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Le droit souple intercantonal : quand les conférences intercantonales recommandent, les réglementations s'harmonisent

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Le droit souple intercantonal : quand les conférences intercantonales recommandent, les réglementations s'harmonisent

FLÜCKIGER, Alexandre

FLÜCKIGER, Alexandre. Le droit souple intercantonal : quand les conférences intercantonales recommandent, les réglementations s'harmonisent. In: Michel Hottelier, Maya Hertig Randall, Alexandre Flückiger. Etudes en l'honneur du Professeur Thierry Tanquerel : entre droit constitutionnel et droit administratif : questions autour du droit de l'action publique . Genève : Schulthess éditions romandes : Université de Genève, Faculté de droit, 2019. p.

109-126

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:128854

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Le droit souple intercantonal : quand les conférences intercantonales

recommandent, les réglementations s’harmonisent

ALEXANDRE FLÜCKIGER

Professeur à l’Université de Genève

Introduction

L’heureux récipiendaire de ces mélanges, Thierry TANQUEREL, s’était interrogé voici presque deux décennies sur les limites démocratiques posées par la collaboration intercantonale en suggérant un modèle organisationnel qu’un auteur qualifie aujourd’hui encore d’« avant- gardiste »1 : l’établissement public démocratisé2. Je propose ici de réitérer la question avec un instrument de droit souple fort prisé tant en droit intercantonal que dans les relations entre la Confédération et les cantons : la recommandation, utilisée pour harmoniser une réglementation que le fédéralisme rend par la force des choses disparate. Je concentrerai mon analyse sur les recommandations des conférences intercantonales utilisées à des fins d’harmonisation des réglementations.

Je ne traiterai pas ici des recommandations individuelles et concrètes, à l’instar des recommandations d'interdiction de stade prévues à l’article 10 du Concordat instituant des mesures contre la violence lors de manifestations sportives du 15 novembre 2007, dont le Tribunal fédéral a admis la constitutionnalité3.

Je ne traiterai pas non plus des recommandations de vote prises par des conférences intercantonales.

Dans le débat précédant une votation fédérale, le Tribunal fédéral ne juge en principe celles-ci conformes à la garantie des droits politiques (art. 34 al. 2 Cst.) que si elles émanent de la Conférence des gouvernements cantonaux (KdK/CdC) et pour autant que les cantons soient particulièrement concernés. Il n’admet pas les recommandations de vote émanant des conférences spécialisées des directeurs dont la légitimité, le mode de formation de leur opinion et la représentation extérieure ne sont ni « évidentes » ni « transparentes »4.

La question de la légitimité démocratique se pose avec une acuité renouvelée dans la mesure où les outils de droit souple obéissent à la logique de l’efficacité alors que ceux du droit classique s’inscrivent, en théorie du moins, dans celle de la légalité5. S’il est vrai que le thème

1 Eloi JEANNERAT, L'organisation régionale conventionnelle à l'aune du droit constitutionnel suisse : étude de problèmes choisis posés par la collaboration intercantonale et intercommunale, Neuchâtel 2018, p. 159.

2 ThierryTANQUEREL, L’établissement public démocratisé, RDAF 2001 I, p. 17 ss.

3 ATF 137 I 31, 55 s.

4 TF, arrêt 1C_216/2018 du 10 décembre 2018, c. 6.1 (publication ATF prévue), avec réf. à ATF 145 I 1.

5 Sur cette question en général, cf. Alexandre FLÜCKIGER, (Re)faire la loi : Traité de légistique à l’ère du droit souple, à paraître, ch. 3.3.6.1 ; en particulier à propos des organisation intercantonales et intercommunales, cf.

JEANNERAT (note 1), p. 139 ss ; à propos de la collaboration intercantonale en général, cf. Pascal SCIARINI /

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du droit souple – après avoir essaimé en droit international (soft law) – s’est abondamment répandu en droit interne, il n’a pas encore fait l’objet de toute l’attention requise dans les rapports fédéralistes en Suisse. L’article d’Andreas GLASER et de Corina FUHRER a opportunément relancé la réflexion à propos de la soft law intercantonale dans le fédéralisme coopératif en puisant un exemple dans le domaine scolaire6 : le plan d’études 21 (Lehrplan 21) adopté par une conférence intercantonale, contesté, mais qui a eu une influence notable sur l’harmonisation des programmes scolaires bien que dépourvu de force obligatoire7.

I. Le droit souple A. Notion et fonctions

Les actes normatifs non obligatoires sont des normes qui n’obligent pas juridiquement (droit souple/soft law). Ils contiennent des recommandations, et non des commandements, constituant uniquement des invitations à suivre un comportement déterminé laissé à la libre appréciation de leurs destinataires8. Si les normes juridiques peuvent revêtir divers costumes (traités, constitutions, lois, règlements, ordonnances, décisions, etc.), les recommandations peuvent se faufiler dans des habits encore plus divers ; j’y reviendrai9. L’instrument le plus commun est la recommandation proprement dite, soit un acte appelé « recommandation ».

Mais on les trouve explicitement dans les mises en garde, les avertissements, les campagnes d’information, les conseils, les vœux, les avis, les préavis, les expertises, les évaluations législatives, les codes de conduite, les lois-modèles, etc.10 Implicitement, elles sont présentes derrière les labels, les certifications, les distinctions, les classements, les indicateurs, la pression par les pairs, les référentiels de bonnes pratiques, la formation, le comportement modèle des autorités, etc.11 Les instruments coopératifs, de planification et même matériels s’assouplissent également12.

Les actes de droit souple sont utilisés pour se substituer aux règles obligatoires, pour les compléter et les renforcer ou pour en préparer l’adoption. Le premier cas est clairement problématique dans la mesure où il fait prévaloir l’efficacité sur la légalité en soulevant le problème du contournement des formes. Ce détournement, certes très utile pour éviter les lenteurs procédurales administratives ou parlementaires et pour agir en cas de défaut de compétence ou de trop forte opposition politique, élude la participation des tiers et autres protections procédurales mises en place par la loi. Le second cas de figure est au contraire

Daniel BOCHSLER, Réforme du fédéralisme suisse : contribution, promesses et limites de la collaboration intercantonale, in Contributions à l'action publique, Lausanne 2006, p. 267 ss, p. 282 s.

6 Andreas GLASER / Corina FUHRER, Der Lehrplan 21 : Interkantonales soft law mit Demokratiedefizit, RDS 2015, vol. 134, no 5, p. 513 ss. Pour une mention de la soft law intercantonale, cf. déjà UrsulaABDERHALDEN, Möglichkeiten und Grenzen der interkantonalen Zusammenarbeit : Unter besonderer Berücksichtigung der internationalen Integration der Schweiz, Fribourg 1999, p. 112, réf. cit. Cf. ég. ATF 141 I 9, p. 19, à propos de la Procédure d'évaluation standardisée (PES) : Instrument du concordat sur la pédagogie spécialisée pour la détermination des besoins individuels en vue de l'attribution de mesures renforcées en matière de pédagogie spécialisée, cit. in Viviane HOYER, Harmos, le début d'un système scolaire national ou chimère intercantonale ? L'harmonisation de la scolarité obligatoire et l'instauration de structures d'accueil extrafamiliales à l'exemple du droit cantonal vaudois, zurichois et grison, Genève 2018, p. 177.

7 Cf. ci-dessous note 23 ; sur l’harmonisation par la soft law en matière scolaire, cf. HOYER (note 6), p. 265 ss.

8 FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.3.2.2b.

9 Cf. ci-dessous, ch. 1.

10 FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.3.3.2.

11 Ibidem, ch. 3.3.3.3.

12 Ibidem, ch. 3.3.3.1b.

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bénéfique puisqu’il renforce la mise en œuvre des règles obligatoires13. Le troisième cas – la fonction préjuridique – est le plus intéressant légistiquement parlant, car il dévoile un processus de création de la loi par cristallisation d’un droit souple qui progressivement durcit peu à peu jusqu’à devenir obligatoire14. Il constitue le thème central du présent article en combinaison avec le premier cas de figure : comment une autorité intercantonale dénuée de pouvoirs réglementaires peut-elle effectivement amener les cantons à adopter une règlementation harmonisée dans un domaine particulier ?

On retrouve la même question lorsqu’une autorité fédérale sans compétence constitutionnelle de légiférer dans un domaine particulier peut effectivement provoquer une réglementation harmonisée entre les cantons15.

B. Les effets

Le droit souple a parfois un impact supérieur à celui des actes juridiquement obligatoires16. La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (EDK / CDIP / CDPE / CDEP) le reconnaît en toute transparence :

« Les recommandations n'entrainent pas d'obligations exécutoires du point de vue juridique, mais elles ont un effet d'harmonisation certain en ce sens qu'elles sont le fruit d'un travail consensuel auquel tous les cantons prennent part et qui dure généralement plusieurs années. »17

Le Tribunal fédéral reconnaît que les recommandations de la Conférence suisse des institutions d'aide sociale (SKOS / CSIAS / COSAS), sans présenter le caractère de normes juridiques, « jouent un rôle important en pratique »18.

Toutefois l’efficacité des recommandations peut être quelquefois plus faible. Elle dépend en réalité des domaines et des circonstances. Dans tous les cas, leur transposition prend souvent du temps et laisse une certaine marge de manœuvre aux cantons en ménageant des régimes pas totalement harmonisés.

La doctrine le reconnaît s’agissant du modèle comptable harmonisé pour les cantons et les communes (HRM2 / MCH2 / MPCA2) recommandé par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (FDK / CDF). Le caractère recommandationnel du texte explique que

« l’introduction, tant de la première que de la deuxième génération du MCH, a pris du temps. Cela explique aussi que la transposition des nouvelles normes comptables dans les lois cantonales n’est pas toujours fidèle aux recommandations. »19

Le Service social international – Suisse, une ONG active dans les droits de l’enfant et de la migration – a procédé à une évaluation de la mise en œuvre des recommandations relatives aux enfants et aux jeunes mineurs non accompagnés dans le domaine de l'asile, adoptées en mai 2016 par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (SODK / CDAS /

13 Ibidem, ch. 3.3.4.1.

14 Ibidem, ch. 3.3.4.2.

15 Pour un exemple en droit de l’énergie, cf. Alexandre FLÜCKIGER, La transition énergétique entre conflits d’objectifs et conflits de compétence : aspects de droit constitutionnel, La propriété immobilière face aux défis énergétiques : du statut juridique de l’énergie au contrôle des loyers, Genève 2016, p. 23 ss, p. 48 ss.

16 FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.3.5.1.

17 www.edk.ch > Documentation > Documents officiels > Recommandations (dern. consult. 26 novembre 2018).

Dans le même sens à propos des recommandations de Conférence des procureurs de Suisse“ (CPS /SKK), cf.

Michel-André FELS, Die Empfehlungen in der Strafrechtspflege: politische Ärgernisse oder notwendige Instrumente der Rechtssicherheit?, LeGes 29 (2018) 3, § 22 ss.

18 ATF 136 I 129 p. 135.

19 Nils SOGUEL/Maxime CLÉMENCEAU, La présentation des comptes publics au service du politique, Expert Focus 10/2015, p. 773 ss.

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CDOS). Il conclut que « la mise en œuvre des recommandations CDAS semble compromise et tend même à se dégrader. »20

La comparaison entre l’efficacité respective des actes obligatoires et de ceux qui ne le sont pas ne donne donc pas de réponse tranchée. La question doit être replacée dans son contexte21, car de nombreux actes juridiquement obligatoires demeurent également quotidiennement lettre morte.

La pression politique sur les cantons pour les pousser à mettre en œuvre des recommandations peut revêtir un costume juridique. Le législateur fédéral, et même le constituant, menacent les cantons d’adopter à leur place un acte juridique, faisant ainsi planer sur eux une épée de Damoclès (législation Damoclès22) qui les incite à adopter une réglementation harmonisée, soit sous une forme concordataire, soit en reprenant les solutions recommandées par une conférence intercantonale. Dans cette veine, l’article 62 al. 4 Cst. féd.

prévoit que « [si] les efforts de coordination n'aboutissent pas à une harmonisation de l'instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l'âge de l'entrée à l'école, la durée et les objectifs des niveaux d'enseignement et le passage de l'un à l'autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire ». La doctrine a montré le potentiel et les limites d’un tel mécanisme pour la reprise du droit souple intercantonal avec l’exemple du plan d’études 21 (Lehrplan 21) précédemment mentionné23. Un autre moyen juridique de renforcer l’effet des recommandations consiste à introduire dans les conventions intercantonales des clauses conférant une certaine impérativité aux recommandations, sans les rendre juridiquement obligatoires (clauses d’impérativité semi- obligatoires). Les conventions contiennent un renvoi aux recommandations qui exige que les autorités utilisent ces dernières comme base de décision au moment d’adopter une mesure ou de délivrer une prestation, par exemple en exigeant d’en « tenir compte », de les « prendre en compte » ou de « se baser sur » elles24, impliquant en règle générale l’obligation d’argumenter de manière motivée les éventuelles discrépances25.

La Convention-cadre de droit public concernant la collaboration en matière de cyberadministration en Suisse 2016–2019 demande que « [l]es collectivités publiques tiennent compte des recommandations de la [Conférence suisse sur l’informatique (SIK/CSI)] concernant la collaboration technique »26. Selon cette convention, la CSI est une assemblée de travail reposant sur l’article 5 de la convention du 14 mai 2009 sur la collaboration entre collectivités publiques suisses en matière d’informatique27. Cette conférence réunissant cantons et Confédération notamment, organisée en société simple, a été fondée conjointement par la Conférence des directeurs cantonaux des finances et le Département fédéral des finances en 197528.

Cette même convention-cadre demande que « [l]orsqu’elles élaborent des prestations de cyberadministration, complètes ou partielles, les collectivités publiques se basent sur des normes

20 Alliance pour les droits des enfants migrants(ADEM), Bouleversements dans la prise en charge des jeunes migrants : la Suisse à contresens des droits de l’enfant, Communiqué de presse du 25 octobre 2018, avec réf.

cit.

21 FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.3.5.1.

22 Cf. FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.4.4.3c.

23 GLASER /FUHRER (note 6), p. 525. Cf. ég., en matière universitaire, l’art. 63a al. 5 Cst. féd.

24 Sur les clauses d’impérativité semi-obligatoire, cf. FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.3.5.3b.

25 Sur cet effet, en général, du droit souple intercantonal, cf. ABDERHALDEN (note 6), p. 112.

26 Art. 5 al. 2 de la Convention-cadre de droit public concernant la collaboration en matière de cyberadministration en Suisse 2016–2019, adoptée par le Conseil fédéral le 18 novembre 2015 et approuvée par la Conférence des gouvernements cantonaux le 18 décembre 2015 (ci-après : Convention-cadre sur la cyberadministration ; FF 2015 8805).

27 Art. 5 al. 1er note de bas de page 1 de la Convention-cadre sur la cyberadministration.

28 www.sik.ch > Fondation (dern. consult. 26 novembre 2018) ; on relèvera la cascade organisationnelle : cette conférence a fondé le 20 juin 2018 une société anonyme (eOperations Suisse SA) pour développer en commun des solutions pour les prestations de cyberadministration de la Confédération, des cantons et des communes (www.sik.ch > eOperations [dern. consult. 26 novembre 2018]).

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internationales ou nationales »29 ; les normes nationales étant « en principe celles de l’association eCH »30. Cette association, de droit privé, ayant pour membres tant des collectivités publiques (Confédération, cantons et communes) que des particuliers, des personnes morales privées ou semi- publiques31 a pour but d’élaborer, d’adopter et de mettre à jour des normes pour la cyberadministration32. Les normes adoptées par l’association eCH ont « valeur de recommandation » selon les statuts de celle-ci33.

Selon le règlement d’application de la Convention scolaire romande, lorsque l’Assemblée plénière de la CIIP adopte la planification pluriannuelle de la réalisation des moyens d’enseignement et des ressources didactiques, elle « prend en compte les recommandations de la conférence des chefs de service de l’enseignement obligatoire »34.

Les conventions intercantonales peuvent faire un pas de plus dans la gradation et rendre obligatoire, ou demander de rendre obligatoire, une recommandation spécifique. Elles peuvent le faire par incorporation ou par renvoi au moyen d’une clause d’impérativité obligatoire (par exemple de manière directe par une déclaration de force obligatoire ou, indirectement, une exigence de conformité à la recommandation dans le cadre d’une décision administrative ou de la délivrance d’une prestation)35.

Aux termes de la Convention-cadre sur la cyberadministration précédente, « les collectivités publiques déclarent ces normes contraignantes », par quoi la clause vise les normes de l’association eCH ayant normalement valeur de recommandation que l’on a évoquées ci-dessus36.

Aux termes du concordat sur les prestations de sécurité effectuées par des personnes privées, les cantons doivent régler les modalités des examens « en se conformant aux recommandations [sur le contenu de l'examen permettant l'utilisation de chiens d’intervention] prévues par l’art. 17, al. 2, let.

b. »37 « L'armement et l'équipement des entreprises de sécurité et des agents de sécurité doivent se conformer aux prescriptions d'exécution et aux recommandations [sur les équipements interdits et les armes admises] prévues par l’art. 17, al. 2, let. f. »38

Le concordat HarmoS demande aux cantons concordataires de veiller à ce que « les élèves puissent attester de leurs connaissances et compétences au moyen des portfolios nationaux ou internationaux recommandés par la CDIP. »39 Une fois que les cantons auront transposé l’obligation conventionnelle dans leur législation scolaire, l’attestation de connaissances et de compétences ne pourra être délivrée que par une sorte de portfolios : ceux qui auront été recommandés par la CDIP, créant dès lors un droit à obtenir une attestation selon le modèle préconisé par la Conférence et une obligation corrélative des autorités de se conformer à la recommandation de la Conférence.

Rendues ainsi obligatoires, les recommandations témoignent de l’efficacité du droit souple et du processus de création de la loi par cristallisation. Le législateur cantonal achève le processus initié en conférant force obligatoire aux recommandations intercantonales par renvoi ou par incorporation, en assortissant parfois celles-ci de quelques nuances, réserves ou exceptions.

Dans le canton de Genève, la législation sur les finances contient une clause d’impérativité sous la forme d’un renvoi au modèle comptable harmonisé recommandé par la Conférence des directeurs

29 Art. 4 al. 1er de la Convention-cadre sur la cyberadministration.

30 Art. 4 al. 2 de la Convention-cadre sur la cyberadministration.

31 Art. 5 des statuts de l’association eCH du 10 avril 2014.

32 Art. 3 point 3 des statuts de l’association eCH du 10 avril 2014.

33 Art. 40 al. 3 des statuts de l’association eCH du 10 avril 2014.

34 Art. 6 al. 1er du règlement d’application de la Convention scolaire romande du 25 novembre 2011.

35 Sur les clauses d’impérativité obligatoire, cf. FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.3.5.3c.

36 Art. 4 al. 2 de la Convention-cadre sur la cyberadministration.

37 Art. 6 al. 2 du Concordat sur les prestations de sécurité effectuées par des personnes privées du 12 novembre 2010.

38 Art. 14 al. 2 du Concordat sur les prestations de sécurité effectuées par des personnes privées du 12 novembre 2010.

39 Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire (concordat HarmoS) du 14 juin 2007. On retrouve la règle dans la Convention scolaire romande (art. 3 al. 1er let. f et 10).

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cantonaux des finances (MCH2), assorti d’une réserve : « 1La classification par natures du plan comptable est établie conformément au plan comptable général figurant dans le modèle comptable harmonisé pour les cantons et les communes (MCH2), publié par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances. 2Le Conseil d'Etat édicte le cas échéant, par voie réglementaire, les dérogations à la classification rendues nécessaires par l'application des normes IPSAS. »40 Le Tribunal fédéral a jugé qu’un renvoi dans un droit cantonal aux normes pour le calcul de l'aide sociale, recommandations de la Conférence suisse des institutions d'aide sociale (CSIAS), n’obligeait

« pas nécessairement les autorités à les appliquer dans leurs moindres détails ». Une obligation de motivation naît en revanche si l’autorité s’en écarte41.

Les tribunaux peuvent également se référer à des recommandations et leur reconnaître un caractère de « norme de référence » tout en leur déniant la qualité de norme juridique.

Illustratif à cet égard est l’exemple précédent des recommandations de la CSIAS, auxquelles le Tribunal fédéral dénie le caractère de norme juridique mais qu’il qualifie de « normes de référence adéquates pour la détermination de l'aide sociale qui est nécessaire pour assurer le minimum social ». Il n’a pas jugé arbitraire une interprétation du droit cantonal fondée sur ces normes tout en relevant leur absence de portée contraignante.42

II. Les recommandations des conférences intercantonales

A. Le principe « décision vaut recommandation »

Les conférences intercantonales43 recourent de manière substantielle à l’instrument de la recommandation à l’attention de leurs membres. Si les conférences des directeurs des différents départements cantonaux réunis en organismes sectoriels sont les plus grandes productrices de recommandations comme on le montrera ci-après, l’instrument est aussi prévu pour les conférences régionales des gouvernements44 ou la collaboration tripartite entre la Confédération, les cantons et les communes45.

Ce constat découle logiquement de la nature souple de ces organismes, étant constitués souvent dans les formes du droit privé, bien qu’exerçant clairement des tâches publiques46. Dénués de compétence décisionnelle (au sens du pouvoir de décision administrative formelle) ou réglementaire, sauf dans les hypothèses où une convention intercantonale par exemple les en doterait, ils vont nécessairement privilégier les formes du droit souple pour agir, et plus particulièrement celle de la recommandation47.

On comprend mieux dans ces conditions une clause – à première lecture déroutante pour qui croirait encore en l’orthodoxie des formes juridiques en droit administratif – que l’on lit dans

40 Art. 21 de la loi sur la gestion administrative et financière de l’Etat (LGAF ; RS GE D 1 05). Cf. ég. art. 105 de la loi sur l’administration des communes (LAC ; RS GE B 6 05).

41 ATF 136 I 129, 138 s.

42 ATF 136 I 129, 135 s.

43 Pour une énumération des différentes structures de collaboration, cf. kdk.ch > Collaboration > Aperçu (dern.

consult. 26 novembre 2018). Cf. ég. SCIARINI /BOCHSLER (note 5), p. 268 ss.

44 Par exemple, la Conférence gouvernementale des cantons alpins (CGCA).

45 Convention entre la Confédération, les cantons, les villes et les communes sur la Conférence tripartite (CT ; RS 701).

46 Sur la nature juridique des conférences, cf. par exemple JEANNERAT (note 1), p. 112 s ; ABDERHALDEN (note 6), p. 114 s.

47 Dans ce sens, cf. SCIARINI /BOCHSLER (note 5), p. 270.

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les statuts de quelques conférences intercantonales posant le principe selon lequel les décisions de ces dernières valent recommandation. Lorsque ces conférences sont organisées en associations de droit privé au sens des articles 60 et suivants du Code civil, les décisions qu’elles prennent dans le cadre statutaire obligent leurs membres en vertu des règles du droit privé. Les autorités veulent par cette précision ôter toute équivoque en rappelant qu’un accord de droit privé entre autorités cantonales pris dans ce cadre corporatif ne saurait contraindre les autorités tant politiques, administratives que judiciaires. Ce faisant, ces clauses ne sont pas toujours très claires ; elles doivent être interprétées comme ne visant pas les décisions relatives au fonctionnement ordinaire de l’association telles que les nominations, les cotisations ou plus généralement les comptes et leur contrôle.

La Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie définit ce principe dans ses statuts : de façon transparente, elle limite, très largement il est vrai, ce principe aux décisions « en matière d’énergie »48.

La Conférence gouvernementale des cantons alpins contient ce même principe dans ses statuts, mais n’en restreint en revanche pas l’objet49.

La Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé précise celui-ci sur son site web : « Les décisions de la conférence ne sont contraignantes ni pour ses membres ni pour les cantons, mais ont valeur de recommandations. Font exception à cette règle les dispositions concernant l’ostéopathie. »50

En revanche, certaines conférences semblent enclines à vouloir inverser le principe. En confondant invitation et commandement, probablement à titre stratégique, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances écrit sans sourciller dans le manuel relatif au modèle comptable harmonisé pour les cantons et les communes (MCH2), modèle recommandé par elle51, que « ces recommandations constituent des normes minimales que toutes les collectivités publiques sont tenues de respecter »52.

B. La formalisation de la compétence d’édicter des recommandations

La compétence d’édicter des recommandations peut être implicite ou explicite, prévue dans les statuts de l’organisation ou, plus rarement, dans une convention intercantonale.

Compétence implicite – La compétence d’édicter des recommandations découle le plus souvent implicitement de la mission de collaboration, de coordination voire d’harmonisation que poursuivent de telles organisations.

On ne trouve aucune mention de la compétence recommandationnelle dans la Convention sur la Conférence des gouvernements cantonaux (KdK/CdC)53. La pratique recommandationnelle est pourtant bien établie. L’assemblée plénière a par exemple recommandé aux conférences des directeurs et aux cantons de mettre en pratique une planification coordonnée de la mise en œuvre du

48 « Les décisions que la Conférence peut prendre en matière d’énergie ont valeur de recommandations pour les cantons. » (Art. 1er al. 3 des statuts de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie du 3 avril 1980).

49 « Les décisions de la Conférence sont à considérer comme des recommandations faites aux cantons membres. » (Art. 1er al. 3 des statuts de la CGCA de septembre 2011).

50 gdk-cds.ch > La CDS (dern. consult. 26 novembre 2018).

51 Cf. ci-dessous ch. 2.

52 Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (FDK / CDF), Manuel : modèle comptable harmonisé pour les cantons et les communes MCH2, Berne 2008–2017, ch. 2 (ci-après : Manuel de la CDF).

53 Convention sur la Conférence des gouvernements cantonaux du 8 octobre 1993.

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droit fédéral, portant en particulier sur la date d’entrée en vigueur et les questions d’interprétation54. Elle a pris acte d’un guide sur le traitement des procédures de consultation55 qui a été adressé aux gouvernements cantonaux avec la recommandation « de l’utiliser, si nécessaire, lors de l’élaboration de projets de réponses des cantons aux procédures de consultations fédérales » afin d’impliquer précocement les cantons dans le processus législatif fédéral56. L’Assemblée plénière a également adopté les Lignes directrices des cantons relatives à l’administration numérique, lesquelles précisent que

« [d]orénavant, l’action des cantons s’inspirera des présentes lignes directrices, l’objectif étant de développer conjointement la cyberadministration et d’introduire les services en ligne. Les lignes directrices doivent être comprises comme des recommandations. »57

Compétence explicite conventionnelle – Il arrive que la compétence recommandationnelle découle explicitement d’une convention intercantonale.

Un exemple, déjà ancien, est offert par le Concordat intercantonal sur la coordination scolaire (CICS) du 29 octobre 1970. Il précise que « [l]es cantons concordataires élaborent des recommandations à l’intention de l’ensemble des cantons »58. La Conférence des directeurs de l’instruction publique (EDK / CDIP / CDPE / CDEP) recourt couramment à cet instrument59.

Régionalement, la Convention scolaire romande du 21 juin 2007 énonce que la Conférence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) « peut élaborer des recommandations à l'intention de l'ensemble des cantons parties à la Convention dans tous les domaines relatifs à l'instruction publique, à la formation et à l'éducation qui ne sont pas expressément mentionnés dans la présente Convention. »60 La CIIP a adopté un règlement d’application de ladite convention afin de préciser les domaines possibles61 « pour transmettre aux cantons concordataires des indications d'harmonisation à caractère non contraignant. »62

La Convention entre la Confédération, les cantons, les villes et les communes sur la Conférence tripartite63 prévoit que cette conférence « approuve des recommandations à l'intention de ses membres et des autres acteurs concernés »64.

Selon le Concordat sur les prestations de sécurité effectuées par des personnes privées, il revient à la commission concordataire, dont les membres sont désignés par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de justice et police (KKJPD / CCDJP / CDDGP), de « formule[r] des recommandations afin d'assurer l'application uniforme du concordat dans les cantons »65 alors que la CCDJP se réserve la compétence d’édicter le droit d'exécution66.

54 Ces mesures sont contenues dans un document de travail intitulé « Mise en œuvre coordonnée du droit fédéral » rédigé conjointement par la CdC et l’Office fédéral de la justice et approuvé par l’Assemblée plénière le 11 mars 2016 (kdk.ch > Thèmes > Fédéralisme et droit public > Mise en œuvre du droit fédéral par les cantons [dern. consult. 26 novembre 2018]).

55 Guide de traitement des consultations du 19 juin 2015.

56 kdk.ch > Thèmes > Fédéralisme et droit public > Mise en œuvre du droit fédéral par les cantons (dern. consult.

26 novembre 2018).

57 Lignes directrices des cantons relatives à l’administration numérique du 27 septembre 2018, p. 2.

58 Art. 3 al. 1er du Concordat intercantonal sur la coordination scolaire (CICS) du 29 octobre 1970.

59 « Les recommandations constituent un instrument couramment utilisé par la CDIP sur la base de l'art. 3 du concordat scolaire [CISC] du 29 octobre 1970. » (Commentaires du Règlement d'application du 25 novembre 2011 de la Convention scolaire romande ad art. 11).

60 Art. 17 de la Convention scolaire romande du 21 juin 2007.

61 Art. 11 du règlement d’application de la Convention scolaire romande du 25 novembre 2011.

62 Commentaires du Règlement d'application de la Convention scolaire romande du 25 novembre 2011 ad art. 11.

63 TK / CT (RS 701).

64 Art. 3 let. c de la Convention entre la Confédération, les cantons, les villes et les communes sur la Conférence tripartite (CT) du 30 décembre 2016.

65 Art. 17 al. 2 du Concordat sur les prestations de sécurité effectuées par des personnes privées du 12 novembre 2010 (avec une liste de domaines précisément décrits).

66 Art. 17 al. 1er du Concordat sur les prestations de sécurité effectuées par des personnes privées du 12 novembre 2010.

(10)

Compétence explicite corporative – Les statuts des organismes intercantonaux – parfois des institutions de droit public67, mais très fréquemment des associations de droit privé au sens des article 60 et suivants du Code civil nonobstant les tâches éminemment publiques en cause – prévoient pour certains d’entre eux la compétence d’édicter des recommandations.

Ainsi, la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (GDK / CDS)

« adresse des recommandations aux cantons et décide des prises de position destinées aux autorités fédérales et cantonales, aux associations et autres organisations ainsi qu’au grand public »68. La Conférence suisse des institutions d'action sociale (SKOS / CSIAS /COSAS) a notamment pour tâche d’« élaborer des recommandations et des normes pour l’aide sociale ».

Lorsque, à l’instar de l’exemple de la CIIP cité ci-dessus, la compétence recommandationnelle est mentionnée dans la convention intercantonale, la clause statutaire analogue (la Conférence « émet des recommandations dans le domaine de la coopération intercantonale non obligatoire »69) est une simple répétition.

Les statuts peuvent aller plus loin dans le degré de précision. Ils peuvent répartir la compétence recommandationnelle entre les organes internes, le cas échéant en fonction de critères spécifiques.

Certaines conférences confèrent la compétence au comité :

au sein de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (FDK / CDF), il revient au comité la tâche de « formuler des recommandations à l'attention des départements cantonaux des finances »70. Il en va de même au sein de la Conférence des chefs des départements cantonaux de l’économie publique (VDK / CDEP) où le comité a pour tâche « de formuler des recommandations aux départements cantonaux de l’économie publique »71.

D’autres, plus conscientes de l’influence régulatoire des actes de droit souple, demandent au comité de formuler des recommandations internes à la Conférence, par exemple à des comités spécifiques ou des groupes de travail, alors qu’il revient à l’assemblée plénière d’adopter des recommandations à l’attention des cantons.

La Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie (EnDK / CDEn) attribue au comité la tâche d’« [é]dicter des directives et des recommandations à l’intention de la Conférence des services cantonaux de l’énergie »72 et à l’assemblée plénière celle d’« adresse[r] des recommandations aux cantons »73.

On trouve le même schéma à la Conférence gouvernementale des cantons alpins (RKGK / CGCA) dans laquelle le comité directeur a pour tâche « la formulation de mandats, de directives et de recommandations à l’intention des comités et des groupes de travail »74 et l’assemblée plénière celle de « la formulation de recommandations à l’adresse des gouvernements cantonaux »75.

Certaines enfin se réfèrent au critère de l’importance pour confier la compétence à l’Assemblée plénière d’adopter les recommandations « importantes ».

Tel est la cas pour la CIIP où l’assemblée plénière est compétente « pour toutes les affaires importantes revêtant le caractère […] de recommandations »76.

67 Cf. par exemple la Conférence intercantonale de l'instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) qui s’est constituée en « une institution intercantonale de droit public. » (art. 1er al. 1er des statuts de la CIIP du 25 novembre 2011).

68 Art. 1er al. 9 des statuts de la CDS du 4 décembre 2003.

69 Art. 3 al. 2 let. b des statuts de la CIIP du 25 novembre 2011.

70 Art. 11 let. g des statuts de la CDF du 20 mai 2010.

71 Art. 9 al. 2 let. g des statuts de la CDEP du 8 novembre 2012.

72 Art. 9 al. 1er let. f des statuts de la CDEn du 3 avril 1980.

73 Art. 6 al. 2 let. e des statuts de la CDEn du 3 avril 1980.

74 Art. 10 al. 1er let. e des statuts de la CGCA de septembre 2011.

75 Art. 7 al. 2 let. c des statuts de la CGCA de septembre 2011.

76 Art. 5 al. 1er des statuts de la CIIP du 25 novembre 2011.

(11)

On retrouve le critère de l’importance dans la Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes (KOKES / COPMA) qui « atteint ses buts par […] la préparation de rapports, recommandations et concepts »77. Il revient à l’assemblée plénière la compétence de décision « sur des objets d’importance nationale ou d’une portée financière considérable, en particulier les recommandations aux cantons […] et de collections de modèles »78.

La même problématique peut être abordée sous l’angle des compétences du comité, qui sont alors restreintes aux recommandations de moindre importance.

Dans la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse (KKPKS / CCPCS), le comité a pour tâche d’émettre à l'intention des membres des « recommandations qui n'exigent pas, de par leur contenu, une décision de la conférence annuelle ou d'une réunion de travail »79. Par analogie avec le débat relatif à la définition matérielle de la loi, la notion d’importance pourrait être précisée à mon avis en se référant mutatis mutandis aux critères proposés par la doctrine et la pratique (degré d’influence politico-juridique de la recommandation, degré de controverse, cercle des destinataires, importance des impacts économiques, sociaux ou environnementaux, etc.)80. Il est également envisageable de définir des domaines pouvant faire l’objet de recommandations.

Précurseur sur ce point, le concordat intercantonal sur la coordination scolaire (CICS) du 29 octobre 1970 prévoit que « [l]es cantons concordataires élaborent des recommandations à l’intention de l’ensemble des cantons, notamment dans les domaines suivants : a) plans d’études cadres ; b) matériel d’enseignement commun ; c) libre passage entre écoles équivalentes ; d) passage au cycle secondaire ; e) reconnaissance sur le plan intercantonal des certificats de fin d’études et des diplômes obtenus par des formations équivalentes ; f) désignation uniforme des mêmes degrés scolaires et types d’écoles ; g) formation équivalente des enseignants. »81

Enfin, certaines conférences créent de toutes pièces des organismes spécialisés ayant pour mission d’élaborer des recommandations dans un secteur spécifique.

La Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (FDK / CDF) a ainsi créé en 2008 le Conseil suisse de présentation des comptes publics (SRS-CSPCP) pour harmoniser la comptabilité des collectivités publiques suisses. Celui-ci a pour tâche non seulement d’émettre des recommandations mais également d’en suivre la mise en œuvre82.

C. La recommandation et ses costumes 1. Les différentes déclinaisons de la recommandation

Les conférences publient nombre de recommandations sous d’autres déclinaisons : prises de position, déclarations, lignes directrices, programmes, concepts, lois-modèles, standards, bonnes pratiques, indicateurs, etc.

77 Art. 3 let. c des statuts de la COPMA du 27 mai 1993.

78 Art. 6 al. 2 let. e des statuts de la COPMA du 27 mai 1993.

79 Art. 8 al. 5 let. d des statuts de la CICS du 14 septembre 2005.

80 Pour un état de la situation détaillé, cf. Georg MÜLLER / Felix UHLMANN, Elemente einer Rechtssetzungslehre, 3e éd., Zurich 2013, p. 151 ss.

81 Art. 3 al. 1er du Concordat intercantonal sur la coordination scolaire (CICS) du 29 octobre 1970.

82 Manuel de la CDF (note 50), p. 6. Ce manuel constitue une recommandation de la CDF, que celle-ci demande de mettre en œuvre « aussi rapidement que possible, soit au cours des dix prochaines années. » (ibidem, p. 2 de l’édition électronique]). Cf. ci-dessous ch. F.

(12)

Par exemple, l’assemblée plénière de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) est « compétente pour toutes les affaires importantes revêtant le caractère de décisions, de recommandations, de lignes directrices ou de programmes d’activité. »83 Le Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales (SKJV / CSCSP)84 élabore des recommandations sous forme de standards qui « servent à l’alignement, à l’uniformisation et à l’assurance de la qualité dans d’importants domaines de l’exécution des sanctions pénales, sans pour autant empiéter sur la souveraineté des cantons en la matière. »85 Certaines conférences font une distinction entre les recommandations formelles (c’est-à-dire les actes non obligatoires dénommés « recommandations ») et les autres actes de nature recommandationnelle publiés sous une autre appellation. Du point de vue des effets juridiques, la distinction est dénuée de pertinence, car ces actes demeurent dans tous les cas des invitations et non des commandements. Elle peut en revanche présenter un intérêt sous l’angle de l’influence politique si les actes appelés « recommandations » doivent suivre une procédure spécifique pour leur édiction qui les rend plus légitimes et, partant, plus influents, telle une procédure de consultation ad hoc ou une majorité qualifiée pour leur adoption.

La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (EDK / CDIP / CDPE / CDEP) débutait son recueil de recommandations et décisions publié en 1995 par la précision suivante : « Au niveau des titres des décisions, nous nous sommes permis parfois de petites corrections par rapport aux textes originaux. Il n'en reste pas moins que l'on peut encore trouver côte à côte des dénominations telles que thèses, principes, prises de position, commentaires, etc.

Lorsqu'il s'agit de recommandations formelles selon l'article 3 du Concordat sur la coordination scolaire, la chose a été notée expressément. Etant donné le caractère plus impératif des obligations qui en découlent, ces recommandations méritaient en effet une place particulière. »86

Cette dernière phrase, si elle laisse définitivement songeurs les tenants de l’orthodoxie juridique, tend à accréditer la thèse du caractère graduel et non binaire de la juridicité87. Elle s’explique à mon avis dans le contexte spécifique de la disposition en question qui a formalisé en 1970 déjà l’édiction de « Recommandations » en en limitant les domaines d’application88, en les soumettant à une procédure de consultation spécifique89 et en exigeant la majorité des deux tiers de l’assemblée plénière de la CDIP pour leur adoption90. Ainsi le document intitulé « Principes relatifs à la scolarisation des enfants de travailleurs migrants du 2 novembre 1972 » – et non

« Recommandations […] » – contient-il sept recommandations à destination des cantons, par exemple celle de « de ne pas trop tenir compte des résultats obtenus dans la langue officielle lors de la promotion » ou celle d’« autoriser – durant un certain temps – la fréquentation d'écoles privées étrangères à ceux qui ont l'intention de rentrer dans leur pays d'origine. »

2. L’exemple de la loi-modèle et des autres réglementations-types

La loi-modèle, déclinée en diverses réglementations-types, constitue une forme particulièrement prisée dans les rapports institutionnels verticaux. Elle permet d’harmoniser

83 Art. 5 al. 1er des statuts de la CIIP du 25 novembre 2011.

84 Fondation ayant pour but d'appuyer la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (KKJPD / CCDJP / CDDGP), les cantons et les trois concordats intercantonaux sur l'exécution des sanctions pénale (skjv.ch > Qui sommes-nous > Objectifs et tâches [dern. consult. 26 novembre 2018]).

85 Cf. skjv.ch > Pratique > Standards (dern. consult. 26 novembre 2018).

86 Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP), Recommandations et décisions, Berne 1995, p. 9 s.

87 FLÜCKIGER (note 5), ch. 3.1.2.1 et 3.3.5.1.

88 Cf. ci-dessus le texte de l’article 3 al. 1er du Concordat sur la coordination scolaire.

89 « La Conférence suisse des associations d’enseignants sera consultée lors de l’élaboration de ces recommandations. » (art. 3 al. 2 du Concordat sur la coordination scolaire).

90 Cf. edk.ch > Documentation > Documents officiels > Recommandations (dern. consult. 26 novembre 2018).

(13)

les réglementations dans des secteurs où son auteur ne dispose pas d’une compétence législative suffisante91. Quoique variable, son efficacité n’est plus à prouver dans certains domaines, à l’instar du droit fiscal international où le Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE a profondément modelé la conclusion et l’interprétation des conventions fiscales92.

Plusieurs conférences en font un instrument de prédilection :

Le Plan d’études 21 (Lehrplan 21) de la Conférence suisse alémanique des directeurs cantonaux de l'instruction publique (D-EDK), qui offre selon la doctrine « ein überaus detailliertes "Modellgesetz" für die Rechtsetzung durch die Kantone […]. Auf diese Weise soll eine weitgehende Harmonisierung der kantonalen Lehrpläne erreicht werden.»93 ;

Le Modèle de loi cantonale sur les subsides de formation du 8 mai 198194 et le Modèle de loi cantonale sur les bourses d'études du 6 juin 199795 de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) ;

Les Guides pratiques avec modèles de la Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes (KOKES / COPMA)96 ;

Le Nouveau modèle comptable harmonisé pour les cantons et les communes (MCH2) de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (FDK / CDF)97 ;

Le Modèle de prescriptions énergétiques des cantons (MuKEn / MoPEC) de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie (EnDK / CDCE) et le Modèle d'encouragement harmonisé des cantons (HFM / ModEnHa), une recommandation aux cantons basée sur le MoPEC afin d’« harmoniser ce genre de programmes entre les cantons.»98 ;

La loi-modèle sur l’utilisation du sous-sol (Mustergesetz über die Nutzung des Untergrundes) du 2 décembre 2013, adoptée par la commission concordataire prévue par le concordat concernant la prospection et l'exploitation du pétrole du 24 septembre 1955, abrogé, qui comprenait les cantons du nord-est de la Suisse (Konkordatskommission des Erdölkonkordats).

S’il est dans la vocation des conférences intercantonales que de recommander aux cantons d’adopter les prescriptions des lois-modèles, il arrive que la Confédération presse les cantons en leur demandant d’intégrer le texte modèle dans une convention intercantonale pour la rendre obligatoire.

Si la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie « recommande aux cantons de reprendre le MoPEC complétement et sans modifications dans leur législations », la Confédération, pour sa part,

« enjoint les cantons à adopter le MoPEC 2014 sous la forme d’un concordat et à le mettre en œuvre dans son intégralité dans la législation cantonale d’ici 2018 au plus tard »99.

91 FLÜCKIGER (note 5), ch.3.3.3.2k.

92 OCDE, Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, vol. I et II, Paris 2014, Introduction, N.

12.

93 GLASER /FUHRER (note 6), p.518.

94 Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP), Recommandations et décisions, Berne 1995, p. 73 ss.

95 Cf. edudoc.ch/record/25501/files/19970606f.pdf (dern. consult. 26 novembre 2018).

96 Cf. copma.ch/fr/publications (dern. consult. 26 novembre 2018).

97 Cf. ci-dessus note 82.

98 FLÜCKIGER (note 15), p. 50 s.

99 Ibidem, p. 51, réf. cit.

(14)

D. La participation populaire et l’évaluation des recommandations

1. Introduction

Prenant conscience du déficit démocratique tant des conférences intercantonales100 que des actes de droit souple qu’elles sont amenées à édicter, certaines autorités commencent à développer des pratiques de consultation du public et de conception légistique des recommandations. Il est toutefois difficile de se faire une idée exacte de la qualité et de la fréquence de ces consultations faute de données consolidées sur le sujet.

2. L’analyse d’impact prospective et l’évaluation rétrospective des recommandations

Dans la mesure où il arrive souvent que les recommandations se cristallisent progressivement en règles de droit, elles sont à l’origine matérielle des diverses lois cantonales harmonisées.

Leur élaboration devrait dès lors faire l’objet d’une démarche plus participative, d’une conception plus méthodique quant à leurs fondements et leurs effets ainsi que d’une évaluation systématique de leurs impacts. Il ne reste en effet plus grand choix aux législateurs que de prendre ou de laisser le contenu des recommandations dans leur ordre juridique respectif une fois celles-ci parvenues à maturation.

De manière générale toutefois, l’évaluation ex ante ou ex post101 des impacts des recommandations – et pas seulement sur le plan intercantonal – est encore balbutiante.

L’Union européenne prévoit dorénavant une telle analyse pour les actes non obligatoires sous certaines conditions102. En droit cantonal, si la pratique en matière d’analyse d’impact des lois (évaluation ex ante) est très variable103, elle est quasi insignifiante tant pour les conventions intercantonales que pour les normes dérivées. La Constitution genevoise impose certes une évaluation périodique des conventions intercantonales104 – que l’on peut interpréter comme incluant également l’évaluation prospective –, mais la réserve aux conventions de rang législatif105. Excluant le rang réglementaire, la Constitution écarte a fortiori également de l’obligation d’évaluation la forme de la recommandation intercantonale. Les autorités restent en revanche libres d’y procéder, même si une évaluation coordonnée au niveau intercantonal semble préférable.

La pratique des conférences intercantonales offre toutefois quelques exemples. Une analyse d’ensemble complète de la question reste pourtant à faire.

100 Sur le déficit démocratique de la collaboration intercantonale, cf. parmi de nombreux auteurs JEANNERAT (note 1), p. 131 ss ; GLASER /FUHRER (note 6), p. 528 ss ; Kurt NUSPLIGER, La participation des Parlements cantonaux au processus décisionnel en politique européenne, in : Entre adhésion à l'UE et voie bilatérale : réflexions et besoin de réformes du point de vue des cantons, Zurich 2006, p. 1 ss, p. 36 ; Stephan BRUNNER, Kantonale Staatlichkeit im Wandel : Die Kantonsparlamente vor der Herausforderung kooperativer Handlungsformen, LeGes, 2004/1, p. 131 ss ; TANQUEREL (note 2), p. 21 s. Cf. ég. l’appréciation du Tribunal fédéral sur le déficit de légitimité des conférences spécialisées des directeurs ci-dessus note 4.

101 Sur l’évaluation ex post des recommandations, cf. FLÜCKIGER (note 5), ch. 6.2.1.2.

102 Ibidem, ch. 2.2.3.3b.

103 Ibidem, ch. 2.2.3.3c.

104 Art. 93 al. 2 Cst. GE.

105 Art. 93 al. 3 Cst. GE.

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