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Le philhellénisme, creuset d’un romantisme politique européen ?

Walter Bruyere-Ostells

To cite this version:

Walter Bruyere-Ostells. Le philhellénisme, creuset d’un romantisme politique européen ?. Gérard Raulet. Les romantismes politiques en Europe, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, pp.417-439, 2009. �halshs-01353755�

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Walter Bruyère-Ostells, « le philhellénisme, creuset d’un romantisme politique européen ? », in Les romantismes politiques en Europe, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009, pp 417-439.

Le philhellénisme : creuset d’un romantisme politique européen ?

La guerre d’indépendance grecque attire à son service des hommes venus de toute l’Europe. Dès 1821, les premiers combattants philhellènes se regroupent dans le régiment Baleste, ancien officier de la Grande Armée. On y compte surtout des Italiens. Après l’échec de la révolution piémontaise de 1821, ces derniers sont les plus nombreux à alimenter le philhellénisme. Les Napolitains s’intéressent aussi à la Grèce : le général Rossaroll vient s’installer à Zante, son compatriote, Guillaume Pepe, prend contact avec d’anciens subordonnés devenus chefs militaires de la révolte, comme Kolokotronis. Dans cette première phase, le philhellénisme reste encore un mouvement marginal.

Il prend une ampleur continentale par son recrutement et son écho dans l’opinion à partir des années 1823-24. Il est alors relayé par de grandes personnalités comme Byron et se place au centre des préoccupations artistiques et intellectuelles. Sur le terrain, le corps régulier est réorganisé par le colonel Fabvier. Il accueille des Français mais aussi de nombreux Allemands (notamment étudiants), des Polonais, des Britanniques et toujours des Italiens. A partir de 1827, la reconnaissance par les grandes puissances internationales de la légitimité du combat émancipateur grec est globalement acquise. Le Bavarois Heideck succède à Fabvier.

Par leur renom, les généraux Church ou Cochrane mobilisent les consciences libérales britanniques.

Au cœur de la période romantique, le philhellénisme est un combat qui réunit les

Européens. Il est porteur de valeurs comme le retour vers un passé idéalisé, une fascination

pour les héros et mythes (antiques certes) et un désir d’évasion, proches des idées défendues

par les romantiques. Sur le plan politique, il incarne surtout le combat national et libéral,

teinté de défense de la religion chrétienne. Si l’on reprend une définition formulée par Serge

Bernstein, une culture politique est « l’ensemble des représentations, porteuse de normes et de

valeurs, qui constituent l’identité des grandes familles politiques ». Il convient donc de se

demander dans quelle mesure le creuset intellectuel et militaire qu’a été le philhellénisme a

permis l’affirmation d’un romantisme politique européen. A-t-il porté des représentations, des

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valeurs communes qui débouchent sur des inflexions politiques ? Sans remonter à des racines anciennes, il faut replacer le philhellénisme au sein du processus de poussée libérale et nationale des années 1820 et montrer comment et avec quel degré d’uniformisation il établit un lien entre les différentes formes de romantismes en Europe.

La Grèce, source d’inspiration du romantisme

L’âge d’or de la Grèce se situe bien dans l’Antiquité. Dans la vague d’orientalisme et d’exotisme du romantisme, la guerre d’indépendance permet de susciter l’intérêt autour de la Grèce. En France, l’attrait pour cette source d’inspiration se résume à deux grands thèmes surtout : la fascination pour la révolte populaire et pour la geste héroïque du philhellénisme. Dans Le clocher de Saint-Marc, le poète Jules Lefebvre-Deunier chante la destruction de Psara et la mort de Byron. Victor Hugo lance un vibrant : « Commande-nous, Fabvier, comme un prince invoque ». En 1829, il publie Les orientales. Delacroix a exposé ses Massacre de Chio au Salon de 1824. C’est une vision très sommaire de ce courant qui réduit souvent la révolution romantique à un rejet du choix systématique des classiques pour la période antique.

L’élan est tout aussi enthousiaste en Allemagne. Dans les Chants grecs, Wilhelm Muller affirme : « Nous mourrons s’il le faut pour les Grecs, pour leur témoigner notre reconnaissance pour les sentiments nobles et élevés dont leurs ancêtres nous ont imprégnés (…). Les ombres des grands hommes qui ont foulé ce sol planent sur nous »

1

. L’œuvre de Humboldt a pu influencé la passion philhellénique allemande, sans doute la plus massive du continent. Le philosophe avance l’idée que les Allemands doivent retourner à la Grèce antique s’ils veulent être le peuple qu’ils sont destinés à être. Pour Humboldt, les Grecs ne sont pas un peuple parmi d’autres de l’Histoire mais le seul moment de l’histoire où le divin a tangenté l’humanité

2

. Il rejoint la théorie selon laquelle la Grèce a transféré l’idée d’un peuple élu ou d’un Messie dans la culture païenne. Ce point est essentiel pour comprendre l’engouement particulier des opinions publiques européennes pour la guerre d’indépendance.

1 Muller C., Voyage en Grèce, lettre IV

2 Voir notamment l’article de Glenn W. Most, “Philhellenism, Cosmopolitanism and Nationalism” dans M.

Haagsma (sous la direction de), The impact of Classical Greece on European and National identities, Amsterdam, J.C. Gieben, 2003, 277 p.

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Au fond, l’importance grecque telle que l’appréhende Humboldt se rapproche de la

« grécomanie » des romantiques Schlegel et Hölderlin. Ce dernier insiste également sur la familiarité entre dieux et hommes. Il fait de la Grèce antique la communauté idéale dans le sens où elle a créé un équilibre jugé parfait entre religion et politique

3

. Schelling porte également une partie de sa réflexion sur la divinité (au tour de la trilogie Kronos-Dionysos- Jésus) en lien avec la liberté. Le projet de ces romantiques allemands n’est-il pas de restaurer une vision mythique du monde à partir d’un récit religieux collectif ? Cette nostalgie d’une mythologie politique, cette tradition de récits religieux garantiraient et sanctionneraient l’ordre social en lui attribuant une origine sacrée.

Le romantisme allemand est présenté comme un mouvement de mobilisation. On dénie souvent cette qualité au mouvement français, sous prétexte que ces principaux représentants tournent d’abord leur regard vers le royalisme. Les cercles romantiques se mobilisent pourtant en faveur de la cause grecque. Il reste à déterminer s’ils sont ici les créateurs de la nouvelle vogue ou s’ils la reprennent à leur compte. Il n’en reste pas moins que la guerre d’indépendance est une première prise de conscience pour les romantiques français qu’il y a une certaine cohérence entre leur révolte esthétique et l’idéal de liberté. Elle marque le début du processus de glissement politique des romantiques français de la droite vers la gauche. A la fin de la guerre d’indépendance, cette évolution est amorcée chez Hugo et Lamartine, tous deux philhellènes. A l’instar du rôle de Byron mort à Missolonghi, cet engagement les amène sans doute à prendre conscience de la mission politique du poète qu’Hugo va peu à peu développer

4

et que Lamartine mettra également en pratique en 1848.

La presse joue un grand rôle dans la diffusion de la nouvelle vogue. Le Constitutionnel (Thiers, Cauchois-Lemaire) et la Gazette de France (Perrier, Constant, Broglie) en sont les principaux acteurs en France. En Allemagne, les premiers comités philhelléniques s’ouvrent à l’initiative de journalistes (Thiersch à Munich, Krug à Leipzig). De l’autre côté de l’Atlantique, l’engouement est semblable et les comités américains financeront d’ailleurs une large partie de la flotte grecque. L’impact de la presse sur les opinions publiques explique ensuite l’évolution des politiques des grandes puissances européennes. En France, le développement du philhellénisme sa fait assez librement sous les ministères Decazes et

3 Voir les Œuvres d’Hölderlin publiées par P. Jacottet, Paris, Pléiade, 1967.

4 Hölderlin a une approche similaire de son rôle en Allemagne.

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Richelieu. Avec Villèle, une nouvelle orientation diplomatique se dessine, notamment à travers une aide indirecte à la Turquie. En réaction, en janvier 1824, se forme une « société philanthropique pour l’assistance des Grecs » autour de personnalités d’horizons politiques très différents : des conservateurs comme Chateaubriand ou La Rochefoucauld, côtoient des libéraux comme le banquier Laffitte ou le libraire Firmin Didot. Les brochures se multiplient : l’Appel aux nations de Benjamin Constant, les Considérations sur les Grecs et les Turcs de Genoude ou les Notes sur la Grèce de Chateaubriand.

Le mouvement ne se limite pas aux cercles des salons. Ceci nous amène à la difficulté de placer des bornes chronologiques à une période des romantismes européens. Si l’on prend comme critère une forte imprégnation culturelle dans la société, une « descente vers le bas » politico-culturelle, alors le choix d’une chronologie resserrée s’impose : « l’âge des romantismes européens » débute après la chute de l’Empire et le philhellénisme s’inscrit dans ce moment de rupture

5

. La publication de témoignages de campagnes militaires est alors courante. Les récits de vétérans napoléoniens sur l’épopée de la Grande Armée se multiplient dans cette décennie 1820. Les récits d’hommes partis en Grèce se diffusent largement aussi : en France, ce sont les mémoires de Pouqueville, de Voutier

6

, de Raybaud

7

ou Jourdain

8

,…

Même les chefs militaires versent dans ce nouveau genre d’écrits

9

. D’éducation parfois assez fruste, ces anciens officiers d’Empire insistent sur le caractère particulier de la Grèce. Maurice Persat qui a servi les causes nationales et libérales sous Bolivar, à Naples et en Espagne, déclare à la vue des côtes grecques : « Je n’étais pas très fort en histoire des anciens Grecs ; cependant, je partageai la joie de tous mes compagnons de voyages et, comme eux, je saluai avec enthousiasme la patrie d’Homère, de Léonidas, d’Epimondas, d’Aristide, de Sophocle, de Timothée, de Thémistocle, etc »

10

. Le colonel Voutier recense des chants populaires grecs

11

. Tous deux s’inscrivent dans un souci de construction de l’identitaire national grec.

Voilà une démarche typiquement herderienne, même si l’un et l’autre de nos deux philhellènes ne connaissent probablement pas le philosophe allemand. Plus que des mémoires

5 Dans le courant d’un romantisme national-libéral.

6 Voutier O., Mémoires sur la guerre actuelle des Grecs, Paris, Bossange, 1823, XIV-396 p.

7 Raybaud M., Mémoires sur la Grèce pour servir à l’histoire de la guerre d’indépendance, Paris, Tournachon- Molin, 1824, 2 tomes.

8 Jourdain J.P., Mémoires historiques et militaires sur les évènements de la Grèce depuis 1822 jusqu’à Navarin, Paris, Brissot-Thivars, 1828, 2 volumes.

9 Fabvier C., Chant lyrique sur la Grèce, Paris, Touquet et Cie, 1826, VIII-24 p.

10 Persat M., Mémoires du commandant Persat de 1806 à 1844, Paris, Plon, 1910, XXX-363 p.

11 Lettres sur la Grèce, notes et chants populaires extraits du portefeuille du colonel Voutier, Paris, F. Didot- Bossange-Delaunay, 1826, XXXI-224 p.

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sur leurs campagnes militaires, de nombreux philhellènes publient des écrits proches du récit de voyage où ils s’attardent sur la beauté du pays (il y a de très belles pages dans les écrits de Voutier), sur les mœurs « sauvages » de leurs camarades grecs de combat…

Maurice Persat rapporte sa rencontre avec la Bouboulina, héroïne des débuts de la guerre d’indépendance, énergique guerrière mise en exergue dans la presse de l’Europe toute entière : « On peut deviner quelle fut notre surprise à la vue de cette femme que l’on nous avait représentée à Paris en Jeanne d’Arc, car qui peut avoir oublié cette image que l’on s’arrachait des mains ? Moi-même j’en avais fait l’emplette que je m’empressai de présenter à cette femme, vrai type de nos sales marchandes de fromages des Halles (…)

12

. Elle partit d’un éclat de rire qui nous força à faire chorus »

13

. Le khlephte devient l’archétype de cet homme du peuple qui se bat avec la foi du charbonnier et la rudesse du montagnard qu’il est. Les philhellènes alimentent ainsi le goût pour le populaire et l’exotisme, caractéristique du romantisme, notamment en France. Plus encore que les révoltes nationales contre l’occupant napoléonien, le combat hellène est une manifestation du soulèvement patriotique populaire aux yeux de l’opinion. L’Espagne de la guerre d’indépendance est perçue (notamment en France) comme la preuve de la puissance de l’influence du clergé. En 1812, les Cortès de Cadix mettent en forme les idéaux des élites et non du peuple. La présentation que font les témoins lui penser aux Européens des années 1820 que le peuple est l’acteur majeur de la révolte en Grèce. Ce cliché a sans doute un impact important sur les romantiques français qui célèbreront ce mythe à partir des années 1830 (La liberté guidant le peuple de Delacroix).

Avec l’impact de la Révolution française et son prolongement impérial sur le continent, le fait national et libéral est compris par les gauches européennes comme un des éléments de la modernité. Il y a quelques années, Paul Bénichou avait mis en exergue le diptique romantique Liberté-Foi

14

. Selon lui, il fonctionne selon une logique religion ancienne-religion nouvelle. Pour les intellectuels européens, la Grèce devient à partir de 1824 (année de la venue de Byron) le nouveau pèlerinage de la Liberté en Europe. Objet culturel romantique, la Grèce attire aussi des combattants de toute l’Europe. Souvent marginaux politiquement (républicains, voire radicaux), les premiers sont réellement convaincus de

12 Même si, membre d’une riche famille d’armateurs, la Bouboulina n’appartient pas en réalité aux milieux populaires.

13 Persat M., Mémoires, op. cit., p 80.

14P. Bénichou, Le temps des prophètes. Doctrines de l’âge romantique, Paris, Gallimard, 1977, 585 p.

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pouvoir aider la cause grecque. Au fur et à mesure que le philhellénisme gagne en nombre, son impact politique grandit-il ou se brouille-t-il ?

Une première victoire du libéralisme politique

Au départ, le philhellénisme militaire est surtout un refuge pour les libéraux pourchassés après les échecs des conspirations et révolutions « nationales ». Pour ces hommes pourchassés par les polices de la Sainte-Alliance, la cause grecque s’inscrit dans la continuité de l’action sur le sol national. Elle doit permettre de donner une base territoriale à l’idéal libéral en Europe. La Grèce devient le creuset des combattants libéraux et nationaux de toute l’Europe.

Dans cette décennie 1820, un « contre-monde » national libéral, organisé en archipel, se dessine à travers l’Europe. Les démocrates et monarchistes constitutionnels ont tenté de s’imposer au pouvoir par différentes au début des années 1820 : complots de la charbonnerie française, révolutions de Piémont et de Naples en 1820-21, expérience de l’Espagne constitutionnelle de 1820 à 23. Les liaisons entre les différents réseaux, entre les différents îlots libéraux de cet archipel sont difficiles jusqu’à la guerre d’indépendance grecque, ce qui expliquent les échecs (Espagne par exemple). Le général Lamarque déclare à la nouvelle de le dispersion de la troupe franco-italienne de Fabvier sur la Bidassoa en avril 1823 : « c’est un nouveau Waterloo ». Jusqu’à l’engagement philhellénique, le contre-monde libéral est bien un archipel éclaté. Pourquoi cette « Sainte-Alliance des nationalités» se ferait-elle en Grèce, alors qu’elle n’a pas pu se constituer en Espagne ?

Le « contre-monde libéral » s’organise en réseau au niveau continental, voire

atlantique, au service de la cause grecque. Un élément nouveau aide à la mise en place de ce

processus. Dans l’esprit réactionnaire de la Sainte-Alliance, libéralisme politique et

antimonarchisme laïcisant sont liés depuis la Révolution française. Combat de Chrétiens

contre la tutelle de Musulmans, l’émancipation grecque laisse pour la première fois l’occasion

à des monarchistes catholiques (ou protestants pour l’Allemagne) de casser la fameuse

équation de l’abbé Bergier : « Athéisme = Démocratie= Révolution ». Aux radicaux déjà

engagés en Italie et en Espagne, comme le Napolitain Pisa ou le Polonais Faron, font contre-

poids des royalistes modérés. Jourdain prétend servir directement son roi en combattant pour

les Grecs. Officier retraité de la marine, Jourdain explique : « Lorsque le mouvement

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insurrectionnel des Grecs fut connu en France, je formai aussitôt le projet de me rendre sur le théâtre de la guerre avec le désir d’être utile à une nation malheureuse qui, pour dénouer le joug des Turcs, n’avait que du courage et manquait des lumières que la civilisation a rendues si générales et particulièrement dans l’art de la guerre (…). Je songeai aussi que, voulant servir sans me mettre à leur solde, ma position indépendante me fournirait aussi l’occasion d’être utile suivant les circonstances au gouvernement du Roi, je crois y avoir réussi »

15

. Par sa participation aux négociations des Grecs avec l’ordre de Malte pour une éventuelle alliance, on devine les sentiments catholiques moteurs sans doute d’engagement pour Jourdain. Cette mission lui est confiée par le jeune gouvernement grec en 1823 car Jourdain dispose de réseaux solides au sein de l’Ordre. Agent d’Alexandre Ier, rédacteur du projet de la Sainte-Alliance pour le tsar, Alexandre Stourdza lie sa foi orthodoxe profonde à un engagement philhellène sans faille qui le mène à la disgrâce et la mise en résidence surveillée à Odessa

16

.

Dans le combat grec, le contre-monde libéral s’ouvre aux forces conservatrices séduites par l’aspect religieux du conflit. La guerre d’indépendance grecque a ainsi un aspect de « guerre sainte » chrétienne pour certains, en faveur du libéralisme et des causes nationales pour d’autres. Source de réconciliation mais aussi d’ambiguïtés, cette alchimie unique est représentative des romantismes politiques. Le libéralisme romantique se perçoit comme une aspiration quasi-religieuse nouvelle. Dans ses poèmes composés en Grèce, les accents guerriers de Byron sonnent comme des appels à la croisade. Dans l’œuvre composée pour son ultime anniversaire à Missolonghi le 24 janvier 1824, il s’exclame :

The sword, the banner and the field Glory and Grèèce, around me see ! The Spartan borne upon his shiled, Was not more free

Awake (Not Greec, she is awake !)

17

.

En Grèce, il annexe la religion traditionnelle. Cette nouvelle donne et sa prise en compte dans l’opinion européenne entraînent l’acceptation progressive de ce combat national par les monarchies conservatrices (à l’exception notable de Metternich). Les massacres de plusieurs

15 Lettre adressée au ministre de la Marine et des Colonies le 20 mars 1828 (S.H.M., CC7 alpha, dossier Jourdain Jean Philippe Paul).

16 Voir notamment Ghervas S., Alexandre Stourdza (1791-1854) un intellectuel orthodoxe face à l’Occident, Genève, Editions Suzanne Hurter, 2005, 318 p.

17 Extrait cité par M. Byron Raizis (sous la direction de), Lord Byron, Byronism, Liberalism, Philhellenism, Proceedings of the 14th International Symposium, Athènes, 1988, 223 p.

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dizaines de milliers de chrétiens à Missolonghi, Chios ou ailleurs revêtent l’aspect du martyr et forgent la légende du philhellénisme. Par ce biais, il est un creuset politique qui marque une rupture avec l’évolution depuis 1815. Parallèlement, dans la continuité des révolutions, le philhellénisme continue en effet d’attirer les adeptes de la religion de la Liberté et de la Nation.

Si romantisme au singulier il y a, il est marqué en Grèce par le « cosmopolitisme du national » pour reprendre la belle formule d’Anne-Marie Thiesse

18

. Chaque patriote est préoccupé de l’avancée des différentes causes nationales et s’y engage au gré des circonstances. Ultime chef de l’armée révolutionnaire piémontaise de 1821 face aux Autrichiens, présent en Espagne et ami de Riego, le général Vaudoncourt rapporte avoir réfléchi à la cause grecque au début de la Restauration, alors qu’il est en exil à Londres. Il se lie à un Grec Foresti et sonde sans grand succès les principaux représentants whigs au Parlement. Il écrit dans ses mémoires : « Je partage l’opinion de tous les hommes éclairés sur la nécessité d’établir ou d’assurer la nationalité de tous les peuples »

19

. Peu avant de rallier à la Grèce à la tête d’un corps italien, les paroles du colonel napolitain Pisa à Londres sont transmises au ministre français de la Police dans un rapport : « En l’espace de six ans, le sud de l’Europe serait débarrassé des rois, qu’il ne partirait de Londres que lorsqu’il y aurait quelque chose à faire en faveur de la liberté… »

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. Le chef patriote piémontais, Santa-Rosa (lequel, comme Pisa, succombera en Grèce), est dans le même état d’esprit.

La franc-maçonnerie constitue l’un des réseaux principaux de ce « contre-monde » en soutien aux Grecs. La revue maçonnique de Lyon dit en 1842 : « Tous les maçons d’Europe ont donné de l’argent et ont fait des démarches en faveur des Grecs »

21

. A Perpignan, un rapport de police confirme effectivement que « la loge maçonnique l’Union à Perpignan a ouvert une souscription en faveur des Grecs, et qu’une commission qu’elle a nommée, parcourt la ville »

22

. A Paris, en 1828, la loge de la Vertu et des Arts crée un Chant pour le départ des Français en Morée

23

. Le 27 décembre 1827, le Grand Secrétaire du Grand-Orient déclare à ses frères : « Votre appel, déjà été entendu par un grand nombre d’ateliers, le sera

18 Thiesse A-M ;, La création des identités nationales Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Point Seuil, 2001, 307 p.

19 Vaudoncourt G ; de, Quinze ans d’un proscrit,

20 Traduction d’une note qui paraît datée de 1825 (A.N. F7 6 749).

21 Cité dans le fascicule de J. Bossu, Les francs-maçons français au secours de la Grèce insurgée (1821-29), Athènes-Paris, op. cit. On peut le consulter dans le fonds Bossu (S.H.D./ D.A.T., 1 K 19).

22 Rapport du 3 mai 1826 (A.N. F7 6 722).

23 B.N.F., F.M.3, 196.

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par tous. Il n’y aura point de dissidence pour une entreprise qui faisait l’objet des vœux du G.˙. O.˙.

depuis près d’un demi-siècle. Ce qui donne croyance à ma prophétie, c’est

l’empressement avec lequel toute la population maçonnique, depuis quelques temps, vole au secours de l’infortune. Il n’est pas un seul maçon en France qui n’ait offert le denier de la veuve aux incendiés de Salins ; la part de ces infortunés aurait été plus grande sans le

sacrifice qui venait d’être fait en faveur de la Grèce ensanglantée par les barbares.

Il est vrai que la malveillance a voulu calomnier les motifs des secours accordés aux malheureux Hellènes ; il est des êtres à qui il est impossible de croire à la générosité sans lui supposer un but d’intérêt ; pour cette fois, leur perfidie a deviné. Nous sommes forcés de l’avouer, les F.˙.

Maç.˙. avaient un grand intérêt dans la délivrance des Grecs ; là est le berceau de l’initiation, là sont les chrétiens nos coreligionnaires qui, depuis plusieurs siècles sont torturés par de stupides Pachas ». L’appui maçonnique au philhellénisme gêne peu l’apolitisme déclaré du Grand-Orient, soumis au pouvoir royal : il s’agit d’un soutien chrétien. Le lien religieux doit une nouvelle fois être faite avec l’engagement philhellène. Les maçons les plus nombreux à rejoindre le théâtre des combats sont des templiers ou des adeptes de Misraïm, ordres dissidents marqués par une plus profonde mystique.

Marseille devient un nœud de communication décisif à l’échelle continentale lors de la guerre d’indépendance grecque. Le port est le plus important lieu d’embarquement vers la Grèce

24

. La ville concentre à ce titre de nombreux étrangers. Des cercles se forment en attendant le départ et les loges marseillaises jouent un rôle important. Parmi celles-ci, Les enfants de Sparte et d’Athènes doivent retenir notre attention. Lieu de sociabilité avant le départ, elle continuera à assurer cette fonction pendant la guerre en Grèce au sein de la troupe régulière. Certes, les tenues sont très irrégulières, elles se tiennent au gré des combats. Les dernières délibérations qui nous soient parvenues datent des 2 et 4 janvier 1827

25

, alors que les troupes régulières sont enfermées dans l’Acropole. A cette date, la loge comprend des Français (Fabvier est un membre d’honneur), des Polonais, des Allemands puis s’enrichira d’Italiens, de Suisses, d’un Danois

26

. Lieu d’échange de tendance libérale, cet atelier contribue à faire du philhellénisme un creuset européen de sociabilité politique.

24 A.N. F7 6 722 et 6 723.

25 B.N.F., FM3, 379, registre des délibérations de la loge.

26 B.N.F. FM3 379 (liste des nouveaux membres le 15 octobre 1827).

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De la sociabilité maçonnique, découle en Grèce un foisonnement de sociétés secrètes.

Un tiers des philhellènes réunis dans la prosopographie de ma thèse

27

semble appartenir à une société secrète. On serait tenté de voir dans ces associations paramaçonniques à but politique une forme de sociabilité typique de la culture du romantisme politique. Fondée en 1814, l’Hétairie, est la plus connue car son objectif est l’indépendance grecque mais de nombreuses autres sociétés se répandent parmi les philhellènes : charbonnerie, adelphes, société régénératrice, … En 1831, à Nauplie, la Société d’Hercule ou la Société de la Force n’acceptent que des hommes qui ont combattu pendant la guerre d’indépendance

28

. Il est remarquable que la sociabilité secrète philhellène dépasse la seule « gauche ». Par exemple, l’Hôtel hellénophone est fondé par Choiseul-Gouffier aux côtés du conservateur Capodistria.

Le contre-monde national libéral sort renforcé de la guerre d’indépendance. Par le creusret grec, il a pu se diffuser et surtout élargir son audience. Parmi les Français les plus activement recherchés par la police française entre 1820 et 1824, condamné à mort par contumace pour l’organisation du complot du Bazar français et sa prise d’armes en Espagne, Fabvier est gracié par Charles X et est un hôte très demandé dans les salons parisiens lors de son bref retour en France au cours de l’année 1828. La déflagration européenne de la révolution de juillet 1830 ne fait que conforter l’hypothèse de la sortie de la marginalité du

« contre-monde libéral » après la guerre d’indépendance grecque. Elle est bien un creuset pour les partisans du libéralisme de toute l’Europe, voire du monde atlantique. On peut dégager quelques traits du philhellénisme qui en font, nous semble-t-il, le creuset d’un romantisme européen : un lien religieux, voire mystique, avec la liberté et le combat national, des formes de sociabilités (paramaçonniques) à but politique (on les retrouve dans les combats italien, français, polonais mais aussi en Allemagne à travers la Burschenschaft). Ce creuset est pourtant composé d’hommes très divers par leurs nationalités et leurs opinions. Cela ne les singularise-t-il pas autant sur le plan politique que leur combat ne les unit ?

Romantisme(s) politique(s), patriotismes et libéralismes

Le premier point qui pose problème dans la définition d’un romantisme politique commun à toute l’Europe est le rapport à la Nation, la sienne et celles qu’on pour lesquelles

27 Bruyère-Ostells W., Les officiers de la Grande Armée dans les mouvements nationaux et libéraux (1815- 1833), sous la direction du professeur J.O. Boudon, Paris-IV, 2005, 683 p.

28 Manuscrit de 3 pages intitulé Extrait de l’histoire de la révolution grecque (S.H.A.T. 1 K 558 carton 3).

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on aide à la construction. Réfugié à Londres, le chef de la révolution napolitaine, le général Pepe négocie par exemple avec les autorités grecques pour pouvoir, après l'indépendance, préparer un débarquement sur les côtes napolitaines à partir de la Grèce. Avec son compatriote Rossaroll, lequel a également pris part à la révolution de 1820-21, Pepe espère donc faire de la Grèce une base de reconquête pour les patriotes italiens

29

. Dans son Histoire de l’Italie moderne, dans le tome consacré au Risorgimento, Jacques Godechot avançait déjà l’idée de la dissimulation de la carboneria napolitaine sous l’apparence de comités philhelléniques.

En France, les carbonari les plus convaincus, ou les plus menacés, rejoignent les insurgés grecs. Le préfet du Haut-Rhin note ainsi en 1826 que « les comités philhelléniques qui sont aujourd’hui si nombreux remplacent les ventes de carbonari et travaillent activement à organiser de nombreux troubles »

30

. A côté de la cause grecque, l’avancée du libéralisme en France ne serait pas écartée. Il n’est d’ailleurs pas le seul à observer cette translation des cercles libéraux du carbonarisme vers le philhellénisme : plusieurs rapports vont en ce sens, comme celui du chef d’escadron commandant la gendarmerie de Seine-Inférieure en juillet 1826

31

. L’un des principaux officiers français du corps régulier, le général Roche, se compromet en 1825 par son insistance à vouloir imposer un prince français, un Orléans, sur l’éventuel trône grec en cas de succès

32

. Ses intrigues lui valent l’expulsion par le gouvernement provisoire. Fabvier lui-même dénonce au ministère français des Affaires Extérieures les manipulations des grandes puissances dans le règlement du conflit au cours de l’année 1828

33

. Sa correspondance traduit un état d’esprit très patriote aux confins parfois du nationalisme.

A l’instar de Santa-Rosa ou Collegno, les chefs du mouvement piémontais sont également largement regroupés en Grèce. Le piémontais Trona écrit à son compatriote Binaghi passé en Grèce : « Tenez-vous au courant des affaires de l’Europe car il ne faut pas que les plaisirs vous fassent oublier votre patrie. A la première circonstance, il faut voler à son secours avec vos compagnons d’infortune et ce serait un grand crime que de demeurer oisif

29 Voir par exemple Koninthios G., I Liberali napoletani e la Rivoluzione greca (1821-1830), Naples, L'officina tipografica, 1990, 175 p.

30 Lettre du préfet du Haut-Rhin du 21 juillet 1826 (A.N. F7 6 722).

31 Rapport du 31 juillet 1826 (A.N. F7 6 722).

32 A.N. F7 6 723 B. Les deux principaux soutiens en Grèce de la candidature Orléans, présentée par le comte de Rumigny aide de camp du prince, sont Georges Vitalis (qui avait servi au 36e d’infanterie légère sous l’Empire) et le général Roche.

33 A.D. Meurthe-et-Moselle, 16 J 9.

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dans une telle occasion »

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. Les arrières-pensées patriotes, la primauté du combat national sont omniprésentes chez les philhellènes, au moins chez leurs chefs. Le « cosmopolitisme du national » s’efface en dernier lieu devant le « nationalisme ». Si le romantisme politique forme une culture politique que le philhellénisme a contribué à accoucher, il repose sur le patriotisme et le libéralisme politique. L’âge romantique s’inscrit encore largement dans un internationalisme des patriotismes, une Sainte-Alliance des nationalités, à l’image de la Grèce. Mais on voit dans tous les esprits ses limites et, en Allemagne où la chronologie semble en avance sur le reste de l’Europe, les préfigurations des idéologies de la 2

e

moitié du XIXe siècle sont bien plus amorcées.

Le second point d’achoppement réside dans la définition du libéralisme. Certes, il s’agit d’apporter la liberté aux Grecs opprimés par l’occupant turc. Toutefois, sur le plan institutionnel, les philhellènes n’ont pas le même point de vue. Au sein du corps régulier sous les ordres de Fabvier, on trouve des radicaux comme le lieutenant Delon (celui du complot de Saumur) qui défendent l’éradication brutale de toute forme de monarchie, des républicains plus modérés comme Jean Millard

35

, des partisans d’une monarchie parlementaire comme Raybaud, voire des royalistes constitutionnels comme Jourdain ou Rigny. Ainsi, au sein d’une même nationalité, le camp libéral philhellène s’ouvre sur un champ politique très large. Leur collaboration amène à deux considérations. La première, l’idéal national prime bien sur les divergences politiques. La seconde est que ces hommes sont animés par un objectif simple, la Liberté. Ils n’ont sans doute pas de préjugés aussi arrêtés que les présentations catégoriques qu’on en fait, le laisse supposer.

Le général Fabvier incarne cette révolte contre l’ordre de la Sainte-Alliance au nom d’une Liberté qu’on lui avait dit apporter à toute l’Europe au sein de la Grande Armée.

Incontestablement libéral, il n’est pas césariste

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, ni orléaniste (il dénonce assez les manœuvres de son compatriote Roche en 1825. Pourtant, en 1830, il figure parmi les personnalités qui se rallient à Louis-Philippe pendant les Trois-Glorieuses et pèse de tout son poids en sa faveur. En 1848, il rejoint le parti bonapartiste tout en refusant en 1851 le coup d’Etat. Les inflexions de cet homme d’action ne s’expliquent pas par le carriérisme, il n’est

34 Lettre adressée à l’heure de l’échec des libéraux en Espagne au moment où la Grèce va devenir le refuge de ces patriotes (A.N. F7 6 652).

35 Ex-chef d’escadron au 9e hussards sous l’Empire, il a comploté en France, a rejoint le champ d’Asile et a sans doute combattu en Espagne avant de diriger un bataillon d’étudiants allemands en Grèce avec le grade de colonel.

36 Il s’en défend notamment dans sa brochure Lyon en 1817 et affirme avoir voté non au passage à l’Empire.

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pas une « girouette », comme les maréchaux en 1815. Il a accepté l’exil et ses sacrifices, les condamnations, … Peut-être faut-il voir dans les diverses formes de romantismes politiques (et dans les nombreuses conversions) un malaise intellectuel devant les bouleversements des révolutions de la fin du XVIIIe siècle. Le modèle social et politique ancien a prouvé ses limites sans que l’on en ait trouvé un nouveau, stable sur le continent (on exclut ainsi la Grande-Bretagne). Fabvier choisit toujours le camp de l’ordre face aux révolutions et la possibilité d’un retour de la République en France (1830 et 1848-49) ; déjà en Grèce, il se révèle favorable au système monarchique

37

. Comme les utopistes socialisants ou ses compagnons d’armes radicaux du Champ d’Asile, il envisage pourtant de créer une colonie agricole en Grèce et présente un projet en ce sens au gouvernement. La vie des colons serait collective et, par leurs savoirs faire acquis au temps de la Grande Armée, ils rendraient des services aux citoyens et au gouvernement grec « sans néanmoins prétendre à aucun grade militaire ». Pour les particuliers, l’aide se ferait « en leur fournissant instruction et connaissance des nouveautés (…) ». Plus loin, il parle de fabriquer des outils pour ces mêmes particuliers : « les arrangements se feraient à l’amiable »

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. La guerre d’indépendance est donc un lieu d’effervescence politique ; on cherche à expérimenter de nouvelles formes de sociabilités. On cherche une réponse socio-politique qui assure un compromis entre ordre et apaisement des aspirations nationale et libérale. Ces réponses sont très diverses et versatiles au gré des événements et des traditions politiques nationales.

Conclusion :

Le succès dans l’opinion de cette cause par sa dimension de base d’une civilisation européenne, par la diversité de ces soutiens, par ses relais financiers puissants font de la guerre d’indépendance grecque un moment fondateur d’une Europe romantique. Le philhellénisme fait avancer les idées nationales et libérales dans les consciences européennes, y compris dans les rangs des droites. Les romantiques français commencent alors leur infléchissement politique pour mettre en adéquation leur révolte esthétique et la révolte politique contre l’ordre établi. La guerre d’indépendance est un mouvement de mobilisation sans précédent et il se fait au service des idées libérales et nationales. Elle entraîne de réelles mutations politico-idéologiques sur tout le continent, préparant les révolutions de 1830. A cette date, en octobre, Fabvier reçoit ainsi une lettre d’un ami grec : « tous les amis de la

37 Correspondance avec le président Capodistria (A.D. Meurthe-et-Moselle, 16 J 9, 10 et 11).

38 Extrait du projet de colonie en Grèce présenté en 1825 (A.D. Meurthe-et-Moselle, 16 J 9).

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liberté et notamment les Grecs qui ont reçu tant de bienfaits de la France font des vœux pour votre bonheur. La liberté française sera la liberté de toute l’Europe ». Le lien est établi entre Grèce et ensemble du continent autour de l’idéal libéral.

Par la diversité des nationalités représentés dans les rangs des philhellènes combattants, par le premier triomphe qu’il constitue au nom des idéaux nationaux et libéraux face à l’ordre de la Sainte-Alliance, la guerre d’indépendance grecque est bien un creuset du romantisme national libéral européen. Ce creuset est aussi la transmission d’un modèle ou d’un contre-modèle aux nouvelles générations lors du retour des combattants dans leur pays respectifs. Mazzini quitte la charbonnerie et fonde la Jeune Italie. Il explique l’échec de ses aînés carbonari, que ce soit Pepe ou l’un de ses maîtres Bianco di San Jorioz qui a travaillé avec Santa-Rosa, par leur élitisme. Pour lui, le manque de place laissé au peuple dans les sociétés secrètes italiennes explique l’échec des tentatives menées depuis Naples, Turin ou la Grèce. La représentation ancrée dans l’esprit des contemporains de révolte populaire

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grecque a sans doute pesé dans son raisonnement. L’aspect victorieux d’une Nation faible mais soutenue par l’opinion publique continentale et par une mystique nationale est réinterprété par les penseurs et combattants polonais (le Livre de la Nation et des pèlerins polonais de Mickiewicz),… Il constitue un moment d’accélération politico-idéologique. Cette guerre offre au libéralisme la possibilité d’exercer un pouvoir spirituel, de s’enraciner comme une nouvelle religion de l’espoir face au mal de l’avenir qui préoccupe les contemporains. Un culture commune les rassemble dans le philhellénisme : l’approbation de la révolte populaire, l’élan religieux pour le combat national et une sociabilité qui s’adapte à ces deux caractéristiques, la société paramaçonnique engagée (image forgée en 1830 du héros qui gagne par la conspiration pour reprendre l’exemple de Mickiewicz).

Il n’y a pas plus en Grèce une pensée politique commune que dans les grands mouvements nationaux et libéraux de 1830 ou 1848. L’ensemble du champ des opinions politique est représenté. Ceci nous amène à dire qu’il y a des romantismes en Europe marqués par des orientations idéologiques différentes et des traditions nationales différenciées. Plus encore peut-être, à l’instar de l’exemple du général Fabvier, la culture politique des romantiques des années 1820 réside-t-elle essentiellement dans le malaise et l’incertitude de la bonne voie institutionnelle et sociale à adopter qui explique la diversité des chemins

39 Même si l’objectivité historique oblige à fortement nuancer ce schéma, comme on a pu le voir à travers la figure de la Bouboulina.

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choisis. Ne faut-il pas en conclure que le seul point commun des mutations politico-

idéologiques qu’il constitue est un mouvement de réaction face à la Révolution française,

aussi irrationnel et mystique que les Lumières et les révolutionnaires avaient pu chercher à

être rationnels ?

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