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Les sociétés de capital-risque dans les réseaux complexes d’innovation : l’exemple de la Silicon Valley

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Academic year: 2022

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Les sociétés de capital-risque dans les réseaux complexes d'innovation : l'exemple de la Silicon Valley

FERRARY, Michel

FERRARY, Michel. Les sociétés de capital-risque dans les réseaux complexes d'innovation : l'exemple de la Silicon Valley. Management international , 2008, vol. 13, no. 1, p. 17-27

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41646

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D

ans les pays développés, l’innovation est l’un des fon- dements principaux de la croissance économique, de la compétitivité nationale et de la création d’emplois (Miller et Côté, 1985; Rosenberg, 2002). Plusieurs recherches ont montré que l’innovation résulte d’un processus com- plexe sous-tendu non pas par un acteur économique par- ticulier (une grande entreprise ou une université) mais par l’interaction d’une multitude d’acteurs dans une localisation géographique particulière (Powell, Koput et Smith-Doerr, 1996; Porter et Stern, 2001). Différents cadres théoriques ont été utilisés pour représenter ces interactions généra- trices de compétitivité et d’innovation. Les concepts de

« district industriel » (Marshall, 1890; Piore et Sabel, 1984;

Becattini, 2002), de « cluster » (Porter, 1998), d’« habi- tat » (Lee, Miller, Hancock et Rowen, 2000), d’« écosys- tème des affaires » (Iansiti et Levien, 2004), de « réseaux d’innovation » (Saxenian, 1994) ont été mobilisé pour appréhender ces environnements innovants géographique- ment localisés.

Dans cette perspective, la Silicon Valley est un objet de recherche privilégié de l’analyse des clusters car nombre

des plus importantes et des plus innovantes entreprises de hautes technologies y ont été créées et sont à l’origine de dizaines de milliers d’emplois. Des entreprises comme Hewlett Packard, Intel, Oracle, Sun Microsystems, Apple, AMD, Cisco Systems, Yahoo, eBay ou Google, pour ne citer que les plus connues, ont été fondées dans cette région du nord de la Californie. En 2005, 1,15 million d’emplois liés aux hautes technologies et 22000 entreprises étaient recensés dans la Silicon Valley (Joint venture, 2006).

Cette région se caractérise par un rythme élevé de création d’entreprises. Sur la période 1990-2000, en moyenne, 2940 entreprises y ont été créées chaque année (Zhang, 2003).

Dans le cadre de cette recherche, la Silicon Valley n’est pas appréhendée comme un cluster industriel mais comme un cluster d’innovation qui se caractérise moins par son excellence dans un secteur industriel donné que par sa capacité à initier et à développer de nouvelles activités en favorisant la création d’entreprises innovantes. Un cluster industriel se définit par sa capacité à renforcer et à préserver sa compétitivité dans un secteur d’activité particulier à travers un flux régulier d’innovations incrémentales1 Résumé

La théorie des réseaux complexes offre un cadre original d’analyse de l’innovation dans les clusters de hautes technologies. La Silicon Valley est appréhendée comme un réseau d’acteurs hétérogènes complémen- taires et interdépendants faisant système.

La complétude du réseau est à l’origine de sa robustesse. Les sociétés de capital-ris- que (SCR) constituent un acteur important de la robustesse du réseau complexe de la Silicon Valley. L’analyse porte sur la contribution formelle et informelle des SCR aux réseaux complexes d’innovation en analysant leurs interactions avec les entreprises qu’elles financent et avec les autres acteurs du cluster (universités, gran- des entreprises, avocats…).

Mots clés : Silicon Valley, réseaux com- plexes, innovation, capital-risque.

AbstRAct

The complex network theory is an original perspective to analyse innovation in high- tech clusters. The Silicon Valley is under- stood as a network of heterogeneous and complementary actors that constitute a sys- tem. The completeness of a network explains its robustness. Venture capital firms (VCF) are one of the main actors that support the robustness of Silicon Valley’s complex network. The research explores formal and informal contributions of VCF to complex networks of innovation by ana- lyzing their interactions with start-ups that they back and the other actors of the cluster (universities, large firms, lawyers…).

Keywords: Silicon Valley, complex networks, innovation, venture capital.

Resumen

La teoria de la compleja red es una original perspectiva para analizar la innovación en alta tecnología agrupaciones. El Silicon Valley se entiende como una red heterogé- nea de actores y complementarias que constituyen un sistema. La exhaustividad de una red explica su robustez. Empresas de capital riesgo (ECR) son uno de los principales actores que apoyan la solidez de Silicon Valley’s compleja red. La inves- tigación explora formales e informales de las contribuciones ECR a complejas redes de innovación a través del análisis de sus interacciones con las empresas de nueva creación que espalda y los otros actores del grupo (universidades, grandes empresas, abogados…).

Palabras claves: Silicon Valley, redes com- plejas, la innovación, el capital de riesgo.

complexes d’innovation. L’exemple de la Silicon Valley

Michel Ferrary Ceram Sophia Antipolis

1. La distinction entre innovation incrémentale et innovation radicale

s’appuie sur la définition de Burgelman, Maidique et Wheelwright (2001, p. 432)

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d’adaptation et d’amélioration pour préserver son excellence dans ce domaine. A ce titre, le nord de l’Italie constitue un cluster industriel dans l’industrie du cuir, tout comme la Suisse est un cluster dans l’industrie horlogère, de même que l’industrie du vin localisée dans la Nappa Valley, l’industrie cinématographique de la région de Los Angeles ou l’industrie financière à Wall Street peuvent être qualifiées de clusters industriels. Dans tous les cas, la région considérée est porteuse d’un domaine d’excellence qui s’autorenforce dans une industrie spécifique. Pour sa part, un cluster d’innovation fonde sa compétitivité sur des innovations radicales pour créer de nouveaux secteurs industriels et/ou pour reconfigurer profondément la chaîne de valeur d’un secteur industriel. Appréhender la Silicon Valley comme un cluster d’innovation conduit à s’interroger sur les facteurs de création de nouveaux secteurs industriels grâce à la création et au développement d’entreprises innovantes.

Pour explorer cette dynamique d’innovation, une perspective théorique issue du renouvellement de la pensée systémique est mobilisée pour appréhender les clusters d’innovation comme étant des réseaux complexes (Barasi, Newman et Watts, 2006; Jen, 2006). Cette approche converge avec celle du courant épistémologique de la complexité (Morin, 1980; Le Moigne, 1995). La théorie des réseaux complexes, plus particulièrement la notion de robustesse est utilisée pour comprendre en quoi les systèmes d’innovation résistent plus ou moins aux chocs induits par les changements socio-économiques qu’ils subissent.

Ce cadre théorique permet d’explorer la robustesse du réseau complexe d’innovation de la Silicon Valley qui depuis les années quarante a connu de nombreuses crises mais qui a chaque fois a restauré, voir renforcé, sa capacité d’innovation (Kenney et Von Burg, 2000). Dans cette perspective, la Silicon Valley sera appréhendée comme étant composée de réseaux d’acteurs hétérogènes complémentaires et interdépendants faisant système. Une perspective systémique permet d’insister sur le principe selon lequel la performance de chaque acteur est dépendante de la qualité et de la présence des autres acteurs. Du fait de l’interdépendance des membres du réseau, l’absence de l’un d’entre eux affaiblit le fonctionnement des autres et, in fine, de l’ensemble du réseau complexe.

L’hypothèse explorée dans cet article est que les sociétés de capital-risque (SCR) constituent un acteur important, mais sous-estimé, de la robustesse du réseau complexe d’innovation de la Silicon Valley. Deux éléments justifient de porter une attention particulière aux SCR. La première est que la quasi-totalité des grandes entreprises de hautes technologies localisées dans la Silicon Valley (Intel, Sun, Apple, Oracle, Cisco Systems, EBay, Yahoo, Google,…) ont été financées lors de leur création par des SCR. La seconde, est que les études internationales comparant les clusters de hautes technologies montrent que ces derniers

se caractérisent essentiellement par la présence de grandes entreprises, d’universités et de laboratoires de recherche mais que la spécificité de la Silicon Valley est la présence de nombreuses SCR (Lee, Miller, Hancock et Rowen, 2000).

En 2006, la National Venture Capital Association recense plus de 650 SCR aux Etats-Unis, dont près de 180 sont localisées dans la Silicon Valley. Entre 1995 et 2005, les investissements en capital risque dans la Silicon Valley se sont élevés à 111 milliards de dollars, soit prêt de 32,48 % de l’ensemble des investissements en capital-risque aux Etats-Unis (341 milliards de dollars de 1995 à 2005)2, ce qui est quasiment l’équivalent des investissements réalisés en Europe (119 milliards de dollars).

Au-delà du financement de la création et du développement des start-ups, l’analyse vise à comprendre la contribution des sociétés de capital-risque au fonctionnement du système complexe d’innovation. L’objectif de cette recherche est d’analyser l’interaction entre les société de capital-risque et les start-ups qu’elles financent et, surtout, d’explorer la contribution des sociétés de capital-risque à l’ensemble du réseau complexe d’innovation que constitue le cluster de la Silicon Valley, notamment en analysant leurs interactions avec les autres acteurs du cluster d’innovation (universités, grandes entreprises, avocats, banques d’affaires,…). Cinq rôles des SCR de la Silicon Valley seront analysés. Elles seront appréhendées comme des acteurs de financement, des acteurs de sélection, des acteurs d’apprentissage collectif, des acteurs d’encastrement et des acteurs de signalisation.

Dans une première partie, nous montrerons en quoi les environnements innovants peuvent être appréhendés à partir du cadre théorique des réseaux complexes afin d’expliquer en quoi la Silicon Valley peut être qualifiée de réseau complexe d’innovation robuste. Dans une seconde partie, nous analyserons le rôle particulier que jouent les SCR dans la dynamique de ces réseaux d’innovation afin d’exposer en quoi l’absence de cet acteur dans un environnement innovant contribue à l’incomplétude et à la fragilité du système complexe d’innovation.

I. L’analyse des clusters de hautes technologies à l’aune de la théorie des réseaux complexes Ces dernières années, l’analyse de la dynamique des réseaux complexes a connu un renouveau dans différents champs théoriques : physique, mathématiques, informatique, biologie, sociologie et économie (Newman, 2003; Jen, 2006; Barabasi, Newman, et Watts, 2006), conduisant à l’émergence d’une « nouvelle science des réseaux » (Watts, 2004). Ces travaux convergent avec ceux d’une école française de la complexité (Atlan, 1972; Morin, 1980; Laborit, 1974; Le Moigne, 1995) qui analysent les ensembles organisés comme des systèmes caractérisés par la multiplicité de leurs composants et la diversité de

2. PriceWaterhouseCoopers

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leurs interrelations qui sous-tendent une complexité à la fois organisée et organisante. Cette perspective théorique constitue un cadre original d’analyse des clusters de hautes technologies. Dans un premier temps (I.1), nous exposerons les principales caractéristiques de la théorie des réseaux complexes. Ensuite (I.2), nous analyserons les clusters de hautes technologies à l’aune de ce cadre théorique.

I.1. LathéorIedesréseauxcompLexes

A. L’hétérogénéité des acteurs qui composent le réseau Un réseau sera dit complexe dans la mesure où il est composé d’une multitude d’acteurs de natures différentes qui interagissent dans une finalité intéressée. Les acteurs sont hétérogènes car ils ont des caractéristiques différentes et remplissent des fonctions particulières (Barabasi, 2002).

Les acteurs du réseau peuvent être également multiplexes, c’est-à-dire qu’un même acteur peut remplir différentes fonctions dans le système et/ou optimiser différents intérêts. Dans un écosystème biologique, un même individu peut-être une proie et un prédateur. Dans un système social, un même individu peut-être un citoyen, un parent, un membre d’une association ou un salarié d’une entreprise. Chacun de ces statuts correspond à des rôles dans le système et à des intérêts particuliers.

B. Les interactions multidimensionnelles entre les acteurs déterminent la densité du réseau

Le réseau complexe est composé d’acteurs interconnectés appartenant à une multitude de réseaux qui se recoupent et dont les interactions génèrent les règles qui gouvernent le système. Le néologisme « hétérarchie » est utilisé pour décrire ces réseaux complexes (Stark, 1999). Un ensemble d’individus ne devient un système que lorsque ses individus interagissent. L’interaction entre les acteurs hétérogènes est l’essence des systèmes complexes (Le Moigne, 1995).

Ces interactions ont structurellement d’autant plus de probabilités de se produire que les acteurs du système sont interdépendants.

Pour Watts et Strogatz (1998), la structure d’un réseau (nature des acteurs et leur degré de connexion) peu avoir des implications très importantes sur la dynamique collective d’un système. Par exemple, la diffusion des épidémies est fortement influencée par le degré de connexion des populations (Krestschmar et Morris, 1996). L’existence de liens sociaux détermine également la circulation des informations entre les entités du réseau (Granovetter, 2005).

La structuration de ces acteurs en groupe ou en hiérarchie influence l’évolution du système. La répartition des liens dans le réseau ne respecte pas une distribution normale mais une « loi de puissance ». Cela signifie qu’au sein du réseau certains acteurs sont plus connectés que d’autres et

donc que leur influence dans la circulation de l’information est plus importante (Burt, 1992).

La dimension réticulaire permet d’insister sur le fait que le comportement et la performance d’un acteur ne sont pas intrinsèquement déterminés mais doivent être recontextualisés afin d’analyser en quoi la nature de l’environnement de l’acteur et les interactions qu’il nourrit avec lui sont déterminantes. La notion de système met en avant l’interdépendance des acteurs du système. On peut parler d’interdépendance systémique au sens où la viabilité de l’ensemble dépend à la fois de la présence de tous les acteurs et de la diversité de leurs interactions.

C. La capacité d’apprentissage, d’anticipation et d’innovation des acteurs pour répondre aux changements internes et externes

Les systèmes complexes doivent faire face simultanément à une multitude de perturbations à différents niveaux du réseau. La dynamique du réseau complexe va être déterminée par sa réaction aux chocs internes et/

ou externes qui conduiront ou non à la disparition de l’ensemble du réseau (Dodds et al., 2003). Le système complexe fonctionne et se transforme en interaction avec son environnement avec pour objectif de maintenir son existence (Morin, 1980).

Un réseau complexe se caractérise par une capacité d’apprentissage qui l’amène à évoluer pour s’adapter à son environnement. La théorie des réseaux complexes s’inscrit dans une perspective évolutionniste de sélection naturelle dans laquelle l’existence du système dépend de sa capacité d’adaptation à son environnement. Cette capacité d’apprentissage est liée aux retours (« feedback » ou « boucle récursive » (Morin, 1977)) que reçoivent les acteurs quand ils agissent. Il y a une réaction à l’action qui entraîne un processus d’interprétation et d’apprentissage. Le processus de feedback est au cœur du processus d’apprentissage des systèmes complexes (Le Moigne, 1995). Ce processus d’adaptation permanent induit que le réseau complexe est un système rarement à l’équilibre mais en continuelle évolution. Un ensemble organisé est à la conjonction d’un ordonné prévisible et d’un désordonné imprévisible.

L’interaction de l’ensemble avec son environnement génère de la connaissance qui est accumulée par le système (Morin et Le Moigne, 1999). La dynamique des interactions conduit à des changements non-linéaires et souvent chaotiques qui sont producteurs de connaissances.

Certains réseaux se caractérisent par leur capacité à s’autorenforcer en favorisant l’émergence de nouveaux acteurs et/ou à se connecter à d’autres acteurs. La connectivité, en tant que capacité d’un réseau à se connecter à d’autres réseaux, constitue un facteur de renforcement du système.

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D. La robustesse ou la fragilité du réseau complexe Comme le note Jen (2006), la question concernant les systèmes porte en général plus sur la question de leur stabilité.

L’approche des réseaux complexes analyse la robustesse des systèmes, c’est-à-dire leur capacité à résister à des chocs extérieurs importants et à se reconfigurer (Callaway et al., 2000). La robustesse se mesure à la persistance du système. Un système robuste perdure à travers le temps et résiste aux chocs en se reconfigurant alors qu’un système faible disparaît lorsqu’il subit un choc.

La robustesse dépend de la capacité à évoluer vers de nouvelles fonctionnalités, à intégrer des mécanismes d’apprentissage, à reconfigurer les processus de résolution de problèmes et d’inciter la créativité. La robustesse d’un système peut se traduire par une reconfiguration de sa structure pour remplir la même fonction ou, inversement, de remplir une nouvelle fonction sans modifier sa structure (Jen, 2003).

La performance du système est déterminée par les ressources détenues par chaque acteur, de la manière dont ces acteurs transforment ces ressources et qu’ils les échangent entre eux. Ainsi, les écosystèmes biologiques seront d’autant plus robustes que la chaîne alimentaire animale qui la compose sera complète et donc continue (Montoya et Solé, 2002). De même, la robustesse du réseau que compose le web dépend de la qualité des interconnexions du système (Albert et Al., 1999).

La robustesse du système dépend de la complétude du réseau d’acteurs et de la qualité et de la densité des connexions entre les acteurs. Le réseau complexe sera d’autant plus robuste que le système sera complet et que les liens seront denses (Hartman et al., 2001).

I.2. unecompréhensIondescLustersàLaunedeLa théorIedesreseauxcompLexes

L’efficience d’un système complexe d’innovation se mesure par le nombre de créations d’entreprises et par la pérennité de cette capacité. La faiblesse d’un système complexe d’innovation mesurée par le nombre réduit de création d’entreprises peut être liée à son incomplétude et/

ou à la pauvreté des liens entre ses composantes.

Les clusters de hautes technologies peuvent être considérés comme des réseaux, c’est-à-dire un ensemble d’acteurs coordonné de manière décentralisée et non- planifiée (Saxenian, 1994). La complexité de ces réseaux est liée à l’hétérogénéité des acteurs et de leur double dimension organisationnelle et humaine. Le réseau complexe d’entreprises interagit avec le réseau complexe d’individus. Les réseaux sociaux interagissent avec les réseaux d’entreprises. Les connexions entre les individus s’articulent avec les connexions entre les organisations.

La densité des connections sociales sont d’autant plus importantes dans les milieux innovants que la connaissance est tacite (Nonaka, 1994). Les interactions entre les acteurs qui composent le système conditionnent la circulation de l’information et la création de connaissance.

L’existence de clusters de hautes technologies est souvent ramenée à la collaboration entre universités, grandes entreprises et laboratoires de recherche, le tout coordonné par les pouvoirs publics (Etkowitz et Leydesdorff, 1997).

La dynamique d’innovation de la Silicon Valley ne résulte pas des simples interactions entre universités, grandes entreprises et laboratoires de recherche. De nombreux autres acteurs interviennent également pour constituer un système complexe d’innovation (Kenney et Von Burg, 2000; Cohen et Field, 1999). L’analyse de la Silicon Valley montre que si ces trois acteurs sont des composants nécessaires du système d’innovation, ils ne sont cependant pas suffisants pour initier la création et le développement d’entreprises de hautes technologies. Les capital-risqueurs (Hellman et Puri, 2002 ; Kenney et Florida, 2000), les avocats (Suchman, 2000), les consultants, les cabinets de recrutement et divers prestataires de services (Bahrami et Evans, 1995) interviennent également dans la dynamique d’innovation.

Cette dynamique vertueuse de création d’entreprises innovantes est auto-renforçante car le nombre de grandes entreprises dans le système augmente du fait de la croissance des entreprises créées localement (Hewlett-Packard, Cisco Systems, Sun Microsystems…) et de l’implantation d’entreprises étrangères (Nokia, Samsung, Alcatel,…) qui souhaitent bénéficier de la dynamique d’innovation de la région. Ainsi, si l’on prend l’exemple de Google, la création et le développement de cette entreprise résultent de l’interaction entre de multiples acteurs. A l’origine, ces interactions furent entre l’université de Stanford, où les fondateurs de l’entreprise ont suivi leurs études et conçus leur projet et qui a ensuite fournit des ressources humaines lors du développement de l’entreprise, des sociétés de capital- risque (Sequoia Capital et Kleiner, Perkins, Caufield and Byers) qui ont financé la création de l’entreprise, des grandes entreprises Yahoo et AOL qui ont été les premiers clients de Google, de la banque d’affaires Credit Suisse First Boston, dont le bureau de San Francisco, a organisé l’introduction en bourse. Les médias (presse écrite, télévisions, internet) ont diffusé de nombreuses informations concernant cette entreprise (Vise, 2005).

L’enjeu théorique est d’identifier l’ensemble des acteurs nécessaires à la dynamique vertueuse du système complexe d’innovation. Passer de la conceptualisation d’un système d’acteurs hétérogènes interagissant à un exemple concret conduit à prendre le risque de définir une taxonomie exhaustive discutable mais constitue une étape nécessaire à la compréhension des clusters de hautes technologies.

Du fait de l’interdépendance des acteurs, l’absence de l’un d’entre eux affaiblit mécaniquement l’ensemble du

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système. La définition des acteurs du système complexe d’innovation reprend et complète les travaux de Ferrary et Pesqueux (2004) qui identifient douze catégories d’acteurs dont les interactions au sein de la Silicon Valley sont à l’origine de la création et du développement d’entreprises innovantes. Ces acteurs peuvent remplir plusieurs fonctions officielles et/ou officieuses nécessaires au fonctionnement du réseau complexe.

La Silicon Valley peut être considérée comme un système complexe robuste dans la mesure où les différentes crises liées aux fins de cycles des innovations que cette région avait initiées n’ont pas altéré sa capacité d’innovation dans le domaine des hautes technologies. Au contraire, l’arrivée à maturité d’un cycle de technologie a servi de fondement aux cycles suivants. Ainsi, l’industrie des semi-conducteurs portée par des entreprises comme Fairchild, Intel, AMD et National Semiconductor, a sous- tendu l’industrie de la micro-informatique portée par des entreprises comme Apple, Sun Microsystems et Hewlett- Packard, et de logiciels (Oracle, Electronic Arts), qui a elle-même rendu possible une industrie d’interconnexion d’ordinateurs (Cisco Systems, 3Com, Juniper Networks,…) qui ont finalement donné naissance aux industries de communication et d’échange sur internet (Netscape, Excite, Yahoo, Google, eBay,…). Chaque nouvelle industrie venant renforcer la robustesse du système complexe d’innovation.

Le réseau complexe d’innovation crée de nouveaux acteurs

qui viennent s’articuler à ceux qui existent pour interagir avec eux et générer de nouvelles innovations.

Dans la théorie des réseaux complexes, la persistance du système permet d’en mesurer la robustesse. Les changements d’adaptation peuvent relever de la structure (réaliser la même chose différemment) et/ou des fonctions (réaliser des choses différentes avec la même structure) (Jen, 2006). La Silicon Valley, s’est reconfigurée pour préserver sa capacité innovation tout en restant au cœur du secteur globalisé des hautes technologies. Ainsi, l’émergence des fabricants asiatiques de micro-processeurs a conduit les entreprises californiennes à se recentrer sur le design et à s’appuyer sur les sous-traitants asiatiques. De même, l’émergence de l’industrie indienne du logiciel a conduit les entreprises de la Silicon Valley à sous-traiter les activités à faible valeur ajoutée tout en restant dominant dans cette industrie.

Cette robustesse qui sous-tend cette pérennité est particulière à la Silicon Valley. La robustesse de la Silicon Valley se mesure à la régularité de la création d’entreprises innovantes et à la croissance pérenne de ces dernières.

L’analyse des travaux relatifs aux clusters et aux districts industriels montre que nombre de ceux qui furent identifiés se sont révélés fragiles à moyen terme et ont disparu. La suite de cette recherche vise à analyser en quoi les sociétés de capital-risque constituent un acteur de robustesse du réseau complexe d’innovation de la Silicon Valley.

FIGURE 1

Le réseau complexe d’innovation de la Silicon Valley

(7)

II. Les sociétés de capital-risque comme acteur de robustesse du réseau complexe d’innovation de la

Silicon Valley

II.1. LessocIétésdecapItaL-rIsquedansLadynamIque deLa sILIcon VaLLey : uneapprochehIstorIque

La naissance de la Silicon Valley comme milieu innovant fait l’objet de nombreux débats. Certains font de la création de l’Université de Stanford en 1896 l’acte de naissance de ce système (Adams, 2005), d’autres le situe en 1909 lors

de la création de Federal Telegraph Company (Sturgeon, 2000), pour d’autres la fondation d’Hewlett-Packard en 1939 est l’acte fondateur de la Silicon Valley, les derniers le situe en 1955 avec la création par Shockley de la première entreprise de semi-conducteurs.

Une analyse historique d’un cluster de hautes technologiques sous l’angle de systèmes complexes d’innovation consiste à montrer comment se sont progressivement rassemblés l’ensemble des acteurs qui constituent actuellement la Silicon Valley et comment cette agrégation progressive a contribuer à l’accélération de la TabLEaU 1

Les acteurs du réseau complexe d’innovation de la Silicon Valley

Acteurs Fonctions officielles Fonctions officieuses

Universités Générer de l’innovation

Accumuler des expertises technologiques Fournir une main d’œuvre qualifiée

Incuber des start-ups Socialiser les agents Centres de recherche Générer de l’innovation

Accumuler des expertises technologiques

Incuber des start-ups Socialiser les agents

Grandes entreprises Générer et développer de l’innovation Accumuler des expertises technologiques

Incuber des start-Ups Socialiser les agents

Fournir une main d’œuvre qualifiée Acquérir des start-ups

Etre client de start-ups

Sociétés de capital-risque Financer les start-ups

Sélectionner les start-ups

Accumuler la connaissance entrepreneuriale Encastrer les entrepreneurs

Signaler la qualité des start-ups Cabinets d’avocats Fournir des services juridiques Accumuler de l’expertise juridique

Encastrer les entrepreneurs Cabinets de recrutement Aider aux recrutements

Cabinets d’expert-

comptables Fournir des services comptables Accumuler une expertise comptable Conseiller les entrepreneurs

Cabinets de relations

publiques Médiatiser les start-ups

Cabinets de consultants Fournir des expertises (marketing,

logistique, informatique,…) Fournir une main d’œuvre qualifiée

Médias Diffuser l’information Créer une culture entrepreneuriale

Médiatiser les start-ups Banques d’affaires Organiser les introductions en bourse

Organiser les fusions et acquisitions Banques commerciales Favoriser les transactions

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croissance endogène sous la forme de création d’entreprises et d’emplois dans des secteurs de hautes technologies.

La création de l’université de Stanford en 1896 constitue l’apparition du premier acteur du système complexe.

Cette université est à l’origine de nombreuses nouvelles technologies et a formé ou a employé de nombreux créateurs d’entreprises de la Silicon Valley. Byers, Keeley, Leone et Parker (2000) évaluent à plus de 2000 le nombre d’entreprises créées par des professeurs ou des diplômés de Stanford. Le réseau d’acteurs économiques constitué autour de l’université de Stanford s’est par la suite enrichi et complexifié. De nombreuses grandes entreprises non- californiennes se sont implantées à Palo Alto dès les années 1930 : General Electric, Eastman Kodak, Lockheed, IBM,…

Des laboratoires de recherche privés se sont créés comme le Stanford Research Institute, fondé en 1946, et le Xerox Parc en 1970.

Cependant, malgré la présence d’universités, de grandes entreprises et d’un support important des pouvoirs publics dans les années quarante, la croissance endogène de la Silicon Valley était à cette époque relativement faible.

L’accélération de la croissance endogène de la Silicon Valley, c’est-à-dire la multiplication de la création d’entreprises innovantes, correspond au développement de l’industrie des semi-conducteurs à la fin des années cinquante et au début des années soixante, qui d’ailleurs donna son nom à la Silicon Valley3. Adams (2005) souligne qu’en 1939, année de création de Hewlett-Packard, les entreprises de fabrication de matériel électrique et de radio n’employaient que 464 salariés dans la région de San Francisco contre 17000 en 1963 et que seulement 243 entreprises de hautes technologies furent créées entre 1960 et 1969.

Historiquement, c’est également à la fin des années cinquante que s’est développée en Californie l’industrie du capital-risque. En 1958, Draper, Gaither et Anderson ont créé la première société de capital-risque californienne sous le statut de SBIC. A partir, de cette date, le nombre de sociétés de capital-risque s’est accru. En 1961, Arthur Rock et Tommy Davis ont fondé à San Francisco la première société américaine de capital-risque sous la forme juridique de « limited partnership » : Venrock Associates;

forme qui se généralisera pour les activités de capital-risque (Kenney et Florida, 2000). Le Mayfield fund fut créé en 1969, Sequoia Capital en 1972, ainsi que Kleiner, Perkins, Caufield&Byers. En 1975, plus d’une trentaine de sociétés de capital-risque sont recensées dans la région de San Francisco. En 1968, la banque d’affaire Hambrecht&Quist fut créée en Californie pour permettre les introductions en bourse des entreprises de la région (Hambrecht, 1984).

La banque Robertson&Coleman fut créée pour la même raison. Ensuite, les banques d’affaires new-yorkaises (Goldman Sachs, JP Morgan,…) sont venues s’installer dans la région. Les années quatre-vingt ont été marquée

par le développement des cabinets d’avocats : Wilson, Sonsini, Goodrich&Rosati, Ware&Friedenrich, Fenwick, Davis&West,… (Suchman, 2000).

Les premières entreprises de la Silicon Valley furent financées par des investisseurs privés ou des grandes entreprises. En revanche, la naissance de l’industrie des semi-conducteurs fut financée par les sociétés de capital- risque, marquant l’arrivée de ces acteurs dans la région de San Francisco. Si Shockley Semiconductor fut financé par Beckman Instruments et que Fairchild Semiconductor, fondé en 1957, a été financé par Fairchild Industry, en revanche, Intel, fondé en 1968, fut financée par Venrock Associates, Cypress Semiconductor, Teledyne et AMD furent financées par Sequoia Capital. En 2006, parmi les 30 plus grandes entreprises de hautes technologies de la Silicon Valley, seules 2 n’ont pas été financées par des SCR : Hewlett- Packard qui a été créée en 1939 avant l’apparition du capital-risque et Agilent Technologies qui est une spin-off de Hewlett-Packard datant de 1999. Sur les 28 autres, douze ont été financées par une SCR l’année de leur création, neuf l’année suivante, deux dans leur deuxième année d’existence et cinq dans leur troisième année ou après.

Historiquement, il y a une concomitance entre la croissance de la Silicon Valley et le développement d’une industrie de capital-risque dans cette région. Il convient d’examiner la contribution des sociétés de capital-risque aux réseaux complexes d’innovation de la Silicon Valley.

II.2. LafonctIondescapItaL-rIsqueursdeLa sILIcon

VaLLey

A. La fonction officielle : acteur du financement des start-ups

La fonction économique officielle de l’industrie du capital-risque est de financer la création et le développement d’entreprises (Gompers et Lerner, 2004, Dubocage et Rivaud-Danset, 2006). Dans le cycle de vie d’une entreprise de haute technologie, il y a une phase qui nécessite un financement extérieur du développement car l’entreprise ne peut pas s’auto-financer par faute de client. C’est dans cette phase de développement de l’entreprise que le rôle du financement des capital-risqueurs est important. A ce stade de développement de l’entreprise, le risque financier est très élevé. De ce fait, les banques classiques, qui financent l’activité des entreprises par des prêts bancaires, se refusent à financer les start-ups car le risque de défaillance excède les standards classiques. Ensuite le financement par le capital-risque est relayé soit par l’autofinancement, soit par l’introduction en bourse, soit par un rachat par une grande entreprise industrielle soit, éventuellement, par des fonds de capital-investissement. Le financement réalisé par les SCR consiste à prendre une participation

3. En 1971, le journaliste Don Hoefler de la revue Electronic News,

titra un de ses articles « Silicon valley USA» pour localiser la région au sud de San Francisco où était né l’industrie du semi-conducteur.

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au capital de l’entreprise en contrepartie de l’apport de ressources financières. Ces investissements sont un facteur d’accélération de la croissance des entreprises (Hellmann et Puri, 2002). Les capitaux financiers sont utilisés pour acquérir les ressources humaines, technologiques et matérielles nécessaires au développement de l’entreprise et à rétribuer des prestataires de services (avocats, cabinets de recrutement, consultants,…).

B. Les fonctions informelles Acteur de sélection

Un capital-risqueur ne finance que 3 ou 4 entreprises sur les 500 projets qu’il reçoit chaque année (Perez, 1986).

Une SCR va s’efforcer d’identifier les start-ups qui ont le potentiel le plus important et de ce fait n’en finance qu’un petit nombre. Le modèle économique des SCR les incite à investir dans les start-ups qui représentent les meilleures opportunités de développement et de rentabilité car leur rétribution est directement et quasi-uniquement liée de manière différée à la plus-value en capital rendue possible par la cession de leur participation à un grand groupe industriel ou sur les marchés financiers 3 à 5 ans après leur investissement initial.

Au moment de sa création, une entreprise de hautes technologies dépend presque entièrement du capital- risque pour financer son développement. Ne pas obtenir ce type de financement entraîne quasi-systématiquement la disparition de l’entreprise. La théorie évolutionniste (Nelson et Winter, 1982) fait l’hypothèse d’une sélection naturelle des entreprises résultant des mécanismes du marché. Ainsi, l’émergence d’une nouvelle technologie et d’un « design dominant » résulteraient des mécanismes naturels du marché. Les entreprises créées disparaîtraient ou survivraient selon qu’un marché existe ou non. Dans le système complexe d’innovation de la Silicon Valley, cette sélection est réalisée par les SCR bien en amont du cycle de vie de l’innovation. Leur choix d’investissement constitue un processus de sélection collective. Une nouvelle entreprise de hautes technologies qui n’obtient pas de capitaux de la part de SCR pour financer son développement a de forte probabilité de cesser son activité avant même de pouvoir offrir un produit à des clients.

Cette première sélection en amont de la confrontation au marché permet une importante économie de ressources au sein du cluster. La compétence spécifique du capital- risqueur est l’évaluation du potentiel d’une innovation, parfois mieux que l’entrepreneur lui-même. Pour un marché donné, de nombreux « business plans » sont communiqués à la SCR. Cela lui permet de choisir le meilleur tant du point de vue de la technologie que des compétences du ou des entrepreneurs. Par exemple, actuellement, un enjeu technologique clairement identifié est de permettre aux individus de payer par l’intermédiaire de leur téléphone mobile. Plusieurs solutions sont envisageables et de

nombreux « business plans » ont été soumis aux SCR de la Silicon Valley. Seuls les projets qui obtiendront un financement pourront survivre.

Un associé d’une société de capital-risque spécialisée dans les technologies liées aux services financiers illustre par ses propos cette logique:

« Dans la Silicon Valley, tout le monde sait où sont les opportunités de marché pour de nouvelles innovations. Par exemple, un enjeu important pour les années à venir est lié aux paiements électroniques par les téléphones mobiles.

Plusieurs projets sont en cours de développement dans la Silicon Valley pour répondre à ce besoin. Dans la région, je suis identifié comme un capital-risqueur spécialisé dans les nouvelles technologies liées aux services financiers, de plus je suis très proche d’une grande banque internationale qui peut être un partenaire industriel pour des start-ups de ce secteur. Je reçois quasiment tous les business plans de la Silicon Valley concernant les paiements par téléphone mobile. Je les compare et je ne financerai que le projet qui me semblera avoir le mieux compris les enjeux du marché, dont la technologie est la meilleure et dont l’équipe est la plus performante ».

Acteur d’apprentissage collectif

Les capital-risqueurs amènent aux entrepreneurs qu’ils financent leurs connaissances en matière de création d’entreprise. Ils développent une expertise relative au domaine de la connaissance entrepreneuriale. Cette accumulation est liée d’une part au fait que les capital- risqueurs sont souvent d’anciens créateurs d’entreprise. Cette expertise est également accumulée à travers le financement et l’accompagnement de plusieurs dizaines de création d’entreprises (Fried et Hisrich, 1995). L’entrepreneur bénéficie directement de l’expérience de l’associé de la SCR qui siége à son conseil d’administration (Gorman et Sahlman, 1989) et qui le suit plus particulièrement.

Il bénéficie également, indirectement, de l’expérience accumulée par les autres associés qui apportent leur expertise en cas de nécessité. Ainsi, si l’on considère des SCR comme le Mayfield fund, Sequoia Capital ou Kleiner, Perkins, Caufield&Byers qui ont plus de trente années d’existence, ce sont des dizaines, voire des centaines d’entreprises qui ont été financées. Ces financements ont permis une accumulation de connaissances en matière de management, de protection juridique, de partenariats industrielles, de gestion financière, de recrutement, de marketing, de production, de soutien psychologique,…

que les capital-risqueurs apportent aux entrepreneurs qu’ils financent. En cas de nécessité, les capital-risqueurs peuvent temporairement prendre des fonctions managériales. Ainsi, Pierre Lamond, Associé de Sequoia Capital, a fait office de Directeur Financier de Cisco Systems dans la phase de développement de l’entreprise et illustre ce processus de transfert de connaissances :

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« En 1984, Sequoia Capital a financé la création de Cisco Systems, une start-up spécialisée dans les équipements de communication informatique fondée par Len Bosack et Sandy Lerner, deux employés du Département informatique de Stanford. Ils n’avaient aucune compétence en gestion financière. A la fin des années quatre-vingt, il était crucial pour Cisco de contrôler l’utilisation de sa trésorerie.

Pendant quelques mois, je suis devenu le Directeur Financier de l’entreprise pour amener mes compétences dans le domaine et, ensuite, je les ai aidé à recruter un Directeur financier ».

Acteur d’encastrement

La littérature sur les clusters insiste sur l’importance des liens sociaux et de l’encastrement dans la circulation de l’information et la coordination des acteurs économiques.

L’existence ou la possibilité de créer aisément des liens sociaux préalablement à l’échange économique va influencer l’éclosion et le développement d’entreprises innovantes. Un entrepreneur qui n’est pas encastré dans le réseau complexe d’innovation ne bénéficiera pas des ressources de ce dernier. Dans cette perspective, les SCR ont un rôle d’encastrement social des acteurs de l’innovation en favorisant la création de liens sociaux économiquement justifiés. Les SCR viennent naturellement combler des trous structuraux qui bloquent l’innovation et la création d’entreprises (Burt, 1992). Leur mode de fonctionnement les conduit à tenir un rôle de « Broker », d’intermédiaire de réseaux, qui favorise les interactions entre les acteurs de l’innovation. Par leur rôle de mise en relation des acteurs de l’innovation, les SCR contribuent à la dynamique des réseaux complexes d’innovation.

Les entrepreneurs peuvent être dépourvus de capital social et ne pas être encastrés dans des réseaux sociaux qui leur permettraient d’obtenir les informations, les ressources et les partenariats nécessaires à leur développement. Les capital-risqueurs vont favoriser la mise en relation entre l’entrepreneur et différents partenaires économiques (avocats, consultants, industriels, banques d’affaires,…) qui favoriseront le développement de l’entreprise (Zider, 1998). Les capital-risqueurs sont au centre des réseaux que constituent le système complexe d’innovation de la Silicon Valley (Ferrary, 2003a). En accédant à leur financement, les entrepreneurs accèdent également à leurs réseaux. Le rôle d’intermédiaire de réseaux est particulièrement visible dans la stratégie d’acquisition de start-ups de Cisco Systems.

A son origine, cette entreprise a été financée par Sequoia Capital et un des associés de cette SCR, Don Valentine, est toujours vice-chairman de Cisco Systems. Or sur 19 start- ups dans le secteur des équipements télécoms revendues par Sequoia Capital, 10 ont été achetées par Cisco Systems (Ferrary, 2003b). La SCR est un intermédiaire entre les entrepreneurs qu’elle finance et des grands groupes industriels.

Les sociétés de capital-risque vont également créer des liens sociaux entre les entrepreneurs qu’elles ont financés et ainsi favoriser des partenariats industriels entre eux.

Kleiner, Perkins, Caufield&Byers a même repris la notion de Keireitsu pour décrire ces créations de réseaux. Ainsi, Google, qui fut financé par Sequoia Capital et KPCB, a eu comme premiers clients Yahoo ! (entreprise financée par Sequoia Capital) et AOL (entreprise financée par KPCB).

Acteur de signalisation

Au-delà de l’encastrement social, le financement des capital-risqueurs constitue un signal économique pour les autres acteurs du cluster. L’innovation et la création d’entreprises de hautes technologies sont caractérisées par un degré important d’incertitude qui influence les partenaires potentiels des entrepreneurs. Un avocat, un chasseur de tête, un partenaire industriel, des salariés, un laboratoire de recherche hésitent toujours à s’engager dans une collaboration avec une start-up qui vient de se créer, sur laquelle il y a très peu d’informations et qui potentiellement peut rapidement faire faillite. Pour lever cette incertitude et prendre leur décision, les acteurs économiques de la Silicon Valley regardent quels sont les investisseurs qui soutiennent la start-up. Ainsi, une start-up financée par les grands noms du capital-risque (Sequoia Capital, KPCB, Menlo Venture,…) sera perçu comme une entreprise à fort potentiel, pouvant même conduire certains partenaires à accepter d’être payer en stock-options plutôt qu’en dollars.

Mickael R., responsable d’un cabinet de recrutement, illustre ce processus :

« Je suis spécialisé dans le recrutement de directeurs financiers. Je connais tout le monde dans les Directions Financières des entreprises de la Silicon Valley. Je sais qui sont les incompétents et les compétents, je connais leurs spécialités. Le recrutement d’un Directeur Financier est stratégique pour une start-up, notamment au moment de l’introduction en bourse ou de son acquisition par un grand groupe. Dans la Silicon Valley, j’ai une bonne réputation pour trouver des Directeurs Financiers. Je reçois plus d’une vingtaine de demandes d’entreprise par semaine pour recruter des cadres financiers. Je ne peux en gérer que deux ou trois en même temps. Pour choisir mes clients, je regarde quels sont les capital-risqueurs qui les ont financé.

J’accepte la mission si c’est une des top-tiers SCR, sinon je refuse ».

Inversement, des investisseurs inconnus entraîneront une certaine méfiance concernant la viabilité de l’entreprise car cela prouve à la fois que l’entrepreneur n’a pas su attirer l’attention d’un grand nom du capital-risque et que ses investisseurs seront moins à même de l’aider. Implicitement, les capital-risqueurs évaluent le risque pour l’ensemble du réseau complexe d’innovation de la Silicon Valley.

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Conclusion

Appréhender les clusters de hautes technologies dans la perspective de la théorie des réseaux complexes permet de mettre en évidence la dimension systémique de la dynamique d’innovation. L’innovation résulte d’interactions complexes entre notamment des universités, des grandes entreprises et des laboratoires de recherche. Cependant, la robustesse du système d’innovation ne repose pas que sur ces trois acteurs.

L’analyse de la Silicon Valley à travers le cadre théorique des réseaux complexes montre que les SCR tiennent un rôle particulier dans ces systèmes d’innovation et qu’ils en constituent un facteur de robustesse. Outre le financement de l’innovation, les sociétés de capital-risque contribuent à la sélection des meilleurs projets, à une accumulation et à une diffusion de la connaissance entrepreneuriale, à l’encastrement social des entrepreneurs et à la signalisation de la viabilité des start-ups à l’ensemble des acteurs du réseau complexe d’innovation.

A l’aune de la Silicon Valley, il est possible d’analyser les politiques publiques des pays qui tentent de reproduire un environnement régional innovant. A cet égard, une distinction peut être faite entre les pays qui font des SCR un acteur important de la dynamique d’innovation et les autres.

En France, depuis une trentaine d’années, les pouvoirs publics s’efforcent de créer des environnements innovants.

Ce fut les « technopoles » des années quatre-vingts et les

« Pôles de compétitivité » de 2006. Dans les deux cas, la définition de la dynamique d’innovation s’articule autour des universités, des laboratoires de recherche et des grandes entreprises. L’accréditation du label « Pôle de compétitivité » passe en France par l’implication de ces trois types d’acteurs. En aucun cas, les capital-risqueurs ne sont mentionnés. Une partie de l’explication tient à la représentation des pouvoirs publics qui ne perçoivent que la fonction formelle des sociétés de capital-risque et occultent leurs fonctions informelles. Cette représentation conduit l’Etat à se substituer au financement privé par l’implantation d’antenne d’OSEO4 dans les pôles de compétitivité.

Inversement, des pays comme le Royaume-Uni, avec le cluster de Cambridge, Taiwan avec le cluster de Hinschu, la Chine avec celui de Shanghai et l’Inde avec celui de Bangalore, s’efforcent de créer une industrie du capital- risque implantée au sein des clusters afin de reconstituer la complétude des réseaux d’innovation de la Silicon Valley.

Cette politique publique les conduit parfois jusqu’à attirer des grands noms du capital risque de la Silicon Valley.

Ainsi, Sequoia Capital s’est récemment implanté à Pékin, Hong-Kong et Bengalore; tandis que KPCB a ouvert des bureaux à Shanghai et à Pékin.

Les clusters de hautes technologies qui génèrent de l’innovation, des créations d’entreprises et des emplois de manière robuste sont des espaces économiques caractérisés

par une présence importante de sociétés de capital-risque (Silicon Valley, Boston, Texas, Israël,…). L’émergence des capacités d’innovation chinoises et indiennes s’accompagne d’un développement de l’industrie du capital-risque. L’idée n’est pas d’affirmer que les sociétés de capital-risque sont la seule condition de succès d’un cluster innovant mais que leur présence au sein d’un système complexe d’innovation contribue à sa complétude et à sa robustesse.

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