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Le patrimoine musical de la République de Maurice : L’Archipel des Chagos (1900-1950)

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Dehoutee Vina Ballgobin

To cite this version:

Dehoutee Vina Ballgobin. Le patrimoine musical de la République de Maurice : L’Archipel des Chagos (1900-1950). Revue Historique de l’océan Indien, Association historique internationale de l’océan Indien, 2014, L’esclavage à Bourbon – Nouvelles approches (2013), pp.600-615. �hal-03249217�

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Le patrimoine musical de la République de Maurice : L’Archipel des Chagos (1900-1950)

Dehoutee Vina Ballgobin French Studies Department, Faculty Member Université de Maurice L’Archipel des Chagos – comprenant plusieurs îles et îlots, notamment les îles Salomon, Peros Banhos et Diégo Garcia1433 – est

découvert par les Portugais au 16e siècle mais ne suscite point leur intérêt1434.

C’est au 18e siècle que les Britanniques, en rivalité avec les Français sur le

contrôle maritime de l’océan Indien, s’y intéressent. Sous l’administration française, des concessions y sont accordées en vue d’une exploitation économique. En 1784, Le Normand affrète deux navires avec 79 esclaves mozambicains et malgaches, et quelques libres de couleur, travailleurs spécialisés pour Diego Garcia. L’économie, fondée exclusivement sur le travail des esclaves, y est florissante et entraîne le peuplement permanent de l’île1435. En 1794, Lapotaire possède 12 moulins et plus de 100 esclaves à

Diego Garcia et, en 1808, Dauget et les frères Cayeux ont environ six moulins et 50 esclaves. Deux autres hommes ouvrent un moulin et emploient une vingtaine d’esclaves1436.

En 1810, suite à une bataille navale, les Français cèdent l’Isle de France aux Britanniques. Le Traité de Paris est signé en 1814 et, pour renforcer leur hégémonie, les Britanniques prennent alors possession de plusieurs îles et îlots, entre autres les îles Chagos et Diégo Garcia, nommées

British Territory1437. Dès 1813, le gouverneur Farquhar autorise

l’implantation de nouvelles plantations avec une centaine d’esclaves dans plusieurs îles : Peros Banhos, Trois Frères, Île d’Aigles et îles Salomon. Les esclaves proviennent essentiellement de l’Afrique, des centres de traite       

1433 D. Ballgobin, « Carnet de voyage de Dussercle et blogues contemporains en classe de français », 3e Congrès régional Asie-Pacifique de la CAP-FIPF, le Français en Asie-Pacifique, La passion et la raison. Chennai-Inde, 13-16 février 2013 ; Le nom originel est « Chagas » – « les blessures du Christ » selon A. Toussaint, History of the Indian Ocean. London: Routledge and Kegan Paul, 1966, 292 p, p.110.

1434 D. Vine, « From the Birth of the Ilois to the “Footprint of Freedom”: A History of Chagos and the Chagossians », Eviction from the Chagos Islands: Displacement and Struggle for Identity Against Two World Powers, Sandra J.T.M. Evers and Marry Kooy, eds., 2011. Netherlands: Brill Publishers, 294 p, p. 13.

1435 D. Vine, « The Settlement of a Mauritian Archipelago”, http://www.iloistrust.org/8695.html Consulté le 20 août 2013; D. Vine, In Sandra J.T.M. Evers and Marry Kooy, eds., Ibid., p. 15. 1436 Forsberg, S.J., 2005, Geography is Destiny, Thesis for Master of Arts in History, http://www.zianet.com/tedmorris/dg/realhistory-2.html. Consulté le 20 août 2013; D. Vine, Ibid., p. 15-16.

1437 P. J. Barnwell & A. Toussaint, A short history of Mauritius, London, Longmans, Green & Co., 1949, p. 41-42, p.123-125; Voir aussi J. Houbert, « Mauritius: Independence and Dependence », The Journal of Modern African Studies, Vol. 19, n° 1, 1981, p. 75-105.

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d’esclaves de Madagascar et de l’Afrique de l’Est, notamment du Mozambique1438 et des Seychelles1439. En 1826, il y a 269 hommes et 108

femmes esclaves aux Chagos pour un total de 408 habitants1440. Quelques

résidents sont Lindor Courtois originaire de l’Inde ; Ernestine Marie Joseph Jacques de Diégo Garcia, Anastasie Légère de Trois Frères et Joseph et Pauline Pona de Peros Banhos ; Prosper Jean et Prudence Levillain de Madagascar ; Marie Jeannie et Michel Levillain du Mozambique; et Théophile Le Léger et Pierre Louis de Maurice1441.

En 1835, l’esclavage est aboli et les habitants des Chagos, majoritairement analphabètes1442, deviennent des travailleurs sur contrat1443

sans grande amélioration de leurs conditions de travail. Le recensement de 1861 indique la présence d’Indiens aux Chagos : une domestique de Madras travaille chez une Française tandis que quatre autres sont capturés contre leur gré de Cochin et emmenés de force pour travailler à Six îles1444. En 1886, très

peu d’entre eux sont nés sur place et sont prénommés « enfants des îles ». La majorité de la main d’œuvre provient de Maurice, engagée sur contrat pour trois ans renouvelable, composée d’anciens esclaves mauriciens avec quelques Africains et des travailleurs engagés indiens1445.

Tableau 1: « Population approximative » de l’Archipel des Chagos, 1880

Hommes Femmes Enfants Total

Diégo Garcia 227 86 87 400 Peros Banhos 80 25 45 150 Salomon 56 20 24 100 Iles d’Aigle 40 10 10 60 Six Iles 26 12 12 50 CHAGOS TOTAL, 1880: 7601446

Dans la deuxième moitié du 20e siècle – en 1958, 1960 et 1964 –, un

groupe d’experts britanniques et américains sillonnent l’océan Indien en vue d’asseoir leurs stratégies géopolitique et militaire. Dans le sillage de       

1438 A. Toussaint, L'océan Indien au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1974, 338 p, p. 64.

1439 D. Vine, Ibid., p. 17. 1440 Ibid., p. 18.

1441 Une lettre de1828 des Archives de Maurice donne les noms et les origines de quelques esclaves des Chagos, communs en 1820 et 1830 ; MA: IA 32 ; IG 59 ; IG 112/5052, 5117, 5353, 5355, 5448.

1442 J. Houbert, « The Indian Ocean Creole Islands: Geo-Politics and Decolonisation », The Journal of Modern African Studies, Vol. 30, n° 3, 1992, p. 465-484.

1443 C. Anderson, Apprentices in the islands dependent on Mauritius. London: Public Records Office. CO 167/204, 1839; L. Jeffery, « How a Plantation became Paradise: Changing Representations of the Homeland among Displaced Chagos Islanders », The Journal of the Royal Anthropological Institute, 2007, Vol. 13, n° 4, p. 951-968; D. Vine, Ibid., p. 20.

1444 D. Vine, Ibid., p. 22.

1445 G. C. Bourne, « On the Island of Diego Garcia of the Chagos Group », Proceedings of the Royal Geographical Society and Monthly Record of Geography, New Monthly Series, Vol. 8, n° 6, 1886, p. 385-393.

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l’indépendance de Maurice et des Seychelles, l’Archipel des Chagos et trois îles des Seychelles – Aldabra, Farquhar et Desroches – sont regroupés pour former une nouvelle colonie – le BIOT, British Indian Ocean Territory1447.

Dans les années 1960 et 1970, les Chagossiens sont déportés à Maurice (1500) et aux Seychelles (500)1448. Par conséquent, les « enfants des îles »

découvrent un espace de vie nouveau. Aujourd’hui, l’Archipel des Chagos fait l’objet de débats diplomatiques entre la République de Maurice et la Grande Bretagne à cause d’un litige sur la souveraineté des îles et de leur accessibilité au peuple chagossien.

Patrimoine musical de l’Archipel des Chagos du début du 20e siècle

Plusieurs recherches ont été effectuées sur le patrimoine musical des Créoles de Maurice et de Rodrigues. Toutefois, le patrimoine musical de l’Archipel des Chagos est encore méconnu. Dans le contexte contemporain, il est nécessaire de préserver la langue-culture d’origine, spécifique aux habitants des Chagos et à leurs descendants. Les recherches, fondées sur la tradition orale, sont récentes, et les informations sur le patrimoine musical de l’Archipel des Chagos du début du 20e siècle sont limitées1449. Par

conséquent, il serait intéressant de se pencher sur des traces du champ mémoriel qui secondent ou remplacent le travail de la mémoire1450,

notamment les carnets de voyage de Roger Dussercle, missionnaire de la Compagnie du Saint-Esprit, curé à l’île Maurice, aussi connu pour ses talents musicaux1451. Parmi ses fonctions, il entreprend un voyage annuel dans

l’Archipel de Chagos pour y assurer le ministère apostolique. Pendant ses déplacements, il écrit sur divers aspects culturels de l’Archipel des Chagos et certains de ses œuvres comportent des observations, des relevés, des croquis et des dessins sur le domaine musical chagossien du début du 20e siècle1452.

1. Instruments de musique

       1447 J. Houbert, op. cit.

1448 L. Jeffery, op. cit. ; Anthony Greenwood, Secretary of State for the Colonies, Statement in the House of Commons on 10 November I965 ; Hansard, Vol. 81 I, Col. 38.

1449 L. Jeffery, op. cit. ;D. V. Ballgobin, Collection privée, 2005_BV_PRI_OH_ALL_MRU ; Collection privée des Chagossiens.

1450 L. Aubert et L. Charles-Dominique, « Introduction », Cahiers d’ethnomusicologie, n° 22, 2009, p. 10-14.

1451 Dussercle est né à Grandville, en Normandie en 1902. Il est ordonné prêtre en 1926. Il se rend en 1927 à l'île Maurice, lieu de son affectation et il y passe 22 ans. Son talent musical est bien apprécié, entre autres, sa maîtrise du plain-chant, un Requiem exécuté en 1932 pour un service pour le Président français assassiné, Paul Doumer et, en 1939, un Requiem pour la mort de Pie XI ; http://www.spiritains.org/qui/figures/carte/dussercle.htm [Consulté le 30 octobre 2013].

1452 R. Dussercle, Dans les « Ziles là-haut ». Ile Maurice: The General Printing and Stationery Cy. Limited, 1937, 176 p.

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Le tambour

Plusieurs appellations existent pour nommer cet instrument : tambour, marvanne1453, ravane ou marvane1454 et parfois aussi

maravanne1455. La ravanne a une forme similaire à celle du tambour de

basque mais le diamètre est d’environ 60 centimètres. Des œillères sont percées sur le pourtour de l’instrument, formé d’un cercle de bois léger de quatre à cinq centimètres et orné de disques de cuivre ou de fer-blanc. Une peau de bourriquet ou de cabri1456 est employée pour recouvrir le tambour.

Le tambour est utilisé pour accompagner les ségas. Les batteurs de tambour sont toujours nombreux pendant le séga car ils se relèvent les uns les autres afin de tendre la peau de leur instrument selon une technique définie. L’instrument est toujours chauffé au moyen d’un grand brasier de feuilles de cocotier, allumé juste à proximité. « On tourne légèrement le tambour au-dessus de la flamme ; puis sur la peau qui s’est tendue au contact de la chaleur, on passe la main droite comme si on voulait l’essuyer, tout en frappant de temps en temps du bout des doigts pour voir si la résonnance est à point »1457. Pendant la préparation des tambours, l’atmosphère est toujours

joviale : les gestes et rires des batteurs indiquent que les instruments sont bien tendus et que le son est au diapason « quinze » selon l’expression créole. Lorsqu’il n’y a pas assez de tambours, les batteurs emploient des « vieux bidons d’essence, ou des bassines en fer blanc » afin d’amplifier les sons. Les spectateurs accompagnent généralement les musiciens en frappant dans leurs mains, notamment aux temps forts de la mélodie. Le rythme est vif, progresse avec une énergie de plus en plus intense, et s’accélère jusqu'au moment d’atteindre un rythme « presque endiablé »1458.

Dussercle décrit avec précision la posture d’un batteur de tambour chagossien. « Le batteur se tient debout, le pied gauche posé sur une roche de hauteur moyenne ; le tambour est coincé dans l’angle compris entre son corps penché et son genou surhaussé, la peau du tambour vers la droite, le creux vers la gauche. Le tambour ainsi placé dans l’angle susmentionné est tenu par le poignet de la main gauche (le bras étant allongé pour « embrasser » l’instrument) qui pèse sur le cercle en bois, dans sa partie qui se trouve en haut, laissant ainsi le libre jeu de la main (gauche) qui frappera du bout des doigts sur la peau. Le bras droit est entièrement libre, de même que la main, naturellement. C’est la paume de la main droite qui frappera les temps forts, au centre de la peau tendue, tandis que le bout des doigts de la main droite comme de la main gauche, marqueront les temps faibles. Mais il arrivera que, plus le rythme prendra de vitesse, le deuxième temps, normalement faible,       

1453 C. Baissac, Etude sur le Patois créole mauricien. Nancy : Imprimerie Berger-Levrault et Cie, LVII, 1880, 233 p., p. XXII.

1454 A. Dietrich, « Les patois créoles des Mascareignes », Romania, n° 20, 1891, p. 216-276. 1455 S. Meredac in R.P. Dussercle, op. cit., p. 139.

1456 R.P. Dussercle, Archipel de Chagos. Ile Maurice/ The General Printing and Stationery Cy. Limited, 1935, 215 p, p. 56 ; R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 139.

1457 R. Dussercle, op. cit., p. 140. 1458 Ibid.

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deviendra fort lui aussi, et sera battu par la paume de la main droite. A noter que le batteur de tambour, entraîné par la chaleur de la danse, fléchira légèrement le genou droit en synchronisme avec le battement de la paume de la main droite frappant le tambour aux temps forts »1459.

Le bobre

Nommé aussi bob ou bomb, cet instrument est formé à partir d’un arc – fabriqué à partir d’une jeune pousse de bois de manguier, que l’on trouve très facilement dans les îles – d’environ deux mètres légèrement voûtée, à une seule corde ou waïar. La corde provient de cordages métalliques ou wire rope en acier et est placée du côté concave de l’arc. Une calebasse – la coque d’une grosse noix de coco coupée au deux-tiers, la cata – est placée du côté convexe de l’arc pour agir comme cavité sonore. En général, la cata est placée à un sixième de la longueur de l’arc, vers la base. Elle est attachée au moyen d’un morceau de ficelle passée dans le fond de la noix de coco, et rattachée aussi au waïar afin d’être déplacée aisément tout le long de l’instrument pour obtenir le diapason souhaité1460.

Le musicien se sert d’une baguette ou d’un zig pour frapper la corde tendue. Celle-ci provient des balye koko, balais formés à partir de fibres sèches du cocotier. Lorsque les doigts touchent la corde par leur revers, ils « restreignent ou étendent le son ». Le zig est parfois agrémenté d’un cawen ou caïam : un petit sachet fabriqué à partir d’une feuille sèche de cocotier, de forme pyramidale de 10 à 15 centimètres de longueur, et rempli à 50 % de grains de riz. Le cawen est secoué pour marquer la cadence des pas de danse1461.

Le joueur de bobre adopte une posture particulière. « Il faut d’abord lever sa chemise par devant (quand on en a une) que l’on empêche de retomber en y faisant un nœud ; lequel nœud retient le linge à la hauteur de la poitrine. De la main gauche ou droite (selon que l’on est droitier ou gauҫard), on saisit le bobre au-dessus de la cata et on applique la noix de coco (les lèvres) sur le nombril : c’est cette disposition qui permettra à la résonnance, parfois très forte, de se prolonger avec des airs de plaintes et de vagissements. De l’autre main, on tient ensemble le zig et le caïam, le caïam, tenu par la pointe au-dessus de la main, réalisant pour ainsi dire le pommeau du zig que l’on serre dans la main fermée par le bout le plus gros. Le caïam marquera la cadence et le zig frappera le waïar. De temps en temps, l’index et le médium de la main qui tient la verge de bois mangue s’étendent pour toucher la corde par leur revers ; et c’est ainsi que l’on obtient la mélodie de ces chansons de bobre »1462.

En général, le bobre se décline sur trois notes. A vide, la corde donne la note la. Les doigts pincent la corde pour former les notes do et mi.       

1459 Ibid., p. 140-141. 1460 Ibid., p. 143-144.

1461 Ibid. p. 144 ; R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 39-41. 1462 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 145-146.

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C’est un « instrument domestique » qui accompagne les complaintes et les romances, mesurées ou rythmées, qui se terminent par « un long souffle traînant sur le la »1463. En général, ce sont des chansons sentimentales, tristes,

nostalgiques, voire mélancoliques, chantées sur un ton pleureur sur des paroles improvisées par le joueur qui parle d’amour, de rejet, de trahison, de départ ou de décès d’un amoureux, et aussi du désespoir de l’être abandonné à son triste sort. Le joueur de bobre ne chante pas mais il coule ou

youle (terme breton), c’est-à-dire il fredonne l’air sans les paroles. Les

musiciens utilisent rarement le bobre pour accompagner un séga et ils ne chantent jamais. Les ҫantés zavirons ou chansons des îles sont parfois modulés à terre et sont alors accompagnées du bobre1464.

Instruments importés : Accordéon et harmonica

Deux instruments de musique de provenance européenne sont utilisés dans les îles : l’accordéon nommé cordéon et l’harmonica désigné par l’expression créole misik la guèle1465. En général, tous les deux instruments

accompagnent le séga cordéon et les danses françaises – dansés français. Le

séga cordéon est connoté comme un séga propre, étant donné que l’on n’y

associe aucune forme d’érotisme lors de la danse. Il en est de même pour les

dansé(r) français telles que valse, polka, mazurka et autres danses modernes

de la France1466. D’autres danses, plus modernes et moins convenables, sont

originaires des Etats-Unis1467. 2. Chants des îles

Le séga des îles est chanté en diverses occasions. D’abord, le Séga

navire est lié au flux des transporteurs voguant régulièrement d’une île à

l’autre, lorsqu’un navire accoste après un périple en mer ou lors de son départ d’une escale ou d’un quai, « c’est celui que l’on danse après le départ du bateau, pour remercier le ciel, sans aucun doute, de tous les bienfaits apportés »1468. Ensuite, le séga est associé aux fêtes religieuses et laïques : Séga la

Vierge pour le Jour de l’Assomption, le 15 août, ou Séga banané(e) pour le

Nouvel An. Enfin, le séga est présent lors de chaque évènement marquant de la vie : Séga maryiaz, Séga nésans et Sega baptême. Plusieurs autres occasions sont improvisées pour se rencontrer et « piquer un séga »1469;

       1463 Ibid., p. 146.

1464 Ibid., p. 146-147. 1465 Ibid., p. 147.

1466 R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 68 ; le texte ne mentionne pas les noms explicitement. 1467 Ibid.; Entre 1786 et 1810, environ 600 navires américains se rendent à l’Isle de France pour les affaires et un Consulat y est ouvert en 1794. Certaines sources orales affirment que « cette musique issue de la population d’esclaves des îles Chagos proviendrait des Seychelles et du Sud de l’Inde ».

1468 Ibid., p. 68.

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« multiples occasions qui existent réellement » ou recherchées « expressément »1470.

Il existe peu de répertoires de chansons du type séga des îles. Tout évènement de la vie quotidienne, ordinaire ou non, inspire le compositeur qui compose alors une chanson en créole chagossien. Le répertoire de ségas et de

ҫantés zavirons démontre la créativité des ségatiers des îles qui chantent des

chansons, soit au travail ou lors des cérémonies et fêtes dans les îles1471. En

1935, un bateau de côte, nommé l’Express, échoue sur les récifs de l’Ile Diable à Trois Frères et inspire les îlois pour composer la chanson ci-dessous1472.

Si parti Vertiz’ aïoh ! Ah ! Si le Vertige (un petit bateau) était parti,

Si parti Vertiz’ aïoh ! Ah ! Si le Vertige était parti,

Parti Vertiz’ aïoh ! Ah ! S’il était parti le Vertige

L’express pas ti a cassé… L’Express ne se serait pas brisé…

Papa Nonor causer : « ah ! Papa Nonor a dit : « Ah !

N’a pas sauter, M’sié Licien,

aïoh ! Ne sautez pas, Monsieur Lucien, Ah ! N’a pas sauter, M’sié Licien : Ne sautez pas, Monsieur Lucien : La roule apé vini… La houle arrive…

Papa Nonor causer : « aïoh ! Papa Nonor a dit : « Ah !

Mouiller Zaël, aïoh ! Mouille ton ancre, Israël !

Mouiller Zaël, aïoh ! Mouille ton ancre, Israël !

Gouvernail apé casser Le gouvernail est en train de se briser (sur les coraux).

Maman Dréa causer : « aïoh ! Maman Andréa a dit : « Ah ! Missié Bébert, aïoh ! Monsieur Bébert, Ah !

Cot’ mo mari, Missié Bébert, Où est mon mari, Monsieur Bébert ?

Mo mari n’ all’ mett’ au plein Mon mari est allé se mettre au plein. Donn’ moi mo pagaie, mo

mise ah ! Donne-moi ma pagaie, ma muse, Ah ! (ter)

Mo nazer, mo all’ l’Il’ la Terre

Je veux nager pour rejoindre l’Ile la Terre.

Quand mo va à l’Il’ la Terre Quand je serai à l’Ile la Terre

Quand mo va à l’Il’ la Terre, Quand je serai à l’Ile la Terre, là-bas

       1470 R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 68. 1471 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 173.

1472 Ibid., p. 136. [Toutes les traductions du créole au français sont les miennes.] ; Ibid., p. 154-156.

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là-bas

A l’Il’ la Terre, là-bas A l’Ile la Terre, là-bas

Mo va all’ déz’ner viah ! Je mangerai des viahs [plantes] au déjeuner !

Quand nous va diner, zott’

oh ! Lorsque nous dînerons, vous autres ! (bis)

Nous va diner, zott oh ! Nous dînerons, vous autres !

Nous va din’ poul’ marron Nous dînerons des poules marron [sauvages].

Nazer, coҫon, la terre, Nage, cochon, nage vers la terre,

Nazer coҫon, aïoh ! Nage cochon, oh !

Nazer, all’ l’Il’ la Terre Nage, Va à l’Ile la Terre.

Le refrain, accompagné des tambours, est chanté sur le même air entre chacun des huit couplets. A la fin du dernier refrain, la danse prend fin et, après une courte pause de quelques minutes, le séga commence de nouveau. Le compositeur choisit un autre thème tandis que la mélodie demeure plus ou moins similaire et la musique bien rythmée.

Il existe une douzaine de chansons répertoriées sur les conditions de vie et de travail des laboureurs qui expriment leurs difficultés économiques et sociales, l’exploitation de la main d’œuvre et le racisme dans une société de plantation1473. « Serin rose »1474 rend compte des problèmes rencontrés par les

couples lors de l’absence ou l’« exil » du partenaire à cause de son déplacement vers un autre îlot ou île pour deux ou trois mois. L’imposition des désirs sexuels du colon ou de l’administrateur est chantée dans « Mama Sandrine »1475 et le comportement injustifiable d’un jeune homme est critiqué

dans « Felonn jabulo »1476 (Le hors-la-loi diabolique). L’impudeur d’une

femme est aussi dénoncée dans « Leoncine »1477.

      

1473 Chantées par ceux qui quittent volontairement les Chagos en 1950 ; recueillies par Jeffery in L. Jeffery, op. cit.

1474 Composé par Elegie Jaffar : « Segonn Talbot fann so lapel/ Mo serin rose al ekzile/ Dan de-twa mwa li ava tourne. »(Le second Talbot envoie l’appel/ Mon serin rose s’exile/Il rentrera au bercail dans deux ou trois mois).

1475 Composé par Alexandrine Pétrisseur : « Misye Caboche dir mwa reste/ Mo pa pu reste, mo lacaz mo ena de zanfan. » (Monsieur Caboche me demande de rester (auprès de lui)/Je n’y resterai pas, j’ai mes deux enfants qui m’attendent à la maison chez moi).

1476 Composé par Rita Elysée : « Madam, koz ek ou piti, seki li pe fer na pa bon/ Tu les war li tap mo laport, la mo mari inn tande/ Li dir mwa lev mo zip an ler, les li get mo mole/Mo mole na pa konsern li, mo mole konsern mo mari » (Madame, faites entendre raison à votre fils, ce qu’il est en train de faire est mauvais/ Tous les soirs, il frappe à ma porte, et là mon mari l’a entendu/ Il me demande de soulever ma jupe, il voudrait voir ma mole (mon trou) / Ma mole ne le concerne pas, cela concerne mon mari).

1477 Composé par Alexandrine Pétrisseur : « Leoncine mo bon kamarad, kontan vinn dan mo lakaz…/ Arive li pran mo mari, la-o grenye kalorifer/ Mari-la pa pu to tousel, mari-la pou la kompani/ Larzan nou partaz an de, lamores to gard pou to tousel » (Léoncine, ma bonne amie, aime bien me rendre visite …/ Il est arrivé qu’elle a pris mon mari, dans le grenier-calorifère/

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Canté Zavirons

Dans l’Archipel des Chagos, les canotiers doivent traverser la mer pour se rendre d’un îlot et/ou d’une île à l’autre à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Ils doivent parfois ramer, sans aucun répit, à bord d’une baleinière sur une distance d’environ trente-et-un milles pour une durée approximative de huit heures sous un soleil torride1478. Par conséquent, ils

s’adonnent aux chants en cadence pour s’encourager mutuellement lors de leur dur labeur. Si les conditions de travail sont éreintantes, les ҫanté

zavirons1479 rythment la cadence sur la vitesse à laquelle ils manient leur

aviron. « Le dos voûté, les mains [crispées] aux poignées et aux manches, de toute la force de leurs muscles en travail, les matelots plongent la pelle jusqu'à la garde. Dans un balancement d’ensemble, les corps penchés se renversent en arrière ; et sur la lisse du bateau, plaquent les avirons, horizontalement droits, qui prennent, au ras de l’eau, des allures d’espars privés de leurs bonnettes. La mer a frémi, creusée en entonnoir dans lequel viendra s’engouffrer la rame du canotier suivant, encore suintante de gouttelettes, jusqu'à ce que le glissement, alerte, abandonne au sillage tracé des points d’écumes qui se referment »1480.

La première partie de la chanson ressemble à un dialogue. Un canotier cause et les autres lui répondent. Etant donné leur nombre, il en découle parfois une cacophonie. La musique commence par « un murmure très doux, qui s’en ira croissant, semblable (dans son genre) au chant des Bateliers de la Volga (…) », et se terminant « en rumba »1481. La note est

traînante sur la finale, signalant la peine des canotiers au travail, et indiquant, par la même occasion, une certaine mélancolie, voire de la nostalgie1482. Tout

passager ayant l’habitude de les écouter comprend bien les paroles, inspirées des faits de la vie quotidienne dans les îles, et spécialement des histoires d’amour ou de la vie commune1483. Le répertoire est généralement grivois1484

comme l’atteste la chanson traitant de l’escapade amoureuse de l’administrateur1485.

Longri, Longra Ai’oh Longri Longra

Longri, Longra Ah ! Longri Longra

A là là Longri Longra Madame là Oh là là ! Longri, Longra, Cette femme-là

Longri Longra Misié Micel fin’ Longri Longra Monsieur Michel

       Ton mari ne t’appartient pas à toi uniquement, il appartient à l’entreprise/ Nous partageons l’argent en deux parts, mais le sous-vêtement de ton mari, tu le conserves pour toi uniquement). 1478 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 109-110.

1479 Ibid., p. 147. 1480 Ibid., p. 167. 1481 Ibid., p. 37. 1482 Ibid., p. 51. 1483 Ibid. 1484 Ibid., p. 85. 1485 Ibid., p. 168.

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mont’ ménaz dans bois s’est mis en ménage dans les bois (il a pris une concubine) [bis]

La chanson suivante raconte les malheurs de Vélana, maîtresse de Jules Labat1486. Cette dernière l’abandonne pour un autre homme. Sous

prétexte que le partage de la pêche est incorrect, Jules Labat se fâche et devient violent envers elle1487.

Bo matin mo léver ; A l’aube, comme je me réveille ;

Mo tend èn’ tit tapaz’ dans

camp, J’entends un petit bruit dans le camp. Mo gal’pé, mo all’ guetter… Je cours pour voir ce qui se passe…

Zil’ Labat’ apé batt’ Vélana C’est Jules Labat qui est en train de frapper Vélana

A caus’ posson dorade, A cause des poissons, des dorades

Zil’ Labat’ apé batt’ Vélana C’est Jules Labat qui est en train de frapper Vélana

Parfois, à cause des infidélités amoureuses d’un partenaire, le couple est désuni et la vengeance, aveugle contre le partenaire illégitime, atteint leur enfant innocent. Ce dernier souffre injustement comme l’atteste la chanson1488.

Papa zenfant ti apé zett’ manzer zenfant lor cimin,

Le père de l’enfant jetait la nourriture du petit sur le chemin,

Zenfant innocemment Ca la faut’là

ti arriv’ la caus’ Et pourtant l’enfant était innocent. Tout cela a eu lieu à cause de

So maman Ca la faut’ arriv’ la caus’ so maman

Sa maman. Tout cela a eu lieu à cause de sa maman

Innocamment, ҫa la faut’ arriv’ la

caus’ so maman L’enfant était innocent, c’était la faute de sa maman  Autres chansons du travail

La chanson fait partie intégrante de la vie des îlois et sert à créer une atmosphère apaisante et joviale. Ainsi, les sessions de couture ou de lessive au bord des puits sont toujours égayées par des chansons1489. « Heureuses les

maisons où l’on sait entourer la tâche quotidienne d’une ambiance éthérée de chansons. Leurs chansons, à nos gens, nos gens des îles, dans leurs bouches de simples, sont peut-être une prière : le cœur monte et s’envole ; et le labeur s’en trouve plus léger. Et puis sous le ciel vaporeux de nos îles lointaines, malgré l’écorce rude du patois créole, n’est-ce pas un peu du parler, ne sont-      

1486 Ibid., p. 169.

1487 Ibid., p. 38.Voir aussi R.P. Dussercle, l’Ile d’Aigle, 1, Ed. Esclapon.

1488 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 170; Voir aussi R.P. Dussercle, l’Ile d’Aigle, 1, op. cit. 1489 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 175.

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ce pas des mots du beau pays de France que la brise a portés dans la paillotte pauvre ?... »1490. Parfois, les chansons expriment la joie comme « Bigorno »

(un fruit de mer), rappelant les rencontres hebdomadaires pour les piquer un séga nocturne ou « Sone sone laklos » (Sonne, sonne la cloche), indiquant le retour fructueux des pêcheurs.

Les ҫantés bobres

Guistin et Colo, ségatiers, renseignent le prêtre missionnaire sur les chansons accompagnant les bobres ou les ҫantés bobre1491. La chanson est un

moyen de meubler la solitude. Un veuf, dont les enfants habitent à Agaléga, utilise ses talents de musicien pour actionner le bobre et chanter sur un ton pleureur, en y ajoutant aussi une prière à Dieu pour alléger sa tristesse et sa peine1492.

Mo tou sél, Je suis seul,

Mo zenfants Galega… Mes enfants sont à Agaléga…

Aïoh ! mo papa ! Oh ! Mon père !

Aïoh ! mo maman ! Oh ! Ma mère !

Comment mo léker fair’ mal, Comme je souffre,

Comment mo léker saigner… Comme mon Coeur saigne…

Seignèr Seigneur

Fair’ mo zenfants rétourn dans

mo la case ! Je prie pour que mes enfants reviennent chez moi !  Chants des enfants

Dans le milieu familial, lorsque les mères de famille, les sœurs ou frères aînés s’occupent d’un bébé dans leur case à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit, ils chantent des chants de berceau ou des berceuses1493. Lorsque les jeunes filles s’occupent aussi des tâches ménagères

en l’absence de leur mère, elles posent le bébé sur la hanche et fredonnent les paroles d’une chanson connue sur un air du séga tambour, d’un ҫanté

zavirons ou d’un séga cordéon pour divertir le chérubin1494.

La tradition musicale est transmise par observation et imitation. Les jeunes improvisent un séga en utilisant n’importe quel objet à portée de main en guise d’instrument et s’inspirent de leur vie quotidienne. A la fin de la messe de dix-huit heures, sur un navire partant de Trois Frères pour Peros Banhos, un « brigand de gamin se met à battre la cadence [d’un] séga sur un vieux bidon plat » tandis que les autres chantent1495.

       1490 Ibid., p. 176.

1491 Ibid., p. 122.

1492 R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 37. 1493 R.P. Dussercle, 1937, Ibid., p. 173. 1494 Ibid., p. 174.

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Bo matin mo léver ; Je me réveille à l’aube ;

To figuire to pas laver, Tu ne t’es pas lavé le visage,

To lédents to pas frotter. Tu ne t’es pas brossé les dents,

To sisé, to cause moi… Tu es assis, tu parles de moi… Le séga des enfants ou Séga zenfants ressemble aux chansons du Moyen Age : les enfants s’amusent et se moquent, et les chants ne manquent ni de sel ni de malice1496. Une enfant se lamente en racontant ses

malheurs. Elle dépense beaucoup d’argent pour satisfaire les désirs de ses amies. Par conséquent, elle n’a aucune économie pour se procurer des vêtements neufs selon la tradition pour le Nouvel An.Au lieu de la consoler, ses amies la ridiculisent dans le refrain1497.

Tout mo camarades apé

manzer Tous mes amis mangent (ter) Moi tou seul paye paye tou

ҫa là !

Je suis seule à tout payer !1498

Mo linze la haut la corde Mes vêtements sont sur la corde [à sécher]

Coument la ҫaine Bonita… Comme le collier de Bonita… L’année apé arriver, Le Nouvel An approche, (bis)

Mo camarades tirer,

metter ; Mes amis s’habillent et se déshabillent ; En’ sèl reҫanze lor moi. Tandis que j’ai un seul vêtement sur mon

corps. Refrain :

Prends la glace, guett’ to figuire

Refrain :

Prends le miroir, et regarde ton visage (bis)

Guette to figuire coument été :

Regarde ce que reflète ton visage :

Li coument brisants bord

déhors Ton visage ressemble aux brisants faisant face à la haute mer 3. Danses

Séga des îles

Au début du 20e siècle, le séga est la forme musicale la plus

populaire des îles. Selon Auguste Leduc, administrateur de l’île d’Agaléga de 1827 à 1839, cette variété musicale provient de deux ségas1499. D’abord, le

Tschiéga ou Chéga originaire du Mozambique est accompagné d’une danse

« monstrueusement obscène » et indécente, avec des bruits « assourdissants » produits par les tambours et les hurlements des personnes présentes pour       

1496 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 160 ; R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 123. 1497Ibid., p. 123-125.

1498 Variante : Innocent paye tou ҫa là ! (C’est un innocent qui paie pour toutes ces dépenses !). 1499 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 150.

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l’évènement. Ensuite, le Tschiéga ou Chéga d’origine malgache est plus agréable. Les danseurs balancent leur corps sans contorsions, et les bras et les mains suivent un mouvement ondulé très gracieux, avec un léger trépignement totalement en mesure. Des chants à plusieurs voix, plaintifs et langoureux, accompagnent la musique et la danse. Les hommes tiennent une sagaie ou une gaulette en forme de sagaie à la main. « Ils simulent un combat, se menacent, fuient, se rapprochent, font mille contorsions, et jettent par moment[s] des cris comme pour effrayer l’adversaire »1500.

Suite aux règlementations des administrateurs et aux pressions exercées par les religieux, la lascivité est progressivement abandonnée, donnant donc naissance au séga propre des îles. Dans la perception des religieux de l’époque, ce type de séga demeure plus acceptable que celui pratiqué par les Créoles de Maurice, à Roche Bois ou à Rivière-Noire, par exemple1501. Dans la soirée, une douzaine de couples – sans compter les

batteurs de tambour, et celui ou celle qui chante les couplets et parfois les choristes pour le refrain – se retrouvent sur la pelouse ou sur la plage pour une danse d’ensemble. D’autres spectateurs, qui ne chantent pas, se réunissent aussi autour d’eux. Le séga est aussi pratiqué dans d’autres lieux tels que les bois ou devant la case d’un hôte. Généralement, ces fêtes ont lieu les samedis soirs puisque dimanche est jour de repos. Vers les années 1940, la fréquence de ces fêtes est nettement inférieure qu’au début du siècle. La scène se déroule en fonction d’un rituel précis. « Sur le terrain un ou plusieurs brasiers de feuilles de cocotier pétillent, destinés à chauffer les

ravannes pour qu’elles sonnent mieux. Les peaux de tambour ayant été

soigneusement vérifiées quant à la puissance de résonnance, les batteurs se mettent à l’œuvre : pan, pan-pan-pan, panpan-pan, panpan, d’abord sur un rythme assez lent, au diapason des chansons que l’on commence de « couler », de « grogner » ; ceci est la préparation à la danse. Puis, le rythme s’accélère, en même temps que les voix se font plus fortes, jusqu'à ce qu’elles deviennent « gueulardes » – ce qui pourrait parfois aller jusqu'à la frénésie. C’est le moment d’entrer en danse.

Un homme s’avance, soulève son chapeau et s’incline devant une femme avec un geste d’invite : ce sera sa cavalière. Ils seront ainsi plusieurs. Alors, au milieu de la pelouse, chacun de piétiner le sable au rythme des « pan, panpan », ralentis ou accélérés, les partenaires se tenant toujours à une distance de quatre ou cinq pas l’un de l’autre, sans qu’il y ait jamais contact entre eux. La femme, de ses deux mains, a relevé le bas de sa jupe, et se dandine tantôt avec un air de dédain dans le maintien et la physionomie, tantôt avec un air d’encouragement et de plaisir à l’adresse de l’homme qui, de ses bras ballants et ballotés, lui mime des appels d’un air plutôt idiot »1502.

       1500 Ibid., p.150.

1501 Ibid., p. 153.

1502 Ibid., p. 151-152; Variante in R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 69-70 : « [deux] brasiers

pétillent ; et, en même temps que de la fumée, crachent dans le ciel qui s’illumine de flammèches de feuilles de cocotier. Le sable de corail brille ; et les ombres des laboureurs sillonnent en le

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Habituellement, lors des festivités, le vin coule à flots. L’ivresse apporte dans son sillage certains débordements et écarts de conduite. Lors de la cérémonie de décoration du ségatier Tallat à Peros Banhos par le gouverneur pour avoir sauvé les passagers du naufrage de l’Ile d’Aigle1503, la présence du prêtre

missionnaire freine quelque peu l’entrain habituel des îlois1504. « Seul le

vieux bonhomme Tom, Tom Lafleur, qui se croit toujours en plein épanouissement, après avoir pris une provision de “toupet” à la dame-jeanne d’Alexandre, est allé saluer d’un galant coup de chapeau la bonne femme Cilia, aussi vieille que lui ; et tous les deux, mimant à la perfection, mais avec un comique rare – étant donné qu’ils ont, depuis des lustres, passé l’âge des aveux soupirants – les appels d’offre et les acceptations réticentes propres aux amoureux de vingt ans, ils nous offrent au rythme de l’accordéon, le spectacle de ce que peuvent être, sur le très tard de la vie, les retours d’âge sans espoir »1505.

Séga nocturne

Le séga nocturne est pratiqué « dans un ordre relativement raisonnable » à Diégo et ne se termine pas en bacchanales. La danse suit un modèle simple et répétitif comme les danses traditionnelles bretonnes. « En soi, le séga, tel que je l’ai vu – la noble Bretagne me pardonne ! – m’a remis en pensée certains tableaux de farandoles ou danses villageoises qu’il [m’a] été donné d’apercevoir chez les bretonnants… »1506. La différence réside dans

la longue durée nocturne de la fête – signe de résistance des esclaves aux conditions de vie imposées1507 – l’utilisation d’une boisson enivrante et

l’obscurité des lieux, donnant parfois lieu à des tentations charnelles. « Ce qu’il y a de mauvais, c’est que d’abord cela se passe toujours le soir, dans les bois : le brasier n’étant là, dans la plupart des cas, que pour chauffer les tambours, et la lune, quoi qu’en dise la chanson (Vous me croyez complice/Mais craignez ma justice/Demain, je vous dénoncerai, Prenez garde/La lune vous regarde.) est complice jusqu’au lendemain 4 ou 5 heures.       

brisant le carré de lumière. Les tambours sont passés à la flamme, pour qu’ils résonnent mieux, tandis qu’un accordéon (cordéon) s’essouffle sur un air de biniou quelconque, en attendant que tout soit paré. / Un homme s’avance (il a fallu promettre un litre de vin), soulève un chapeau et s’incline devant une femme : ce sera sa cavalière. […] Le séga, en effet, se danse ordinairement par couple, mais sans jamais qu’il y ait contact entre les danseurs. La femme, de ses deux mains, relève le bas de sa jupe, un peu à la manière dont les élégantes du XVIIème siècle faisaient pour la révérence, et se dandine tantôt avec un air de dédain dans le maintien et la physionomie, tantôt avec un air d’encouragement et de plaisir à l’adresse de l’homme qui, de ses bras ballants et ballotés, lui mime des appels d’un air plutôt idiot… De temps à autre, les danseurs se remplacent : c’est un coup de chapeau lancé à la femme qui danse ; le premier danseur, alors, se retire ».

1503 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 52. 1504 Ibid., p. 89.

1505 Ibid.

1506 R.P. Dussercle, 1935, op. cit., p. 71.

1507 B. Camier, Musique et conditions serviles aux Antilles françaises au XVIIIe siècle. Dossier

documentaire : LAMECA, Médiathèque Caraïbe/Conseil Général de la Guadeloupe, décembre 2012.

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De plus, il faut boire ; et, en temps ordinaire, on boit… du vin (…) ; et quand la tête n’y est plus… on peut s’imaginer ce que cela devient. C’est alors que Satan conduit le bal. (…) Et lorsque 8 heures ½ sonnent, c’est avec regret que les gens […] voient la séance se terminer »1508.

Dans des îlots et îles peu habités, les habitants – vivant dans un certain isolement, bénéficiant d’un droit de passage à Maurice chaque trois ans – ont peu de loisirs simples1509 et cette festivité nocturne engendre un

engouement certain1510. Ainsi, lorsque l’administrateur des îles Salomon,

Caboche, impose un interdit sur le séga nocturne en 1937, les îlois logent une complainte auprès du magistrat lors de sa visite annuelle et ils organisent une soirée séga quelques jours plus tard. L’administrateur confisque les tambours, ce qui donne lieu à une montée de violence inhabituelle de la part des habitants généralement paisibles et pacifiques1511.

Séga tambour

Le déroulement du séga tambour est identique à celui du séga des

îles. La musique, accompagnée d’un tambour et des battements de mains, est

très rythmée. Toutefois, la posture des danseurs – jeunes et vieux – pendant la danse comporte une légère différence. « [Au] lieu de trépigner, on pile du talon, un peu dans le genre de cet exercice qui s’appelle : battre la semelle, en usage en Europe au fort de l’hiver, et par lequel on se réchauffe les pieds ; mais la jambe qui ne touche par terre, au lieu d’être repliée pour frapper le pied du partenaire, est allongée toute, le corps se trouvant alors légèrement rejeté en arrière »1512.

Séga accompagné de l’accordéon et de l’harmonica

Le séga cordéon est mesuré et possède une mélodie fortement inspirée du pays d’origine des deux instruments, l’accordéon et l’harmonica. Parfois, les chants frisent l’inconvenance, traitant des sujets sur un ton grossier ou licencieux1513, par exemple dans les sous-entendus de la

chanson suivante1514.

En’ zour nous all’ la source Un jour, nous nous sommes rendus à la source

Avec en’ tit barrique ; Avec une petite barrique ;

L’hér’ la’ nous arriver, Lorsque nous y sommes arrivés,       

1508 R.P. Dussercle, op. cit., p. 70-71.

1509La vie y est simple, sans aucune utilisation de l’argent ; les habitants utilisent le troc. 1510 La population est comme suit pour les années mentionnées. 1927 : 151 hommes, 124 femmes, 136 enfants ; 1930 : 150 hommes, 135 femmes, 150 enfants ; 1935 : 103 hommes, 169 femmes, 198 enfants ; 1937 : 166 hommes, 164 femmes et 185 enfants (British Public Records Office CO 167/861/10, 167/867/13, 167/893/4, 167/896/16).

1511 CO 167.896/16 Enclosure to Mauritius Despatch n° 374 du 10 nov. 1937. 1512 Ibid., p. 165.

1513 R.P. Dussercle, 1937, op. cit., p. 164. 1514 Ibid., p. 165-166.

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Nous p’tit barriqu’ fin’

défoncé… Notre petite barrique était défoncée… Aҫ’t’hér’, Aҫ’t’hér’, Aҫ’t’hér’, Et maintenant, Et maintenant, Et

maintenant,

Aҫ’t’hér’ qui nous à faire Et maintenant, qu’allons-nous faire ? Si Auguste Calle est malhabile pour chanter l’hymne national britannique God Save, il s’avère être un excellent ségatier. Lors de la cérémonie de décoration du ségatier Tallat, c’est lui qui est l’animateur principal du séga cordéon tandis qu’un dénommé Oscar tape des mains pour battre la cadence pendant que les enfants pilent des talons, chantent à haute voix, au milieu d’un nuage épouvantable de poussière1515.

Conclusion

Les besoins de divertissements et de communication des habitants de l’Archipel des Chagos sont satisfaits à travers la musique, les chants et les danses individuels et collectifs. Ceux-ci procurent une forme de compensation par rapport à leur éloignement physique des autres îles d’une part, et à leur ennui en l’absence des membres de la famille, dispersée sur diverses îles et îlots, d’autre part. Certaines pratiques musicales assument une fonction thérapeutique dans le contexte de la colonisation dans la première moitié du 20e siècle et offrent un moyen à chacun, jeune ou vieux, de se

libérer de ses frustrations, de son découragement, de sa mélancolie, voire de son abattement. La musique apporte un sentiment de liberté1516.

Cette étude comporte une limite : en l’absence d’un nombre suffisant de témoignages des habitants des Chagos sur le patrimoine musical du début du 20e siècle, les sources proviennent essentiellement de la perception d’un

auteur occidental, prêtre de surcroît, qui effectue des choix en fonction de son jugement sur une musique métissée au fil du temps. Néanmoins, les ouvrages de Roger Dussercle servent d’alternative à la perte de la mémoire sociale et collective, ou tout au moins à ses transformations1517, permettant ainsi

d’enrichir le patrimoine musical de la République de Maurice.

       1515 Ibid., p. 89.

1516 P. Eve, « La culture de survie des esclaves des Mascareignes », Revue Historique de l’océan Indien, n° 10, 2013, p. 371-383.

1517 L. Aubert L. et L. Charles-Dominique, op. cit.

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