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LETTRE
DE FÉNÉLON
A
LOUIS XIV.
LETTRE
r jr
DE FENELON
LOUIS XIV
^
BIBUOTHEQUes%PARIS,
ANTOINE- AUGUSTIN RENOUARD.
M
DCCCXXV.JMPKIMÉ CHEZ PAUL UENOCAHD,
(JtBDSl.'lllKpSDïLJ.B,». 22,
B'BUOTHtCA
J^/ensis^^^
AVERTISSEMENT.
On nu
l'ignoroit point l'existence d'une lettre de Fénélon, contenant detrèsvives représentations et remontrances à Louis XIV, mais cette pièce re-marquable nétoit connue que par des copiesdont rien n'établissoit l'authenticité, et qui ne prou- voient point d'une manière incontestable qu'elle appartînt à l'immortel auteur de Télémaque.
Une
minute de cette lettre, entièrement de la main de Fénélon, mentionnée, il est vrai, par D'Alembert, dans ses notes sur l'Eloge de Fénélon , mais en- sevelie etcomme
perdue dans le cabinet d'un cu- rieux*,vient d'être, pour ainsi dire, révélée au
*Cettelettreoriginaleétoit tellementinconnue que M. le cardinalBausset, dans son Histoirede Fénélon, dit positive- ment :«Lemanuscrit original n'existe point. M. D'Alembert
'n'aeu connoissanceque delamême copie quiest entre nos
Imains,etquilui futcommuniquéeilyatrente-huitans,»Do
AVRUTISSEMKM.
publicpar sonapparition dans une vente delivres.
J'enai faitl'acquisition*, et une pièce de cette ini-
cequ'iln'apuenvoirl'original,M.de Baussettirecettecon- clusion,devenue fausse jjarle fait
,Querien n'estmoins au- thentiqueque cettelettre publiéepar D'Alembert,et qu'ilne croit pas devoir l'attribuer indiscrètement àFénélon.Voyez
HistoiredeFéntlon, tom.I, pag. 394-5-6.
Voltairenonplus,necroyoitpasà l'authenticitédecet écrit; illetémoigne dansune lettreàCondorcet,non imprimée, et
queje viensdevoirchezM. le général O'Connor,gendre de Condorcet,et.îcetitre,propriétairedesespapiers,etdeceux deD'Alembert.
J'y aivuaussila copiemanuscrite quiaservi à la première impressiondela lettrede Fénélon.En marge de cette copie, etdelamainde D'Alembert, sont lesnotesqu'il aimprimées aveccettelettre.Danslapremièredecesnotesmanuscrites,on
lit:L'originalque nous avons vu estécrit,toutentierdelamain de Fénélon,phraseque D'Alembert n'apointimprimée. 3'ignore quelle raisonilapuavoirdelasupprimer dans sonlivre;mais, ce qui est certain, et que je viens de voir de mes prt)pres yeux,c'estqu'elleestécritedesamaindanslanote.Condorcet, dansunelettreàVoltaire,ditaussi:Lemanuscritexiste.D'Alem- bertet Condorcetl'avoient doncvu. Au reste, ceprocès est terminé,puisquelapièce originaleestmaintenantproduite.
*Le26 février iSaS,i'ilaventedeslivresdefeuM.Gentil, à Paris.
AVEKTISSEMENT. r
.portance étant impérieusement réclamée par l'iiis-
toire,j'aicru devoirm'empresser delapubliersous
ladoubleformed'une édition de quelque luxe*qui fût une sorte d'hommage rendu à son illustre au- teur,eten
même
tempsdecetteseconde impression,
non moins soignée, mais d'un bien plus bas prix, et susceptible, surtout, d'êtreajoutée àlasuitedes éditionsin-8*^ de Télémaque etdes diverses œuvres de Fénélon.
Au
haut de la première des vingt-quatre pages dontsecompose lemanuscrit original,est écritelanotesuivante, dela main du marquis de Fénélon,
petit neveu de l'auteur, celui qui, en Hollande
,
a fait faire l'édition in-4° et in-folio de Télémaque
et des OEuvres spirituelles.
Minutted'unelettredeM. Labbéde Fenelon au Rojr, aqui ellefutremisedansletempsparItl.leD.deD. etquiloindes'en indisposer, choisit au contrairequelquetemps aprèscet abbt- pourprécepteur des princessespetitsEnfants. Cette minutteest touttedelescrituredeM. Labbéde Fenelon depuis archevesque
deCambray
.
Cettenote n'estpoint exacte.Fénélon étoit, dès l'année 1689, précepteur de M. le duc de Bour-
*Mapremière édition est en grand papiervélin,d'unplus gros caractère,etavecles portraitsdeLouisXIV et Fénélon.
8 AVERTISSEMI-M.
gogne; et sa lettre faisant mention de Louvois
comme
n'existant plus, n'a pu t^tre écrite qu'après la mortde ceministre, arrivéele i6juillet i6"8i. Ilest probable qu'elle est de 1694, année dans la-
quelle la cherté du pain occasionna plusieurs émeutes.
On
trouvera à la suite de cette Lettre lemême
fac-similé qui est dans la grandeédition, etqui re-
présente avec exactitude la première page du ma-
nuscrit,
ANT. AUG. RENOUARO.
Paris,le 10mai 1825.
LETTRE
r r
DE FENELON
LOUIS XIV.
J-jA personne, Sire, qui prend la liberté de vous écrire cette lettre, n'a
aucun
intérêt en cemonde.
Elle ne l'écrit ni par chagrin, ni par ambition, ni par envie de se mêler des grandes affaires. Ellevous aime sans êtrecon-nue
de vous; elle regarde Dieu en votre per- sonne. Avec toute votre puissance vous ne pouvez luidonner aucun
bien qu'elle désire,
et il n'yaaucun
mal
qu'ellenesouffrît debon
cœur pour
vous faire connoître les véritéslo 1,1 ni;I Di: Fi;Ni;r/)\
néccssaii-es à votre salut. Si elle vous parle fortement, n'en soyez pas étonné, c'est
que
la vérité est libre et forte.
Vous
n'êtes guèreaccoutumé
à l'entendre. Les gensaccoutumés à êtreflattés prennent aisémentpour chagrin,
pour
âpreté. et pour excès, ce qui n'estque
lavéritétoute pure. C'est la trahir,
que
dene vous lamontrer
pas dans toute son étendue.Dieu est témoin
que
la personne qui vous parle le fait avecun cœur
plein de zèle, de respect, de fidélité , et d'attendrissement sur tout ce qui regarde votre véritable intérêt.Vous
êtes né, Sire, avecun cœur
droit et équitable; mais ceux qui vous ont élevé, ne vous ontdonné pour
science de gouvernerque
la défiance, la jalousie, l'éloignement dela vertu, lacrainte detout mérite éclatant, le
goût des
hommes
souplesetrampants, la hau- teur, et l'attention àvotre seul intérêt.Depuis environ trente ans vos principaux ministres ont ébranlé et renversé toutes les
anciennes
maximes
de l'État, pour fairemon-
\ LOLIS XIV. 1 t
ter jusqu'au
comble
votre autorité, qui étoicdevenue la leur parce qu'elle étoit dans leurs mains.
On
n'a plus parlé de l'État ni des rè- gles; on n'a parléque du
Roi et de sonbon
plaisir.
On
a poussé vos revenus et vos dé- pensesà l'infini.On
vous aélevéjusqu'au cielpouravoir effacé,disoit-on,lagrandeur detous vosprédécesseurs ensemble, c'est-à-dire
pour
avoir appauvri la France entière, afin d'intro- duire à la cour
un
luxemonstrueux
et incu- rable. Ils ont voulu vous élever surles ruines de toutes les conditions de l'État,comme
sivous pouviez être grand en ruinant tous vos sujetssurqui votre grandeurestfondée. Ilest vrai
que
vous avez été jaloux de l'autorité, peut-êtremême
tropdans les chosesextérieu- res; mais pour le fond chaque ministre a été lemaîtredansl'étenduedesonadministration.Vous
avez crugouverner,parceque
vousavez réglé les limites entre ceux qui gouvernoient.Usont bien
montré
au public leurpuissance,
et
on
ne l'a que trop sentie. Us ont été durs,12 LETTRE DE FÉNÉLOJV
hautains, injustes, violents, de mauvaise foi.
Ils n'ont
connu
d'autre règle, nipour
l'admi- nistrationdu
dedans de l'État, nipour les né- gociations étrangères,que
demenacer
,
que
d'écraser,
que
d'anéantirtout ce qui leur ré- sistoit. Ilsne vous ontparléque pour
écarter de voustout mérite qui pouvoitleur faireom-
brage. Ilsvous ont
accoutumé
à recevoir sans cesse des louanges outrées qui vont jusqu'à l'idolâtrie, etque
vous auriezdû,pour
votrehonneur,
rejeteravecindignation.On
arendu votrenom
odieux, et toutela nationfrançoise insupportable à tous nos voisins.On
n'a con- servéaucun
ancienallié, parcequ'onn'avoulu
que
des esclaves.On
a causé depuis plus de vingt ans des guerressanglantes. Par exemple,
Sire,
on
fit entreprendre àVotre Majesté,en 1672 , laguerre de Hollandepour
votre gloire etpour
punir les Hollandois, qui avoient faitquelque raillerie, dans le chagrin où
on
les avoitmis en troublantles règles ducommerce
établiesparlecardinal deRichelieu. Je cite eTi
A LOUIS XIV. J3 particulier cetteguerre
, parce qu'elle a été la source de toutes les autres. Elle n'a eu
pour fondement
qu'un motif de gloire et de ven- geance , ce qui ne peut jamais rendreune
guerre juste; d'où il s'ensuit que toutes les frontièresque
vous avez étendues par cette guerre sont injustement acquises dans l'ori- gine. Il est vrai, Sire,
que
les traités de paix subséquents semblentcouvrir et réparer cette injustice, puisqu'ils vous ontdonné
les places conquises : maisune
guerre injuste n'en est pasmoins
injuste pour être heureuse. Lestraités de paix signés par les vaincus ne sont point signés librement.
On
signe le couteau sous la gorge :on
signe malgré soipour éviter de plus grandes pertes :on
signe,comme on donne
sa bourse,quand
il la faut donnerou
mourir. Il faut donc, Sire, remonter jusqu'à cette origine de la guerre de Hollande pour examiner devant Dieu toutes vos conquêtes.Il est inutile de dire qu'elles étoient néces- saires à votre État : le bien d'autrui ne nous
l4 LETTRP l)i; riCNKLON
est jamais nécessaire, (le qui nous est vérita- l)lement nécessaire,c'c^std'observer
une
exacte justice. Il ne faut pasmême
prétendreque
vous soyez en droit de retenir toujours cer- taines places, parce qu'elles servent à la sû- reté de vosfrontières. C'est à vous à chercher cettesiiretépar debonnes
alliances, par votre modération,ou
par les placesque
vous pou- vez fortifier derrière;mais enfin, le besoindeveillerànotre sûreténe nous
donne
jamaisun
titre de prendrela terredenotre voisin. Con- sultez là-dessusdes gensinstruits etdroits; ils
vousdiront
que
ceque
j'avanceest claircomme
lejour.
En
voilà assez, Sire,pour
reconnoîtreque
vousavez passé votrevieentière horsdu
che-min
de la vérité et de lajustice, et par con- séquent hors de celui de l'Evangile. Tant de troubles affreux qui ont désolétoute l'Europe depuis plus de vingt ans, tant de sang ré-pandu,tantdescandales
commis,
tantde pro- vinces saccagées, tant de villes et de villagesA LOUIS XIV. l5 mis en cendres, sont les funestes suites de
cette guerre de 1672, entreprise
pour
votre gloireetpour
la confusion des faiseurs de ga- zettes et demédailles de Hollande.Examinez, sans vous flatter, avec des gens de bien, sivouspouvezgarder tout ce
que
vouspossédez en conséquencedestraitésauxquels vousavez réduit vos ennemis parune
guerre simal
fondée.
Elle est encore la vraie source de tous les
maux que
la France souffre. Depuis cette guerre vous avez toujours voulu donner lapaix en maître, et imposer les conditions, au
lieu de les régler avec équité et modération.
Voilà ce qui fait
que
lapaix n'apu
durer.Vos
ennemis, honteusementaccablés, n'ont songé qu'à se relever et qu'à se réunir contre vous.Faut-ils'enétonner?vousn'avezpas
même
de-meuré
dans les termesde cette paixque
vous aviez donnée avec tant de hauteur.En
pleinepaixvous avez fait la guerre et des conquêtes prodigieuses.
Vous
avezétabliune chambre
desi6 LETTRE DE FENELON
réunions pourêtretoutensemble jugeet par- tie: c'étoit ajouter l'insulte et ladérisionà l'u-
surpation et àla violence.
Vous
avez cherché dans le traitéde Westphalie des termes équi- voquespour
surprendre Strasbourg. Jamaisaucun
devosministres n'avoit osé depuis tant d'années alléguer ces termes dans aucune né- gociation, pour montrer
que
vous eussiez lamoindre
prétention sur cette ville.Une
telleconduitearéuniet
animé
toutel'Europe contre vqus.Ceuxmêmes
qui n'ont pas osése déclarer ouvertement souhaitentdu moins
avecimpa- tience votre affoiblissement et votre humilia- tion,comme
laseule ressourcepour
laliberté et pour le repos de toutes les nations chré- tiennes.Vous
qui pouviez, Sire,acquérirtant de gloire solide et paisible à être le père de vos sujets et l'arbitre de vos voisins,on
vous arendu
l'ennemicommun
de vos voisins, eton
vous expose à passerpour un
maître dur dans votre royaume.Le
plus étrange effet de ces mauvais con-A LOUIS XIV. ly seils, est la durée de la ligue formée contre vous. Les alliés aiment
mieux
faire la guerre avec perteque
de conclure lapaix avec vous, parce qu'ils sont persuadés, sur leurpropre expérience,que
cette paixne seroitpointune
paix véritable,que
vous ne la tiendrieznon
plusque
les autres, etque
vous vous en ser- viriezpour
accabler séparément sans peine chacun de vos voisins dès qu'ils se seroient désunis. Ainsi plus vous êtes victorieux, plusils vous craignent et seréunissent
pour
éviter l'esclavage dont ils se croient menacés.Ne
pouvant vous vaincreils prétendent
du moins
vous épuiser àla longue. Enfin ils n'espèrent plus de sûreté avec vous qu'en vous mettant dansl'impuissancedeleur nuire.Mettez-vous.Sire,
un moment
en leur place, et voyez ceque
c'estque
d'avoirpréférésonavantage àla justice et à labonne
foi.Cependant vos peuples,
que
vous devriez aimercomme
vos enfants, et qui ontétéjus- qu'ici si passionnéspour
vous,meurent
de10 LETTHi: DE FENELON
faim.
La
culture des terres est presque aban- donnée; les villes et lacampagne
se dépeu- plent; tous lesmétiers languissent etne nour- rissent plus les ouvriers.Tout commerce
est anéanti. Par conséquent vous avez détruith
moitié des forces réelles
du
dedans de votre état,pour
faire etpour
défendre de vaines conquêtes au dehors.Au
lieu de tirer de l'ar-gent de ce pauvre peuple, il faudroit lui faire
l'aumône et lenourrir.
La
Franceentièren'est plus qu'un grandhôpital désolé etsans provi- sion. Les magistrats sont avilis et épuisés.La
noblesse, dont tout le bien est en décret, nevit
que
de lettres d'état.Vous
êtes importuné delafouledes gens quidemandent
etquimur-
murent. C'estvous-même,
Sire,quivous êtes attiré tous ces embarras; car,toutleroyaume
ayant été ruiné, vous avez tout entre vos mains, etpersonne ne peut plus vivreque
de vos dons. Voilà ce grandroyaume
si florissant sousun
roi qu'on nous dépeint tous lesjourscomme
les délicesdu
peuple, et quileseroitA LOUIS XIV. 19 en effet si les conseils flatteurs ne l'avoient point empoisonné.
Le
peuplemême
( ilfaut tout dire) quivous a tant aimé, qui a eu tant de confiance en vous,
commence
à perdre l'amitié, la con- fiance,etmême
lerespect.Vos
victoires etvos conquêtes ne le réjouissent plus; il est plein d'aigreur etde désespoir.La
séditions'allume peu-à-peu de toutesparts. Ils croientque
vous n'avezaucunepitiédeleursmaux, que
vousn'ai-mez que
votreautoritéetvotregloire. SileRoi,
dit-on,avoit
un cœur
depèrepour
son peuple,ne mettroit-ilpas plutôtsagloire àleurdonnerdu
pain,etàles fairerespireraprèstantdemaux
,
qu'à garder quelques places de la frontière qui causent la guerre? Quelleréponse à cela, Sire? Les émotions populaires qui étoient in-
connues depuis si long-temps deviennent fré- quentes.Paris
même
, siprès devous, n'enest pas exempt. Lesmagistrats sont contraints de tolérer l'insolence desmutins et defaire cou-ler sous
main
quelquemonnoie pour
les apai-20 LlîTTUE DE FL.NELOIV
ser; ainsi
on
paie ceux qu'il fauclroit punir.Vous
êtes réduit à la honteuse et déplorable extrémité,ou
de laisser la sédition impunie,
et de l'accroître par cette impunité ,
ou
defaire massacrer avec inhumanité des peuples
que
vous mettez au désespoir, en leur arra- chant , par vos impôtspour
cette guerre, lepain qu'ils tâchent de gagner à la sueur de leurs visages.
Mais , pendant qu'ils
manquent
de pain,
vous
manquez vous-même
d'argent, et vous ne voulez pas voir l'extrémité où vous êtes ré- duit. Parceque
vous avez toujours été heu- reux, vous ne pouvez vous imaginerque
vouscessiezjamaisdel'être.
Vous
craignez d'ouvrirles yeux; vous craignez qu'on ne vous lesou- vre; vous craignez d'être réduit à rabattre quelquechosedevotregloire.Cette gloire, qui endurcit vôtre
cœur,
vous est plus chèreque
lajustice,
que
votre propre repos,que
lacon- servation devospeuples quipérissent tous lesjours des maladies causées par la famine,enfin
A LOUIS XIV. 21
que
votresalutéternel incompatible aveccette idole de gloire.Voilà, Sire, l'état
où
vous êtes.Vous
vivezcomme
ayantun
bandeau fatal sur les yeux; vous vousflattez sur lessuccèsjournaliers qui ne décident rien, et vous n'envisagez point d'une vue générale le gros des affaires quitombe
insensiblement sansressource.Pendantque
vous prenez , dansun
rudecombat
, lechamp
de bataille et le canon de l'ennemi, pendantque
vous forcez les places, vous ne songez pasque
vouscombattez surun
terrain qui s'enfonce sous vos pieds,etque
vousalleztomber
malgré vos victoires.Tout
lemonde
levoit, etpersonnen'osevouslefaire voir.
Vous
leverrezpeut-êtretroptard.Le
vraicourage consiste àne sepointflatter,et àprendreun
partifermesurlanécessité.Vous
ne prêtez volontiers l'oreille, SiRE,*^u'à ceux quivousflattentdevaines espérances.Lesgensque
vousestimez lesplussolidessontceuxque
vouscraignez etque
vous évitezleplus.Il fau-22 LI-TTHi: DE FKNI-LON
droit allerau-devantdela véritépuisque vous êtes roi, presser les gens de vous la dire sans adoucissement, et encourager ceux qui sont troptimides.
Tout
au contraire,vous ne cher- chez qu'à ne point approfondir; mais Dieu saura bien enfin lever le voile qui vous cou- vre lesyeux
, et vous montrer ceque
vous évitez devoir. Ily a long-tempsqu'iltientson braslevésurvous: maisilestlentàvous frap- per, parce qu'il a pitié d'un prince qui a été toute sa vieobsédé de flatteurs, etparce que,d'ailleurs, vos ennemis sont aussi les siens.
Maisilsaurabien séparer sa causejusted'avec
lavôtrequinel'estpas, etvoushumilier
pour
vousconvertir; carvous neserez chrétienque
dans l'humiliation.Vous
n'aimez point Dieu,
vous ne le craignez
même que
d'une crainte d'esclave;c'estl'enfer etnon
pasDieuque
vous craignez. Hotre religion ne consiste qu'en su- perstitions, enpetitespratiques superficielles.Vous
êtescomme
les juifs dont Dieudit:Pen- dant qu'ils in honorent des lèvres, leurcœur
A LOUIS XIV. a 3 est loin de moi.
Vous
êtes scrupuleux sur des bagatelles, et endurci sur desmaux
terribles.Vous
n'aimezque
votre gloire et votrecom-
modité.Vous
rapportez tout à vouscomme
sivous étiez le Dieu de la terre, et
que
tout le resten'eût étécrééque pour
vousêtresacrifié.C'est, au contraire, vous
que
Dieu n'a mis aumonde que pour
votre peuple.Maishélas!vous necomprenez
point ces vérités.Comment
les goûteriez-vous?vousneconnoissez point Dieu, vous ne l'aimez point, vous ne le priez pointdu cœur,
et vous ne faites rienpour
le con- noître.Vous
avezun
archevêque*corrompu,
scan- daleux, incorrigible, faux, malin, artificieux ,ennemi
de toute vertu, et qui faitgémir tous les gens de bien.Vous
vous enaccommodez
parce qu'il ne songe qu'à vous plaire par ses flatteries. Ilya plusdevingtans qiHbnprosti-
* Harlay de Chanvallon, alorsarchevêque de Paris, mort en 1695.
2 4
LETTUli l)i; FÉJSliLON
tuant son honneur,iljouitdevotre confiance.
Vous
luilivrez les gens de bien,vous lui lais- sez tyranniser l'Église, et nul prélat vertueux n'est traité aussi bienque
lui.Pour
votreconfesseur *, il n'estpas vicieux,
mais il craint la solide vertu, et iln'aime
que
les gens profanes et relâchés : il est jaloux de son autorité
que
vousavez pousséeau-delàde toutes les bornes. Jamais confesseurs des rois n'avoient fait seuls les évéques, et décidé de toutesles affaires de conscience.Vous
êtesseul en France, Sire, à ignorer qu'il ne sait rien,que
son espritestcourt etgrossier, et qu'ilnelaisse pas d'avoir son artifice avec cette gros- sièreté d'esprit. Les Jésuites
même
le mépri-sent, et sont indignés de le voir si facile à l'ambition ridiculedesafamille.
Vous
avezfait d'un religieuxun
ministre d'État; ilnesecon<«noît
poinPen hommes, non
plus qu'en autre chose. Ilestladupe
detous ceuxquileflattent* Le P.LaChaise.
A LOUIS XIV. l5
et lui font de petits présents. Il ne doute ni n'hésitesuraucune questiondifficile.
Un
autretrès droit et très éclairén'oseroit déciderseul.
Pour
lui il ne craintque
d'avoir à délibérer avec des gens qui sachentles règles. Ilva tou- jourshardimentsanscraindre devouségarer;ilpenchera toujours aurelâchement, etàvous entretenir dans l'ignorance.
Du moins
il ne penchera auxpartis conformesauxrèglesque quand
il craindra de vous scandaliser. Ainsi, c'estun
aveugle qui en conduitun
autre, et,
comme
ditJésus-Christ,ils tomberonttousdeux
dans lafosse.Votre archevêque et votre confesseur vous ontjetédans les difficultésdel'affairedela ré- gale, dans les mauvaises affaires de
Rome;
ils vousontlaissé engager parM. de Louvoisdans celle de Saint-Lazare, et vous auroient laissémourir dans cette injustice, si M. de Louvois eûtvécu plus
que
vous.On
avoit espéré, Sire ,que
votre conseil voustireroitdecechemin
siégaré;maisvotreiG i,i:ttrl dk i'ljniîlon
conseiln'a ni force nivigueurpourle bien.
Du moins madame
deM.
et M. le D. de B. * de- voient-ils se servir de votre confiance en euxpour
vous détromper; maisleur foiblesse et leur timidité les déshonorent et scandalisent tout lemonde. La
.Franceestauxabois; qu'at- tendent-ilspour
vous parlerfranchement?que
toutsoitperdu!Craignent-ilsdevousdéplaire?ils ne vous aiment
donc
pas; car il faut être prêt à fâcher ceux qu'on aime plutôtque
deles flatter
ou
de les trahir par son silence.A
quoi sont-ils
bons
, s'ils ne vous montrent pasque
vous devez restituer les pays qui ne sont pas à vous, préférer la vie de vos peuples àune
fausse gloire, réparer lesmaux que
vous avezfaitsàl'Eglise, etsongeradevenirun
vrai chrétien avantque
lamort
vous surprenne?Je sais bien que,
quand on
parle avec cette liberté chrétienne,on
court risque de perdrela faveur des rois. Maisvotre faveur leur est-
*Madamede MaintenonetM.leDucdeBeauvilliers.
A LOUIS XIV. 27
elle plus chère
que
votre salut? Je sais bien aussi qu'ondoitvousplaindre, vousconsoler, voussoulager,vousparler aveczèle, douceuret respect; mais enfin il faut dire la vérité.
Malheur,
malheur
à euxs'ils ne la disentpas;et
malheur
à vous sivous n'êtespas digne de l'entendre! Il est honteux qu'ils aient votre confiance sansfruitdepuistant detemps.C'est àeux àse retirersivous êtestropombrageux
,
etsivous nevoulez
que
desflatteursautour de vous.Vousdemanderezpeut-être,Sire,qu'est-ce qu'ils doivent vousdire; le voici : ils doivent vousreprésenterqu'il fautvoushumilier sous la puissantemain
de Dieu, si vous ne voulez qu'ilvoushumilie; qu'ilfautdemander
lapaix et expier par cette honte toute la gloire dont vousavezfaitvotre idole;qu'il faut rejeterles conseils injustesdespolitiquesflatteurs;qu'en- fin il faut rendre
au
plus tôt à vos ennemispour
sauverl'Etat, desconquêtesque
vous ne pouvezd'ailleursretenirsansinjustice.N'êtes- vous pas tropheureux dansvosmalheurs,que
t8 LETTRE DE FENELON A LOUIS XIV.
Dieu fasse finir les prospérités qui vous ont aveuglé, et qu'il vous contraigne de faire des restitutions essentielles à votre salut ,
que
vous n'auriez jamaispu
vous résoudre à fairedans
un
étatpaisible et triomphant?La
per- sonne qui vous ditcesvérités, Sire, bien loin d'être contraire à vos intérêts, donneroit sa viepour
vousvoir telque Dieu
vousveut, et elle ne cesse de prierpour
vous.,:^^*!g^Versitas
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