• Aucun résultat trouvé

Les Alpes sont-elles un "bien commun"

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les Alpes sont-elles un "bien commun""

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Les Alpes sont-elles un "bien commun"

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Les Alpes sont-elles un "bien commun". In: Körner Martin, WALTER François. Quand la montagne aussi a une histoire, Mélanges offerts à Jean-François Bergier . Berne : Haupt, 1996. p. 113-120

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4456

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Les Alpes sont-elles un «bien commun»?

C

LAUDE

R

AFFESTIN

D'un mythe à une idéologie...

Elisée Reclus, dans sa Nouvelle géographie universelle écrivait en 1878 : «Ces montagnes étaient jadis fort redoutées : les voyageurs évitaient la Suisse à cause de l'âpreté de ses gorges et de la difficulté de ses chemins; la plupart des routes commerciales faisaient de grands détours pour n'avoir pas à traverser les hauts massifs des Alpes. Maintenant, au contraire, les étrangers se portent en foule vers la Suisse pour contempler ses glaciers, ses escarpements, ses cascades; de tous les pays du monde, c'est précisément celui dont on s'écartait le plus autrefois qui de nos jours est le plus visité1.» Au moment où Reclus écrivait ces lignes, la représentation de la montagne avait changé depuis longtemps puisque le renversement progressif de perspective avait émergé à la char- nière des XVIIe et XVIIIe siècles.

On connaît assez les noms des laudateurs de la montagne pour qu'il soit inutile de les rappeler sinon pour dire qu'ils sont aussi excessifs que ses contempteurs du passé. Les Alpes ne sont de loin pas, au XVIIIe siècle, ce qu'Albrecht von Haller en dit dans son poème philosophico-littéraire, comme elles n'étaient pas davantage, au XVIe siècle, ce qu'en disait Montaigne dans son journal de voyage ! Peu importe, puisque les excès dans un sens ou dans l'autre révèlent davantage le rapport à la montagne que la montagne elle-même. Or, ce rapport est fondamental dans la mesure où il a contri-bué à créer un «imaginaire de référence» dont les éléments constitutifs imprègnent encore nos mythes, voire nos pensées les plus secrètes. Bien sûr, ce prêt- à-penser la montagne n'existe pas et n'a jamais existé mais il a servi de levier, ô combien puissant, à l'étude et à la connaissance du milieu montagnard2.

Dans cette perspective, les Alpes constituent certainement ce que je suis tenté de dénommer un «bien commun», en tout cas par rapport à la mémoire collective et c'est sans doute ce que voulait dire mon professeur de géologie, Edouard Paréjas, qui, il y a lu ans commença sa première leçon de l'année académique par la formule suivante :

"Messieurs (il n'y avait aucune étudiante en géologie à l'époque !), vous avez deux patries, la votre et les Alpes !» Je ne suis toujours pas certain que les étudiants comprenaient le

1 Elisée RECLUS, L'Europe centrale, vol. III, Paris, 1878, p. 2. .

2 Claude RAFFESTIN «Less territorialités alpines ou les paradoxes du dialogue nature-culture, in Economie et écologie, Berne, p. 37-50

(3)

114 Claude Raffestin

sens profond de cette remarque car il manquait, en particulier à ceux qui n'étaient pas suisses, toute une culture historique qui leur aurait permis de replacer la boutade dans son juste contexte. D'ailleurs, depuis presque 40 ans, je n'ai pas cessé moi-même de l'approfondir et d'en mesurer toute la valeur au fur et à mesure de la découverte du rôle que les Alpes ont joué dans l'élaboration de la pensée moderne tant dans les sciences de la nature et de l'homme que dans la littérature, la peinture et la politique. C'est assez dire qu'il y a un mythe alpin commun à l'Occident qui a commencé à s'élaborer à partir de 1690 et qui n'a pas cessé de s'amplifier du XVIIIe siècle à nos jours3.

Mais qu'est-ce que la montagne ? Braudel ne s'y est pas trompé quand il écrit qu'elle est impossible à définir car les limites que le géographe s'efforce de tracer, que ce soit dans le monde physique ou le monde humain, sont presque toujours mises en échec par d'innombrables écarts. Les Alpes sont souvent un monde marginal «à l'écart des civilisations», mais pas toujours non plus4. Malgré la difficulté de la question, force est de la reposer pour chercher à identifier tant soit peu le rôle des Alpes en Europe, quand bien même la réponse risque d'être décevante. Le recours à la métaphore est inévitable : Les Alpes jouent, en Europe, le rôle d'un gigantesque commutateur qui agit sur les connexions et les circuits. Cette image que d'aucuns jugeront trop technique n'en a pas moins le mérite de mettre en évidence la fonction des Alpes entre le sud et le nord de l'Europe, fonction dont l'actualité est indiscutable, comme en témoignent les problè- mes liés au franchissement qui sont de nature politique, économique, écologique mais aussi sociale et culturelle. Les Alpes sont, à nouveau, au centre des préoccupations de l'Europe. L'Europe étant entendue, ici, tout à la fois comme entité géographique et comme entité politique, encore que pour l'Europe occidentale, les deux tendent de plus en plus à se confondre.

A cet égard, il faut rappeler que la mise en place de la dialectique des pouvoirs internes et des pouvoirs externes, qui a rythmé l'évolution des Alpes jusqu'à nos jours, date probablement, sous sa forme explicite, du temps d'Auguste comme le relatent les

«Res Gestae» avec la soumission des peuples alpins. Région stratégique pour la Rome impériale, les Alpes entrent dans l'histoire en découvrant simultanément leur impor- tance et leur faiblesse. J'entends par pouvoir interne celui de toute collectivité vivant à l'intérieur des Alpes, tandis que, par pouvoir externe j'entends celui des collectivités qui vivent en dehors des Alpes mais qui doivent les emprunter pour communiquer entre le nord et le sud de l'Europe.

Les pouvoirs internes ont cherché à mettre en valeur les ressources des milieux variés et extrêmes conditionnés par la verticalité. Il en est résulté des stratégies aréolaires pour se brancher sur des écosystèmes naturels de manière à en dériver la biomasse végétale et la biomasse animale nécessaires à la satisfaction des besoins. La mise en place de réseaux d'échanges locaux puis régionaux et interrégionaux devant assurer l'exportation des faibles surplus et l'importation des ressources non disponibles comme le sel et les céréales.

3 Claire Eliane ENGEL.,La littérature alpestre en France et en Angleterre aux XVIIIe et XIXe siècles, Chambéry, 1930.

4 Fernand BRAUDEL, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Armand Colin, Paris (6e édition),

1985, p. 30.

Les Alpes sont-elles un «bien commun» ? 115

A l'inverse, les pouvoirs externes, peu intéressés par le «contenu» jusqu'à une date relativement récente ont joué la «position» et déclenché des stratégies linéaires de manière à contrôler les routes d'accès et les points de passage. De fait, derrière le Mont-Cenis, le Petit et le Grand Saint-Bernard, le Simplon, le Saint-Gothard et le Brenner se sont toujours profilés des pouvoirs externes qui se sont ingéniés par la force ou la diplomatie à les accaparer ou à s'en assurer la maîtrise5. Ainsi, depuis plus de deux millénaires, cet invariant structurel est à l'oeuvre, selon des modalités propres à chaque époque et selon des morphologies conditionnées par des échelles spatiales et temporelles spécifiques.

Avec la vulgarisation de l'idée de nature, et la découverte surtout que «la nature est bonne», on a inventé la montagne comme lieu d'une société innocente. Transformé avec le temps, le mythe alpin s'est enrichi de connotations diverses : l'altitude est devenue un moyen de régénérer le corps autant que l'âme, le développement de l'alpinisme, à partir d'Horace Bénédict de Saussure qui fera beaucoup d'émules, dure encore aujourd'hui comme en témoignent, entre autres, les jeux olympiques d'hiver.

L'exploitation de «l'or blanc» dès la fin des années 50 a fait des Alpes, avec le tourisme de masse, un territoire de loisir commun à l'ensemble de l'Europe et même du monde pour les classes les plus favorisées.

Dès la seconde moitié du XIXe siècle, le mythe alpin, inventé à l'extérieur des Alpes mais auquel adhèrent les habitants des Alpes, va constituer une sorte de contre-poison à la révolution industrielle et à son corollaire l'urbanisation, qui sera matérialisé par les traitements en sanatorium contre la tuberculose. Le chef-d'oeuvre de Thomas Mann, le «Zauberberg», apportera une caution littéraire au mythe qui, d'avatar en avatar, se transformera mais subsistera jusqu'à devenir une idéologie, le mot étant pris, ici, dans le sens de projet social.

Que les Alpes soient devenues un bien commun par le mythe et par l'idéologie ne fait probablement aucun doute quand on mesure leur signification dans l'imaginaire contemporain. Pourtant, si l'imaginaire est une chose, la réalité en est une autre. C'est pourquoi, il convient de se demander quels sont les fondements matériels de cette idéologie-mythe qui tend à transformer les Alpes en un «bien commun» que semble identifier la Convention alpine, signée par les sept Etats alpins et la CEE.5

Les fondements matériels d'un bien commun

Long ruban de 1200 km s'étirant de Nice à Vienne, de la Méditerranée à l'Europe centrale, les Alpes constituent un obstacle mais pas une barrière entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud. Saillance au centre du continent, les Alpes ont toujours déclenché des phénomènes de prégnance sur les comportements politiques, économi- ques et culturels.

5 R. CRIVELLI ET C. RAFFESTIN,«Blanche Neige et les Sept Nains ou la transformation des Alpes en patrimoine commun», in Revue de géographie alpine, 1992, No 4, p.215-227.

(4)

Considérons d'abord les choses d'un point de vue physique. Les Alpes sont à l'origine de grands fleuves à vocation européenne comme le Rhin et le Rhône qui ont toujours été investis au cours de l'histoire de fonctions multiples : géniteurs de villes, axes de circulation, supports de frontières... Le Pô, également né dans les Alpes, joue un rôle identique pour l'Italie du Nord. Le Danube n'est pas un fleuve alpin, certes, mais beaucoup de ses affluents le sont. Par ailleurs, au-delà de leur fonction de château d'eau, les Alpes agissent, on l'a rappelé, comme commutateur dont Rome, prototype de tous les empires européens, s'est emparé. La fonction de passage est ambivalente puisqu'elle est simultanément une ressource et une contrainte qui conditionnent les relations entre pouvoirs internes et pouvoirs externes. La fonction de passage est, sans nul doute, celle qui, depuis l'Antiquité, a le plus rythmé l'évolution du monde alpin.

Mais les Alpes sont encore une mosaïque d'écosystèmes naturels dont la variété n'a d'égale que la fragilité. Véritable puzzle, les Alpes doivent leur originalité à la latitude fortement corrigée par l'altitude si bien que l'on découvre une complexité que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans un espace aussi réduit. Les Alpes renferment des éco- systèmes qui s'apparentent par leurs caractéristiques au monde méditerranéen mais aussi au monde polaire. D'où, évidemment, une diversité tout aussi grande des écosystèmes humains. Diversité, certes, mais aussi rareté des ressources qu'il faut récupérer dans des conditions difficiles comme les minerais métalliques qui existent tous mais jamais en abondance. C'est probablement pourquoi les Alpes ont davantage intéressé les pouvoirs externes comme Heu de passage que comme lieu d'exploitation. Certes, les grandes inventions de la seconde révolution industrielle à base d'électricité ont trouvé dans les Alpes avec l'eau une ressource essentielle pour développer l'électro-chimie et l'électro- métallurgie, à l'occasion de l'implantation desquelles les écosystèmes naturels ont sou- vent été bouleversés voire détruits d'une manière parfois irréversible. A sa façon, la modernité industrielle a déstructuré les écosystèmes humains traditionnels.

Le développement des sports d'hiver et leur corollaire les stations touristiques ont déterminé après 1950 des impacts considérables sur les écosystèmes naturels. L'ab- sence de conscience écologique de beaucoup de régions alpines a même entraîné des transformations qui se traduisent aujourd'hui par des accidents multiples liés, entre autres mais pas seulement, à l'instabilité des terrains accentuée par des implantations faites sans aucune précaution.

Etablir un bilan des destructions subies par le monde alpin depuis un siècle serait possible mais long et difficile. Pourtant, les ravages subis par l'environnement sont tels que les pays alpins et la CEE ont pris la décision de signer une Convention pour la préservation des Alpes. N'est-ce-pas explicitement la reconnaissance, par l'Europe, que les Alpes constituent un «bien commun» dont la gestion jusqu'à maintenant a été négligée dans une large mesure? Si tel a été le cas, la responsabilité en incombe d'abord aux pays alpins eux-mêmes qui, d'une manière générale, ont élaboré tardivement des politiques de la montagne. Celles-ci n'ont commencé à être mises en place, d'une manière quelque peu systématique, que dans les années 1970, exceptions faites de mesures anciennes, ici et là, qui ne constituaient pas une véritable prise de conscience du phénomène spécifique qu'est l'environnement montagnard.

Il faut dire, à la décharge de certains pays, que les Alpes ne sont pour eux, géographi- quement parlant, que des régions excentriques et donc marginales. C'est le cas pour la France, l'Italie, l'Allemagne et l'ex-Yougoslavie si on laisse de côté le Liechtenstein. Seuls deux pays, l'Autriche et la Suisse, possèdent une zone alpine qui représente les 2/3 de leur territoire national. Quand bien même, pour les uns et les autres, le monde alpin est tout autant chargé de symboles qui s'enracinent dans le mythe évoqué plus haut, il n'est vraiment un espace d'existence primordial que pour l'Autriche et la Suisse qui contrôlent non pas les seuls passages mais ceux parmi les plus fréquentés à savoir respectivement le Brenner et le Saint-Gothard. Les autres passages tels que le Mont-Cenis, le Petit et le Grand Saint-Bernard, le Simplon et d'autres encore ne sont pas négligeables mais jouent un moindre rôle dans la stratégie linéaire de transit Nord-Sud des pouvoirs externes.

La question essentielle à poser, à propos de la Convention alpine, est celle-ci : a-t- elle vraiment pour objectif de gérer un «bien commun» à travers tout ce qu'il représente pour l'ensemble de l'Europe ou s'agit-il de dissimuler derrière une pseudo-politique de l'environnement, une mainmise de l'Union Européenne sur des passages-clés détenus par deux pays dont l'un se refuse avec obstination à en faire partie? Poser la question n'est pas la résoudre et il faut passer en revue le contenu de cette Convention.

La Convention pour la protection des Alpes

La Convention est louable, du moins dans les intentions qu'elle affiche, puisqu'il s'agit de reconnaître «que les Alpes sont un habitat et un refuge indispensable pour nombre d'espèces animales et végétales menacées» et que «l'espace alpin et ses fonctions économiques sont de plus en plus menacées par l'exploitation croissante que l'homme en fait». Il est affirmé, par ailleurs, dans le préambule «que les Alpes ne sont pas seulement un cadre de vie et un espace économique pour la population qui y habite mais qu'elles revêtent également une importance particulière pour les régions extra- alpines ainsi que comme support des voies de communication essentielles». Comment ne pas voir se profiler derrière cette affirmation les intérêts des pouvoirs externes qui, depuis le XIXe siècle, sont, par leur politique d'exploitation des ressources alpines, les premiers responsables des problèmes environnementaux actuels. Il n'est pas question d'intenter un procès aux pouvoirs externes sur la base d'un passé révolu mais bien de se demander si la constitution des Alpes en patrimoine européen a quelque chance d'aboutir à une gestion globale significative pour leur avenir : penser globalement est nécessaire mais absolument insuffisant si l'on n'agit pas localement.

Or, sur ce point, il n'est pas évident que les parties contractantes de la Convention aient une idée claire de l'action régionale d'une part et de l'action locale d'autre part.

A cet égard, les parties contractantes font preuve dans l'article 2 d'une vision pour le rnoins discutable en déclarant qu'elles prendront des mesures appropriées pour «Se maintien et le respect de l'identité culturelle et sociale de la population des Alpes».

Vaste et beau programme, mais qu'est-ce que l'identité culturelle et sociale des Alpins?

Cet article 2 révèle que le législateur ignore à peu près tout des Alpes! Il réactualise le

(5)

118 _____Claude Raffesti Raffestin vieux mythe alpin cher à Albrecht von Haller .... qui était déjà un mythe à son époque et pour cause puisqu'il en était l'un des créateurs, sinon le créateur unique !

On ne peut pas parler de l'identité alpine ainsi précédée d'un article défini. Elle n'existe tout simplement pas sous cette forme générale. Il n'y a pas davantage une population alpine qui serait définie par des paramètres démographiques spécifiques, pas plus qu'il n'y a une société alpine au sens général du terme. A cet égard, la Convention est relativement irréaliste car elle procède de bout en bout d'un fondement idéologico-mythique pour construire des réalité contemporaines ou futures.

En d'autres termes, on utilise le mythe alpin qui n'a jamais eu d'autre réalité que celle des valeurs auxquelles l'Europe a commencé à adhérer au XVIIIe siècle pour inventer une «morale» de rechange et un contrepoids à une modernité triomphante. Comment pourrait-on d'ailleurs maintenir et respecter une identité qui pour l'essentiel a été inventée hors des Alpes et «greffée» au fil du temps sur les populations?

L'opération est néanmoins habile puisqu'il s'agit de s'appuyer sur le mythe, indénia- blement commun à tous les Européens, pour suggérer que la région qui en est l'objet devienne un patrimoine commun à son tour. Il y a là un processus de transfert qui infère d'un mythe commun l'idéologie d'un territoire commun. Ce que les pouvoirs externes des empires du passé n'avaient pu réaliser, la conjonction de l'idée européenne et de l'idée environnementale est en passe de le réussir.

Les Alpes sont considérées comme un «bien commun» dans l'exacte mesure où il y a lieu d'harmoniser «intérêts économiques et exigences écologiques». C'est parfaitement clair dans l'article 2 qui prône une politique globale de préservation et de protection dans l'intérêt des pays alpins et de la Communauté économique. Tous les aspects sont pris en compte de la population à la culture en passant par l'aménagement, l'air, le sol, l'eau, le paysage, l'agriculture, les forêts, le tourisme, les transports et les déchets.

Le fondement même de la constitution des Alpes en bien commun s'établit sur des recherches et des observations auxquelles les parties contractantes participent et, dont les décisions sont adoptées par la Conférence alpine dont l'organe exécutif est un Comité permanent composé des délégations des Parties contractantes. Il est prévu une information appropriée de la population sur les résultats des recherches et sur les mesures prises.

A cet égard, il est étonnant de constater que ce sont les Etats qui sont en cause et qui, par là même, représentent les régions alpines qui, d'après les textes, ne sont ni citées ni évoquées explicitement. On est donc véritablement en présence d'une con- ception centralisée se manifestant à l'échelle nationale mais pas régionale sur le plan juridique du moins.

Certaines régions alpines n'ont pas manqué de voir dans cette Convention une limitation de leur autonomie quant à leur action future dans leur propre territoire.

Certes, les choses ont évolué depuis le milieu du siècle dernier mais peut-être n'est-il pas inutile de rappeler qu'au moment où Dufour a levé la première carte moderne de la Suisse entre 1833 et 1865, les montagnards ont souvent ressenti le travail des topographes, voulu par le pouvoir central, comme une expropriation symbolique de leur territoire. Il est évident que la carte était un moyen de pouvoir que la Confédé-

Les Alpes sont-elles un «bien commun» ? 119

ration se donnait par rapport à toutes les collectivités cantonales quand bien même les résultats utiles devaient en être partagés entre tous.

Toutes choses égales par ailleurs, Sa Convention alpine risque fort d'être ressentie de la même manière par les collectivités alpines. Il s'agit bien d'une expropriation symbolique d'une part et même d'un peu plus que cela d'autre part, puisque les mesures à prendre pour la sauvegarde de l'espace alpin seront décidées par des Etats dont beaucoup n'auront qu'une vision à petite échelle des problèmes alpins. Le Valais, par exemple, a fortement réagi devant ce qu'il a ressenti comme une ingérence insup- portable.

Que la collectivité valaisanne ait tort ou raison n'est pas vraiment le problème. Le problème est ailleurs. Il réside en fait dans la question suivante : est-il, du point de vue de la morale politique, acceptable de restreindre le pouvoir d'intervention d'une col- lectivité sur son territoire parce que celui-ci représente une ressource rare pour une collectivité plus grande?

La réponse, on s'en doute, n'est pas aisée. Ne faut-il pas dans un cas semblable trouver un mécanisme politco-juridique qui articule les échelles en présence, région, nation et continent et surtout qui laisse une part de décision aux collectivités qui entretiennent une relation plus étroite avec ce qui est vécu localement?

Dans la situation actuelle on a réussi à renouer le vieux conflit entre pouvoirs internes et pouvoirs externes qui risque fort d'hypothéquer pour longtemps les inten- tions louables de la Convention.

On peut avancer l'hypothèse que si les Alpes peuvent être considérées comme un patrimoine commun à toute l'Europe, celui-là ne peut pas être géré, quant à son utilisation, autrement que par les collectivités qui l'habitent et le vivent quotidienne- ment dans sa réalité morcelée et fragmentée.

Eléments pour une gestion renouvelée des Alpes

On se défend mal de l'impression que la Convention alpine veut mettre les Alpes sous cloche pour mieux gérer cette enveloppe spatio-temporelle particulièrement complexe.

Ce n'est certainement pas la manière de gérer un patrimoine de cette importance mais néanmoins il convient de retenir l'idée d'enveloppe ou de sphère car tout écosystème est traversé par des flux de matière d'énergie et d'information qui conditionnent de multiples interrelations qu'on voit à l'oeuvre dans l'intersection des trois grandes logiques : l'éco- la bio et la socio-logiques.

S'il est possible d'étudier les problèmes posés par ces intersections et le rôle joué par celles-là, il n'est guère possible de concevoir une gestion globale de l'utilisation de l'espace alpin à partir d'observations et de recherches générales. Tout nouveau projet doit être considéré à travers une chaîne qu'on peut résumer de la manière suivante : l'environnement humain/Nature — projet - Environnement humain/Nature. En d'autres termes, il convient de considérer un champ unifié dans lequel il y a un amont

(6)

et un aval entre lesquels s'intercale le projet dont il s'agit de préciser la valeur écolo- gique, la valeur économique et la valeur régionale ou locale. Seules les instances véritablement concernées sont en mesure d'apporter des réponses car elles sont les seules à vivre réellement le local et le régional.

En revanche, ce que la Convention alpine peut leur apporter c'est un encadrement informationnel et scientifique pour mesurer la valeur des projets. La gestion d'une utilisa- tion est uninterface entre des acteurs qui agissent et décident et des acteurs qui possèdent de larges moyens de connaissance pour aider à la meilleure réalisation possible.

On retombe ici sur la nécessaire articulation des échelles territoriales et collectives pour aboutir à des choix pertinents et cohérents en matière économique et en matière écologique. C'est aussi dans cette perspective l'articulation des pouvoirs internes et des pouvoirs externes.

Car finalement, décréter que les Alpes constituent un patrimoine commun à toute l'Europe en cherchant à gérer depuis le sommet de la hiérarchie son évolution future ne conduira à rien comme l'ont montré d'autres Conventions comme celle relative à la Méditerranée (le fameux Plan bleu). En revanche, si l'on réussit à articuler dans chaque projet les différentes échelles en respectant l'autonomie des échelons inférieurs on réussira à créer une synergie qui aura valeur d'exemple.

Le bien commun ne peut pas être posé comme un axiome à l'origine d'une déclaration, il ne peut être constaté qu'à la fin d'un processus et cela pour de multiples raisons.

Les écosystèmes naturels et humains des Alpes résultent d'une très longue évolution dont la Convention ne semble pas avoir une conscience bien nette. En effet, obnubilée par le contenu naturel et humain des Alpes, elle oublie que ce contenu est réglé par des temps différentiels dont la connaissance est indispensable. Par ailleurs, ces temps se recoupent et s'interpénètrent de telle manière qu'à chaque étape d'un processus on découvre tous les mécanismes d'interdépendance et de solidarité.

Le reproche le plus sérieux que l'on puisse faire au projet de la Convention est son caractère amnésique. En effet, dans tout projet il y a intervention dans une «mémoire»

qui n'est rien d'autre que l'histoire humaine de la nature alpine qui s'inscrit dans le temps long. Cette histoire a été ponctuée par des processus de territorialisation, de déterritorialisation et de reterritorialisation qu'il faudrait connaître pour réussir une gestion de l'utilisation des Alpes.

L' oubli est d'autant plus paradoxal qu'un patrimoine est d'abord et surtout une

«mémoire vivante» avant d'être un bien matériel. Un patrimoine ressortit autant à la

«métaphysique» qu'à la «physique» comme le montre bien le mythe alpin. Gommer la dimension «métaphysique» du patrimoine c'est compromettre son avenir «physique»

car c'est se condamner à ignorer ce qui le fonde et l'enracine dans l'imaginaire collectif à travers les éléments réels.

La Convention alpine en mettant trop l'accent sur l'écologie et l'économie élimine tout ce qui a trait à l'écologie humaine et dans celle-ci ce qui a trait à l'écologie de l'esprit. La sauvegarde et la protection de l'environnement ne peuvent réussir que si l'on réhabilite la part de contemplation qu'elles supposent : une écologie sans contem- plation n'est finalement que ruine de l'environnement à terme.

Références

Documents relatifs

Actes du colloque international de l'Association Francophone d'Education Comparée (AFEC), 22, 23 et 24 juin

« D’abord, le fait considérable de l’universalité du langage : « Tous les hommes parlent » ; c’est là un critère d’humanité à côté de l’outil,

(67 des 91 candidats avaient réussi l’examen) 4. En matière de responsabilité médicale, la jurisprudence italienne reconnaît la « perte d’une chance », par contre, aussi

L'objectif de cette contribution est d'explorer les significations attribuées à la guérison et à l'aller-mieux dans les récits produits dans le cadre d'entretiens compréhensifs par

internationale à se mobiliser pour défendre son identité juridique et assurer de toute part le respect de ses valeurs et principes, notamment au moyen' des

Avec «Rendez-vous en terre inconnue», France Télévisions fait vivre à une célébrité une expérience de vie chez un peuple vivant à l'écart de la mondialisation.. L'émission se

DUCRET, André Marie Omer, SCHIBLER, Héloïse. DUCRET, André Marie Omer,

Ce  phénomène  commence  à  sortir  de  l’oubli  depuis  une  dizaine  d’années  en  France,  grâce  notamment  aux  travaux  du  groupe  de  recherche