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Reference
Pharmacogénomique et thérapie personnalisée
BAUMANN, Pierre-Pascal, et al.
BAUMANN, Pierre-Pascal, et al . Pharmacogénomique et thérapie personnalisée. Revue médicale suisse , 2017, vol. 13, no. 573, p. 1544-1545
PMID : 28876714
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:99763
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REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH 6 septembre 2017
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Pharmacogénomique et thérapie personnalisée
PIERRE BAUMANN, URSULA AMSTUTZ, ROLAND P. BÜHLMANN, PETER MEIER-ABT, URS A. MEYER, CAROLINE SAMER et MARC ANSARI Rev Med Suisse 2017 ; 13 : 1544-5
INTRODUCTION
La pharmacogénomique vient d’accéder à une reconnaissance « officielle » en Suisse, depuis que l’Office fédéral de la santé pu
blique autorise, sous certaines conditions, le remboursement d’analyses de génétique moléculaire (tests pharmacogénétiques) par les caisses maladie (ta bleau 1). En effet, à côté de facteurs environnemen
taux comme les comédi cations, le tabac ou l’alimentation, la recherche a mis en évidence des facteurs génétiques qui sont responsables de la grande variabilité inter
individuelle dans la pharmacocinétique et la pharmacodynamie des médicaments.
PROGRÈS DE
LA PHARMACOGÉNOMIQUE
Sous la dénomination « pharmacogé
nomique », la recherche centrée sur l’ana
lyse de déterminants moléculaires au ni
veau de la génomique, transcriptomi que et protéomique a réalisé des progrès con
sidérables. Les biomarqueurs pharma
cogénomiques qui permettent de prédire la réponse à un médicament ou sa toxi
cité sont le plus souvent des variants gé
nétiques d’enzymes impliquées dans le métabolisme de médicaments (par exem
ple, cytochrome P450), des protéines de transport des médicaments, des récepteurs cibles de médicaments ou d’antigènes de leucocytes. Leur rôle consiste donc à servir comme instrument pour :1
X éviter des surdosages suivis d’effets indésirables ;
X éviter des sousdosages suivis d’un manque d’efficacité ;
X éviter l’utilisation de médicaments chez des individus hypersensibles ou à risque ;
X améliorer le diagnostic clinique.
La recherche en médecine de préci
sion a permis d’identifier certains biomar
queurs et des cibles de médicaments sont déjà disponibles pour les humains,2 mais la collaboration entre les milieux univer
sitaire et industriel doit être poursuivie pour développer des nouveaux médica
ments qui seront utilisés dans le cadre d’une thérapie personnalisée. La Food and Drug Administration (FDA) a publié une liste de 200 médicaments pour lesquels l’étiquetage comprend des biomarqueurs pharmacogénomiques (www.fda.gov/drugs/
scienceresearch/ researchareas/pharmaco genetics/ucm083378.htm ; mise à jour du 14.3.2017 : www.fda.gov/downloads/Drugs/
ScienceResearch/ ResearchAreas/ Pharmaco genetics/UCM545881.pdf).
UTILITÉ DES TESTS PHARMACOGÉNOMIQUES
L’utilité clinique de certains tests phar
macogénomiques peut encore se révéler discutable selon la paire gènemédicament considérée. Des ressources de connaissan
ces en pharmacogénomique (Pharm GKB) sont hébergées par l’Université de Stan
ford (www.pharmgkb.org). Ces ressources incluent des informations cliniques telles que des directives d’adaptation de dose ainsi que des informations sur les asso
ciations entre gènes et réponse médica
menteuse. La PharmGKB ajoute des « An
notations cliniques », qui présentent un résumé basé sur l’évidence d’une associa
tion d’un génotype et d’un médicament.3 Elle distingue alors 3 niveaux d’évidence : le niveau 1, le plus élevé, exige une réplica
tion dans des populations d’au moins 1000 cas et 1000 témoins de la même ethnie et une signification statistique (p < 0,05). Il est par exemple atteint pour les médica
ments de chimiothérapie fluorouracile et capécitabine en ce qui concerne le rôle des variants de la dihydropyrimidine déshy
drogénase (DPYD) dans leur métabolisme et pour le risque d’effets indésirables. Plu
sieurs variants dans ce gène amènent une activité enzymatique réduite et une clai
rance diminuée du médicament et donc un risque augmenté de toxicité sévère à des doses habituelles. Il a été démontré qu’un test pharmacogénétique avant le début du traitement, suivi d’une réduction de la dose chez des porteurs de tels va
riants, réduit le risque de toxicité et le
coût global du traitement.4 En Suisse, le génotypage de DPYD pour le 5fluorou racile et la capécitabine est maintenant remboursé par l’assurancemaladie de base (tab leau 1).
Le niveau 2 est atteint lors qu’une associa
tion est trouvée dans une population de
≥ 100 indi vidus avec une signification sta
tistique (p < 0,05). Le niveau 3 est de mise lorsque l’évidence justifiant une anno ta
tion clinique est encore plus faible. C’est le cas lorsque les critères mentionnés plus haut ne sont pas remplis en ce qui con cerne le nombre d’individus de la population étudiée ou la signification statistique. Il peut même être atteint sur la base d’études in vitro ou pharmaco cinétiques, uniquement.
Par contre, le polymorphisme géné
tique du transporteur de médicament ABCB1 (codant pour la glycoprotéineP) ne figure pas dans les listes de la FDA et de PharmGKB mentionnées précédemment.
La recommandation suisse d’effectuer un génotypage ABCB1 de routine chez tous les patients dépressifs chez lesquels on prévoit un traitement antidépresseur5 pa
raît surprenante et est donc une mesure prématurée étant donné l’évidence scien
tifique actuellement insuffisante pour la justifier.
DIRECTIVES
Le développement de recommanda
tions (guidelines) de qualité afin de faci
Tableau 1
Remboursement d’analyses pharma-
cogénétiques : aspects pratiques Depuis janvier 2017, une ordonnance fédérale précise les conditions pour le remboursement d’analyses pharmacogénétiques par les caisses maladie (www.bag.admin.ch/bag/fr/home/themen/versicherun- gen/krankenversicherung/krankenversicherung-leistun- gen-tarife/Analysenliste.html (Ordonnance du DFI du 29 septembre 1995 sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie (Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, OPAS, annexe 3) 832.112.31 RS 832.112.31, modification du 1er janvier 2017).
pharmaco- génomique
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liter l’implantation et l’interprétation des résultats de tests pharmacogénomiques et donc d’éviter leur usage inapproprié est donc essentiel.6,7 Pour de nombreuses paires gènemédicament présentant une évidence élevée pour une importance cli
nique de variants génétiques, des direc
tives ont été développées, qui formulent des recommandations thérapeutiques spé
cifiques pour chaque génotype. En tenant compte des variants génétiquement signi
ficatifs, elles offrent ainsi un guide pour l’interprétation de résultats de tests phar
macogénétiques et sur la conduite des thérapies adaptées au génotype. En parti
culier, le Clinical Pharmacogenetics Imple
mentation Consortium (https://cpicpgx.
org/) et le PharmGKB (www.pharmgkb.
org/view/dosingguidelines.do) offrent des recommandations régulièrement mises à jour pour de nombreux médicaments.
ET EN SUISSE ?
En Suisse, dans le but de promouvoir, d’informer et d’offrir une vue indépen
dante de la pharmacogénomique et de la thérapie personnalisée aux politiciens, au public et aux autres parties prenantes, c’estàdire les milieux universitaires, les insti tutions de santé, les fabricants de mé
di caments et de produits de laboratoire, et les laboratoires médicaux, le Groupe suisse de pharmaco génomique et de thé
rapie personnalisée a été récemment créé (tab leau 2).
Les tests pharmacogénétiques sui
vants prescrits par tout médecin, sans distinction du titre de spécialité, sont remboursés par les caisses maladie dans le cadre de traitements avec les médica
ments listés ciaprès (version 1 de la liste publiée par la Société suisse de pharmaco
logie et toxicologie cliniques (SSPTC) du 9.6.2016) : abacavir (HLA-B*57:01) ; carba
mazépine (HLA-A*31:01 et HLA-B*15:02) ; 6mercaptopurine, azathioprine (thiopu
rine méthyltrans férase ; TPMT) ; 5fluo
rouracile, capécitabine (DPYD) ; irinoté
can (UGT1A1).
Cette liste est actualisée annuelle
ment par la SSPTC et la SPT sur la base de la littérature scientifique la plus récente et
des évidences cliniques associées. Pour les paires gènemédicament ne figurant pas dans cette liste, la prescription d’un méde
cin porteur d’un titre FMH de pharmaco
logie et toxicologie cliniques doit être sol
licitée pour que l’analyse soit remboursée.
Par exemple : un psychiatre traite un jeune patient souffrant d’un trouble du déficit de l'attention / hyperactivité (TDAH) avec de l’atomoxétine, substrat de l’en
zyme génétiquement polymorphe CYP2D6.
Un taux plasmatique de ce médicament particulièrement élevé, mesuré chez cet adolescent, et des effets secondaires sug
gèrent que le patient est un métaboliseur lent et qu’il présente un déficit en CYP2D6. Selon l’Information sur le médi- cament (atomoxétine) (www. swissme di
cinfo.ch) : « Pour les patients avec un gé
notype « métaboliseur lent » reconnu, une dose de départ plus faible et une titration plus lente doivent être considérées. » En fait, cela suggère que le génotypage de
vrait même être effectué avant le début du traitement. Le médecin traitant aura alors avantage à s’adresser à un médecin spé
cialiste en pharmacologie et toxicologie cliniques qui, sur la base des taux plasma
tiques d’atomoxétine et de son métabo
lite, et d’informations cliniques pourra éventuellement prescrire un test pharmaco
génétique.
PR PIERRE BAUMANN, DR RER. NAT.
Département de psychiatrie (DP-CHUV), 1008 Prilly-Lausanne
pierre.baumann@chuv.ch
URSULA AMSTUTZ, PD, DR PHIL. NAT.
Institut universitaire de chimie clinique, Inselspital, Hôpital Universitaire de Berne, Université de Berne, 3010 Berne
ROLAND P. BÜHLMANN, DR PHIL.
Bühlmann Laboratories 4124 Schönenbuch PR PETER MEIER-ABT
Swiss Academy of Medical Sciences Laupenstrasse 7
3001 Berne PR URS A. MEYER Biozentrum, Université Bâle 4056 Bâle
DR CAROLINE SAMER, PD
Service de pharmacologie et toxicologie cliniques, HUG, 1211 Genève 14
PR MARC ANSARI
Département de l’enfant et de l’adolescent, unité d’onco-hématologie pédiatrique HUG, 1211 Genève 14
et CANSEARCH research laboratory, University of Geneva, Medical School
1211 Geneva
Tableau 2 Groupe suisse de pharmacogénomique et de thérapie personnalisée Le Groupe suisse de pharmacogénomique et de thérapie personnalisée (Swiss Group
of Pharmacogenomics and Personalised Therapy ; SPT) (Président : Marc Ansari), a été créé en 2016 en tant que section de la Société suisse de pharmacologie et toxicologie cliniques (SSPTC) (www.clinpharm.ch/Pharmaco/) mais aussi comme société nationale de la Société européenne de pharmacogénomique et thérapie personnalisée (European Society of Pharmacogenomics and Personalised Therapy ESPT (www.esptnet.eu/)).
Les buts de la SPT, qui accueille volontiers des nouveaux membres (margaret@swiss-spt.ch), sont les suivants :
X promouvoir une vision de la pharmacogénomique et de la thérapie personnalisée
X améliorer la connaissance et l’usage de la pharmacogénomique par les cliniciens et les patients
X promouvoir, informer et offrir une vue indépendante de la pharmacogénomique et de la thérapie personnalisée aux politiciens, au public et aux autres parties prenantes, c’est-à-dire les milieux universitaires, les institutions de santé, les fabricants de médicaments et de produits de laboratoires, et les laboratoires médicaux
X promouvoir la recherche dans ces domaines, en favorisant tout particulièrement la collaboration entre les chercheurs en Suisse et ceux d’autres pays d’Europe
X promouvoir la transition de la recherche à l’utilisation clinique dans les domaines de la pharmacogénomique et de la thérapie personnalisée 8
1 Sim SC, Ingelman-Sundberg M.
Pharmacogenomic biomarkers: new tools in current and future drug therapy.
Trends Pharmacol Sci 2011;32:72-81.
2 Relling MV, Evans WE. Pharmacogeno- mics in the clinic. Nature
2015;526:343-50.
3 McDonagh EM, Whirl-Carrillo M, Garten Y, Altman RB, Klein TE. From pharma-
cogenomic knowledge acquisition to clinical applications: The PharmGKB as a clinical pharmacogenomic biomarker resource. Biomark Med 2011;5:795-806.
4 Deenen MJ, Meulendijks D, Cats A, et al. Upfront genotyping of DPYD*2A to individualize fluoropyrimidine therapy:
A safety and cost analysis. J Clin Oncol 2016;34:227-34.
5 Holsboer-Trachsler E, Hättenschwiler J, Beck J, et al.
Traitement aigu des épisodes dépressifs. Swiss Medical Forum 2016;16:716-24.
6 Amstutz U, Carleton BC. Pharmaco- genetic testing: Time for clinical practice guidelines. Clin Pharmacol Ther 2011;89:924-7.
7 de Leon J. Pharmacogenetic tests in psychiatry: From fear to failure to hype.
J Clin Psychopharmacol 2016;36:299-304.
8 Mlakar V, Huezo-Diaz Curtis P, Satyanarayana Uppugunduri CR, Krajinovic M, Ansari M. Pharmacogeno- mics in pediatric oncology: Review of gene-drug associations for clinical use.
Int J Mol Sci 2016;17:1502.