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Nous renonçons donc, puisque nous avons déjà eu la vue des lacs, à monter au fort de Sajangar

Dans le document L'INDE AVEC LES ANGLAIS (Page 24-30)

Le vieux maharana d'Udaipur, qui a quatre-vingts ans,

nous donne audience. Nous traversons toute la ville ; les rues

sont vraiment pittoresques ; les vaches empêchent la

circu-lation sans que personne Se plaigne ; les pigeons picorent et

volètent partout. Des vieillards portent du bois ; les

bou-tiques sont remplies d'acheteurs. On débouche dans le palais

par une cour coupée par les communs et sur les côtés de

laquelle s'alignent les écuries des éléphants, avec un

éléphan-teau de quatre mois. Partout des serviteurs ; on a l'impression

d'un palais du moyen âge. Le maharana est un beau vieillard.

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Sa maison est la plus vieille, la première des maisons régnantes de l'Inde, et prétend descendre des enfants du Soleil. En e/îet nous avons vu dans une salle une tête bizarre portant mous-taches et de gros yeux, entourés de rayons. C'est, paraît-il, le portrait du soleil. Pavillons, salles, escaliers, terrasses... Une salle est revêtue de Delft apporté par des Hollandais il y a deux siècles ; une autre est revêtue de glaces, y compris le plancher.

Ce qu'il y a de plus charmant, c'est la vue sur le lac et ses îles, leurs palais blancs et leurs palmiers, et dans les cours blanches les paons font la roue au soleil, étalant tous les joyaux de leur queue.

E t c'est le départ par un coucher de soleil en or ; nous sommes accompagnés jusqu'au train par deux religieuses françaises rencontrées chez la femme du Résident britan-nique, Mrs Field. L'une d'elles est tout émue ; elle a été serrée de près par une de ces nombreuses vaches qui circulent dans les rues et qui s'en est pris à son voile noir qui a été com-plètement lacéré. Or ces vaches circulent continuellement au milieu de gens vêtus de rouge ; ici, elles se déchaînent contre le noir 1

CHITORGARH

Notre train doit s'arrêter trois heures à Chitorgarh, la vieille forteresse des Rajpoutes ; aussi avais-je demandé à notre brahmane archéologue de nous y accompagner. Cam-pée au sommet d'une colline raide et rocheuse, la forteresse est à cinq cents pieds au-dessus de la plaine. Une route en lacets y conduit à travers le dédale des fortifications ; j ' a i compté huit portes avant de pénétrer dans l'enceinte, la plu-part armées de puissants crochets de fer qui avaient pour but d'empêcher les éléphants de les enfoncer en jetant leur masse contre elles. La légende veut que, dans un assaut, un officier, voyant que ses éléphants ne voulaient pas s'approcher de la porte, se jeta lui-même sur les crochets pour faire de son corps un matelas, et cria alors aux autres de faire avancer les éléphants.

La promenade à travers les ruines de Chitor sous le rayon-nement de la lune est pittoresque. Les temples, les palais se succèdent. Le plus beau monument est la tour de la Victoire,

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carrée, élevée d'une quarantaine de mètres, et complètement couverte de sculptures représentant les dieux de l'Inde et leurs légendes du pied au sommet, à l'extérieur comme à l'intérieur.

Nous montons jusqu'au second étage par un petit escalier difficile et nous retrouvons les dieux des temples d'Ellora : Brahma, Vichnou, Siva et sa femme Parvâti, le Soleil, etc., avec leurs attributs : la roue, le taureau, le vautour, le tri-dent... Parfois Siva et Parvâti sont confondus dans le même personnage : un sein indique Parvâti. Une incarnation de Vichnou est nue, bien que couverte d'un réseau de perles, ce qui est très rare dans les temples hindous. Et, chose curieuse, il porte sur la tête un chapeau qui rappelle à s'y méprendre les coiffures du règne d'Henri III. Toutes ces figures ont été mutilées par les conquérants mongols.

Chitor tirait sa force de sa situation dominante, au-dessus des pentes à pic de divers côtés sur la plaine, et aussi de nom-breuses citernes naturelles que contient le rocher. La plus belle est celle qui s'élève auprès du temple de Raten Singh. Elle se creuse dans le roc par des pans à pic et sur deux côtés de vieux escaliers y descendent. Un temple et de beaux arbres touffus s'y reflètent : tableau romantique.

Chitor contient de vastes espaces qui ne sont que ruines et débris. On marche à travers cette désolation lunaire et tout à coup surgit un temple qui retient l'attention, c'est celui du prince Raten Singh. Il se dresse au bord d'une pièce d'eau ; au centre, un îlot porte un minuscule palais, blanc sous la lune : c'est celui de Padmini. Dans la mythologie hindoue, Padmini est le nom d'une princesse qui habitait Ceylan et était la femme de l'empereur de l'Inde. Pour rappeler ce sou-venir, le prince Raten Singh a fait construire le palais de la princesse à proximité de son château.

La fondation de Chitor remonterait à 5 000 ans et en 812 après Jésus-Christ les princes rajpoutes eurent l'honneur d'y repousser une attaque du khalife de Bagdad. Les siècles suivants, jusqu'à l'arrivée des Français, puis des Anglais, ont été remplis par des guerres sanglantes, parfois glorieuses, mais souvent malheureuses pour les Rajpoutes contre les musulmans gujrats de Bombay, contre ceux du nord et sur-tout contre les empereurs mongols. L'imagination hindoue a bâti un roman sur les guerres de Raten Singh contre le

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prince musulman Allah-ud-Din Khilji. Celui-ci, ayant entendu vanter la beauté remarquable de la princesse Padmini, vint attaquer Chitor dans le seul dessein de l'enlever ; le siège traî-nant en longueur, il fit connaître qu'il demandait seulement à contempler le visage de la princesse reflété dans une glace et que, satisfait, il s'en irait. Raten Singh y consentit- Après quoi le jeune Rajpoute généreux, pour marquer la bonne amitié qui devait désormais régner entre les deux souverains, accom-pagna Allah-ud-Dîn, qui en profita pour l'arrêter dans son camp et fit savoir aux gens de Chitor qu'il garderait leur prince prisonnier tant qu'ils n'auraient pas livré la princesse. Padmini annonça alors qu'elle allait se rendre au camp d'Allah-ud-Din en palanquin, avec une nombreuse suite de femmes, comme il convenait à une princesse rajpoute de haute lignée. Mais les suivantes étaient des hommes d'armes qui, pénétrant dans le camp du ravisseur, massacrèrent un grand nombre de ses occupants et réussirent à ramener leur prince à Chitor. On retrouvé dans cet épisode légendaire l'histoire du cheval de Troie.

Allah-ud-Din ne se tint pas pour battu et, en 1303, revint mettre le siège devant Chitor. Les défenseurs, sentant cette fois la partie perdue, prirent de tragiques résolutions. Tandis que les guerriers se précipitaient sur l'ennemi et se faisaient tuer, les femmes, la princesse Padmini en tête, couvertes de leurs bijoux, montèrent sur un bûcher gigantesque et périrent dans les flammes avec tous les trésors de la ville.

Plus tard, les empereurs mongols prirent, perdirent,

reprirent encore Chitor. En 1559, les princes rajpoutes avaient

installé leur nouvelle capitale à Udaipur, et l'on se souvient

des deux éléphants décorant la porte de Fatehpur Sikri placés

par Akbar pour honorer le courage de ces princes qu'il avait

Combattus. Au temps de Jehan Jir, un accord fut conclu

entre cet empereur et le prince Amar Singh ; l'empereur

accepta que, seul de tous les princes de l'Inde désormais soumis

aux Mongols, il serait dispensé de paraître lui-même au grand

Durbar et serait représenté par son fils. Forts de ce souvenir,

les maharanas d'Udaipur ne sont jamais venus au Durbar de

Delhi, et quant au maharana actuel, il fut entendu, lors du

voyage du roi George V pour son couronnement en 1911,

qu'il viendrait le saluer à la gare, après quoi le roi

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rait dans Delhi et le maharana repartirait pour Udaiptff.

Quand on se penche sur les remparts de Chitor, on se demande comment cette ville a pu être enlevée plusieurs fois sans artillerie. Sa faiblesse venait sans nul doute du dévelop-pement exagéré de ses remparts (16 kilomètres).

Le brahmane archéologue nous quitte à onze heures du soir ; il n'a pas encore dîné, car les brahmanes ne peuvent consommer que de la cuisine préparée par un homme de leur caste. Cela complique un peu les voyages et explique sa maigreur.

22 février. — Nous traversons toute la journée un pays rappelant la brousse soudanaise avant les pluies. Ici, comme en Afrique, on brûle la brousse pour défricher et pour fumer les terres.

A vingt et une heures : Baroda, dont le souverain, le Gwaker, était passager du Rajputana en décembre. Son premier ministre nous mène au palais. Sur une des tours, une lanterne rouge signale la présence du maharaja. Intérieur luxueux : salons indien, Louis X I V ; cabinet de travail Directoire;.

très belle salle pour le Durbar, très haute et soutenue par des piliers en bois de santal. Un grand salon est curieux par les peintures, légendes hindoues, qui le décorent. Des palmiers splendides, d'une trentaine de mètres de haut, poussent dans la cour intérieure du palais. Le maharaja a fait sortir ses joyaux : perles, diamants, émeraudes, etc. Un de ces colliers serait estimé 125 millions d'aujourd'hui. Devant le palais, un éléphant couvert d'une housse d'or et qui, dans les jours de parade, porte à chaque pied un bracelet de 20 kilos. A côté de-l'éléphant, deux canons : l'affût de l'un est en argent et là pièce est en or ; la pièce de l'autre est en argent et l'affût en or.

Ils sont traînés chacun par une paire de bœufs gigantesques»

caparaçonnés, et aux cornes dorées.

La ville de Baroda paraît particulièrement gaie. La pleine lune y est peut-être pour quelque chose. Nous avons ren-' contré des femmes cambrées, portant sur la tête des lampes allumées. Dans une rue un mariage, — c'est la saison, - ^ un groupe d'une soixantaine de femmes sont assises sur des tapis, jacassent, rient et font de la musique. Elles sont pro-tégées contre l'indiscrétion des passants par une simple bar-rière de claies, méthode plus économique que la location d'une

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salle de restaurant. Plus loin, un groupe de. jeunes gens marchent processionnellement en chantant et brûlant des bâtons d'encens.

A la gare, toujours la même foule d'Hindous au campe-ment, dormant par terre, allongés dans une couverture ou dans une pièce de toile. Vers vingt-trois heures, nous fran-chissons sur un pont l'énorme vallée de la Nerbana River.

C'est un vrai bras de mer près de son embouchure.

RETOUB

23 février. — Bombay.Je revois avec plaisir les parcs et bungalows de Malabar Hill. Sir Frederick et lady Sykes m'invitent à un dernier breakfast. Leur accueil est toujours aussi aimable qu'il y a deux mois. J'aurais voulu leur dire combien ces deux mois avaient été bien employés, leur raconter tout ce que j'avais vu de beau, de grand, d'inté-ressant. Le temps manquait. Je n'ai pu que leur dire encore une fois ma reconnaissance.

Nous embarquons à midi à bord du steamer Razmak qui, avec ses 10 000 tonneaux, est le petit frère du Rajputana.

Je suis resté longtemps à l'arrière pour regarder la côte s'éloigner, s'estomper, disparaître. Mais mes souvenirs étaient fixés à jamais, souvenirs pleins de gratitude pour tous ceux qui avaient imaginé ce voyage, comme pour ceux qui l'avaient organisé et réalisé.

En deux mois, je puis presque dire que j ' a i vu toute l'Inde : les deux portes, Bombay et Calcutta, l'Inde du Sud, l'Inde légendaire avec ses forête, ses temples fouillés, ses grottes, ses

fleuves sacrés, l'Inde des Grands Mongols du Nord et les palais des rajas, la frontière, Delhi, les vieilles et la nouvelle Delhi : toute la beauté et la grandeur de l'Empire. Ce qui m'a le plus frappé, ce sont ces belles troupes de la frontière, grâce à qui l'Inde et ses « masses silencieuses » vivent et travaillent dans la paix. Ce sont aussi ces gigantesques barrages : Kankhi, Sukkur, où des milliards ont été engloutis pour que l'Inde ne meure plus de faim.

En doublant la Corse, je me suis rappelé cette nuit de juillet 1915 où, rentrant blessé des Dardanelles, étendu sur

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le pont du Tchad, je sentis dans la nuit un parfum extraor-dinaire. Un marin passa et je demandai : — Quelle est cette odeur ? — C'est la Corse. — A quelle distance ? — Cinq milles. Napoléon disait à Sainte-Hélène qu'il reconnaissait la Corse, à plusieurs lieues au large, à son parfum.

Français et Anglais ne s'aimaient pas dans ce temps-là.

Cinquante-deux mois de guerre nous ont révélés les uns aux autres, comme des nations différentes sans doute, mais for-mées par la même civilisation d'origine chrétienne, ayant le même amour de la liberté, le même respect de la personne humaine, et pour qui un traité n'est pas un chiffon de papier.

Rien ne doit faire oublier le sang versé ensemble sur les champs de bataille.

Mais la faible mémoire des hommes a besoin d'être aidée.

Il faut rappeler qu'il y a une dizaine d'années sont venus à Paris cent maires des villes anglaises qui avaient adopté et contribué à reconstruire cent villes ou villages du Nord de la France, où les soldats britanniques avaient trouvé bon et réconfortant accueil, pendant les longues années de guerre. Il faut rappeler aussi que, lorsque l'Angleterre est entrée en guerre, le ministre, lord Kitchener, s'est adressé immédiate-ment au peuple anglais pour obtenir les volontaires qui devaient constituer la grande armée britannique, que pen-dant des années ce recrutement a continué jusqu'à atteindre un million d'hommes. Un million de volontaires, et l'Angle-terre n'était pas directement envahie.

Il faut rappeler aussi que le pilier de Notre-Dame de Paris, qui porte les armes du Royaume-Uni et des Dominions, porte aussi une inscription à la mémoire du million d'hommes de l'Empire britannique tombés avec les nôtres pour la même cause sacrée de l'Indépendance.

GÉNÉRAL GOURATJD.

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