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Les rachats d'actions propres en droit des sociétés : une approche comparée

TAWIL, Joël

TAWIL, Joël. Les rachats d'actions propres en droit des sociétés : une approche comparée. In:

Rashid Bahar et Thomas Kadner Graziano. Le droit comparé et le droit suisse . Genève : Schulthess éditions romandes, 2018. p. 321-338

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:151046

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Les rachats d’actions propres en droit des sociétés : une approche comparée

Introduction

Qu’il s’agisse d’améliorer le bénéfice par action, de réduire le capital-actions ou encore de se protéger contre une prise de contrôle hostile, le rachat par une société de ses propres actions connaît depuis trois décennies un succès qui ne se dément pas. La popularité grandissante des rachats d’actions s’est développée sans considération de frontières et s’observe aujourd’hui tant aux Etats-Unis où la tendance est née, qu’en Europe, y compris en Suisse1.

Ce phénomène relativement nouveau a notamment été rendu possible par un assouplissement généralisé de la réglementation relative au rachat d’actions à travers le monde. Alors qu’un rachat d’actions propres était pratiquement interdit en Suisse avant la révision du droit de la société anonyme de 1991, le droit suisse adopte aujourd’hui une approche beaucoup plus décontractée. A bien des égards, ce dernier a subi les influences du droit américain et surtout du droit européen en autorisant le rachat d’actions propres dans les limites de l’art. 659 CO que nous connaissons aujourd’hui. Au fil des réformes, il semble qu’une harmonisation entre les différents droits se fasse jour.

Le rapprochement auquel nous assistons aujourd’hui a de quoi surprendre. Les rachats d’actions se situent en effet au carrefour d’intérêts multiples et souvent contradictoires – entre la nécessité d’accorder aux sociétés une flexibilité adéquate et celle d’accorder une protection suffisante aux créanciers sociaux. Au surplus, ces opérations doivent également préserver l’égalité de traitement entre actionnaires.

Dans ce contexte, il est remarquable que la réglementation des rachats d’actions en droit suisse, américain et européen soit le théâtre d’une telle convergence de vues.

Cette contribution passe brièvement en revue l’historique de la réglementation en matière de rachats d’actions, puis étudie et compare les conditions auxquelles les droits suisse et européen des sociétés permettent les opérations de rachat et les conséquences légales de celles-ci. Nous ferons également ici et là quelques incursions en droit américain dont l’influence dans le domaine reste très marquée.

Enfin, nous terminerons par une brève appréciation du nouveau projet de révision

1 Voir GERICKE/ISLER, p. 120s ; WERLEN/SULZER, p. 493s.

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du droit suisse de la société anonyme en matière de rachats d’actions. Pour des raisons pratiques, nous nous limiterons ici à l’analyse des opérations de rachats sous l’angle du droit des sociétés, sans pouvoir aborder les questions de droit boursier ou de droit fiscal.

Historique de la réglementation

Le droit des sociétés suisse voit aujourd’hui dans le rachat d’actions une opération visant à redistribuer les liquidités excédentaires aux actionnaires de la société. Il s’agit d’une opération devenue courante, populaire, voire dans une certaine mesure encouragée2. Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans son message du 23 février 1983 concernant la révision du droit des sociétés anonymes, le Conseil fédéral notait, de façon quelque peu lapidaire :

« L’acquisition par la société de ses propres actions constitue une contradiction en soi, la société ne pouvant pas devenir sa propre actionnaire ; de ce fait, elle n’acquiert rien qu’elle ne possède déjà, car les actions représentent des valeurs qui sont déjà sa propriété »3.

Si cette affirmation paraît discutable, on conçoit néanmoins aisément qu’une acquisition par la société de ses propres actions ne va pas sans soulever des difficultés qui dépassent largement un cadre purement théorique et abstrait. Ces difficultés sont tant d’ordre patrimonial – diminution de la solvabilité de la société – que social – modification des rapports de force au sein de l’actionnariat4. Dans le cas extrême, lorsque le rachat porte sur toutes les actions de la société, celle-ci cesse même de répondre à la définition d’une corporation car la propriété exclusive de la société sur les biens sociaux disparaît5.

La réglementation du rachat d’actions en droit des sociétés suisse s’est ainsi longtemps montrée restrictive, sous l’influence déterminante du droit allemand6. Dans le Code des obligations de 1881, le rachat d’actions y était interdit, à moins qu’il ne permette le remboursement d’une dette sociale ou lorsqu’il était en lien

2 Nous faisons référence ici au traitement fiscal de ces opérations, souvent plus favorable qu’une distribution de dividendes. En effet, l’actionnaire-vendeur réalise une plus-value non imposable lorsque la société rachète ses actions sans intention de réduire son capital et qu’elle les revend à un tiers dans le délai imposé par la loi (six ou douze ans selon LIA 4a II et III), pour autant que les limites de CO 659 soient respectées. Voir MARTI/WELTI, p. 176 ; LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 16b ; TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 1.

3 Voir FF II 1983, p. 822.

4 PETER/BAHAR, p. 17.

5 RUEDIN, p. 183.

6 BURCKHARDT, p. 60 ; HOFSTETTER, p. 136. Voir également BALDAMUS, p. 134.

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avec l’activité commerciale de la société7. A l’instar de l’Allemagne qui modifia sa réglementation, ces conditions très rigides devaient néanmoins perdre de leur importance lorsque le Tribunal fédéral conclut en 1917 qu’un rachat d’actions effectué en violation des conditions légales n’était pas frappé de nullité8.

Jusqu’en 1991, le droit suisse connut un régime d’interdiction des rachats d’actions, tempéré par quelques exceptions9. Outre les cas mentionnés plus haut et déjà admis par le Code des obligations de 1881, les opérations de rachat étaient ainsi autorisées lorsqu’elles avaient lieu en lien avec une réduction du capital-actions, un transfert de patrimoine ou encore dans les cas de nantissement des actions que les membres du conseil d’administration ou de la direction avaient dû acquérir conformément aux dispositions statutaires10. Dans tous les cas, les actions concernées devaient être aliénées dans les meilleurs délais, respectivement cancellées en cas de réduction du capital-actions11.

La réglementation de la plupart des autres pays européens voyait également les opérations de rachat d’un mauvais œil. En droit anglais par exemple, l’interdiction du rachat d’actions tirait son origine de la décision Trevor v. Whitworth12 rendue en 1887. La Cour avait alors estimé qu’une acquisition par une société de ses propres actions, suivie d’une revente, s’apparentait à un « trafic » illicite d’actions13. De la même façon, une conservation des titres dans le portefeuille de la société après rachat constituait une méthode indirecte – et illégale également – de réduire son capital-actions14. La France, où plusieurs réformes visant à interdire les rachats d’actions avaient échoué, fit longtemps figure d’exception en autorisant les rachats d’actions dans la mesure où ceux-ci ne constituaient pas un moyen détourné de rembourser le capital social15.

L’approche adoptée en Suisse et dans la plupart des législations européennes tranchait drastiquement avec la liberté historique reconnue aux sociétés d’acquérir leurs propres actions dans les Etats américains16. Si certaines nuances entre les législations des différents Etats américains existent ou ont pu exister, il faut également observer qu’à notre connaissance, aucune n’a formellement interdit les

7 BURCKHARDT, p. 60.

8 ATF 43 II 293, consid. 2.

9 WERLEN/SULZER, p. 496 ; PETER/BAHAR, p. 24.

10 Voir BURCKHARDT, p. 73 ss.

11 FF II 1983, p. 822 ; HOFSTETTER, p. 136.

12 “No doubt if certain shareholders are disposed to hamper the proceedings of the company and are willing to sell their shares, they may be brought out; but this must be done by persons, existing shareholders, or others, who can be induced to purchase the shares, and not out of the funds of the company.” Trevor v. Whitworth, cité dans KESSLER, p. 644. Voir également BALDAMUS, p. 143.

13 Ibidem

14 Ibidem

15 BURCKHARDT, p. 60.

16 Le droit des sociétés aux États-Unis est du ressort des États américains et non de l’État fédéral.

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rachats d’actions par le passé. Les rares restrictions en droit des sociétés se concentrent généralement sur les cas de fraude particulièrement graves envers les créanciers17. Le droit du Delaware sur lequel nous nous focaliserons et qui régit plus de la moitié des sociétés américaines, ne fait pas exception à ce principe.

En Europe, l’adoption de la Deuxième directive du Conseil du 13 décembre 1976 sur la modification et le maintien du capital de la société anonyme marqua un tournant décisif en autorisant explicitement les Etats membres à prévoir dans leur législation nationale la possibilité pour une société anonyme d’acquérir ses propres actions. S’alignant en partie sur le contenu de cette directive, le droit suisse a subi une modification importante en 1992 et consacre aujourd’hui en matière de rachats d’actions un régime d’autorisation de principe sous conditions18. Cette solution intermédiaire est aujourd’hui partagée par bon nombre de pays européens, dont la France et l’Allemagne, qui ont modifié leur réglementation en 1997, respectivement en 199819.

La tendance en matière de réglementation des rachats d’actions est aujourd’hui à la libéralisation croissante. L’amendement de la Deuxième directive en 2006 puis sa refonte en 2012 ont contribué à abaisser encore davantage les obstacles aux rachats d’actions20 tout en laissant aux Etats membres qui le souhaiteraient la liberté de maintenir une interdiction des rachats d’actions dans leur législation nationale. De façon générale, on note un rapprochement toujours plus prononcé des droits des sociétés européen et suisse vers la pratique américaine, plus flexible et moins formaliste21.

Conditions du rachat d’actions

1. Organe compétent

La décision de procéder à un rachat d’actions propres demeure une prérogative du conseil d’administration en droit suisse en vertu de CO 716 I. Cette compétence, bien qu’inaliénable, n’est toutefois pas intransmissible et peut être transférée par voie statutaire en faveur de l’assemblée générale22. L’attribution initiale de cette compétence au conseil d’administration peut néanmoins surprendre car elle

17 ELLIS/YOUNG, p. 119.

18 FF II 1983, p. 823 ; WERLEN/SULZER, p. 496 ; PETER/BAHAR, p. 24.

19 Pour un panorma plus complet des réglementations sur les rachats d’actions au niveau des États membres de l’UE, voir ANDENAS/WOOLRIDGE, p. 230ss.

20 LUTTER/BAYER/SCHMIDT, p. 512

21 BÖCKLI, Neuf règles, p. 69.

22 TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 8.

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contraste avec le pouvoir de l’assemblée générale d’approuver d’autres formes de distribution aux actionnaires, telles que les dividendes23 ou les réductions ordinaires du capital-actions selon CO 732ss. Or, en rachetant des titres de participation au moyen de liquidités à sa disposition, la société n’opère en réalité rien d’autre qu’une distribution de dividende ou une réduction de capital au sens économique du terme24. La seule différence tient au fait qu’un rachat d’actions constitue une opération réversible en ce sens que les actions pourront être revendues ultérieurement25. Toutefois, une revente des actions aux mêmes conditions que celles prévalant au moment du rachat n’est pas pour autant garantie. En période de récession ou de turbulences boursières ou encore lorsque le cours de l’action a baissé consécutivement à une mauvaise gestion, la société pourrait être amenée à revendre ses actions à perte ce qui léserait à la fois les créanciers – à tout le moins indirectement – et les actionnaires restants26. Dans ce contexte, l’attribution de la compétence de pouvoir racheter des actions au seul conseil d’administration paraît certes défendable mais prive néanmoins les actionnaires d’un moyen de contrôle important.

La compétence du conseil d’administration en matière de rachats s’inspire en réalité du droit américain. Selon le droit des sociétés du Delaware, le conseil d’administration dispose librement des actions propres et peut en acquérir ou en revendre à sa guise27. Le droit américain fait néanmoins preuve de davantage de cohérence que le droit suisse puisqu’il attribue également au conseil d’administration la compétence de décider d’une éventuelle distribution de dividende28. Ce faisant, les décisions susceptibles de déboucher sur les mêmes conséquences pour la fortune sociale – distribution de dividende et rachat d’actions propres – sont toutes prises par un seul et même organe.

Le droit européen se distancie diamétralement des approches suisse et américaine en attribuant à l’assemblée générale la compétence d’autoriser les rachats d’actions propres. Ce principe ne connaît que deux exceptions dont la portée pratique reste cependant assez limitée. D’une part, la législation des Etats membres peut autoriser le conseil d’administration à racheter les actions de la société dans la mesure où cette acquisition est nécessaire pour éviter à la société un dommage grave et imminent29. Cette dérogation suppose toutefois que le conseil d’administration informe la prochaine assemblée générale des raisons, du but et des modalités du rachat. D’autre part, les Etats membres peuvent prévoir dans leur législation qu’une autorisation de l’assemblée générale n’est pas nécessaire lorsque les actions sont

23 CO 698 II ch. 4.

24 ZINDEL, p. 575.

25 Voir TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 1.

26 TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 11.

27 §153(c) DCGL.

28 §170(a) DCGL ; CAHN/DONALD, p. 250.

29 Art. 21 par. 2.

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rachetées en vue d’être distribuées au personnel de la société dans un délai de douze mois.

En dehors de ces exceptions, l’art. 21 par. 1 a) de la Directive 2012/30/UE dispose que l’autorisation accordée par l’assemblée générale doit préciser les modalités de l’acquisition envisagée, notamment le nombre maximal d’actions à acquérir, la fourchette de la contre-valeur ainsi que la durée pendant laquelle le rachat peut être effectué. Sur ce dernier point, la Directive laisse aux Etats membres le soin de fixer la durée maximale de l’autorisation tout en indiquant qu’elle ne peut excéder cinq ans. A l’origine, la Deuxième directive de 1976 prescrivait que cette autorisation ne pouvait excéder dix-huit mois30. Ce changement, qui a pour effet de renforcer la position du conseil d’administration, s’inscrit donc dans la tendance d’un rapprochement progressif avec le droit américain.

L’absence de reprise du droit européen au sujet de la compétence de l’assemblée générale entraîne une conséquence importante – mais tout de même assez théorique – pour les sociétés suisses, à savoir l’impossibilité de demander l’annulation des décisions de rachat prises par le conseil d’administration31. Selon la doctrine, il s’en suit que les décisions de rachat qui violeraient les prescriptions légales sont soit dépourvues de toute sanction, soit frappées de nullité dans les cas extrêmes32. La nullité des opérations de rachat est notamment préconisée lorsque celles-ci entament les fonds propres de la société et contreviennent ainsi à l’interdiction de rembourser les apports en vertu de CO 680 II. Dans ce cas, les créanciers et les éventuels actionnaires lésés devraient ainsi pouvoir invoquer CO 20 avec succès et exiger la restitution des prestations, laquelle permettra de renflouer la société.

Cette conception quelque peu manichéenne nous semble plus appropriée que la solution retenue en droit européen pour les opérations de rachat effectuées en violation de la Directive. L’art. 23 dispose que les actions acquises en violation des prescriptions de la Directive doivent être cédées dans un délai d’un an à compter de leur acquisition et qu’à défaut, les actions concernées doivent être annulées, au besoin dans le cadre d’une réduction « forcée » du capital souscrit pour un montant correspondant33. Cette réduction nous paraît tardive lorsque la situation financière de la société s’est détériorée après l’opération de rachat et n’offre donc à notre sens pas de protection suffisante à l’égard des créanciers sociaux. De surcroît, l’annulation des actions à elle seule ne permet pas de rechercher les actionnaires- vendeurs qui auraient sciemment éludé les prescriptions de la Directive.

Les différences réglementaires relatives à l’organe compétent pour procéder aux opérations de rachat en droit suisse, américain et européen méritent d’être nuancées

30 Art. 19 par. 1 lit. a. Cette modification a également été motivée pour des raisons pratiques ; le délai de dix-huit mois obligeait en effet bon nombre de sociétés à requérir une prolongation de l’autorisation de l’assemblée générale lors de chaque assemblée générale annuelle des actionnaires, voir LUTTER/BAYER/SCHMIDT, p. 516.

31 PETER/BAHAR, p. 34.

32 LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 11 ; GERICKE/ISLER, p. 132s ; PETER/BAHAR, p. 34s.

33 Par renvoi à l’art. 22 par. 3 de la Directive 2012/30/UE.

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s’agissant des grandes sociétés cotées. Il n’est en effet pas rare que celles-ci décident de soumettre leurs programmes de rachat à l’approbation de leur assemblée générale pour des raisons de gouvernance d’entreprise34. Dans d’autres cas, comme celui d’Apple, la proposition de racheter des actions peut émaner d’un actionnaire important, lequel parvient avec le soutien d’autres actionnaires à imposer sa volonté au conseil d’administration et à la direction35. Ainsi et bien que les attributions de compétences à l’assemblée générale, respectivement au conseil d’administration diffèrent encore d’un pays à l’autre, la pression exercée par certains investisseurs institutionnels et actionnaires contribue à rapprocher les pratiques observées en matière d’opérations de rachat.

2. Fonds librement disponibles

CO 659 I subordonne le rachat d’actions propres à l’existence de fonds propres librement disponibles. Par fonds librement disponibles, on entend le bénéfice disponible, les réserves ouvertes ainsi que la partie de la réserve légale générale qui dépasse la moitié du capital-actions. Cette condition vise bien entendu à éviter la restitution des apports effectués par les actionnaires, prohibée selon CO 680 II et qui mettrait potentiellement en danger la position des créanciers.

Le montant des fonds librement disponibles est déterminé sur la base du dernier bilan annuel. S’il y a lieu de penser que la situation financière de la société s’est entre-temps détériorée, le conseil d’administration est même tenu d’établir un bilan intermédiaire et de le faire vérifier avant de procéder à l’acquisition36. Une augmentation des fonds librement disponibles depuis l’établissement du dernier bilan annuel telle qu’elle ressort des comptes intermédiaires ne donne en revanche pas droit au conseil d’administration de procéder à un rachat d’actions car cette décision aurait pour effet de court-circuiter la compétence de l’assemblée générale en matière d’approbation des comptes de la société37.

Le droit européen exige quant à lui que les acquisitions, y compris les actions propres déjà dans le portefeuille de la société, ne doivent pas avoir pour effet que l’actif net de la société devienne inférieur au montant du capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer38. Ce faisant, le droit européen s’assure au moins que les Etats membres empêchent les sociétés

34 Par exemple Novartis en janvier 2016 :

www.novartis.com/sites/www.novartis.com/files/2016-agm-comment-further-share-repurchase- fr.pdf (consulté le 03.01.2018) ; voir également le cas de Swiss Re http://www.swissre.com/investors/shares/share_buyback/ (consulté le 03.01.2018.).

35 GERICKE/ISLER, p. 125.

36 TRIGO TRINDADEad art. 659-659a CO, N 29 ; LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 7 ; PETER/BAHAR, p. 26.

37 LENZ/VON PLANTA, N 7.

38 Art. 17 par. 1 et 2 par renvoi de l’art. 21 par. 1 lit. b de la Directive 2012/30/UE.

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d’acquérir leurs propres actions en entamant leur capital-actions et soumettent ainsi le rachat d’actions aux mêmes contraintes que les autres modes de distribution39. Selon le montant des réserves imposées par les différentes législations nationales, cette solution est ainsi très semblable à la solution retenue dans CO 659.

Les Etats membres peuvent décider d’abandonner cette exigence dans certaines conditions très spécifiques, notamment lorsque les actions sont acquises en exécution d’une décision de réduction du capital40. Dans cette dernière hypothèse, les créanciers dont les créances sont nées avant la publication de la décision de réduction doivent néanmoins pouvoir obtenir des sûretés de la part de la société41. Ce mécanisme n’est ainsi pas sans rappeler celui de la réduction ordinaire de capital tel que nous le connaissons en droit suisse42.

Les droits des sociétés des Etats américains ne contiennent que des prescriptions très sommaires en matière de fonds propres librement disponibles pour procéder à un rachat d’actions. En vertu de §160 DGCL, les sociétés incorporées au Delaware peuvent librement acquérir leurs propres actions dans la mesure où les opérations de rachat ne compromettent pas le capital de la société. L’examen utilisé pour déterminer si le capital de la société est altéré ne diffère pas de celui utilisé pour d’autres méthode

s de distribution, qu’il s’agisse de dividendes ou d’une liquidation43. A la différence des droits suisse et européen, le droit du Delaware n’accorde que peu d’importance au dernier bilan établi par une société pour juger de la conformité ou non d’une opération de rachat. La jurisprudence a ainsi refusé de condamner une société qui s’est fondée sur sa valeur économique réelle et non sur son dernier bilan qui reflétait pourtant une situation peu favorable en raison d’actifs sous-évalués44. Cette décision nous paraît néanmoins critiquable, tant les créanciers sont dans l’impossibilité de connaître la situation économique réelle d’une société autrement qu’en consultant son bilan et, partant, de savoir si une opération de rachat serait susceptible de les léser.

Dans la mesure où la société dispose de fonds librement disponibles suffisants, la majorité de la doctrine suisse ne s’oppose pas à ce que le rachat ait pour objet des actions non entièrement libérées45. Dans cette hypothèse, les fonds librement disponibles doivent couvrir tant la partie non libérée que le prix payé à

39 CAHN/DONALD, p. 245.

40 Art. 22 par. 1 lit. a.

41 Art. 36 par. 1.

42 CO 732ss.

43 CAHN/DONALD, p. 250.

44 Voir l’affaire Kland v. Smith’s Food & Drug Centers, Inc. Supreme Court of Delaware, 702 A 2d 150 (1997).

45 LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 5 ; TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 32 ; BURCKHARDT, p. 30ss. D’un avis contraire, BÖCKLI, Aktienrecht, §4 N 349s.

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l’actionnaire46. Cette opinion s’écarte de la solution qui prévaut en droit européen, où de tels rachats sont explicitement prohibés47. D’un point de vue économique, une telle interdiction peine à se justifier a priori : il est en effet indifférent que la société procède à un rachat d’actions entièrement libérées à un prix élevé ou à un rachat d’actions partiellement libérées à un prix plus faible48. Un rachat d’actions non entièrement libérées pourrait même aller dans l’intérêt de la société lorsque l’actionnaire n’est plus en mesure de libérer ses actions. La société se mettrait ainsi en quête d’un actionnaire plus solvable et disposé à payer l’intégralité du prix de l’action. Nonobstant ces considérations, le nouveau projet de révision du droit de la société anonyme devrait s’aligner sur le droit européen sur ce point et interdire à l’avenir le rachat d’actions partiellement libérées49.

3. Plafonds de rachat

Les exigences de CO 659 en matière de plafonds de rachat sont largement inspirées de la deuxième directive du Conseil du 13 décembre 1976, aujourd’hui abrogée50. A l’instar de l’ancien art. 19 de cette directive, CO 659 limite à 10% du capital- actions la valeur nominale de l’ensemble des actions propres acquises par la société.

Contrairement au droit européen, cette limite de 10% de CO 659 s’applique toutefois aussi bien aux rachats d’actions opérés à titre onéreux qu’aux acquisitions à titre gratuit. Le législateur suisse n’a en effet pas été uniquement préoccupé par la protection des fonds propres de la société, mais a également cherché à empêcher une concentration trop importante du pouvoir par les actionnaires majoritaires, qui voient généralement leur participation renforcée à la suite d’un rachat51.

Ce dernier objectif est néanmoins prétérité par l’existence éventuelle d’un capital- participation, lequel peut atteindre jusqu’au double du capital-actions52. Par le jeu de CO 656b III qui dispose que le capital-participation doit être ajouté au capital- actions dans la détermination des limites au rachat d’actions, une société pourrait considérablement modifier les rapports de force entre actionnaires en procédant à l’acquisition de 30% du capital-actions stricto sensu. Cette affirmation est particulièrement vraie pour les sociétés non-cotées qui comptent des actions non librement transmissibles. Dans un tel cas, CO 659 II porte en effet la limite de la valeur nominale de l’ensemble des actions propres acquises à 20% du capital-

46 TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 32.

47 Art. 21 par. 1 lit. c, Directive 2012/30/UE.

48 BURCKHARDT, p. 30.

49 FF 2008 1476.

50 Cette directive a été remplacée par la Directive 2012/30/UE.

51 PETER/BAHAR, p. 29 ; TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 17.

52 CO 656b I.

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actions, soit 60% en prenant en compte l’existence du capital-participation maximal.

Ces seuils ne doivent néanmoins pas dépeindre le droit suisse comme particulièrement permissif en comparaison internationale. Depuis la Deuxième directive de 1976, le droit européen des sociétés a largement infléchi sa position et n’impose désormais plus nécessairement de limite quantitative au rachat d’actions53. La directive 2012/30/UE dispose en effet que les Etats membres ont la liberté – mais non l’obligation – de déterminer un plafond et que dans cette éventualité, ce dernier ne saurait être inférieur à 10% du capital souscrit. Selon certains auteurs, ce plancher viserait en quelque sorte à éviter que les Etats membres qui autorisent les rachats d’actions dans leur législation ne puissent le faire a minima, ce qui conduirait au sein de l’Union européenne à des pratiques très disparates qui ne garantiraient plus des conditions de concurrence équivalentes entre pays membres54.

Dans la mesure où le droit européen ne s’oppose toujours pas à ce que la législation d’un Etat membre interdise purement et simplement les rachats d’actions55, cette explication nous paraît peu convaincante. Bien au contraire, une telle disposition a pour effet de créer deux groupes d’Etats membres aux approches très antagonistes en matière de rachats d’actions et contrevient ainsi à l’objectif d’harmonisation de la directive. Alors que la France, l’Allemagne et plus récemment le Royaume-Uni ont assoupli leur réglementation, la plupart des Etats membres d’Europe du sud demeurent encore assez réticents à l’idée de permettre les opérations de rachat dans leur législation nationale56.

En droit suisse, certains auteurs font valoir que la limite de 10% ne déploie qu’un effet interne à la société et que partant, l’assemblée générale est libre de modifier ce plafond, en accordant plus ou moins de marge de manœuvre au conseil d’administration57. Cette position, qui rapprocherait grandement le droit suisse du droit européen, nous semble cependant aller trop loin. Elle ne semble en particulier pas compatible avec la ratio legis de l’actuel CO 659, qui protège à la fois les créanciers sociaux et les actionnaires minoritaires bien qu’en pratique, certaines sociétés aient historiquement déjà procédé de la sorte58.

53 Dans sa proposition de révision de la Deuxième directive, le groupe de travail SLIM (Simpler Legislation for the Internal Market) a notamment estimé que le plafond de 10% avait un caractère redondant par rapport à l’obligation de détenir suffisamment de fonds librement disponibles. Voir BALDAMUS, p. 132.

54 WERLEN/SULZER, p. 500.

55 DRINKUTH, p. 208s.

56 Voir BALDAMUS, p. 143.

57 WERLEN/SULZER, p. 503 ; VON PLANTA/IFFLAND, p. 304s.

58 Comme en témoignent les cas de Novartis lors de son assemblée générale de 2005 et d’UBS en 2007 qui ont tous deux dépassés le plafond de 10% avec l’assentiment de leurs actionnaires.

Voir WERLEN/SULZER p. 503 et Von PLANTA/IFFLAND, p. 304s.

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CO 659 ne règle pas explicitement la question de savoir si le plafond de 10%

continue de s’appliquer en cas de cancellation des actions ayant fait l’objet d’un rachat. A notre sens, lorsque la société rachète des actions à l’initiative du conseil d’administration sur la base de CO 659 puis décide après coup de les canceller, le plafond de 10% doit être maintenu59. Admettre une autre solution aurait en effet pour conséquence d’affaiblir considérablement la position des créanciers en octroyant au conseil d’administration le pouvoir de « liquider » la société – sous réserve de fonds librement disponibles suffisants – sans devoir respecter les exigences de CO 732ss (approbation de l’assemblée générale, rapport de révision de l’expert-réviseur et avis aux créanciers).

Lorsque l’assemblée générale se prononce en revanche préalablement en faveur d’une réduction du capital-actions dans son principe, il faut partir du principe que le conseil d’administration est libéré des prescriptions de CO 659, aussi bien du plafond de 10% que du respect des exigences de fonds propres librement disponibles. Dans ce cas, les règles de réduction ordinaire du capital-actions selon CO 732ss se substituent en effet à celles des rachats d’actions60, de telle sorte que le rachat d’actions ainsi effectué ne pose que peu de difficultés à l’égard de la protection des créanciers sociaux.

Quant au droit du Delaware, il ne connaît pas de restriction de nature à empêcher les sociétés d’acquérir leurs propres actions au-delà d’un seuil rigide. Seule est déterminante l’interdiction mentionnée plus haut pour les sociétés de porter atteinte à leur capital lors de l’acquisition de leurs propres actions. Sous réserve de l’organe compétent habilité à décider des opérations de rachat, cette solution est comparable à celle que permet aujourd’hui le droit européen lorsqu’un plafond maximum fait défaut dans la législation des Etats membres.

4. Egalité de traitement

Lorsque le conseil d’administration procède à une opération de rachat ou en soumet la proposition à l’assemblée générale comme c’est le cas dans les pays de l’Union européenne, il doit veiller à respecter les principes généraux du droit des sociétés, notamment le principe de l’égalité de traitement entre actionnaires61.

Le respect du principe d’égalité de traitement n’impose pas à la société d’offrir une égalité stricte entre actionnaires mais uniquement de traiter de la même manière les actionnaires qui se trouvent dans la même situation62. En matière de rachats

59 BÖCKLI, Aktienrecht, §4 N 266 ;

60 Dans ce sens: BÖCKLI, Aktienrecht, §4 N 267 ; TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 23 ; WERLEN/SULZER, p. 502.

61 CO 717 II. En droit européen, le principe d’égalité de traitement est ancré à l’art. 46 de la Directive 2012/UE/30.

62 PETER/CAVADINI ad art. 717 CO, N 19.

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d’actions, le principe d’égalité de traitement est ainsi interprété de manière relative, aussi bien en droit suisse63 qu’en droit européen64. Un traitement différencié entre actionnaires peut donc être admis s’il repose sur des motifs valables, s’il est justifié par un intérêt prépondérant de la société et s’il ne désavantage pas certains actionnaires de manière infondée par rapport à d’autres65. Au demeurant, ces considérations valent également lors de la revente des actions acquises par la société66.

Concrètement, cela signifie qu’une société n’a en principe pas l’obligation absolue de proposer à tous les actionnaires de racheter leurs titres. Si la société rachète les titres d’un nombre restreint d’actionnaires, elle devra néanmoins veiller à ce que la transaction s’opère « at arm’s length », c’est-à-dire à des conditions proches de celles du marché67. Un prix supérieur aurait en effet notamment pour conséquence de léser les actionnaires restants, ce qui contreviendrait au principe d’égalité de traitement. Dans ce contexte, il y a néanmoins lieu de s’interroger sur la compatibilité de l’existence d’une prime de rachat lorsque la société reprend en bloc les titres d’un actionnaire important. A notre sens, la conformité d’une prime de rachat devrait être approuvée moyennant le respect de deux conditions : si elle répond à l’intérêt de la société et si une vente du paquet d’actions à un tiers aux mêmes conditions serait théoriquement envisageable.

Les rachats d’actions proposés à un cercle restreint d’actionnaires soulèvent également une question délicate d’égalité de traitement lorsqu’ils entraînent une modification significative des rapports de force au sein de l’actionnariat. Cela est particulièrement vrai lorsque le rachat, respectivement la revente, permet à un actionnaire ou à un groupe d’actionnaires proches du conseil d’administration de dépasser certains seuils qui présentent une portée particulière en droit suisse (majorité de contrôle de 50%, majorité qualifiée de 662/3% ou majorité de blocage de 331/3%)68. Si les actionnaires n’ont en principe pas de prétention au maintien de leur participation relative, les rachats d’actions conduits dans le but de les placer dans une position minoritaire ne devraient pas pour autant être admises. Avec une grande partie de la doctrine, il faut tenir ces opérations comme contraires au principe d’égalité de traitement entre actionnaires.

63 WEIBEL, p. 360 ; BÖCKLI, Aktienrecht, §4 N 247ss ; LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 7a et suivants ; GERICKE/ISLER, p. 134 ; BURCKHARDT, p. 12

64 Cette interprétation ressort aussi bien de la formulation de l’art. 21 de la Directive 2012/30/UE : « Sans préjudice du principe de l’égalité de traitement de tous les actionnaires se trouvant dans la même situation » que de celle du principe général ancré à l’art. 46 de la même directive : « Les législations des États membres garantissent un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans une situation identique ». Voir également DRINKUTH, p.

268 ; KALSS/KLAMPFL, p. 150.

65 KALSS/KLAMPFL, p. 150 ; TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 52 ; BÖCKLI, Aktienrecht, §4 N 252.

66 TRIGO TRINDADE ad art. 659-659a CO, N 52.

67 GERICKE/ISLER, p. 133 ; WEIBEL, p. 360 ;

68 WEIBEL, p. 361.

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A notre sens, la situation juridique est moins évidente en droit européen car la Directive 2012/30/UE a d’abord pour but la protection et le maintien du capital et ne vise a priori pas directement à empêcher une concentration trop importante du pouvoir69. La systématique de la Deuxième directive de 1976, qui, lorsqu’elle imposait encore un plafond de 10%, autorisait les Etats membres à prévoir dans leur législation que cette limite ne s’appliquait pas pour les actions acquises à titre gratuit70, atteste que les questions de concentration du pouvoir au sein de l’actionnariat ne figuraient pas en première ligne des priorités du législateur européen. Cette analyse ne recueille toutefois pas le soutien d’une partie de la doctrine qui plaide également pour une application du principe d’égalité de traitement dans ce cas de figure71.

Conséquences du rachat d’actions

L’acquisition par une société de ses propres actions entraîne de multiples conséquences en matière de droit de vote, de publicité ou encore de présentation des comptes. Les pratiques des droits suisse, européen et américain diffèrent peu sur ces questions et offrent un panorama relativement homogène.

CO 659a I dispose ainsi que le droit de vote lié aux actions propres et les droits qui leur sont attachés sont suspendus. Cette règle vise à éviter que le conseil d’administration n’exerce une influence sur les décisions qui relèvent normalement de la compétence de l’assemblée générale72. Comme évoqué plus haut, elle ne permet toutefois pas d’empêcher complètement une modification des rapports de force au sein de l’actionnariat. La suspension du droit de vote dure aussi longtemps que la société détient les actions dans son portefeuille, que l’acquisition ait eu lieu à titre onéreux ou non. En droit européen, l’art. 24 par. 1 let. a de la Directive du 14 novembre 2012 impose aux Etats membres qui autorisent le rachat d’actions propres dans leur législation nationale de prévoir que « parmi les droits attachés aux actions, le droit de vote des actions propres est en tout cas suspendu ». §160(c) DGCL adopte une approche similaire en statuant que les actions rachetées ne peuvent servir ni au vote ni à la détermination d’un quorum.

D’un point de vue comptable, le droit suisse impose aux sociétés de constituer une réserve pour actions propres (CO 659a). Cette exigence permet d’éviter une double distribution de fonds propres qui mettrait en danger le remboursement des dettes sociales73. Selon le nouveau droit, les actions propres doivent être présentées non

69 PETER/BAHAR, p. 29.

70 Ancien art. 20 par. 1 lit. c de la Deuxième directive.

71 BALDAMUS, p. 151s et la référence citée.

72 LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 1.

73 PETER/BAHAR, p. 29s.

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plus à l’actif, mais en déduction des capitaux propres74. Cette solution, inspirée des standards IFRS, est également pratiquée au sein de l’Union européenne où le respect de ces normes est obligatoire pour les sociétés cotées75. Quant au droit américain, il n’impose pas la constitution d’une réserve légale pour actions propres76 mais l’application des US GAAP par les grandes sociétés aboutit pour elles au même résultat en pratique.

Enfin, les sociétés qui détiennent des actions propres dans leur portefeuille doivent le divulguer publiquement. Il s’agit ainsi de permettre aux actionnaires et aux investisseurs d’évaluer la société de façon transparente, tant les opérations de rachat reflètent parfois des informations importantes77. A teneur de CO 959c II ch. 4, la société doit mentionner dans l’annexe, à moins que ces informations ne ressortent directement du bilan ou des comptes annuels, le nombre de parts de capital propre qu’elle détient ainsi que le nombre de parts de capital propre détenues par les sociétés dans lesquelles elle a des participations. Cette indication doit être complétée par des informations sur l’acquisition et l’aliénation par l’entreprise de ses propres parts sociales au cours de l’année écoulée et renseigner sur les conditions, à savoir le prix, auxquelles la transaction a été réalisée78. Le droit européen va plus loin, en exigeant en plus de la société qu’elle mentionne dans le rapport de gestion les raisons pour lesquelles les acquisitions ont été effectuées durant l’exercice. Aux Etats-Unis, les exigences de publicité en matière de rachat d’actions sont régies par le droit fédéral, plus précisément le Exchange Act de 1934, lequel impose aux sociétés enregistrées auprès de la SEC de procéder à une publication très détaillée de leurs opérations de rachat ainsi que de corriger immédiatement leurs annonces, lorsque des changements ultérieurs rendraient celles-ci dépassées79.

Révision du droit de la SA

Dans la continuité de l’assouplissement réglementaire observé jusqu’ici, le droit suisse en matière de rachat d’actions devrait prochainement subir une modification importante dans le cadre de la révision du droit de la société anonyme dont le Conseil fédéral a publié une nouvelle version de l’avant-projet80 au mois de

74 CO 959a II ch. 3 lit. e ; RAFFOURNIER, p.122.

75 Règlement (CE) N° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 sur l’application des normes comptables internationales.

76 Voir BÖCKLI, Neuf règles, p. 69s.

77 LENZ/VON PLANTA ad art. 659 CO, N 11.

78 CO 959c II ch. 5.

79 Voir 17 CFR § 240.13e-4 ; CAHN/DONALD, p. 250s.

80https://www.bj.admin.ch/dam/data/bj/wirtschaft/gesetzgebung/aktienrechtsrevision14/vorentw -f.pdf (consulté le 30 septembre 2016).

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novembre 2014. Bien que CO 659 ne soit que peu affecté par cette révision81, celle- ci prévoit notamment la création d’une marge de fluctuation du capital-actions sur autorisation de l’assemblée générale qui permettra au conseil d’administration de librement augmenter ou réduire le capital-actions dans une fourchette définie et ce pendant une durée de cinq ans (P-CO 653s ss)82. Les bornes inférieures et supérieures de cette fourchette ne devront pas dépasser 50%, respectivement 150%

du capital-actions inscrit au registre du commerce, ce qui aura pour conséquence que le conseil d’administration pourra, après augmentation du capital-actions, procéder à une réduction de deux tiers du capital-actions via des rachats d’actions propres83.

Selon toute vraisemblance, les opérations de rachat effectuées à l’intérieur de la marge de fluctuation ne devraient plus être soumises aux conditions de CO 65984. La limite de 10% sera certes théoriquement maintenue malgré les demandes en ce sens de certains participants à la phase de consultation85 mais elle n’aura guère d’effet en cas de marge de fluctuation du capital, le conseil d’administration pouvant alors lui-même canceller les actions acquises et adapter les statuts en conséquence sur la base de l’autorisation conférée par l’assemblée générale86.

Ce mécanisme donnera lieu à des rachats d’actions qui nous semblent excessifs87. L’appel aux créanciers et l’établissement d’une attestation de révision avant la décision de l’assemblée générale d’instaurer une marge de fluctuation du capital tels que prévus par P-CO 653w offrent une garantie de protection bien maigre à l’égard des créanciers sociaux. Une société saine au moment de l’instauration de la marge de fluctuation pourrait ensuite décider par la voix de son conseil d’administration de s’endetter massivement afin de procéder à des rachats d’actions comme en témoigne le cas d’ABB dans le début des années 2000. En plus de détériorer le bilan de la société sans réelle création de valeur espérée en contrepartie, cette situation affaiblirait la position des créanciers antérieurs qui n’auraient alors plus véritablement de moyen d’action pour assurer le remboursement de leurs créances.

81 La seule nouveauté apportée à CO 659 consiste à permettre aux sociétés de racheter jusqu’à 20% de leurs titres lorsqu’elles font l’objet d’une action en dissolution pour justes motifs selon CO 736 afin de faciliter la sortie de certains actionnaires minoritaires. Voir le rapport explicatif

2.1.11., p. 91.

https://www.bj.admin.ch/dam/data/bj/wirtschaft/gesetzgebung/aktienrechtsrevision14/vn- ber-f.pdf (consulté le 30 septembre 2016).

82 Ce délai est conforme à ce que prévoit la réglementation européenne en matière d’augmentation autorisée du capital, art. Art. 29 par. 2 de la Directive 2012/30/UE.

83 IFFLAND, p. 53 ; BÖCKLI, Blütenlese, p. 3 ; GERICKE/ISLER, p. 138.

84 Dans ce sens, GERICKE/ISLER, p. 139 ; WERLEN/SULZER, p. 510 ; BÖCKLI, Blütenlese, p. 3.

85 Message du Conseil fédéral concernant la modification du Code des obligations (droit de la société anonyme) du 23 novembre 2016, p. 116.

86 Werlen/Sulzer, p. 510.

87 Egalement, BÖCKLI, Blütenlese, p. 3.

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Conclusion

Suivant tantôt l’exemple du droit américain, tantôt celui de ses voisins européens, le droit des sociétés suisse a considérablement relâché les contraintes qui entouraient les opérations de rachat d’actions au fil des ans. A n’en pas douter, ce mouvement n’est pas terminé et est appelé à se poursuivre comme en témoigne le projet de révision du droit suisse de la société anonyme. En autorisant les rachats d’actions pratiquement sans limite à l’intérieur d’une marge de fluctuation du capital, le droit suisse se rapproche un peu plus du système sans capital légal tel qu’il existe aux Etats-Unis88. Dans le même temps, le Code des obligations consacrera pour la première fois explicitement la compétence de l’assemblée générale pour décider des rachats d’actions représentants plus de 10% du capital- actions, un élément emprunté au droit européen.

Hormis peut-être le principe général de l’égalité de traitement entre actionnaires, la nécessité pour les sociétés de détenir des fonds propres suffisants avant tout rachat d’actions propres semble être le dénominateur commun des droits suisse, européen et américain et s’affirme de plus en plus comme la seule véritable condition à respecter par les sociétés dans ce cadre. Bien qu’elle ait résisté in extremis lors de la phase de consultation du projet de nouveau droit de la société anonyme, l’exigence de plafonds de rachat s’efface progrressivement, en Suisse comme en Europe, devant la préoccupation d’accorder toujours davantage de flexibilité aux entreprises.

Cette évolution se fait néanmoins au détriment des créanciers sociaux. La possibilité pour les sociétés de racheter selon les circonstances jusqu’à deux tiers de leur capital comme le prévoit le projet de révision nous semble exagérée. Ni la présence de liquidités excédentaires, ni l’amélioration de ratios financiers ou d’autres bénéfices généralement reconnus aux rachats d’actions ne paraissent justifier une telle déréglementation. A l’évidence, cette flexibilité accrue pour les sociétés aura un prix : le risque supplémentaire encouru par les créanciers potentiellement exposés à des rachats d’actions massifs devra nécessairement être reflété dans le taux d’intérêt auquel ces sociétés emprunteront des fonds étrangers.

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88 Pour une discussion théorique approfondie autour de l’opportunité de reconnaître des sociétés anonymes sans capital légal en droit suisse, voir la contribution de STOFFEL.

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Références

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