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50 ans de recherches sur le code-switching arabe-français au Maghreb : où en est-on aujourd’hui ?

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50 ans de recherches sur le code-swit-ching arabe-français au Maghreb : où en est-on aujourd’hui ?

Foued LAROUSSI Université de Rouen

Introduction

Quelle problématique mieux que celle du code-switching (désor-mais CS), phénomène multidimensionnel par excellence, peut-elle nous renseigner sur l’évolution des pratiques plurilingues au Maghreb durant les 50 dernières années ? Telle est la question qui constitue le fil conducteur de ce texte et sous-tend l’argu-mentaire qui suit.

Depuis les premiers travaux des années 60, la réflexion théorique sur le CS arabe-français dans les trois pays du Maghreb, Algérie, Maroc et Tunisie, n’a cessé d’évoluer. Le CS est passé du statut de phénomène « marginal » et de « mixture d’un goût douteux », selon l’expression de Maurice Riguet (1984 : 333) à un objet pro-pre de la recherche : Abassi (1977) ; Bentahila et Davies (1983) ; Jamoussi (1984)  ; Laroussi (1991)  ; Lahlou (1991)  ; Ziamari (2003) ; Ben Mustapha (2009), etc.

L’étude du CS est passée peu à peu d’une approche concevant les pratiques plurilingues comme des opérations exclusivement linguistiques, reposant sur une « bonne » ou « mauvaise » maî-trise du code linguistique correspondant, à une démarche sou-cieuse de les insérer dans une dynamique discursive où se joue et se rejoue constamment la place du sujet-parlant dans

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l’inter-action verbale. Les pratiques plurilingues relèvent d’un proces-sus complexe, largement dépendant des forces sociales en œuvre. Il en ressort que les questions « qui parle à qui ? », « qui opte pour quel choix linguistique  ?  » et «  qui alterne quelle langue ? » sont constamment transcendées par d’autres telles que « qui est qui ? » et « qui a quel statut social ? »

Le corpus ou les limites de cette recherche

L’analyse des pratiques plurilingues, le CS en particulier, n’est jamais une tâche aisée ; tenter d’entreprendre cette analyse sur une période aussi longue, dans trois pays différents et combinant trois variétés d’arabe différentes, suggère davantage de rigueur. Mais avant d’aller plus loin dans cette réflexion, il convient de préciser les limites de cette recherche.

Le corpus, entendu au sens de l’ensemble des travaux sur les-quels s’appuie ce texte, ne se veut pas représentatif de toute la littérature linguistique relative au CS arabe-français durant les 50 dernières années ; pour des raisons pratiques, il est impossible d’avoir une revue exhaustive de tous les travaux existants ; cer-tains textes, notamment les thèses, mémoires de magister ou de maîtrise, qui n’ont pas été publiés, sont difficilement accessibles. Pour des raisons donc de limite du corpus, ne sont mentionnés ici que des travaux ayant porté sur les situations algérienne, marocaine et tunisienne – qu’ils aient été produits au Maghreb ou à l’étranger. De plus, ces travaux ne concernent que le CS arabe36-français, et ne traitent pas d’autres type de CS possibles tels

que berbère/français, arabe/espagnol, arabe/berbère, etc.

Le terme « CS » dans les travaux de référence

Lorsque l’on observe les travaux ayant porté sur le CS arabe-36. Le terme « arabe » revoie ici aux trois variétés arabes vernaculaires : l’algérien, le marocain et le tunisien.

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français au Maghreb durant les 50 dernières années, on est amené à dégager quatre étapes importantes. Je ne sais pas si cette présentation est pertinente ou pas mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne signifie point vouloir figer les choses ou circonscrire une problématique qui ne se laisse pas facilement cerner. Il s’agit tout simplement d’un repérage des changements linguistiques et de l’évolution des pratiques plurilingues ainsi que la façon dont les chercheurs les ont traitées.

Les premiers travaux sur le CS au Maghreb (1960-1980)

Pendant ces deux décennies (la première surtout), les chercheurs ont eu souvent recours à des termes, voire à des périphrases pour désigner la pratique du CS tels que « Différents registres de l’emploi de l’arabe » (Attia, A., 1966) ; « Utilisation respective de l’arabe et du français… » (Beltaifa, S., 1967) ; « Quelques faits de contact linguistique franco-arabe… » (Garmadi, S., 1966) ; « emploi de l’arabe et du français… » (Riahi, Z., 1970) ; « Le pas-sage d’une langue à l’autre… » (Skik, H., 1976) ; « Interférences de l’arabe sur le français… » (Morsly, D., 1976). Précisons qu’à cette période, les travaux sur le CS étaient encore à leur début, et ce non seulement au Maghreb, mais aussi dans le reste du monde. Pour le Maghreb, c’est A. Abassi (1977) qui était le pre-mier à avoir utilisé le terme dans sa thèse de doctorat portant sur le CS arabe marocain-français.

Le CS comme objet propre de la recherche (1981-2000)

Cette période a vu la problématique du CS passer du statut de phé-nomène « marginal » à un objet propre de la recherche. Ce sont d’abord A. Bentahila et E. Davies (1983) qui se sont intéressés à la syntaxe du CS arabe marocain/français. Pour le contexte tunisien, Souad Jamoussi (1984), adoptant une approche behavioriste, a ana-lysé le CS comme un comportement linguistique du bilingue.

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A la suite de ces études pionnières, on a assisté à la prolifération de travaux envisageant le CS comme une problématique propre de leurs recherches  : Bentahila et Davies (1991, 1995, 1998)  ; Darot (1995) ; Gadacha (1999) Jamoussi (1986, 1988) ; Laroussi (1989, 1991, 1993, 1996), Boucherit (1987) ; Morsly (1995, 1996) ; Fallous (1995) ; Lahlou (1991).

C’est aussi durant cette période qu’on va assister à la diffusion d’autres termes que CS pour rendre compte du passage d’une langue à une autre au sein du même énoncé ou dans la même interaction : « Discours alternatif arabe-français » (Boucherit, 1987), « alternance de codes » (Laroussi, 1989, 1991 ; Morsly, 1995 ; Caubet, 1998) ; « alternance codique » (Darot, 1995 ; Gada-cha, 1999) ; « alternance de langues » (Laroussi, 1993, 1996), etc. Les objectifs de ces chercheurs étaient entre autres de trouver le terme adéquat susceptible de rendre compte du mot anglais « code-switching » tout en évitant l’ambiguïté sémantique que recèle le terme « code » tel qu’il a été conçu par Jakobson et Bern-stein (1960) ou Martinet (1966). En effet, le terme « code » prête à confusion dans la mesure où il peut être compris comme la mise en relations de symboles définis avec des significations par-ticulières plutôt qu’un système linguistique à proprement parler. Pour être plus clair, dans notre démarche, « code » désigne une « étiquette neutre » pour tout système de communication impli-quant le langage. C’est la raison pour laquelle, certains utilisent tout simplement « alternance de langues ».

L’extension de la notion à d’autres domaines (2001-2010)

Les travaux portant sur les aspects syntaxiques ou discursifs du CS se sont poursuivis également dans cette période, mais cette dernière a surtout vu l’élargissement et l’extension du CS à d’au-tres domaines : « une stratégie langagière dans la réalité

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algé-rienne » (Kara Atika, 2004), « L’alternance codique dans la publi-cité radiophonique en Algérie » (Boussehal, 2008), « Étude

socio-linguistique et intonative de l’alternance codique

arabe-marocain français » (Barrillot-Fadil, 2002). En 2001, cette dernière s’est intéressée aux aspects prosodiques du CS arabe marocain/français.

Le CS à l’écrit (2011-2014)

Cette période constitue, incontestablement, une nouvelle étape dans l’étude du CS arabe-français. On le sait, la plupart des tra-vaux, qu’ils soient socio-interactionnels, discursifs ou référen-tiels, ont analysé le CS essentiellement à partir de productions orales tout en le situant dans le contexte d’une communauté plu-rilingue où les répertoires verbaux s’interpénètrent et s’enche-vêtrent. Fondées sur la corrélation entre changements linguistiques et faits sociaux, ces approches ont été d’une grande efficacité pour l’analyse du CS en tant que stratégie de commu-nication, orale par excellence.

Partant de ce constat, des chercheurs ont éprouvé la nécessité d’élargir leurs études aux productions écrites surtout avec les nouvelles perspectives qu’offre Internet aujourd’hui. Dès lors, nombre de questions se sont vite posées : le CS demeure-t-il tou-jours un phénomène exclusivement oral ? Peut-on l’aborder à l’écrit ? Quel est son statut à l’écrit ? En quoi l’étude du CS dans les productions écrites peut-elle aider à revisiter la théorie lin-guistique relative à l’analyse des productions orales ? Les outils théoriques qui ont été utilisés pour l’analyse de l’oral sont-ils aussi pertinents pour l’analyse du CS à l’écrit ? Etc. Les travaux ont porté sur le CS arabe-français dans deux types d’écrit, à savoir les écrits ordinaires et les écrits électroniques. Pour les pre-miers, je signale entre autres le travail de Mourad Bektache (2013)

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sur « Les grandes tendances de l’alternance des langues dans la presse écrite d’Algérie ». Ce type de CS sera traité ultérieurement. Pour le moment, il est question du CS dans les écrits électro-niques. Dans Laroussi (dir.), (2011) : CS, Languages in Contact and

Electronic Writings, outre ma propre contribution, Dora Carpen-ter et Dawn Marley se sont inCarpen-terrogées sur le statut de ce CS. Jusqu’à quel point cette forme de communication électronique peut-elle aider à revisiter les théories qui ont été mises à contri-bution pour l’analyse des productions orales ? Pour nombre de chercheurs, Internet, téléphones mobiles, smartphones etc. ont radicalement changé notre façon de communiquer : outre la rapi-dité dans la transmission des informations, l’abolition des dis-tances et le rapprochement des personnes éloignées géographiquement, ces nouveaux outils technologiques de com-munication participent à la création de communautés virtuelles ou imaginées, lesquelles cherchent à se structurer en revendi-quant des traits identitaires communs à travers la mise en place de réseaux sociaux virtuels. Lorsque des scripteurs plurilingues membres de réseaux sociaux virtuels communiquent entre eux dans plusieurs langues communes comment procèdent-ils  ? C’est entre autres à cette question que voulaient répondre les auteurs cités précédemment. Les contributions ont porté sur le CS à la fois dans les CMO (Communications Médiées par Ordi-nateur) et dans les CMT (Communications médiées par télé-phone mobile). Compte tenu des contraintes inhérentes aux deux types de communication (écran, espace, coût…), les pro-ductions écrites qui en résultent ne présentent pas les mêmes caractéristiques et, par conséquent, n’induisent pas le même trai-tement. Mais c’est un autre débat qui sort du cadre de ce texte. Dawn Marley a étudié l’usage du CS sur les sites web de la dias-pora marocaine ; elle insiste sur l’idée de la communauté

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« ima-ginée » dont le recours à la CMO et la mise en place de réseaux « en-ligne » ont « transformé la façon dont nous concevons notre monde, la communauté et les réseaux sociaux auxquels nous appartenons ». Grâce aux possibilités offertes par Internet, pré-cise-t-elle, abolition des distances physiques, facilitation des contacts entre communautés éloignées géographiquement et transcendance des frontières politiques, les Marocains de la dias-pora s’identifient à une communauté « imaginée » dont les mem-bres recourent au CS qui contribue à sa vitalité et sa cohésion. Étudiant l’usage du CS chez les juifs tunisiens sur le site web « Harissa.com », Dora Carpenter l’analyse comme une forme de résistance à l’assimilation. Ce dernier est conçu comme la trace d’une perte de la langue, car les scripteurs apparaissent comme si, en recourant au CS, ils s’accrochaient à quelque chose qu’ils craignaient de perdre ou qu’ils ont déjà perdu, en l’occurrence leur langue d’origine ; on peut y voir néanmoins la trace langa-gière de la nostalgie ou de l’évocation de la mémoire et, par conséquent, le symbole de la résistance à l’assimilation. Dans ces écrits électroniques, le CS apparaît comme un phénomène natu-rel témoignant de l’évolution de la société maghrébine moderne devenant de plus en plus mondialisée, ce qui montre – est-il besoin de le redire – que les contacts linguistiques n’impliquent pas seulement les langues des interactions, mais aussi les scrip-teurs, les sociétés et les cultures dont elles sont le véhicule privi-légié.

Une présentation par pays est-elle pertinente ?

L’observation des travaux ayant porté sur chacun des trois pays du Maghreb suggère le constat suivant :

L’Algérie : trois remarques saillantes

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lin-guistique

Concernant les motivations du CS arabe/français au Maghreb, les chercheurs se sont posé très tôt les questions suivantes : ce dernier est-il le résultat d’une carence linguistique des bilingues maghré-bins en français ? Dans d’autres termes, le CS est-il une stratégie de communication que le bilingue adopte en faisant appel tantôt à l’arabe tantôt au français afin de maximiser l’efficacité de la com-munication ; autrement dit, « c’est la bouteille à moitié pleine qu’il faut remplir ». Si certains soutiennent que cette stratégie verbale correspond plutôt aux bilingues dits « asymétriques », cet avis n’est pas unanimement partagé, car le CS peut être aussi le signe d’une sur-compétence dans la langue seconde ; autrement dit, c’est « la bouteille trop pleine qui déborde ».

Dalila Morsly (1980) a montré, à propos du CS arabe algérien/français des étudiants algériens, que le rôle de la com-pétence linguistique dans le choix de l’une ou de l’autre langue

est contesté37. Elle affirme (p. 131) que « les interférences sont

toujours là même chez les locuteurs qui manifestent par ailleurs une maîtrise satisfaisante des deux ou trois langues qu’ils par-lent ». Selon elle, « les détracteurs de l’enseignement bilingue en Algérie » pensent que « les interférences ne sont pas toujours et uniquement le signe d’une indigence linguistique  » (p. 203). Dans un travail réalisé sept ans plus tard et concernant le même contexte algérien, Aziza Boucherit (1987) confirme les thèses de D. Morsly, en signalant ceci : « il semble hasardeux d’affirmer que le mélange révèle la mauvaise acquisition des deux langues » (p. 122).

L’importance du contexte discursif dans la distribution des langues

Dalila Morsly a montré que la distribution des langues se fait selon « les registres de communication » et non pas n’importe 37. L’article de Dalila Morsly (1980) concerne les interférences.

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comment ni fortuitement. Selon elle, la langue maternelle (l’arabe algérien) intervient comme un moyen « d’établir, pro-longer ou interrompre la communication », de « vérifier si le cir-cuit fonctionne, d’attirer l’attention de l’interlocuteur  ». Elle conclut que, dans le cadre des interférences arabe algérien/fran-çais, « la langue maternelle » joue les fonctions phatique, cona-tive et poétique alors que la langue seconde (le français) a essentiellement une fonction référentielle. Ces remarques perti-nentes, car toujours d’actualité, ont été maintes fois validées par des recherches ultérieures non seulement en Algérie mais aussi au Maroc et en Tunisie. Le CS constitue une stratégie verbale du bilingue à laquelle il fait appel en fonction de la situation de communication dans laquelle il se trouve et quand le besoin communicationnel s’en fait sentir.

Le CS dans la presse écrite algérienne

Le travail de Mourad Bektache (2013), consacré au CS dans la presse algérienne, a pour objectif de comprendre l’emploi des langues en Algérie. Selon lui, « dans la presse écrite algérienne d’expression française, l’alternance et le mélange de langues apparaissent comme des procédés linguistiques de communica-tion à travers lesquels se traduit le type de rapport que les langues en contact entretiennent.  » (p. 92). Dans le cas de la presse écrite, Bektache montre que le CS est essentiellement dis-cursif : « Le journaliste se trouve également dans une position de rapporteur des propos de ses interlocuteurs (citations, reprises de slogans, etc.). D’un point de vue sociolinguistique, cette position met le locuteur devant des choix significatifs : quelle langue utiliser dans le discours de l’autre (discours rap-porté ou citation) ? » (Ibid.). Selon Bektache, le journaliste émet son discours en français et rapporte le discours de son co-énon-ciateur dans la langue de sa production d’origine. « Le

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journa-liste-scripteur est totalement absent de l’énonciation de son interlocuteur. Les guillemets marquent la rupture entre les deux énonciateurs. L’effacement énonciatif est motivé par la recherche de l’objectivité, de la neutralité et de la précision : c’est l’enjeu de la crédibilité » (p. 95) :

El Watan : un homme vient de voter. Désabusé, il nous lance d’un ton malicieux (discours du journaliste produit en français) : « El meyyet khella tarka wel wartha kesmouha » (« le mort a laissé un héritage et les héritiers se sont partagés [sic] la succession » (discours du traducteur du journaliste produit en français). Liberté: Ils sont en mesure de le prouver en toute circonstance. « Maadnach etben fi karchna » (« il n’y a pas de paille dans notre ventre »), a-t-il ajouté à plusieurs reprises.

La Tribune : (...) par des potaches à l’air soucieux. « Ma t’hallitch

fiya», lance un postulant à un autre (…)

Dans ce dernier exemple, écrit Bektache (p. 96), « le locuteur-scripteur ne traduit pas le discours de son interlocuteur. L’énon-ciataire est supposé connaître les deux langues ». Cette remarque me semble pertinente, car elle confirme le point de vue de John Gumperz selon lequel le CS fonctionne par inférence, comme une marque de connivence. Autrement dit, il y a des présuppo-sés, connus tacitement et partagés par les bilingues impliqués dans l’interaction verbale, qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter ; principes que l’on peut résumer en utilisant le raccourci suivant : « Je sais que tu es bilingue, je peux donc switcher ».

– El-Watan : J’ai voté blanc parce qu’aucun de ces candidats ne me convainc. Aucun d’eux n’a l’honnêteté de nous dire en face, à la télé : ma andi ma ndirlkoum (je ne peux rien pour vous). Tous te promettent le Paradis, après, ils t’abandonnent dans ton enfer !», tranche-t-il.

Selon Bektache (p. 102) : « (…) l’alternance des langues, telle qu’elle se manifeste dans les journaux francophones algériens, obéit à des stratégies discursives mises en place par les

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journa-listes afin de créer un univers communicationnel spécifiquement algérien. Le choix de telle ou telle langue dans l’alternance, la reformulation dans une langue autre que le français et l’usage des expressions idiomatiques obéissent à des mécanismes dis-cursifs spécifiques aux journalistes algériens : il s’agit pour eux de rédiger dans un français à la fois normé et proprement local. ». Il fait le constat selon lequel le CS traduit la configuration réelle du fonctionnement des langues en Algérie. Aussi permet-il d’analyser l’évolution des pratiques plurpermet-ilingues dans ce pays.

Le CS dans la publicité radiophonique

Dans son travail de magister, Sorror Boussehal (2008) montre que les messages publicitaires sont mixtes (arabe algérien et français) à 65%. Elle conclut que le CS est une pratique récur-rente dans la publicité radiophonique.

[ana εlabali εandek] la carte « Nedjma » !

[lyum] la « carte Nedjma » [wélat] la « Nedjma plus » [u fiha bezef] les avantages, [weš ngulek].

[u taqdri tgulilna εlah].

[εandha salahiya ġayr muhadada, ġayr muhadada] vous com-prenez et un tarif unique vers tous les réseaux et avec « Mobilis carte » je bénéficie de tarifs allons [sic] jusqu’à 4 dinars l’ap-pel… »

Elle précise enfin que les principales caractéristiques du CS arabe algérien/français dans la publicité radiophonique sont énonciatives, argumentatives et narratives.

Le Maroc : primauté des approches syntaxiques

A. Abbassi (1977) était le premier à avoir utilisé le terme de CS dans un travail consacré à la situation linguistique marocaine. Mais, ce sont surtout les travaux de A. Bentahila et E. Davies (1983, 1991,1995, 1998), consacrés à la syntaxe du CS arabe cain-français, qui ont donné le tempo aux recherches

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maro-caines, à savoir privilégier les études syntaxiques. Pour ces rai-sons, les travaux postérieurs les plus importants se sont inscrits dans leur sillage : sont déjà signalés les travaux de Lahlou (1991), de Fallous (1995) ou de Ziamari (2003, 2004, 2006 et 2008). Si l’on veut affiner davantage la présentation de ces travaux qui ont été pour la plupart publiés en anglais, on est amené à déga-ger deux étapes :

Le modèle linéaire ou variationniste

Dans cette étape, les travaux de Bentahila et Davies, notamment, se sont inscrits dans le sillage théorique des recherches de S. Poplack (1980) et de S. Poplack et D. Sankoff (1981), l’objectif étant la recherche d’une grammaire formelle du CS  :

“Code-Switches will tend to occur at points in discourse where juxtaposition of L1 and L2 elements does not violate a syntactic rule of either lan-guage”. (Poplack, 1980 : 585). Ce modèle repose sur l’équivalence linguistique entre les deux langues concernées par le CS. Dans un premier temps, les chercheurs se sont intéressés aux contraintes syntaxiques régissant le CS arabe marocain/français, et, dans un second temps, ils ont montré, à partir de l’analyse de productions langagières attestées, que la contrainte de l’équiva-lence, présentée par Poplack et Sankoff comme régissant le CS de manière générale, n’était pas valide pour le CS arabe maro-cain-français. Cette thèse a été confirmée par Lahlou (1991) qui conclut à la hiérarchie de l’arabe marocain sur le français. « C’est la grammaire de l’arabe marocain, écrit-il, qui contrôle les élé-ments analysés » (p. 110).

L’application du Matrix Language Frame (MLF)

Ce sont principalement les travaux de Karima Ziamari (2003, 2004, 2006 et 2008) qui ont appliqué le modèle du MLF à l’étude

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du CS arabe marocain-français. Dans son ouvrage38, K. Ziamari

(2008) présente son travail comme « une esquisse d’une analyse du CS » ; c’est une recherche qui « se veut à la fois un travail d’application et d’analyse et aussi une réflexion sur le modèle linguistique » (p. 14). Elle prend appui sur le MLF de C. Myers-Scotton, depuis sa première version, en 1993, jusqu’aux travaux de 2002. Faute de place, je ne peux présenter, ici, ce modèle en détail mais je m’en tiens à quelques traits principaux.

Outre son cadre grammatical, le MLF a des orientations psycho et neurolinguistiques, en ce sens que « les opérations faites par le cerveau pendant la production langagière offrent d’impor-tantes pistes d’analyse qu’explore le MLF. Parmi ces opérations cérébrales demeure cette distinction entre les deux langues. Même si ces dernières sont simultanément activées, une d’entre elles est dominante » (p. 31). A partir de là, on reconnaît la langue dominante dans sa fonction de langue « matrice », « la conception

de la structure phrastique devient une étape évidente » (p. 31). Il s’en-suit que, pour construire un cadre grammatical engageant les deux codes, deux types de morphèmes sont requis : les mor-phèmes du contenu (les items lexicaux) et les mormor-phèmes du système (les déterminants, adjectifs, préposition etc.). « Dans le traitement des langues, le cerveau ne distribue pas le même rôle à ces morphèmes » (p. 31), les morphèmes du système étant asso-ciés à la langue matrice.

Dans une conversation entre bilingues, les deux langues impli-quées dans la conversation n’ont pas la même fonction dans l’énoncé et se soumettent à une concurrence dynamique qui crée une hiérarchie entre elles : une langue est dite dominante, c’est la « langue matrice » et une langue est dite dominée, c’est la « langue enchâssée ». La langue matrice est la fusion de trois fac-38 .La publication de sa thèse soutenue en 2003, préfacé par C. Myers Scotton elle-même.

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teurs : linguistiques, psycholinguistiques et sociolinguistiques. C’est la langue qui fournit le cadre morphosyntaxique au

« syn-tagme complémenteur »39. Par exemple, dans un CS

intraphras-tique, la langue matrice est identifiable à partir du nombre de morphèmes dans un syntagme complémenteur. (Je me dépêche

pour être à l’heure> S Compl = être à l’heure).

C’est donc la langue qui donne le plus de morphèmes, et elle est reconnue sur ce critère-là. Elle résulte de la fréquence des mor-phèmes dans un énoncé. C Myers-Scotton propose donc le comptage des fréquences comme méthodologie permettant l’identification de la langue matrice. Cependant elle incite à ne pas faire ce comptage au niveau de la phrase mais au profit d’un fragment de discours, c’est-à-dire au niveau de l’énoncé. En 1997 (p. 246), elle reconnaît que le comptage est peu judicieux et induit en erreur.

Malgré les tentatives de révision et de réajustement du MFL (celui-ci ne s’applique qu’au CS intraphrastique), la difficulté majeure demeure celle de l’identification de la langue matrice dans un énoncé linguistiquement hétérogène. Certains segments du CS ont été analysés comme des ilots enchâssés. Dans l’étude de Ziamari, la langue matrice est l’arabe marocain (c’est-à-dire la source du cadre morphosyntaxique de l’énoncé bilingue) et la langue enchâssée, le français.

Les recherches de Myers-Scotton ont également inspiré nombre de travaux destinés à chercher les éléments constitutifs de la phrase susceptibles de déterminer la langue de base. Georges Lüdi (1988), par exemple, a déterminé la langue de base à partir du syntagme verbal de la phrase accordant ainsi une primauté à la structure verbale de la phrase. On sait que la validité syn-39. Proposition incluant un complémenteur qui fait référence à la théorie X-barre de la consti-tuance postulant que tout syntagme est structuré selon un schéma constant (schéma X-barre).

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taxique d’une phrase ne dépend pas de la nature catégorielle de ses constituants : si, par exemple, dans les langues à opposition verbo-nominale, il est fréquent que les moyens d’exprimer le temps, l’aspect ou les modalités soient liés au verbe, cela ne signi-fie pas que l’expression de ces notions soit propre au verbe. Dès 1966, Emile Benveniste donnait l’exemple du tübatulabal, une langue appartenant au groupe « uto-aztec » dans laquelle l’ex-pression la plus claire du passé appartient au nom et non au verbe. Quoi qu’il en soit, la grammaticalisation de ces notions en phrase nominale ou verbale, plus qu’une incapacité de nature, résulte de la catégorisation du réel propre à chaque langue.

L’approche suprasegmentale du CS arabe marocain/français

La dernière évolution des travaux portant sur le CS arabe maro-cain/français concernent ses aspects prosodiques. Naïma Barillot-Fadil (2001 ; 2002) a adopté une approche suprasegmen-tale du CS. Dans sa thèse de doctorat (2002), consacrée à l’étude intonative du CS des étudiants marocains résidant en France, elle fait l’hypothèse selon laquelle le bilingue réalise trois courbes intonatives : la première consiste en une courbe « qui n’affiche, malgré les changements de langue, qu’une seule

into-nation, celle de la langue matrice » ; la 2eest composée « de deux

intonations », alors que la 3eest un « mélange » des intonations

des deux langues qu’elle appelle « l’intonation recomposée » (p. 147). Elle constate l’existence « d’un patron intonatif propre au bilingue arabe marocain/français » (p. 209). Pour ce qui du CS, elle remarque que « l’intonation qui lui est propre est celle qui ne correspond ni entièrement à la version de l’arabe maro-cain ni entièrement à celle du français » (p. 204).

La Tunisie : la multidimensionnalité du CS

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du CS arabe tunisien/français comme un objet propre de la recherche : Souad Jamoussi (1984) ; Foued Laroussi (1991) et Heikel Benmustapha (2007). Pour Jamoussi, ce sont surtout des motivations socio-psychologiques qui expliquent le recours des bilingues au CS arabe tunisien/français. Elle propose une typo-logie de la nature syntaxique des segments alternatifs et insiste sur les points de jonction de la phrase où le switch est possible tout en mettant l’accent sur les facteurs qui le déclenchent. Elle en relève quatre types de motivations : culturel, individuel, contextuel et linguistique. Pour Laroussi (1991) et Benmusta-pha (2007), ce sont plutôt des motivations discursives et socio-linguistiques qui expliquent le CS arabe tunisien/français.

Les limites des approches syntaxiques

Le CS a été très souvent défini comme une stratégie discursive juxtaposant à l’intérieur d’un même échange verbal des

seg-ments de discours appartenant à deux langues40différentes. Les

chercheurs ont distingué entre le CS intra-phrastique et inter-phrastique. Néanmoins cette distinction reste difficile à faire, car tributaire de l’ambiguïté qui plane toujours sur la notion de phrase  : qu’est-ce qu’une phrase  ? Quel modèle linguistique convoquer pour la déterminer : grammaire traditionnelle ? Lin-guistique fonctionnelle ? Grammaire générative ? Autres ? Quel type de phrase faut-il retenir : phrase simple ? Phrase complexe ? Etc. Autant de questions complexes auxquelles, faute de place, on ne peut répondre ici. Pour cela, nombre de chercheurs rai-sonnent non par rapport à la phrase mais par rapport à l’énoncé, même si les deux entités ne sont pas de même nature ; l’énoncé étant le résultat d’un acte individuel d’utilisation de la langue dans un contexte déterminé qui ne correspond donc pas obliga-toirement à la phrase.

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Dans leur ouvrage, Grammaire de l’intonation (1998), Mary-Annick Morel et Laurent Danon-Boileau envisagent la structure de l’oral « autrement comme la dislocation plus ou moins pro-noncée d’un schéma de type sujet + verbe + objet sans pour autant proposer de s’en tenir à la configuration classique thème-rhème ». Ils proposent le « paragraphe oral » comme « l’unité d’analyse de la parole spontanée » (p. 21), chaque paragraphe se composant d’un ou plusieurs constituants tels que le préambule ou le rhème. Seuls les indices suprasegmentaux comme la hau-teur de la mélodie, l’intensité, la durée ou la pause silencieuse permettent le découpage en paragraphes. Les auteurs présentent ce qu’ils appellent «  le paragraphe oral type  » comme suit  :

Préambule + rhème + (post-rhème). : « mais c’est bon elle est décapotable la bagnole ». Il est regrettable qu’aucune étude, à mon sens, n’ait tenté d’appliquer ce modèle à l’analyse du CS. Par ailleurs, l’une des questions auxquelles j’ai voulu répondre (Laroussi, 1996) était de savoir si le CS arabe tunisien/français était régi par des contraintes syntaxiques ou s’il était déterminé par des facteurs sociolinguistiques, voire essentiellement discur-sifs. J’ai montré, d’une part, que le CS se produit dans plusieurs endroits de la phrase – définie comme SV+SN – et d’autre part, que la contrainte de l’équivalence, généralisée par Sankoff et Poplack (1981), n’est pas pour le CS arabe tunisien-français. Aussi faut-il savoir que l’hypothèse principale des travaux syn-taxiques repose sur l’idée selon laquelle le CS résulte de la com-binaison de deux grammaires unilingues dans laquelle les caractéristiques des deux langues employées dans le même énoncé sont préservées, ce qui implique que le CS est le résultat d’un bilinguisme accompli. Cependant, les approches sociolin-guistiques ont montré la non validité de ces conclusions aussi. J’ai signalé, précédemment, à propos du MLF, que le modèle

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achoppe sur certains points tels que la difficulté de décider de la langue matrice (ou de base) lors d’un énoncé mixte. Si l’on retient l’idée selon laquelle le CS se produit en combinant deux gram-maires unilingues dans lesquelles demeurent intactes les carac-téristiques des deux langues impliquées dans l’interaction, on devrait, théoriquement, pouvoir déterminer, chaque fois qu’on a affaire à des phrases mixtes, la « langue de base » dans laquelle le bilingue tient son discours. Or cela est très difficile, voire impossible même si l’on se fonde sur des critères tels que le SV ou le SN. On peut, par exemple, suivant Georges Lüdi, postuler que la langue de base est déterminée par le SV. Mais alors com-ment classer les nombreuses phrases contenant des SV mixtes ? Sans doute comme des phrases mixtes. Reste à savoir que, dans le cadre du CS, la mixité est en principe une donnée de base.

Les motivations discursives

Dans le cas du CS, les bilingues se comprennent entre eux, et, par conséquent, peuvent s’entendre sur ce qui se passe lors de l’interaction, ce qui présuppose l’existence, selon John Gumperz (1989 : 73), de « principes » fonctionnant sous forme de « pré-supposés tacites acceptés comme allant de soi que recouvre le mieux l’analyse indirecte de la conversation ».

« Le fait qu’il soit possible d’isoler dans la conversation des fonc-tions (...), écrit John Gumperz (p. 82), constitue une première étape commode dans l’analyse du code-switching ». C’est cette démarche qui a inspiré entre autres mes travaux (Laroussi (1991 ; 1993 ; 1996) et celui de Benmustapha (2007) sur le CS arabe tuni-sien/français. Encore faut-il préciser que la typologie des fonc-tions conversationnelles, empruntée à Gumperz, n’est pas exhaustive ; elle rend compte cependant de certains fragments de conversation où le CS constitue la « norme ». Dans le cadre

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de cette analyse, le CS peut se produire sous forme de citation, de réitération d’un message, de reprise ou de reformulation du propos de l’interlocuteur. Parfois, il remplit une fonction stric-tement phatique.

Le CS, une stratégie d’adaptation

Certains travaux sur le CS arabe tunisien-français se sont inspi-rés de la théorie de « l’accommodation »/« adaptation », propo-sée par Giles et Smith (1979) ; le CS y étant conçu comme un « compromis » entre deux manières différentes de s’exprimer. Il est interprété soit comme une stratégie permettant au bilingue de s’approcher de son interlocuteur, appelée « convergence », soit comme une stratégie lui permettant de s’en éloigner, appelée « divergence ». Généralement, l’adhésion du bilingue aux pro-pos de son interlocuteur se traduit par un choix linguistique convergent alors que la non-adhésion implique un choix linguis-tique divergent. Le CS est ici considéré comme une stratégie de conciliation des contraires et d’adaptation aux exigences d’une société plurilingue. Si la théorie de la convergence vs divergence semble donner une explication plausible à de nombreux aspects du CS, elle ne repose néanmoins que sur des suppositions quant aux motivations des bilingues qui demeurent difficilement sus-ceptibles de vérification empirique.

Le CS, un phénomène multidimensionnel

La plupart des travaux ayant porté sur le CS arabe tunisien/français ont souligné son caractère multidimensionnel. Son étude ne peut faire l’économie d’une approche le plaçant dans un contexte double, celui de l’économie de parole dans une communauté plurilingue et celui des individus membres de cette même communauté. Il est ainsi envisagé à la fois comme une stratégie de nivellement et de maintien des frontières

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lin-guistiques. Il en résulte que la distinction entre les différents types de CS, d’une part, et entre celui-ci et les autres formes résultant des contacts linguistiques, d’autre part, ne peut être envisagée que grâce aux différentes fonctions qu’ont ces phéno-mènes dans l’interaction sociale. Autrement dit, le caractère mul-tidimensionnel du CS nécessite un modèle unifiant les approches aux niveaux macro et micro-sociolinguistiques.

La prise en compte du discours épilinguistique

Partant du principe selon lequel, pour décrire une langue, il est nécessaire non seulement d’analyser les pratiques langa-gières effectives mais aussi les discours épilinguistiques des bilingues (leurs jugements de valeur sur leurs langues), l’étude a montré que ces derniers sont idéologiquement inves-tis. Inscrits dans un contexte linguistique conflictuel, ces dis-cours épilinguistiques semblent à la fois « vrais » et « faux », car ils ne traduisent que des fragments des pratiques langa-gières collectives. La prise de position des bilingues tunisiens, par rapport au CS, diffère totalement de leurs pratiques lan-gagières effectives. Bien qu’ils affirment que le CS réponde à un besoin d’expressivité qu’ils ressentent quotidiennement, car tel mot ou telle expression sont plus accessibles dans une langue mais pas dans l’autre, ils le stigmatisent idéologique-ment, puisque, pour eux, il symbolise l’abâtardissement de la langue : c’est le « parler chakchouka » (ratatouille), disent cer-tains, «  qui n’est pas digne d’un peuple disposant d’une langue prestigieuse » – allusion faite ici à la langue arabe lit-téraire. Le CS apparaît ainsi comme condamné au nom de l’au-thenticité et de l’intégrité de la nation linguistique : la langue étant, à leurs yeux, une entité inaltérable, un parler «  sans mélange » est donc un parler « pur ». Non sans rapports avec

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cela, d’autres le dévalorisent au nom de la souveraineté lin-guistique de la Nation arabe : symbolisant les séquelles du néocolonialisme linguistique, le CS est la conséquence d’une domination culturelle ; « c’est normal que le peuple dominé emprunte beaucoup de choses au peuple dominant », avance un informateur tunisien. Néanmoins, ces discours contrastent avec d’autres concevant le CS plutôt comme une stratégie ver-bale du bilingue résultant des contacts linguistiques (bilin-guisme, interlangue, emprunt…). Ce constat est d’autant plus vrai que l’attitude vis-à-vis du CS n’a cessé d’évoluer surtout depuis l’avènement d’internet et des médias électroniques. L’arrivée des chaînes de radio et de télévision privées dans l’espace public tunisien a radicalement changé la donne, puisque, sur ces chaînes, les Tunisiens ont systématiquement recours au CS sans gêne ni auto-reprise ou reprise de l’anima-teur sous une forme traduite en arabe, comme on le faisait habituellement sur les chaînes publiques ou étatiques.

Conclusion

Le CS semble un bon indicateur de l’évolution des pratiques plurilingues dans les trois pays du Maghreb. Il est passé du statut de pratique langagière déviante par rapport à une norme standard à celui d’une véritable stratégie verbale du bilingue à laquelle les chercheurs ont fini par s’intéresser en tant qu’objet propre de la recherche. Cela n’aurait pas été concevable sans une évolution préalable de la recherche lin-guistique au Maghreb, tout particulièrement sociolinlin-guistique, laquelle a bousculé les stéréotypes linguistiques et fini par asseoir une conception de la langue comme un usage large-ment dépendant des faits sociaux et non une norme inaltéra-ble. Cela a, entre autres, aidé les chercheurs à envisager le CS

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comme un phénomène multidimensionnel en cherchant à expliquer ses motivations plus au niveau discursif que syn-taxique ; c’est un produit de l’interaction elle-même servant à marquer l’accord, le désaccord, le doute, l’incompréhension, l’interruption, la réponse, le commentaire métalinguistique. Aussi les travaux ont-ils montré que la structure des échanges, les intentions des locuteurs et la distribution des rôles et du pouvoir à l’intérieur de l’interaction jouent un rôle détermi-nant dans le choix de la langue.

Enfin, malgré l’importance de la typologie des contraintes syn-taxiques élaborée à propos du CS français-arabe au Maghreb, l’idée capitale reste, selon moi, celle du principe de conni-vence (Gumperz ; 1989) : les bilingues qui recourent au CS se comprennent entre eux et, partant, peuvent s’entendre sur ce qui se passe lors de l’interaction, ce qui présuppose l’existence d’un certain nombre de présupposés partagés tacitement par les interlocuteurs. Deux types de changement linguistique ont été par ailleurs distingués, les uns sont liés à la situation de l’interaction, les autres aux règles implicites d’une société diglossique telle la société maghrébine. Celles-ci, se manifes-tant au niveau macro-sociolinguistique, ont un impact sur le discours individuel, autrement dit, au niveau micro-sociolin-guistique.

Toute approche du CS au Maghreb, qui se veut pertinente, ne peut faire l’économie de l’unification de ces deux niveaux.

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