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Réflexions sur les territorialités collectives dans un espace transfrontalier
MÉTRAL, Grégoire
MÉTRAL, Grégoire. Réflexions sur les territorialités collectives dans un espace transfrontalier.
Le Globe, 1994, vol. 134, no. 1, p. 27-30
DOI : 10.3406/globe.1994.1324
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:87884
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Réflexions sur les territorialités collectives dans un espace transfrontalier
Grégoire Métral
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Métral Grégoire. Réflexions sur les territorialités collectives dans un espace transfrontalier. In: Le Globe. Revue genevoise de géographie, tome 134, 1994. Une région et son identité. pp. 27-30.
doi : 10.3406/globe.1994.1324
http://www.persee.fr/doc/globe_0398-3412_1994_num_134_1_1324
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REFLEXIONS SUR LES TERRITORIALITES COLLECTIVES DANS UN ESPACE
TRANSFRONTALIER Grégoire Métrai
Assistant au Département de géographie de l'Université de Genève
En septembre dernier, l'auteur a soutenu un mémoire de licence traitant de l'espace transfrontalier franco-genevois, en l'analysant sous l'angle des pratiques territoriales de certaines collectivités identifiables. Organisé en deux parties, le mémoire analyse dans un premier temps les relations qu'entretiennent des collectivités avec un espace transfrontalier. Dans un second temps, l'illustration du cadre théorique, par un ensemble d'exemples de la région franco-genevoise, permet de mieux se rendre compte de la valeur et de la pertinence des paramètres choisis pour expliquer les territorialités collectives.
Effort de conceptualisation
L'analyse d'un phénomène socio-spatial tel que celui des relations collectives à un espace transfrontalier nécessite qu'on se pose la question des notions utilisées. C'est ce qui est fait dans ce travail, en prenant comme point de départ le système territorial, c'est-à-dire l'ensemble des territoires d'une région. Chaque collectivité, prise non pas au sens administratif qu'on lui prête parfois, mais comme un "ensemble d'individus, partageant des pratiques et des connaissances communes d'un espace", perçoit et vit le support matériel à sa disposition de manière différente. C'est pourquoi on retrouve en définitive non pas un territoire, mais plusieurs territoires, chacun correspondant à un espace perçu, vécu, en un mot territorialisé par le groupe. Plusieurs notions ont fait l'objet d'approfondissements : le territoire (nous y reviendrons plus loin), l'identité collective (qui a été distinguée de l'identité comme fait individuel, et a été analysée pour ses composantes sociale - relevant de la psychologie de l'espace - et spatiale - identification à un lieu ou à un espace -), la territorialité (ensemble des relations qu'entretient une collectivité avec l'extériorité, à savoir l'espace et les autres collectivités), ou encore la notion de frontière, vue sous l'angle de ses effets sociaux. L'analyse des collectivités a fait l'objet d'un choix a priori, en les classant selon deux axes (figure 1). Le premier concerne l'espace pratiqué quotidiennement (passage quotidien de la frontière ou non, et donc espace vécu "bi-national" ou "uni-national"), qui met l'accent sur les pratiques et les connaissances de l'espace transfrontalier. Le second se
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"d'où vous sentez-vous ?"), et permet de comprendre dans quelle mesure l'identification à un espace conditionne sa pratique et vice versa.
Figure 1 : Les collectivités de la région franco-genevoise
espace pratiqué uni-national espace pratiqué bi-national
référentiel identitaire dans la région
travailleurs suisses ou français dans leur pays et originaires de la région frontaliers de la région;
Genevois établis en France
référentiel identitaire hors de la région requérants d'asile;
travailleurs clandestins;
étrangers non frontaliers fonctionnaires
internationaux en France; frontaliers originaires de l'extérieur de la région
Le territoire, objet bifacial
Le territoire a été l'un des points d'ancrage majeurs de l'étude. Considéré comme une structure sémiotique, il peut être présenté avec une face signifiante, la réalité matérielle, et une face signifiée, les relations mises en jeu dans le territoire. Ainsi, la figure 2 nous fait comprendre que la superstructure aménagée est sous-tendue par un ensemble de codes, de valeurs, qui permettent de déchiffrer l'espace tel qu'on le voit. Le territoire est bel et bien l'interface entre ces deux structures, et non seulement une réalité matérielle.
Il doit cependant être compris comme un tout, ses deux faces étant séparées dans le schéma, mais non dans la réalité. Nous avons également introduit la notion d'identité à l'intérieur de notre schéma du territoire : au plus profond du signifié territorial, les codes sociaux, les normes ou les valeurs véhiculées par la société déterminent les identités collectives. Mais celles-ci, en retour, influencent également les relations que les groupes entretiennent avec le territoire et avec les autres collectivités, relations que nous nommons territorialité.
Ainsi, pour prendre un exemple dans le bassin genevois, les relations particulières que les travailleurs frontaliers entretiennent avec l'espace transfrontalier (passage quotidien de la frontière, lieu de travail en Suisse et lieu de résidence en France) engendrent une certaine perception de cet espace, mais conditionnent également les relations que les frontaliers auront avec les autres groupes de travailleurs et de résidents dans l'espace franco-genevois.
Vus comme privilégiés par certains, ou comme défavorisés par d'autres - notamment si l'on considère la faiblesse des acquis sociaux -, ils sont les
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diglossos, ceux qui "parlent deux langages", doivent connaître deux systèmes légaux, et transgressent les limites. Ils possèdent donc une "identité"
particulière (même si peu d'entre eux se définissent comme "frontaliers" en premier lieu), qui découle de leur pratique de l'espace et conditionnera celle-ci en retour.
Figure 2 : Territoire et identité
centres, réseaux, limites, étendue
territoire: — — — — — — —
relations sociales, normes, groupes, valeurs
\ /
Le rôle de la frontière
Une analyse plus fine de la frontière, considérée sous l'angle de ses effets sociaux, a permis de saisir l'enjeu de la coupure qu'elle représente dans l'espace franco-genevois. Encore fortement fonctionnalisé, le cordon frontalier a un effet disjoncteur sur plusieurs plans : on connaît déjà les difficultés d'intégration dans le domaine de l'aménagement du territoire ou dans le domaine fiscal ; mais ce sont aussi des disparités dans le domaine idéel qui en découlent. La méconnaissance de l'espace et des systèmes sociaux de l'autre côté de la frontière est importante : la limite coupe finalement moins des espaces physiques que des espaces relationnels autrefois intégrés. C'est ce que l'on peut se représenter grâce à la figure 3 : dans un écosystème humain, le territoire est régulé par des sphères naturelles (biosphère, atmosphère, etc.), mais aussi par une sphère sociale (sociosphère). L'introduction d'une frontière dans l'espace induit des distinctions dans la sociosphère, en particulier dans les temps sociaux. Nous appelons temps social le temps tel qu'il est vécu par les sociétés, soumises aux codes qu'elles véhiculent et qui différent d'un pays à l'autre (fonction légale de la frontière).
L'espace transfrontalier est ainsi l'interface sur laquelle se projettent les sphères de régulation (naturelles et sociale) ; dans l'espace franco-genevois, si l'on peut considérer en première analyse que les sphères naturelles sont homogènes sur l'ensemble du bassin, on a en revanche de grandes disparités légales (lois et système politique différents), fiscales (imposition et taux de change) et sociales (comportement démographique ou habitudes diverses).
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propriétaires de logement opposé, des politiques concernant les étrangers variant de part et d'autre de la frontière, etc..
Figure 3 : L'écosystème transfrontalier
Lithosphère Atmosphère
Hydrosphère Biosphère
valeurs, finalités normes, codes sociaux relations sociales
valeurs, finalités normes, codes sociaux
relations sociales
Au terme de ce mémoire, qui illustre également d'autres pratiques territoriales en les mettant en relation avec une évolution historique et géographique (question des zones franches ou des confessions), il ressort que l'établissement et la fonctionnalisation de la frontière lui ont conféré un rôle surdéterminant pour les pratiques territoriales, mais aussi pour les identités collectives.