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Art Nouveau : la cohérence des espaces intérieurs et extérieurs dans l’architecture

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Art Nouveau : la cohérence des espaces intérieurs et extérieurs dans l'architecture

EL-WAKIL, Leïla

EL-WAKIL, Leïla. Art Nouveau : la cohérence des espaces intérieurs et extérieurs dans

l'architecture. In: Réseau Art Nouveau Network (RANN), Riga, 5 septembre 2014, 2015, p.

10 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:75236

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« Architecture Art Nouveau

Les yeux sont le reflet de l’âme, mais pas seulement … » Par Leïla el-Wakil

L’architecture Art Nouveau serait-elle le creuset dans lequel se fond l’aspiration (jamais satisfaite) à la cohérence en architecture au tournant du XXe siècle ? Dans la deuxième de ses conférences données à Princeton, Frank Llyod Wright, en bon disciple de Louis Sullivan énonce un principe fondateur pour l’avenir de l’architecture : « Et pourquoi ne pas déclarer :

« La forme suit la fonction1 » et appliquer cette formule ? C’est une façon plus claire, plus profonde et plus compréhensible de dire ce qui doit être dit, car l’essence du sujet tient dans cette formule. »2 C’est à partir de ce principe qu’il envisage à partir de 1893 les maisons sur la Prairie, développant le grand toit débordant pour pallier la brutalité du climat au rez-de- chaussée et réfléchir la lumière à l’étage au travers d’un bandeau de fenêtres (pour ne pas dire de fenêtres en bandeau). Il explique comment, tout en tenant compte de la prairie environnante, il a cherché à enclore véritablement l’espace intérieur par un dispositif d’ « écrans », articulant le tout en obéissant à un principe de simplicité organique, antidote à la maison en carton-pâte, une maison devenue folle, « une contrefaçon mécanique, maladroite, embarrassée et trop compliquée du corps humain. Fils électrique pour le système nerveux, plomberie pour les entrailles, système de chauffage et cheminées pour les artères et le cœur, fenêtres pour les yeux, le nez et les voies respiratoires. La structure de la maison est une sorte de tissu cellulaire plein d’os dont la complexité a atteint de nos jours une sorte de folie. L’intérieur tout entier est une manière d’estomac qui tente de digérer les objets […]

Nous aimerions croire qu’une maison doit être un noble compagnon des hommes et des arbres. C’est pourquoi une maison doit produire une impression de paix et de grâce tout en s’harmonisant avec la nature extérieure. »3

1 Sullivan énonce cette phrase dans un article de 1896 « The Tall Office Building Artistically Considered », Lippincott’s, vol. 57, mars 1896.

2 Frank Llyod Wright, L’Avenir de l’architecture, vol. 1, p. 142.

3 Id., pp. 126-127.

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Quand bien même le premier Wright (1893-1900) n’a jamais simplement été assimilé au mouvement Art Nouveau (dont il méprise le courant français, aux « torsades serpentines », « ultime avatar morbide du style rococo »4), ni même aux Sécessions d’Europe centrale qu’il tient en meilleure estime, son travail architectural sur les villas de la Prairie, déjà sous influence japonaise, rassemble plusieurs des thématiques qui intéressent ce colloque : l’insertion dans le paysage environnant, les façades-écrans et leurs bandeaux de fenêtres, la projection des avant-toits ménageant des terrasses abritées en connexion avec les jardins, les verrières zénithales permettant l’ouverture sur le ciel.

Si l’on sait que l’esthétique classique exalte la façade symétrique et régulière, qui d’une certaine manière tait la distribution intérieure, qu’en est-il de la façade Art Nouveau ? Est-elle habillage flamboyant et/ou écran expressif ? Si Hector Guimard revendique systématiquement l’étiquette d’ « architecte d’art », Frank Llyod Wright, Antoni Gaudi, Victor Horta … invoquent la créativité comme composante indéfectible de leur travail, une manière de distinguo entre architectes et ingénieurs, ces derniers cantonnés au rang de techniciens au service de la logique des matériaux ou de la structure. Comment dès lors penser que la façade, lieu d’expression par excellence de l’ « architecte d’art », en soit réduite à n’être que la simple déduction du plan ? Que révèle la quête de transparence qui sous-tendrait le projet architectural Art Nouveau ? Telles sont les questions auxquelles je vais tenter de répondre au cours de cette communication à l’aide de quelques exemples-phares et de quelques exemples moins connus de l’historiographie internationale.

Les maisons urbaines sur parcellaire en lanière vers 1900

La maison urbaine contiguë sur un parcellaire en lanière est de toute ancienneté. Les formes médiévales avec tourelle d’escalier en hors d’œuvre sur cour, accessible par un long corridor, se caractérisent dans le meilleur des cas par des façades ou accolades et meneaux décorent les fenêtres. Les exemples classiques privilégient des façades planes où les percements obéissent à la nécessité de l’intérieur comme l’illustrent par exemple les planches du Libro Sesto di tutte le di tutti li gradi degli huomini de Sebastiano Serlio ou de Le Muet (Manière de bien bâtir pour toutes sortes de personnes), qui met systématiquement en regard,

4 Id., pp. 91-92.

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façades et plans par catégorie d’habitat, selon la condition des habitants. Nul ne peut nier la cohérence de la correspondance des extérieurs aux intérieurs dans une perspective où le projet doit aussi répondre à l’exigence de la convenance.

De six ans plus jeune que l’hôtel Tassel de Victor Horta, souvent considéré comme le coup d’envoi de l’architecture Art Nouveau à Bruxelles, la maison Coilliot, prise dans un alignement urbain de Lille, se distingue franchement de ses voisines, d’une trentaine d’années plus vieilles qu’elle. Le commerce et la maison que Louis Coilliot commandent en 1898 au jeune Guimard lui procurent une occasion d’épater les bourgeois de Lille en faisant valoir le caractère jamais vu de son architecture. Œuvre publicitaire de procédés céramiques de pointe, véritable enseigne en tant que façade, elle s’inscrit dans la tradition de l’architecture parlante du début du XIXe siècle. Guimard tend-il un miroir au propriétaire au sens où l’entend Victor Horta, lorsqu’il affirme dans ses Mémoires que : « la maison est à l’image non seulement de la vie de l’occupant », mais qu’elle doit en être « le portrait »5 ?

Le creux du nu du mur évidé donne à voir une façade béante, où un insolite grand arc crée le vide là où les maisons voisines sont pleines. Deux loggias superposées et dissemblables se glissent dans ce retrait, dont on doute de la capacité à éclairer en suffisance les pièces à l’intérieur. Un gâble de bois formant pignon croisé singularise la toiture bipartite de la maison, probable allusion à la tradition des maisons à pignons du Nord de la France. Asymétriquement composée, puisque selon la formule violletleducienne dont Guimard est l’héritier, « La symétrie n’est nullement une condition de l’art […] mais « une habitude des yeux »6, la façade se décline en une travée étroite surmontant la porte d’entrée et une travée large au droit de l’arcade commerciale. Le pilier désaxé correspond au mur de refend qui sépare la cage d’escalier des espaces habitables. Autrement impénétrable de l’extérieur depuis la rue, la distribution intérieure, selon le schéma habituel des hôtels particuliers urbains d’avant l’Art Nouveau, obéit principalement aux impératifs de la parcelle mitoyenne et génère une succession d’espaces, extraordinairement meublés et décorés de lave émaillée claire, du dessin de Guimard.

Composée dans le matériau-même qu’elle promeut, de la céramique moulée, cette façade-enseigne de Guimard en dit autant de son propriétaire que le drapé métaphorique du pavillon de Loïe Füller dessiné par Henri Sauvage pour l’Exposition Universelle de 1900 en dit

5 Victor Horta, Mémoires, Bruxelles, 1985, p. 47

6 Viollet-le-Duc, Habitations modernes, Paris, 1877

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de la danseuse qu’il honore. Révolutionnant l’architecture et jetant bas les formules académiques, tout comme Auguste Endell le fera à l’Atelier Elvira de Munich, il peut aussi prétendre créer « un art avec des formes qui ne signifient rien ou ne représentent rien [et pas même le plan !], ne rappellent rien ».

Dessinée par Gustave Strauven (1878-1919) un élève de Victor Horta, la maison de l’artiste-peintre Léonard de Saint-Cyr (1903) sur le square Ambiorix à Bruxelles est un tour de force architectural. L’étroite façade consiste essentiellement en un cadre revêtu de briques vernissées qui enchâsse les larges vitrages (prémisses du mur-rideau) aux menuiseries chantournées et auquel s’accroche l’habile et artistique armature des balcons. Cette bonbonnière tend vers la rue et le minuscule jardin son perron bombé faisant office de palier à un escalier sinueux.

Le rapport des façades au plan ne peut se comprendre sans prendre en considération ce que Slobodan Vasiljievic appelait à Genève dans les années 1970’ la cinquième façade, c’est-à-dire le toit. S’agissant ici d’un immeuble entre mitoyens, on parlera plutôt de troisième façade. Le parcellaire en lanière de 4 mètres de largeur, génère un espace architectural en deux corps de bâtiment, l’un principal sur rue et l’autre secondaire sur cour, reliés par la cage d’escalier centrale faisant office de puits de lumière, dispositif exploité avec brio par Horta dans les hôtels Tassel, van Eetvelde, et sa propre maison-atelier de la rue Américaine. Ici, un escalier central en bois est surmonté d’un dôme de verre bordé de vitraux colorés, selon une technologie qui a peut-être fait l’objet d’un des nombreux brevets déposés par Strauven touchant au perfectionnement des toitures vitrées. C’est toutefois avec difficulté que le jour zénithal tente de s’insinuer à travers ce dispositif jusqu’au cœur de la maison, qui, malgré ses larges fenêtres en façade (dont le dessin évolue depuis l’autorisation de construire), demeure insuffisant à éclairer la profondeur d’intérieurs proustiens.

Jadis, comme de nos jours, l’effet d’annonce de la maison du peintre Saint-Cyr détonne dans le paysage conformiste du square Ambiorix, tout comme le luxueux hôtel particulier du peintre Albert Ciamberlani par Paul Hankar (1897), dont les deux grandes ouvertures circulaires du 1er étage éclairent, selon une typologie peu commune, un vaste salon d’étage transversal. La genèse du projet montre l’évolution du dessin de cette façade principale, l’architecte inventant finalement en lieu et place de deux grandes fenêtres rectangulaires ces deux énormes cercles qui feront école et qui sont l’expression de la liberté créatrice de

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Hankar, tandis que plusieurs verrières en façades arrière et en toiture captent la lumière nécessaire à éclairer la profondeur du plan.

Ouvrir l’architecture vers le ciel, savoir capter et diriger la lumière zénithale grâce au perfectionnement de verrières, constitue l’un des apanages de l’architecture 1900, qui met en relation plans et façades démultipliées, particulièrement dans le cas des maisons urbaines prises dans un alignement de rue. Il n’en demeure pas moins que suivant l’esprit libertaire de l’Art Nouveau, la façade principale s’octroie aussi des libertés représentatives, expressives et artistiques.

Les quatre façades sont rationnellement différentes

Lorsqu’il s’agit de construire un bâtiment isolé, l’absence de contraintes contextuelles, à l’heure de l’éclatement de la boîte architecturale, conduit à une recherche de composition de façades et de volumétrie d’une variété extrême, à grand renfort de vérandas, perrons, porches, avant-corps, décrochements, balcons, pignons croisés, toitures en (demi-)croupes, etc.

L’esthétique pittoresque sous-jacente résulte en des productions entre Heimatstil et Art Nouveau, telles qu’on peut en trouver notamment en Suisse dans l’architecture d’Edmond Fatio, Maurice Braillard, Alphonse Laverrière, Antoine Leclerc, … et même chez Charles Edouard Jeanneret de première époque « style sapin ». La villa construite en 1904 aux abords de Lausanne par Laverrière, élève de l’atelier Pascal et alors jeune trentenaire, pour Rodolphe Archibald Reiss, célibataire, professeur de politique scientifique et de criminologie à l’Université de Lausanne, est une petite maison-cabinet de travail. Une perspective aquarellée met en évidence la volumétrie travaillée, qui répond aux décrochements du plan, et ses annexes et appentis (véranda et laboratoire). La variété des matériaux, la diversité des percements et prises de jour, la polychromie, l’historicisme caractérisent l’extérieur de cette petite habitation, dont les quatre façades diffèrent l’une de l’autre. En considérant le plan on peut se demander toutefois si ce dernier répercute ou provoque les quatre façades différentes. Ainsi, le hall, qui fait office de salon et salle à manger, est éclairé par deux larges ouvertures à arc surbaissé, tandis que l’importante cheminée est placée, non au centre, mais dans l’angle de la pièce, ce qui du point de vue de la commodité et du chauffage n’est pas la solution la plus adéquate.

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En 1905 Antoine Leclerc, élève de Laloux, jeune architecte carougeois, construit pour lui-même et sa famille aux environs de Genève une toute petite maison, bien insolite, surnommée la Baroque. Influencé par l’Ecole de Glasgow et la Sécession munichoise l’architecte propose une habitation qui tient de l’architecture navale, avec son étage de cabines, éclairées par le bandeau de fenêtres, et la hune de la cage d’escalier, comme une embarcation amarrée au terrain sur son socle de pierre de taille. Les quatre façades sont différentes et la façade d’entrée s’orne d’un insolite écusson vide d’armoiries. Le rez-de- chaussée comporte une salle commune (à la fois salle à manger, salon et salon de musique avec piano), communiquant avec une cuisine et une terrasse « troglodyte », ménagée sous un très important porte-à-faux. Le sas d’entrée permet d’accéder à la cuisine ou au salon ou d’emprunter l’escalier contenu dans une tourelle, qui mène à l’étage privé. Une chambrette est encore aménagée dans le comble. On se pose la même question ici : qui de l’œuf ou de la poule ? L’image forte et particulière de ce petit bijou architectural n’a-t-elle pas davantage induit le plan que ce dernier n’a déterminé l’enveloppe ?

Les mêmes remarques peuvent être formulées à propos d’exemples majeurs de l’histoire de l’architecture Art Nouveau. Ainsi, et bien que parvenu en retard au concours organisé par la Zeitschrift für Innendekoration, le projet d’une maison pour un amateur d’art de Charles Rennie Mackintosh (1901) est primé pour sa «personnalité prononcée», et très diffusé grâce à sa publication l’année suivante. L’organisateur du concours, Alexandre Koch, relève notamment l’intérêt de « L’aspect extérieur du bâtiment [qui] démontre un caractère absolument original, qui ne ressemble à rien d’existant. Nous n’y trouvons pas la moindre trace des formes architectoniques conventionnelles … »7 Le lien entre façades et plan de la maison d’un amateur d’art est complexe et procède d’un accent mis sur les accidents de la volumétrie, ce qu’accentuent les représentations perspectives exigées par le concours. Dans leur austérité revêtue de harling, les façades entretiennent un rapport ambigu avec les espaces qu’elles renferment, entre transparence et opacité. Toutes les ouvertures, garnies de fenêtres à petits carreaux, adoptent une grande variété de formes.

A l’évidence la congruence entre façades et plan laisse à désirer d’un strict point de vue de cohérence. La recherche de l’architecte se situe ailleurs. Les quatre façades distinctes les unes des autres, avec leurs percements irréguliers dénotent, si l’on suit Jean-Claude Garcia

7 Alexander Koch, Meister des Innen Kunst : Charles Rennie Mackintosh, Glasgow ; Haus eines Kunstfreundes, préface de Hermann Muthesius, Darmstadt, 1902.

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dans son ouvrage sur Makintosh, la volonté des « restituer dans une construction neuve l’impression de sédimentation historique que donnent les fenêtres, toitures, conduits de cheminées et enduits irréguliers d’une demeure ancienne. »8 Hill House (1902-1903) sera particulièrement exemplative de cette conception agglutinante, reproduisant la volumétrie d’un hameau écossais, constitué au fil du temps, évoquant les adjonctions successives, exploitant à l’extrême des procédés amorcés déjà en 1860 par Philippe Webb à Red House pour Williams Morris.

C’est avec la villa Jika, construite pour Majorelle à Nancy par le jeune Henri Sauvage, que je terminerai ce bref panorama de la maison à « quatre façade […] rationnellement différentes ». Célébrée par la critique de son temps, c’est à son propos que l’architecte et critique, Frantz Jourdain9, a du reste employé la formule qui soutient l’argumentation de ce développement (« Les quatre façades sont rationnellement différentes »).

En 1902, il décrit en mots élogieux la maison à peine terminée : « Nous reconnaissons bien la maison d’un artiste, sensitif et chercheur, aux goûts raffinés, au cerveau cultivé, à l’œil délicat, qui se préoccupe peu des jugements d’autrui et du snobisme à la mode, et qui désire parer de beauté les commodités de l’existence dont il entend ne pas se désintéresser. […]

Comme les pièces acceptent loyalement leur destination particulière, les quatre façades sont rationnellement différentes, non par désir de bizarrerie, mais pour ainsi dire par la mathématique résolution du problème présenté ; et ce manque de symétrie, non seulement permet de lire le plan et de préciser les distributions intérieures, naturellement et sans fatigue, mais il pare l’ensemble d’une fantaisie savoureuse et spirituelle. Le regard suit la montée de l’escalier, pénètre dans l’atelier par la vaste verrière, devine l’intimité des chambres à coucher, s’arrête aux petites baies des cabinets de toilette, s’attarde aux dimensions étoffées d’une hospitalière salle à manger, inspecte à l’aise le vestibule, vestibule un peu campagnard, ne ressemblant aucunement à une antichambre citadine, vestibule sans prétention, qu’on ne craint pas de salir en remontant du jardin et où la fraîche senteur des fleurs et des arbres a élu domicile. De hautes souches afin d’activer le tirage des cheminées […], de robustes tuyaux de descente aux attaches bien dessinées ; des auvents protecteurs, des balcons saillants, des consoles en bois rompant la frigidité de la pierre ; des grès émaillés de Bigot aux fulgurances

8 Jean-Claude Garcias, Mackintosh, Paris, 1989, p. 86.

9 Frantz Jourdain, « L’architecture aux Salons de 1902 », Art et décoration, juin 1902, pp. 189-196. Ainsi que (à voir) Louis-Charles Boileau, « Causerie-La villa Majorelle », L’Architecture, n° 40, 5 octobre 1901, pp. 342-348.

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fastueuses comme certains Gustave Moreau ; des menuiseries harmonieusement teintées ; des fers forgés sobrement étudiés et exécutés sans mièvrerie ; tous à sa place, tout avec sa raison d’être, rien à ajouter et rien à retrancher, c’est exquis. »

L’éloge des quatre façades différentes (un nouveau diktat en fait) représente pour Jourdain le résultat « mathématique » et « rationnel » de la distribution intérieure qui devient lisible « sans fatigue ». Renoncer à la symétrie des façades équivaudrait donc à obéir à la logique naturelle du plan. C’est surtout se détourner d’une valeur qui, avec la théorie des ordres et le nombre d’or, a fait les grandes heures de l’académisme occidental. C’est peut- être enregistrer la leçon de l’architecture arabe, chose certaine chez Gaudi, architecture dont les façades aléatoires sont déterminées par la logique inhérente aux pièces qu’elles abritent.

L’asymétrie « pare par ailleurs l’ensemble d’une fantaisie savoureuse et spirituelle ». En d’autres mots, Jourdain relève ici le charme du pittoresque plein d’esprit de cette œuvre de jeunesse d’Henri Sauvage.

Pourtant Sauvage à la villa Jika ne se contente pas de traduire les dispositions du plan : nombreux sont les accents qu’il ajoute comme autant d’apports personnels de sa créativité, comme l’arc contrefortant la souche de cheminée, souvent relevé comme geste gratuit, ou le balcon suspendu de l’atelier comme un nid d’aigle.

La Vérité par la façade

Que penser de cette proclamation de quête de vérité, de façades qui seraient le miroir de l’âme de la maison? Comment expliquer l’argumentaire critique et théorique qui proclame un nouveau dogme pour l’architecture : le plan lisible en façade qui contredit la nouvelle norme des quatre façades différentes ?

1) Explication par le goût historico-pittoresque.

A Genève vers 1900, alors que « Pittoresque » est le mot d’ordre, on déplore la disparition des kikageons remplacés par des immeubles de quais d’un néo-classicisme jugé banal.

L’importance que le politique accorde aux façades se reflète dans les dispositifs d’art urbain, mis en place à partir des écrits de Camillo Sitte (L'art de bâtir les villes - l'urbanisme selon ses fondements artistiques, 1889), Charles Buls (Esthétique des villes, 1893), puis Guillaume Fatio (Voyage esthétique à travers la Suisse pittoresque, 1905). « Inspirez-vous des souvenirs historiques que conserve l’emplacement qui vous est assigné […] tirez-en parti pour donner des aspects pittoresques à votre édifice. Loin d’aliéner ainsi la liberté de votre imagination,

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nous lui donnons au contraire une base solide sur laquelle s’appuiera pour prendre un élan plus original et plus puissant. »10 Venue de Bruxelles (1870’), la pratique du concours de façades connaît, au tournant du XXe siècle, une grande vogue dans plusieurs villes européennes. Tandis que les organisateurs souhaitent pallier la banalisation des villes sous l’effet des opérations d’assainissement / destructions / reconstructions du début du XIXe siècle, certains commentateurs critiquent une pratique discutable : « Récompenser un architecte pour une façade, c’est récompenser la vanité humaine, c’est pousser au développement de cette idée que la façade est le seul élément important dans une habitation. »11 Guimard, (primé en 1898 pour le Castel Béranger, ne se privera pas d’en faire une large publicité) Lavirotte, à Paris seront lauréats, tandis que Gaudi, trop original, « d’un génie singulier […] et d’une inventivité fébrile » sera rejeté à de telles joutes. Renatur(alis)ée et libérée des conventions académiques, la façade gagne, par-delà un rapport intime au plan, une expressivité qui lui est propre. Ce « vêtement d’une construction », se distingue comme une œuvre d’art si son auteur fait preuve de « beaucoup de goût, d’étude et de savoir »12, selon A. Bourdillon, président du jury d’un concours de façades à Genève en 1903.

2) Façade comme langage ou radiographie ?

Sensible à l’évolution des sciences et des techniques, la critique architecturale n’est pas imperméable aux idées du temps. Aspirer à une architecture lisible ou transparente, c’est peut-être vouloir la doter de propriétés inhérentes à d’autres réalités. Comprise comme une langue, l’architecture devrait donc être lisible à travers ses façades, idée qui sera reprise et approfondie par le Mouvement Moderne. Cette façon d’envisager au tournant du XXe siècle l’architecture comme un tout cohérent reflète les acquis récents de la linguistique. Les travaux du savant suisse, Ferdinand de Saussure, parviennent à ce moment au constat que toute langue est un système organisé ayant une fonction sociale ? La transparence, quant à elle,

10 Charles Buls, L’Emulation, 1894, col. 59 s’agissant du concours pour le Petit Sablon à Bruxelles.

11 Anonyme, « Concours de façades à Paris », La Construction moderne, 4 février 1899, p. 39.

12 A. Bourdillon, Rapport du Jury sur le Concours de Façades, La Machine, 1903, 113, p. 31 : « Chercher à éviter la banalité, c’est très bien ; mais autre chose est d’obtenir un résultat satisfaisant. Et quand l’effort, dans cette voie, ne réussit pas, l’effet est d’autant plus mauvais que l’intention de briller a été vive. Il en est de la

décoration d’une façade comme de la tenue et du costume des hommes et des femmes, des femmes surtout. Il faut beaucoup de goût, d’étude et de savoir, pour porter un costume riche et voyant, que pour revêtir le costume de tout le monde, que personne ne remarque, à cause de sa banalité. Quelques-uns et quelques-unes y réussissent, mais pas tous et pas toutes. Il en est de même pour les œuvres d’architecture, car, qu’est-ce qu’une façade, si ce n’est le vêtement d’une construction ? »

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invoque les progrès scientifiques récents que sont les rayons X de « ce coquin de Röntgen [qui]

va laisser voir tout ce qui d’ordinaire est à cacher ».

Ainsi le postulat d’un rapport entre plan et façade induit par le plan, tel que prôné par le Letton Janis Asars13 et d’autres critiques européens au tournant du XXe siècle, est une position théoricienne. A travers la quête positiviste d’une correspondance osmotique entre distribution et enveloppe c’est vraisemblablement l’accession de l’architecture au rang de science qui se joue : cependant, comme nous l’avons vu, les façades vers 1900 sont davantage que la radiographie d’une maison ou que le miroir de son âme.

13 « … un bâtiment ne doit pas se construire de l’extérieur vers l’intérieur, comme cela a été fait par le passé – la seule préoccupation était alors d’obtenir une façade pompeuse, la conception de l’intérieur étant laissée au hasard-, mais de l’intérieur vers l’extérieur. » (Asars, J. Makslas, Kopoti raksi, Riga, 1910, vol. 1 n°3, p. 3)

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