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Les guerres de l’information : un outil essentiel

La guerre, ce n’est pas uniquement un sujet d’affrontement d’armées et de soldats, c’est aussi la formation des esprits et l’importance accordée à l’information. Il faut faire, certes, mais aussi faire savoir et créer un véritable attachement à la nécessité de la guerre. La guerre de l’information est aujourd’hui cruciale, tant pour déstabiliser ses adversaires que pour mobiliser sa population.

Ce n’est pas nouveau, mais ce qui change ce sont les moyens techniques dont on dispose dorénavant.

L’information autrefois : déjà l’idée, pas encore la technologie

Sans remonter à l’époque antique, la période médiévale a déjà connu ces enjeux de l’information et de la communication liés à la guerre. Jeanne d’Arc en est un bon exemple, qui stupéfie et impressionne par sa maitrise de la chose militaire, mais qui est aussi utilisée par le roi comme élément de « communication politique ». Refaire juger Jeanne pour casser le premier procès et la faire reconnaitre innocente est une nécessité pour Charles VII qui ne peut pas devoir sa couronne à une hérétique. Comme du reste les Anglais et les Bourguignons avaient tout intérêt à entacher l’épopée de Jeanne du halo de l’hérésie.

Le XVIIe siècle voit la publication de très nombreux imprimés et libelles, soit qui défendent l’action du roi de France soit qui la condamnent. Richelieu subit autant qu’il fait produire, s’entourant d’un groupe de scribes qui défendent les positions officielles du roi de France tant dans la Valteline que dans ses rapports compliqués

avec les Habsbourg. Ce mouvement s’intensifie au XVIIIe siècle, notamment durant la guerre de Sept Ans. Les batailles menées au Canada et dans les Indes sont d’abord des batailles intellectuelles conduites dans les capitales et les chancelleries européennes. Au militaire et au diplomate s’ajoutent un troisième larron, dont le rôle est de plus en plus important, le publiciste ou le journaliste.

C’est-à-dire celui qui pense, qui écrit et qui infuse les idées dans l’opinion. Un rôle accentué par le développement de l’imprimerie et la baisse du coût du papier qui ne fait que s’accentuer au cours du siècle et encore plus au XIXe siècle.

Bonaparte comprend l’importance cruciale qu’il y a à écrire et à faire écrire, en bien, sur ses batailles. Il le fait en tant que général républicain, en faisant connaitre à Paris ses combats en Italie puis en Égypte. Un art de la propagande porté au pinacle avec les bulletins de la Grande Armée publiés à partir de 1805 qui relatent les différentes campagnes de l’Empereur, et ce jusqu’en 1814. Julien Sorel et Marius (Les Misérables) lisent avec avidité ces bulletins qui ont contribué à façonner le mythe Napoléon et l’épopée du romantisme.

La guerre face à l’image

Outre le développement exponentiel de la presse et des journaux, de plus en plus indépendants, la guerre de l’information est confrontée à une nouveauté : la multiplication de l’image. Certes il y avait toujours eu des tableaux et des gravures, dont certains ornent encore Versailles, mais c’étaient des images limitées et fastidieuses à produire. La photographie d’une part, le cinéma d’autre part, changent totalement la donne. Avec l’appareil photo embarqué, l’apparition des pellicules et la facilité accrue du développement, le reporter de guerre peut naitre et prendre de l’ampleur. Le rapport à l’image est l’une des grandes

différences qu’il y a entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Le Hongrois Endre Friedmann, plus connu sous son pseudonyme de Robert Capa, est l’un de ses grands reporters de guerre, passé par l’Espagne, le second conflit mondial et notamment la libération de Paris, puis l’Indochine, où il décède en 1954. Il co-fonde l’agence Magnum en 1947 à New York, avec notamment ses amis Henri Cartier-Bresson et David Seymour. Une agence photographique qui a regroupé parmi les plus grands photographes du XXe siècle, dont beaucoup ont couvert des sujets militaires.

De l’œuvre d’art, la photo peut sombrer dans la propagande la plus froide et, au lieu d’élever l’âme, exciter les passions les plus troubles. Une photo d’enfant malheureux, affamé ou blessé permet de faire tomber bien des raisonnements et parfois de provoquer des entrées en guerre. Entre l’art qui dévoile et qui élève et la propagande qui cache et qui manipule, la frontière est parfois très ténue. Force est de reconnaitre que les communistes ont excellé dans cette maitrise de la propagande, que ce soit par le cinéma, la photo ou l’affiche. Jean-Yves Bajon a publié en 2013 un recueil d’affiches maoïstes intitulé Les années Mao. Une histoire de la Chine en affiches (1949-1979) (Les éditions du Pacifique) qui analyse ce rapport à la propagande et l’usage fait de la guerre de l’image. Les affiches sont belles, bien dessinées, réalistes. On y voit des Chinois valeureux et fiers de leur pays, le défendant contre des ennemis que l’on suppose terribles, mais dont ils sortent toujours victorieux. La force de ces affiches est qu’elles sont parlantes même quand on ne comprend pas les inscriptions en chinois. Le soldat, le paysan, l’étudiant y sont toujours représentés en pleine grandeur, au service de la Chine et du projet politique de Mao.

Les réseaux sociaux aujourd’hui essayent de reprendre ce rôle de propagande, se faisant vecteurs d’images, de textes et de vidéos. Leur atout est celui de la force et de la puissance de frappe, leur faiblesse est celle de la division. Loin de créer une communauté mondiale et un vaste espace uni et coopératif comme beaucoup le pensait au début, les réseaux sociaux fonctionnent en communautés et

accroissent la création et la séparation de ces communautés. On ne parle pas aux autres, mais aux autres nous-mêmes à l’intérieur de notre réseau social. Les masses ne sont plus touchées de façon aussi directe, même si le poids des mass medias demeure prépondérant.

L’image de la guerre et la parole sur la guerre

L’information et la propagande demeurent des enjeux essentiels de la guerre d’aujourd’hui. En Centrafrique, Français et Russes mènent une lourde guerre d’influence pour s’attacher les bonnes grâces des populations et des gouvernements locaux afin de maintenir leur influence dans le pays. Cela passe notamment par la création de faux comptes Facebook qui délivrent une information positive sur les pays pour lesquels ils travaillent. La Chine a investi les réseaux sociaux, notamment via ses ambassades, pour délivrer des messages offensifs qui tranchent avec le langage timoré et retenu de bon nombre d’ambassadeurs. Les pays financent des chaines de télévision en espérant toucher des populations larges pour les convertir à leurs vues. La France n’est pas en reste avec TV5 Monde et les différents canaux de France24, même si leur efficacité et leur utilité restent à démontrer. À cela s’ajoutent des guerres de communiqués et d’interprétation lors des enquêtes conduites par des organes de l’ONU sur des frappes militaires et des bavures potentielles. Avec là aussi, des conflits d’interprétation, de communication et de diffusion.

La guerre de l’information et de la désinformation est bien évidemment importante, cruciale même, pour les États comme pour les entreprises. Le risque majeur néanmoins est de la faire passer au premier plan et d’oublier que la communication est un outil, non une fin. Inutile de déployer des trésors d’inventivité en propagande si on oublie d’abord de définir un but et un objectif à

atteindre. Richelieu avait certes ses publicistes, mais ils étaient au service d’un objectif précis, favoriser la prise de la Valteline. Sans finalité et sans stratégie, la tactique de la communication n’est rien, tourne rapidement à vide et, même en étant très importante, fini par tourner en rond et par ne toucher personne.

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