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Enseigner ce que l’on est : quand la concordance de valeurs rime avec bien-être au travail. Le cas des enseignants d’EPS de l’académie de Lille

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02882259

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Submitted on 26 Jun 2020

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valeurs rime avec bien-être au travail. Le cas des enseignants d’EPS de l’académie de Lille

Clément Llena

To cite this version:

Clément Llena. Enseigner ce que l’on est : quand la concordance de valeurs rime avec bien-être au travail. Le cas des enseignants d’EPS de l’académie de Lille. Education. Université de Bordeaux, 2019. Français. �tel-02882259�

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Thèse présentée pour obtenir le grade de docteur de l’Université de Bordeaux Spécialité : STAPS École doctorale Sociétés, Politique, Santé Publique

Enseigner ce que l’on est : quand la concordance de

valeurs rime avec bien- être au travail.

Le cas des enseignants d’EPS de l’académie de

Lille

Présentée par

Clément LLENA

Préparée au sein du Laboratoire Cultures – Éducation – Sociétés (LACES EA 7437)

Thèse soutenue le 22 novembre 2019 Devant le jury composé de :

Ghislain CARLIER

Professeur émérite, Université catholique de Louvain/Rapporteur

Jean-François DESBIENS

Professeur, Université de Sherbrooke/Rapporteur Isabelle JOING

Maître de conférences, Université de Lille/Co- encadrante

Jacques MIKULOVIC

Professeur, Université de Bordeaux/Directeur Nicole RASCLE

Professeure, Université de Bordeaux/Présidente du jury

Carole SÈVE

Professeure, Inspectrice Générale de l’Éducation Nationale (groupe EPS)/Examinatrice

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THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE

L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ÉCOLE DOCTORALE SP2 – SOCIÉTÉS, POLITIQUE, SANTÉ PUBLIQUE SPÉCIALITÉ : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives

Par Clément LLENA

Enseigner ce que l’on est : quand la concordance de valeurs rime avec bien-être au travail.

Le cas des enseignants d’EPS de l’académie de Lille

Sous la direction de : Jacques MIKULOVIC et Isabelle JOING

Soutenue le 22 novembre 2019

Membres du Jury :

M. Ghislain CARLIER, Professeur émérite, Université catholique de Louvain (Rapporteur) M. Jean-François DESBIENS, Professeur, Université de Sherbrooke (Rapporteur)

Mme Isabelle JOING, Maître de conférences, Université de Lille (Co-encadrante) M. Jacques MIKULOVIC, Professeur, Université de Bordeaux (Directeur)

Mme Nicole RASCLE, Professeure, Université de Bordeaux (Présidente du jury)

Mme Carole SÈVE, Professeure, Inspectrice Générale de l’Éducation Nationale (groupe EPS)

(Examinatrice)

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Le cas des enseignants d’EPS de l’académie de Lille

Résumé : L’enseignant est, dans son exercice professionnel, guidé par des motivations personnelles qui se nourrissent de ses propres valeurs. Celles-ci se traduisent par des comportements, des discours et des attitudes et in fine, caractérisent un style pédagogique. Leur importance est relative et crée une hiérarchie pouvant être différente d’un enseignant à l’autre. Dès lors, se pose la question de savoir si certaines valeurs permettraient d’être davantage en bien-être au travail. Plus encore, le fait d’agir en cohérence par rapport à ses valeurs dans son enseignement serait-il un facteur propice à ce bien-être ? L’objectif de la thèse consiste à étudier les relations entre le bien-être au travail et les valeurs des enseignants d’Éducation Physique et Sportive (EPS).

En s’inscrivant dans le cadre théorique des valeurs de base de la personne (Schwartz, 1992), un outil de mesure a été conçu pour examiner les valeurs des enseignants d’EPS dans le contexte particulier de l’enseignement de l’EPS avec 599 enseignants d’EPS. Ensuite, le travail a été mené en deux temps. En premier lieu, 396 enseignants d’EPS de l’académie de Lille ont complété un questionnaire permettant d’identifier leur système de valeurs général, leur système de valeurs opérationnalisé en EPS et leur niveau de bien-être subjectif au travail.

Les résultats issus des analyses statistiques multifactorielles montrent que les valeurs sont déterminantes pour expliquer le bien-être au travail. Ainsi, ils révèlent que les valeurs d’ouverture au changement et de dépassement de soi sont plus vertueuses que les valeurs de continuité pour le bien-être des enseignants d’EPS. Si la nature des valeurs permet, en partie, d’expliquer le bien-être au travail, le fait d’agir en accord avec son système général de valeurs est un facteur plus déterminant. Ainsi, la concordance entre ses valeurs et ses pratiques professionnelles apparaît comme un objectif prioritaire pour améliorer le bien-être au travail. De plus, les résultats permettent d’identifier quatre profils caractéristiques d’enseignants selon leurs systèmes de valeurs et leur niveau de bien-être : les harmonieux, les compositeurs, les désaccordés et les sans-partitions.

Parallèlement à ces enquêtes, douze entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’enseignants d’EPS typiques des profils identifiés (trois par profil).

Les résultats issus de l’analyse des entretiens permettent non seulement d’affiner la compréhension des profils d’enseignants d’EPS mais également de mieux comprendre le lien entre leurs systèmes de valeurs et leur niveau de bien-être au travail. Par ailleurs, les résultats révèlent que le partage de valeurs avec ses pairs est un facteur médiateur du bien-être au travail des enseignants d’EPS.

En conclusion, ce travail de recherche basé sur une méthodologie mixte permet d’amorcer une réflexion pédagogique et didactique autour de l’importance des valeurs et de leur concordance dans l’enseignement. Il soulève également l’importance de clarifier collectivement les valeurs au sein des équipes pédagogiques. Une réflexion et un travail sur ces deux aspects devraient permettre d’améliorer le bien-être au travail des enseignants.

Mots clés : domaines de valeurs - contexte personnel/professionnel – système de valeurs - valeurs opérationnalisées – enseignement

Laboratoire Cultures - Éducation - Sociétés

LACES, EA 7437 - 3 ter, place de la Victoire - 33076 Bordeaux Cedex – France

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work.

The case of physical education teachers in Lille Academy

Abstract : In their professional practice, personal motivation often guide teachers based on their personal values. These translate into behaviours, discourses, attitudes, and in fine, characterize a pedagogical style. Their importance is relative and creates a hierarchy that may differ from one teacher to another. In this thesis, we examine to what extent specific values may contribute to the increase of well-being at work. Also, is acting following one’s values while teaching a factor leading to well-being? The purpose of this thesis was to examine the relationship between values and well-being at work in Physical Education (PE) teachers.

Within the theoretical framework of basic human values (Schwartz, 1992), one questionnaire was developed with 599 PE teachers to examine the professional values of french PE teachers in the area of PE teaching. Then the work was conducted in two steps.

First, 396 PE teachers from Lille Academy completed a questionnaire to identify their profile of values, their values operationalized in PE, and their level of subjective well-being at work.

Multifactorial statistical analyses show that values are a crucial variable to explain and predict well-being at work. Teachers scoring high in openness to change and self-transcendence higher-order values reported significantly higher well-being levels than those exhibiting high scores in conservation for PE teachers. One’s values are more determinant and significant.

Concordance between values and professional practices should thus be an essential goal to reach in order to improve well-being at work.

Besides, we identified four characteristic PE profiles according to their value systems and level of well-being: "harmonious", "composers", "detuned", and "without musical scores".

Alongside these surveys, we conducted twelve semi-structured interviews with PE teachers taken from the profiles identified (three per profile).

Analyses of the interviews helped to refine the understanding of PE teachers’ profiles and the link between their value systems and their level of well-being at work and confirms the findings of the questionnaire. Otherwise, they demonstrate that sharing values with their PE pedagogical team is a mediating factor for their well-being at work.

In conclusion, this research, based on a mixed-method, allows starting a pedagogical and didactic reflection about the importance of values and their concordance in teaching. It also highlights the need to clarify collectively the values shared by the members of a pedagogical team.

A reflection and work on both issues would improve teachers' well-being at work.

Keywords : higher-order values - personal/professional context - value system - operationalized values - education – training

Laboratoire Cultures - Éducation - Sociétés

LACES, EA 7437 - 3 ter, place de la Victoire - 33076 Bordeaux Cedex – France

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La considération, l’entraide, l’écoute, l’empathie sont autant d’attentions qui stimulent et soutiennent le doctorant dans cette expérience difficile qu’est la thèse. Et même si l’étape des remerciements est ritualisée dans la traduction écrite de la recherche qui est menée, la réciprocité est nécessaire parce que la reconnaissance fait partie des besoins humains.

La thèse est un voyage parfois éprouvant. Mais le destin du voyageur n’est-il pas de se confronter à des personnes, des milieux et des cultures qui lui sont inconnus pour dessiner son propre chemin ? Cette confrontation est aussi délicate que porteuse. Le monde de la recherche peut pousser à l’isolement et pourtant, il est aussi ancré dans le débat et l’altérité et donc dans la rencontre et le partage. Il est systémique, infini, craintif et accueillant, codifié et pourtant si atypique. Ces paradoxes ont nourri ma curiosité. Et si vous lisez ces pages, je vous soupçonne vous aussi d’être tout aussi curieux que moi. Cette thèse a été pour moi un éveilleur de conscience, un outil de sérendipité, de découvertes de ma propre personne. Lorsque je me suis lancé dans cette thèse, je n’avais plus d’autres choix que de rechercher sans cesse de la matière première. Comme un feu lancé, il me fallait l’alimenter en bois. Mais, à l’instar de mon grand-père, Robert, menuisier, la faculté de trouver cette matière première s’est faite naturellement. À son image, ce sont mes racines qui m’ont permis de finaliser ce voyage. Je tiens en ce sens à adresser de puissants, amples et chaleureux remerciements à tous ces fagoteurs (et enfants de la vigne), à savoir ma famille, en premier mes parents Claudine et Claude, ma sœur Chloé et bien évidemment Sylvie, Roselyne, Henriette, Robert, Christian et René qui ont chacun à leur façon alimenter ce foyer. Je remercie tous mes proches qui ont su comprendre mes périodes d’immersion dans l’écriture et m’aider dans les moments importants avec leur soutien affectif, moral, sentimental indéfectible et inestimable.

Pour mener à terme une thèse sur le bien-être, mieux vaut être entouré d’« êtres bien ».

C’est donc avec une profonde gratitude que mes premiers remerciements sont adressés à Madame Isabelle Joing et Monsieur Jacques Mikulovic pour leur appui scientifique, méthodologique, leur proximité, leur disponibilité et les échanges développés. En effet, travailler sur les valeurs avec deux directeurs d’une grande richesse humaine a été une des clefs de mon épanouissement dans ce travail.

J’adresse également mes plus vifs remerciements aux membres du jury, à commencer par

les rapporteurs de ce travail pour le temps qu’ils ont accordé à la lecture de cette thèse et à

l’élaboration du rapport : Monsieur Ghislain Carlier et Monsieur Jean-François Desbiens mais

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à cette soutenance et ont ainsi accepté d’être examinatrices de ce travail.

Je suis également particulièrement reconnaissant envers tous les enseignants d’EPS qui ont participé à ce travail universitaire, ceux sans qui rien n’aurait pu être possible et ceux qui chaque jour œuvrent pour un enseignement de qualité.

À ce titre d’ailleurs, je n’oublie pas mes propres professeurs. Je les remercie pour les valeurs qu’ils m’ont transmises et qui m’ont guidé tout au long de ma formation. En effet, ce travail, je le dois aussi à Christine Garsault, Olivier Vors et Didier Delignières pour leurs premiers soutiens à la fin de mon diplôme de deuxième cycle ; à Stéphanie Berger et Bruno Zammit, mes enseignants d’EPS et tuteurs spirituels, qui m’ont transmis cette passion de faire vivre ce beau métier.

Je ne saurai être objectif et exhaustif dans ces remerciements tant cette expérience s’est construite sur diverses rencontres, connivences et heures de débats. Chacun de ces échanges a été un pas de plus vers la maturation de ce travail.

Comme tout voyage, des compagnons de route émergent. Je pense tout particulièrement à ma compagne, Ludivine, qui m’a aidé et soutenu dans ma vie personnelle. Je la remercie aussi tout comme Alessandro, Daniel et Claude pour leurs relectures attentives.

Ces années de thèse m’ont aussi permis de dispenser de nombreux cours dans l’enseignement supérieur. Ces expériences enrichissantes et passionnantes m’ont notamment amené à rencontrer Louis Violette et Killian Mousset que je remercie pour le partage de journées prolifiques à la bibliothèque dans mes premières années de thèse. Je ne voudrais pas oublier Jérôme Guinot, Alizé Valette, Hadrien Peres, Yann Guiton et Willy Huguedet pour nos échanges professionnels ; Jérôme Visioli, Nicole Sibelet, Olivier Dieu et François Potdevin pour leurs conseils avisés et aguerris de chercheurs si précieux à des moments charnières de ma recherche.

Je tenais aussi à remercier tous les membres des laboratoires LACES, VIPS2 et l’URePSSS pour leurs nombreux retours lors de séminaires et leurs aides financières m’ayant permis de participer à des colloques ; Julie Fluhr et Jessy Loranger, mes premiers modèles dans un travail de thèse et enfin à mes partenaires de bureau et/ou parfois de « galère » sur ces moments d’écriture.

Ils sont devenus des amis : Sarah, Agathe, Alessandra, Pierre et Samir.

À Rosette, ma grand-mère maternelle, cette madeleine de Proust, pour cette relation platonique et ce modèle de joie de vivre, d’amour, de courage et d’abnégation.

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Glossaire des sigles et acronymes utilisés ... 11

Avant-propos ... 15

Remarque liminaire ... 18

Introduction générale ... 19

Partie 1 : Positionnement épistémologique et éclairages théoriques ... 26

Chapitre 1. Revue de littérature sur les valeurs ... 27

Chapitre 2. Revue de littérature sur le bien-être ... 71

Chapitre 3. Revue de littérature sur les valeurs et le bien-être ... 120

Chapitre 4. Revue de littérature sur les congruences/concordances de valeurs ... 132

Conclusion de partie 1 ... 150

Cheminer ensemble autour des hypothèses générales ... 152

Partie 2. Une approche par questionnaires ... 157

Chapitre 1. Méthodologie du temps 1 ... 158

Chapitre 2. Résultats du temps 1 : place et rôle des valeurs dans le bien-être au travail ... 196

Partie 3. Une approche par entretiens ... 229

Une méthode mixte ... 230

Chapitre 1. Méthodologie du temps 2 ... 233

Chapitre 2. Résultats du temps 2 : Approche compréhensive du lien entre système de valeurs et bien-être des enseignants d’EPS ... 253

Partie 4. Discussion générale ... 313

Conclusion : de la recherche à l’action ... 345

Bibliographie ... 349

Tables ... 391

Table des figures ... 391

Table des tableaux ... 393

Table des matières ... 395

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Glossaire des sigles et acronymes utilisés

APSA Activité Physique Sportive et Artistique

BO Bulletin Officiel

CAFEP/CAPEPS Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Enseignement dans les Établissements Privés sous contrat du 2nd degré/Certificat d'Aptitude au Professorat d'Éducation Physique et Sportive

CNESCO Conseil National d'Évaluation du Système Scolaire EREA Établissements Régionaux d’Enseignement Adapté

ESS European Social Survey

HBSC Health Behaviour in School-aged Children

INSPÉ Institut National Supérieur du Professorat et de l'Éducation LEGT Lycées d’Enseignement Général et Technologique

LP Lycées Professionnels

Lycée Poly Lycées Polyvalents

MEN Ministère l’Éducation nationale devenu par ailleurs depuis le ministère l’Éducation nationale et de la Jeunesse le 16 octobre 2018

MGÉN Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale

OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques ONU Organisation des Nations-Unis

PISA Program for International Student Assessment

PVQ Portait Values Questionnaire (questionnaire de valeurs par portraits) PVQ-eps questionnaire de valeurs par portraits opérationnalisé en EPS

REP Réseau d’Éducation Prioritaire

SIVIS Système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire SNEP Syndicat National de l’Éducation Physique

STAPS Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives SV-eps Système de valeurs opérationnalisé dans le contexte de l’EPS SV-gen Système général de valeurs

TALIS Teaching And Learning International Survey

UNESCO Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la Science et la

Culture

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« Le désir de vivre heureux ou de bien vivre, de bien agir est l’essence même de l’homme »

Spinoza, L'Éthique, Livre III, 1675

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Au début de ce travail de thèse, j’étais professeur d’EPS dans l’enseignement secondaire.

J’avais choisi d’être enseignant car il me semble que c’est un métier où l’humain et le partage sont au cœur de la relation de travail. Je pense en effet « qu’il n’est de richesse que d’hommes » (Bodin, 1576, livre V, en-tête chapitre II). Dès lors, je souhaitais contribuer à l’épanouissement des élèves par l’apprentissage et partager ces expériences avec mes collègues enseignants. Cet engouement est dicté par ma curiosité pour l’être humain et cette envie de comprendre et de mesurer ce qui le rend heureux. L’étude des valeurs est naturellement devenue mon objet d’étude.

J’étais d’autant plus persuadé qu’il existait un lien entre le bien-être et les valeurs d’une personne qu’avant mon entrée dans l’enseignement secondaire, j’ai multiplié des expériences à la fois pratiques et théoriques qui m’ont conforté dans mes intuitions. Le premier travail que j’ai mené a été mon mémoire de Master 1. Il portait sur l’impact des relations entre l’enseignant d’EPS et les élèves sur les violences scolaires dans les milieux difficiles. Mes lectures de l’époque m’ont fait prendre conscience de la porosité entre le social, l’affectif et l’impossibilité de dissocier les deux dans les faits. En effet, le travail de thèse de Virat (2014) sur la relation affective entre les enseignants et les élèves montre qu’une relation positive est bénéfique, pour les deux parties, autant dans l’école qu’à l’extérieur. D’autres études ont montré un lien puissant entre le climat scolaire, la réussite scolaire et la victimation à l’école (Debarbieux et al., 2012). Thépaut quant à lui (1998) montre que le cours d’EPS est un espace privilégié de construction de valeurs morales pour les élèves. Reste que je me posais la question de savoir quelles valeurs sont transmises par les enseignants d’EPS pour répondre à ce besoin de bien-être. Par ailleurs a-t-on vraiment conscience de ce lien ? Est-ce qu’il y a des valeurs plus propices que d’autres pour atteindre ce bien-être ? C’est en voulant répondre à ces questions que j’ai amorcé sans le savoir, cette thèse.

Avant de me lancer concrètement dans cette aventure, j’ai dû faire face à mes propres

contradictions, celles que rencontre souvent le débutant… Suite à l’observation d’une séance lors

de mon année de fonctionnaire stagiaire, mon tuteur m’a demandé : « quel est le message que tu

veux faire passer à tes élèves sur ce cours ? ». Un peu pris au dépourvu, j’ai cherché une réponse

à donner dans mon classeur de projets et objectifs de classe. J’ai alors indiqué que je souhaitais

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faire découvrir de nouvelles façons de se mouvoir et de s’émouvoir par la danse. Cette réponse qui était en réalité sans substance, n’était pas à la hauteur de la question. Et pour cause, je ne connaissais pas mes finalités éducatives ; j’enseignais par isomorphisme, en fonction de ce que j’avais appris ou vécu préalablement, sans me l’approprier. Pourtant mes lectures sur les identités professionnelles (Perez-Roux, 2004) m’ont montré que les profils d’enseignants d’EPS sont multiples et que les enseignants ne peuvent pas s’approprier le contenu des autres. En discutant avec certains collègues, je m’apercevais qu’ils avaient eux aussi des difficultés à formaliser leurs finalités éducatives.

Ce constat a guidé ma réflexion sur les conflits de valeurs entre les contenus d’enseignement du professeur d’EPS et les préoccupations des élèves, sujet de mon mémoire de Master 2. Une des questions posées était « concrètement, quel est votre finalité éducative dans la dernière séquence que vous venez d’enseigner ? ». Les entretiens menés m’ont permis de comprendre que les professeurs qui n’arrivaient pas à formaliser leurs intentions éducatives paraissaient aussi les moins motivés, les moins passionnés. De plus, l’analyse des résultats a permis de donner un éclairage sur les conflits de valeurs entre les enseignants et les élèves. J’avais donc fait le constat de l’impact des dissonances de valeurs entre les enseignants et les élèves et du mal-être que cela procurait sur le vécu des deux parties. Je me suis alors dit « quel drôle de métier que celui d’enseignant et notamment d’enseignant en EPS : les professeurs d’EPS exerceraient ce métier « par conviction » et pourtant, ils n’y prennent pas de plaisir ».

Dans mon premier établissement d’affectation, j’allais régulièrement observer les autres

enseignants. Je constatais alors que le fonctionnement personnel de l’enseignant influençait

grandement les élèves dans leurs apprentissages et leurs ressentis. Si la distinction ne se faisait pas

au niveau didactique, elle s’établissait dans la relation pédagogique. Les styles pédagogiques se

traduisaient par des comportements et des discours propres à chaque enseignant. Je percevais des

valeurs différentes entre les enseignants, entre Bruno, très axé sur le dépassement physique et

l’effort, Marc plus sensible à l’écoute et le respect ou encore Eric pour qui l’entraide et la

coopération sont plus importantes que le reste.

(19)

Et moi dans tout ça ? Une question restait sans réponse : « qu’est-ce que je transmets réellement à mes élèves ? ». J’étais, il me semble, très efficace pour construire des séquences et des séances avec des objectifs et des critères de réussite. Cependant, ces fiches restaient souvent impersonnelles et dépendaient d’ouvrages, de formations. Elles n’avaient aucun sens. Je reproduisais et j’appliquais de façon méthodique ce que l’on m’avait appris.

Après ma titularisation, j’ai gagné en confiance et je me suis approprié les outils d’apprentissage dont je disposais. J’ai pris le temps d’observer les élèves et j’ai pu anticiper le comportement de Loris le timide, celui de Soukaina la bonne élève, de Joaquim l’habile, de Sabrina la sportive et de Kevin le dispensé. Pour en arriver là, il n’était pas obligatoire d’être expert mais d’être pleinement soi et présent à ses élèves.

Ne pas connaître mes finalités et n’avoir pas su les opérationnaliser dans ma discipline lors des tous premiers cours, m’avaient empêché de donner du sens à ce métier que j’avais pourtant choisi. A posteriori, je me suis rendu compte que ce constat était partagé avec les collègues stagiaires et que les valeurs et le bien-être (ou le mal-être) ne sont pas des notions qui sont étudiées dans le cadre de la formation ; ni avec son tuteur, ni en formation initiale, ni même avec les professeurs expérimentés ou retraités. Est-ce que ces thématiques sont incongrues dans le milieu de l’enseignement ? Comment parler de ses difficultés si on croit être le seul à les vivre ? À qui se confier sans montrer ses fragilités sur une année de « titularisation » dont notre avenir professionnel dépend.

Si ces sujets sont évoqués dans la vie courante, les politiques publiques, le développement personnel et le milieu de l’entreprise, la recherche dans l’enseignement tarde à prendre le virage des études « salutogènes » au profit des études pathogènes (Castets-Fontaine, Tuaillon Demésy et Ferréol, 2019 ; Guillet-Descas et Lentillon-Kaestner, 2019). Les analyses « salutogènes » (Antonovsky, 1979) désignent une approche centrée sur les facteurs favorisant la santé et le bien- être (au sens général) et évoquent donc une approche préventive. Il s’agit de recherches qui favorisent le bien-être pour installer les « conditions d’un climat scolaire serein » (Debarbieux et al., 2012).

Cette thèse a vocation de proposer une réflexion dans l’optique du bien-être au travail des

enseignants d’EPS et donc de participer à ce tournant.

(20)

Les discours actuels de l’institution font du bien-être une mission importante de l’École et plus particulièrement du bien-être des élèves. Ces discours s’appuient sur de nombreuses études scientifiques nationales et internationales (e.g., Bacro et al., 2017 ; Tobia et al., 2019), des enquêtes PISA

2

publiées par l’OCDE, le CNESCO

3

, l’UNESCO

4

, le HBSC

5

.

Parallèlement, des études récentes démontrent clairement que le bien-être des élèves est intimement corrélé au bien-être de leurs enseignants (e.g., Van Pettegen et al., 2007 ; Hattie, 2009

; Soini et al., 2010 ; Roorda et al., 2011 pour une méta-analyse ; Roffey, 2012 ; Curby et al., 2014 ; OCDE, 2017), aux relations interpersonnelles enseignants-élèves (Florin et Guimard, 2017), au sentiment de compétences de l’enseignant (OCDE, 2018) et à sa satisfaction professionnelle (TALIS, 2013). Ces différents auteurs parlent de réciprocité du bien-être entre les enseignants et les élèves. En effet, ces études montrent les relations entre la qualité de vie des enseignants et celle des élèves (Rascle et Bergugnat, 2016), les relations entre le bien-être au travail des enseignants et le comportement des élèves, voire même leurs performances, sont amplement démontrées (e.g., OCDE, 2014 ; Renshaw et al., 2015 ; Schleicher, 2018).

Ce travail de thèse a pour objet de s’intéresser au bien-être des professeurs et plus précisément d’ailleurs des professeurs d’EPS et aux éléments qui pourraient en être à l’origine indépendamment de cette interaction avec le bien-être des élèves. Il a donc volontairement été fait abstraction du bien-être des élèves pour se focaliser sur le bien-être des enseignants. L’étude de celui-ci entend participer à atteindre l’objectif commun de nombreux travaux sur le bien-être dans l’école.

1 Dans ce document, le genre masculin est utilisé comme générique par souci de clarté dans le propos et de concision dans l’écriture. Il a à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin. Face à la puissance des mots, la langue française peut paraitre misogyne aux yeux de certains (Viennot, 2018), nous pensons que les mots ne sont pas genrés en soi, pour autant, nous ne pouvons faire fi des traditions et de la culture commune dans l’écriture d’un manuscrit de thèse de doctorat.

2 Pour exemple, l’étude de 2015 Volume III sur le bien-être des élèves https://www.oecd.org/fr/publications/resultats- du-pisa-2015-volume-iii-9789264288850-fr.htm consulté le 06 janvier 2019.

3 Enquête de 2016 dirigé par Florin et Guimard sur le bien-être des élèves à l’école et promotion de leur santé http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/11/sante.pdf consulté le 06 janvier 2019.

4 Pour un suivi mondial à la manière d’un observatoire sur le bien-être des élèves dans le monde : https://gem-report- 2016.unesco.org/fr/chapter/bien-etre/ consulté le 06 janvier 2019.

5 Pour exemple, l’enquête de 2014 sur santé, bien-être des élèves https://eduscol.education.fr/cid47713/enquetes- statistiques.html consulté le 06 janvier 2019.

(21)

Les instances politiques se sont emparées de la question du bien-être des enseignants depuis déjà quelques années

6

. Depuis 2003 (BO n° 35 du 25 septembre 2003) et l’accord du ministère de l’Éducation nationale

7

et de la Mutuelle générale de l'Éducation nationale (2014 ; 2018), il a été relevé qu’il était nécessaire de « développer des actions communes complémentaires à l’école dans les domaines de la santé, de l’aide sociale, de l’éducation et de la formation qui soient plus adaptées à l’évolution actuelle de notre système éducatif et aux besoins de ses personnels »

8

. En 2013, les déclarations portaient sur la nécessité d’« offrir un cadre protecteur aux élèves, aux enseignants ainsi qu’à tous les acteurs intervenant dans l’école » (Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République – juillet 2013).

À l’échelle mondiale, les politiques publiques se sont elles aussi engagées pour le bien-être du personnel enseignant. Ces derniers ont un rôle à jouer pour promouvoir le bien-être (9ième congrès du sommet international sur la profession enseignante, 2019)

9

.

Cet impératif guide les institutions et les recherches scientifiques au point qu’il nous est apparu que ce travail de thèse devait porter sur les nouveaux facteurs explicatifs du bien-être au travail et non pas sur ceux qui expliqueraient un mal-être.

En 2018, l’OCDE déclarait « le moment semble venu pour traiter le problème du bien-être des enseignants » (Traduction libre)

10

(OCDE, 2018, 31). Le Canada s’est alors révélé être le premier pays à mettre en place des mesures pour promouvoir le bien-être des enseignants (ibid., 32). Les études sur le bien-être des enseignants et des élèves se développent. Par exemple et dans

6 Un accord-cadre a été signé en 2014 entre les Ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et

de la Recherche et la mutuelle générale de l’éducation nationale

https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=77757 puis mis à jour en 2018 avec des évaluations, des financements, etc : https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=137663 consulté le 06 janvier 2019.

7 Le ministère l’Éducation nationale est devenu le ministère l’Éducation nationale et de la Jeunesse le 16 octobre 2018 mais par souci de simplification, quel que soit l’époque du texte visé, il sera mentionnée le terme « ministère l’Éducation nationale »

8 https://www.education.gouv.fr/bo/2003/35/MENB0302060X.htm consulté le 06 janvier 2019.

9 http://events.ei-ie.org/events/ei-s-8th-world-congress/event-summary-05cd63e204c54875a6857aa33ce77363.aspx consulté le 06 janvier 2019.

10 “Teacher well-being seems to be an issue whose time has come”.

(22)

la continuité des enquêtes PISA, l’organisme projette de créer un observatoire sur ce sujet à partir de 2021. Autrement dit, après de longues années à focaliser sur les apprentissages, l’école s’ouvre aux logiques sociales sur le climat scolaire, le bien-être, etc. (Murat et Simonis-Sueur, 2015).

S’agissant de la France, des enquêtes récentes apportent des éclairages sur le bien-être des enseignants et notamment des enseignants en EPS

11

. Néanmoins ces enquêtes sont principalement effectuées par des syndicats

12

,

13

et la recherche peine à creuser la question de la prévention. Cette recherche est d’autant plus attendue que la génération « millenials » ou génération Z (nés dans les années 2000) est plus que les précédentes générations en quête d’un sens qu’elles entendent donner à la fois à leur vie professionnelle et à leur vie personnelle (Dalmas, 2016). Ce constat est effectué en France (Gentina, 2019) comme en Europe (Scholz et Rennig, 2019).

Plus précisément, la nouvelle génération recherche un accomplissement de soi (« fulfillment ») dans tous les milieux dont le travail et ce, dès la prise de fonction (Gentina, 2018).

Cette dernière étude montre que les jeunes travailleurs souhaitent comprendre la finalité de leur travail ; la stabilité matérielle ne serait plus suffisante. Également et face à l’accélération sociale (Rosa, 2010 ; Rosa et Chaumont, 2012), ils recherchent davantage de lien social dans le travail.

Parallèlement, il y a eu une remise en question de l’autorité, celle de l'école et de la famille qui ne sont plus perçues comme les autorités bénéficiant d’une exclusivité dans la transmission de compétences cognitives et des vertus morales (Dubet, 2002). Dorénavant, l’individu cherche le sens de sa propre existence en dehors des schémas scolaires et familiaux.

Le discours de l’école et de la famille prônant la valeur travail comme ascenseur social semble être rejeté par la génération Z. La nouvelle génération ne veut pas travailler « à tout prix » et « perdre sa vie à la gagner » (Gentina et Delecluse, 2018). De fait, la quête de sens amène à la recherche du bien-être professionnel et donc à refuser un travail asservissant. À ce titre, Creusier (2013) montre que les individus de la génération Z sont généralement plus heureux que la génération Y (nés dans les années 1980-1999), à la même période de la vie (Patton et al., 2016).

La génération Z donnerait plus d’importance à son bien-être au travail qu’à la rémunération (Creusier, 2013).

11 https://www.snepfsu.net/sante/doc/20170925_Livret_penibilite_SNEP_2017.pdf consulté le 21 mai 2019.

12 http://www.unsa-education.com/spip.php?article3317 consulté le 21 mai 2019.

13 https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-veran/blog/260318/retour-sur-les-barometres-unsa-education-en-2018-ou-en- sont-les-enseignants#_ftn1 consulté le 21 mai 2019.

(23)

Aujourd’hui, les termes de « burnout » (épuisement professionnel), de « bore-out » (épuisement par l’ennui) et de « brown-out » (manque de sens) ont pris place pour évaluer une expérience négative au travail (Baumann, 2018). Le concept de « brown-out » (littéralement panne de courant) est le plus récent dans la littérature. Il s’agit de la perte de sens dans son travail (ibid.).

Ainsi, la quête de sens c’est aussi la recherche d’un bien-être au travail car le travail n’est plus perçu comme une simple source de revenus mais bien comme un outil d’épanouissement personnel.

Dès lors, le respect des valeurs individuelles dans l’emploi amène du sens (Dalmas, 2016) et peut être un facteur de bien-être.

Les études scientifiques du CNESCO (e.g., Rascle et Bergugnat, 2016 ; Florin et Guimard, 2017) étudient largement le bien-être à l’école, ce dernier est devenu un objet d’étude scientifique à part entière. En effet, il nourrit désormais la curiosité des chercheurs et constitue un véritable objet de recherche au niveau national et international. Les conférences et les colloques internationaux sur le bien-être dans l’éducation sont légion. Huit évènements scientifiques internationaux ont été organisés lors des deux dernières années : à Paris (France)

14

, à Locarno (Suisse)

15

, Toronto (Canada)

16

en 2017 ou encore à Buckingham (Angleterre)

17

, à Édimbourg (Écosse)

18

, à Portland (États-Unis)

19

en 2018 et enfin deux colloques en 2019 en Australie (sur quatre pôles universitaires : Brisbane, Melbourne, Sydney puis Fremantle)

20

et à Nantes (France)

21

. La création d’observatoires internationaux sur le bien-être

22

, de centre de recherche académique

23

, de centres de diffusion et d’appui à l’action publique, la création en 2017 d’une revue scientifique francophone également : « sciences et bonheur »

24

ainsi que la reconnaissance internationale avec un large rayonnement de la revue « journal of happiness »

25

(créé en 2000) mais aussi de sources

14 https://well-being-educ.sciencesconf.org/program consulté le 06 janvier 2019.

15 http://www2.supsi.ch/cms/wellbeing/ consulté le 06 janvier 2019.

16 https://www.edcan.ca/event/well-being-a-key-to-success/ consulté le 06 janvier 2019.

17 https://www.buckingham.ac.uk/event/the-ultimate-wellbeing-in-education-conference/ consulté le 06 janvier 2019.

18 https://www.ads.org.uk/education_buildings2018/ consulté le 06 janvier 2019.

19 https://www.naspa.org/events/2018scwhpl consulté le 06 janvier 2019.

20 http://www.positiveschools.com.au/index.html consulté le 06 janvier 2019.

21 https://www.cnesco.fr/fr/qualite-de-vie-appel-a-communications/ consulté le 06 janvier 2019.

22 http://www.cepremap.fr/bien-etre-travail-et-politiques-publiques/observatoire-bien-etre/understanding-well-being/

consulté le 06 janvier 2019.

23 http://cep.lse.ac.uk/_new/research/wellbeing/ consulté le 06 janvier 2019.

24 https://sciences-et-bonheur.org consulté le 06 juillet 2019.

25 https://www.springer.com/social+sciences/wellbeing+%26+quality-of-life/journal/10902 consulté le 06 juillet 2019.

(24)

de données partagées et comparées au niveau européen et mondial

26

. Ils proposent de nombreuses ressources empiriques notamment à des fins comparatives. Ainsi, apparaît un large consensus autour du fait qu’une bonne éducation nécessite un professeur qui se sent bien (Roffey, 2012).

Ainsi, tous ces éléments témoignent du défi mondial que représente cet objet de recherche et de la dynamique scientifique qui y est associée.

Le bien-être à l’école est par ailleurs un objet étudié dans tous les domaines disciplinaires : de la psychologie à la psychanalyse, de l’anthropologie à la sociologie, en passant par la neurologie et les sciences de l’éducation. On comprend alors pourquoi le bien-être à l’école inquiète autant qu’il fascine (e.g., Spinoza, Rousseau et de nombreux autres philosophes). Il s’agit de deux des dix-sept objectifs de développement durable fixés en septembre 2015 par l’ONU

27

pour 2030 : il faut « donner les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de tous à tous les âges

» et « obtenir une éducation de qualité ». Ainsi, l’école prend une place centrale dans l’éducation au bien-être. Étudier le bien-être en éducation, c’est donc s’inscrire dans une actualité scientifique et dans les objectifs des enseignants.

La mise en place des valeurs dans l’école correspond à un impératif politique, elles se retrouvent à l’aune d’une considération récurrente de la part des législateurs. En effet, « La République "a fait" l’École dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Puis l’École "a fait" la République en construisant un savoir-être, une capacité d’argumentation, une culture de la raison et du jugement, en transmettant les valeurs républicaines et humanistes et en favorisant l’adhésion à ces valeurs » (MEN, 2015)

28

. À l’instar de la « grande mobilisation pour les valeurs de la République »

29

, la première des onze mesures est de « renforcer la transmission des valeurs de la République »

30

. Dorénavant, elles sont évaluées dans les concours de recrutements au professorat depuis 2015

31

.

26 http://www.cepremap.fr/bien-etre-travail-et-politiques-publiques/observatoire-bien-etre/additional-resources-and- perspectives-on-well-being/#Sites_Internet_pedagogiques consulté le 06 janvier 2019.

27 https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/health/ consulté le 31 juillet 2019.

28 En-tête du texte sur les onze mesures pour une grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République du 22 janvier 2015.

29 http://www.education.gouv.fr/cid85644/onze-mesures-pour-un-grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs- de-la-republique.html du 22 janvier 2015 consulté le 15 mai 2018.

30 Les valeurs de la République sont ramenées au centre du débat avec les nouveaux programmes de 2015 et notamment l’« enseignement moral et civique » https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=90158 consulté le 12 mars 2019.

31 Par exemple, le rapport du jury au Capeps externe demande aux candidat.e.s de « mesurer les dimensions éthique et déontologique du métier qu’ils ambitionnent » avec une section entière sur les valeurs de la République. Il en est de

(25)

Si les valeurs affichées sont claires, elles semblent s’opérationnaliser différemment sur le terrain (ibid.). En France, les enseignants ne semblent pas être formés à l’éducation aux valeurs (Beitone et Hemdane, 2018). En effet, les enseignants ne se reconnaissent pas toujours dans les valeurs prescrites dites « de la République » (Ménard et Lantheaume, 2019). Plus encore, un décalage est noté entre les « valeurs » prescrites par l’institution, les « valeurs énoncées » par les enseignants et leurs valeurs en acte (ibid.).

De plus, il n’y a pas de déclarations de valeurs qui comptent, il n’y a que des actes révélant des valeurs qui s’imposent. Or en pratique, les enseignants évoquent la prolifération des préconisations descendantes (Rayou, 2017), la complexification du travail (Félix, 2012), le nombre croissant d’exigences académiques (Bryk, 2017) et une gouvernance « pyramidale et inhumaine » (Debarbieux, 2017, 17). De plus, les enquêtes internationales accablent le système français de reproduire des inégalités (PISA, 2012 ; PISA 2015)

32

. Dès lors, les valeurs réellement transmises ne sont pas celles prônées. Face à ces postures distinctes et toutes ces informations, les professeurs se retrouvent isolés et en manque de réponses face à ces défis sociaux (Beitone et Hemdane, 2018).

Le contexte actuel montre que les enseignants s’interrogent sur leur métier, sur les moyens alloués par l’État pour mener à bien leur mission

33

. La littérature révèle un « malaise enseignant » (Hélou et Lantheaume, 2012) et des difficultés spécifiques dans le travail d’enseignant (Nunez Moscoso et Murillo, 2017). Dans ce même sens, ne faudrait-il pas construire l’École de la Confiance à partir d’un travail sur ses valeurs et leurs mises en œuvre pour davantage de cohérence et de bien-être ?

même pour le Capeps interne : http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/capeps/95/3/rj-2018-capeps-externe- eps_986953.pdf et http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/capeps/92/7/rj-2018-capeps-interne-eps_976927.pdf Par ailleurs, le dernier champ de questionnement de l'oral 1 à l'agrégation interne « amene le.a candidat.e à dépasser les propositions strictement contextuelles pour envisager une réflexion distanciée qui renvoie notamment aux enjeux éducatifs, à l’éthique professionnelle, aux valeurs de la République » http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/interne/78/4/rj-2018-agregation-interne-eps_983784.pdf consulté le 21 mai 2019.

Par ailleurs, les attentes du concours pour la première épreuve d’admission de l’agrégation externe en EPS « nécessitent de dépasser les seules préoccupations pédagogiques et didactiques propres à la discipline pour entrer en résonnance avec les valeurs de l’école républicaine » http://media.devenirenseignant.gouv.fr/file/externe/54/8/rj-2018-agregation- externe-eps_995548.pdf consulté le 21 mai 2019.

32 https://www.lemonde.fr/education/article/2018/06/12/inegalites-scolaires-la-france-montree-du- doigt_5313518_1473685.html consulté le 06 janvier 2019.

33 https://www.liberation.fr/debats/2019/02/04/seine-saint-denis-luttons-pour-l-avenir-de-nos- enfants_1707317?fbclid=IwAR2992aZBjQS8RJMRMBKe_57JXQhGJKavc4xS_sdpjBWU36kiofw_Hlp8AM consulté le 06 janvier 2019.

(26)

Si l’institution appelle au rassemblement autour de valeurs, comment faire si elles ne sont pas clarifiées, explicitées pour être partagées et défendues ? En effet, le terme de valeur étant multidimensionnel, il est possible qu’il soit compris de manière différente et équivoque par les enseignants stagiaires de la nouvelle génération (Deslandes, Paré et Parent, 2006). L’objectif de former un discours « imposé » dans le corps des enseignants interroge sur leur liberté pédagogique et amène une désolidarisation voire à un désengagement (Castets-Fontaine, Tuaillon-Demésy et Ferréol, 2019). Gonin et Tellier (2018) évoquent ainsi un dilemme éthique.

La thématique des valeurs à l’école « est aussi sensible et complexe que son champ d'application est vaste, affectant tous les niveaux du système et tous ses domaines, tant personnels que professionnels »

34

. En effet, « Il n'y a pas d'éducation sans transmission de valeurs » (Reboul, 1992, 98). Elles se trouvent au centre de la relation pédagogique.

Le bien-être est quant à lui également subjectif car il dépend de la façon dont l’individu évalue sa vie (Diener, 1984). Ainsi, depuis que la littérature montre des liens entre le bien-être et la réussite des élèves (e.g., Romano, 2014) alors le bien-être devient une question vive, un défi de société et permet de repenser la réussite éducative et la réussite scolaire des élèves.

De fait, le bien-être et les valeurs sont des objets de recherche qui placent la personne interrogée au centre des études. Il s’agit donc de thématiques qui méritent des précautions et de la réflexivité dans la posture du chercheur (Yin, 2018). Ces concepts doivent être mesurés indirectement pour limiter la désirabilité sociale (Congard et al., 2012).

À notre connaissance, aucune étude ne donne un éclairage scientifique sur le bien-être au travail des enseignants d’EPS. Sur le terrain, nous avons constaté un vrai mal-être des enseignants qui semblaient répéter des pratiques et se trouver en perte de sens. De fait, quel est le niveau de bien-être au travail des enseignants d’EPS et quels sont les facteurs susceptibles de l’impacter ?

Même s’il y a des impondérables dans l’environnement professionnel (conditions matérielles, etc.), dans la relation éducative, dans la relation pédagogique, il nous semble que les

34 En-tête de la ressource en ligne « Éthique et déontologie » proposée par le MESNR en mars 2018 : http://www.esen.education.fr/fr/ressources-par-theme/gestion-des-ressources-humaines/ethique-et-deontologie/

consulté le 21 mai 2019.

(27)

qualités personnelles, les valeurs de l’enseignant sont une pièce maîtresse du bien-être de l’enseignant d’EPS.

De plus, les professeurs ont et « enseignent » des valeurs différentes. De ce fait, est-ce que certaines valeurs sont plus propices que d’autres au bien-être professionnel ?

Pour cela, nous proposerons en première partie un cadrage épistémologique des concepts clés et le choix de cadres théoriques pour mener à bien ce travail. La synthèse aboutira sur les questions et les hypothèses de recherche. Dans une seconde partie, nous développerons la méthodologie et les résultats du temps 1 provenant d’une étude quantitative par questionnaires.

Tandis qu'une troisième partie se consacrera à la méthodologie et les résultats du temps 2 avec une étude par entretiens permettant d’affiner la compréhension des résultats obtenus à l’issue du temps 1. Enfin, une quatrième partie consistera à discuter les résultats au regard de la littérature existante, des postulats de départ et des hypothèses émises, de proposer des implications et des perspectives de recherche.

L’objet de ce travail de thèse sera donc d’examiner en profondeur le lien entre le profil de

valeurs des enseignants d’EPS de l’académie de Lille et leur bien-être au travail.

(28)

théoriques

« La vérité, ce n'est point ce qui se démontre. Si dans ce terrain et non dans un autre, les orangers développent de solides racines et se chargent de fruits, ce terrain-là c'est la vérité des orangers. Si cette religion, si cette culture, si cette échelle de valeurs, si cette forme d'activité et non telles autres, favorisent dans l'homme cette plénitude, délivrent en lui un grand seigneur qui s'ignorait, c'est que cette échelle des valeurs, cette culture, cette forme d'activité sont la vérité de

l'homme. La logique ? Qu'elle se débrouille pour rendre compte de la vie »

de Saint-Exupéry, 1939, 211

Cette partie interroge, explore et définit les concepts principaux de cette thèse. Les quatre chapitres qui vont suivre ont pour dessein de présenter les recherches sur les thématiques du bien- être et des valeurs et notamment les cadres théoriques qui seront mobilisés.

Des « encadrés » permettent à l’issue des chapitres de retracer le cheminement théorique en montrant comment l’étude approfondie de la littérature a permis d’affiner la problématique de la thèse.

Le chapitre 1 se centrera sur l’étude des valeurs.

Le chapitre 2 développera une revue de littérature sur le bien-être en général puis dans le contexte du travail et en éducation.

Le chapitre 3 présentera les études et les modèles conceptuels qui traitent des deux modèles de manière concomitante.

Le chapitre 4 évoquera les travaux sur les congruences/concordances de valeurs.

Enfin, la problématique de la thèse, précisant l’objet d’étude ainsi que les hypothèses,

concluront cette première partie.

(29)

La figure 1 présente une analyse de similitude avec les occurrences et les cooccurrences de la revue de littérature sur le bien-être de la présente recherche. L'indice de regroupement est la cooccurrence des termes. La taille de la police dépend de l’occurrence (fréquence) du terme. Cette figure fait émerger le contenu du texte et montre que le concept de valeur structure cette partie. La légende montre le nombre d’occurrences pour chaque terme du graphique.

35 La présentation a été réalisée sous Iramuteq nécessitant le package « iGraph de R » avec la méthode de l’algorithme de Fruchterman-Reingold (1991). Une lemmatisation a été effectuée pour enlever les mots non porteurs de sens. Seules les occurrences supérieures à 45 ont été gardées pour plus de lisibilité dans la représentation.

Plus le mot est cité dans les réponses plus sa taille est grande : même si l’agencement des mots est fonction de leur occurrence et donc de la taille de police, attention plus le mot contient de lettre, plus il est visible. Il s’agit d’une erreur de lecture. Par exemple, le mot enseignemant est cité « seulement » 90 fois alors que le mot schwartz est cité 132 fois.

Figure 1. Graphe de similitude des mots de la revue de littérature sur les valeurs35

Légendes : valeur (631) schwartz (132) travail (125) étude (104) individu (96) enseignant (90) social (77) contexte (63) modèle (61) montrer (56) comportement (54)

système (46)

(30)

1 Clarification théorique du concept de valeurs 1.1 Un objet d’étude éternellement contemporain

1.1.1 Une évolution des valeurs sociales

La littérature montre que les valeurs changent avec le temps et cette modification diffère d’une société à l'autre (Taneri et Akgunduz, 2018). Si les valeurs sont un objet de recherche historiquement très étayé

36

, une importance accrue dans la mesure des valeurs a été récemment constatée. Des observatoires de valeurs ont été développés en Europe pour permettre de suivre les changements de manière longitudinale. Les deux plus importants sont l’« European Values Study »

37

(EVS - avec cinq études depuis 1981) avec des objectifs sociologiques pour comprendre les tendances de fond des évolutions des opinions en Europe et l’« European Social Survey »

38

(ESS - étude biennale depuis 2002) dans une optique plus psychologique dans laquelle les valeurs sont catégorisées comme des motivations pour comprendre les comportements. Le « World Value Survey »

39

est une enquête identique à l’EVS réalisée tous les quatre ans au niveau mondial. Ces enquêtes soulignent que les valeurs ont largement évolué en France et en Europe (Bréchon et Galland, 2010) et que les différences entre les valeurs des adultes et des enfants sont de nos jours presque effacées (Galland et Lemel, 2006). Par exemple, la valeur d’obéissance chute au profit de la valeur d’autonomie (Bréchon, 2003). Ainsi, les valeurs évoluent et sont dynamiques (Bréchon, 2003 ; Maio et al., 2009).

Ces enquêtes évoquent une évolution constante des valeurs dans la société contemporaine et elles soulignent que l’école a du mal à suivre ces évolutions (Brechon, 2019). En effet, l’école a un rôle décroissant sur les valeurs de la population (Beitone et Hemdane, 2018). Si les structures de socialisation primaire dont fait partie l’école participent à la cohésion sociale pour faire société, il semble que son rôle dans la formation du citoyen décroît. Ainsi, une contradiction existe dans les valeurs morales que souhaite transmettre l’école entre les injonctions à l’ouverture et le recentrage

36 Aristote, catégorisait déjà le « Bon », en fonction de différentes « manières d'être » comme le « plaisant », l'« utile » et le « beau » comme le stipule Beaufret (1973, 184).

37 https://europeanvaluesstudy.eu consulté le 31 juillet 2019 et publication de leur données de 2017 sur le site : https://dbk.gesis.org/dbksearch/sdesc2.asp?no=7500&db=e&doi=10.4232/1.13090

38 https://www.europeansocialsurvey.org consulté le 31 juillet 2019 et publication de leur données de 2016 sur le site : https://www.europeansocialsurvey.org/download.html?file=ESS8e02_1&y=2016

39 http://www.worldvaluessurvey.org consulté le 31 juillet 2019 et publication de leur données de 2015 sur le site : http://www.worldvaluessurvey.org/WVSDocumentationWV6.jsp

(31)

autour des valeurs traditionnelles (Chauvigné et Fabre, 2018). Les idéaux républicains se sont construits autour de la culture tout en prônant la liberté individuelle (Condorcet, 1793). Dès lors, des confusions se développent entre la rigidité de valeurs fondamentales comme l’obéissance et des valeurs nouvelles comme l’autonomie. Il semble que dorénavant les valeurs passent par d’autres structures de socialisation et elles évoluent largement dans la société. Les comportements mettent en application ces dernières et soulignent un écart flagrant par rapport au XXème siècle.

1.1.2 Les valeurs : à la fois individuelles et collectives

La littérature montre que les valeurs sont des constructions sociocognitives et sont donc construites dans des processus sociaux (Bojanowska et Piotrowski, 2018). Si d’un côté, les récits et les expériences vécues tissent le support de la transmission de valeurs (Maio et al., 2009 ; Bardi et al., 2014). De l’autre et de manière collective, les valeurs sont le socle qui fait consensus pour une culture (Beitone et Hemdane, 2018). Ainsi, les oscillations entre la culture des valeurs communes et l’ouverture personnelle à d’autres valeurs s’articulent pour construire de nouvelles valeurs (Galland et Lemel, 2006). La dynamique est progressive car les valeurs sont interdépendantes entre elles et s’impactent les unes les autres (Maio et al., 2009). Ainsi, il semble que l’évolution des valeurs amène un changement social et la réaction sociale catalyse la modification des valeurs. De fait, les valeurs sont à la fois un point d'ancrage au creuset du développement de chacun et les fondations d’une société. Ces doubles paramètres sont à la croisée des sciences humaines et sociales et notamment au creuset entre la focale déterministe et l’individuation. Ils soulignent la complexité et l’importance que revêtent les valeurs dans la trajectoire collective et individuelle. Ces réflexions amènent à réfléchir autour de deux approches scientifiques principales, la sociologie des valeurs et la psychologie des valeurs.

Même si ces mécanismes interagissent en complémentarité, les valeurs sociales orientent

les actions des individus dans une société et nécessitent d’être partagées. Elles touchent donc, à la

fois le commun et le singulier. Elles sont communément un « antidote » et un acte de « tradition »

pour la société (Chauvigné et Fabre, 2018, 1). En effet, « l’unité d’une société se fonde sur des

valeurs partagées, sur des « idéaux collectifs » transmis aux individus » (Durkheim cité par

Galland et Roudet, 2012, 53). Durkheim (1912) souligne que ce sont des fins idéales. Ainsi une «

société ne peut ni se créer ni se recréer sans [...] créer de l’idéal » (ibid., 602). En effet, les valeurs

s’étudient dans le rapport à une norme, elle-même élaborée à partir d’une « hiérarchie de valeurs »

(32)

(Reboul, 2016, 105). Mais dans une optique plus psychologisante, elles sont un des aspects de la personnalité (McAdams et Pals, 2006). Ainsi, ce tout structure les valeurs de façon dynamique par rapport à chaque individu. Dès lors, les valeurs sont à la fois individuelles et collectives.

1.2 Définitions des valeurs

1.2.1 Un caractère polymorphe

La littérature montre que les valeurs revêtent un caractère polymorphe. Elles renvoient à un continuum flou entre le bien et le mal dans l’espace social de chaque individu (Renaud, 2015).

Elles sont donc au centre d’enjeux qui se sont développés et se construisent autour de débats et de controverses, notamment au niveau épistémologique (le bien et le mal). Depuis le début des sciences sociales, les chercheurs sont convaincus de l'utilité théorique et empirique du concept de

« valeur » (Davidov et al., 2014). Le « mot » est la fois polysémique et multidimensionnel

40

. Ainsi, nombreuses sont les sciences qui se sont emparées de cette notion pour caractériser les valeurs d’une société ou des individus voire suivre leurs changements au cours du temps (Weber ou Durkheim en sociologie, Scheler ou Nietzsche en philosophie, Vernon et Allport ou Hostede en psychologie, etc.). Les sociologues ont souligné le rôle crucial des valeurs dans l'organisation de la vie sociale (Davidov et al., 2014). Pour les psychologues, elles sont des éléments essentiels de la personnalité de l’individu, étant à la fois des principes directeurs pour les attitudes et pour le comportement (Rokeach, 1973 ; Schwartz, 1992). Le croisement de ces définitions permet de constater la différence de focale entre les travaux en sociologie et psychologie, mais aussi avec d’autres disciplines connexes. Le terme est au centre de nombreuses contradictions tant le contraste entre l’omniprésence du thème et la « pauvreté de ses conceptualisations, voire son absence comme objet de recherche à part entière » (Heinich, 2006, 288) est prégnant. En recherche, Schwartz (2006) évoque une absence de consensus. En effet, le concept est souvent à la croisée des chemins selon le cadre théorique et la science de rattachement.

40 Le Trésor de la Langue Française en donne cinq définitions (De la valeur monétaire mesurable ; à la mesure d'une grandeur ; en passant par la qualité physique, intellectuelle et morale d’une personne ; mais encore aux qualités intrinsèques d’une chose ; à l’importance estimée par un jugement subjectif ou enfin à un caractère, qualité de ce qui est désiré, estimé parce que donné et jugé comme objectivement désirable ou estimable. Dès lors le pas est grand entre la valeur marchande (valeur intrinsèque d’un objet), la valeur algébrique ou absolue, l’homme de valeur morale ou personnelle, mais encore à l’importance accordée à quelque chose ou encore tout ce qui est jugé comme objectivement désirable (valeur esthétiques, morales, scientifiques, système de valeurs, valeurs humaines, communes, …) consulté le 12 mars 2019 à l’adresse : https://www.cnrtl.fr/definition/valeur

(33)

Les approches conceptuelles sont nombreuses

41

et nous ne pouvons toutes les définir.

Toutefois, des éléments récurrents se retrouvent dans les définitions en sociologie, psychologie, philosophie et les différencient entre elles. En sociologie, les travaux de Katz (1963) sont régulièrement cités dans une optique déterministe et précisent qu’elles sont « des expressions des besoins ou leurs manifestations influencées par la culture » (13). En complément, Boudon et Bourricaud (1982) précisent qu’elles « représentent des préférences collectives qui apparaissent dans un contexte institutionnel et participent à sa régulation » (664). Enfin selon Rezsohazy (2006), « c’est ce que les hommes apprécient, estiment, désirent, recommandent voire proposent comme idéal » (5). Dès lors, en sociologie, les valeurs émanent du processus de socialisation de l’individu. Galland et Lemel (2006) explicitent que « les valeurs constituent une notion extrêmement générale si l’on retient comme définition qu’elles sont l’expression des orientations profondes et des croyances collectives d’une société » (683). Dans une optique plus psychologique, Rokeach évoque une « croyance persistante qu’un mode spécifique de conduite ou un but de l’existence est personnellement ou socialement préférable à un autre » (1973, 5). Selon Schwartz et Bilsky, « le système de valeurs correspond à l’adhésion des individus à des objectifs permettant de satisfaire des intérêts appartenant à des domaines motivationnels et ayant une importance plus ou moins grande dans la vie de tous les jours » (1990, 557). Dès lors, en psychologie les valeurs sont davantage des principes directeurs qui se rapportent à des états ou comportements finaux souhaitables et qui transcendent les actions ou les situations spécifiques. Elles permettent de faire des sélections ou des évaluations d’actions, des personnes, des phénomènes ou des faits (Schwartz et Bilsky, 1990 ; Schwartz, 2006). Elles guident la sélection ou l’évaluation du comportement et des évènements et sont classées par importance relative (Schwartz, 1992). Elles font davantage référence à l’individu en dehors de son groupe social. Dans une optique philosophique et pluridisciplinaire, les valeurs sont des « préférences inter-subjectivement partagées » (Habermas, 1998, 278). Cette définition reprend les deux approches de manière globale et souligne la place centrale des valeurs dans la façon d’être, de parler, de ressentir et implicitement dans la manière d’enseigner pour notre objet d’étude. Ainsi, les valeurs rassemblent les idéaux auxquels les

41 Nous citons par exemple les théories irrationnelles basées sur l’intuition (Scheler), les théories rationnelles absolutistes (Kant) et les théorie rationnelle contextualiste (Weber) à partir soit de la position sociale (Marx ou Durkheim), ou des décision (Nietzsche), du psychique (Freud) et qui s’ancrent respectivement dans des approches utilitariste, naturaliste, culturaliste, etc. comme l’évoque Boudon (1999)

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membres d'une société adhèrent et elles ont un degré d’importance différent en fonction de ce qui importe dans la vie de l’individu.

1.2.2 D’une approche générale vers un cadre en psychologie sociale Une étude de la littérature précise que le cadre le plus répandu pour mesurer les valeurs humaines est la psychologie sociale. Les différentes définitions recensées dans la littérature en psychologie sociale ont permis à Schwartz et Bilsky (1990) de faire ressortir cinq dimensions centrales communes dans les travaux : elles sont des concepts ou des croyances, elles portent sur un état final désirable ou sur un comportement, elles transcendent les situations spécifiques, elles guident l’évaluation ou la sélection des comportements ou des évènements et enfin elles peuvent être ordonnées en fonction de leur importance relative. Schwartz (1994) structure davantage l’utilisation du concept. Elles servent de principes qui guident la vie. L’auteur décrit les valeurs comme « des convictions relatives à des modes de conduites désirables, selon un ordre d’importance pour guider les grands principes de vie d’une personne ou d’une entité sociale » (Schwartz, 1994, 20). Elles leur donneraient la direction et l’intensité émotionnelle. En effet, « les valeurs peuvent être définies comme des systèmes d’évaluation sociale qui résultent d’une interaction dynamique entre l’individu et la société (…) les valeurs peuvent être considérées comme normes culturelles du jugement social » (Fischer et Schwartz, 2011, 17). In fine, elles se construisent et se reconstruisent dans un processus dynamique à moyen ou long terme (Rokeach, 1973). Cette comparaison implique que les valeurs sont l’essence des actions. Cette adhésion se traduit par l’intégration de normes sociales qu'il convient de respecter et de mettre en application en comportement. Par exemple, le respect d'autrui se traduit par des règles de politesse. Ainsi, les valeurs permettent de prédire les comportements (Schwartz et al., 2012). Ainsi, le système de valeurs représente l’identité propre et singulière de l’individu (Schwartz, 2006). À l’instar de Barreau et Riondet (2019), les valeurs humaines sont des qualités morales, des attitudes et des comportements qui méritent d’être défendus par l’individu et qui profitent à son développement humain. De fait, elles sont liées aux représentations de l’individu. Toutefois, il n’y a pas de déclarations de valeurs qui comptent, il n’y a que des actes révélant des valeurs qui tiennent.

Dans notre travail, les valeurs sont définies comme des buts désirables en fonction de ce qui vaut

la peine pour l’individu et elles se traduisent en comportements et en attitudes. Elles transcendent

les situations et elles s’ordonnent par nécessité.

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