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POURQUOI LES ACADÉMIES FURENT-ELLES SUPPRIMÉES EN 1793?

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FURENT-ELLES

SUPPRIMÉES EN 1793 ?

Il y a six semaines les cinq académies célébraient, comme chaque année, l'anniversaire de la fondation de l'Institut. La loi du 25 octobre 1795 disait en son article 3 : « L'Institut est divisé en trois classes et chaque classe en sections ». Pourquoi la Conven- tion bannissait-elle le mot académie, qui reparut seulement dans l'ordonnance royale de 1816 ?

La Convention ne voulait pas se déjuger, elle qui,.le 8 août 1793, venait de supprimer toutes les académies royales, Académie fran- çaise, Académie des sciences, Académie de peinture et sculpture, Académie d'architecture, Académie des inscriptions et belles lettres, Académie de médecine. Si, dans le rapport lu par Grégoire, dans le discours prononcé par David avant le vote, se manifestaient des rancunes personnelles, un principe était aussi proclamé qui sem- blait le fondement même de la République : le droit de tout individu à la liberté et à l'égalité. C'est en vertu de ce principe que la Révolution refusait aux hommes de même profession la possibilité de se grouper et il fallut attendre le xixe siècle pour que fussent reconnus le droit de coalition et le droit syndical. Pourquoi la Convention, qui admettait cependant l'existence des clubs, des sociétés dites de pensée, considéra-t-elle les académies comme con- traires à ces principes de liberté - et d'égalité ?

Lorsqu'on lit les brochures, les discours du temps, on voit, non sans étonnement, comparer les académies aux corporations. Gré- goire dans son rapport les assimile aux jurandes. C'était là une erreur historique. Les seules académies qui «auraient pu permettre un tel rapprochement, l'Académie de peinture et sculpture et l'Aca- démie d'architecture, avaient été précisément créées pour affran- chir les artistes que la Communauté des maîtres jurés de peinture

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ne distinguait pas des peintres en bâtiment, que les corporations de maçonsi et de charpentiers considéraient comme des, entrepre- neurs. Ces communautés, dont les privilèges avaient été confirmés par l'édit de 1582 et par les lettres patentes de 1622, d'ailleurs enre- gistrées après bien des difficultés par le Parlement en 1629, faisaient saisir les outils et le matériel des peintres et sculpteurs indépendants et n'avaient pas vu sans protester le roi accorder une totale liberté aux artistes qu'il attachait à sa personne, logeait sous la grande galerie du Louvre et déclarait justiciables seulement du prévôt de son hôtel. L'Académie de peinture et de sculpture, fondée en 1648, eut pour objet de libérer officiellement de la Communauté les peintres, sculpteurs, graveurs du roi, qui, suivant l'exemple des maîtres de là Renaissance et le programme exposé par Philibert de l'Orme, après son ami Rabelais, prétendaient être à la fois des ouvriers habiles et des hommes cultivés, capables de raisonner leur art et de former des disciples. Toutefois cette compagnie ne rompit pas complètement avec les pratiques des corporations : elle demanda aux candidats de présenter un travail, tout comme les compagnons, pour passer maîtres, devaient exécuter un chef- d'œuvre ; dans son école elle accorda aux fils des académiciens des avantages analogues à ceux dont les enfants des maîtres béné- ficiaient dans les communautés.

La lutte entre la Communauté et l'Académie dura jusqu'à la Révolution et favorisa la confusion. La Communauté fonda l'Aca- démie de Saint-Luc qui prétendit rivaliser avec l'Académie royale, exposer ses productions, enseigner des élèves. Mignard la dressa contre l'Académie dirigée par Lebrun. Le conflit s'exaspéra au

XVIII*» siècle : en 1759 la Communauté fit saisir les outils de Pajou, qui, à peine arrivé de Rome, n'avait pas encore eu le temps de se faire agréer à l'Académie ; en 1764 l'Académie de Saint-Luc voulut s'intituler Académie royale. M. de Marigny, directeur des Bâtiments du Roi, arrêta ces ambitions. Fière du succès remporté par son exposition de 1774 et forte de l'appui que lui consentaient quelques grands seigneurs, l'Académie de Saint-Luc accrut ses exigences, mais Turgot, ami des philosophes et partisan de la liberté du tra- vail, abolit par l'édit de mars 1776 toutes les corporations et ju- randes et M. d'Angiviller, successeur de Marigny, présenta au roi un mémoire où il insistait sur la nécessité d'accorder aux peintres, sculpteurs, graveurs la même indépendance qu'à toutes les pro- fessions libérales. Après la chute de Turgot, les corporations furent

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rétablies et la maîtrise de Saint-Luc ressuscita. Aussitôt Angiviller la réduisit à l'état d'un simple groupement d'entrepreneurs et d'ou- vriers, lui interdit d'enseigner et d'exposer et l'Académie royale, pour remercier le roi, frappa une médaille dont la devise était Libertas artibus restituta. Cependant des artistes de talent, comme les Saint-Aubin et d'autres, ne faisaient pas partie de l'Académie.

Certains d'entre eux publièrent des libelles et chargèrent l'Acadé- mie royale de griefs qu'on pourrait résumer par l'expression de Bossuet : « l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté ». Us exposaient au Salon de la Correspondance, au Colisée. Angiviller, derechef, interdit cette concurrence au Salon du Louvre, si bien qu'à la fin de l'ancien régime, l'Académie semblait contredire à la fois son principe originel et sa devise récente et paraissait être une compagnie privilégiée, hostile à l'existence d'artistes indépendants.

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Les académies, aux yeux des révolutionnaires, avaient un autre tort : elles étaient des académies royales. L'Académie de peinture et sculpture avait été composée des peintres, sculpteurs, graveurs du roi, l'Académie d'architecture des architectes employés dans ses bâtiments. Le roi les groupa en académies, parce qu'il était réputé appeler à son service les meilleurs des artistes. Comme Richelieu avait chargé l'Académie française d'élaborer les règles du bon lan- gage, Colbert érigea les académies de peinture et sculpture et d'ar- chitecture en maîtresses de la doctrine, leur donna un droit.de, regard sur les académies provinciales, en fit les véritables conseils artistiques du pouvoir central. Les académies, en échange, se trou- vèrent placées sous la tutelle royale par le truchement du premier peintre ou du premier architecte et du surintendant des bâtiments.

Or il se trouva que sous Louis XVI le premier peintre, Pierre, était un personnage quinteux, qui, fier de sa richesse et de sa parenté avec un ministre, M. de Vergennes, traitait de haut les artistes et prétendait régenter l'Académie^ sur qui pesa son discrédit. Le pre- mier architecte, après la mort de Gabriel, fut Mique qui, originaire ' de Lorraine, avait été choisi comme architecte par Marie-Antoi- nette et fut la victime de l'impopularité du couple royal, à qui l'Aca- démie demeura fidèle jusqu'à la fin.

Les académies, accusées d'être hostiles à la liberté, d'être com-

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posées de ci-devant, semblaient encore aux révolutionnaires violer le principe de l'égalité. L'Académie de peinture et sculpture était spécialement visée. Seuls ses membres, peintres, sculpteurs, gra- veurs du roi, recevaient des commandes du souverain ; seuls ils expo- saient au Salon du Louvre, palais du roi, seuls ils étaient logés en ce monument ; seuls les architectes de l'Académie travaillaient pour Sa Majesté. Comme le public oubliait qu'en échange ces ar- tistes devaient enseigner les élèves, examiner les problèmes soumis par le roi, par les académies provinciales, les inventions faites par les particuliers, que les architectes formaient le conseil des bâti- ments, étudiaient les projets des provinces, des municipalités, voire des princes étrangers, il considérait que tous ces hommes'bénéfi- ciaient d'avantagés excessifs.

A l'intérieur même des académies régnait l'inégalité et cette fois l'accusation semblait d'autant mieux fondée qu'elle était portée par des membres de ces compagnies. Les statuts de 1777 n'avaient pas aboli les différences qui existaient à l'Académie de peinture et sculpture. A la tête de cette compagnie se trouvaient les officiers qui étaient le directeur, en général le premier peintre, le chancelier pris parmi lés recteurs, les quatre recteurs choisis parmi les pro- fesseurs, les deux adjoints à recteurs, huit amateurs, douze pro- fesseurs, six professeurs adjoints,'un professeur d'anatomie, un professeur de géométrie, un secrétaire historiographe. Ces officiers administraient la compagnie, acceptaient les agréés, formaient les jurys des concours, étaient assis sur des fauteuils à grands et petits bras, sur des chaises. Les autres académiciens, qui n'avaient droit qu'à des tabourets, assistaient aux séances, mais ne pouvaient prendre la parole. Parmi eux, seuls, les peintres d'histoire, qui repré- sentaient des dieux, des rois, des héros, qui exprimaient de nobles passions, étaient appelés à devenir un jour officiers, mais ils atten- daient parfois longtemps leur tour : David, qui avait chez lui l'ate- lier le plus renommé, dont les élèves emportèrent souvent le prix de Rome, n'accéda au professorat, qu'il refusa, qu'en 1793, neuf ans après sa réception. Les peintres de genre, comme Greuze, les peintres de paysage, comme Vernet, les peintres de nature morte, comme Chardin, demeuraient dans le rang jusqu'à leur mort.

Avant d'être académicien il fallait être agréé. Tout jeune homme qui possédait quelque talent pouvait présenter un tableau, une sculpture, une gravure. S'il était admis par les officiers, il prenait aussitôt le titre de peintre, sculpteur ou graveur du roi. Il devait

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^ans les trois ans, pour devenir académicien, soumettre une autre œuvre, dont le sujet fût d'abord donné, puis accepté par le direc- teur. Le nombre des agréés et des académiciens n'était pas limité, si bien que l'Académie accueillit au xvme siècle le plus grand nombre des artistes connus. Toutefois à la fin de l'ancien régime, les agréés, mécontents d'avoir à subir deux épreuves et constatant les refus répétés des officiers, s'abstenaient d'exécuter leur morceau de récep- tion et.se contentaient du titre qui leur permettait d'échapper au contrôle de la Communauté. Quarante étaient dans ce cas en 1788.

L'égalité ne régnait pas davantage entre les. élèves : il y avait des élèves protégés, qui, introduits par un maître, possédaient des avantages "contre quoi les autres protestaient et qu'en 1789 les bénéficiaires eux-mêmes jugeaient « humiliants ». Les. fils d'acadé- miciens étaient assimilés aux élèves titulaires de médailles et en-

traient par une porte spéciale. , L'académie d'architecture était divisée en deux classes : la pre-

mière comprenait le directeur, premier architecte du roi, seize aca- démiciens architectes dont un secrétaire et deux professeurs, six honoraires, la deuxième classe seize architectes. Sous Louis XJV Geux de la deuxième classé pouvaient entreprendre, mais seulement pour le roi. A la fin du x v me siècle l'entreprise était interdite à tous les architectes de l'Académie, afin de bien les distinguer des

« ouvriers » des corporations. L'Académie était administrée par les architectes de la, première classe et par les trois honoraires les plus anciens.

L'Académie des, Inscriptions et Belles-Lettres comprenait quinze pensionnaires, qui seuls pouvaient être officiers, dix hono- raires, quinze associés, plus vingt associés libres, qui ne pouvaient devenir pensionnaires. Ces inégalités souvent injustifiées par le talent ou la carrière des académiciens, excitaient les jalousies et provoquaient des incidents dans les compagnies.

Enfin une dernière cause déteuminait des campagnes contre les académies. On accusait les compagnies d'être en décadence. Cer- tains historiens, comme Maury, l'ont admis pour l'Académie des

Inscriptions, d'autres, comme Dussaud, l'ont contesté. L'Académie française était attaquée par le parti des Philosophes. Palissot en 1790 dénonçait son obscurantisme, sa tyrannie, ses dépenses inu- tiles. On répétait qu'elle élisait plutôt des amis dociles que des hommes de talent. Chamfort, qui était académicien, énuméra dans

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un libelle les auteurs médiocres qui en faisaient partie et les auteur»

célèbres qu'elle tenait à l'écart ; il critiquait le Dictionnaire, les prix donnés par complaisance, dénonçait l'absentéisme de certains membres.

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"La Révolution détermina une série" d'incidents, surtout à l'Aca- mie de peinture et sculpture, qui essaya de calmer l'opinion en procédant à des réformes : le 26 septembre 1789, elle abolissait les privilèges des élèves protégés et des fils d'académiciens. Les élèves ne cessèrent de s'agiter et prétendirent imposer à leurs maî- tres le programme des études qu'ils n'avaient pas encore accomplies En avril 1790 les professeurs se plaignaient de leur indiscipline et de leur insolence. Les élèves architectes, invoquant les principes d'égalité et de liberté, revendiquèrent en même temps le droit d'assister aux séances de l'Académie et aux jugements des concours et proposaient des modifications a,u règlement.

Les agréés de leur côté manifestaient leur mauvaise humeur et l'Académie dut en admettre plusieurs dont les œuvres avaient été refusées. Certains académiciens s'unirent à eux pour mener cam- pagne contre les officiers. Ils n'agirent pas seulement à l'intérieur de la compagnie, mais firent appel à l'Assemblée Constituante, à la Municipalité, à la presse. Les officiers, le 12 septembre 1789, firent saisir le libelle intitulé « les vœux des artistes », dont l'auteur, le graveur Miger, qui était un académicien, publia aussitôt une « Lettre à Monsieur Vien, premier peintre du Roi et Directeur de l'Acadé- mie ». On y pouvait lire : « Les académiciens sont assis sans mot dire, comme si un fauteuil ou une chaise avaient le privilège de donner exclusivement du bon sens ». A la séance du 28 novembre, en dépit du règlement, Miger se leva et prit la parole : « Depuis dix ans que j'ai l'honneur d'être à l'Académie, s'il ne m'a pas été per- mis de parler, il ne m'a pas été défendu de réfléchir » et il résuma les doléances de ses confrères. Il fut suivi par vingt-trois d'entre eux. , . • .

L'Académie se trouvait divisée en deux parties ; elle décida de convoquer pour le 5 décembre une assemblée extraordinaire qui réviserait les statuts. Mais les dissidents, afin de préparer cette séan- ce, se réunirent séparément, élirent un président, David, et un se- crétaire, Miger. Vien leur déniant le droit d'utiliser les salles de l'Aca-

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demie, ils se transportèrent chez David qui occupait un apparte- ment au Louvre. David, caractère ombrageux, formulait contre l'Académie des griefs personnels auxquels il donnait une portée générale : Pierre avait retardé son agrément en invoquant un règle- ment vétusté ; Angiviller l'avait tr'ouvé trop jeune pour diriger l'Académie de France à Rome ; l'Académie, encombrée de vieux artistes fidèles à des méthodes dépassées, ne l'avait pas élu profes- seur, alors que les élèves accouraient de tous les pays dans son ate- lier. David, qui fréquentait chez le duo d'Orléans, qui avait peint BrutuB, héros républicain, qui s'inscrivit au club des Jacobins, se posait en défenseur de la Révolution. Nous avons retrouvé dans ses papiers lé registre des délibérations tenu par les dissidents.

Ceux-ci, encouragés par les journées d'octobre 1789, par les pre- mières réformes qu'avait décrétées l'Assemblée, présentèrent, le 30 janvier 1790, un mémoire que les officiers refusèrent de recevoir, parce qu'il était signé David président, que l'Académie ne connais- sait qu'un président, Vien, et que beaucoup d'académiciens n'avaient donné à David aucun mandat. Vien, conciliant, proposa de nommer une commission où chaque tendance serait également représentée et qui préparerait le projet de réforme.

Les agréés intervinrent, qui demandèrent à désigner eux aussi des commissaires. Cette fois, tandis que les officiers s'abstenaient, non sans ironie, de voter^ lès académiciens se trouvèrent unis pour repousser cette requête par 23 voix contre 6. David et cinq de ses amis prirent le parti des agréés, signifièrent leur décision par minis- tère d'huissier, multiplièrent les incidents de procédure, déclarant nul un vote, parce que l'ordre du jour n'était pas assez précis à leur gré sur la convocation.

Certains académiciens protestaient contre la présence des hono- raires parmi les officiers; Doyen rappela tous les services qu'ils avaient renduB par leur goût, leur influence, par leur compétence administrative.

A la veille de la fête de la Fédération, qui devait symboliser l'union de tous les citoyens, les esprits semblèrent se calmer. Courte trêve. Bientôt un académicien s'assit sur le fauteuil d'un officier, déclarant qu'il n'y avait plus de rang. David, blessé dans son amour- propre, parce qu'il n'avait pas été élu commissaire pour la réforme du règlement, décida d'agir en dehors de la compagnie ; iï\ fit annon- cer par le Journal de Paris du 3 juillet 1790 que l'Assemblée natio-- nale allait recevoir une délégation de l'Académie conduite par lui

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et il demanda à l'Assemblée de remplacer l'Académie par une So- ciété libre des Beaux-Arts qui grouperait tous les artistes. La péti- tion était signée par quatorze académiciens, mais plusieurs affn>

mèrent que leur adhésion avait été obtenue par des moyens frau- duleux. David fonda la Commune des arts, n'osant reprendre le vieux titre de Communauté, qui était celui de la corporation. Cette société se réunit pour la première fois le 27 septembre 1790 et en janvier et avril 1791 dénonça à l'Assemblée « les conspirations en quelque sorte monacales et l'esprit de corps » des académies. Elle les assimilait maintenant aux congrégations, supprimées par la constitution civile du Clergé.

L'Assemblée demeurait encore indifférente à ces attaques, mal- gré les interventions de certains députés, comme Boutiron et Lan- juinais, dirigées surtout contre l'Académie française. Elle dut s'in- téresser à leur sort le jour où des crédits d'Etat furent substitués aux subventions royales ; plusieurs représentants demandèrent la suppression immédiate des académies. L'assemblée se contenta de réclamer aux académies un inventaire de leurs biens et un relevé de leurs ressources. On s'aperçut qu'elles n'étaient pas ri- ches.

Pendant ce temps l'Académie de peinture et sculpture conti- nuait de discuter sa propre réforme. Elle se divisait maintenant en quatre partis ; les officiers et neuf académiciens, les extrémistes amis de David, les modérés avec Pajou, les agréés. Enfin un projet fut voté par 47 voix le 5 mars 1791. Il venait trop tard : le 20 juin le roi s'enfuyait à Varennes, le 17 juillet les clubs demandaient sa déchéance. L'Assemblée eut alors d'autres problèmes à résoudre, plus urgents que celui des académies. Elle les laissa subsister, provi- soirement et au besoin s'en servit : elle demandait à l'Académie de peinture et sculpture son avis sur les conditions du concours qu'elle voulait ouvrir pour l'érection d'un monument à Jean- Jacques Rousseau, décidait que le Salon serait accessible à tous les artistes et la chargeait d'organiser le jury, mais l'Académie lui répondait : « Vous savez trop bien que l'égalité constitutionnelle n'est que celle des droits et qu'il est hors du pouvoir des hommes d'opérer l'égalité des lumières et des talents de tous les citoyens ».

Devant l'attitude de l'Académie, l'Assemblée nomma elle-même un jury.

Les académies menacées espérèrent trouver moins d'hostilité dans la nouvelle assemblée, la Législative. L'Académie de peinture

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lui adressa son projet de compromis : elle inscrirait les agréés à la suite des académiciens sur la liste de PAlmanach royal. Cette con- cession ne pouvait satisfaire les partisans de l'égalité. L'Académie, plus divisée que jamais, remit à l'Assemblée le soin de prendre une décision. La Législative s'en abstint.

La situation s'aggrava, lorsque David fut élu député à la Con- vention, membre du Comité deVInstruction publique et de la com- mission des Arts et que son ami Quatremère dé Quincy, sculpteur raté, mais théoricien écouté, publia une série de mémoires sur la nécessité de retirer aux académies toute fonction d'enseignement.

Après la condamnation du roi, les membres de l'Académie de pein- ture, qui portaient toujours le titre de peintres, sculpteurs, graveurs du roi, qui avaient vécu grâce aux commandes du souverain, les membres de l'Académie d'architecture qui travaillaient pour lui, furent traités de ci-devant ; quelques-uns comme Doyen, Vèstier, Mme Vigée-Lebrun avaient déjà émigré. Lorsque Ménageôt, opposé aux idées nouvelles, envoya sa démission de directeur de l'Acadé- mie de France à Rome, l'Académie lui donna pour successeur Suvée, que David traitait d'ignare, à qui il ne pardonnait pas d'avoir obtenu le prix de Rome avant lui. David fit voter par la Convention la suppression du poste de directeur à Rome et le pauvre Suvée fut destitué et emprisonné. Seule l'Académie des Sciences, protégée à la Convention par Lakanal, eut l'autorisation de pourvoir aux vacances qui se produiraient chez elle. David, appelé par son ancien- neté à devenir professeur, répondit : « Je fus autrefois de l'Acadé- mie ». Le 1e r juillet 1793 il proposait au Comité de l'Instruction publique de déposer un rapport sur la suppression de l'Académie de peinture et de sculpture, « suppression, disait-il, sollicitée par diverses pétitions d'artistes ». Pour bien marquer sa volonté il fit confier à la Commune des arts, qu'il avait créée, le soin de surveiller l'enlèvement des emblèmes royaux, ce qui lui conférait un caractère officiel, et il la réunit dans les salles de l'Académie, déclarant : « Il faut détruire cette Bastille. » En même temps il interdisait aux Académies de peinture et d'architecture de décerner les prix de

Rome.

Les académies savaient que leur fin était proche ; leurs mem- bres ne se dérangeaient plus pour venir aux séances : le 5 août huit seulement étaient présents à l'Académie d'architecture, cinq à la française. Le 8 août la Convention écouta le rapport de Grégoire et le discours de David. Le premier s'écriait : « Citoyens, nous touchons

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au moment où par l'organe de ses mandataires, à la face du ciel et dans le champ de la nature, la Nation sanctionne le code qui éta- blit la liberté. Après demain (anniversaire du 10 août) la Répu- blique française fera son entrée solennelle dans l'Univers. En ce jour où le soleil n'éclairera plus qu'un peuple de frères, les regards ne doivent plus rencontrer sur le sol français d'institutions qui dérogent aux principes éternels que nous avons consacrés et cepen- dant quelques-uns, qui portent encore l'empreinte du despotisme et dont l'organisation heurte l'égalité, avaient échappé à la réforme générale. Ce sont les académies ». Grégoire affirmait que l'Académie française avait été un instrument dè tyrannie. « La Nation, pour- suivait-il, veut avoir le génie pour créancier, d'autant plus que le génie, et nous le dirons crûment, est le génie sans-culotte. »

David à son tour aocusa les académies d'être le refuge des aris- tocrates, critiqua le système d'enseignement, rappela assez mala- droitement ses propres conflits avec l'Académie de peinture et après avoir affirmé que la décadence des.arts était le résultat de la politique royale, fit honneur à M. d'Angiviller de son agrément.

L'Assemblée, qui n'avait guère écouté David, affligé d'un défaut de prononciation, ne releva pas la contradiction ; elle applaudit de confiance l'ami de Robespierre et par décret supprima les acadé- mies. Elle ordonna de poser les scellés sur les locaux et chargea deux commissaires de liquider leurs biens : un grammairien, qui jugeait incorrect le style de Voltaire et s'appelait Domergue et un aventurier, Cubières. Les académiciens patriotes furent invités à / venir déposer leurs patentes royales sur le bureau de l'Assemblée et l'on assista au défilé des peureux. Pas un seul membre de l'Aca- démie d'architecture ne daigna se déranger. Après la promulgation, le 17 septembre, de la loi sur les suspects, Ja Terreur commença et nombreux furent les membres des académies qui furent empri- sonnés, proscrits, guillotinés, réduits à se cacher. Seule l'Académie des Sciences, toujours grâce à Lakanal, put continuer à se réunir pour étudier les questions envoyées par l'Assemblée et dont beau- coup concernaient la défense nationale. L'école de peinture et de sculpture et l'école d'architecture furent maintenues sous le nom d'écoles spéciales ; mais, comme aucun crédit n'était prévu, quel- ques anciens académiciens se dévouèrent pour ne pas priver les élèves de leur enseignement.

La Commune des arts semblait triompher, mais bientôt elle fut accusée d'être une société fermée, aristocratique et fut dissoute et

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remplacée en novembre par la Société populaire et républicaine des arts. Celle-ci proclama l'égalité de tous ses membres, mais, moins libérale que la vieille académie de peinture, refusa de recevoir les femmes, car, dit un orateur : « les femmes sont différentes des hom- mes sous tous les rapports ». La société fut dirigée par des énergu- mènes qui voulaient envoyer à l'échafaud les peintres de genre et brûler les œuvres de Teniers. David, dépassé, protestait timide- ment *et avouait à ses élèves qu'il craignait pour sa vie. La société fut dissoute après Thermidor lorsque, par un retour qui ne saurait étonner les historiens, les académies ressuscitèrent sous le nom de classes de l'Institut.

*

* *

Les vieilles académies avaient, certes, commis des erreurs, man- qué souvent de perspicacité, montré un attachement obstiné à des privilèges qui n'étaient que les attributs de la vanité et que certains de leurs membres condamnaient, défendu au nom de la doctrine du heau idéal la place éminente que seuls pouvaient occuper les peintres d'histoire, alors que commençait à souffler le vent roman- tique et que déjà la peinture de genre annonçait le réalisme.

La Convention, de son côté, se fit de l'art une idée singulière, crut au génie naturel de tous les hommes et, dans le jury chargé de distribuer les prix, introduisit non seulement les artistes qu'elle croyait lui être dévoués, mais des magistrats, des cultivateurs, des acteurs, des militaires et même un cordonnier, conséquence des théories de Diderot sur le sentiment inné de la beauté. La Conven- tion qui instaura le culte de la Raison, instaura aussi celui de l'in- compétence.

Les mouvements qui s'étaient formés au xvine siècle entraî- naient alors les artistes. C'est en vain que les peintres académiques s'efforcèrent de maintenir! la hiérarchie des genres, refusèrent aux autres artistes le droit d'exposer ; le Romantisme affirma pour l'écrivain comme pour le peintre, îe sculpteur et l'architecte le droit à la liberté : liberté de s'exprimer, liberté de montrer ses œuvres.

Les campagnes du xixe siècle pour obtenir cette liberté ne firent que répéter celles du xvnie.

Ces campagnes ont malheureusement offusqué le rôle primitif des académies qui expliquaient leur caractère et fait oublier le libé- ralisme de l'Académie de peinture et sculpture qui, jusqu'à la veille

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de la Révolution, accueillait de très jeunes hommes sans limitation de nombre et qui décerna le prix de Rome à presque tous ceux dont le nom a survécu.

Combien de fois ne voyons-nous pas dans l'histoire de grands corps compromettre leur existence par l'oubli des raisons qui la justifiaient, raidir leur attitude au moment où leur intransigeance est la moins opportune, consentir trop tard à des réformes trop timides qui ne font, Tocqueville l'a montré, qu'exciter le désir de réformes plus radicales ! Ne fut-ce pas, à la fin de l'ancien régime, le cas des Parlements ?

LOUIS HAUTECŒUR.

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