Revue Médicale Suisse
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11 août 20101519
Ce texte a pour partie été publié sur le site (accessible gra
tuitement) Slate.fr 1
Dépénaliser toutes les drogues : proposition com
mune de trois commissions fédérales d’experts
Lorsqu’il a été publié en juin, le rap
port est passé inaperçu. C’est le Tages-Anzeiger qui le met sur le de
vant de la scène autour d’une propo
sition sulfureuse: dépénaliser toutes les drogues. Ses chances politiques sont égales à zéro, admet le quoti
dien zurichois qui la trouve néan
moins intéressante.
Elle n’est en tout cas pas nouvelle.
Cela fait plus de vingt ans que les spécialistes réunis dans la Commis
sion fédérale pour les problèmes liés aux drogues (CFPD) recomman
dent de renoncer à punir la consom
mation de produits quels qu’ils soient.
Divisés au début, les praticiens sont désormais quasiment unanimes à la soutenir. Politiquement, c’est une autre histoire…
Alors, pourquoi y revenir maintenant,
deux ans après que le peuple a con
firmé la politique des quatre piliers, répression de la consommation com
prise, et énergiquement rejeté une dépénalisation limitée au seul can
nabis ?
«Cette proposition n’est qu’un aspect accessoire de notre travail, explique François van der Linde, président de la CFPD et coauteur du document en cause. L’idée principale était de proposer un concept intégré de lutte contre les dépendances, élaboré dans une perspective de santé pu
blique.»
Intitulé «Défi addictions», le rapport a été rédigé à la demande de l’OFSP par des délégués des trois commis
sions extraparlementaires spéciali
sées dans la dépendance : CFPD, Commission fédérale pour les pro
blèmes liés à l’alcool et Commission fédérale pour la prévention du taba
gisme. «Le mandat était de réfléchir à un concept de lutte contre les dé
pendances qui comprenne, outre les drogues illégales, le tabac et l’alcool,
des comportements addictifs comme la cyberdépendance et le jeu com
pulsif» explique Mona Neidhart, porte
parole de l’OFSP.
Pour développer une «approche du
rable de la politique des addictions», les experts proposent de voir plus loin. Plus loin que la dépendance – certains problèmes de drogue pré
cèdent la dépendance. Plus loin que les substances psychoactives – hé
roïne et jeu excessif mettent en jeu les mêmes mécanismes neurobiolo
giques. Plus loin que la politique sa
nitaire: tous les acteurs doivent être impliqués dans la lutte contre les dé
pendances.
Ils vont plus loin aussi sur le plan pé
nal, remettant en question l’interdic
tion de consommer certains produits.
Et, c’est à peine moins controversé, ouvrent la porte à une réglementation plus poussée de produits que leur statut légal a jusqu’ici protégés de l’intervention étatique. La lutte con tre l’alcoolisme, laissentils entendre, ne devrait pas se limiter à la protection
de la jeunesse. Et d’autres produits, comme les tranquillisants et les mé
dicaments visant à améliorer les per
formances sportives ou sexuelles devraient être placés dans le viseur de la politique des addictions.
«Nous proposons de moduler la politi que des drogues sur les pro
blèmes de santé publique, explique François van der Linde. Dans cette perspective, nous estimons qu’il faut substituer à l’interdiction de certains produits une approche plus intégrée, organisée autour du principe de ré
glementation. La réglementation peut comprendre des interdictions ponc
tuelles – comme la réglementation de l’alcool a longtemps compris l’in
terdiction de l’absinthe – mais il s’agit d’un concept plus souple, qu’on peut moduler en fonction de la dangero
sité d’un comportement ou d’un pro
duit.» (…)
Sylvie Arsever Le Temps du 3 août 2010
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