Pyoderma gangrenosum et maladie de
Behc¸et : e´tude de 2 observations pe´diatriques
Pyoderma gangrenosum and Behc¸et’s disease: A study of two pediatric cases
F. Halia,*, K. Khadira, S. Chiheba, K. Bouayadb, N. Mikoub, H. Benchikhia
aService de dermatologie ve´ne´re´ologie, centre hospitalier Ibn Rochd, Casablanca 20220, Maroc
bService de pe´diatrie 5, hoˆpital d’enfants, centre hospitalier Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
1. Introduction
Le pyoderma gangrenosum (PG) est une affection cutane´o- muqueuse inflammatoire, pustulo-ulce´reuse, amicrobienne, de cause inconnue et d’e´volution souvent chronique [1]. Il s’agit d’une dermatose rare survenant habituellement chez l’adulte mais pouvant atteindre les enfants et les nourrissons dans environ 4 % des cas [2]. Une pathologie associe´e est pre´sente dans plus de la moitie´ des cas, le plus souvent une rectocolite ulce´ro-he´morragique[2]. En revanche, son associa- tion a` une maladie de Behc¸et (MB) n’est pas habituelle[3].
Nous en rapportons 2 observations.
2. Observations
2.1. Observation no1
Une petite fille aˆge´e de 11 ans avait pour ante´ce´dent familial des cas de MB (une tante et une cousine paternelles, et un cousin maternel). La MB avait e´te´ diagnostique´e chez elle devant une aphtose buccale re´cidivante depuis l’aˆge de 8 ans(fig. 1), un
aphte ge´nital, des le´sions de pseudofolliculite des fesses et un test pathergique positif. L’examen ophtalmologique n’avait pas montre´ d’atteinte oculaire. Le typage HLA (antige`nes des leucocytes humains) avait mis en e´vidence l’Ag HLA-B5. Un traitement par colchicine avait e´te´ instaure´ en mai 2006 avec une bonne e´volution. En mars 2008, l’enfant pre´sentait des ulce´rations multiples des 2 jambes, peu profondes, a` bords sous mine´s de coloration rouge violine. L’e´tude anatomopatholo- gique de la biopsie cutane´e de la bordure d’une le´sion montrait un infiltrat dermique polymorphe a` pre´dominance de polynu- cle´aires neutrophiles. Un traitement corticoı¨de par 1,5 mg/kg par jour d’e´quivalent prednisone permettait un de´but de cica- trisation cutane´e(fig. 2). Deux semaines plus tard, elle pre´- sentait un syndrome de de´tresse respiratoire aigue¨ fe´brile avec une he´moptysie de grande abondance et des raˆles cre´pitants a`
l’auscultation. Des opacite´s alve´olaires bilate´rales en aile de papillon a` la radiographie thoracique faisaient suspecter un œde`me aigu pulmonaire le´sionnel sans pouvoir e´liminer une rupture d’ane´vrisme. L’e´volution e´tait rapidement fatale malgre´ les mesures de re´animation.
2.2. Observation no2
Un adolescent aˆge´ de 14 ans, sans ante´ce´dents particuliers, e´tait hospitalise´ pour des ulce´rations cutane´es e´voluant Summary
Pyoderma gangrenosum is a rare neutrophilic dermatosis that affects 4% of children. It is characterized by its association in half of the cases with an underlying disease. The association with Behc¸et’s disease is exceptional and may have a very poor prognosis. We report 2 pediatric observations with fatal outcome.
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Re´sume´
Le pyoderma gangrenosum (PG) est une dermatose neutrophilique rare qui n’atteint l’enfant que dans 4 % des cas. Elle se caracte´rise par son association dans la moitie´ des cas a` une maladie sous- jacente. L’association a` la maladie de Behc¸et est exceptionnelle et peut eˆtre de tre`s mauvais pronostic. Nous en rapportons 2 observa- tions pe´diatriques ayant eu une e´volution fatale.
ß2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
*Auteur correspondant.
Rue 20 No6-8 Missimi, Hay Hassani, Casablanca 20220, Maroc.
e-mail :halifouzia@yahoo.fr Rec¸u le :
1 de´cembre 2010 Accepte´ le : 18 septembre 2011 Disponible en ligne 24 octobre 2011
Fait clinique
1320
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10.1016/j.arcped.2011.09.007 Archives de Pe´diatrie 2011;18:1320-1323
depuis 20 j sans fie`vre et sans alte´ration de l’e´tat ge´ne´ral.
L’examen dermatologique notait la pre´sence de plusieurs ulce´rations a` fond fibrineux et a` bords de´chiquete´s sie´geant au niveau de la fesse, du genou droit et des jambes(fig. 3). Les pre´le`vements bacte´riologiques e´taient ste´riles. La biopsie cutane´e montrait un infiltrat dermique riche en polynucle´aires neutrophiles en faveur d’un PG sans signes de vascularites. Les colorations spe´ciales (Ziehl, acide pe´riodique-Schiff, Grocott Giemsa) e´taient ne´gatives. Le bilan biologique objectivait une ane´mie a` 9,9 g/dl, hypochrome et microcytaire avec un syndrome inflammatoire (vitesse de se´dimentation acce´le´re´e a`
56 mm a` la 1reheure, hyperfibrine´mie). La recherche des anti- corps anti-ADN et antinucle´aires e´tait ne´gative ainsi que la se´rologie des virus d’immunode´ficience humaine VIH1 et VIH2.
La radiographie pulmonaire et l’e´chographie abdominale e´taient sans particularite´s. Au cours de son hospitalisation le malade avait pre´sente´ une rougeur oculaire et l’examen ophtalmologique avait re´ve´le´ une uve´ite interme´diaire et poste´rieure bilate´rale associe´e a` un fort effet Tyndall avec hyperhe´mie papillaire. L’interrogatoire des parents retrouvait
la notion d’aphtose buccale a` re´pe´tition. Le test pathergique e´tait ne´gatif ainsi que le bilan radiologique a` la recherche de thromboses. Une corticothe´rapie par voie ge´ne´rale a` la dose de 1 mg/kg par jour permettait une e´volution favorable marque´e par une cicatrisation cutane´e mais le malade e´tait perdu de vue apre`s sa sortie. Quatre mois plus tard, il e´tait a` nouveau hospitalise´ devant l’apparition de nouvelles le´sions cutane´es justifiant l’adjonction de thalidomide (50 mg/j) a` la cortico- the´rapie. Le controˆle ophtalmologique objectivait une cata- racte sous-capsulaire poste´rieure et un Tyndall vitre´en.
Quelques mois plus tard, le jeune garc¸on de´ce´dait a` domicile dans un tableau de re´cidives des le´sions cutane´es avec de la fie`vre et une alte´ration de l’e´tat ge´ne´ral.
3. Discussion
L’originalite´ de nos 2 observations re´side dans l’association rare de PG a` la MB et de leur survenue chez l’enfant. La MB a e´te´ retenue chez notre premie`re patiente selon les crite`res de l’« International Study Group for Behc¸et’s disease ». Cette petite fille pre´sentait un crite`re majeur et 2 crite`res mineurs (aphtose ge´nitale et pseudofolliculite) ; elle e´tait porteuse de plus de l’antige`ne HLA B5. Dans notre 2nde observation, le diagnostic de MB e´tait fortement suspecte´ devant la notion d’aphtose buccale a` re´pe´tition et l’atteinte oculaire tre`s e´vo- catrice. Le diagnostic de PG avait e´te´ retenu chez nos 2 patients devant l’aspect clinique e´vocateur et l’absence de toute autre cause infectieuse ou vasculaire. L’histologie cutane´e avait e´te´
contributive dans les 2 cas en montrant la pre´sence d’un infiltrat dermique riche en polynucle´aires neutrophiles.
Le PG est une dermatose neutrophilique chronique rare qui atteint pre´fe´rentiellement l’adulte. Sa survenue chez l’enfant a e´te´ rapporte´e dans 4 a` 5 % des cas[4,5]. Dans sa forme typique, il re´alise une ulce´ration superficielle avec des bords violace´s, arciformes, sure´leve´s, de´colle´s. Il n’y a paradoxale- ment ni ade´nopathies ni lymphangite ; la douleur est variable Pyoderma gangrenosum et maladie de Behc¸et
[(Figure_2)TD$FIG]
Figure 2.Ulce´ration de la jambe en voie de gue´rison.
[(Figure_3)TD$FIG]
Figure 3. Ulce´ration de la jambe a` fond purulent et a` bords de´chiquete´s.
[(Figure_1)TD$FIG]
Figure 1. Aphtes buccaux.
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parfois intense. Certaines le´sions peuvent survenir sur des zones de traumatisme (pathergie) [4,5]. Les membres infe´- rieurs constituent le sie`ge pre´fe´rentiel des le´sions. Chez l’enfant, d’autres localisations peuvent eˆtre observe´es notam- ment les fesses, l’extre´mite´ ce´phalique, la re´gion pe´rianale et ge´nitale [2,4,6]. Les associations pathologiques au PG chez l’enfant sont similaires a` celles de l’adulte, cependant quel- ques auteurs ont rapporte´ la fre´quence de l’association avec la rectocolite he´morragique chez l’enfant[2,5]tableau I. L’asso- ciation PG et MB a e´te´ de´ja` de´crite chez l’adulte, une dizaine de cas ont e´te´ rapporte´s[7,8]. Chez l’enfant cette association est exceptionnelle et peut poser un proble`me diagnostique [3]. En effet, au stade de de´but et au cours de la forme pustuleuse du PG, la ressemblance avec des le´sions cutane´es de la MB est possible d’autant plus que le phe´nome`ne de pathergie peut exister dans les 2 affections[8–10], comme chez notre 2ndpatient. D’autres dermatoses neutrophiliques ont e´te´ de´crites en association avec la MB comme le syndrome de Sweet et l’hidrade´nite eccrine neutrophilique[11,12]. Ces chevauchements entre la MB et ces affections pourraient constituer l’expression clinique de 2 maladies auto-inflamma- toires dont la composante ge´ne´tique reste a` de´terminer[13].
Le traitement du PG repose ge´ne´ralement sur la corticothe´- rapie syste´mique seule ou associe´e a` la thalidomide ou a` la
dapsone[14,15]. Dans les cas de PG corticore´sistants, le recours aux autres immunosuppresseurs comme le tacrolimus, la ciclosporine et le mycophe´nolate mofe´til, pourrait eˆtre effi- cace. Actuellement, les anti-TNFaconstituent un traitement prometteur du PG re´fractaire[16]. Le pronostic du PG de´pend de la maladie associe´e et de la gravite´ de la forme clinique du PG. Concernant la MB, sa survenue chez l’enfant est associe´e a`
une atteinte visce´rale pre´coce et grave [5,17]. Dans notre premie`re observation, le PG e´tait survenu 2 ans apre`s le diagnostic de MB et son apparition avait pre´ce´de´ de quelques jours la survenue d’une he´moptysie foudroyante fatale. Dans notre 2ndeobservation, le diagnostic de MB avait e´te´ conco- mitant de celui du PG. L’issue avait e´galement e´te´ fatale apre`s 2 ans d’e´volution, mais les circonstances pre´cises du de´ce`s n’ont pas e´te´ pre´cise´es. Cette e´volution fatale chez nos 2 patients semble eˆtre une complication de l’atteinte vascu- laire se´ve`re au cours de la MB. Dans les autres observations de´crites dans la litte´rature a` propos de la MB complique´e de PG, aucun cas d’atteinte vasculaire des gros troncs n’a e´te´
rapporte´.
4. Conclusion
Le PG est une pathologie rare chez l’enfant. Son association a`
la MB, quoiqu’exceptionnelle, pourrait eˆtre une source de difficulte´s diagnostique et the´rapeutique. Le pronostic est conditionne´ par la se´ve´rite´ de l’atteinte visce´rale de la MB.
De´claration d’inte´reˆts
Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
Re´fe´rences
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Tableau I
Maladies associe´es au pyoderma gangrenosum.
Gastro-intestinales Rectocolite he´morragique Maladie de Crohn Diverticulose colique Ulce`re gastrique ou duode´nal Cirrhose biliaire primitive Rhumatismales He´patite chronique active. . .
Polyarthrite rhumatoı¨de Spondylarthrite ankylosante Polychondrite chronique atrophiante
He´matologiques Leuce´mies (mye´loı¨des,
lymphoı¨des, a` tricholeucocytes) Syndrome mye´loprolife´ratifs Gammapathies monoclonales Mye´lomes multiples
Ne´oplasies Cancers visce´raux
(Coˆlon, vessie, prostate, seins, ovaires, bronches) Tumeur carcinoı¨de Collage´noses
et vascularites
Maladie de Takayashu Granulomatose de Wegener Lupus e´rythe´mateux syste´mique Maladie de Behc¸et
Autres Diabe`te
Dysthyroı¨dies Sarcoı¨dose Post-traumatique
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