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Nigéria : le pays qui n en finit pas de tomber

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Academic year: 2022

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Nigéria : le pays qui n’en finit pas de tomber

Situé sur le littoral du golfe de Guinée, la frontière nord en contact avec la bande sahélienne via le Tchad et le Niger, le Nigéria est l’un des pays les plus préoccupants d’Afrique. Les attaques et les enlèvements de jeunes filles ne cessent de se développer, les mouvements terroristes et mafieux agissent avec une grande impunité, Boko Haram n’étant pas seul en cause. La liste des attaques que la pays a connu entre la mi-février et début mai 2021 illustre la faillite de cet État et le drame vécu par les populations. Florilège de ces attaques après collation des articles et des dépêches de presse :

3 mai

30 morts dans une attaque contre une garnison militaire menée par le groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest.

2 mai

Huit morts après des attaques de deux bases de l’armée par des djihadistes. Une personne a été tuée lors de l’attaque sur la première base samedi. Sept autres ont été tuées lors de l’attaque sur la deuxième, dimanche.

29 avril

Annonce de la mort de deux étudiants de l’université Greenfield, dans l’État de

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Kaduna. Les étudiants faisaient partie d’une douzaine de personnes enlevées dans leur école le 20 avril par un groupe armé qui aurait exigé plus de 2 millions de dollars pour leur libération. Les deux étudiants auraient été assassinés par leurs ravisseurs. Les cadavres de trois autres personnes qui avaient été enlevées avaient été retrouvés trois jours plus tôt dans un village proche de l’université.

D’autres enlèvements ont également été signalés lundi après-midi dans les États de Kaduna, Oyo, Osun et Benue, où neuf étudiants ont été emmenés de leur université.

Plusieurs groupes armés ont attaqué plusieurs écoles de la région et enlevé des centaines d’enfants pour obtenir une rançon.

27 avril

Nord-est du Nigeria : au moins trente et un militaires tués dans une embuscade djihadiste.

Une vingtaine de véhicules de l’État islamique en Afrique de l’Ouest a attaqué un convoi militaire dans la périphérie de Maiduguri, capitale de l’État du Borno.

16 avril

Exode massif au Nigeria après une série d’attaques djihadistes. Environ 65 000 habitants ont fui la ville de Damasak, dans le nord-est du pays, selon les Nations unies. Une vingtaine de personnes ont été tuées cette semaine.

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Dans le nord du Nigeria, l’éducation en voie de disparition à cause des enlèvements d’élèves. Depuis décembre, près de 700 enfants et adolescents ont été kidnappés par des groupes djihadistes de Boko Haram ou de l’État islamique.

12 mars

Libération de 279 écolières enlevées dans leur pensionnat. Quatrième attaque d’école en moins de trois mois.

28 février

Enlèvements de masse d’écoliers. Trois pensionnats ont été la cible d’attaques ces derniers mois dans le Nord-Ouest. Le président Buhari a exhorté les gouvernements locaux « à revoir leur politique de récompense des bandits avec de l’argent et des véhicules ».

Les 42 personnes enlevées dans une école nigériane ont été libérées. Cette libération survient au lendemain de l’enlèvement de 317 jeunes filles scolarisées dans un autre établissement du pays.

23 février

42 personnes, dont 27 élèves, enlevées par des hommes armés. Le chef de l’État, M. Buhari, a ordonné une opération pour leur sauvetage. Ce rapt intervient deux

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mois après celui de 344 adolescents dans une région voisine.

10 civils sont tués par des tirs d’obus dans l’État de Borno, dont 9 jeunes garçons qui jouaient au football. Les autorités locales tiennent pour responsables le groupe islamiste Boko Haram.

17 février

Violences intercommunautaires sur un marché d’Ibadan, plusieurs morts sont recensés. Un conflit entre un ouvrier et un commerçant a dégénéré en explosion de violence dans cette ville, voyant l’affrontement des Yoruba et des Haoussa.

12 février

4 000 éleveurs fuient vers le nord après des tensions intercommunautaires. Ces dernières semaines, plusieurs campements peuls ont été attaqués dans les régions du sud, dominées par les Yoruba et les Igbo.

Je n’ai pas indiqué les références de tous ces articles de presse pour alléger la lecture, mais ils sont disponibles sur demande.

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Résultat de ces deux mois et demi d’affrontement : environ 150 morts et près de 700 personnes enlevées. Des chiffres probablement en deçà de la réalité. Voilà un pays véritablement en guerre civile et, bien souvent, en guerre ethnique, comme le démontre cet affrontement entre Yoruba et Haoussa sur un marché. Un pays qui ne sort pas de la spirale de la violence, qui ne fait que s’accroître.

Plusieurs analyses peuvent être faites.

Géographique tout d’abord. Les affrontements ont surtout lieu dans le nord du pays, là où les musulmans sont majoritaires. Le Nigéria a en effet une configuration classique en Afrique centrale avec un nord musulman et un sud chrétien-animiste ; héritage de la période coloniale qui est en train de s’estomper.

Religion ensuite. C’est là un débat sur lequel les avis divergent entre analystes.

Dans la matrice de ces conflits, est-ce l’islam qui prime (donc il s’agit d’un conflit religieux) ou bien est-ce la rapine (conflit pécunier) ou bien est-ce l’ethnie (conflit ethnique) ? Probablement un peu des trois, avec un mélange qu’il est parfois difficile de distinguer, qui peut varier dans le temps et varier aussi selon les personnes et les circonstances. Tout attribuer à l’islam est une erreur, comme le fait de tout mettre sur le compte de l’ethnie ou de la rapine. À cela s’ajoute par ailleurs le vaudou, religion de plus en plus présente au Nigéria et abondamment pratiquée par les réseaux criminels comme rite d’initiation et rite de maintien dans la communauté. L’islam pratiqué au Nigéria n’est pas tout à fait le même que celui qui est pratiqué en Algérie ou au Qatar.

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La haine de l’Occident est un puissant moteur, car il permet de créer un ennemi commun mobilisateur. Boko haram signifie « l’éducation occidentale » (Boko) est

« interdite, prohibée, péchée » (haram). Une opposition à l’Occident définie de façon claire dans le nom même du groupe. Ce retour à l’indigénisme, marqué notamment par l’accroissement du vaudou, est une constante de la géopolitique culturelle de ces dernières années, et pas uniquement en Afrique.

L’autre élément intéressant dans la collation de ces attaques est le nombre important d’enlèvements. Ce sont essentiellement des écoliers et des jeunes filles qui sont enlevés. Cela vise trois finalités : attaque l’école pour attaque la culture

« occidentale » (le fameux mantra de Boko Haram) ; enlever des personnes pour demander des rançons (un moyen de rapine assez efficace, surtout si les personnes enlevées sont des Occidentaux) ; vendre ces jeunes filles comme esclaves. Du nord du Nigéria on passe facilement au Tchad et de là en Libye, où pullulent les marchés aux esclaves, le temps de trouver preneur pour traverser la Méditerranée et venir en Europe, via des réseaux mafias. Plusieurs rapports d’Interpol ont mentionné le fait que 90% des migrants venant illégalement en Europe entrent via des réseaux mafieux. Les jeunes filles sont des cibles de choix, notamment pour la prostitution. Certains ont beaucoup glosé sur l’esclavage rétabli par Napoléon. Si le passé peut nous émouvoir, peut-être serait-il plus opportun et plus utile de lutter contre l’esclavage pratiqué aujourd’hui, plutôt que de s’offusquer de celui en usage il y a deux siècles.

Le Nigéria n’est pas un pays lointain, il concerne la France au premier plan. Avec 45 millions d’habitants en 1960, 122 millions en 2000 et 200 millions en 2020, il est l’un des pays les plus peuplés d’Afrique. Cette démographie jeune et en expansion (5.4 enfants par femme en moyenne), est un problème pour l’ensemble de l’Afrique, mais aussi pour l’Europe compte tenu de l’État de déliquescence du

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pays. Chacun comprend que cet effondrement ne peut qu’avoir des conséquences sur la bande sahélienne, donc sur la Méditerranée et donc sur l’Europe. Voilà pourquoi le Nigéria est un pays sur lequel il faut veiller.

Délitement ?

Des généraux que personne ne connait ont publié une tribune que personne n’a lue. Un gouvernement que personne n’a élu s’en est ému et a pris la mouche, créant une polémique qui n’intéresse personne. Voilà sommairement résumé les vaguelettes médiatiques qui ont agité la sphère militaro-politique la semaine dernière. L’événement est néanmoins moins anecdotique qu’il n’y parait et révélateur d’un véritable délitement.

Effet Streisand

L’effet Streisand est cet effet pervers où ceux qui tentent de cacher une information font tellement de bruit que l’information se diffuse encore plus.

L’expression fait référence à Barbara Streisand qui, en 2003, avait tenté de faire interdire la publication d’une photo montrant sa propriété au bord de la mer. Cela eut pour conséquence de faire connaitre l’existence de cette photo, qui du coup fut vue par beaucoup de monde. Il en est de même pour la tribune en question : si le gouvernement n’en avait pas parlé, peu de monde aurait connu et lu son contenu.

L’effet Streisand était-il ici recherché ? Le gouvernement a-t-il agi par bêtise ou par machiavélisme ?

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Que disent les signataires ? Peu de choses et la tribune sonne surtout par sa vacuité. Ils disent que le pays va mal, que la sécurité diminue, que certains territoires subissent un délitement et que si on en venait à des affrontements armés, les militaires auraient bien du mal à rétablir l’ordre. Un jugement que n’importe qui peut constater et partager.

L’actualité nationale et internationale permet de mieux comprendre le fonctionnement de ce délitement.

Effet PQR

La presse quotidienne régionale (PQR) est une mine d’informations pour avoir une idée de ce qui se passe en « province », qu’il désormais appeler « les territoires ».

Chaque émeute de « jeunes », voitures brûlées ou jets de pierre à l’encontre des pompiers y sont relatée dans les faits divers. Collationner ces données permet d’avoir une idée de ce qui se passe dans un grand nombre de villes. Entre le 16 mars et le 30 avril, ce sont ainsi 34 émeutes urbaines qui ont été recensées. La liste est non exhaustive, car certaines ont pu échapper à la recension. Ces émeutes sont de natures diverses. Certaines durent plusieurs jours, certaines se limitent à des caillassages de voitures de pompiers quand d’autres sont nettement plus violentes.

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Petits florilèges :

Blois, 16 mars

Nuit de violence à Blois (41) après un refus d’obtempérer et un accident de la route. Plusieurs véhicules brûlés, un supermarché Aldi pillé, un camion volé puis utilisé comme bélier contre les forces de l’ordre. Une crèche a également été dégradée. Aucune interpellation.

Oyonnax, 20 mars

Violence urbaine à Oyonnax (01), un policier blessé, une cinquantaine d’individus a pris part à ces attaques, au moins quatre véhicules brûlés et de nombreux mortiers d’artifices/cocktails Molotov ont été employés.

Mantes-la-Jolie, 27 mars

À Mantes-la-Jolie (78), une trentaine de personnes a attaqué des policiers en marge d’un clip de rap. Pas de blessé ou d’interpellations. Le commissariat de Trappes (78) a lui aussi été attaqué.

Rillieux-la-Pape et Enghien-les-Bains, 28 mars

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Rillieux-la-Pape (69) : attaque de bus, mâts de vidéosurveillance sciés, incendies, mortiers d’artifices sur les pompiers comme sur la police. Plusieurs dizaines d’individus sont concernés par ces violences. Pas de blessés.

Attaque du commissariat d’Enghien-les-Bains (95) par deux hommes dont l’un a été interpellé.

Rennes, 31 mars

3 mineurs agressent un homme avec batte de baseball, pelle, couteau et tournevis à Rennes (35) afin de lui voler sa voiture.

Évreux, 4 avril

Quatre policiers “sérieusement blessés” à Évreux (27), six interpellations de jeunes âgés de douze à vingt ans parmi les quarante agresseurs.

Yvelines, 13 avril

Attaque du commissariat de Trappes et du centre de rétention de Plaisir.

“100 faits de violences urbaines ont touché les Yvelines [depuis le 1er avril] dont 66 faits d’attaques aux mortiers et projectiles contre des policiers nationaux, municipaux et des bâtiments de police”, selon le syndicat Unité SGP Police.

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Aubenas, 21 avril

Au quartier des Olivier à Aubenas pour la deuxième nuit consécutive, violences contre les FDO et les pompiers, plusieurs incendies provoqués par des jeunes :

“pas eu d’événement déclencheur à cette flambée de violences, si ce n’est peut- être une forme de mimétisme avec d’autres quartiers sensibles qui s’agitent en France”, destruction de boîtiers électriques à noter également.

Etc., etc.

Tourcoing, Roubaix, Lille, Rennes, Nantes, Aubenas, banlieue lyonnaise, banlieue de Strasbourg, cette violence du quotidien est présente partout en France. Loin d’être des émeutes « de banlieue » elle touche de plus en plus les centres-villes historiques, notamment à Rennes et à Nantes, ou bien à Paris dans le quartier de Stalingrad (19e). Elle concerne aussi de plus en plus des moyennes et petites villes de province. Aubenas compte 12 200 habitants, Oyonnax 22 300 habitants. Nous ne sommes donc plus dans l’émeute des grandes banlieues, le phénomène s’étend à l’ensemble des entités urbaines. Cette liste ne recense que les cas les plus graves, les agressions au couteau et les vols n’étant pas recensés. La jeunesse des émeutiers surprend aussi. Beaucoup sont mineurs, voire très jeunes : 10 à 12 ans, ce qui ne peut qu’inquiéter pour leur futur.

Le rôle premier de l’État étant d’assurer la sécurité de ses citoyens, on constate bien ici un délitement de celui-ci, et donc du pays. Le fait que les commissariats soient eux-mêmes attaqués montre que l’État n’est même plus capable de

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protéger ses fonctionnaires.

Effet Cicéron

Dans une note de son blog Secret Défense, Jean-Dominique Merchet revient sur la publication de la lettre ouverte en citant cet adage de Cicéron « Cedant arma togae », L’épée le cède à la toge. Dans un état de droit en effet, c’est la force de la loi qui l’emporte sur la force de l’épée. À condition que la loi soit juste, c’est-à-dire qu’elle repose sur le droit naturel. Et à condition aussi que la loi soit acceptée par tous, c’est-à-dire qu’elle impose l’auctoritas. À défaut, ce n’est pas l’autorité qui domine, mais la potestas, le pouvoir, voire la violence. Cicéron eut beau défendre la primauté de la toge sur l’épée, c’est bien par cette dernière qu’il périt lorsque, marchandage de la réconciliation entre Octave et Antoine, il fut assassiné, avec mains et tête exposées sur les rostres du forum, là même où il haranguait la foule.

Cedant arma togae, dans les livres toujours, dans les faits parfois. Toujours dans cette note de son blog, Jean-Dominique Merchet poursuit par une remarque fort juste : « Mais il est également des devoirs et il se trouve que celui des militaires, et a fortiori du premier d’entre eux, est d’obéir au pouvoir civil. C’est la vieille devise de Cicéron : « Cedant arma togae ». Surtout lorsque ce pouvoir est légitime, parce que démocratiquement élu par les citoyens français. »

La dernière phrase pose les limites du problème, celle du pouvoir légitime, parce que démocratiquement élu.

Effet démocratique

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Le péché originel d’Emmanuel Macron réside dans les conditions dans lesquelles il est arrivé au pouvoir. Le coup de force juridique et médiatique à l’encontre de François Fillon a beaucoup joué dans sa victoire finale, affaiblissant d’autant sa légitimité. Si les élections s’étaient déroulées dans un climat démocratique normal, Macron aurait fini troisième, mais nullement premier. Le deuxième acte de sa délégitimation réside dans la très forte abstention. S’il a obtenu 66% des voix au second tour, cela ne représente que 43% des inscrits. Avec 26% d’abstention, c’est la présidentielle qui a atteint le plus haut sommet de non-vote. Un événement qui n’est pas conjoncturel, mais structurel puisque l’abstention fut très forte aussi aux législatives puis aux municipales de 2020 (60%), alors que ces élections sont normalement celles où la participation est la plus forte. Quand près d’un tiers des électeurs ne votent pas à une présidentielle et près des deux tiers aux municipales, on ne peut pas considérer que ceux qui ont été élus l’ont été de façon démocratique. Avec un tel désintérêt à l’égard du vote et de l’élection, désintérêt que des départementales et les régionales illustreront une nouvelle fois, l’état démocratique a dans les faits disparu.

Ce délitement de la démocratie a plusieurs causes, dont le délitement sécuritaire n’est pas le moindre. Si l’État n’est pas capable d’assurer ceux pour quoi il est fait, à savoir la sécurité, « le premier des biens » selon Frédéric Bastiat, pourquoi continuer à le nourrir par le vote ? Si autant de Français soutiennent cette lettre, très creuse par ailleurs, et sont même prêts à accepter un pouvoir fort, ce n’est pas tant parce qu’ils recherchent la potestas que l’autoritas. Pour éviter le délitement complet de la démocratie et de la nation, c’est cette restauration de l’autorité du politique qui est primordiale.

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Le fleuve Congo : magnificence et impuissance

C’est l’un des plus grands fleuves du monde : une longueur de 4 700 km, un débit de 80 000m3/ seconde, des profondeurs qui atteignent les 200 mètres par endroit du fait de la présence de canyons immergés. Le fleuve Congo prend sa source dans les hauts plateaux de l’Afrique australe avant de se détourner vers l’ouest pour se jeter dans l’Atlantique. C’est un fleuve immense, puissant, autour duquel vivent de nombreux peuples, mais un fleuve encore sauvage et peu mis en valeur.

Les Portugais sont les premiers Européens à accoster à son embouchure à la fin du XVe siècle. La région est dangereuse, remplie de maladies inconnues et mortelles, d’insectes et de bestioles mortifères. Nombreux sont les Européens à être morts à cause des fièvres, des piqûres, des mouches qui les ont piqués ou contaminés.

L’exploration de l’Afrique s’est faite au prix du sang, beaucoup n’ont jamais pu pénétrer « le cœur des ténèbres ». C’est le Gallois Henri Stanley qui explora le

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cours du Congo, à partir de l’est. Incroyable vie que celle de cet homme, né dans une ville du pays de Galles en 1841 de père inconnu et de mère qui l’abandonna aux services sociaux. Stanley s’en sortit par la force de sa volonté et de son intelligence, travailla comme journaliste aux États-Unis et fut envoyé en Afrique de l’est pour retrouver l’explorateur écossais David Livingstone. Parti de Zanzibar en janvier 1871 avec une troupe de près de 200 hommes, il rejoint les rives du lac Tanganyika, retrouve Livingstone puis se lance à l’assaut du Congo, dont il est l’un des premiers Européens à descendre le cours.

Sur le flanc ouest, c’est l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza qui a conduit les missions de repérages et de cartographie. Né à Rome en 1852 et d’origine vénitienne, Savorgnan de Brazza passe par l’École navale, est naturalisé français et s’engage dans l’exploration de la partie atlantique de l’Afrique. Partant du Sénégal il mène sa route jusqu’au Congo, où il fonde une ville qui porte aujourd’hui son nom.

Le Congo est marqué par ces deux explorateurs : Stanley, qui vient de l’est et Brazza, qui vient de l’ouest. Durant la période coloniale belge et jusque dans les années 2000, le Congo est tourné vers l’ouest et vers l’Atlantique, donc vers l’orientation donnée par Brazza. Depuis les années 2000, c’est l’Afrique de l’Est qui reprend le dessus. L’Inde et la Chine sont de plus en plus présentes, la région des Grands Lacs tourne ses échanges commerciaux et ses exportations vers l’océan indien, le Kenya, le Mozambique et la Somalie s’intègrent à ce nouvel espace océanique. La partie atlantique a donc tendance à être dévaluée au profit de la partie indienne et de l’est du pays. Le basculement du fleuve Congo de l’ouest vers l’est est en cours et montre le développement d’une nouvelle sous-région mondiale.

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Un fleuve à vivre et à aménager

Dans l’ouvrage qu’il a consacré au Congo (Congo. Un fleuve à la puissance contrariée, CNRS, 2021), le géographe Roland Pourtier analyse les aménagements réalisés autour de celui-ci et la façon dont la vie s’est organisée autour de cette masse d’eau. Roland Pourtier a découvert le Congo pour la première fois en 1987, envoyé par Roger Brunet pour réaliser l’un des tomes de la Géographie universelle consacrée à l’Afrique. Son livre est une invitation au voyage et à l’analyse géographique. Il réalise ce qu’est réellement la géographie, c’est-à-dire une étude des paysages, des organisations humaines, des aménagements, des contraintes géologiques et topographiques et de la façon dont les hommes mettent en musique ces contraintes pour les dépasser. La géographie est une belle science, très loin de la mélasse socio-environnementale servie dans les programmes du collège et du lycée.

Comme le montre Roland Pourtier, autour du fleuve s’est notamment développé

« un peuple de la pirogue ». Le fleuve fourni du poisson, qui peut être consommé, il est aussi un flux de transit et d’échanges. Les marchandises circulent sur le fleuve, à bord d’immenses pirogues, dont certaines atteignent les 30 mètres. Les échanges se font à même la pirogue, chacun monnayant un produit de la ville ou un produit du fleuve : pétrole, piles, singe boucané, savons ou recharges pour téléphone. La grande nouveauté est l’apparition des moteurs hors-bord qui rendent inutile l’usage des pagaies, qui permettent de remonter plus aisément le courant et de circuler dans des bras du fleuve autrefois difficilement accessibles.

Un grand nombre de ces moteurs sont de fabrication chinoise. Ils sont en train de changer la perception de l’espace et du temps sur les rives du fleuve.

Cet accroissement des échanges ne fait pas disparaitre pour autant la prégnance

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de l’ethnie, qui demeure l’élément de compréhension de la politique africaine.

L’ethnie n’est pas une invention des Européens, mais une réalité humaine qui structure la vie sociale et politique de l’Afrique.

« Le ʺtribalismeʺ, loin d’être un biais pernicieux de l’analyse occidentale des sociétés africaines, est ancré dans leur chair. Les groupes locaux peuvent bien être enchâssés dans des entités englobantes (linguistiques, administratives, religieuses), ils n’en demeurent pas moins jaloux de leurs droits coutumiers et prêts à les défendre quand ils les estiment en danger. C’est le cas notamment lorsque l’accès aux ressources, foncières ou autres est disputé, cause principale des conflits tribaux. L’absence d’un État fort, capable de canaliser le potentiel de violences et d’en prévenir l’explosion, laisse le champ libre à toutes sortes de groupes d’auto-défense prompts à prendre les armes, qu’il s’agisse de machettes, de lances, d’arcs et de flèches ou, et de plus en plus, de la Kalachnikov qui s’invite désormais dans les conflits à répétition du bassin du Congo. Les treillis se substituent aux tenues traditionnelles des guerriers, les trafics d’armes et les instrumentalisations politiques aggravant la violence des conflits, selon un schéma devenu récurrent. » (p. 101-102)

Évolutions du Congo

De 10 millions d’habitants en 1950, le Congo est en passe d’atteindre les 100 millions d’ici quelques années. Une croissance démographique que n’a pas accompagnée la croissance économique et la croissance des infrastructures.

Comme partout ailleurs en Afrique, l’explosion démographique est un drame qui attise les conflits et qui explique en partie les difficultés de développement de ces pays. La croissance démographique a renforcé les rivalités ethniques, le Congo subissant à la fois les déstabilisations venues du Rwanda et des Grands Lacs et

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celles de la Centrafrique et du Soudan du Sud. Le Congo est la caisse de résonnance de tous les troubles de l’Afrique centrale. Chez lui se retrouvent les guerres, les affrontements, les déstabilisations.

Deux villes émergent néanmoins : Brazzaville et Léopoldville, devenue Kinshasa.

Capitale du petit Congo, Brazzaville compte près de 2 millions d’habitants quand Kinshasa, capitale de la RDC en compte 15 millions. Les deux villes se font face sur le fleuve. On y retrouve les bidonvilles, les habitats précaires et insalubres, les entassements des populations venues de la campagne vers la ville pour y trouver une vie meilleure, et aussi les quartiers internationaux, plus luxueux, mieux aménagés et des quartiers résidentiels fermés et sécurités, réservés à l’élite noire qui a réussi dans les affaires et dans la politique. Le brinquebalement de ces villes et ces paysages si différents à quelques centaines de mètres de distance est typique de ces mégapoles des pays émergents. Tous les problèmes du pays s’y retrouvent et s’y condensent.

Le rapport à la mémoire est lui aussi très particulier et fort différent de ce qui est vécu en Europe. Alors que les Belges se prennent d’une honte soudaine pour leur passé, la statue équestre du roi Léopold trône toujours à Kinshasa. Les Congolais les plus anciens n’ont pas oublié la période belge, et les écoles, les routes et les hôpitaux qui ont été avec. Savorgnan de Brazza dispose d’un grand mausolée, inauguré en 2006, et où ont été transférés les restes de l’explorateur. Ce mausolée a été édifié à la demande du roi Makoko Gaston Ngouayoulou, roi des Téké, l’une des plus grandes ethnies du Congo, dont l’ancêtre avait été l’allié de Brazza et que l’explorateur avait soutenu lors de conflits locaux. Le monument devait même à l’origine être construit à Mbé, l’ancienne capitale des Téké, mais il fut finalement édifié à Brazza, à la demande du gouvernement congolais.

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Ces hommes et ces événements font partie de l’histoire des deux Congo, comme le rôle joué par Patrice Lumumba dans le processus d’indépendance. En les honorant, les gouvernements contribuent à montrer l’unité de leur pays et à créer une identité nationale qui est encore très loin aujourd’hui de s’imposer à l’ensemble de la population.

La souveraineté économique : enjeu fondamental de la puissance

Sur quels critères peut-on dire qu’une entreprise est française ? Sur quels critères également peut-on évaluer la contribution d’une société à la puissance française ? L’apport économique, en valeur et en impôt, est l’un de ces critères, mais il n’est pas le seul à être pertinent. Le cabinet Vélite a tenté de répondre à cette question en réalisant une étude sur le palmarès de la souveraineté économique. Plusieurs paramètres ont été retenus, qui ont ensuite été appliqués aux entreprises du CAC40. Cela donne des résultats parfois surprenants sur la place de ces grands groupes dans l’économie française.

L’économie n’est pas que finance. La puissance d’une entreprise ne peut donc pas se mesurer uniquement par son bénéfice ou son cash flow. D’autres critères sont importants : la capacité à innover et à produire de la technologie, la contribution à

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la puissance économique (le hard power en géopolitique), la contribution au rayonnement du pays (le soft power), l’indépendance à l’égard des puissances étrangères, la contribution à la vitalité territoriale (géopolitique des terroirs et intelligence territoriale). Ce panel, lui-même subdivisé en différents indicateurs, permet d’approcher l’utilité et la puissance réelle d’une entreprise multinationale en France.

Qu’est-ce que la souveraineté économique

Les auteurs de l’étude proposent la définition suivante de la souveraineté économique : « La souveraineté économique consiste à augmenter et protéger la puissance économique d’un État, de telle sorte qu’elle bénéficie à l’ensemble de sa population et de ses territoires. »

La souveraineté économique a donc trois dimensions : offensive, défensive et contributive. Parmi ces trois dimensions, l’on trouve les catégories suivante :

Offensive : dépôts de brevet, R&D, capacité d’investissement, conquête de marché et achat d’entreprise à l’international, promotion de la langue et de la culture française, réputation du groupe.

Défensive : capacité de résistance aux OPA, sensibilisation aux enjeux de l’intelligence économique et de la guerre économique, nationalité du top management, géographie de la détention du capital.

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Contributive : création d’emplois en France, liens avec les PME, contribution à la vitalité économique des territoires.

L’intérêt de cette étude est quel met des mots et des exemples sur des concepts qui sont souvent employés, mais sans être définis de façon juste. On parle beaucoup de souveraineté économique et d’indépendance, mais sans véritablement définir ce que cela signifie. Or la souveraineté, ce n’est pas uniquement maintenir des positions, mais aussi en conquérir. Les entreprises doivent sans cesse innover et inventer pour demeurer les leaders de leur marché.

Les entreprises multinationales ont toutes de fortes implantations locales, parfois dans des petites villes. Or le lien entre développement local et conquête global de marché est souvent mal perçu par les économistes et les acteurs politiques. Fos- sur-Mer pour la raffinerie, le port de Lyon pour la chimie fine, la vallée de la Loire pour la pharmacie, l’Île-de-France pour l’industrie et la finance, etc. Les choix et les développements des acteurs globaux se retrouvent au niveau local. C’est en cela que l’analyse géopolitique est essentielle parce qu’en variant les échelles, en réfléchissant sur des cartes plus ou moins globales, elle permet de mettre à jour les interactions des acteurs et les facteurs de développement.

L’autre point essentiel est la prise en compte de ces enjeux. Il y a du mieux par rapport à la situation d’il y a dix ans, mais les réalités de la guerre économique et les nécessités de l’intelligence économique et de la géopolitique locale ne sont pas encore assez pris en compte par les grandes entreprises. Ni par les PME, qui sont pourtant elles aussi concernées.

Thalès : le chef de la souveraineté

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Les différents indicateurs ayant été intégrés et pondérés, le classement Vélite de la souveraineté économique met Thalès, Safran et Total sur le podium. Vient ensuite Orange, LVMH, Michelin, Dassault, Engie, le Crédit Agricole, PSA et Bouygues parmi les 10 premiers. En bas du classement on trouve Teleperformance, ST et Arcelor Mittal.

Ce classement démontre donc que les secteurs aéronautique et défense, énergie et automobile sont les piliers de la puissance économique française. Le secteur du luxe arrive après, même si c’est celui qui a le plus d’impact en matière de structuration des paysages.

En matière d’innovation, PSA, Safran et Airbus arrivent en tête. Dans la catégorie

« rayonnement de la France », le trio de tête est composé de Total, PSA et L’Oréal.

Pour l’indépendance à l’égard des puissances étrangères, ce sont Thalès, Dassault et Orange qui se placent dans le trio de tête et Airbus, STMicro et Arcelor Mittal qui sont dans le trio de queue.

L’indicateur de la vitalité économique est intéressant, car il place beaucoup d’entreprises bancaires en tête du classement, notamment BNP Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole. C’est là un rôle inattendu, mais néanmoins très important joué par les banques.

La véritable RSE

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À travers ces critères et ces exemples, on comprend que le dossier est plus complexe qu’il n’y parait. Là, réside en revanche la véritable RSE « responsabilité sociale des entreprises » et non pas dans les gadgets communicationnels développés dans les ministères et les entreprises de com. Il est intéressant de noter à cet égard la place de Danone, qui arrive en 22e position dans l’étude, soit dans la deuxième partie du tableau. Sa force d’innovation technologique est faible, de même que sa contribution à la puissance économique et à la vitalité économique des territoires. Score faible sur ce dernier point (2.8/10) alors que compte tenu de son type de production il aurait dû être beaucoup plus élevé. La presse a beaucoup glosé sur le départ d’Emmanuel Faber. Les actionnaires ne lui ont pas reproché d’avoir fait de Danone une « entreprise à mission », mais de l’avoir fragilisé par rapport à ses concurrents, notamment Nestlé, et d’avoir contribué à gâter l’ambiance du top management, qui s’est soldé par de très nombreuses démissions au niveau du siège. Au regard de son bilan humain et financier, Faber n’a pas été un bon PDG de Danone. Or la première « mission » d’une entreprise est de fournir du travail et un salaire à ses employés. Et ensuite de fournir des services et des produits de qualité à ses clients. Les deux étant liés par ailleurs, car sans client il n’y a pas de salarié, et sans salarié de qualité, il n’y a pas de client satisfait. Voulant philosopher sur le rôle d’une entreprise, Faber est passé à côté de sa mission première chez Danone.

Ces critères de souveraineté démontrent l’agilité des entreprises et illustrent en creux le rôle de l’État : faire le moins possible, afin de ne pas empêcher les entreprises de se développer et de se muscler. La fiscalité confiscatoire, les empilements de normes et de réglementations, les travaux d’infrastructures non fait ou non entretenu sont autant de limitation à la souveraineté et de domaines où l’État est légitime à jouer un rôle. Le saccage actuel de Paris, sa saleté, son insécurité sont ainsi des freins puissants au développement de la souveraineté française. La capitale est toujours l’image d’un pays, à l’égard de ses habitants et à l’égard de l’étranger. La congestion continue de Paris n’est pas seulement un problème pour les Parisiens, mais pour l’ensemble de la France. Jamais aucun chef

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d’État n’avait laissé sa capitale se dégrader sans intervenir. Si le maire de la ville n’est pas capable de gérer sa commune, c’est à l’État central de le révoquer et de placer la ville sous tutelle. Ici, la question de la souveraineté et de la puissance économique passe par l’aménagement du territoire et l’embellissement de la ville capitale.

Pour que les entreprises puissent innover, inventer, embaucher, encore faut-il qu’elles ne soient pas empêchées par des impôts confiscatoires et des normes trop tatillonnes. Le cas échéant, c’est l’ensemble du pays qui en souffre.

L’étude complète est à retrouver ici :

https://palmares.cabinet-velite.com/

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Terrorisme : la pauvreté n’y est pour rien

Face aux actes terroristes qui s’additionnent, beaucoup pensent que le terrorisme serait dû soit à la pauvreté soit à l’ignorance, sans que l’on sache si cela relève d’une véritable illusion sur ce qu’est le terrorisme ou d’une volonté de ne pas voir en face cette réalité afin de se rassurer quant à ses développements.

Face au terrorisme, le premier danger est celui de la réification. Le terrorisme n’est pas une chose et nous ne sommes pas en guerre contre lui. Le terrorisme est une action menée par des personnes en vue d’obtenir une finalité. Il peut s’agir de poser des bombes, comme en Corse, d’attaquer Westminster comme l’IRA, ou d’égorger des passants, comme les djihadistes. Le terrorisme est une action et un moyen et à ce titre il est stupide de dire que nous sommes en guerre contre le terrorisme, pas plus que nous ne serions en guerre contre les couteaux ou contre les bombes. Dire cela est une façon efficace de refuser de nommer notre ennemi et les raisons pour lesquelles celui-ci nous attaque.

Terroriste parce qu’idiot ?

Comme nous refusons de voir et de nommer les choses, nous nous rassurons en pensant que le terrorisme est forcément le fait d’imbéciles et de fous. Ce ne serait pas le choc des civilisations, mais celui des incultures et des ignorances. Il n’y a qu’à lire le communiqué de presse de l’EI après les attentats de 2015 pour se rendre compte que nous n’avons pas à faire à des incultes. Ceux-ci savent écrire et rédiger et ils connaissent très bien l’histoire de France et de l’Europe. Il en a

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toujours été ainsi. Ni les frères Castro ni Ernesto Guevara ni les nihilistes russes du XIXe siècle n’étaient des idiots. Cela ne veut pas dire que parmi ceux qui tirent tous sont des lumières, mais parmi ceux qui pensent et qui planifient les actions, nous avons toujours des personnes intelligentes, capables de raisonner et de réfléchir. Il en va de même parmi ceux qui ont rejoint les rangs de l’EI : beaucoup sont des personnes intelligentes et diplômées.

Terroriste parce que pauvre ?

L’autre idée fausse est de voir dans le terroriste un damné de la terre qui exprime ainsi son mal être et sa révolte face aux inégalités insupportables. On ne peut pas dire qu’Oussama Ben Laden, fils de l’une des plus grandes familles d’Arabie Saoudite, soit à proprement parler un prolétaire. Les meneurs des mouvements terroristes d’extrême gauche des années 1970-1980 sont des fils à papa de la bourgeoisie, que ceux-ci fréquentent Action directe ou Fraction armée rouge. Il faut du temps libre et de l’argent de poche pour faire le terroriste. Le fils d’ouvrier est trop occupé à gagner son pain à Billancourt. Il a beau essayer de se faire passer pour un fils du peuple, le terroriste politique a très souvent une cuillère en argent dans la bouche. La thèse marxiste selon laquelle la révolte est le fruit de la pauvreté ne tient pas, ni pour 1789 ni pour les révoltés d’aujourd’hui. C’est toujours la bourgeoisie qui fait la révolution, même si elle est assez maligne pour donner l’impression que c’est le peuple, ou plutôt qu’elle le fait au nom du peuple.

En mai 68, les enfants du peuple étaient chez les CRS, pas chez les étudiants qui jouaient la révolution. Il en va de même aujourd’hui avec l’islamisme. Que ce soit au Sahel, au Mozambique ou au Burkina Faso, les chefs djihadistes sont des chefs de tribus et des personnes issues des ethnies dominantes.

L’argument selon lequel le terrorisme sera vaincu par le développement est une

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idée erronée. D’une part parce que la pauvreté n’est pas la cause de ces mouvements révolutionnaires, d’autre part parce que le terrorisme, en tant que chose, n’existe pas. Le terrorisme est un outil, une arme, non une bête existante que l’on pourrait combattre. Ce sont les projets révolutionnaires qu’il faut combattre, qu’ils utilisent ou non le terrorisme. Mener la guerre « contre le terrorisme » a donc autant de sens que mener une guerre contre les kalachnikovs ou les Famas.

Le révolutionnaire et le voyou

La question de l’usage du terrorisme bute sur la non-distinction qui est faite entre le révolutionnaire et le voyou. Un révolutionnaire est une personne qui a un projet politique et qui mène, éventuellement, une action armée, parfois terroriste, en vue de renverser l’ordre établi pour en édifier un autre. Le révolutionnaire est un intellectuel, un romantique et un homme d’action. Un intellectuel, parce qu’il pense et qu’il porte une idée, un romantique parce qu’il croit que cette idée peut s’incarner, un homme d’action parce qu’il est prêt à mourir pour son idée. Un idéologue qui n’est pas prêt à mourir pour défendre son idée n’est pas un révolutionnaire, mais un intellectuel aux mains blanches. Le révolutionnaire est à la fois un rêveur et un homme courageux, capable de tuer et d’être tué. C’est le cas des frères Castro et de Guevara, de Pierre Goldman, de Ben Laden, d’un grand nombre de dirigeants de l’IRA. Ce sont tous des gens éduqués, souvent issus de grandes familles et à l’aise financièrement. Bien loin donc des préoccupations financières.

Le voyou est un cas différent. C’est une personne qui vit de razzias et d’attaques soudaines, qui s’en prend aux lieux de richesse, qui vit de trafics. Le voyou peut maquiller son action d’idées révolutionnaires, il peut même travailler avec le

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révolutionnaire, mais il n’est pas un révolutionnaire. Il ne cherche pas à renverser l’ordre existant pour en mettre un autre, mais à se nourrir sur la bête. Il a au contraire absolument besoin de l’ordre existant, car si celui-ci venait à disparaitre le voyou n’aurait plus de lieux à voler. Le voyou se retrouve aujourd’hui chez beaucoup de « jeunes » vivant de trafics, de vols et de rapines. La question de l’islam est secondaire chez eux, même si elle peut donner un peu de grandeur à un quotidien assez terre à terre. C’est gens ne sont pas pauvres : le trafic de drogue, la prostitution, le trafic d’armes rapportant beaucoup, d’autant qu’ils peuvent être cumulés avec des aides sociales tout à fait légales. Ce n’est pas parce qu’ils vivent dans des habitants dégradés qu’ils sont pauvres. Leur vie est par ailleurs très stimulante et active. Vivre de trafics est plus exaltant que de passer de longues heures assis à une table dans un collège ou un lycée. On gagne beaucoup d’argent et on est quelqu’un. Raison pour laquelle tous les plans de la « politique de la ville » ont échoué, car on a voulu traiter par de l’argent un sujet qui n’est pas financier.

Ces personnes-là ne cherchent pas non plus à renverser l’ordre existant. Les peurs sur « l’embrasement des banlieues », « les émeutes dans les quartiers » ou encore les « atteintes à la République » demeurent des fantasmes. Ce sont les révolutionnaires qui veulent provoquer le grand soir et remplacer la république par autre chose, pas les voyous. Les voyous attaquent quand ils sont attaqués : un car de CRS qui fait peur aux clients, une descente de police qui empêche les trafics, etc. Quand il y a des émeutes, c’est pour chasser l’étranger avant d’être tranquille pour réaliser les trafics. Ce peut être aussi une façon de jouer en attaquant les pompiers ou des représentants de la France ; une sorte de jeu du chat et de la souris à taille réelle. Certes quelques voitures brûlent, mais cela est fait pour marquer un territoire, non pour l’étendre. Nous sommes ici dans le domaine du crime et de la criminalité, pas dans celui du terrorisme et de l’action révolutionnaire. Les caïds des « quartiers sensibles » ne sont pas des agents de l’IRA, de l’ETA ou des Farcs : ils n’ont pas de projet politique.

L’usage du voyou par le révolutionnaire

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Le révolutionnaire peut les utiliser, voire les manipuler, pour profiter de leur vigueur, de leur naïveté, de leur jeunesse. Mais pour l’instant, en France, le projet révolutionnaire islamiste n’a pas encore assez de pratiquants pour opérer une alliance avec les voyous. Cela changera peut-être, mais force est de constater qu’il y a peu de pays où l’islamisme est arrivé au pouvoir. En Égypte, les frères musulmans demeurent tenus à l’écart par le pouvoir des militaires ; au Maroc, le roi a su introduire les islamistes dans son gouvernement pour mieux les contrôler.

En Afrique noire, Mozambique, Nigéria, Burkina, les actions terroristes relèvent davantage de la pratique des voyous que de l’action de révolutionnaires. Les islamistes peuvent tenir quelques territoires, comme le Cabo Delgado, ils sont très loin de prendre le contrôle du pays. Le projet politique d’un grand califat islamique en Asie centrale a échoué, les Ouïgours étant bien tenus par les Chinois et les populations turkmènes n’étant pas soutenues par la Turquie.

Pour le cas français, cela ne signifie pas que nous ne devons pas craindre le terrorisme utilisé par les islamistes, mais reconnaitre que, pour l’instant, cela relève de la criminalité et de l’ordre public, non du projet révolutionnaire cohérent.

Ce qui changera peut-être dans quelques années. Ce qui signifie que l’action de lutte est à mener au niveau de la police et de la justice et que l’arsenal judiciaire actuel suffit : nul besoin de rajouter des lois anti-terroristes qui finissent par porter gravement atteinte aux libertés publiques. Mais il est vrai que, médiatiquement parlant, il est plus aisé de combattre le révolutionnaire par des phrases que le voyou par des actions de police.

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Les guerres de l’information : un outil essentiel

La guerre, ce n’est pas uniquement un sujet d’affrontement d’armées et de soldats, c’est aussi la formation des esprits et l’importance accordée à l’information. Il faut faire, certes, mais aussi faire savoir et créer un véritable attachement à la nécessité de la guerre. La guerre de l’information est aujourd’hui cruciale, tant pour déstabiliser ses adversaires que pour mobiliser sa population.

Ce n’est pas nouveau, mais ce qui change ce sont les moyens techniques dont on dispose dorénavant.

L’information autrefois : déjà l’idée, pas encore la technologie

Sans remonter à l’époque antique, la période médiévale a déjà connu ces enjeux de l’information et de la communication liés à la guerre. Jeanne d’Arc en est un bon exemple, qui stupéfie et impressionne par sa maitrise de la chose militaire, mais qui est aussi utilisée par le roi comme élément de « communication politique ». Refaire juger Jeanne pour casser le premier procès et la faire reconnaitre innocente est une nécessité pour Charles VII qui ne peut pas devoir sa couronne à une hérétique. Comme du reste les Anglais et les Bourguignons avaient tout intérêt à entacher l’épopée de Jeanne du halo de l’hérésie.

Le XVIIe siècle voit la publication de très nombreux imprimés et libelles, soit qui défendent l’action du roi de France soit qui la condamnent. Richelieu subit autant qu’il fait produire, s’entourant d’un groupe de scribes qui défendent les positions officielles du roi de France tant dans la Valteline que dans ses rapports compliqués

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avec les Habsbourg. Ce mouvement s’intensifie au XVIIIe siècle, notamment durant la guerre de Sept Ans. Les batailles menées au Canada et dans les Indes sont d’abord des batailles intellectuelles conduites dans les capitales et les chancelleries européennes. Au militaire et au diplomate s’ajoutent un troisième larron, dont le rôle est de plus en plus important, le publiciste ou le journaliste.

C’est-à-dire celui qui pense, qui écrit et qui infuse les idées dans l’opinion. Un rôle accentué par le développement de l’imprimerie et la baisse du coût du papier qui ne fait que s’accentuer au cours du siècle et encore plus au XIXe siècle.

Bonaparte comprend l’importance cruciale qu’il y a à écrire et à faire écrire, en bien, sur ses batailles. Il le fait en tant que général républicain, en faisant connaitre à Paris ses combats en Italie puis en Égypte. Un art de la propagande porté au pinacle avec les bulletins de la Grande Armée publiés à partir de 1805 qui relatent les différentes campagnes de l’Empereur, et ce jusqu’en 1814. Julien Sorel et Marius (Les Misérables) lisent avec avidité ces bulletins qui ont contribué à façonner le mythe Napoléon et l’épopée du romantisme.

La guerre face à l’image

Outre le développement exponentiel de la presse et des journaux, de plus en plus indépendants, la guerre de l’information est confrontée à une nouveauté : la multiplication de l’image. Certes il y avait toujours eu des tableaux et des gravures, dont certains ornent encore Versailles, mais c’étaient des images limitées et fastidieuses à produire. La photographie d’une part, le cinéma d’autre part, changent totalement la donne. Avec l’appareil photo embarqué, l’apparition des pellicules et la facilité accrue du développement, le reporter de guerre peut naitre et prendre de l’ampleur. Le rapport à l’image est l’une des grandes

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différences qu’il y a entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Le Hongrois Endre Friedmann, plus connu sous son pseudonyme de Robert Capa, est l’un de ses grands reporters de guerre, passé par l’Espagne, le second conflit mondial et notamment la libération de Paris, puis l’Indochine, où il décède en 1954. Il co-fonde l’agence Magnum en 1947 à New York, avec notamment ses amis Henri Cartier- Bresson et David Seymour. Une agence photographique qui a regroupé parmi les plus grands photographes du XXe siècle, dont beaucoup ont couvert des sujets militaires.

De l’œuvre d’art, la photo peut sombrer dans la propagande la plus froide et, au lieu d’élever l’âme, exciter les passions les plus troubles. Une photo d’enfant malheureux, affamé ou blessé permet de faire tomber bien des raisonnements et parfois de provoquer des entrées en guerre. Entre l’art qui dévoile et qui élève et la propagande qui cache et qui manipule, la frontière est parfois très ténue. Force est de reconnaitre que les communistes ont excellé dans cette maitrise de la propagande, que ce soit par le cinéma, la photo ou l’affiche. Jean-Yves Bajon a publié en 2013 un recueil d’affiches maoïstes intitulé Les années Mao. Une histoire de la Chine en affiches (1949-1979) (Les éditions du Pacifique) qui analyse ce rapport à la propagande et l’usage fait de la guerre de l’image. Les affiches sont belles, bien dessinées, réalistes. On y voit des Chinois valeureux et fiers de leur pays, le défendant contre des ennemis que l’on suppose terribles, mais dont ils sortent toujours victorieux. La force de ces affiches est qu’elles sont parlantes même quand on ne comprend pas les inscriptions en chinois. Le soldat, le paysan, l’étudiant y sont toujours représentés en pleine grandeur, au service de la Chine et du projet politique de Mao.

Les réseaux sociaux aujourd’hui essayent de reprendre ce rôle de propagande, se faisant vecteurs d’images, de textes et de vidéos. Leur atout est celui de la force et de la puissance de frappe, leur faiblesse est celle de la division. Loin de créer une communauté mondiale et un vaste espace uni et coopératif comme beaucoup le pensait au début, les réseaux sociaux fonctionnent en communautés et

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accroissent la création et la séparation de ces communautés. On ne parle pas aux autres, mais aux autres nous-mêmes à l’intérieur de notre réseau social. Les masses ne sont plus touchées de façon aussi directe, même si le poids des mass medias demeure prépondérant.

L’image de la guerre et la parole sur la guerre

L’information et la propagande demeurent des enjeux essentiels de la guerre d’aujourd’hui. En Centrafrique, Français et Russes mènent une lourde guerre d’influence pour s’attacher les bonnes grâces des populations et des gouvernements locaux afin de maintenir leur influence dans le pays. Cela passe notamment par la création de faux comptes Facebook qui délivrent une information positive sur les pays pour lesquels ils travaillent. La Chine a investi les réseaux sociaux, notamment via ses ambassades, pour délivrer des messages offensifs qui tranchent avec le langage timoré et retenu de bon nombre d’ambassadeurs. Les pays financent des chaines de télévision en espérant toucher des populations larges pour les convertir à leurs vues. La France n’est pas en reste avec TV5 Monde et les différents canaux de France24, même si leur efficacité et leur utilité restent à démontrer. À cela s’ajoutent des guerres de communiqués et d’interprétation lors des enquêtes conduites par des organes de l’ONU sur des frappes militaires et des bavures potentielles. Avec là aussi, des conflits d’interprétation, de communication et de diffusion.

La guerre de l’information et de la désinformation est bien évidemment importante, cruciale même, pour les États comme pour les entreprises. Le risque majeur néanmoins est de la faire passer au premier plan et d’oublier que la communication est un outil, non une fin. Inutile de déployer des trésors d’inventivité en propagande si on oublie d’abord de définir un but et un objectif à

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atteindre. Richelieu avait certes ses publicistes, mais ils étaient au service d’un objectif précis, favoriser la prise de la Valteline. Sans finalité et sans stratégie, la tactique de la communication n’est rien, tourne rapidement à vide et, même en étant très importante, fini par tourner en rond et par ne toucher personne.

Les lieux d’une civilisation

La géopolitique est d’abord géographie, c’est-à-dire qu’elle s’intéresse en premier aux territoires, que ceux-ci soient des espaces, des lignes ou des lieux. La ville et le lieu-dit sont les archétypes des lieux géographiques où se situe l’action des hommes. La civilisation européenne, qui trouve son origine et ses racines dans le monde antique, peut ainsi se résumer à quelques lieux fondateurs où se sont déroulés des événements majeurs pour son histoire. La fête de Pâques, en plus de sa dimension spirituelle, est aussi une fête des lieux en tant que fête du

« passage » (pesah en hébreux) entre deux espaces : le royaume d’Égypte et le désert du Sinaï, avant de permettre aux Hébreux d’entrer dans la Terre promise.

Non seulement la foi chrétienne est incarnée dans des hommes, mais elle est aussi inscrite dans des lieux qui sont autant d’endroits de mémoire et d’histoire actualisée.

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Les lieux des Hébreux

Tout commence dans la ville d’Ur, en Mésopotamie, aujourd’hui Irak, avec le départ d’Abraham. Ur, situé sur une rive de l’Euphrate, est l’une des plus grandes villes de l’époque de Sumer. Les fouilles archéologiques conduites dans les années 1920-1930 ont montré que cette cité était l’une des plus importantes de la région à l’époque du IIIe et IIe millénaire. Ville d’Abraham, le patriarche qui, en accord avec la promesse de la Genèse, a eu une descendance aussi grande que les étoiles du ciel, elle est une des cités fondatrices de notre civilisation. Ses ruines visibles aujourd’hui rappellent qu’un des bras de l’Europe a commencé dans ce croissant fertile, sur les rives de l’actuel golfe persique, où se sont croisées de nombreux peuples tels les Babyloniens, les Hittites et les Perses. Ur rappelle à l’Europe qu’elle n’est pas réductible à l’Occident, mais qu’une grande part d’elle-même vient d’Orient. D’où, peut-être, l’origine de l’attrait jamais démenti des Européens pour l’Orient, comme un attrait irrépréhensible pour ses origines.

L’Égypte n’est pas un lieu, mais un royaume aux capitales nombreuses, avant qu’Alexandre n’en fixe la capitale économique et culturelle sur les rives de la Méditerranée. Avant d’être l’Égypte des savants grecs et des théologiens chrétiens, le pays qui a été un phare culturel et intellectuel majeur fut, pour les Hébreux, le pays de la servitude et de l’esclavage. La libération apportée par Moïse est une libération nationale, celle d’un peuple qui ne veut plus être esclave et qui espère pouvoir vivre sur sa terre. L’Égypte devient le symbole du voyage et de la tension continue d’un peuple pour retrouver le sens de sa terre. L’expérience des Hébreux montre également que la diaspora et l’exil ne peuvent être des solutions pérennes. Tout peuple éloigné de chez lui rêve de sa terre et de son retour, quand bien même celui-ci serait ponctuel ou temporaire. Même si elle vit ailleurs, la diaspora a son cœur et son esprit vers sa terre qui n’en finit par d’irriguer sa culture, se manifestant notamment dans la littérature et la poésie. Une terre qui souvent devient mythifiée et sublimée mais qui n’en finit par se rattacher à un

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ailleurs rêvé. L’exode est chose inhumaine tout comme l’indifférence à l’égard de sa mère-patrie. La terre originelle n’est pas seulement le lieu où a vécu le corps, mais le territoire où l’esprit et l’histoire continuent de vivre et de se rattacher. La volonté de Moïse de quitter l’Égypte n’est pas uniquement le souhait exprimé de quitter la terre de l’esclavage, mais aussi l’attirance pour le chez-soi, le retour à la maison même si, dans le cas de Moïse, il ne connaissait pas cette terre et qu’il ne l’a jamais atteinte.

Le mont Sinaï. Entre l’Égypte et la Terre promise se trouve la montagne magnifique du mont Sinaï située au sud de la péninsule. D’une hauteur de 2 285 mètres, c’est à ce sommet que Moïse reçut le décalogue, les tables de la loi.

L’événement est considérable : dialogue de personne à personne, établissement d’une société de droit, reconnaissance de la primauté de la personne sur la tribu, condamnation du vol, de l’envie, de la jalousie, affirmation de l’importance de la filiation et du respect dû à l’histoire et aux parents (commandement 4 : « Tu honoreras ton père et ta mère »). Ces dix commandements célèbrent tout ce que le socialisme abhorre et rejette. C’est véritablement sur le mont Sinaï que sont posés les fondements de tout ce qui fait la spécificité de la civilisation occidentale.

Jérusalem, la ville qui lapide les prophètes. Sion-Jérusalem, ville sans cesse pleurée et adorée et en même temps ville qui lapide ceux qui l’aiment. Nombre de prophètes y ont été tués et elle-même fut le siège de nombreuses batailles conduites par des peuples qui tentèrent de s’en emparer. Politiquement et économiquement parlant, cette ville n’est aujourd’hui plus grand-chose. Mais culturellement et symboliquement, c’est l’une des villes les plus importantes au monde. Elle n’a pas le poids de New York, de Tokyo ou de Pékin, mais elle a autre chose qu’aucune ville dans le monde ne peut prétendre posséder : être le lieu de la mort et de la résurrection de Dieu. Jérusalem sonne comme une promesse ; pour le peuple juif qui a rêvé d’y revenir et de s’y installer, chose en partie faite aujourd’hui ; pour les chrétiens, qui espéraient pouvoir y venir librement en pèlerinage. Dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand dépeint

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l’émotion romantique qui s’empara de lui à la visite de la ville, ville dont il préféra surtout les ruines et dont on ne sait jamais, chez l’auteur, ce qui est vrai et ce qui relève de son imagination. Après être brillamment entrée dans l’histoire dans l’Antiquité, elle est demeurée avec son passé magnifié et actualisé.

Les lieux des Grecs et des Romains

Ce furent les Grecs et les Romains qui prirent la succession de l’Orient pour le vivifier et lui apporter leur philosophie propre. Troie est à cet égard la ville de la rencontre et de la transmission des cultures. Combat acharné des Grecs entre eux, Achéens contre Troyens, la guerre vit la victoire des hommes d’Agamemnon et le départ d’Énée, prince troyen, dont les descendants fondèrent Rome qui, ensuite, devait annexer la Grèce, dans une revanche posthume des Troyens. La mythologie politique des Carolingiens faisait remonter la généalogie des Francs aux Troyens, expliquant que Francion, un neveu d’Énée et prince troyen comme lui, avait fondé un royaume entre le Rhin et le Danube et que son peuple prit le nom de « Franc ».

C’est eux qui, par la suite, furent à l’origine de la noblesse française. C’est en réaction à cette mythologie politique que la IIIe République en édifia une autre, celle du mythe des Gaulois comme origine de la France, ce qui permettait de rejeter l’héritage grec des Troyens et l’héritage latin des Romains, les Gaulois s’étant opposés à la conquête de la Gaule (ce qui est historiquement faux, un grand nombre de tribus gauloises étant alliées de Rome). Outre les ouvrages d’Homère, Troie est donc, par la mythologie politique qu’elle a contribué à créer, une cité féconde pour la civilisation européenne et sa constitution.

Athènes, l’école de la Grèce selon Périclès, mère des philosophes, des politiques et des savants. Une appellation un tant soit peu abusive de la part du stratège athénien tant d’autres cités de Grèce ont joué un rôle de premier plan dans la

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création de leur culture. C’est le cas notamment de l’Ionie, région située de l’autre côté de la mer Égée et dont les cités ont vu naitre un bon nombre de savants. Mais Athènes demeure le symbole et l’archétype et lorsque le Macédonien Alexandre conquiert la Perse et l’Inde et diffuse l’hellénisme, c’est Athènes qu’il transmet dans ces terres foulées par les Grecs. Avec le mont Sinaï, l’acropole est l’autre montagne majeure de la civilisation européenne, celle qui a fourni les textes et les pensées qui nous irriguent toujours. Une montagne qui fut annexée et digérée par la ville aux sept collines, Rome.

Si Rome a gagné son titre de ville éternelle, c’est non seulement parce que la ville fut la capitale de la Rome impériale et de la Rome chrétienne, mais aussi parce qu’elle a influencé la pensée politique et l’art de l’Europe. Le bleu de son ciel, la tonalité de ses couleurs, la majesté de ses monuments et les panoramas offerts par ses collines ont inspiré des générations d’artistes et de penseurs. Avant de faire le tour de l’Europe, les touristes faisaient le voyage à Rome, indispensable étape dans leur formation humaine, artistique et intellectuelle. La puissance d’une ville-civilisation se mesure à sa capacité à irriguer et féconder la pensée dans le temps. C’est le cas de Rome, dont les structures juridiques et intellectuelles se sont exportées tout au long du bassin méditerranéen et ensuite dans le monde avec la colonisation conduite par les Européens. La rencontre entre le forum romain et la basilique Saint-Pierre fut l’une des plus fécondes de l’histoire, pour l’ensemble des domaines du savoir humain.

Carthage, enfin, est la ville particulière et paradoxale. Si elle fut en rivalité avec Rome, si elle perdit, sa défaite permit à la ville du Latium de prendre de l’ampleur, de sortir de la péninsule et de s’étendre tout au long de la grande bleue. Sans le vouloir, Carthage a provoqué la naissance et l’essor de l’imperium romain. Mais Carthage fut aussi, par la suite, l’un des principaux ports de la Méditerranée et la région productrice et exportatrice de blé. La ville fut nourricière de Rome, au sens propre. À l’époque chrétienne, Carthage vit naitre un grand nombre de théologiens qui contribuèrent à façonner le christianisme, dont Tertullien et Cyprien. Non loin

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d’elle, dans l’Afrique romaine, c’est Augustin d’Hippone qui a brillé sur la civilisation de l’Occident. Si Jérusalem représente le rêve de l’Orient, Carthage est ancrée dans le rêve du Maghreb et de la rive sud de la Méditerranée. Rêve de l’union des Arabes au sein d’un vaste royaume à l’époque de Napoléon III, rêve de démocratie et de printemps arabes il y a dix ans. L’Europe ne parvient pas à se défaire de Carthage et de ce qu’elle représente, comme espérance et crainte d’un empire puissant sur son flanc sud, un empire tout à la fois admiré et redouté.

C’est en ville que se crée le politique, c’est-à-dire la culture, l’art, la philosophie et l’économie. Il ne peut y avoir de civilisation prospère sans culture et donc sans cité. La succession des villes qui ont dessiné un vaste chapelet relie l’histoire qui est la nôtre, depuis les rives de l’Euphrate à celle du Tibre. Une liaison géographique qui est aussi une liaison historique.

Vaccination : une image de la puissance mondiale

L’état actuel des vaccinations de covid présente une photographie de la puissance mondiale, distinguant les pays qui ont su planifier la vaccination, ceux qui n’ont pas su et ceux qui ne peuvent pas. Le classement des pays ayant le plus vacciné offre quelques surprises, mais démontre aussi la puissance affirmée de l’Occident.

Tout au long de cette crise sanitaire, l’Union européenne a néanmoins montré son

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impuissance à apporter une solution pérenne et se retrouve aujourd’hui distancée par les autres pôles politiques. Les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël ont fait mieux qu’elle pour vacciner sa population et pour ainsi entrouvrir une sortie de piste. L’affaire était pourtant entendue : seule l’union des États d’Europe devait permettre d’acheter des doses de vaccins en grande quantité et en la matière, le Royaume-Uni ne pourrait être que largement distancé, comme le répétait encore en février dernier le député Jean-Louis Bourlanges, éternel thuriféraire de l’UE.

Force est de constater que cette stratégie a échoué. Non seulement aucun pays de l’UE n’a produit de vaccin (ni l’Allemagne ni la France), mais ceux-ci sont en retard en matière de vaccination par rapport à leurs homologues du camp occidental.

Vaccination : forts contrastes mondiaux

Mi-mars, 24.8% de la population américaine avait reçu au moins une dose de vaccin et 13.4% les deux doses. Dans l’UE, ce sont au contraire 9.2% de la population qui a reçu une dose et 4% qui a reçu deux doses. L’écart entre les deux entités politiques est considérable. Cette page internet du site du Wall Street Journal[1] permet de suivre l’évolution de la vaccination dans chaque pays. Elle montre que la plupart des pays du monde sont encore très en retard en matière de vaccination. Les pays qui ont le plus vacciné sont (% de population ayant reçu les deux doses) : Israël (53.1%), les Seychelles (28.2%), les Émirats arabes unis (22.1%) et Monaco (21.2%). Le Chili, la Serbie, Malte et Guernesey sont bien positionnés, avec une population vaccinée oscillant entre 15% et 10% de la population totale. Malte est ainsi le pays de l’UE qui a le plus vacciné sa population. La France est à 3.6%, à quasi-égalité avec le Royaume-Uni (3.4%), mais ce dernier à 41.9% de sa population qui a reçu au moins une dose, contre 9.1% pour la France. Quant à la Russie, en dépit du fait d’avoir développé son propre vaccin, seulement 1.9% de la population a reçu deux doses, et 3.9% une dose.

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Certains pays montrent un retard surprenant. Par exemple la Nouvelle-Zélande, dont le Premier ministre se veut à la pointe du progressisme mondial et ne cesse d’additionner les confinements hyper restrictifs, n’a que 0.6% de sa population qui a reçu une dose et 0% deux doses ; des chiffres identiques à ceux de l’Australie.

Hong Kong est aussi très en retard, avec 5.1% pour une dose et 0% pour deux doses. L’Inde, qui produit de nombreux vaccins contre le coronavirus et d’autres maladies, a elle aussi des chiffres très bas, avec 0.6% pour deux doses et 2.9%

pour une dose. Il est vrai toutefois que sa population est fort nombreuse, mais cela démontre néanmoins d’importants problèmes de logistiques. Quant à la Chine, aucune donnée n’est disponible sur ce site, ce qui témoigne de sa grande opacité dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres.

En nombre de doses injectées :

Israël a injecté 9,8 millions de doses, soit presque l’équivalent de la population de l’Île-de-France ;

Les États-Unis 128 millions ;

La Turquie 13,5M ;

L’Union européenne 60,5M ;

L’Allemagne 11,1M ;

La France 8,8M ;

Le Royaume-Uni 30,7M et l’Inde a tout de même injecté 50,8 millions de doses.

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L’UE n’a injecté que deux fois plus de doses que le Royaume-Uni et la Turquie fait mieux pour l’instant que l’Allemagne et la France.

Par continent :

Asie : 192 millions de doses (la Chine n’est pas incluse)

Amérique du Nord : 140M

Europe : 105M

Amérique du sud : 30M

Afrique : 8,4M

Une géographie des forces et des puissances

La géographie de la vaccination peut dessiner des approches médicales et curatives différentes, mais démontre aussi la réalité des puissances mondiales.

Certes, pour une puissance, le PIB est important, comme la présence d’une armée de pointe et de grandes firmes internationales. Mais savoir réagir à une crise grave et en sortir le plus rapidement possible est tout aussi important. Sinon, à quoi sert la puissance ? L’état des vaccinations à la mi-mars 2021 est donc un excellent tableau des rapports de force dans le monde et de l’état réel des puissances mondiales. Or celui-ci démontre que l’Afrique et une très grande partie de l’Asie sont à la traine, alors que les États-Unis et les pays d’Europe (UE et non UE) sont

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