosquée, les musulmans se sont servis dès matériaux de vingt-sept temples hindous. On a Tétonnement de voir sur ses colonnes ou daiis les linteaux de portes des figures et des corps humains, des oiseaux et des fruits, La haute porte à arc musulman du fond de la cour elle-même est décorée avec un art qui est à la fois musulman et hindou, les arabesques alternant avec les fleurs. Il semble bien que les conquérants arabes aient employé des artistes hindous, même pour leurs mosquées. Devant cette porte,, se dresse une curieuse colonne de fer qui offre la particularité de ne jamais se rouiller. Sur cette colonne, une inscription du roi hindou Chandra, de style oriental : «Le vent de ses prouesses a parfumé l'océan du Sud ». Cette colonne a été enlevée par les musulmans à un temple du sud : Vichnpu pada (le pied de Vichnou) ive siècle. Sur le pourtour de l'enceinte se trouve encore un pavillon remarquable à quatre portes : Aldi Gaie. L'une d'elles est à plein cintre et Mr Har- greaves nous explique que le fait est exceptionnel, les Hindous ne voulant pas des cintres, sous prétexte que « la voûte ne dort jamais ». • j Le minaret est gigantesque : quatre-vingts mètres de h a u t ; il a l'aspect d'un faisceau de colonnes et est divisé en cinq étages par des balcons ; les colonnes alternent, demi-circu- laires ou triangulaires, la surface lisse. Le cinquième étage est couronné par une balustrade de fer pour empêcher les imprudents de se précipiter. Mr Hargreaves qui, en bon Anglais, aime l'humour, ajoute que les trois premiers étages ont été construits par des empereurs mongols, le quatrième par Firoz Shah, et que les autorités britanniques ont ajouté la balustrade.

Nous nous arrêtons à Haus Khas, immense réservoir creusé par les Mongols. D'après la légende, le célèbre Tamerlan aurait campé en ce lieu, « ainsi qu'il est rapporté dans ses Mémoires... édités à Londres », dit Mr Hargreaves.

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650 REVUE DES DEUX MONDES.

Les tombes sont toujours nombreuses en remontant vers Delhi, par la route du mausolée d'Humâyoun, fils du conque*- rant de l'Inde, Bâber. Avant d'arriver, on traverse une véri- table nécropole. Plusieurs portes successives donnent accès au*

jardins au centre desquels s'élève le Mausolée, sur deux platee- f ormes superposées : monument considérable, composé de porches et de chapelles entourant une grande rotonde centrale à coupoles qui fait penser au Panthéon. La tombe de l'empe- reur, en marbre blanc, très simple, est recouverte de fleurs apportées par les fidèles. De la deuxième plate-fornie, nous avons une vue Charmante sur un ciel doré par le couchant sur lequel s'élèvent en noir les arbres et les coupoles funé- raires, En arrière du tombeau d'Humâyoun, une autre tombe, dont la coupole est encore décorée de faïences bleues d'un vif éclat.

Nous rentrons ô la nuit à Delhi pour dîner au mess du

Central India Horse, commandé par le colonel Whitei Le

maréchal Birdwood est assis à sa droite ; il porte un « mess dress » bleu très foncé, brodé d'or, avec parements rouges au col et aux manches. La table et les consoles du mess sont surchargées d'objets d'art argentés, prix de polo et autres

remportés par les officiers ou cadeaux des anciens chefs et officiers du régiment : il y en a bien une cinquantaine. Le dîner fini, oh éteint l'électricité, et nous tombons dans une obscurité relative, habitude singulière et non sans inconvé- nient, puisque nous remarquons, une fois levés, que la veste courte des officiers porte sur les reins deux olives d'or/ C'est, me dit-on, pour les empêcher de s'endormir en s'appuyant au dos de la chaise. Alors, pourquoi faciliter le sommeil en éteignant les lumières ? On fait circuler l'immense coupe gagnée par le régiment au polo et, avec une louche, chacun y boit à tour de rôle une gorgée de ch&mpagne. Aux murs, de vieux tableaux, peintures, gravures relatives à l'Armée des Indes. Entre autres, le portrait d'un vieux Sikh qui tua ou vit tuer devant lui cinq cents tigres et fut blessé mortelle- ment par le cinq cent unième (sic) et qui, comme le colonel Venait l'encourager sur son lit de mort, lui dit :

i **— C'était bien le tour du tigre !

14 février.-.-r- Je vais faire mes adieux au vice-rot et â lady

Irwin, et -loti* redire tout* ma profonde reconnaissance*

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1,'ïHDB AVEC LES ANQLAW. 5 5 1

Avant d'arriver chez le commandant en chef. pour un dernier lunch, j'ai âvee le maréchal BirdwflQd un» Iwure de conversation où il me demande les remarques que j'ai pu faire au cours de mon voyage sur la frontière. Je lui réponds :

— Pour moi, les meilleures troupes indiennes m'ont paru être les Gurkhas et les Sikhs. A la manœuvre de Razmfik, le bataillon britannique a fait preuve de beaucoup de résistance à la fatigue et s'est montré plein d'allant ; mais il a franchi une crête dans des formations massées qui lui eussent coûté cher, On peut s'étonner que les mitrailleuses JJptehkiss aient été retirées à la cavalerie. Pour répondre à l'idée de lord Kitchener, il serait intéressant que les officiers qui viennent passer deux ans sur la frontière y vivent la vie d'avant-postes.

Cet entretien me fit admirer encore une fois le jugeaient, 1

?

expérience, l'esprit de décision du maréchal,

AGRA

Vers quatre heures, nous prenons le train pou? Agra.

Nous allons voir le Taj Mahal. A bord du Rajpuiana, toutes les dames et jeunes filles me disaient :

—* Ne manquez pas de voir le Taj Mahal, very lovdy!

Le CommUsioner d'Agta, Mr de Courcy Irelaiïd, et le capi- taine Russe! sont là. Il est minuit. Je leur demande d'alier voir le Taj dès maintenant ; ils y consentent aimablement.

TJn jardin, un grand plan d'eau carré et par delà une allée

d'eau encadrée de cyprès noirs aboutit au mausolée. Sur une vaste plateforme surélevée, un corps principal surmonté d'un énorme dôme ; quatre portes y donnent accès • il est enserré de grosses tours surmontées de clochetons; auiç angles de la plateforme, de hauts et minces minarets. Tout est de marbre blanc. Dans le silence de la nuit claire criblée d'étoiles «t <?ù un croissant de lune est comme perdu, le Taj de marbre est une apparition de rêve. Au pied de son arche gigantesque, on a l'impression de l'Are de triomphe.

De l'autre côté coule un fleuve ! la Djumna. Les minarets semblent des phares se détachant 'sur un horizon de mer.

Les feux lointains que nous voyons ne sont-ils pas ceux de

bateaux à l'ancre ? Ce mausolée â été élevé par l'empereur

mongol Shah Jehan à sa femme bien-aimée. Les tombeaux

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5 5 2 REVUE DES DEUX MONDES.

de l'empereur et de l'impératrice entourés de paravents de dentelle de marbre sont au-dessous de l'immense coupole et, comme dans les sanctuaires, une lampe met une étoile de lumière.

15 février. — On a de la peine à se mettre en route lé matin : la sévère loi du breakfast pèse sur tous les départs.

Nous gagnons le fort d'Agra, dont les hautes tours et les courtines rouges barrent l'horizon. Avant de passer spus la porte d'Amar Sirigh Gâte, on me fait remarquer une tête de cheval plantée dans le fossé. D'après la tradition, Amar Singh commandait en chef les troupes d'un des empereurs mongols.

Rentrant un jour en retard d'un congé et ayant reçu des observations de l'intendant général de l'empereur, il eut un accès de colère et le tua. Mais on se jeta sur lui et il fut abattu à son tour. Ses soldats reprirent son corps pour le brûler selon les rites, et ils imaginèrent de l'attacher sur un cheval, l'obligeant à sauter dans le fossé du haut de la muraille.

A Delhi, le palais de Shah Jehan était captivant par l'harmonie de l'architecture et de la décoration. On comprend que les courtisans aient fait inscrire dans Tune de ses salles :

« Si le ciel est jamais descendu sur la terre, c'est ici ! c'est ici'! c'est ici ! » L'intérêt des palais d'Agra est.différent.

Construits successivement par les princes rajpoutes et les empereurs mongols Akbar, Jehan Jir et Shah Jehan, ils présentent une véritable histoire de l'architecture des palais musulmans de l'Inde. En effet, en entrant par Amar Singh Gâte, on retrouve dans les restes du palais d'Akbar le style hindou toujours surchargé de clochettes. En passant ensuite au palais de son fils, Jehan Jir, on trouve le style musulman ; mais dans les pièces ou temples réservés à ses femmes indiennes, on; retrouve encore les traces de l'art indien, par exemple de grandes poutres de pierre sur lesquelles sont sculptés de grands crocodiles et des perroquets. Ces trois premières portes sont construites en pierre rouge et, sur les toits, on voit la trans- formation de ce pavillon si caractéristique des palais de l'Inde qu'on appelle le châtri, c'est-à-dire « l'ombrelle ». Dans le style hindou, il est de forme carrée et les colonnes qui le supportent le sont également. Dans les palais mongols, au contraire, le toit a la forme d'une petite coupole surmontée d'une pique

• et est supporté par une légère colonnade.

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L'INDE AVEC LES ANGLAIS. 553

Le palais de Shah Jehan est, comme celui de Delhi, tout en marbre blanc et porte la même décoration fleurie. Les murs des portes sont souvent marqués du sceau de Salomon.

D'abord le harem : la grande cour des femmes est bordée d'une petite galerie grillagée permettant leur surveillance; sur les toits s'élèvent de petites chambres de marbre où elles pou- vaient se reposer pendant la saison chaude. Des piscines où l'on pourrait s'ébattre sont ménagées dans l'épaisseur du toit.

Un des coins les plus charmants du harem est une petite cour terminée par deux chambrettes réunies par une galerie. De là,.

la vue est délicieuse sur la Djumna, la campagne et le Taj Mahal en fond de tableau. Après ces appartements privés, les cours s'agrandissent : la grande cour du Jardin des raisins ; les salons qui la bordent rappellent tout à fait ceux de Delhi.

D'ailleurs, c'est à Shah Jehan que l'on doit Delhi qu'il fit construire après avoir profondément remanié et reconstruit le palais d'Agra. Mais il respecta la délicieuse tour du Jasmin, parce qu'elle était l'œuvre de son père Jehan Jir à la mémoire de sa mère Nour Jehan. Cette tour se termine par une petite pièce octogonale. Quand Shah Jehan respectait ainsi la tour du Jasmin dans le palais de son père, il ne se doutait pas que, quelques années plus tard, il y serait emprisonné par son fils Aureng Zeb et y passerait ses derniers jours à contempler l'horizon de Taj Mahal, tombeau de sa femme bien-aimée, Ardjouman Bannu. C'est là qu'il voulut mourir, avec le Taj devant les yeux.

Plus loin, deux salles de bain, qui devaient être merveil- leuses lorsque le plafond était complètement décoré à facettes par de petites glaces dont on constate encore la présence par endroits.

On arrive au Diwan i Khas, le lieu des audiences privées, terrasse établie sur la partie la plus haute du palais, d'où cet empereur poète jouissait de la vue de la campagne et du fleuve en écoutant les doléances de ses sujets. La tradition veut qu'il s'y trouvât une cloche, au bout d'une longue chaîne, que les plaignants pouvaient tirer pour signaler leurs desiderata à l'empereur.

La construction de cet artistique palais de Shah Jehan est contemporaine des premières années du règne de Louis XÏII.

Dans le mur de marbre du Diwan i Khas, on voit un trou :

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5 5 4 RËVtfE DES DEUX MONDES.

c'est uîi boulet anglais qui a traversé le mur de marbre, lorsque le fort pris aux Mongols par le maharaja de Bhârat- pur fut repris plus tard par les troupes britanniques. Quand on se reporte aux effets désastreux de l'artillerie moderne, on ne petit que se féliciter que l'artillerie d'autrefois ait été moins puissamment armée. Une plaque a été posée par lord Lytton, \ice-roi des Indes, en l'honneur de sir John Strachey qui, gouverneur de la région, restaura le palais.

La haute terrasse du Diwan i Khas donne d'une part sur les larges chemins de ronde qui séparent les deux remparts du fort où avaient lieu les combats d'éléphants qui faisaient la distraction des femmes, et de l'autre sur une vaste cour ayant à son centre un arbre magnifique Î c'est le Mâthi

Bawan où se trouvaient autrefois des bassins poissonneux.

Là, une fois par an, l'empereur laissait entrer les marchands d e l à ville, qui disposaient leurs étalages et cédaient leurs marchandises au** femmes de l'empereur. Pour se contenter d'une seule journée d'achats, il fallait assurément que les épouses mongoles fussent plus prévoyantes que les femmes d'aujourd'hui !

Là aussi se trouve une « mosquée de la Perlé ». Depuis plusieurs heures nous circulons dans Cet immense palais de Shah Jehan, où tout est du marbre blanc le plus pur. Comme à Delhi, le balcon de l'empereur s'élève au centre, précédé de la table du premier ministre. J'imagine Cette cour remplie de foule : il ne s'y trouve aujourd'hui qu'une bande dé touristes.

Derrière la terrasse du Diwan i Khas se trouve l'immense cour du Diwan i Àm, pour les audiences publiques, bordée de trois rangées de colonnes, la dernière de colonnes doubles*

On remonte en voiture pour sortir par la splendidé porté tfouge de Delhi. Elle est triple : d'abord Une porté monumentale flanquée de deux hautes tours réunies par une rampe, pui§

deux autres portes dont la dernière a un pônt-levis. Et l'on se retrouve dans la campagne, au pied de la haute muraille fljanquèe de tours rondes.

Après le lunch chez l'aimable Commissiohër d'Âgra, hduS

repartons pour Sikandra, à peu de distance, où se trouve lé

tombeau du célèbre Akbar. La porte monumentale a visible-

ment inspiré l'architecte du Taj Mahal. Elle donné accès dânS

une encemte plantée de beaux arbres et où gambadent des

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fc'lNDE AVEC l E S ANÔ*,**** 5&t>

singes familiers ; plus loin broutent das antilopes. Mai* la porte de l'empereur mongol n'a pas de coupoles et les minareta;

sont plantés sur le corps des bâtiments dç la porte. Le mau*

solée est composé de différentes terrasses s'étageant en retrait, les trois -premières en pierre rouge, la dernière en marbre blane ; il est trop surchargé dans le style hindou et littérale.-- ment couvert de kiosques.

Comme toujours dans les mausolées mongols, le corps ne se trouve pas sous la, tombe apparente. Ici Akhar repose au, bout d'uii long couloir étroit, dans une chambre très simple, presque noire. Une haute fente dans la muraille et une veilleuse donnent à peine quelque clarté. Le corps de l'empereur est, déposé dans un sarcophage de marbre blanc, sans aucune inscription ; le marbre est recouvert d'un drap noir.

Si l'on a le courage de grimper les 93 marches très raid es des quatre étages, on est largement récompensé. On débouche dans une cour de marbre blanc entourée d'un cloître surmonté, de chairis rectangulaires aux quatre angles. Au centre, sur une plate-forme, le sarcophage fait d'un seul blofo de marbre*, d'un marbre de Jaipur, couleur vieil ivoire, et décoré dans un goût admirable de sentences arabes d'un relief étonnant;

et de fleurs. A travers les grillages de marbre du cloître, on découvre un vaste horizon.

Nous retournons au Taj Mahal : il est cinq heures. Le ciel est voilé ; de nombreux touristes ont envahi les jardins. Le?

jour, on peut mieux se rendre compte des détails de la sculp- ture. Les fleurs sont taillées en relief dans le marbre avec un»

délicatesse incomparable ; les feuilles de près de deux mètres de hauteur du paravent qui entoure les tombeaux sont de*

marbre sculpté ajouré par la main de patients artistes. Les piliers qui les joignent portent des bouquets de fleurs formées de morceaux parfois minuscules, de marbres différents. La sonorité de la grande salle voûtée est, singulière ; lorsqu'un des gardiens évoque Allah, elle résonne comme.un verrç dû cristal et la voix se prolonge en ondes pures, extraordinaire!*

La salle centrale des tombeaux est entourée par huit chapelle \

les unes, octogonales, aux angles, j ^ autres, parafées, SturJteSt

Vers six heures, le soleil .se couche ; un grand kiosqwe sft

détache en ombre dure sur l'horizon, où le grand fort rouge

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556 REVUE DES DEUX MONDES.

s'estompe dans une brume dorée. Au pied du Taj Mahal, la Djumna décrit des courbes dans les sables gris ; des barques dorment, un convoi de buffles passe. A l'opposé du soleil, la berge et un petit palais sont roses.

Le Taj Mahal est un monument unique auquel il faut conserver son caractère de grandeur mélancolique. Aussi peut-on regretter qu'il soit entouré d'un parc de beaux arbres et de parterres de fleurs. Il serait mieux au milieu de grandes esplanades nues comme le palais de Jehan Jir à Lahore.

Très cordial dîner avec les officiers du Royal Irish Fusiliers.

Accueilli au son de la Marseillaise et placé à la droite du colonel, qui faisait partie des trois divisions débarquées le 6 août 1915 à Suvla, ce dont il a gardé un mauvais souvenir.

— Il n'y avait, dit-il, ni eau, ni munitions. Envoyé en reconnaissance, je n'ai rencontré personne, pas un Turc.

J e suis revenu rendre compte. Mais, répète-t-il, ni eau, ni munitions et les hommes n'avaient plus que vingt cartouches.

Me voyant assez sceptique sur l'impossibilité de pousser de l'avant, il finit par me dire :

—- Maintenant, après quatre ans de guerre, j ' a i pris de l'expérience ; je pousserais jusqu'à la crête ; mais ce matin-là, à Suvla, nous étions tous inexpérimentés. Nous ne connais- sions pas la guerre.

Pendant le dîner, trois big pipers ont circulé autour de la tablé, à ma grande surprise, car je croyais que c'était une spécialité des régiments écossais. A l'issue du repas, les officiers ont dansé la gigue au son de la cornemuse, et La Tour du Pin et Amarjit ont dû s'exécuter dans une sorte de quadrille.

FATEHPUR SIKRI

16 février. — Une heure de route en auto sépare Agra de Fatehpur Sikri. E t l'on voit surgir à l'horizon un mur rouge crénelé, flanqué de tours : c'est le palais qu'à l'occasion de la naissance de son premier fils, fit élever Akbar, le grand empe- reur mongol du xvi^ siècle.

En arrivant par la route de l'Ouest (Agra) on débouche dans la grande cour du Diwan i Am(audiences publiques) bordée d'un petit cloître, avec un îlot central ; puis c'est la « maison

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L'INDE AVEC LES ANGLAIS. 557

de la sultane turque » dont les décorations représentant des ifs, des palmiers, e t c . . paraissent dues à des artistes chinois.

Tout est finement sculpté, piliers, toits, plafonds et terrasses.

La pierre des toits imite les tuiles. Au nord, le « pavillon de Khawab Ghah » (palais des rêves) était la chambre à coucher de l'empereur. Plus loin, une vaste cour dallée sur laquelle il jouait aux échecs avec ses esclaves représentant les figures et les pions. On l'appelle la « cour de Pathisi ».

Dans le Diwan i Khas (audiences privées) se trouve le curieux pilier terminé à mi-hauteur de la pièce par une sorte de tribune circulaire où aboutissent des galeries ajourées reposant sur les quatre angles. C'était là qu'Akbar discutait avec les représentants de toutes les religions de l'Inde, en s'efforçant de les concilier et d'aboutir à une religion unique.

E t l'on arrive aux vastes bâtiments du harem : ils sont de style hindou, mais la porte de l'un d'eux est marquée du sceau de Salomon et une autre porte est l'arc musulman. Les tuiles sont de la couleur du Prophète : vert-turquoise. Dans l'archi- tecture de son palais, l'empereur pratiquait donc son éclec- tisme en matière de religion. Au nord du palais de Jodh Bai", l'impératrice hindoue, la « maison de Myriam » appelée Myriam la chrétienne ; un petit jardin particulier et le palais du fou Birbal, le seul à qui il fût permis de dire ses vérités au terrible Mongol. Au sud du harem, le Daftar Khana, ceint de colonnes, d'où l'empereur se montrait au peuple massé au pied du rempart.

On arrive à la grande mosquée entourée d'un mur crénelé dont la porte rappelle celle du Taj Mahal, entièrement revêtue de mosaïques ; arc de porté musulman, motifs de décorations hindous ; les salles annexes ont des plafonds horizontaux. C'est devant cette porte qu'Akbar proclama la nouvelle religion de Dieu, où il se flattait d'avoir concilié toutes les croyances ! Dans la grande cour rouge, l'œil est immédiatement arrêté par un pavillon de marbre blanc éclatant, qui est le tombeau de Selim Chisti, le saint, chez qui l'empereur avait envoyé sa femme Myriam la Rajpoute pour avoir un fils et qui lui en donna trois. Le toit de ce petit palais carré est sup- porté par des motifs d'art Jaïn, le mur est une série de para- vents de ma-ore ajourés, de dessins variés. Le tombeau, sur- plombé d'un lourd dais, se trouve dans une seconde enceinte

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5 5 $ REVUE DES DEUX MONDES.

richement décorée en couleurs avec de larges inscriptions en écriture arabe. Tombeau, piliers, dais sont couverts d'un revête- ment de nacre, qui luit de toutes les couleurs de l'arc-en«ciel.

L'ensemble est de l'art le plus délicat et sa tonalité blanche au milieu de ce palais rouge en augmente l'effet.

E t voici au sommet d'un large escalier la porte colossale de la Victoire (Buland Darwaza), ornée de fers à cheval cloués sur les vantaux, offrandes de cavaliers.

Le palais renferme d'autres curiosités : le Panch Mahal, édifice à quatre étages d'où part un escalier surélevé et clos de murs, par lequel les sultanes pouvaient découvrir la campagne et voyaient se jouer les antilopes. Un minaret revêtu d'aiguil- lons porte le nom d'Haran Minar (minaret des antilopes).

Sur la porte du palais des éléphants, on voit encore deux pachyv dermes mutilés qui, d'après la tradition, portaient deux Rajpoutes qu'Akbar avait vaincus et dont il voulut honore*

la vaillance, les vastes écuries pour les cent chevaux de Tempe*

reur, les restes de l'installation des eaux qui s'élevaient de plate-forme en plate-forme par la traction animale, jusqu'à une conduite où elles alimentaient le palais. Fatehpur Sikri étant dépourvu d'eau, Akbar fit creuser un grand réservoir aujourd'hui complètement asséché. On admet généralement que c'est la pénurie d'eau qui a amené l'abandon de Fateh- pur Sikri ;-la raison est difficile à admettre, puisqu'il y séjourna quinze ans. Il est probable qu'il constata de sérieux inoonvé*

nients à rester aussi éloigné de sa capitale.

Au point de vue artistique, les palais de marbre, comme celui de Jehan Jir à Delhi, la grande mosquée au fort d'Agra sont sans doute plus remarquables ; mais le grand palais rouge d'Akbar, planté sur sa colline comme un camp, est plus impressionnant.

'". La visite achevée, nous montons déjeuner sur la terrasse d'un pavillon qui domine le Panch Mahal et d'où l'on découvre un horizon immense circulaire comme celui de la mer.

Retour à Agra. Mais Mr Dhama, le fonctionnaire du Ser*

vice archéologique, s'est aperçu que je suis intéressé et me propose de nous mener encore à un tombeau richement décoré.

C'est la dernière demeure d'un marchand persan, qui eut l'heureuse chance d'avoir une fille fort jolie, dont le fils d'Akbar, Jehan Jir, devint amoureux. L'empereur refusa son

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L'INDE AVEC LES ANGLAIS. 559

consentement et maria la jeune fille à l'un de ses généraux.

Quand Jehan Jir succéda à son père, il envoya, comme David, le général se faire tuer à la guerre et épousa la belle Nour Jehan.

Le calme des fins de journée règne sur la vallée ; une femme de maraîcher tire de l'eau, vêtue d'un pantalon jaune et la tête recouverte d'une écharpe jaune et rose. Dans le chemin qui nous ramène aux autos, nous sommes assaillis par des enfants qui nous vendent des fleurs pour quelques annas.

J'en donne quelques-uns à une fillette dont le visage sourit à pleines dents et qui s'enfuit dans l'envolée de son manteau jaune, pour échapper à ses camarades. Nous traversons, des campagnes envahies par la paix du soir ; des toits de chau- mière fument ; les enfants jouent près des vieillards, tableau qui m'enchante, car nous voyons plus de palais que de hameaux... « Sombres forêts, déserts tristes et sauvages, je vous préfère aux splendeurs des palais... »

La princesse Amarjit Singh retrouve des forces pour aller visiter un magasin où se trouvent des richesses : bijoux, étoffes, soieries, cuivres, poteries, etc..

UDAIPUR

Du 17 au 20 février, nous visitons Jaipur, la « ville rose », où nous sommes reçus par le colonel Lawrence, président du Conseil de régence et neveu du défenseur de Lucknow, par Mr. Carter,résident britannique, et par un Indien, puis Udaipur.

21 février.-— C'est la dernière matinée avant le départ, car il ne faut pas compter avoir un moment de libre à Bombay.

Nous renonçons donc, puisque nous avons déjà eu la vue des lacs, à monter au fort de Sajangar.

Le vieux maharana d'Udaipur, qui a quatre-vingts ans,

nous donne audience. Nous traversons toute la ville ; les rues

sont vraiment pittoresques ; les vaches empêchent la circu-

lation sans que personne Se plaigne ; les pigeons picorent et

volètent partout. Des vieillards portent du bois ; les bou-

tiques sont remplies d'acheteurs. On débouche dans le palais

par une cour coupée par les communs et sur les côtés de

laquelle s'alignent les écuries des éléphants, avec un éléphan-

teau de quatre mois. Partout des serviteurs ; on a l'impression

d'un palais du moyen âge. Le maharana est un beau vieillard.

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Sa maison est la plus vieille, la première des maisons régnantes de l'Inde, et prétend descendre des enfants du Soleil. En e/îet nous avons vu dans une salle une tête bizarre portant mous- taches et de gros yeux, entourés de rayons. C'est, paraît-il, le portrait du soleil. Pavillons, salles, escaliers, terrasses... Une salle est revêtue de Delft apporté par des Hollandais il y a deux siècles ; une autre est revêtue de glaces, y compris le plancher.

Ce qu'il y a de plus charmant, c'est la vue sur le lac et ses îles, leurs palais blancs et leurs palmiers, et dans les cours blanches les paons font la roue au soleil, étalant tous les joyaux de leur queue.

E t c'est le départ par un coucher de soleil en or ; nous sommes accompagnés jusqu'au train par deux religieuses françaises rencontrées chez la femme du Résident britan- nique, Mrs Field. L'une d'elles est tout émue ; elle a été serrée de près par une de ces nombreuses vaches qui circulent dans les rues et qui s'en est pris à son voile noir qui a été com- plètement lacéré. Or ces vaches circulent continuellement au milieu de gens vêtus de rouge ; ici, elles se déchaînent contre le noir 1

CHITORGARH

Notre train doit s'arrêter trois heures à Chitorgarh, la vieille forteresse des Rajpoutes ; aussi avais-je demandé à notre brahmane archéologue de nous y accompagner. Cam- pée au sommet d'une colline raide et rocheuse, la forteresse est à cinq cents pieds au-dessus de la plaine. Une route en lacets y conduit à travers le dédale des fortifications ; j ' a i compté huit portes avant de pénétrer dans l'enceinte, la plu- part armées de puissants crochets de fer qui avaient pour but d'empêcher les éléphants de les enfoncer en jetant leur masse contre elles. La légende veut que, dans un assaut, un officier, voyant que ses éléphants ne voulaient pas s'approcher de la porte, se jeta lui-même sur les crochets pour faire de son corps un matelas, et cria alors aux autres de faire avancer les éléphants.

La promenade à travers les ruines de Chitor sous le rayon- nement de la lune est pittoresque. Les temples, les palais se succèdent. Le plus beau monument est la tour de la Victoire,

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L'INDE AVEC LES ANGLAIS. 5 6 1

carrée, élevée d'une quarantaine de mètres, et complètement couverte de sculptures représentant les dieux de l'Inde et leurs légendes du pied au sommet, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Nous montons jusqu'au second étage par un petit escalier difficile et nous retrouvons les dieux des temples d'Ellora : Brahma, Vichnou, Siva et sa femme Parvâti, le Soleil, etc., avec leurs attributs : la roue, le taureau, le vautour, le tri- dent... Parfois Siva et Parvâti sont confondus dans le même personnage : un sein indique Parvâti. Une incarnation de Vichnou est nue, bien que couverte d'un réseau de perles, ce qui est très rare dans les temples hindous. Et, chose curieuse, il porte sur la tête un chapeau qui rappelle à s'y méprendre les coiffures du règne d'Henri III. Toutes ces figures ont été mutilées par les conquérants mongols.

Chitor tirait sa force de sa situation dominante, au-dessus des pentes à pic de divers côtés sur la plaine, et aussi de nom- breuses citernes naturelles que contient le rocher. La plus belle est celle qui s'élève auprès du temple de Raten Singh. Elle se creuse dans le roc par des pans à pic et sur deux côtés de vieux escaliers y descendent. Un temple et de beaux arbres touffus s'y reflètent : tableau romantique.

Chitor contient de vastes espaces qui ne sont que ruines et débris. On marche à travers cette désolation lunaire et tout à coup surgit un temple qui retient l'attention, c'est celui du prince Raten Singh. Il se dresse au bord d'une pièce d'eau ; au centre, un îlot porte un minuscule palais, blanc sous la lune : c'est celui de Padmini. Dans la mythologie hindoue, Padmini est le nom d'une princesse qui habitait Ceylan et était la femme de l'empereur de l'Inde. Pour rappeler ce sou- venir, le prince Raten Singh a fait construire le palais de la princesse à proximité de son château.

La fondation de Chitor remonterait à 5 000 ans et en 812 après Jésus-Christ les princes rajpoutes eurent l'honneur d'y repousser une attaque du khalife de Bagdad. Les siècles suivants, jusqu'à l'arrivée des Français, puis des Anglais, ont été remplis par des guerres sanglantes, parfois glorieuses, mais souvent malheureuses pour les Rajpoutes contre les musulmans gujrats de Bombay, contre ceux du nord et sur- tout contre les empereurs mongols. L'imagination hindoue a bâti un roman sur les guerres de Raten Singh contre le

TOIfB XLTI. — 1938. 36

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prince musulman Allah-ud-Din Khilji. Celui-ci, ayant entendu vanter la beauté remarquable de la princesse Padmini, vint attaquer Chitor dans le seul dessein de l'enlever ; le siège traî- nant en longueur, il fit connaître qu'il demandait seulement à contempler le visage de la princesse reflété dans une glace et que, satisfait, il s'en irait. Raten Singh y consentit- Après quoi le jeune Rajpoute généreux, pour marquer la bonne amitié qui devait désormais régner entre les deux souverains, accom- pagna Allah-ud-Dîn, qui en profita pour l'arrêter dans son camp et fit savoir aux gens de Chitor qu'il garderait leur prince prisonnier tant qu'ils n'auraient pas livré la princesse. Padmini annonça alors qu'elle allait se rendre au camp d'Allah-ud-Din en palanquin, avec une nombreuse suite de femmes, comme il convenait à une princesse rajpoute de haute lignée. Mais les suivantes étaient des hommes d'armes qui, pénétrant dans le camp du ravisseur, massacrèrent un grand nombre de ses occupants et réussirent à ramener leur prince à Chitor. On retrouvé dans cet épisode légendaire l'histoire du cheval de Troie.

Allah-ud-Din ne se tint pas pour battu et, en 1303, revint mettre le siège devant Chitor. Les défenseurs, sentant cette fois la partie perdue, prirent de tragiques résolutions. Tandis que les guerriers se précipitaient sur l'ennemi et se faisaient tuer, les femmes, la princesse Padmini en tête, couvertes de leurs bijoux, montèrent sur un bûcher gigantesque et périrent dans les flammes avec tous les trésors de la ville.

Plus tard, les empereurs mongols prirent, perdirent,

reprirent encore Chitor. En 1559, les princes rajpoutes avaient

installé leur nouvelle capitale à Udaipur, et l'on se souvient

des deux éléphants décorant la porte de Fatehpur Sikri placés

par Akbar pour honorer le courage de ces princes qu'il avait

Combattus. Au temps de Jehan Jir, un accord fut conclu

entre cet empereur et le prince Amar Singh ; l'empereur

accepta que, seul de tous les princes de l'Inde désormais soumis

aux Mongols, il serait dispensé de paraître lui-même au grand

Durbar et serait représenté par son fils. Forts de ce souvenir,

les maharanas d'Udaipur ne sont jamais venus au Durbar de

Delhi, et quant au maharana actuel, il fut entendu, lors du

voyage du roi George V pour son couronnement en 1911,

qu'il viendrait le saluer à la gare, après quoi le roi entre-

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rait dans Delhi et le maharana repartirait pour Udaiptff.

Quand on se penche sur les remparts de Chitor, on se demande comment cette ville a pu être enlevée plusieurs fois sans artillerie. Sa faiblesse venait sans nul doute du dévelop- pement exagéré de ses remparts (16 kilomètres).

Le brahmane archéologue nous quitte à onze heures du soir ; il n'a pas encore dîné, car les brahmanes ne peuvent consommer que de la cuisine préparée par un homme de leur caste. Cela complique un peu les voyages et explique sa maigreur.

22 février. — Nous traversons toute la journée un pays rappelant la brousse soudanaise avant les pluies. Ici, comme en Afrique, on brûle la brousse pour défricher et pour fumer les terres.

A vingt et une heures : Baroda, dont le souverain, le Gwaker, était passager du Rajputana en décembre. Son premier ministre nous mène au palais. Sur une des tours, une lanterne rouge signale la présence du maharaja. Intérieur luxueux : salons indien, Louis X I V ; cabinet de travail Directoire;.

très belle salle pour le Durbar, très haute et soutenue par des piliers en bois de santal. Un grand salon est curieux par les peintures, légendes hindoues, qui le décorent. Des palmiers splendides, d'une trentaine de mètres de haut, poussent dans la cour intérieure du palais. Le maharaja a fait sortir ses joyaux : perles, diamants, émeraudes, etc. Un de ces colliers serait estimé 125 millions d'aujourd'hui. Devant le palais, un éléphant couvert d'une housse d'or et qui, dans les jours de parade, porte à chaque pied un bracelet de 20 kilos. A côté de- l'éléphant, deux canons : l'affût de l'un est en argent et là pièce est en or ; la pièce de l'autre est en argent et l'affût en or.

Ils sont traînés chacun par une paire de bœufs gigantesques»

caparaçonnés, et aux cornes dorées.

La ville de Baroda paraît particulièrement gaie. La pleine lune y est peut-être pour quelque chose. Nous avons ren-' contré des femmes cambrées, portant sur la tête des lampes allumées. Dans une rue un mariage, — c'est la saison, - ^ un groupe d'une soixantaine de femmes sont assises sur des tapis, jacassent, rient et font de la musique. Elles sont pro- tégées contre l'indiscrétion des passants par une simple bar- rière de claies, méthode plus économique que la location d'une

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salle de restaurant. Plus loin, un groupe de. jeunes gens marchent processionnellement en chantant et brûlant des bâtons d'encens.

A la gare, toujours la même foule d'Hindous au campe- ment, dormant par terre, allongés dans une couverture ou dans une pièce de toile. Vers vingt-trois heures, nous fran- chissons sur un pont l'énorme vallée de la Nerbana River.

C'est un vrai bras de mer près de son embouchure.

RETOUB

23 février. — Bombay.Je revois avec plaisir les parcs et bungalows de Malabar Hill. Sir Frederick et lady Sykes m'invitent à un dernier breakfast. Leur accueil est toujours aussi aimable qu'il y a deux mois. J'aurais voulu leur dire combien ces deux mois avaient été bien employés, leur raconter tout ce que j'avais vu de beau, de grand, d'inté- ressant. Le temps manquait. Je n'ai pu que leur dire encore une fois ma reconnaissance.

Nous embarquons à midi à bord du steamer Razmak qui, avec ses 10 000 tonneaux, est le petit frère du Rajputana.

Je suis resté longtemps à l'arrière pour regarder la côte s'éloigner, s'estomper, disparaître. Mais mes souvenirs étaient fixés à jamais, souvenirs pleins de gratitude pour tous ceux qui avaient imaginé ce voyage, comme pour ceux qui l'avaient organisé et réalisé.

En deux mois, je puis presque dire que j ' a i vu toute l'Inde : les deux portes, Bombay et Calcutta, l'Inde du Sud, l'Inde légendaire avec ses forête, ses temples fouillés, ses grottes, ses

fleuves sacrés, l'Inde des Grands Mongols du Nord et les palais des rajas, la frontière, Delhi, les vieilles et la nouvelle Delhi : toute la beauté et la grandeur de l'Empire. Ce qui m'a le plus frappé, ce sont ces belles troupes de la frontière, grâce à qui l'Inde et ses « masses silencieuses » vivent et travaillent dans la paix. Ce sont aussi ces gigantesques barrages : Kankhi, Sukkur, où des milliards ont été engloutis pour que l'Inde ne meure plus de faim.

En doublant la Corse, je me suis rappelé cette nuit de juillet 1915 où, rentrant blessé des Dardanelles, étendu sur

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le pont du Tchad, je sentis dans la nuit un parfum extraor- dinaire. Un marin passa et je demandai : — Quelle est cette odeur ? — C'est la Corse. — A quelle distance ? — Cinq milles. Napoléon disait à Sainte-Hélène qu'il reconnaissait la Corse, à plusieurs lieues au large, à son parfum.

Français et Anglais ne s'aimaient pas dans ce temps-là.

Cinquante-deux mois de guerre nous ont révélés les uns aux autres, comme des nations différentes sans doute, mais for- mées par la même civilisation d'origine chrétienne, ayant le même amour de la liberté, le même respect de la personne humaine, et pour qui un traité n'est pas un chiffon de papier.

Rien ne doit faire oublier le sang versé ensemble sur les champs de bataille.

Mais la faible mémoire des hommes a besoin d'être aidée.

Il faut rappeler qu'il y a une dizaine d'années sont venus à Paris cent maires des villes anglaises qui avaient adopté et contribué à reconstruire cent villes ou villages du Nord de la France, où les soldats britanniques avaient trouvé bon et réconfortant accueil, pendant les longues années de guerre. Il faut rappeler aussi que, lorsque l'Angleterre est entrée en guerre, le ministre, lord Kitchener, s'est adressé immédiate- ment au peuple anglais pour obtenir les volontaires qui devaient constituer la grande armée britannique, que pen- dant des années ce recrutement a continué jusqu'à atteindre un million d'hommes. Un million de volontaires, et l'Angle- terre n'était pas directement envahie.

Il faut rappeler aussi que le pilier de Notre-Dame de Paris, qui porte les armes du Royaume-Uni et des Dominions, porte aussi une inscription à la mémoire du million d'hommes de l'Empire britannique tombés avec les nôtres pour la même cause sacrée de l'Indépendance.

GÉNÉRAL GOURATJD.

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