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(1)

Edmond Pieard 1882 -1899

Léon Hennebieq 1900 - 1940 Charle• V an Reepinghen

19"-1966

La tradition, source de droit ?

1. - Dans deux arrêts du 6 avril 1960, qui ont fait jurisprudence en matière de troubles de voisinage, la Cour de cassation a admis que l'action en réparation se fonde sur l'article 544 du Code civil et l'équilibre entre les droits res- pectifs des propriétaires, sans référence à une faute quasi-délictuelle. Le voisin lésé par un trouble excessif doit êtr_e indemnisé, « confor- mément à la tradition et au principe général consacré notamment par l'article 11 de la Constitution » (1).

2. - Cette dernière motivation a paru si convaincante et si heureusement formulée qu'elle a été reprise dans de nombreuses déci- sions ultérieures des juges du fond (2), ainsi que dans les conclusions de M. l'avocat géné- ral Mahaux précédant l'arrêt du 28 janvier 1965 (3).

Sans employer le mot, M. l'avocat général Mahaux avait fait état de la tradition en citant Domat et Pothier, dont les conceptions ont incontestablement inspiré les auteurs de l'arti- cle 544 du Code civil (4). A l'exception du pro- fesseur Dabin (5) les commentateurs de la ju- risprudence nouvelle ne se sont guère étendus sur le recours explicite à la tradition (6). Cepen-

(1)" Rendus en audience plénière (Pas., 1960, 1, 915, précédés des conclusions en ce sens de M. l'avocat général Paul Mahaux; J. T., 1960, p. 425; Rev. crit.

jur. b., 1960, p. 257, note Dabin).

(2) Voy. notamment: Gand, 1er juin 1961, R. W., 1961-1962, 743; - Civ. Nivelles, 6 déc. 1961, Pas., 1962, III, 3; - Brux. (ch. réun.), 19 févr. 1963, J. T., p. 265; - Brux. 24 févr. 1964, Ann. not., p. 241; - Gand, 9 mars 1965, R. W., 1964-1965, 2131 (dans le sommaire de ce dernier arrêt, le Recueil annuel de jurisprudence belge, 1965, a rendu erronément traditie par usages).

Il est rare qu'il n'y soit pas fait mention de la tradition (voy. : Brux., 15 juin 1960, Pas., 1961, II, 212, 26 mai 1961, Ànn. not., 1961, p. 239, et 25 juin 1965, ibid., 1966, p. 19) et rien n'indique qu'elle ait été omise à dessein.

(3) Pas., 1965, 1, 521.

(4) Voy. Pas., 1960, I, pp. 926 et 927; Rev. crit.

jur. b., 1960, pp. 273 et 274. - Domat, Lois civiles, t. Jer, titre XII, sect. III, art. X; - Pothier, Traité du contrat de société, «Du voisinage», art. 11, § 1er (éd. Dupin, t. II, p. 459). Ces passages, qu'avait déjà relevés M. Dabin (note sous Cass., _7 avril 1949, Rev. crit. jur. b., p. 214), ont été cités à nouveau dans les conclusions de M. Mabaux, précédant Cass., 28 janv. 1965, Pas., 1, 521.

(5) Qui est au demeurant le seul à avoir émis des doutes sur son fondement (notes précitées, Rev. crit.

jur. b., 1949, p. 214 et 1960, p. 303). Si Pothier et Domat n'ont pas donné toute la solution, ils en ont montré la voie.

(6) Voy. notamment Rév. pr. dr. b., Compl., vol. Il (1966), v0 Devis et marchés (par Flammé et Lepaffe), nos 784 et s.; - Derine, « Preadvies over hinder bij nabuurschap », R. W., 1967-1968, 1965 et s.; - Dalcq,

«Examen de jurisprudence (1963-1967) », Rev. crit.

jur. b., 1968, pp. 209 et s., et les auteurs cités; -

dant le fait est d'autant plus remarquable que la Cour suprême ne se réfère pas volontiers à d'autres sources que les textes légaux et les travaux préparatoires (7). M. Dabin a du reste souligné qu'on décèle dans les arrêts du 6 avril 1960 « une façon d'argumenter, plus dégagée de la servitude des ··textes, qui paraît, sinon neuve, du moins relativement rare >.

3. - Nous nous proposons de rechercher successivement :

a) si la Cour de cassation a déjà fait allusion à la tradition en droit privé, positivement ou négativement, avant 1960;

b) si le terme est susceptible de sens diff é- rents (8), tant en doctrine qu'en jurispru-

d~ce;

c) la place de la tradition dans notre système - juridique;

d) s'il existe une tradition moderne;

e) et, en conclusion, si la tradition, tout au moins dans certaines acceptions, peut être considérée comme une source de droit.

Arrêts de fa. Cour de ·cassation antérieurs à

1960.

4. - Un arrêt du 6 février 1863 (9) décide que l'article 931 du Code civil ne s'appliquè pas aux dons manuels et relève que telle était déjà la jurisprudence et la doctrine des auteurs qui ont écrit sur l'ordonnance de 1731,. dont l'artJcle 1er contenait les mêmes expressions.

Un arrêt du 14 mars 1889 (10) précise que le don manuel se trouve- virtuellement compris parmi les titres auxquels supplée la seule pos- session, et ajoute que telle était déjà la règle dans l'ancien droit français, reproduisant un passage de Pothier (11).

0 5. - Pour justifier que la profession d'avo- cat constitue un office viril dont l'exercice est Fagnart, « Chronique de jurisprudence, La responsabilité aquilienne (1955-1967) », J. T., 1970, p. 130, n° 106).

(7) Du moins depuis plusieurs décennies. Il arrivait jadis que les arrêts de la Cour de cassation contien- nent des citations doctrinales, voire des maximes (telle Aequltas in jure spectanda dans un arrêt du 6 août 1839, ch. réun., Pas., 1, 153) ou des « prin- cipes » (ainsi dans le même arrêt : Quod contra rationem juris est introductum non debet trahi . ad consequentia -r. 141 de regulis juris - voy. aussi: c~.

31 janv. 1867, Pas., 1, 159).

(8) Hormis, bien entendu, celui de la remise de la chose.

(9) Pas., 1863, 1, 424.

(10) Pas., 1889, 1, 147.

(11) Traité des donations entre mari et femme, Jre partie, ch. Ier, art. 2, n° 67, Le ministère public s'appuyait également sur Domat et Bourjon.

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interdit aux femmes un arrêt du 11 novembre 1889, en cause de Popelin (12), s'appuie sur l'ancien droit, conforme au droit romain, et invoque le Digeste pour dire que la loi, en em- ployant le masculin, ne comprend pas néces- sairement les deux sexes.

6. - Dans un arrêt du 16 mai 1890 (13) la Cour a considéré que l'action paulienne ,n'at- teint que l'auteur ou le complice de la fraude, cette action ayant passé dans le droit moderne avec la portée qu'elle avait antérieurement.

7. - Un arrêt du 7 juin 1906 (14), pour décider que la réserve doit être laissée en biens héréditaires in specie, s'appuie sur « le vieux droit français », lequel considérait à la suite du code de Justinien que le testateur ne saurait apposer des conditions quelconques à une trans- mission qui ne vient pas de lui mais de la loi (15).

La Cour considère que «le Code civil a implicitement confirmé cette législation tradi- tionnelle en réglant le mode de partage de la succession ab intestat».

8~ - Ùn arrêt du 6 janvier 1944 (16) relève que dans la conception traditionnelle du droit français, remontant jusqu'au droit romain, et que le Code civil n'a pas répudiée, il fut cons- tamment entendu que la loi ne venait au se- cours de l'erreur que pour autant-que celle-ci pût être le fait d'un homme raisonnable.

Des recherches plus patientes dans la juris- prudence de la Cour de cassation de 1832 à 1944, permettraient sans doute de découvrir d'autres références à des auteurs anciens.

9. - Un arrêt du 28 avril 1949 (17) énonce qu'en ne faisant pas mention d'une vente ou location quelconque d'immeuble, parmi les ac- tes que les articles 2 et 3 de la loi du 15 dé- cembre 1872 réputent actes de commerce, soit par eux-mêmes, soit par relation avec la qua- lité de commerçant; le législateur a marqué la volonté de conserver aux ventes et locations d'immeubles le caractère d'actes uniquement civils que leur attribuait une · « longue tradi- tion> (18).

(12) Pas., 1890, 1, 10, Sir., 1890, 4, 25, note Labbé.

(13) Pas., 1890, 1, 210.

(14) Pas., 1906, 1, 293.

(15) La Cour de cassation invoque à ce sujet l'enseignement de Ricard (sans autre précision).

(16) Pas., 1944, 1, 133, et la note signée R. H. citant Pothier, Larombière, Doneau, lequel référait à la loi romaine : Nam et solere sucurri non Ùultis se1l erran- tibus. /

(17) Pas., 1949, I, 308, note R. H., Rev. crit. ju,r. b., 1950, ·p. 97, note Limpens. - Dans le même sens : Cass., 22 déc. 1949, Pas., 1950, 1, 268.

On sait que l'article 2 du Code de commerce, modifiée par la loi du 3 juillet 1956, répute actuelle- ment acte de commerce « toutes obligations de com- merçants, qu'elles aient pour objet des immeubles ou des meubles, à moins qu'il soit prouvé qu'elles aient une cause étrangère au commerce».

(18) En néerlandais : lang bestaande traditie (Arres- ten van het -Hof van verbreking, 1949,' p. 275).

La note de ~a Pasicrisie relève que la règle remonte au droit romain (Mercis appellatio ad res mobiles

(2)

D'autre part un arrêt du 18 décembre 1952 (19) casse le premier des deux arrêts attaqués,-1 lequel, « se référant à la tradition», avait con- sidéré que l'obligation d'un commerçant de payer les honoraires dus à un architecte pour des travaux à une usine n'ont point le caractère commercial (20).

10. - Un arrêt du 16 janvier 1953 (21) constate que ni les termes de !'Ordonnance de janvier 1629 ni ceux de l'article 546 du Code / de procédure civile ne trouvaient application lorsque des jugements concernant l'état des per- sonnes rendus par un tribunal étranger, n'étaient invoqués que pour prouver cet état, à l'exclu- sio:G de tout acte d'exécution sur les biens ou de coercition sur les personnes, et que l'article 10 de la loi du 25 mars 1876 n'a pas pour objet d'étendre la procédure d'exequatur à des décisions qui n'y étaient pas antérieurement soumises.

Il. - De ces exemples on peut inférer à tout le moins que la Cour de cassation n'a ja- mais tenu pour négligeables les données de la tradition.

Le praticien en éprouve quelque perplexité.

En effet il semble bien que la tradition ne trouve aucune place dans l'enseignement du droit. Elle n'a plus fait l'objet depuis longtemps d'une étude systématique. Elle ne figure pas dans les tables, si complètes soient-elles, des grands traités de droit civil (22), ni dans les répertoires de droit, ni dans les recueils de jurisprudence.

Son rôle n'a somme toute été examiné que dans un bref traité des Pandectes belges (23), dans un essai de Paul Vander Eycken (24) et surtout dans l'œuvre magistrale de François Geny (25).

Il s'en faut cependant que'. la notion soit absente des préoecupations de la doctrine et de la jurisprudence. Le vocable apparaît même plus souvent qu'on ne s'y attendrait sous la plume des auteurs; il est plus rare dans les décisions judiciaires,

Acceptions différentes du terme tradition.

12. - Il s'avère que le terme est employé dans des· acceptions fort diverses.

En voici· quelques~unes, par ordre chrono- logique; elles visent :

tantum pertinet, Ulpien, Dig., f. 66) et que les auteurs du Code civil ont entendu la maintenir (Discours préliminaire au Code civil par Portalis, Locré, éd. b.; t. }er, p. 176 -' éd. fr., t. Jer, p. 300).

(19) Pas., 1953, I, 268.

(20) La tradition ne pouvait prévaloir contre le texte de l'article 2 in fine de la loi du 15 déc. 1872.

(21) Pas., 1953, 1, 355, note R. H., Arresten va het Hof van Verbreking, 1953, 304, précédé des con- clusions de M. le premier avocat général Hayoit de Termicourt. La note de la Pasicrisie souligne que la Cour suprême s'est ralliée à celui des trois systèmes en présence inspiré « de la tradition et du principe que la personne qui a acquis un état, par un titre régulier, le possède en quelque lieu qu'elle se trouve».

(22) Voy. notamment De Page, Planiol et Ripert, Beudant, Baudry-Lacantinerie (sous réserve d'indi- cations partielles à la rubrique Ancien droit) ... Voy;

aussi Beginselen van Belgisch Privaatrecht, t. Jer, Algemeen deel, par Van Gerven (1969). Seules les tables de Laurent font exception.

(23) V0 Tradition (Interprétation des lois), t. CIX, 1914.

(24) Méthode positive de l'interprétation juridique (1907), nos 112 et 113.

(25) Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tre éd., 1899, 2e éd., 1919 (nouveau tirage, 1954), t. Il, nOs 138 et s.,

1) des principes remontant au droit romain.

C'est, semble-t-il, ce qu'a voulu exprimer la Cour de cassation par «longue ,tradition»

(26);

2) des concepts contenus dans ['Ecriture.

C'est ainsi que le professeur Philonenko en a appelé à l'autorité de saint Paul (1 Corin- thiens, VII, 3 et 4) pour établir que la libre acceptation d'un commerce sexuel par une fem- me non mariée est la source d'obligations et de liens juridiques ne varietur entre elle et l'enfant (27);

3) des règles coutumières (28).

Ces règles sont souvent exprimées par des adages;

4) des règles du droit canonique.

« Devant l'insuffisance avérée de notre droit il faut parfois recourir à la tradition. Or en matière de mariage, la tradition c'est le droit canonique», écrit M. René Dekkers (29);

5) l'ancien droit, spécialement dans son état à l'époque moderne.

C'est le cas le plus fréquent et le plus clas- sique. M. René Savatier souligne, du reste, qu'avec l'ancien droit la filiation est proche, parce qu'elle n'est pas principalement de tech- nique juridique (29bis);

6) des principes fondamentaux de la Révolu- tion française.

Tel que : pas d'engagement valable pour une durée indéfinie (30), axiome dont on trou- ve une application toute récente dans la loi du 21 novembre 1969, interdisant expressément la conclusion à vie d'un contrat de travail ou d'emploi (art. 2 et 29; cf. art. 1780, C. civ.) (31);

7) des principes fondamentaux de régimes hé- ritiers de la Révolution française.

En effet les principes de 1789 ne se con- fondent pas absolument avec la « tradition des institutions républicaines > (32).

On pourrait rapprocher ce concept de cer- tains priilcipes essentiels formulés plus ou moins explicitement à l'aube de l'indépendance belge, tel le droit de défense (33);

(26) Voy. supra, nos 5 à 9.

(27) Rev. crit. dr. intern. pr., 19'50, p. 33; - voy.

aussi Ann. not., 1951 p. 326.

(28) Voy. Pand. B., V" cit., n° 1; - Baeteman et Lauwers, Droits et devoirs des époux (n° 416), à propos de la maxime Paterna, paternis, materna mater- nis.

(29) Note sous ICiv. Marche-en-Famenne, 10 juill.

1948, Rev. crit. jttr. b., 1949, pp. 26 et s., litt. C, p. 30; voy. ausJi p. 34. - Comp. Carbonnier, Droit civil, 6e

éd.,

105, p. 344. - Marty et

1

Raynaud (Droit ci~il, t. Jer, 2e éd., n° 454, p. 505) rappelent qu'avant! la loi du 7 nov. 1907, la juris- prudence française avait maintenu la tradition du droit canonique admettant la légitimation des enfants incestueux dès l'instant qu'une dispense avait permis le mariage des parents.

(29bis). Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, 2e série, n° 330.

(30) Cf. Jean Boulanger, « Principes généraux du droit et droit positif», in Le Droit privé àu milieu du

xxe siècle, p. 58, no 8.

(31) En revanche, le bail à ferme est devenu quasi- perpétuel (De Page, Compl., vol. IV, p. 470), voire perpétuel en fait (Closon, Le bail à ferme, 1970, p. 230).

(32) Invoquée par M. le commissaire du gouver- nement Fournier devant le Conseil d'Etat de France (26 juin 1959, Rev. dr. publ., 1959, p. 1004. Voy.

aussi Jean Rivero, «Le juge administratif français:

un juge qui gouverne ? », Dall., 1951, chron., p. 21).

(33) Cf. la mercuriale de M. le procureur général Hayoit de Termicourt, « Un aspect du droit de défen- se», J. T. 1956, p. 505; - comp. W. J. Ganshof

8) des conceptions, analyses et interprétations qui ont été admises par la doctrine et la jurisprudence au cours du XIX• siècle.

Ainsi la propriété considérée comme un droit absolu. M. Raymond Derine (34) a dé- montré que loin de remonter au Code civil, élaboré sous un régime autoritaire, et à ses premiers commentateurs, cette conception s'est fait jour sous Louis-Philippe; ainsi encore l'opi- nion selon laquelle le décret de vendémiaire an IV reposerait sur la solidarité des habitants de la commune, qui tend à être abandonnée au profit d'une présomption de faute de l'admi- nistration communale (35). On pourrait citer maint exemple d'idées qui par contre ont tou- jours cours à l'heure actuelle.

13. - Ce relevé n'est pas exhaustif (36).

Mais on ne saurait y ajouter sans sortir du sujet les préceptes auxquels se soumettent cer- taines catégories de citoyens (3 7), les règles tra- ditionnelles de droit étranger que nos tribunaux seraient amenés à appliquer, ou encore les ves- tiges de l'ancien droit observés spontanément contra legem par certaines populations mon- tagnardes de. la France (38).

14. - Les èinq premières acceptions relèvent toutes du droit français, tel qu'il se présentait dans sa diversité sous l'Ancien Régime (39).

Le droit romain, qui s'imposait en principe aux pays de droit écrit, n'était reconnu dans la France coutumière que comme ayant force de raison écrite ( 40).

Le droit canonique et, le cas échéant, !'Ecri- ture sainte, régissaient en ordre principal une grande partie du droit des personnes.

Les règles coutumières, pour la plupart rédi- gées depuis les XV" et XVI" siècles, consti-

van der Meersch, « Le droit de la défense, principe général de droit. Réflexions sur des arrêts récents», in Mélanges Dabin, 1963, t. II, pp. 569 et s., spéciale- ment pp. 602 et s.

(34) Grenzen van het eigendomsrecht in de XIXe eeuw, Anvers, 1955.

(35) Cf. note W. G., Pas., 1963, I, 32; - J. L.

Fag:qart, Chronique précitée, J. T., 1970, p. 110, n° 94.

(36) On pourrait encore citer, entre autres, les

« traditions notariales », qui sont en réalité des usages corporatifs rédigés.

(37) Voy. par exemple : Civ. Brux., 11 févr. 1961, J. T., p. 686 (avec référence à Deutéronome, VI, 9).

La tradition juive est ici un simple élément de fait, tout comme les « traditions du peuple » (Colin et Capitant, éd. Julliot de la Morandière, 1957, t. Jer, 297).

(38) Ainsi la coutume de s'en tenir au droit d'aînes- se, au BéariI, ou de «faire un aîné», en Auvergne (voy. : R. Houin, « Une enquête sur l'application du droit dans la pratique», Rev. trim. dr. civ., 1949, p. 24). Les mesures prises, depuis 1938 surtout, pour enrayer le morcellement des terres avalisent dans une certaine mesure ces pratiques.

(39) L'ancien droit belgique n'a guère laissé de tradi- tion juridique, hormis quelques usages locaux auxquels renvoie le Code civil et quelques habitudes, comme la préférence marquée pour ·\la communauté universelle dans quelques cantons du Brabant. Il constitue tout au plus, dans certaines matières, un « donné historique » (De Page, t. Jer, 3e éd., n° 1197, à propos de l'action alimentaire des· enfants naturels. --C. civ. art. 340b).

(40) Geny, op. cit. (éd. 1954), t. II, n° 138, p. 3, citant Merlin, Répertoire de jurisprudence, v0 Raison écrite, selon lequel « On entend par ces termes la disposition d'une loi, qui n'a point d'autorité coactive dans le pays où on l'invoque, et qui n'y doit, par conséquent, être suivie qu'autant qu'elle est conforme aux principes généraux et à la saine· raison». Il s'en faut donc que la raiSon écrite, expression synonyme de jus scriptum (cf. Pand. B., v0 Droit romain, n° 34, en note), représentât un droit supérieur. - Voy.

d'autre part: John Gilissen, «Le problème des lacunes du droit dans l'évolution du droit médiéval et moder- ne», in Le problème des lacunes en droit, études publiées par Ch. Perelman, Brux., 1968, pp. 197 et s.

(3)

tuaient la base juridique de la moitié nord de la France (41).

Le droit du royaume s'acheminait non seule- ment vers un rapprochement entre le Nord et le Midi, mais encore vers une synthèse des différentes sources de droit. Ce mûrissement était favorisé par les arrêts de règlement, les ordonnances royales et la doctrine. Il ne pou- vait manquer de donner une autorité considé- rable aux grands jurisconsultes qui y contri- buaient (42). Leur œuvre forme la tradition par e_xcellence.

15. - Dans l'ensemble les principes fonda- mentaux de la Réyolution de 1789 (43), voire de celle de 1830, relèvent plus exactement des principes généraux du droit (44).

16. - La jurisprudence et la doctrine appa- rues depuis le début du XIX" siècle, seraient- elles qualifiées de traditionnelles, doivent être considérées . techniquement comme des autori- tés sensu stricto (45).

1 7. - Nous nous rallions, en effet, à la définition de François Geny ( 46) : la tradition est l'ensemble des autorités antérieures à nos codifications. D'après les arrêts relevés ci-avant, c'est celle qu'admet implicitement la Cour de cassation.

18. - La tradition ne saurait être confondue avec la coutume, du moins d'origine populaire (47). L'existence de celle-ci exige un long usage de fait qu'accompagne chez les intéressés la conviction commune d'une sanction juridique (opinio juris) (48). La tradition, comme l'auto- rité, réside au contraire dans des jugements détachés émanant de personnes ou de corps déterminés (49). La continuité est essentielle (41) Comme du reste de nos provinces, hormis quelques enclaves mosanes, où le droit romain jouait le même rôle que dans les pays de droit écrit en France (Voy. Pand. B., v0 Droit ancien, n° 3).

(42) Autorité reconnue au delà des frontières de la France, au point que l'œuvre de Pothier était con- sidérée comme le droit commun de l'Europe occi- dentale, et l'est encore de nos jours en Afrique du Sud (Juris Cl., Droit comparé, v0 Afrique du Sud, n° 13).

Domat et Pothier sont cités parfois encore aux Etats-Unis (voy.: André et Suzanne Tune, Le droit des Etats-Unis d'Amérique, 1955, n° 105) et, semble-t-il, au Canada français (voy. : Louis Baudouin, Les aspects généraux du droit privé dans la province de Québec, 1967, pp. 96 et 97).

(43) Qui font partie du droit intermédiaire sensu lato.

(44) Pour autant, il va de soi, qu'ils ne se trouvent pas battus en brèche par la législation ou par les tendances profondes du droit contemporain. C'est ainsi que la liberté d'exercice des professions n'est plus admise sans des restrictions toujours plus nombreuses (voy. R. Screvens, L'interdiction professionnelle en droit pénal, Brux. 1957. - Rosseel, L'accès à la profession, 1967). Et qu'en France l'égalité n'est plus tout à fait

«l'âme du partage» pour les biens ruraux (cf. supra, n° 13, dernière note).

On remarquera que certaines idées de la Révolution française, du reste postérieures à 1789, reprises plus tard par la IIIe République et par les deux républiques suivantes, telle la laïcité de l'Etat, n'ont pas été con- sacrées intégralement par le constituant belge. La Belgique est plutôt un Etat neutre en matière reli- gieuse et philosophique.

(45) Voy. infra, nos 33 et 34.

(46) Op cit. n° 140, p. 12.

Le même auteur déclare d'autre part : « Entre Tradi- tion et Autorité proprement dite (moderne), il n'existe pas, sauf circonstances particulières, une différence de nature, mais plutôt seulement une différence d'époque et de durée» (n° 138, p. 2).

(47) Ni a fortiori avec les simples usages (cf.

De Page, t. Jer, 30 éd., n° 9, litt. B.).

(48) Geny, op. cit., t. Jer, n° 119 et t. II, n" 138.

- Comp. Dalloz, Rép. dr. civ., v° Coutume (par A. Lebrun), no 1.

(49) Geny, op. cit., t. II, n° 138.

à la coutume, alors que la tradition peut avoir été négligée, voire oubliée; mais son ancien- neté peut être relative (50).

L'expression «coutume traditionnelle> vise à proprement parler une règle coutumière plongeant ses racines dans l'ancien droit {51).

Il en va de même des brocards forgés par le peuple (52).

La différence entre tradition et coutume est apparue de manière particulièrement nette en matière de trqubles de voisinage. La position adoptée par la Cour de cassation a réalisé la paix judiciaire, selon l'expression du procureur général Paul Leclercq (53), en même. temps que la paix sociale. En France la jurisprudence ne s'est pas encore fixée. M. Jean-Bernard Blaise lui propose comme fondement les obligations coutumières qui se seraient établies entre voi- sins (84). A quoi M. Dabin objecte avec raison que ne se trouvent pas réunis les traits essen- tiels caractéristiques de la coutume, un certain usage généralement pratiqué par les intéressés dans la conviction que cet usage a force juri- dique obligatoire (55).

19. - La distinction entre la tradition et la coutume d'origine savante est moins tranchée.

Celle-ci consiste, d'après Carbonnier (56), en des formules et recettes dégagée~ par les juris- tes, peut-être avec l'approbation de la masse, mais auxquelles le temps, en tout cas, a_ donné sa patine. Elle s'exprime, d'après cet auteur, dans les principes généraux du droit et les maximes juridiques (57).

Les principes généraux (58), dont quelques- uns seulement remontent à l'ancien droit (59) constituent actuellement une catégorie distincte.

Quant aux maximes, ces « précipités de la tra- dition » suivant l'expression sagace de M. Paul

(50) Des coutumes peuvent naître postérieurement à une codification (voy. Carbonnier, op. cit., t. J<>r, n° 28, p. 106). D'après Geny (op. cit., t. II, n° 149) la jurisprudence est à notre époque la seule occasion vraiment féconde d'une coutume juridique, principale- ment d'une coutume générale.

(51) Voy. Carbonnier, op. cit., t. J<>r, no 163. - Cf. également Paris, S avril 1946, D. C., 363, à propos de l'attribution à l'enfant, sans te:xte légal, du nom patronymique de son père.

(52) A vrai dire, il n'en est guère qui soient pos- térieurs au Code civil.

(53) L'arrêt du 28 janvier 1965 (Pas., 1, 521, précédé des conclusions de M. l'avocat général Mahaux), excluant le recours contre l'entrepreneur du chef de rupture d'équilibre entre les propriétés, a également fait jurisprudence (voy. -aussi: Cass., 14 juin 1968, Pas., I, 1177; Rev. crlt. fur. b., p. 387, note Dabin).

(54) Responsabilité et obligation coutumières, Rev.

trim. dr. civ., 1965, p. 261. - Mazeaud et Tune (Responsabilité civile, 6° éd., 1965, n08 593 et s.) s'en tiennent à l'idée de faute.

(55) Note sous C~s., 14 juin 1968, Rev. crit. jur. b., 1%8, p. 391.

(56) Op. cit., n° · 28, p. 103. - Voy. aussi Claude Du Pasquier, Introduction à la théorie générale et à la philosophie du droit, 38 éd.,

no

96, p. 89.

(57) M. Carbonnier énonce, de manière qui nous paraît hasardeuse : « tous les principes généraux du droit ne s'expriment pas en maximes juridiques, mais toutes les maximes juridiques expriment un principe général du droit». II semble en effet que certaines brocards n'ont jamais eu qu'une valeur relative ou contestable, et qu'il convient de vérifier, pour chaque adage, si le principe qu'il traduit fait encore partie de notre droit.

(58) Soit du droit, soit d'une branche du droit.

Voy. infra, n° 22.

(59) Aucun exemple en droit administratif, sem-

ble-t~il (voy. Ganshof van der Meersch, Le droit de la défense, principe général de droit. Réflexions sur des arrêts récents, précité, pp. 580 et s., citant Rivero, op. cit.)

Foriers (60), on peut y trouver des éléments précieux du droit antérieur à la Révolution, remontant pour la plupart au droit romain ou médiéval. Un usage continu les caractérise également, encore que certaines d'entre elles aient été contestées, voire éliminées.

Place de la tradition dans notre système juridique.

20. - La tradition proprement dite repose au premier chef sur l'œuvre des grands juris- consultes et les maximes de l'ancien droit, re- prenant elles-mêmes des éléments plus anciens.

Sa place est d'autant plus difficile à déter- miner que notre système juridique repose essen- tiellement sur le droit écrit et que les auteurs des codes ont voulu rompre avec le passé (61).

L'article 7 de la loi du 30 ventôse an XII prescrit : A compter du jour où les lois (qui composent le Code Napoléon) sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, !es coutu- mes générales ou locales, les statuts, les règle- ments cessent d'avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui sont l'objet desdites lois composant le présent Code.

Au contraire d'autres pays (62), la France du Consulat a eu l'ambition et même l'illusion, spécialement en matière civile, d'inscrire dans la loi la quasi-totalité des règles juridiques (63).

21. - Le texte précité suscite trois obser- vations :

1) La loi abrogatoire n'abolit pas expressé- ment l'autorité de. la tradition. Elle ne pou- vait viser que les sources anciennes ayant force de loi proprement dite et incontesta- ble (64). Le législateur n'a d'ailleurs pas voulu écarter tout à fait celles qui avaient seulement force de raison écrite (65);

2) Elle ne s'applique qu'aux matières réglées par le Code civil et, par analogie, à celles qui ont été codifiées par des lois ultérieu- res (66). Dans les rares autres domaines et dans les interstices des codes, la tradition,

(60) L'ouverture à cassation en cas de violation d'une maxime de droit, note sous Cass., 9 nov. 1965, Rev. crit. jur. b., 1967, p. 139.

(61) Geny (op. cit., t. Il, n° 142) fait observer à ce propos que le but de la codification était d'unifier mais aussi de simplifier, tant le droit positif était devenu inextricable. Les menaces qui pèsent à nouveau sur le · droit, de plus en plus complexe à notre époque, seraient aussi redoutables s'il se trouvait soumis au même degré à l'influence des précédents.

(62) Tels l'Angleterre (ou la Hongrie avant le Code civil de 19S7).

Pour interpréter les textes du Recueil de droit catalan, il faut se référer à la tradition juridique de la Catalogne, inscrite dans les anciennes lois, les coutumes et la doctrine des auteurs d'où dérive ladite tradition. Cette prescription tend à empêcher les em- piètements du tribunal suprême sur le droit catalan (Juris-Cl. de droit comparé, v0 Espagne - pages roses - 8). Le droit de l' Aragon, du Pays basque et des îles Baléares contient une disposition semblable, d'inspiration régionaliste (ibid., n° 5).

(63) Le phénomène s'est répété lors de la promul- gation du Code civil allemand de 1900, réput6 le meilleur de son temps. Voy. aussi sur le caractère parfait et complet que les codificateurs tendent à attribuer à leur œuvre: Jacques Vanderlinden, Le concept de Code en Europe occidentale du XIJJe au XIXe si~cle, Bruxelles, 1967, pp. 164 et 200, 189 et 215.

(64) Geny, op. cit., n° 142, p. 16.

(65) Ibid. Le droit intermédiaire n'est pas con- cerné davantage p<>ur d'autres motifs; récent et unique pour toute la France, il ne présentait pas les mêmes inconvénients que l'ancien droit; il suffisait, d~s lors, d'abroger les lois révolutionnaires dans la mesure où elles étaient contraires au Code civil (voy. Laurent, t. Jer, Introduction, no 27).

(66) Geny, op. cit., n° 142, p. 18.

(4)

à l'égal· des autres sources anciennes, con- serve en principe sa valeur (67)_;

3) Enfin les auteurs du Code civil n'ont pas écarté l'éventualité de lacunes dans leur œuvre. L'article 6 a interdit au juge de re- fuser de juger « sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi» (68).

22. - Le vieillissement du Code civil (69) la confection parfois moins heureuse des lois , ultérieures, obligent aujourd'hui plus que jadis à puiser à d'autres sources que les textes mê- mes (70).

Le rôle de la coutume a été mis en évidence de manière. définitive par François Geny (7

n

Il reste toutefois limité et ne semble pas appelé à se développer sensiblement.

En revanche, les principes généraux du droit ont pris un relief certain depuis la dernière guerre. .On aura remarqué que les arrêts du 6 avril 1960 en font état; c'est, semble-t-il, la première allusion expresse (72).

23. - L'appel à la tradition au sens d'ancien droit n'a rien de récent. Les premiers commen- tateurs du Code civil, entre autres Merlin, « tra- ditionnaliste à outrance » au dire de Laurent (73), Toullier, Zachariae, en étaient imprégnés.

Bonnecase (74) a fait remarquer que de ma- nière assez inattendue l'école de l'exégèse voua à Pothier notamment· un véritable culte super- stïtieuJ(.

n

faut dire que le souvenir de l'in- fluence exercée par le maître d'Orléans était demeuré dans les mémoires (75). Laurent, en

(67) Cf. infra, n° Jl.

(68) Cette disposition . est remplacée par l'article 5 du Code judiciaire, plus formel encore : « II y a déni de justice lorsque le juge refuse de juger sous quelque prétexte que ce soit, même du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi».

(69) Encore qu'il soit beaucoup moins sensible que, par exemple, celui du Code pénal de 1867. Un péna- liste ne va-t-il pas jusqu'à évoquer « l'agonie de la loi » (André Marchal, « La loi ordonne, l'autorité commande», Rev. dr. pén., 1969-1970, p. 224).

(70) Voy. notamment Le problème des lacunes en droit, études publiées par Ch. Perelman, Bruxelles, 1968.

(71) Op. cit., t. Jer, n°s 109 et s. Le droit de la défense, principe général du droit, sera affirmé dans deux arrêts du 2 mai 1961 (Pas., 1961, 1, 926 et 928), couronnant une évolution également amorcée en 1950.

(72) Encore que la . Cour de cassation se fût déjà appuyée sur les « prin~ipes qui régissent· l'organisation judiciaire» dans un arrêt du 2 mars 1951 (Pas., 1951, 1, 482) de caractère manifestement général, alors que les « principes généraux » invoqués dans un arrêt dù 20 mai 1952 (Pas., 1952, 1, 608), rendu en matière

· d'impôts sur les revenus, référait à des règles de droit commun. L'expressfon ·«principes généraux du droit administratll'. » figure dans un arrêt du 29 avril 1960 (Pas., 1960, 1, 1000), après plusieurs applications implicites à partir de 1950 (voy. W. J. Ganshof van der Meersch, Le droit de la défense, principe général de droit, précité, pp. 574 et s. et les références. - Voy. aussi: Charles Huberlant, «Le droit admini- stratif belge comprend-il des principes généraux non écrits?» in Mélanges Dabin, t. Il, pp. 661 et s.

Àux termes de deux arrêts du 2 mai 1961 (Pas., 1, 926 et 928) le droit de défense constitue un principe général, inséparable de tout acte de juridiction; à partir de 1!}50, la Cour de cassation avait déjà affirmé les droits de la défense en l'absence de texte légal (voy. W. J. Ganshof van der Meersch, op. cit., pp. 607 et. s. Comp. : Rép. pr. dr. b., Compl., t. III, v0 Droit de défense, n05 6 et s.). Il est frappant qu'une évolution aussi considérable se soit manifestée dans les domaines du droit les plus divers en une dizaine d'années.

(7J) T. XXXIII, Tables, rubriques Merlin et Tradi- tion (interprétation des lois).

(74) Précis de droit civil, t. Jer, 19J4, n° 9Jbis ..

Voy. aussi : De Page, t. Jer, Je éd., n° 12.

(7S) Les éditions des œuvies de Pothier mises en relation avec le Code civil par Bemardi (1805) et·

Fen.et (1826), l'édition Dupin (18Jl), témoignent de son prestige.

dépit d'affirmations rigoureuses sur la force exclusive et suffisante de la loi (76), ne laissait pas de se référer à la doctrine antérieure au Code Napoléon (77). L'école historique, dans la mesure où elle s'intéressait au passé, atta- chait de l'importance surtout aux coutumes (78).

24. - Quoi qu'il en soit, la tradition jouis- sait toujours d'une renommée incontestable lorsque François Geny entreprit, à la fin du siècle dernier, de rechercher avec un regard neuf le rôle qui pouvait lui être attribué en droit positif. Il n'hésita pas à reposer une ques- tion à laquelle la doctrine classique avait ré- pondu négativement sur le terrain des princi- pes : l'autorité et la tradition constituent-elles une ·direction, qui s'impose en quelque mesure à l'interprète ? Au terme de longs développe- ments il concluait que les traditions anciennes, dans la sphère de la codification réalisée, n'ont qu'une valeur morale et historique.

Au contraire la force des autorités récentes, ou étrangères par leur objet au domaine des Codes, est plus positive, en ce sens qu'elles gui- dent l'interprétation comme complément néces- saire du droit, et suffisent à dicter des solutions, à défaut de toute raison supérieure (79).

Vander Eycken n'exprimait pas une opinion très différente, lorsqu'il considérait la tradition comme le plus faible des éléments susceptibles de vérifier la nature du but social du droit et la rangeait après la jurisprudence et la doc- trine (80).

25. - La théorie du rôle de la tradition n'a plus été refaite depuis, semble-t-il.

Quel est-il en pratique en droit contempo- rain ? En principe, nous nous en tiendrons à la place qu'occupent l'ancien droit et ses anté- cédents romains en droit civil belge. Elle appa- raît sous quatre aspects différents, dans les ma- tières codifiées (81), sans compter les cas où la tradition égare plutôt qu'elle n'éclaire (82).

26. - a) Rôle explicatif.

Tantôt l'examen de la tradition permet de mieux comprendre une institution reprise dans le Code civil (83). Laurent ne considère-t-il pas que les vrais auteurs du titre des Obligations sont Domat et Pothier (84). En matière d'obli- gations solidaires, dit De Page, les sources sont le droit romain et les enseignements de Du- moulin et de Pothier (85). L'article 1273, en matière de novation, «ne s'explique que par la tradition » (86). Celle-ci trace les limites de l'erreur admissible (87).

(76) Voy. t. Jer, titre préliminaire, nos 30 et s.

(77) Surtout Pothier et Domat (voy. t. Jer, Introduc- tion,

no

Jl).

(78) Ivoy. R. Saleilles, «Le Code civil et la méthode histori,ue », Livre du Centenaire, t. Jer, pp. 97 et s.,

spécial~ment pp. 122 et s.; - voy. aussi Geny, op.

cit., t. Il, 191.

(79) Op. cit. n° 154, p. 7J.

(80) Op. cit., n° 11J. Selon cet auteur le recours à la tradition ne se justifie que dans la mesure où les besoins auxquels correspondait la législation ancienne seraient encore ceux de notre époque, la présomption étant en sens contraire.

(81) Cf. infra, n° Jl.

(82) Voy. infra, n° J2.

(8J) Il est parfois utile de déterminer l'époque à laquelle une tradition est apparue. Ainsi l'immutabilité du régime matrimonial ne remonte qu'au XVIe siècle.

(A. Rouast, cité par Baeteman, De hervorming van het huwelijks goederenrecht in West-Europa, t. Jer, p. J78, n° 87).

(84) Et non les jurisconsultes romains (t. IX, n° 420).

(85) T. III, Je éd., no JlJ, où. il est rappelé que le Code a paraphrasé ces auteurs, non sans certaines confusions.

(86) Laurent, t. XVIII, n° 260.

(87) Cass., 6 janvier 1944, cité supra, n° 8.

Tantôt ce sont les controverses mêmes entre les auteurs anciens qui aident à situer le pro- blème et à dégager une solution. Tel est le cas de la suggestion et de la captation, considérées comme viciant la volonté de l'auteur d'une libéralité (88).

Tantôt les conceptions expressément rejetées ou reprises partiellement par les auteurs du Code civil mettent en relief le système qu'ils ont adopté. L'article 1251, 3'>, a supprimé des incertitudes en matière de subrogation (89).

L'article 2251 a substitué un système restrictif au laxisme de l'ancien droit quant à Ja suspen- sion de la prescription (90).

La bonne foi est la seule des trois conditions requises par le droit canonique <J.,Ui ait été re- tenue par le Code civil pour qu1il y ait mariage putatif; cette notion n'est plus entendue corn-.

me autrefois au sens d'absence de faute ou d'intention méchante; dès lors rien n'interdit de décider que les enfants nafürels légitimés par le mariage postérieurement déclaré nul, demeurent légitimes par. l'effet de la putati- vité (91).

Enfin le silence de la loi peut au contraire signifier le maintien implicite de ]a tradi- tion (92).

27. - b) Rôle complémentaire.

L'appel à la tradition est nécessaire dans le cas où une institution préexistante n'a été trai- tée que de façon sommaire ou insuffisante par le Code civil.

A cet égard Laurent, constatant le· caractère lapidaire de l'article 1167 du Code civil, seul texte organique relatif à l'action paulienne, n'hésite pas à écrire : « la tradition, dans l'es- pèce, est notre loi » (93).

Les travaux préparatoires du Code civil se bornent-à énoncer, quant aux dons manuels,

« qu'il n'y a là d'autre règle que la tradition »

(au sens de remise) (94). L'ancien droit et l'épreuve des faits sont ici les meilleurs appuis de l'interprète (95).

Autres exemples : la distinction, en matière de mariage, entre les empêchements prohibitifs et dirimants (96); l'exigence de concessions ré- ciproques pour qu'il y ait transaction (97); la théorie générale de I'exceptio non adimpleti contractus, qui trouve appui chez Domat et (88) De Page, t. VIII, vol. 1, nos 98 et s., qui préfère le critère indiqué par Guy Coquille à ceux de Pothier et de Furgole.

(89) De Page, t. III, Je éd., n° 545.

(90) De Page, t. VII, n° 1219.

(91) Civ. Brux., 25 juillet 1952, J. T., 195J, p. 259.

(92) Cf. Cass., 28 avril 1949, en matière d'acte de commerce, cité supra, n° 9. - Comp. Cass., 16 janv. 1841, Pas. 1, 72), également rendu en matière commerciale. - Rapp. Cass., 16 janv. 195J, en matière d'exequatur, cité supra, n° 10.

(9J) T. XVI, n° 4JJ. Laurent vise la tradition romaine, que pomat n'a fait que commenter. Cf De Page, t. III, Je éd., n° 206 et Cass., 16 mai 1890, cité supra, n° 6.

(94) Rapport au Tribunat, cité par De Page, t. VIII, vol. 1, 2e éd., no 494, p. 589, note 1.

(95) Cf. Cass., 6 févr. 186J, Pas.,, 186J, 1, 424 et 14 mars 1889, cités supra n° 4; - De Paee, ibid., n° 494, 495 et 517. Il semble que si la Cour de cassation se proposait de motiver un arrêt admettant la validité d'une donation déguisée, elle serait égale- ment amenée à~ faire appel à la tradition (voy. De Page, ibid., no 49J, texte et note 3, p. 586).

- (96) De Page, t. Jer, Je éd. n° 6J2 c. Il est vrai que le législateur de 1804 a consacré implicitement cette distinction (ibid.).

(97) J. De Gavre, Le contrat de transaction, t. 1er, Bruxelles, 1967, n° J2; - Laurent, t. XXVIII, n° J27, s'appuyant sur les lois romaines en dépit de l'opinion opposée de Domat, reproduite par Bigot-Préameneu.

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