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Les deux glaives ou la lutte du sacerdoce et de l’empire pour la primauté au moyen âge (VIème – XIIIème) siècles. pp. 43-60.

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LES DEUX GLAIVES OU LA LUTTE DU SACERDOCE ET DE L’EMPIRE POUR LA PRIMAUTE AU MOYEN AGE (VIEME – XIIIEME) SIÈCLES.

Dr. YAO BI GNAGORAN Département d’Histoire Université de Cocody, Côte d’Ivoire

RESUME

Après une longue lutte hégémonique tantôt sourde tantôt ouverte entre les deux glaives, ceux-ci s’accordent à mettre un terme à leur rivalité et à délimiter leur sphère de compétence. Le concordat de Worms leur en donne l’occasion : ainsi seigneurs et rois ne devront plus s’immiscer d’aucune façon dans les affaires de l’Eglise, en particulier l’investiture laïque, qui relève de la seule autorité du pape et qui peut, par pure grâce, les y admettre. Pour la simple raison que le pouvoir des rois procède de l’autorité pontificale, qui elle- même se reçoit de Dieu, qui en est l’expression de sa primauté.

Mots-clés : concordat, dictatus-papae, Eglise, empereur, glaive, investiture laïque, nicolaïsme, pape, pouvoir, spirituel, temporel, simonie, Worms.

SUMMARY

After a long hegemonic fight sometimes inexpressive sometimes opened between both swords, the letters agree to end up their rivalry and delimit their competition sphere. The Worm’s concordat gives them the opportunity: thus, nobles and kings must no more involve in anyway in Church affairs, in parti- cular the laic investiture which is dependent on the only authority of the pope who can, by mere grace, admit them. For the simplest reason that the power of kings proceeds from the papal authority receive from God who is guarantor of supremacy.

Key words : concordat, dictatus-papae, Church, emperor, sword, laïque investiture, nicolaism, pope, power, spiritual, temporal, simony, Worms.

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INTRODUCTION

Le glaive ou l’épée de combat à deux tranchants, pour frapper d’estoc et de taille, est à la fois symbole de la guerre et de la justice divine, voire de la justice tout court : le glaive tranche. Il est donc une arme de décision, parfois le seul moyen de résoudre un problème et d’atteindre un but. Il évoque tout aussi bien la sagesse qui ouvre à l’éveil spirituel que la puissance capable de donner et d’ôter la vie. Ainsi se caractérisent la royauté et la papauté, deux puissances engagées dans une lutte sempiternelle de domination et de sujétion, et ayant entretenu durant tout le moyen âge des rapports plus qu’ambigus : tantôt de collaboration et d’alliance, tantôt de tensions et de leadership, alors que rien ne devrait entacher leurs relations tant elles sont radicalement opposées dans leur nature.

Dans sa volonté de vivre en société et gérer ses libertés, l’homme a depuis des lustres, confié ses préoccupations à un seul groupe, à une seule personne ou à un régime perçus comme garants de l’ordre social, de toutes les libertés afin d’œuvrer à son profit. Il en est ainsi d’Alexandre le Grand1, de Jules César2, de Néron3 etc., dont les pouvoirs absolus les faisaient passer pour des divinités. Il en est de même de l’Eglise : bien que son fondateur n’eut aucune intention de créer une structure de commandement selon qu’il affirme : «Mon Royaume n’est pas de ce monde» (Jn. 18, 36) ou bien à ses disciples : «Vous êtes dans le monde mais pas du monde» (Jn. 15, 19), elle a bien conscience que toute société qui veut éviter l’anarchie, doit consentir à une certaine organisation régie par des normes. Aussi va-t-elle peu à peu conférer tous les attributs du pouvoir à une seule et unique entité, la papauté, faisant d’elle une société dans la société de son temps. Les deux glaives temporel et spirituel disposant chacun d’une parcelle d’autorité, vont dans le cadre de leur cohabitation tantôt se courtiser tantôt s’affronter violemment, chaque protagoniste cherchant à imposer sa suprématie à son concurrent.

1- Roi de Macédoine en Grèce de 336 à 323 avant J.C., il était avide de grandeur. Pour cela, il fit la conquête de tout l’empire perse (Asie Mineure, Syrie, Egypte et Mésopotamie) dont il se rendit maître, avant de mourir à 33 ans, sans héritier.

2 Empereur et dictateur romain (48-44 av.J.- C.) qui laissa son nom à l’institution impériale. Il fut si célèbre par sa dictature que ses successeurs, même ceux qui n’appartenaient pas à sa famille, ajoutèrent son nom au leur. La monnaie romaine portant son effigie, Jésus que ses détracteurs voulaient prendre à défaut a dû leur conseiller de «rendre à César ce qui est à César», Mt 22, 15-22.

3 Ce fut l’empereur romain qui institua officiellement à partir de l’an 64 de notre ère la persécution des chrétiens. Prenant pour prétexte un incendie survenu à Rome dont il était probablement l’auteur, il ordonna de faire arrêter tous les chrétiens soupçonnés d’en être les couples. Les apôtres Pierre et Paul moururent suppliciés sous son règne.

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Tel est l’enjeu que cet article essaie de mettre en évidence. Après l’analyse des rapports controversés des deux glaives avant le 10e siècle, seront évoquées la lutte pour la primauté âprement disputée par ces deux entités et ses inévitables incidences sur l’empire et la papauté.

I. DES RAPPORTS AMBIGUS AVANT LE 10E SIECLE.

Rome étant dévasté par des barbares venus de l’Europe du Nord, les empereurs régnants perdent leur autorité. Mais l’Eglise devenue maîtresse de la situation ne peut à elle seule contenir les velléités des conquérants. Les deux instances spirituelles et temporelles conviennent alors de mettre en sourdine leur lutte hégémonique afin de faire barrage à l’ennemi extérieur. Quitte à y revenir une fois la victoire acquise et la liberté retrouvée.

1. Alliance et collaboration

Constamment aux prises avec les envahisseurs Lombards et Wisigoths, L’Eglise qui cherchait à poser les fondations de la chrétienté médiévale n’était pas assez puissante pour réaliser son projet et ainsi imposer son hégémonie au pouvoir temporel. Au contraire, elle avait besoin du soutien de celui-ci pour contenir les assauts ennemis. Sans armée ni finances, sans terre bien délimitée, elle était obligée de sceller des alliances. C’est dans ce contexte qu’intervient la première alliance entre les deux pouvoirs en 754, lorsque le pape Etienne II vient à Saint Denis dans la Basilique parisienne sacrer Pépin Le Bref,4 « roi des Francs » et « patrice des Romains », et recevoir de lui confirmation de son autorité sur le patrimoine de St Pierre et promesse de donation sur Ravenne alors capitale d’Italie. C’est le début de l’Etat pontifical5 qui fait de l’Eglise une société dans la société.

Cette alliance se renforce en 800 avec Charlemagne, fils de Pépin Le Bref et grand défenseur de l’Eglise. Celui-ci avant d’exercer son pouvoir, vient à St Pierre de Rome pour se faire couronner nouvel empereur romain par le pape Léon III. Contrairement à ses prédécesseurs attachés à la conception Césaro- papiste du pouvoir,6 Charlemagne pense que l’Eglise doit être l’objet de soins constants et n’est pas à son service. Néanmoins le pape bénéficie de sa protection et recourt à sa justice en cas de besoin, dans la mesure où l’Eglise n’a pas encore de Droit ecclésiastique codifié. C’est dire que la question de

4 Successeur de Clovis Ier roi des Francs, qui évinça les mérovingiens en 751.

5 C’est la reconnaissance par les empereurs successifs du pouvoir temporel des papes, sur les territoires conquis ou à conquérir par eux, et qui devinrent pendant près de onze siècles les propriétés de l’Eglise.

6 Caractère d’un empire politique qui cherche à subordonner l’Eglise à l’Etat qui lui succédera.

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primat ne se pose pas, et que les deux sphères s’efforcent de collaborer dans l’estime mutuelle. Toutefois le pape jouit d’une apparente primauté, en ce sens qu’il est le seul à pouvoir conférer à la maison régnante la dignité royale et impériale. Il est celui qui «donne autorité» à l’Empereur, en le couronnant par la Crosse et l’Anneau. Charlemagne en est si conscient qu’il reconnaît être «roi par la grâce de Dieu», et partant le légitime défenseur de l’Eglise et de ses fidèles, ce qui l’autorise à s’attribuer une part prépondérante dans son gouvernement : «A moi il appartient avec l’aide de la divine miséricorde de défendre en tous lieus la Sainte Eglise du Christ, par les armes en dehors contre les incursions des païens et la dévastation des fidèles, au-dedans en la protégeant par la diffusion de la foi catholique» «A vous, Très Saint Père, il appartient levant les mains vers Dieu avec Moïse, d’aider par vos prières au succès de nos armes.»7

A l’instar de ce que fut jadis Constantin en Orient, Charlemagne se considérait «évêque du dehors», chargé du salut de ses sujets restés en dehors de l’Eglise, en même temps que responsable de ceux qui sont en dedans. Ces diverses actions qui apparaissent à première vue comme une usurpation, ne sont en réalité qu’un appui ferme du pouvoir temporel à l’Eglise. En ce sens que Charlemagne et Léon XIII sont censés exercer des charges égales chacun en son domaine. Mais par leur sacre, les rois Francs ont la délicate mission de convertir au christianisme leurs sujets, c’est-à-dire les habitants des territoires qu’ils ont annexés. Aussi le combat de l’empereur devient-il celui du pape, tout comme les pays conquis par lui deviennent d’office terres de mission destinées à l’exploitation de l’Eglise. Car pendant le règne de Charlemagne, les évêques et les moines bénéficièrent de grandes propriétés terriennes et des tonlieux : taxes levées sur des marchandises à la vente : ce qui accru considérablement le pouvoir financier et économique de la papauté. Cette imbrication originale des deux pouvoirs qui comporte subordination et suprématie réciproques, se transforme bientôt en une lutte feutrée, dès lors que les domaines des papes se muent progressivement en suprématie politique et financière qui les discrédite et leur attire paradoxalement la convoitise et l’inimitié des puissances séculières à partir du Xème siècle.

7 Martin FLICHE, Histoire de l’Eglise, t.7 : L’Eglise au pouvoir des laïques (888-1057), Bloud &

Gay, Paris 1942, p. 50

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2. Début des heurts

En prenant donc appui sur le pouvoir temporel pour accroître sa puissance, l’Eglise devrait s’attendre à une contrepartie, surtout qu’elle en arrive à une confusion des valeurs. Oubliant le précepte évangélique selon lequel les « chrétiens sont dans le monde mais pas du monde », et ayant pris la fâcheuse habitude de se mêler aux affaires du monde à travers le double système de seigneurie et de la féodalité, elle est entrée de plein pied dans ce système. Ainsi du fait des donations, tout évêque, tout abbé se retrouva à la tête d’un vaste domaine foncier et, à ce titre, est devenu seigneur rural dont le comportement n’est pas différent d’un quelconque seigneur. Lequel a, en plus d’une « réserve » et des tenanciers, le droit d’imposer des corvées, de rendre la justice et se mêler de bien d’autres choses qui sont les apanages exclusifs de la féodalité. Autant dire que le dignitaire ecclésiastique ressemble étrangement à son voisin laïc : comme lui, il a de vastes bâtiments, des officiers, des domestiques, des administrateurs pour ses domaines et des percepteurs pour ses revenus. Rien d’étonnant que sa vie elle-même soit, sinon peu évangélique du moins trop «seigneuriale», trop fastueuse.

La confusion ainsi entretenue entre les questions morales et les données politiques et sociales, conduit à une grave immixtion du spirituel dans le temporel qui en profite pour s’aliéner l’Eglise. En associant étroitement, consciemment ou non son destin aux réalités sociologiques de son époque, celle-ci s’est laissé endormir par la féodalité au point de compromettre, au témoignage de Daniel Rops, ce qu’elle a de plus noble et de plus inaliénable c’est-à-dire «sa fidélité profonde à ses principes». Devenue prisonnière des puissances séculières qui s’efforcent de la maintenir dans cet état de vassalité, L’Eglise qui y voit une perte manifeste de son autorité va passer à l’offensive, rendant inévitable l’affrontement entre les deux glaives.

II. LA PRIMAUTE EN QUESTION : LE TEMPOREL OU LE SPIRITUEL ? L’enjeu que suscite cette question se laisse saisir dans l’évolution des rapports des deux entités. Après plus d’un siècle d’hégémonie du temporel sur le spirituel, la querelle des investitures transforme cette victoire en compromis entre les adversaires, puis en triomphe du religieux grâce au courage et à l’audace de quelques pontifes hors pairs.

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1. La vassalisation du religieux ou la primauté du temporel

A la mort de Charlemagne, ses héritiers ont du mal à diriger l’empire8. La sécurité autrefois garantie par le roi devient l’affaire des seigneurs propriétaires des terres : Comtes, Ducs, Chefs territoriaux qui se partagent l’héritage des carolingiens et qui plus est, se donnent le droit de nomination des prêtres et des évêques : c’est l’investiture laïque, qui équivaut à la dépossession de l’Eglise de ses prérogatives spirituelles et la remise en cause de sa Constitution. Car plus qu’au siècle précédent, les titulaires des évêchés et des abbayes deviennent d’office des vassaux des seigneurs. Et les prêtres et les évêques qui possèdent des domaines sont enrôles dans ce système : pratiquement toute la hiérarchie ecclésiastique devient vassale de la société laïque. Devenu sujet d’un seigneur au même titre que les laïcs, l’évêque possède sur son domaine une juridiction, une justice et une armée. Mais ces possessions gracieusement attribuées ont leur contrepartie : non seulement les règles anciennes de l’élection épiscopale par le clergé et le peuple de Dieu ne sont plus respectées, mais surtout les fiefs acquis ne sont pas héréditaires : à la mort du titulaire, les évêchés et les abbayes sont récupérés par les seigneurs, les rois ou empereurs pour être légués aux personnes de leur choix. Ces nouveaux liens font planer le doute sur la qualité des évêques, en ce sens que leur désignation par les seigneurs et princes obéissent moins à des considérations religieuses qu’à des buts intéressés. Pour preuve, ceux-ci mettent en avant en ce qui concerne leur choix, le serment d’allégeance. Ainsi en 989, avant de donner l’archevêché de Reims à Raoul, Hugues Capet, petit fils du premier Duc de France Robert le Fort, élu roi par les seigneurs, exige de lui un serment explicite de fidélité : «Je, Raoul, archevêque de Reims, promet aux rois de France Hugues et Robert, de leur garder entièrement ma foi, de leur donner conseils, de ne pas porter secours à leurs ennemis par infidélité. »9 Par cet acte, l’évêque devient vassal du roi puisqu’il reçoit de lui l’évêché considéré comme un bénéfice qui tient de sa pure grâce. En retour, il est tenu envers son seigneur à divers services d’ordre temporel, auxquels il est astreint tant en raison de sa foi que du don qu’il a reçu. Toutefois pour mériter la confiance du roi, il doit persister dans sa foi, sinon celui-ci lui retire

8 L’héritage que Charlemagne légua à ses quatre fils était si immense qu’ils préférèrent mener une vie oisive faite de vices de toutes sortes : promenade, fornication, ivrognerie et gabegie.

La conséquence logique de cette vie de dépravation fut leur spoliation.

9 Paul CHRISTOPHE, L’Eglise dans l’histoire des hommes, t.1. Des origines au XVI ème siècle, Droguet & Ardant, Paris 1982, p.210.

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tous ses biens. Il arrive même que le roi, en vertu de son pouvoir absolu, punisse les ingrats ou les perfides comme ce fut le cas en 931 de Boves, évêque de Chalons, que Robert jeta en prison pour s’être montré infidèle et donna son évêché à Milon10. C’est dans ce contexte de domination absolue et de mainmise totale du glaive temporel sur les affaires ecclésiastiques qu’intervient la querelle des investitures, un des épisodes marquants de cette lutte.

2. La querelle des investitures

L’inversion des rôles érigée en système à la tête de l’Eglise se double d’autres maux, qui non seulement accentuent sa décadence, mais favorisent aussi le sursaut de certains membres de sa hiérarchie, en l’occurrence des papes réformateurs, qui se donnent pour objectif de la libérer, en imposant leur théocratie ou gouvernement aux princes séculiers.

a) Le contexte

Selon un usage devenu familier sous la féodalité, les rois et les seigneurs ne se contentent plus d’élire des personnes de leur choix comme évêques ; ils vendent la charge au plus offrant : c’est la simonie11 ou le trafic des choses saintes contre une valeur précaire, argent ou objet appréciable en argent.

Ainsi en 991, le Comte de Toulouse Guillaume Tailleferre exige de Bernard abbé de Beaulieu, une somme d’argent pour lui donner l’évêché de Cahors.

La pratique était si courante et l’abus si répandu qu’Augustin Fliche constate amèrement : «Dans l’Eglise qui appartient à Dieu seul, il n’y a presque rien qui ne soit donné à prix d’argent : épiscopat, prêtrise, diaconat et ordres mineurs, archidiaconat, doyennés, prévotés, trésorerie, baptême, sépultures.»12 Outre ce fléau, il y a le nicolaïsme13 ou le concubinage des prêtres, évêques et papes : une autre perversion morale qui n’a cessé d’intriguer les esprits du Moyen âge. Tous ces relâchements ou pratiques peu amènes fragilisent d’avantage l’autorité ecclésiastique, et donnent libre cours aux seigneurs et

10 Idem., p. 211.

11 Nom donné en référence à Simon le magicien, qui voulut obtenir contre de l’argent le même pouvoir donné par le Saint Esprit aux apôtres (Ac. 8, 18-19).

12 Martin FLICHE, op. cit. p. 65.

13 Les nicolaïtes sont une catégorie de prêtres dans l’Eglise qui avaient optés pour le célibat, mais qui ont été incapables d’assumer leur condition. C’est ainsi que le Seigneur a qualifié les responsables chrétiens de l’Eglise d’Ephèse (Ap. 2, 6) qui se montraient infidèles à leurs épouses et qui n’accomplissaient pas promptement leur charge à la tête de l’Eglise.

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princes d’organiser à partir du 10è siècle toutes les élections épiscopales, et de voter des lois autorisant les clercs à élire leurs pairs. Quant aux bénéfices, évêchés et monastères, les seigneurs même profondément chrétiens, les considéraient comme leurs propriétés, léguées exceptionnellement à des titulaires astreints à des fonctions religieuses, mais sur lesquels ils exerçaient des droits indiscutables. Les paroisses ne sont pas en reste : l’église y est souvent construite par le grand propriétaire et dotée par lui. Son descendant en est le maître absolu, qui exige en particulier le partage des revenus qu’elle produit : dîmes, taxes payées à l’occasion des baptêmes, mariages ou enterrements (casuels). En clair, l’Eglise appartient au seigneur comme le four banal, le moulin, le pressoir. Et il peut y affecter un clerc de son choix qui lui prêterait serment de fidélité et qu’il investirait de sa charge. La papauté elle-même n’échappe pas à cette mainmise des laïcs.

En effet, le siège pétrin (de Saint Pierre) ayant été trop souvent l’enjeu des luttes entre les factions, le souverain pontife ne pouvait espérer avoir sa consécration qu’après avoir juré fidélité à l’empereur, lequel maintenait le Saint-Siège dans une stricte dépendance voisine de la sujétion. Un tel accaparement de la primauté par la puissance temporelle ne pouvait en tout état de cause, aller sans conséquences. Certains papes persuadés des risques que les empereurs et rois faisaient courir à l’Eglise, en nommant à des hautes responsabilités ecclésiales des gens indignes tels des simoniaques et des nicolaïtes, vont poser des actes décisifs pour enrayer le mal. Et le premier de ces actes qui devait libérer l’Eglise s’accomplit sous le bref pontificat de Nicolas II (1059-1061)14. En promulguant au Concile du Latran du 13 avril 1059 son fameux décret qui fixe les procédures en matière d’élection pontificale, celui- ci met fin à l’usage du choix du pape par l’empereur : «Désormais à la mort d’un pape de l’Eglise universelle de Rome, avant tout, les cardinaux évêques devront, en commun et avec la soigneuse attention, rechercher le plus digne, puis faire venir les cardinaux clercs, enfin, le reste du clergé et le peuple s’avanceront pour adhérer à la nouvelle élection.»15 Ce décret comporte deux éléments : l’un définitif et catégorique crée un droit nouveau, retire le choix du pape aux laïcs et le confie à ses dignitaires les cardinaux, qui occupent

14 De son vrai nom Gérard de Florence, successeur de Léon IX (1048-1054), il conditionna son choix comme pape par son cousin Henri III empereur régnant et électeur unique, si seule- ment celui-ci doit être authentifié par le clergé et le peuple romain comme cela se passait initialement.

15 Daniel ROPS, l’Eglise de la cathédrale et de la croisade, Librairie Arthème Fayard, Paris 1952, 279.

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désormais une place considérable dans l’Eglise ; l’autre constitue un salut poli envers l’empereur.

Ces nouvelles dispositions qui visiblement foulent au pied les prétendus privilèges de la puissance temporelle, entraînent des mécontentements et rébellions de sa part, allant jusqu’à l’élection d’anti-papes tels Victor IV, Pascal III, Calixte III16 etc. D’ailleurs dés la promulgation du décret on vit la noblesse romaine s’agiter à grands bruits d’armes ; et la Cour de Germanie refuser de recevoir le légat du pape qui venait le lui notifier. Quant à Frédéric Barberousse qui rêvait d’une domination universelle, il lui était difficile d’accepter l’allégeance de quelque pape. Bref, le pouvoir temporel dans son ensemble n’entendait pas considérer ni respecter les décrets des papes qui avaient pour objet de les assujettir. Au fil du temps, les positions se radicalisent et les déclarations deviennent incisives : les tenants du spirituel se demandent de qui l’empereur tient la couronne ? Sinon du Pape sans lequel il n’y a point d’empereur. Et si cette assertion est tenue pour vraie, c’est que la primauté appartient en réalité au chef spirituel devant lequel l’empereur doit se plier.

C’est cette prétention que rejettent les représentants du glaive temporel, en la personne de Frédéric II (1212-1250) roi des Romains qui rétorque : «Toutes les religions se valent et ne valent pas grand-chose» «La terre entière aspire avec bonheur à la domination impériale. Au demeurant, l’Empereur n’était-il pas la loi vivante ?»17. Sur ce, le Chancelier allemand le qualifia de «César, lumière admirable du monde»18.

L’empereur romain d’alors était si convaincu de sa primauté, que les menaces d’excommunication brandies par l’Eglise ne l’ébranlèrent point. Au contraire il entretenait la sombre mais légitime idée de devenir le seul maître de la chrétienté à la mort de Grégoire IX. C’est que depuis deux ans, il régnait en maître absolu sur l’Occident faute de contre-pouvoir ou d’autorité concurrente.

Il agissait donc à sa guise, ordonnant la persécution des mendiants19 et la

16 Sont considérés par l’Eglise comme antipapes, les évêques dont les nominations ne sont pas régulières, c’est-à-dire conformes aux règles d’investiture canonique.

17 Daniel ROPS, op. cit., p. 255 18 Ibidem. p. 225

19 On désigne sous le nom de « Mendiants », les ordres des mineurs et des prêcheurs fondés respectivement par saint François d’Assise et saint Dominique de Guzman, qui consacrèrent l’essentiel de leur apostolat aux pauvres en optant eux-mêmes pour une vie de pauvreté. Cet idéal contribua à combattre l’immoralité et la corruption de certains clercs et des princes de cette époque.

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brimade des teutoniques20. Il avoue son admiration à l’ambassadeur d’Egypte, à qui «il vantait l’instruction du Khalifat rattaché directement au prophète, qui est bien supérieur à cette habitude stupide qu’on a chez les chrétiens d’élire chef n’importe qui». Allusion faite au pape, et qui révèle la profondeur de l’antipathie qu’il avait à son égard. Par ces diatribes, l’on mesure aisément l’ampleur de l’antagonisme qui oppose la papauté et l’Empire. Désormais, deux conceptions du monde diamétralement opposées vont s’affronter : celle du pape visant à maintenir débout la chrétienté et sauve l’orthodoxie par une centralisation croissante des pouvoirs entre ses mains ; celle de l’empereur tentant de rétablir l’unité méditerranéenne par la réconciliation des religions diverses, et l’indépendance du pouvoir laïque à l’égard de l’Eglise. Et c’est justement dans ce contexte de crise hégémonique larvée que des hommes providentiels en l’occurrence les papes Grégoire VII et Innocent III, vont se succéder sur le trône pontifical, pour restaurer l’image de l’Eglise et en faire l’unique autorité à la tête de toute la société médiévale.

3. Des personnages providentiels.

a) Grégoire VII (1073-1085).

De son vrai nom Hildebrand évêque de Pérouse, Grégoire VII avait déjà, avant son élection, une haute idée de l’autorité pontificale : «Le pape, affirme t-il, est le seul homme dont tous les peuples doivent baiser les pieds ; s’il est canoniquement élu, il est rendu saint par les mérites de Saint Pierre »21 Poursuivant son réquisitoire il ajoute : «C’est l’orgueil humain qui a inventé le pouvoir des rois, c’est la pitié divine qui a établi celui des évêques.»22 Par conséquent, les pouvoirs temporels ont l’obligation de se conformer strictement à leur devoir envers l’Eglise romaine : celui de ne pas se mêler des affaires religieuses notamment l’investiture ecclésiastique. Et pour joindre l’acte à la parole, il fait publier en 1075 au début de son pontificat, un ensemble de vingt propositions23, le fameux «Dictatus papae », qui résument ses intentions réformatrices et formulent clairement la doctrine pontificale de la primauté romaine : «Puisque le pape, témoin du Christ sur terre est l’héritier des pouvoirs que les apôtres ont reçus, aucun autre du monde ne peut rivaliser avec le pontife romain, lieutenant de

20 Ce sont des ordres hospitaliers et militaires créés en 1198 en Terre Sainte (Jérusalem) par des croisés allemands et dont les membres sont recrutés dans la noblesse allemande.

21 Daniel ROPS, op. cit., pp. 235-236.

22 Daniel ROPS, op. cit., p. 237.

23 Une sorte de table des matières d’une collection canonique définissant les droits et préroga- tives romains. Cf. Klaus SCHATZ, La primauté du pape. Des origines à nos jours, Cerf, Paris 1992, p.136.

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Dieu»24ou encore : «L’Eglise romaine a été fondée par le Seigneur…Seul le pontife romain mérite d’être appelé universel…Il lui est permis de déposer empereurs….Seul le pontife romain est détenteur d’une responsabilité et d’une autorité universelles qui s’imposent aux souverains eux-mêmes…»25.

C’est ici que se révèle toute la suffisance de la théocratie pontificale, en- tendue comme le gouvernement des hommes par Dieu, au moyen d’un hié- rarque suprême le pape. Face à cette théocratie, l’absolutisme impérial ne désarme pas. Au contraire il continue de se dresser à l’image d’Henri IV qui, dédaignant les prérogatives du pape, nomme à la tête de l’évêché vacant de Milan un des siens. Grégoire VII réagit par une bulle demandant à Henri IV de se repentir sous peine d’excommunication et de déposition définitive. Non seulement ce dernier refuse, mais surtout fait réunir à Worms en janvier 1076 un concile national regroupant des laïcs, des archevêques de Mayence et de Trêves et le cardinal Hugues le Blanc. Ce bloc d’amis et de complices décide de la déposition de Grégoire VII accusé de plusieurs crimes entre autres, son usurpation du trône pontifical sans l’approbation de la royauté, le trouble dont il se rend coupable dans tout l’Occident et sa volonté manifeste de s’emparer de l’autorité temporelle. Il est par conséquent déclaré déchu et Rome mise en demeure de se donner un nouveau pape.

La réaction du pontife romain fut à la fois vigoureuse et victorieuse. Après avoir rappelé à son adversaire la patience et le calme dont il a fait preuve devant sa volonté de dicter ses lois à l’Eglise, il prononça contre lui en se fondant uniquement sur des motifs religieux une sentence de déposition et d’excommunication. Ce faisant il délie tous ses sujets de leur serment de fidé- lité. Du coup, les alliés du pape momentanément apeurés et désarçonnés par la décision de l’empereur relèvent la tête ; ceux des clercs et laïcs qui ont obéi à Worms aux ordres royaux se rétractent devant l’énergie du pape : ce qui occasionne un vide autour de l’empereur. Après s’être réunis en assemblée à Fribourg, seigneurs et évêques donnèrent raison au pape et se prononcèrent pour la fin du règne d’Henri IV. Menacé par les grands féodaux ses soutiens naturels qui ne peuvent supporter cette humiliation, et devant les hésitations de l’épiscopat allemand, l’empereur presque isolé et fragilisé vient implorer le pardon du pape à Canossa le 25 juin 1077 : «Là, il se prosterne devant le petit courtaud en qui s’exaltait la puissance de l’apôtre. Un serment fut prêté par

24 Daniel ROPS, op. cit. p. 239.

25 Ibidem. p. 239

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le vaincu et l’excommunication fut levée.»26 Pour autant, la classe nobiliaire allemande continuait de bouder son empereur à qui il préférait désormais son beau-frère Rodolphe de Souabe. Touché dans son amour propre et convaincu qu’un roi n’est jamais totalement vaincu malgré sa déchéance, Henri IV va tenter son dernier sursaut d’honneur. C’est ainsi qu’à la surprise générale, il engage une offensive victorieuse contre le pape et ses ennemis de tous bords. Déposé à nouveau par Grégoire VII en 1088, il riposte en proclamant la déchéance de celui-ci et en faisant élire un antipape, en la personne de l’archevêque de Ravenne Guibert, qui prend le nom de Clément III. En outre il oblige Grégoire VII à l’exil dans le château de Saint-Ange où il meurt le 25 mai 1085. Le pape décédé, son œuvre sera poursuivie par ses successeurs qui n’abandonnent pas la lutte mais parviendront à trouver avec le pouvoir temporel un compromis.27

b) Innocent III (1198-1216)

Bien que cet accord signé entre Calixte II et Henri V ait fait la part des choses et permit une trêve, son successeur le pape Innocent III élu 8 janvier 1198 ne voulut pas s’arrêter en si bon chemin. Considéré comme une des plus puissantes personnalités du Moyen âge, un esprit cultivé d’origine noble, Innocent III était aussi un travailleur infatigable débordant d’énergie. Avec lui la restauration du pouvoir pontifical allait atteindre son sommet, eu égard à la conception théocratique de son gouvernement. Conformant de façon stricte ses principes à la mission impartie au vicaire du Christ à qui les clefs du royaume sont soumises28, il voulait à la fois s’arroger la plénitude du pouvoir spirituel et placé sous le strict contrôle de celui- ci l’ensemble des pouvoirs politiques : à l’Eglise appartiendraient dorénavant les

«deux glaives» spirituel et temporel, dans la mesure où l’autorité des souverains procédait d’une délégation pontificale, comme celle-ci procédait elle-même d’une délégation divine, le tout hiérarchisé selon une vision féodale.29 C’est la mise en œuvre de cette théorie30, qui éclaire les diverses initiatives d’Innocent tout au long de ses dix huit ans de pontificat. Mettant toute son énergie à la poursuite de la réforme de l’Eglise, il apporte un soutien actif à leur naissance aux ordres

26 Augustin FLICHE, op. cit., p. 105.

27 Cet accord signé entre Henri V et Calixte II à Worms en 11222 est une des conséquences de la querelle des investitures. Cf. développement infra p.9

28 Klaus SCHATZ, op. cit. p. 143.

29 THEO, Nouvelle encyclopédie catholique, Droguet-Ardant/Fayard, Paris 1989, p.362.

30 Laquelle reçut une consécration éclatante au IVe concile du Latran de 1215, considéré par les historiens de cette époque, comme l’assemblée la plus imposante de tout le Moyen Age.

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mendiants, notamment Dominique et ses compagnons qu’il prit officiellement sous sa protection, après s’être minutieusement informé sur leur idéal évangélique empreinte d’une totale fidélité aux préceptes du Seigneur : «Aller à l’exemple du divin Maître, en toute humilité, à pied sans appareil de faste et sans argent, comme les apôtres»31. Face à l’hérésie cathare qui faillit remettre en cause la foi catholique dans toute la région du Rhône, hérésie qu’il assimilait au crime de lèse-majesté passible de mort par le feu,32 Il prit l’initiative de la croisade contre ces hérétiques et leur protecteur le Comte de Toulouse Raymond VI. Après avoir fixé la durée de cette croisade à quarante jours, il déclara leurs biens «exposés en proie», c’est-à- dire promis à quiconque pourrait s’en emparer.

Conscient de la menace qui se profilait à l’horizon, le Comte Raymond VI avec une humiliation peu commune se soumit à l’autorité du pape. Suivant son exemple, de nombreux petits seigneurs du Nord peu pourvus de terres, sentirent un ardent désir de combattre pour la foi,33 au nom de l’Eglise. En l’espace d’une année précisément en 1209, après une vigoureuse sensibilisation, une gigantesque armée d’environ 50 000 hommes fut constituée encadrés par les légats pontificaux. Sa première offensive contre les hérétiques fut si rapide qu’il n’y eut aucune résistance : bourgs et villes se rendirent facilement, et même le Comte de Toulouse Raymond VI le rebelle, avait accueilli les croisés, une large croix sur la poitrine.34 Pratiquement dans tous ses rapports avec le glaive temporel notamment les souverains, Innocent III imposa son autorité et son influence : ainsi il excommunia le fameux roi Frédéric II d’Autriche persécuteur des ordres religieux ; fit élire en Allemagne Othon IV contre Philippe de Souabe qu’il excommunia après l’occupation de la Toscane en 1210. En France, il empêcha le roi Philippe Auguste de répudier Ingeburge son épouse en jetant un interdit sur le royaume ; par ce même moyen, il obligea Jean Sans Terre en Angleterre à se soumettre à propos de la nomination de l’archevêque de Cantorbéry ; enfin en Espagne il suscita dans le cadre de la reconquête de l’Espagne par les rois catholiques, la coalition des chrétiens qui remporta la victoire de Las Navas de Tolosa contre les Maures en 1212.35

31 Daniel ROPS, Histoire de l’Eglise du Christ T.4 : La cathédrale et la croisade, Bernard Gras- set, Paris 1965, p.479.

32 Jean COMBY, op. cit. p. 174.

33 Daniel ROPS, op. cit., p. 481.

34 Daniel ROPS, op. cit., p. 483.

35 C’est par cette victoire restée célèbre dans l’histoire du Moyen âge, que s’acheva la recon- quête de l’Espagne par les Rois catholiques contre les Maures (Almohades et Almoravides) qui furent contraints de se replier sur Grenade.

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Avec lui, le pouvoir exercé par la papauté au sein de l’Eglise et dans toute la chrétienté atteint son sommet. Tout comme la primauté fut âprement discutée par les tenants des deux glaives au temps de Grégoire VII. Si donc l’armée et les fi- nances qui constituaient la force des empereurs leur avaient assurés une primauté avant le 10e siècle, les papes furent bien inspirés par la suite dans leur gestion de la société médiévale dont ils tirèrent grand profit. Mais l’importance de l’enjeu et le caractère éphémère des solutions proposées pour le règlement des crises succes- sives, obligèrent les protagonistes à des concessions réciproques.

III. LES CONSEQUENCES

Outre le compromis de Worms distinguant clairement les prérogatives des deux glaives en matière d’investiture ecclésiastique, une nouvelle doctrine dite des deux glaives conséquence de la lutte hégémonique vient confirmer la primauté du spirituel sur le temporel.

1. Le concordat de Worms (1122)

L’inspirateur en fut l’évêque de Chartes Yves, qui proposa la distinction dans un titre ecclésiastique, l’élément spirituel et les avantages temporels afférents. Convaincu qu’un évêque ou un abbé est à la fois homme de Dieu, dépositaire du pouvoir transmis par les apôtres et le titulaire des domaines accordés par les laïcs, il faut : «Dans l’investiture, séparer la consécration, la remise de la crosse et de l’anneau, de la remise des biens temporels ; l’inves- titure spirituelle devant être accomplie par l’autorité religieuse et l’investiture temporelle devant appartenir de droit au Suzerain». En clair, l’empereur doit renoncer à toute investiture et promettre la liberté d’élections canoniques ; le pape doit en retour reconnaître à l’empereur le droit d’assister à l’élection des évêques et des abbés, mais sans utiliser la violence et la simonie.

Cet accord signé le 23 septembre 1122 après de longues tractations entre le pape Calixte II et Henri V prit le nom de «Concordat de Worms», le pre- mier de l’histoire qui «établit les règles nouvelles de promotions épiscopales : désormais, le pape sera librement élu par le clergé en présence de l’empe- reur ou de son représentant, puis il prêtera serment au monarque ou à son représentant qui lui concédera le droit du domaine par le sceptre du pouvoir temporel, enfin il sera consacré par le métropolitain de la province»36. C’est

36 J.M. MAYEUR, CH.et L. PIETRI, A.VAUCHEZ, M.VENARD, Histoire du christianisme T.5, Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Editions Desclée, Paris 1993, p.

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dire qu’il n’y a plus d’hommage véritable au roi mais un simple serment de fidélité : ce n’est qu’après sa libre élection que l’évêque ou le prêtre devait recevoir des mains du souverain, sous l’espèce symbolique, les «regalia», c’est-à-dire les attributs du pouvoir. Le Concile de Rome de 1123 confirme ces sages décisions en mettant ainsi un terme à la querelle des investitures.

L’Eglise libérée de la tutelle laïque, une nouvelle génération d’évêques s’ins- talle à la tête des diocèses toute acquise aux idées de réforme37. Mais des problèmes subsisteront tant que l’Eglise serait engagée dans la féodalité, et qui risqueraient si l’on y prend garde, de remettre en cause tous les acquis.

Toujours est-il qu’en 1152, trente années après la signature du Concordat de Worms, la question de la primauté est à sa phase pratique comme en témoi- gne cet écrit d’un prince : «Puisque par disposition divine, je m’appelle et je suis empereur des Romains, si je n’ai pas le gouvernement de Rome, je n’ai que l’ombre du pouvoir»38

2. La doctrine des deux glaives.

Elle est antérieure au Concordat de Worms et a été élaborée au cœur de la querelle des investitures pour donner corps à la suprématie. A mesure que se déroulait la lutte entre les deux glaives, certains esprits lucides pensaient à fonder en doctrine la supériorité de l’autorité religieuse. Pour eux, même si les pouvoirs temporel et spirituel ne sont pas de la même essence et n’opèrent pas sur le même terrain, il n’est pas exclut que ce dernier intervienne dans le domaine de l’Etat. Car si travailler au salut du monde est le premier devoir des gouvernants, il va sans dire que dans ce domaine l’Eglise se sent impliquée.

Quand par ailleurs dans les affaires humaines ou profanes il advient que les principes spirituels sont violés ou ignorés par les hommes politiques qui cèdent au péché, en raison du péché commis, l’Eglise est autorisée à exercer son contrôle. Ce qui n’est pas le cas en politique, où il est difficile de faire la part entre ce qui constitue une faute morale et ce qui relève de la défense d’intérêts légitimes.39

Cette doctrine qui tire sa source de la théorie dite des deux glaives, Saint Bernard de Clervaux l’identifie aux deux glaives dont a parlé le Christ dans l’Evangile (Luc 23, 8). Pour ce moine de renom, fondateur du monastère de Cîteaux, le pouvoir que le Christ donna aux siens représentait les deux

37 Daniel ROPS, op. cit. p.234.

38 Augustin FLICHE, op. cit., p. 89 39 Daniel ROPS, op. cit. p. 237

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pouvoirs spirituel et temporel, appartenant tous les deux à Pierre. Ses contemporains médiévaux et les générations suivantes ne remirent pas en cause cette conception ; ils la tinrent au contraire pour valable en ce sens que sur le plan spirituel, l’Eglise, par son chef le Pape, a évidemment tous les droits et donc celui de juger tous les chrétiens, princes y compris, lorsqu’ils commettent des péchés. Mais à côté de ce pouvoir direct, elle dispose d’un pouvoir indirect, celui de faire obéir les maîtres laïcs, afin que les institutions de la Terre soient conformes aux principes divins. »40

Telle est la position de tous les papes des XIIème et XIIIème siècles, dont la seule préoccupation était d’être à la tête de la société du Moyen âge. Et c’est paradoxalement à la faveur de la crise que l’Eglise va atteindre son apogée et gagner son prestige.41

3. La primauté de la Papauté.

A travers les diverses décisions, on constate que l’Eglise surtout avec la doctrine des deux glaives, est à la tête du Moyen Age. Sa force provient de ce qu’elle est la seule entité ou autorité dans la sphère spirituelle, alors que dans le domaine temporel, l’empire est morcelé et le pouvoir partagé entre différents rois : France, Angleterre, Allemagne, Italie etc. Ce qui est de nature à relativiser leur pouvoir et donner la tentation au pouvoir adverse, le pape, à vouloir se substituer à l’Empereur. En vertu de ce qu’il est : «Le plénipotenti- aire de celui par qui tous les rois règnent et les princes gouvernent, de celui qui donne les royaumes à qui bon lui semble, il a le pouvoir de renverser, de détruire, de dispenser, de dissiper, d’édifier et de planter»42. Bref, le pape est au-dessus de tous les princes puisqu’il lui appartient de les juger. Par ce fait on comprend bien que la primauté spirituelle revendiquée par la papauté au Concordat de Worms, va tendre à devenir une primauté totale, entière qu’i lui fallait, pour une meilleure conduite du navire médiéval. Aussi dans l’Eglise comme dans l’empire, le pape n’acceptera plus nul partage du pouvoir.43

40 Georges MARTELET, Deux mille ans de l’Eglise en question, Cerf, Paris 1990, p. 50.

41 Michel LEMOUNIER, op. cit., p.237.

42 Daniel ROPS, op. cit., p.238.

43 Georges MARTELET, op. cit., p.70.

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CONCLUSION

Nul doute que la primauté a été âprement disputée entre les deux glaives qui s’érigeaient en armes de la vérité agissante dans l’univers médiéval. Tous deux ont d’abord entretenus des rapports intéressés ou de collaboration, puis d’antagonisme aux causes diverses : égoïsme réciproque, amours propres, passions de ceux qui dans les deux camps s’activent à faire perdurer la dis- pute de la primauté en méconnaissant les limites pourtant clairement définies de la souveraineté des deux glaives. Dieu en effet, a partagé le gouvernement du genre humain entre deux puissances : l’une spirituelle à qui reviennent les choses divines, l’autre temporelle destinée aux choses humaines. Chacune d’elle en son genre est souveraine, puisque renfermée dans des limites parfai- tement déterminées et tracées, en conformité avec sa nature et son but spécial.

C’est assez de dire qu’il y a une sphère circonscrite dans laquelle chacune exerce son action «jure-proprio». S’il y eut donc collision ou crise, ce fut en raison de l’imbrication des deux pouvoirs et de l’ingérence réciproque caractéri- sées l’une et l’autre par l’investiture laïque et le concordat de Worms.

Mais la crise de la primauté pourrait aussi résulter de la défense de la di- gnité et de la valeur des deux glaives dans l’exercice du pouvoir. Car l’Eglise à un moment donné a tenté d’instaurer une théocratie par une espèce d’absorp- tion de la société laïque tout entière. Ce rêve se serait réalisé que les deux ci- tés de Dieu et des hommes se seraient fondues en une seule : la cité de Dieu avec à sa tête le pape, comme le pensait si justement Innocent III : « Nous avons été constitués princes sur toute la Terre ». N’est-ce pas une prétention tout à fait aux antipodes de la volonté de Celui dont il prétend être le vicaire, le Christ qui a dit : «Mon royaume n’est pas de ce monde.» (Jn. 18, 36).

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BIBLIOGRAPHIE

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3. Ouvrages specialises

1 SCHATZ Klaus, La primauté du pape. Son histoire, des origines à nos jours, Les éditions du Cerf, Paris 1992, 291 p.

2. BLOCH Marc, La société féodale, 2e édition, Albin Michel, Paris 1949.

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