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Discrimination au travail Preuve, prescription et sanctions

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Academic year: 2022

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(1)

La question de la discrimination dans les relations de travail alimente régulièrement

le contentieux social.

L’année judiciaire en cours ne déroge pas

à cette tendance.

La Cour de cassation a notamment affiné sa jurisprudence sur le droit à la preuve et la question de la prescription. Elle s’est également prononcée

sur la possibilité de sanctionner un salarié portant de fausses accusations

de discrimination.

Ce dossier fait le point sur les principaux arrêts rendus sur le sujet au cours des huit

derniers mois.

La communication d’informations non anony- misées concernant d’autres salariés peut être ordonnée par le juge saisi dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile, dès lors que celle-ci est nécessaire à l’exer- cice du droit à la preuve de la discrimi- nation alléguée et proportionnée au but poursuivi, sans que l’employeur ne puisse opposer le refus des salariés concernés.

Cass. soc., 16 mars 2021, no 19-21.063 F-P

Le droit à la preuve peut justifier que le juge ordonne la production, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, d’éléments portant atteinte à la vie person- nelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Au besoin, le juge peut can- tonner le périmètre de la production de pièces sollicitée.

Cass. soc., 16 décembre 2020, no 19-17.637 F-PB

Doit être censurée la décision d’une cour d’appel ayant déclaré prescrite l’action relative à la discrimination, alors que cette discrimination s’était poursuivie tout au long de la carrière en termes d’évolution professionnelle, tant salariale que person- nelle, ce dont il résultait que la salariée se fondait sur des faits qui n’avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription.

Cass. soc., 31 mars 2021, no 19-22.557 F-P

Le salarié qui relate des faits de discrimina- tion ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la faus- seté des faits qu’il dénonce.

Cass. soc., 13 janvier 2021, no 19-21.138 F-PB

L’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante, de sorte que le licencie- ment d’une salariée, prononcé au motif du refus de celle-ci de retirer son foulard islamique lorsqu’elle est en contact avec la clientèle, est discriminatoire et doit être annulé en l’absence de clause générale de neutralité dans le règlement intérieur.

Cass. soc., 14 avril 2021, no 19-24.079 FS-P

Discrimination au travail

Preuve, prescription et sanctions

// Ce qu’il faut retenir

DOSSIER NO

114 2021

le dossier jurisprudence théma

À CLASSER SOUS

ÉGALITÉ ET DIVERSITÉ

Retrouvez le texte intégral des arrêts commentés sur

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02 21

(2)

Le droit à la preuve peut justifier que le juge exige, dans le cadre des mesures d’instruction qu’il peut ordon- ner sur la base de l’article 145 du Code de procédure civile, la production en justice de pièces comportant des données afférentes à d’autres salariés, réaffirme la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mars. Il peut ainsi demander que soient communiquées des données non anonymisées de salariés, tendant à établir l’existence d’une discrimination, sans que puisse être opposé le refus des salariés concernés.

POSSIBILITÉ DE SAISIR LE JUGE D’UNE DEMANDE DE COMMUNICATION DE PIÈCES

Le salarié ou le candidat à l’emploi invoquant une discrimination à son encontre bénéficie d’un régime de preuve aménagé, puisqu’il doit seulement présen- ter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Charge ensuite à l’employeur de démontrer, au vu de ces élé- ments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (C. trav., art. L. 1134-1, L. 1144-1 et L. 3221-8). Malgré ce régime favorable, établir la preuve en matière de discrimi- nation n’est pas chose aisée puisqu’elle renvoie la plupart du temps à la production d’éléments concer- nant d’autres salariés ou à des documents dont seul l’employeur dispose.

Pour contourner cette difficulté, le salarié peut mobi- liser l’article 145 du Code de procédure civile qui per- met, s’il existe un motif légitime, de demander au juge d’ordonner les mesures d’instruction légalement admissibles afin d’établir, avant le procès, la preuve dont pourrait dépendre la solution du litige. Concrè- tement, il pourra solliciter la communication de docu- ments permettant d’établir la différence de traitement, auxquels il n’a pas accès et contenant parfois des don- nées personnelles (fiches de paie d’autres salariés, documents internes à l’entreprise qu’elle refuse de communiquer…).

La Cour de cassation s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur les éléments dont le juge peut demander la production pour la mise en œuvre de l’article 145 dans des affaires de discrimination au travail. L’arrêt du 16 mars fournit une nouvelle précision concernant, cette fois, la possibilité d’exiger la transmission de documents contenant des informations personnelles sans l’accord des salariés concernés.

ÉTABLISSEMENT D’UNE DISCRIMINATION FONDÉE SUR LE SEXE

En l’espèce, une salariée engagée en tant que techni- cienne estime être victime de discrimination en raison du sexe. En vue de porter le litige en justice, elle obtient en référé que lui soient transmis des documents concer- nant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société en qualité de techniciens d’atelier, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient, le salaire, le coefficient d’em- bauche, la date d’embauche et le salaire d’embauche.

L’ordonnance de référé est assortie d’une astreinte.

La société n’ayant pas communiqué les documents demandés dans le délai fixé, elle se voit condamnée le 19 octobre 2018, par la formation des référés, à payer à la salariée une somme provisionnelle au titre de la liqui- dation de l’astreinte et à remettre, avant un autre délai, les mêmes documents.

Une décision finalement infirmée par la cour d’appel, qui, saisie d’une contestation par la société, déboute la salariée de sa demande tendant à la liquidation de l’astreinte.

REFUS DES SALARIÉS CONCERNÉS DE COMMUNICATION DE LEURS DONNÉES

Pour rejeter la demande de la salariée, la cour d’appel s’est appuyée sur le refus de cinq des salariés concernés de voir communiquées leurs données. Il souligne que « le bulletin de paie d’un salarié comprend des informations person-

Le commentaire

Discrimination : le droit à la preuve peut justifier la communication

de données non anonymisées

La solution

P

rive sa décision de base légale au regard de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour d’appel qui, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l’astreinte provisoire, retient que le bulletin de paie d’un salarié comprend des données personnelles telles que l’âge, le salaire, l’adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l’existence d’arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l’autorisation de ses salariés, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la communication des informations non anonymisées n’était pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi.

Cass. soc., 16 mars 2021, no 19-21.063 F-P

La solution

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la Haute juridiction a déjà admis que le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’appli- cation des dispositions de l’article 145, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées (Cass. soc., 19 décembre 2012, no 10-20.526 PB). Un impératif que la Cour de cassation a retenu à plusieurs reprises dans des affaires visant à établir une discrimination et pour lesquelles la production de ces éléments est souvent la seule façon d’établir les faits.

Elle a ainsi considéré comme justifiée, aux fins d’éta- blir une inégalité de traitement, la transmission sous astreinte de contrats de travail, bulletins de paie, calcul des primes, tableaux d’avancement et de promotions de 12 autres salariés de l’entreprise étrangers au litige (Cass.

soc., 19 décembre 2012 précité). Ou plus récemment, pour des représentants du personnel souhaitant démontrer une discrimination en raison de leurs activités syndicales, la possibilité d’exiger la fourniture de l’ensemble des éléments concernant les salariés embauchés dans des circonstances comparables, le juge pouvant si besoin cantonner le périmètre des pièces sollicitées (Cass. soc., 16 décembre 2020, no 19-17.637 PB, commenté ci-après).

Dans la lignée de sa jurisprudence, la Haute juridic- tion considère ici, que la communication de données personnelles de salariés sans leur consentement, peut être rendue nécessaire par le droit à la preuve aux fins d’établir une discrimination fondée sur le sexe.

CONSULTER LE DOCUMENT SUR :

www.liaisons-sociales.fr nelles telles que l’âge, le salaire, l’adresse personnelle,

la domiciliation bancaire, l’existence d’arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération ».

Elle en a ainsi déduit que l’employeur était légitime, afin d’assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à solliciter leur autorisation avant la transmission de ces données. Ceux-ci ayant refusé, il ne pouvait lui être repro- ché de ne pas avoir transmis les documents demandés.

DROIT À LA PREUVE OPPOSÉ PAR LA COUR DE CASSATION

La Cour de cassation a censuré le raisonnement des juges d’appel. La cour d’appel aurait dû, tranche-t-elle,

« rechercher au moyen d’un contrôle de proportionna- lité, si la communication des informations non anony- misées n’était pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi ». Dans un tel cas de figure, l’accord des salariés concernés n’est donc pas requis.

Rendue au visa de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fon- damentales, dont est tiré le droit à la preuve, cette solution vient étoffer la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’application de ce droit par le juge dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile.

En effet, la diffusion de documents contenant les don- nées personnelles d’autres salariés, comme des bulle- tins de salaire, porte atteinte à la vie privée des salariés concernés. Le principe de licéité de la preuve devrait conduire, en l’absence d’accord de leur part à écarter ces éléments du débat (C. civ., art. 9 ; CPC, art. 9). Mais

Preuve de la discrimination :

le juge peut limiter le périmètre d’une mesure d’instruction

La solution

S

’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispen- sable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Il appartient au juge, après avoir estimé que le salarié justifie d’un motif légitime, de vérifier quelles mesures sont indispensables à la protection de son droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

Cass. soc., 16 décembre 2020, no 19-17.637 F-PB

La solution

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S’il existe un motif légitime d’établir, avant un procès, la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, une mesure d’instruction peut être ordonnée sur requête en référé (CPC, art. 145 ; v. le dossier pratique -Égalité- no 112/2020 du 19 juin 2020). Les salariés

qui s’estiment victimes de discrimination peuvent ainsi demander la communication de documents concernant d’autres salariés, qui pourraient leur permettre de prou- ver ensuite une différence de traitement injustifiée (Cass.

soc., 19 décembre 2012, no 10-20.526).

Le commentaire

(4)

LA LIMITATION DU PÉRIMÈTRE DE PRODUCTION DES PIÈCES SOLLICITÉES

Après avoir utilement rappelé les termes de l’article 145 du Code de procédure civile, la Cour de cassation ajoute que lorsque les documents demandés sont

« indispensables » (et non pas seulement « nécessaires », v. encadré) à la protection des droits des salariés, le res- pect de la vie personnelle ne constitue pas un obstacle à l’application de cet article dès lors que l’atteinte à ce droit est « proportionnée au but poursuivi ».

La Cour de cassation précise ensuite la procédure à suivre par le juge pour accepter ou non la communica- tion des pièces demandées par les salariés :

– tout d’abord, vérifier que les salariés « justifiaient d’un motif légitime » pour cette demande ;

– ensuite, vérifier « quelles mesures étaient indispen- sables à la protection de leur droit à la preuve et pro- portionnées au but poursuivi » ;

– enfin, une fois ce contrôle effectué, si la demande est trop générale mais que les conditions précédentes sont réunies, le juge peut limiter « le périmètre de la production de pièces sollicitée ».

En invitant ainsi le juge à procéder à un contrôle de proportionnalité, la solution permet d’éviter qu’une demande trop étendue ne soit d’emblée rejetée pour ce seul motif. En l’espèce, la Cour de cassation a ainsi censuré l’arrêt d’appel pour avoir rejeté la demande de communication de pièces en raison de son caractère trop général, sans avoir procédé au contrôle précité en vue d’une éventuelle réduction du périmètre de la demande.

CONSULTER LE DOCUMENT SUR :

www.liaisons-sociales.fr Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour de cas-

sation précise qu’il appartient au juge, après avoir caractérisé le motif légitime de la demande, de vérifier parmi les mesures d’instruction demandées celles qui sont indispensables à la protection du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi. Au besoin, le juge pourra cantonner le périmètre de la production de pièces demandées.

LE REFUS OPPOSÉ PAR UNE COUR D’APPEL À UNE DEMANDE JUGÉE TROP GÉNÉRALE

Une trentaine de salariés exerçant des mandats de représentants du personnel soutenaient faire l’ob- jet d’une discrimination en raison de leurs activités syndicales. Ils ont saisi la formation de référé de la juridiction prud’homale pour obtenir les informations permettant d’évaluer leur situation par rapport à celle des autres salariés, à savoir tous les éléments leur per- mettant de comparer l’évolution de leur carrière et de leur rémunération avec les salariés dans une situation comparable, embauchés à la même époque et sur le même site.

La cour d’appel, après avoir constaté que la mesure demandée était légitime (les demandeurs démon- traient en effet se situer dans la moyenne basse des rémunérations), a tout de même rejeté leur demande.

Selon elle, « cette demande s’analyse en une mesure générale d’investigation, portant sur plusieurs milliers de documents ». Elle excède donc « par sa généralité les prévisions de l’article 145 du Code de procédure civile et doit être rejetée ».

À tort, selon la Cour de cassation qui a considéré que le juge n’avait pas rempli son office.

« INDISPENSABLE » OU « NÉCESSAIRE » : UN CHANGEMENT DE TERMINOLOGIE

• Dans son précédent arrêt rendu en 2012, la Cour de cassation avait précisé que le respect de la vie personnelle du salarié « ne constitue pas un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées (Cass. soc., 19 décembre 2012, no 10-20.526). Elle change expressément de terminologie avec l’arrêt du 16 décembre 2020, qui prévoit que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».

Toutefois, dans son arrêt du 16 mars 2021, dans lequel une salariée réclamait la production des bulletins de paie de collègues, la Cour de cassation énonce à nouveau que la « communication des informations non anonymisées » doit être « nécessaire » à l’exercice du droit à la preuve (Cass. soc., 16 mars 2021, no 19-21.063, commenté dans ce dossier, v. p. 2).

• Quelle terminologie retenir au final et dans quel cas ? Lors d’un colloque organisé le 2 juin 2021 à la Cour de cassation (« Quelques arrêts marquants de la chambre sociale 2020/2021 »), la question a été abordée par Catherine Sommé, conseiller à la chambre sociale, qui a souligné qu’à la différence de l’arrêt du 16 décembre 2020, l’arrêt du 16 mars 2021 ne fait pas mention, dans la réponse de la chambre, de la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle des salariés, la demande de communication forcée portant seulement sur des bulletins de salaires dont « on peut penser que les éléments d’information qui y figurent ne sont pas des éléments de vie personnelle stricto sensu » alors que dans l’arrêt du 16 décembre 2020, les pièces réclamées portaient sur les entretiens d’évaluation, les diplômes, etc. relevant bien de la vie personnelle. Selon la magistrate, on peut en définitive retenir que c’est lorsqu’est en jeu la vie personnelle du salarié que doit être pris en compte le critère du caractère indispensable.

A contrario, dans le cas général (lorsque n’est pas en jeu la vie personnelle), le juge vérifiera donc seulement que la production des éléments est nécessaire pour le droit à la preuve.

(5)

Avant la réforme de la prescription civile (L. no 2008- 561 du 17 juin 2008), l’action en réparation du pré- judice résultant d’une discrimination était soumise à la prescription trentenaire prévue à l’article 2262 du Code civil dans son ancienne rédaction. Depuis, elle se prescrit par cinq ans mais, précision importante, seule- ment « à compter de la révélation de la discrimination » (C. trav., art. L. 1134-5). Une manière de prendre en compte le caractère parfois tardif de la mise au jour de tels faits, qui nécessite par exemple que le salarié dispose d’éléments de comparaison avec ses collègues. Autre particularité, la discrimination renvoie souvent à des agis- sements continus pouvant perdurer sur des années voire sur toute une carrière. Ce qui soulève le problème de l’application de la prescription lorsque le salarié a déjà subi et découvert une partie des comportements litigieux mais que ceux-ci se poursuivent ensuite, parfois même après l’expiration du délai de prescription enclenché par les premiers agissements. Amenée à examiner cette question pour des faits ayant débuté en 1977, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 31 mars 2021, que si ceux-ci n’ont pas cessé de produire leurs effets jusqu’à une période non atteinte par la prescription, le salarié demeure recevable à faire reconnaître la dis- crimination subie.

DISCRIMINATION SYNDICALE SUR L’ENSEMBLE D’UNE CARRIÈRE

Engagée en 1976, désignée déléguée syndicale en 1977 avant de devenir permanente syndicale à compter de 1997, une salariée avait saisi la juridiction prud’ho- male le 10 avril 2012. Elle demandait réparation du préjudice résultant d’une discrimination syndicale dont elle aurait été victime dans le déroulement de sa carrière, depuis 1977 jusqu’à son départ à la retraite le 1er décembre 2011. Au soutien de son action, elle alléguait notamment n’avoir effectué que des tâches administratives sans rapport avec ses compétences sur le poste sur lequel elle avait été affectée en sep- tembre 1982 suite à l’intervention de l’inspection du travail, et n’avoir jamais été augmentée même lors de

ses changements de poste. Elle invoquait également une stagnation de sa classification en dépit de l’obten- tion d’un diplôme, l’absence d’entretien annuel d’ap- préciation à partir de 1997 ainsi que la non-application d’un avenant à un accord-cadre dont avaient pourtant bénéficié d’autres délégués permanents syndicaux.

ACTION PRESCRITE POUR LA COUR D’APPEL

Pour la Cour d’appel de Versailles, l’action était entière- ment prescrite. Pour cela, les juges ont fait remonter le point de départ de la prescription au 5 novembre 1981.

Ils avancent en effet que la salariée avait eu connaissance d’agissements susceptibles de revêtir la qualification de discrimination syndicale depuis qu’en août 1981 elle avait fait état de cette discrimination, sollicitée un changement de poste, et que l’inspecteur du travail avait relayé cette réclamation dans un courrier du 5 novembre 1981. Fixant le point de départ du délai de prescription à compter de la réception de ce courrier, et faisant appli- cation de la prescription trentenaire, ils estiment que celle-ci a expiré le 5 novembre 2011.

La salariée a cependant porté le litige devant la Cour de cassation qui censure le raisonnement.

ACTION RECEVABLE SI LES FAITS ONT PERDURÉ JUSQU’À UNE PÉRIODE NON PRESCRITE

La Haute juridiction rappelle en premier lieu les règles d’application dans le temps des deux délais de pres- cription (30 ans puis 5 ans), problématique réglée par l’article 26 II de la loi du 17 juin 2008. Aux termes de ce texte, le délai de prescription de cinq ans s’applique aux prescriptions à compter du 19 juin 2008, date de l’entrée en vigueur de la réforme, sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée de 30 ans prévue par la loi antérieure.

Elle confirme ainsi, que la discrimination syndicale dont la salariée faisait état, qui a « commencé dès l’obtention de son premier mandat en 1977 et dont elle s’est plainte en 1981 » est « couverte par la prescription trentenaire ».

Le commentaire

Si la discrimination perdure jusqu’à une période non prescrite, l’action en justice est recevable

La solution

C

’est à tort que la cour d’appel juge prescrite l’action relative à une discrimination engagée par la salariée le 10 avril 2012, alors que si la salariée faisait état d’une discrimination syndicale ayant commencé dès l’obtention de son premier mandat en 1977 et dont elle s’est plainte en 1981, période couverte par la prescription trentenaire, elle faisait valoir que cette discrimination s’était poursuivie tout au long de sa carrière en termes d’évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résultait que la salariée se fondait sur des faits qui n’avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription.

Cass. soc., 31 mars 2021, no 19-22.557 F-P

La solution

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tant salariale que personnelle », jusqu’à son départ à la retraite le 1er décembre 2011. Il en résulte « que la salariée se fondait sur des faits qui n’avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription » au moment de l’introduction de son action en justice, le 10 avril 2012. Celle-ci était donc recevable.

Précisons à ce titre, que les dommages-intérêts accordés en cas de discrimination doivent réparer « l’entier pré- judice résultant de la discrimination pendant toute sa durée » en application de l’article L. 1 134-5 du Code du travail. C’est ainsi qu’à partir du moment où une partie des faits n’est pas atteinte par la prescription, le salarié peut obtenir réparation pour la totalité.

CONSULTER LE DOCUMENT SUR :

www.liaisons-sociales.fr Elle souligne toutefois que les faits de discrimination

se sont ensuite poursuivis « tout au long de la carrière » de la salariée « en termes d’évolution professionnelle,

POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION

Des précisions ont été apportées quant à la portée de cet arrêt, lors d’un colloque organisé au sein de la Cour de cassation le 2 juin 2021.

Pour le doyen de la chambre sociale, Jean-Guy Huglo, l’idée est que tant que le fait générateur perdure et produit des effets illégaux, il ne peut y avoir de point de départ de la prescription. La solution est en quelque sorte inspirée de la jurisprudence sur le préjudice d’anxiété selon laquelle tant que le salarié est exposé à l’amiante, la prescription ne peut pas commencer à courir (Cass. soc., 8 juillet 2020, no 18-26.585).

Le salarié qui dénonce ou relate des faits de discrimination bénéficie d’une immunité disciplinaire : il ne peut faire l’objet d’aucune sanction pour ce motif, à peine de nullité (C. trav., art. L. 1132-3). La Cour de cassation pose toutefois un tempérament à ce principe, dans un arrêt du 13 janvier dernier, en admettant qu’une dénonciation réalisée de mauvaise foi puisse faire tomber cette immunité, ce qui suppose, précise-t-elle, la connaissance, par le salarié, de la fausseté des faits qu’il dénonce. Il ne suffit pas que les faits dénoncés ne soient pas établis. Seuls des propos men- songers, que leur auteur savait inexacts, peuvent tomber sous le coup d’un licenciement disciplinaire.

La solution n’est guère surprenante et reprend un prin- cipe jurisprudentiel dégagé en matière de harcèlement.

SALARIÉ AYANT DÉNONCÉ DES FAITS

DE DISCRIMINATION EN RAISON DE SON ORIGINE

Dans cette affaire, le salarié avait adressé un courrier au président du groupe ainsi qu’à son supérieur hiérar- chique pour dénoncer des faits de discrimination en raison de son origine de la part du directeur commercial, le 27 février 2012. Il avait également saisi le Défenseur

des droits, qui a classé l’affaire le 22 décembre 2014. Lui reprochant d’avoir proféré de telles accusations en ayant conscience de leur caractère fallacieux, l’employeur l’a licencié pour faute grave le 22 mars 2012.

Le salarié a porté l’affaire devant les juridictions prud’homales. La cour d’appel ne lui a toutefois pas donné gain de cause.

Estimant que sa mauvaise foi n’était pas établie, il a formé un pourvoi en cassation. Mais, à l’instar des juges du fond, la chambre sociale a estimé que tel était bien le cas et a rejeté le pourvoi.

DÉFINITION RESTRICTIVE DE LA MAUVAISE FOI SUPPOSANT DES ALLÉGATIONS MENSONGÈRES

La Cour de cassation rappelle utilement qu’« aux termes de l’article L. 1132-3 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés. En vertu de l’article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions

Le commentaire

Discrimination : proférer

des accusations mensongères

justifie le licenciement disciplinaire

La solution

A

ux termes de l’article L. 1132-3 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés. En vertu de l’article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. Il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Cass. soc., 13 janvier 2021, no 19-21.138 F-PB

La solution

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discrimination ne soit pas établie ne suffisant pas), elle n’en est pas pour autant impossible. En atteste l’affaire en cause.

En l’espèce, la Cour de cassation estime en effet qu’après avoir retenu que la discrimination alléguée n’était pas établie, c’est à raison que la cour d’appel a déduit que le salarié connaissait la fausseté des faits allégués de discrimination en raison de son origine, des éléments suivants :

– plusieurs propositions de missions avaient été faites au salarié, dont l’une contemporaine de l’allégation de discrimination ;

– l’allégation avait été formulée « en des termes très généraux sans invoquer de faits circonstanciés » ; – « le salarié était, dès le mois de décembre 2011, déter- miné à quitter l’entreprise », et souhaitait « obtenir une rupture conventionnelle du contrat de travail en cher- chant à imposer ses conditions financières » ;

– « aucune alerte n’avait été faite durant la relation de travail auprès des délégués du personnel, de la méde- cine du travail ou de l’inspection du travail » ;

– « le salarié n’avait fait aucun lien avec ses origines avant les emails adressés à ses supérieurs hiérarchiques et au Défenseur des droits en février 2012 ».

Considérant, à l’aune de ces éléments, que la mauvaise foi du salarié était bien caractérisée, la chambre sociale a donc approuvé la cour d’appel d’avoir jugé le licen- ciement pour faute grave justifié. Notons que le salarié ne contestait pas, à titre subsidiaire, la qualification de la faute dans cette affaire. À raison, selon nous, la Cour de cassation estimant traditionnellement que la dénonciation de mauvaise foi d’actes de harcèlement suffit à caractéri- ser la faute grave (Cass. soc., 6 juin 2012, no 10-28.345 PB ; v. l’actualité no 16120 du 13 juin 2012), ce qui devrait être également le cas en matière de discrimination.

CONSULTER LE DOCUMENT SUR :

www.liaisons-sociales.fr du présent chapitre est nul ». Elle en déduit, « que le

salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

Il s’agit de la première fois que la Haute juridiction en décide ainsi, dans une décision publiée, concernant des allégations de discrimination (pour un arrêt non publié laissant déjà apparaître une telle solution : v. Cass. soc., 8 janvier 2020, no 18-21.355 D). La solution est conforme à l’article 3 de la loi no 2008-496 portant diverses dis- positions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui réserve l’immunité au salarié de bonne foi.

Par ailleurs, cette décision s’inscrit dans une ligne jurispru- dentielle déjà bien établie s’agissant de la dénonciation d’autres types d’agissements. La chambre sociale a en effet déjà adopté cette position en matière de dénonciation : – de faits de harcèlement moral, en application de l’article L. 1152-2 du Code du travail (Cass. soc., 7 février 2012, no 10-18.035 PBR ; Cass. soc., 10 juin 2015, nos 13-25.554 et 14-13.318 PB). Cette jurisprudence est d’ailleurs régulièrement rappelée par la Cour de cassation (v. par exemple : Cass. soc., 16 septembre 2020, no 18-26.696 PB ; v. l’actualité no 18155 du 6 octobre 2020) ; – d’un délit ou d’un crime dont le salarié aurait eu connais- sance dans l’exercice de ses fonctions, en application de l’article L. 1132-3-3 du Code du travail, relatif à la protec- tion des salariés lanceurs d’alerte (Cass. soc., 8 juillet 2020, no 18-13.593 PB ; v. l’actualité no 18137 du 10 septembre 2020).

MAUVAISE FOI DU SALARIÉ JUSTIFIANT LE LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE

Si la preuve du caractère mensonger de la dénonciation peut paraître difficile à rapporter (le seul fait que la

Port du voile : sans clause de neutralité, l’atteinte à l’image commerciale

ne justifie pas l’interdiction

La solution

A

yant d’abord relevé qu’aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, la cour d’appel en a déduit à bon droit que l’interdiction faite à la salariée de porter un foulard islamique caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressé.

Cass. soc., 14 avril 2021, no 19-24.079 FS-P

La solution

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En 2017, la Cour de cassation a reconnu la possibi- lité, traduite à l’article L. 1321-2-1du Code du tra- vail, d’insérer dans le règlement intérieur une clause générale permettant d’interdire aux salariés le port

de tout signe religieux, politique ou philosophique, lorsqu’ils sont en contact avec les clients (v. Cass.

soc., 22 novembre 2017, no 13-19.855 PBRI ; v. l’actualité no 17454 du 24 novembre 2017). Si cette restriction ne

Le commentaire

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philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».

En l’occurrence, « aucune clause de neutralité inter- disant le port visible de tout signe politique, philoso- phique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur », constate l’arrêt. En conséquence,

« l’interdiction faite à la salariée de porter un foulard islamique caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée ».

INTERDICTION NON JUSTIFIÉE PAR UNE EXIGENCE PROFESSIONNELLE

Restait à déterminer si cette discrimination directe pouvait malgré tout être justifiée par une exigence essentielle et déterminante, comme le prétendait l’employeur. L’interdiction des discriminations fon- dée notamment sur la religion « ne fait pas obstacle aux différences de traitement lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déter- minante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée » (C. trav., art. L. 1133-1 ; Dir. 2000/78/CE du 27 novembre 2000, art. 4 § 1), rap- pelle en effet l’arrêt.

Renvoyant à la jurisprudence Micropole de la CJUE, l’arrêt en rappelle la définition : la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client »(CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15).

La chambre sociale en tire logiquement pour consé- quence que « l’attente alléguée des clients sur l’appa- rence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence pro- fessionnelle essentielle et déterminante ». N’était donc aucunement recevable, la justification de l’employeur

« qui était explicitement placée sur le terrain de l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, laquelle serait selon lui susceptible d’être contrariée au préjudice de l’entreprise par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses ». La nul- lité du licenciement a été confirmée.

Sur la même ligne, la Cour de cassation avait déjà pré- cisé récemment que « les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considé- rées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». En revanche, « l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier […] des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une appa- rence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif » (v. Cass. soc., 8 juillet 2020 précité ; v. le dossier jurisprudence théma -Libertés- no 12/2021 du 19 janvier 2021).

CONSULTER LE DOCUMENT SUR :

www.liaisons-sociales.fr figure pas dans le règlement intérieur, elle n’est pos-

sible que s’il existe une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 (v. Cass. soc., 8 juil- let 2020, no 18-23.743 PBRI). Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Cour de cassation rappelle ce mode d’emploi et confirme que l’existence d’une exigence profession- nelle essentielle et déterminante ne peut être justifiée par l’atteinte à l’image de l’entreprise défendue par l’employeur. Ainsi, en l’absence de clause de neutra- lité valablement inscrite dans le règlement intérieur, le licenciement d’une salariée prononcé au motif de son refus de retirer son foulard islamique lorsqu’elle est en contact avec la clientèle, est discriminatoire et donc nul.

PORT DU VOILE PAR UNE SALARIÉE EN CONTACT AVEC LES CLIENTS

À son retour de congé parental, une vendeuse employée par une enseigne d’habillement s’est présentée à son poste de travail avec un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. Ayant refusé de le retirer, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse. Soutenant être victime de discrimination en raison de ses convic- tions religieuses, la salariée a alors saisi la justice d’une demande de nullité de son licenciement, qu’elle a obtenue devant la Cour d’appel de Toulouse.

À l’appui de son pourvoi, l’employeur a alors cherché à démontrer l’existence d’une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » en fondant notamment son raisonnement sur :

– « la nature de l’emploi de vendeuse de la salariée, car cet emploi impliquait un contact direct avec la clientèle » ; – « l’image de marque » de l’entreprise « et son choix de positionnement commercial, destiné à exprimer la féminité de sa clientèle sans dissimuler son corps et ses cheveux, au moyen de magasins conçus pour mettre en valeur les produits de l’entreprise » ;

– le « caractère spontané, ostentatoire et permanent des modalités d’expression [des] convictions religieuses retenues » par la salariée, compte tenu de la « durée pendant laquelle [elle] avait elle-même exercé ses fonctions sans porter de foulard ».

L’employeur a également plaidé en faveur de l’exis- tence d’une politique de neutralité, même si celle-ci ne provenait pas formellement d’une clause figurant dans le règlement intérieur.

Aucun de ces arguments n’a été retenu par la Cour de cassation, qui a confirmé la nullité du licenciement fondé sur un motif discriminatoire (C. trav., art. L. 1132-4).

RÔLE CENTRAL DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR

La Haute juridiction avait déjà fait du règlement inté- rieur (ou de la note de service) le support essentiel de l’instauration d’une politique de neutralité au sein de l’entreprise (v. Cass. soc., 22 novembre 2017 précité).

L’arrêt du 14 avril rappelle ainsi que « l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur […], une clause de neutra- lité interdisant le port visible de tout signe politique,

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// Les ar rêts en br ef

Préretraite

Un dispositif de préretraite désavantageant les mères n’est pas discriminatoire s’il est justifié par un but légitime

Le dispositif de préretraite mis en place par le plan de sauvegarde de l’emploi, selon lequel le maintien dans la structure de prére- traite est garanti jusqu’à l’âge auquel les bénéficiaires peuvent prétendre à la retraite à taux plein, intègre ainsi les trimestres acquis au titre des majorations de durée d’assurance instituées à l’article L. 351-4 du Code de la sécurité sociale dans sa rédac- tion issue de l’ordonnance no 2010-462 du 6 mai 2010. Cette disposition, apparemment neutre, est susceptible d’entraîner, à raison du sexe, un désavantage pour les salariés de sexe féminin, du fait de la naissance et de l’éducation des enfants, dès lors que celles-ci, qui atteignent plus rapidement l’âge auquel le bénéfice d’une retraite à taux plein est attribué, sont plus souvent conduites à une sortie anticipée du dispositif de préretraite. Cette différence de traitement peut toutefois être admise en présence d’une justification objective par un but légitime, dès lors que les moyens pour réaliser ce but sont nécessaires et appropriés.

Cass. soc., 14 avril 2021, no 19-14.700 FS-P

En l’espèce, une société a mis en place, dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, un dispositif de départ volontaire en préretraite. Celui-ci permettait aux salariés qui y adhéraient, de percevoir une indem- nité spéciale de départ en préretraite et, pendant toute la durée du dispositif, un revenu de remplacement sous forme de rente mensuelle correspondant à un certain pourcentage de leur rémunération brute. Ce versement était garanti jusqu’à l’âge auquel les bénéficiaires pou- vaient prétendre à la retraite à taux plein et dans la limite de cinq ans.

Une salariée a adhéré à ce dispositif le 12 septembre 2007. Pour déterminer la date de fin d’application du dispositif, la société a pris en compte les trimestres acquis par la salariée au titre de la majoration de la durée d’assurance en raison de ses trois enfants, ce qui a fait cesser sa prise en charge le 30 avril 2011.

Rappelons en effet que le taux plein de l’assurance vieillesse est atteint en fonction d’une certaine durée d’assurance qui tient compte notamment des majora- tions de durée d’assurance au titre de la maternité et au titre de l’éducation de l’enfant (CSS, art. L. 351-4).

Selon la salariée, qui souhaitait profiter plus long- temps du système plus avantageux de préretraite, les seuls trimestres qui auraient dû être pris en compte étaient ceux pour lesquels elle avait effectivement cotisé, ce qui aurait permis de la maintenir en prére- traite jusqu’au 30 juin 2013. Elle affirmait pour cela que la prise en compte des majorations de trimestres accordées pour la naissance et la charge d’enfants constituait une discrimination à raison de son sexe et de sa situation de famille. La Cour de cassation a toutefois rejeté l’argument.

La Haute juridiction rappelle qu’une discrimination indirecte peut être constituée par une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs de la dis- crimination directe, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, « à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et

appropriés » (L. no 2008-496 du 27 mai 2008). En l’occur- rence, la Cour de cassation reconnaît que la prise en compte des majorations de durée d’assurance est sus- ceptible d’entraîner un désavantage pour les salariés de sexe féminin, qui atteignent plus rapidement l’âge de la retraite à taux plein et sont plus souvent conduites à une sortie anticipée du système avantageux de pré- retraite. Mais ils estiment, cependant, que le dispositif litigieux est étranger à toute discrimination puisque les prestations de préretraite cessent d’être versées à la date objective de l’âge auquel le salarié est en droit de prétendre à une retraite à taux plein. Ce qui caractérise une justification objective par un but légitime.

Accord collectif

Un accord collectif ne peut exclure les salariés inaptes de l’indemnité conventionnelle de licenciement

En l’absence d’élément objectif et pertinent la justifiant, est nulle en raison de son caractère discriminatoire fondé sur l’état de santé du salarié la disposition d’une convention collective excluant les salariés licenciés pour inaptitude de l’indemnité de licenciement qu’elle institue.

Cass. soc., 9 décembre 2020, no 19-17.092 FS-PB

Il résulte d’une jurisprudence établie qu’une différence de traitement instituée par accord collectif ne peut être présumée justifiée au regard du principe de non-dis- crimination (Cass. soc., 9 octobre 2019, no 17-16.642 PB).

La Cour de cassation confirme la règle dans ce nouvel arrêt et en déduit qu’une disposition conventionnelle excluant les salariés licenciés pour inaptitude de l’in- demnité de licenciement qu’elle institue, ne saurait bénéficier d’une quelconque présomption de justi- fication. Peu importe qu’elle émane des partenaires sociaux, une telle clause est nulle faute d’élément objec- tif et pertinent justifiant une telle exclusion. La Cour de cassation condamnait déjà ce type de clause depuis 2014 (v. Cass. soc., 8 octobre 2014, no 13-11.789 PB).

En l’occurrence, la Cour de cassation a approuvé le verdict d’une cour d’appel ayant accordé à une salariée licenciée pour inaptitude un rappel d’in- demnité conventionnelle de licenciement, alors que l’employeur lui avait opposé la clause d’un accord collectif excluant du bénéfice de celle-ci les salariés licenciés pour un motif disciplinaire, pour inaptitude physique ou invalidité. Pour la chambre sociale, si certaines différences de traitement opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs sont présu- mées justifiées au regard du principe d’égalité de traitement (v. par exemple Cass. soc., 27 janvier 2015, no 13-14.773 PBRI), aucune différence de traitement fondée sur un motif discriminatoire ne peut en revanche être présumée justifiée (v. déjà : Cass. soc., 9 octobre 2019, no 17-16.642 PB ; Cass. soc., 8 janvier 2020, no 18-17.553 D). Il faut donc appliquer le régime pro- batoire de la discrimination : dès lors que les stipula- tions de la convention d’entreprise laissaient supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé, il appartenait à l’employeur de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (C. trav., art. L. 1134-1). En l’absence d’une telle preuve, la clause discriminatoire était inopposable à la salariée.

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// Les ar rêts en br ef Handicap Handicap : verser un complément de salaire

aux seuls salariés ayant remis leur attestation après une date donnée est discriminatoire

La pratique d’un employeur consistant à verser un complément de salaire aux travailleurs handicapés ayant remis leur attestation de reconnaissance de handicap après une date choisie par cet employeur, et non aux travailleurs handicapés ayant remis cette attestation avant cette date, est susceptible de constituer une discrimination directe lorsqu’il s’avère que cette pratique est fondée sur un critère indissociablement lié au handicap, en ce qu’elle est de nature à placer définitivement dans l’impossibi- lité de remplir cette condition temporelle un groupe nettement identifié de travailleurs, composé de l’ensemble des travailleurs handicapés dont l’employeur connaissait nécessairement l’état de handicap lors de l’instauration de cette pratique. Ladite pra- tique, bien qu’apparemment neutre, est susceptible de constituer une discrimination indirectement fondée sur le handicap lorsqu’il s’avère qu’elle entraîne un désavantage particulier pour des tra- vailleurs handicapés en fonction de la nature de leur handicap, notamment du caractère ostensible de celui-ci ou du fait que ce handicap nécessite des aménagements raisonnables des condi- tions de travail, sans être objectivement justifiée par un objectif légitime et sans que les moyens pour réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires.

CJUE, 26 janvier 2021, aff. C-16/19

La directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 fixe un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée notamment sur le handicap, concernant l’em- ploi et le travail, en vue de mettre en œuvre le principe d’égalité de traitement dans les États membres. En droit polonais, visé par cette affaire, les employeurs de 25 salariés ou plus sont tenus de verser des contributions mensuelles s’ils emploient moins de 6 % de travailleurs handicapés. Afin de réduire ces contributions, le direc- teur d’un hôpital a décidé d’octroyer un complément de salaire aux travailleurs qui lui remettraient, pos- térieurement à une date donnée, une attestation de reconnaissance du handicap.

Une juridiction polonaise a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de savoir si cette pratique de l’em- ployeur pouvait constituer une discrimination directe ou indirecte fondée sur le handicap, visée à l’article 2 de la directive précitée.

La CJUE répond par l’affirmative. Cette pratique place l’ensemble des travailleurs dont l’employeur connaissait déjà le handicap, dans l’impossibilité d’ob- tenir la prime. Elle est donc susceptible de constituer une discrimination directe si elle est fondée sur un critère indissociablement lié au handicap. Elle est aussi susceptible de constituer une discrimination indirectement fondée sur le handicap si elle entraîne un désavantage pour les travailleurs en fonction de la nature de leur handicap, sans être objectivement justifiée par un objectif légitime et sans que les moyens pour réaliser cet objectif soient appropriés et néces- saires.

En l’espèce, il pourrait être considéré que ce sont principalement des travailleurs présentant un handicap ostensible ou nécessitant d’obtenir des aménagements

de leurs conditions de travail qui se sont trouvés dans l’obligation, avant la date choisie par l’hôpital, d’offi- cialiser leur état de santé.

Poursuites pénales

Les discriminations indirectes ne sont pas punissables en matière pénale

Il résulte de l’article 225-2 du Code pénal que seules sont punissables les discriminations fondées sur l’un des critères limitativement énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2. Ces textes, qui doivent être interprétés strictement, ne répriment que la discrimination directe, notion qui se comprend par opposition à celle de discrimination indirecte définie à l’article 1er, alinéa 2, de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008.

Cass. crim., 8 juin 2021, no 20-80.056 FS-P

Selon la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 la discrimina- tion indirecte consiste en « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais suscep- tible d’entraîner, pour un motif fondé notamment sur l’un des critères [de la définition de la discrimina- tion directe], un désavantage particulier pour des per- sonnes par rapport à d’autres personnes ». Les critères de la discrimination directe, sont eux, énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2 du Code pénal.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation souligne que seule la discrimination directe peut être sanctionnée sur le fondement du Code pénal, car il résulte de l’ar- ticle 225-2 du Code pénal que seules sont punissables les discriminations fondées sur l’un des critères limita- tivement énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2.

En l’espèce, un sapeur-pompier a porté plainte pour discrimination en reprochant à son directeur d’avoir élaboré une note de service concernant la promotion au grade d’adjudant, qui édictait un critère tenant à la durée du travail effectué au sein du service d’une région particulière, en excluant les autres. Selon lui, cela revenait à empêcher toute promotion pour ceux qui avaient effectué tout ou partie de leur carrière hors de cette région, sachant qu’ils pouvaient ne pas en être originaires, ce qui était discriminatoire.

La Cour de cassation a tout de même estimé que les faits poursuivis n’étaient pas punissables au titre des dispositions du Code pénal. En effet, ces textes qui

« doivent être interprétés strictement, ne répriment que la discrimination directe ».

La chambre criminelle a ensuite précisé que « parmi les critères énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2 du Code pénal figure l’origine de l’intéressé mais non la durée d’emploi dans une région particulière ». Or « à supposer que cette mesure conduise à favoriser les personnes originaires de cette région au détriment des autres, et qu’une telle discrimination soit punissable, celle-ci ne pourrait être que le résultat d’une constatation statis- tique selon laquelle les personnes ayant été en service pendant une durée importante dans cette région en sont le plus souvent originaires, de sorte que d’une telle constatation, extrinsèque au libellé de la mesure, on ne pourrait déduire que l’existence d’une discrimination indirecte ».

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