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FERNAND LOT LA VIE SCIENTIFIQUE

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Academic year: 2022

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F E R N A N D L O T

L A VIE

SCIENTIFIQUE

Les poissons électriques

Nous savons aujourd'hui que tous les êtres vivants produisent de l'électricité, notamment sous forme d'ondes bioélectriques, c'est-à-dire de variations électriques ultra-rapides, ayant pour siège tel ou tel élément de l'organisme : muscles, cœur, cerveau, moelle épinière, glandes, œil... Mais nous sommes très loin, ici, des ten- sions de plusieurs centaines de volts que peuvent atteindre des poissons comme le gymnote Electrophorus electricus, la fameuse anguille électrique.

Si les p h é n o m è n e s électriques qui se manifestent dans notre organisme ne s'expriment qu'en cent millièmes de volt, et n'ont pu, par conséquent, être décelés qu'en recourant à des détecteurs d'une extrême sensibilité, il en va, bien sûr, tout r.utrement avec les puissantes décharges des gymnotes ou des torpilles. Il y a longtemps que les hommes se sont aperçus de leur étrange pouvoir.

La torpille (Torpédo), ou raie électrique, était familière aux Ro- mains et aux Grecs. Scribonius, Galien, Dioscoride, en recomman- daient l'usage pour guérir les maux de tête et la goutte — premier traitement par électrochoc. Plusieurs espèces de mormyridés étaient vénérées, statufiées et momifiées dans l'ancienne Egypte. Et il est des peuplades d'Amérique centrale, friandes d'anguilles électri- ques, qui de longue date connaissent l'art de les capturer impu- nément à main nue : les pêcheurs prennent soin de jeter d'abord à l'eau quelque carcasse d'animal, sur laquelle les anguilles épui- sent leurs réserves d'énergie électrique. Le temps de se rechar- ger — ce qui demande un ou deux jours —, elles sont alors inof- fensives.

Mais ce ne fut qu'au xvnr* siècle — le siècle des lumières — et des premières grandes découvertes dans le domaine de l'élec-

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tricité — que les savants ont c o m m e n c é d'étudier les extraordi- naires poissons.

Le botaniste français Michel Adanson paraît avoir é t é le premier d'entre eux. Il fit au Sénégal, à vingt ans, un voyage d'exploration qui dura cinq années. Adanson — que ses collègues honoreront en lui dédiant scientifiquement le baobab : Adanso- nia — ne s'intéressait pas qu'aux végétaux. Il nourrissait l'ambi- tion de consacrer un immense ouvrage à la description de « tous les êtres connus, suivant leur série naturelle indiquée par l'ensem- ble de leurs rapports ». Dans l'ordre du règne animal, il fit, entre autres, connaissance, au Sénégal, avec le poisson-chat élec- trique, Malapterus electricus — le poisson-tonnerre des Arabes —, que « les Français nomment trembleur, écrivait-il, à cause de la propriété qu'il a de causer non un engourdissement comme la torpille, mais un tremblement très douloureux dans les mem- bres de ceux qui le touchent. Son effet ne m'a pas paru différent sensiblement de la commotion électrique de l'expérience de Leyde, que j'avais éprouvée plusieurs fois ».

Un autre grand explorateur, le baron Alexandre de Huhiboldt, devait faire sur les gymnotes des observations remarquables.

Humboldt qui fut, comme Leibniz, le type accompli du « savant européen », ouvert à toutes les curiosités, est surtout connu pour ses voyages en Amérique. Ses contributions à la science furent multiples et importantes : il inaugura l'ethnologie, introduisit les lignes isothermes dans les cartes, créa la géographie comparée et la géographie végétale, fut à l'origine de l'établissement à travers le monde entier de stations pour l'étude du magnétisme terrestre.

Et le courant marin qui porte son nom nous rappelle qu'il fut aussi, avant la lettre, océanographe...

Son expédition américaine, qui dura de 1799 à 1804, Humboldt l'organisa et la mena avec le botaniste français Aimé Bonpland, qu'il avait rencontré à Paris.

C'est en particulier dans les eaux stagnantes et les affluents de l'Orénoque, o ù ils abondent, que Humboldt eut affaire aux gymno- tes. Dans son Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Conti- nent, il a rapporté en détail les très nombreuses et minutieuses observations qu'il fit à leur sujet. « On ne s'expose pas téméraire- ment, dit-il, aux premières commotions d'un gymnote très grand et fortement irrité. Si, par hasard, on reçoit un coup avant que le poisson soit blessé, ou fatigué par une longue poursuite, la douleur et l'engourdissement sont si violents qu'il est impossible de se prononcer sur la nature du sentiment qu'on éprouve. Je ne me souviens pas d'avoir jamais reçu, par la décharge d'une grande bouteille de Leyde, une commotion plus effrayante que celle que j'ai ressentie en plaçant imprudemment les deux pieds sur un gymnote que l'on venait de retirer de l'eau. Je fus affecté le reste du jour d'une vive douleur dans les genoux et presque dans toutes les jointures... » A son retour en Europe, Humboldt

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chercha à connaître les diverses circonstances dans lesquelles la torpille méditerranéenne donne ou ne donne pas de commotion.

Il étudia celle-ci au cours d'un voyage en Italie qu'il fit avec Gay-Lussac, et les résultats qu'ils obtinrent sur les torpilles cap- turées dans la baie de Naples furent assez différents de ceux qu'ils avaient recueillis sur les gymnotes. La raison en était que les organes électriques ne se présentent pas de la m ê m e manière chez toutes les espèces, ce qu'on ignorait encore.

Nombre de savants allaient s'intéresser à la question, au premier rang desquels Franklin, Cavendish, Volta, puis, au siècle suivant, Du Bois-Reymond, Faraday, Becquerel. La plupart des premiers travaux visaient surtout, d'une part, à établir que l'élec- tricité d'origine animale était de m ê m e nature que celle ayant sa source dans la matière « inanimée » (comme le soutenait Volta contre Galvani) et, d'autre part, à mieux connaître l'anatomie de l'organe électrogène. Volta compara fort justement les organes électriques de la torpille à sa pile électrochimique.

Une étude plus précise a pu être entreprise à partir de 1910, grâce à l'invention de l'oscillographe cathodique et aux travaux ultérieurs de H.W. Lissmann, de l'université de Cambridge. Les recherches se poursuivent activement de nos jours en plusieurs laboratoires de neurophysiologie, tant aux Etats-Unis qu'en U.R.S.S., qu'en Grande-Bretagne et qu'en France, o ù les travaux du professeur Alfred Fessard comptent parmi les plus impor-

tants.

On connaît aujourd'hui plus de trois cents espèces de poissons dotés de ces organes électrogènes hautement spécialisés, toujours disposés symétriquement de chaque côté du corps.

Chez les torpilles, larges et plats, en forme de rein, ils sont situés dans la moitié antérieure du corps et peuvent représenter jusqu'à un quart du poids de l'animal dans l'espèce Torpédo ocellata. Le gymnote offre l'exemple d'un développement encore plus considérable : ils occupent près des quatre cinquièmes des parties latérales du poisson.

L'organe électrogène joue dans son ensemble le rôle d'un dipôle, constitué par un grand nombre de cellules musculaires modifiées, très aplaties en disques, dites électroplaques, empilées les unes sur les autres, en colonnes. Le tissu conjonctif qui les entoure, riche en eau et en ions minéraux, est opportunément bon conduc- teur.

Cet appareil ne se décharge pas spontanément : il est sous le contrôle du système nerveux central.

Si l'on examine celui de la torpille, par exemple, on découvre à la dissection, dans le bulbe rachidien, deux lobes volumineux, dits « électriques », d'où partent quatre gros nerfs moteurs, dits aussi « électriques ». Il s'agit du « centre moteur de la décharge », ainsi que l'a d é n o m m é A. Fessard. Ce centre a pour fonction de transmettre aux organes électriques les ordres reçus d'un centre

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supérieur, appelé par A. Fessard « noyau de commande de la décharge », également situé dans le bulbe.

Le noyau de commande, constitué de deux noyaux ovales, reçoit les nerfs sensitifs qui lui transmettent les influx nerveux provenant d'une excitation périphérique. Et non seulement il déclenche alors, par l'intermédiaire du centre moteur, la mise en action des organes électriques du poisson, mais il en assure la synchronisation et le rythme.

Par le moyen de microélectrodes (d'infimes fibres de verre remplies d'un liquide conducteur), de l'amplificateur différentiel et de l'oscillographe cathodique, on est parvenu à effectuer des mesures très fines, portant sur des millivolts, au sein des cellules vivantes ainsi que sur leur surface. On a ainsi constate que toutes sont polarisées : la face externe de leur membrane porte une charge positive ; la face interne, une charge négative. L'équilibre électrique dépend ici de la concentration en ions sodium et en ions potassium (positifs) à l'intérieur de la cellule.

Il en va donc de m ê m e pour les électroplaques, mais elles présentent de remarquables particularités. Leur face postérieure est innervée par les ramifications des nerfs électriques issus de la moelle épinière. Lorsque ces nerfs, excités, propagent une onde de dépolarisation par transfert d'ions positifs sodium et potassium, et que l'influx atteint la face postérieure de l'électro- plaque, de l'acétylcholine, médiateur chimique nerveux, traverse la membrane cellulaire, favorisant l'introduction soudaine d'ions positifs au sein de la cellule. Il s'ensuit une brusque modification de l'équilibre électrique : la surface externe, qui, au repos, était chargée positivement, se dépolarise et se charge négativement, tandis que la face externe antérieure, non innervée, demeure positive. Une différence de potentiel électrique de quelques dizaines de millivolts s'établit alors entre les deux faces externes. II en va de m ê m e , synchroniquement, pour toutes les électroplaques.

Dans chacune une décharge se produit. Et tout se passe comme dans une suite de condensateurs m o n t é s en série : c'est la décharge globale qui, traversant l'organe électrique, se manifeste au dehors.

Dans le cas d'un gymnote de 2 mètres de long, on d é n o m b r e jusqu'à 10000 électroplaques dans chacune des 70 colonnes qui constituent chacun des deux organes électriques, et la décharge peut s'élever jusqu'à 700 volts. Chez la torpille, les empilements d'électroplaques sont m o n t é s les uns en série, les autres en paral- lèle. Raffinement technique extraordinaire qui a fait dire à un ichtyologiste britannique que c'était vraiment là un « poisson physicien » !

Comme dans les piles, la source d'énergie est chimique. Elle provient de la dégradation des sucres, selon un métabolisme ana- logue au métabolisme musculaire, ce qui n'est pas surprenant, puisque, on l'a dit, les organes électrogènes dérivent de la trans- formation de muscles (soit de la queue, soit du tronc ou de la tête).

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De m ê m e que chez tous les êtres vivants, l'énergie est stockée dans les molécules de la célèbre ATP, l'adénosine triphosphate, dont la liaison anhydride phosphorique est de haute énergie, qu'elle libère facilement par hydrolyse.

Les organes électriques à fortes décharges servent, d'évidence, de puissants moyens offensifs et défensifs. Pour la défense, ils jouent en somme le rôle des clôtures électrifiées dont on entoure les pâturages — ou les camps de concentration... Pour l'attaque, ils permettent la capture des proies, instantanément paralysées par leur décharge. Qu'un crabe s'en prenne à une torpille, et il lâche prise aussitôt. Qu'une grenouille se trouve dans le voisinage d'un gymnote, et la voici frappée d'inertie, m ê m e à plus d'un mètre de distance.

Mais au cours de ces dernières années se sont révélées d'autres fonctions des systèmes électrogènes.

Tout d'abord, on a constaté qu'ils peuvent jouer aussi un rôle dans la détection d'obstacles et de proies, ce qui a é t é mis en lumière par H.W. Lissmann.

Il s'agit alors, au lieu de fortes décharges isolées, d'émissions d'impulsions continues et sur un rythme régulier. Les tensions sont dans ce cas beaucoup plus faibles, de l'ordre de 0,3 à 2 volts seulement. Ainsi le gymnarque (Gymnarchus niloticus), poisson d'eau douce africain, émet-il constamment des décharges à raison de trois cents par seconde environ, rythme qui ne varie qu'en fonc- tion de la température. Il promène de la sorte avec soi un champ électrique entretenu. Les moindres modifications de ce champ sont immédiatement perçues par le poisson, pourvu de récepteurs cutanés, dont la structure varie selon les espèces, appelés mormyro- mastes, du nom du mormyre, sernblablement doté.

Voulez-vous faire la connaissance d'un mormyre ? (1) Il vous est loisible d'en admirer un en ce Palais de la Découverte, réali- sation d'un rêve de Voltaire (cf. Candide) et né d'une idée de Jean Perrin, que son directeur, M. A.-Jean Rose ne cesse d'enrichir en merveilles, secondé par M. Charles Penel, responsable technique d'une immense machinerie.

Le mormyre en question — voué à la solitude dans son aquarium, car il s'entendrait au plus mal avec un congénère — est un Gnathonemus Petersii, dit poisson-éléphant à cause de son appendice buccal allongé évoquant une trompe. Il hante les eaux boueuses du Congo et du Niger. Pratiquement aveugle, il se dirige pourtant avec aisance, grâce aux décharges qu'il émet régulièrement, chacune d'une durée d'un millième de seconde, sous une tension de 2 volts. Il ausculte l'environnement à la

(I) Dans la Revue du Palais de la Découverte (février 1975), M . Th.

Auffret Van Der Kemp a consacré au « surprenant sixième sens chez les poissons », au sujet de ce mormyre, un bel article, auquel on n'a pas manqué de se référer ici.

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façon dont on procède dans la prospection électrique des couches géologiques.

Son activité électrique est ingénieusement visualisée. Deux électrodes, plongées dans l'eau, captent les décharges é m i s e s . Celles-ci sont amplifiées, et, continûment, auprès du bac, cligno- tent les voyants d'un compteur, éclairés à chaque décharge. On assiste ainsi à une saisissante démonstration d ' « électronaviga- tion sans visibilité ». Un modèle de vivante vulgarisation.

Certains gymnotidés, à la vue déficiente, possèdent, en sus de leurs appareils électrogènes à puissante décharge, un équipe- ment semblable à celui des mormyridés, l'organe à faible é m i s s i o n situé dans la queue, les récepteurs répartis sur la tête.

Et ce n'est pas tout, en ce qui concerne les surprenantes possi- bilités des poissons électriques. On a de bonnes raisons de penser que leurs organes spéciaux interviennent aussi dans la communi- cation entre individus d'une m ê m e espèce.

Enfin, ils doivent avoir une autre fonction encore : les pois- sons pourvus de cellules électroréceptrices se montrant sensibles aux variations de champ magnétique, il se peut que ceux des migrateurs qui en possèdent s'orientent sur les lignes du champ magnétique terrestre.

On se demande comment des groupes de poissons aussi fonciè- rement différents que les torpilles, voisines des raies, qui appar- tiennent à la classe des sélaciens, à squelette cartilagineux, et les gymnotidés, de la classe des téléostéens, à squelette osseux, ont pu parvenir, au cours des âges, à mettre progressivement au point les m ê m e s dispositifs que voilà.

Etrange suite de convergences anatomiques et physiologiques, à partir de cellules musculaires peu à peu modifiées, aboutissant à ces appareils complexes, efficaces et tout exceptionnels dans le règne animal, qui ont de quoi nous étonner — y compris dans le sens premier du verbe : extonare, « frapper de la foudre » ! Sur cette évolution, les vieilles archives terrestres sont muettes : les organes mous ne laissent pas de vestiges dans les restes fossiles. Et il ne semble pas que les néo-darwinistes, en n'invo- quant que la sélection naturelle et le jeu hasardeux des mutations, puissent nous donner la clé de l'énigme. « Quelque chose d'autre » nous échappe encore...

En cet avril, pouvions-nous parler de plus merveilleux poissons ? FERNAND LOT

Références

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