Chronique dʼune reconversion
annoncée: les métiers de demain
Par Sylvaine Pascual Reconversion professionnelle, Vie professionnelle
4ème volet de nos Chroniques dʼune reconversion annoncée : les prédictions vont bon train sur les métiers de demain et les
experts se transforment en voyant extralucides pour nous pondre le panorama ultime du monde professionnel qui nous attend. Dont acte, il est évident que lʼaccélération des progrès technologiques et le vieillissement de la population vont avoir un sérieux impact sur nos métiers. Cependant, quel crédit
apporter à ces prévisions ? Quelle place pour les métiers émergents dans un projet de reconversion ?
Prévisions piège à con ?
Depuis quelques mois, les prédictions en tous genres sur les métiers de demain vont bon train et sont parfois surprenantes ou
contradictoires. Evitons les conclusions trop hâtives sur les métiers émergents, dʼaprès cette étude, les prévisions, dans le passé, nʼont pas toujours été dʼune exactitude dʼhorloge suisse, tout comme celles sur les métiers en voie de disparition.
Les listes des métiers de demain fleurissent comme les coquelicots dans les champs de blés, avec à peu près la même utilité: cʼest décoratif, parfois même spectaculaire, mais ce nʼest pas ça qui va nous donner du grain à moudre. Dʼailleurs, les prévisions de la
DARES (qui ne joue pourtant pas dans le même bac à sable que les sites qui reprennent en cœur les TOP 10 des métiers de demain) en 2007 pour les métiers de 2015 sont assez éclairantes sur
lʼapproximation des prédictions :
Le commerce en ligne nʼy avait droit quʼà deux lignes soulignant quʼil pourrait « fortement restructurer les filières de distribution de certains produits.»
Le secteur de lʼemploi à domicile devait être fortement pourvoyeur dʼemploi, il ne cesse de chuter depuis 2013.
Le « maintien en emploi » des seniors très qualifiés devait sʼaméliorer. Hmmmm.
Lʼemploi dans le BTP ne devait cesser de progresser : pas moins de 30 000 postes ont disparu rien quʼen 2014.
Alors vous imaginez la fiabilité des listes présentées comme autant de certitudes, venues dʼOutre-Atlantique et reprises telles quelles, sans recul et sans ajustement culturel et économique (les Etats-Unis prévoient la fin du métier de boulanger. Compréhensible chez eux, risible appliqué à la France et pourtant repris sur certains sites).
Métamorphose des postes et obsolescence des compétences
De nombreux métiers ne sont probablement pas tant en voie de disparition quʼen pleine mutation. Je ne serais pas surprise quʼen réponse à la déshumanisation de lʼexpérience consommateur due à lʼautomatisation de prestations aux particuliers, se dessine une nouvelle tendance qui soit, justement, le luxe de lʼêtre humain en face de soi. La disparition annoncée des chauffeurs de taxi sera peut-être lʼoccasion de ré-offrir un service humain, personnel, en faisant revivre ce métier. Ou un autre.
Dʼautre part, la plupart de nos métiers sera profondément impactée par les bouleversement technologiques et cʼest parfois plus
lʼobsolescence des compétences qui guette que la disparition des métiers. Celle-ci pourrait être génératrice de reconversions subies pour ceux qui ne les auront pas actualisées et la formation proposée par les entreprises ayant souvent un train de retard, il sera de plus en plus crucial que chacun la prenne en main par lui-même. Nous
reviendrons sur ce sujet.
Enfin, les mutations dʼun métier peuvent être source de perte de sens ou dʼintérêt et devenir des leviers de reconversions volontaires.
Observer lʼévolution de votre métier est aussi un moyen de savoir sʼil est temps dʼaller respirer des airs plus appropriés. Cʼest au cœur des tendances propres à un secteur parfois très limité quʼémergent de nouveaux métiers quʼon attendait pas et qui peuvent redonner dynamisme et variété à une carrière qui commence à ronronner.
Métiers émergents : du cimetière à la pouponnière
La période, par lʼaccélération de changements de toutes sortes, des progrès technologiques, du vieillissement de la population, de la robotisation etc. est propice à lʼapparition inopinée de nouveaux métiers et de nouvelles fonctions. On est même, depuis quelques années, en plein babyboom des métiers : il en fleurit de nouveaux comme la progéniture après une panne dʼélectricité. La pouponnière à nouveaux métiers fonctionne à toute vapeur et elle est
certainement une mine dʼopportunités pour les candidats à la reconversion professionnelle.
Commençons par une distinction à faire entre les différentes générations de ces nouveaux métiers, dont le dénominateur
commun est dʼavoir surgi sans crier gare, inventés de toutes pièces, pondus par des fondus dʼun domaine ou un autre, qui ont anticipé les besoins des entreprises et des consommateurs, ou construit de nouveaux secteurs et marchés :
Les métiers adolescents: ils existent depuis quelques années et commencent tout juste à intégrer les annuaires de métiers et notre vocabulaire. Des formations apparaissent, souvent
élaborées par les précurseurs du métier en question, comme cʼest le cas des community managers. Ce sont eux que ce guide de lʼApec dénomme « métiers émergents » et chiffre à 60. Il sʼagit de métiers tels que webmarketer, expert en bilan carbone ou analyste KYC, qui ne sont plus réservés à lʼavant- garde qui les a créés et tendent à se professionnaliser.
Les métiers nouveaux-nés: ils viennent dʼapparaître, ne sont pas encore reconnus, souvent mal compris et mal perçus, parfois avec des dénominations à géométrie variable, ce qui peut les rendre peu lisibles. Mais ils existent bien et sont la
plupart du temps une grande source de plaisir pour ceux qui les exercent… et les ont créés.
Les métiers polichinelles dans le tiroir (ou brioche au four, selon vos références culturelles) : ils sont à lʼétat fœtal et sʼélaborent au chaud dans lʼesprit créatif et visionnaire de spécialistes dʼun domaine qui en anticipent les évolutions et commencent à y expérimenter des nouveautés sous la forme de nouvelles prestations.
Autre point commun de tous ces métiers : le plus souvent, ils ne sont pas le produit des divinations dʼexperts : ils sont une génération
spontanée née de la créativité et de la vision, de lʼenvie et de
lʼaudace ou le fruit dʼun besoin ultra spécifique. En dʼautres termes, ils naissent de lʼinnovation.
Dʼautre part, lorsque ces métiers apparaissent, ceux qui les ont inventés en sont déjà experts avant même de les exercer. Il sʼagit souvent dʼune passion ou a minima dʼun goût pour un domaine que lʼon connaît sur le bout des doigts associé à un brin de vision,
dʼanticipation soit de besoins à venir, soit du potentiel. Ils ne sont donc pas du tout réservés à une jeunesse triomphante tombée dedans quand elle était petite, mais aussi le bébé de professionnels déjà expérimentés.
Ainsi les premiers community managers nʼétaient pas tous des petits jeunes tous frais émoulus de lʼécole ou forts de leur habileté sur les réseaux sociaux, mais biens des professionnels ancrés dans une carrière, qui sʼy sont implantés avec intérêt et avec succès, qui en sont devenus solides connaisseurs et ont su anticiper leur potentiel pour la communication des entreprises. Et qui dʼailleurs, pour
certains, ont trouvé là une source de reconversion ou dʼévolution professionnelle réjouissante.
Les métiers de demain sont donc une source réelle dʼopportunités de reconversion, en particulier pour les intrépides qui auront
lʼaudace de les explorer dans le cadre dʼune réflexion sur une évolution de carrière. Dʼautant que leur nouveauté et parfois leur manque de lisibilité génère un manque de candidats parfois
spectaculaire. Ainsi le numérique peine à recruter, comme lʼexplique cet article de la Tribune.
Les nouveaux métiers, une manne pour les candidats à la reconversion
Lʼévolution de plus en plus rapide du monde qui nous entoure nous donne trois possibilités face au monde professionnel de demain :
Ré-inventer un métier existant. Profiter des transformations dʼun métier, en termes de compétences, de tâches, de types de prestation ou de produits, pour donner un nouvel élan à sa
carrière sans passer par une reconversion à 180°. Ainsi le
développement de fermes verticales pourrait être un moyen de donner une nouvelle dimension au métier dʼagriculteur. Il est possible que ce soit un passage obligé pour beaucoup de salariés pour répondre à lʼobsolescence des compétences et aux nouvelles exigences techniques.
Prendre le train dʼune tendance émergente. Profiter de lʼémergence de nouveaux métiers dans un domaine qui vous intéresse et que vous maîtrisez déjà plus ou moins pour élaborer une nouvelle carrière dans ce domaine. Y repérer des boulots dʼavenir ou en pleine explosion qui correspondent à vos
aspirations.
Inventer son futur métier à partir des mutations du marché et des nouvelles tendances, le façonner entièrement sur mesure en fonction de ce que vous avez envie de proposer au sein dʼun marché en plein bouleversement. Une opportunité en or pour les intrépides qui auront lʼaudace de concilier aspirations personnelles et professionnelles, plaisir et sens au travail.
Le risque consisterait peut-être à vouloir se lancer dans un métier jeune dans un domaine auquel on ne connaît rien: lʼabsence de formation disponible rendrait le saut probablement très incertain.
Reconversion et métiers du futur: une exploration personnelle et non formatée
Cette évolution très rapide des métiers rend aussi de plus en plus obsolète les démarches type bilan de compétences qui tardent à intégrer les métiers émergents et qui permettent peu lʼanticipation ou lʼinvention pure et simple dʼun nouveau métier. Leurs conclusions peinent à inclure les nouveaux métiers comme des pistes viables et sʼappuient beaucoup trop sur des cartographies professionnelles rendues caduques par ces métiers naissants. Sʼil paraît logique
dʼattendre lʼadolescence dʼun nouveau métier avant de le considérer comme une option, cela signifie aussi quʼà un instant T, une
démarche formatée risque de faire passer le candidat au
changement de métier à côté de mille et unes opportunités dʼune part, et dʼenvoyer certains clients vers des métiers qui ont déjà grandement muté, sans prendre en compte ces transformations. Et donc sans vérifier sʼils correspondent encore aux aspirations du candidat.
Elle nécessite une réflexion et une exploration de moins en moins normée et à lʼinverse de plus en plus personnelle, en fonction non pas des compétences avérées et des métiers existants, mais de celles quʼon veut continuer à exprimer, des aspirations, dʼune
définition personnelle de « la réussite », des centres dʼintérêts, des compétences développées hors monde professionnel, des moteurs personnels plutôt que du vaste fourre-tout estampillé « valeurs ».
Encore une fois, ne laissez pas un consultant en bilan de
compétences, en outplacement ou un coach jouer les Madame Irma des métiers de demain. Ils ne sont pas des experts de TOUS les domaines professionnels et ne peuvent ni valider ni invalider une piste de reconversion à votre place.
Lʼexemple du marché de la cigarette électronique
De façon relativement peu médiatisée, le marché de la cigarette électronique sʼest développé très rapidement, avec une créativité et un sens de lʼinnovation remarquables, autant en termes de métiers qui ont vu le jour que de produits.
Cʼest un exemple parfait de ces métiers qui apparaissent sans crier gare et génèrent une mine dʼopportunités de reconversion ou
dʼévolution de carrière largement sous-estimée. Le marché sʼest développé à une vitesse fulgurante et commence déjà à sʼessouffler, ce qui le rend exemplaire des évolutions à grande vitesse que nous avons besoin dʼanticiper.
Lʼouverture de commerces de proximité, en réponse à lʼoffre qui, à ses débuts, était essentiellement disponible sur Internet. De très nombreuses boutiques ont vu le jour, probablement trop (11 points de vente en 2010, 2500 en 2014, selon cet article), celles qui survivront seront celles qui sauront se différencier, se
réinventer.
La conception et la production de cigarettes électroniques et du matériel associé (chargeurs, packaging etc) est en plein boom, avec un panel de possibilités qui paraît sans limite (autant en termes de style que de technique).
Des amateurs éclairés, des œnologues et des nez se sont lancés dans lʼélaboration dʼe-liquides.
Des ébénistes ont intégré dans leur travail la fabrication dʼembouts en bois.
Ce marché est dʼautant plus intéressant quʼà moins de 5 ans dʼexistence il est déjà saturé et connaît déjà de nombreuses incertitudes quant à son avenir. Il est aussi déjà en quête de
normalisation et fait lʼobjet dʼune professionnalisation des réseaux de distribution au travers de la franchise. Cette évolution fulgurante
sera probablement le lot dʼautres secteurs qui vont jaillir et
sʼimposer de plus en plus vite, avec des phases dʼexpansion rapide, de ralentissement et de transformations qui nécessiteront de la part des professionnels concernés beaucoup de réactivité et
dʼactualisation des compétences.
Ce qui signifie au final quʼen vertu du principe que la chance sourit aux audacieux, ceux qui mettront un peu de tripes et dʼhuile de coude dans lʼexploration des domaines qui les intéressent ont beaucoup plus de chances dʼy inventer une nouvelle fonction, dʼy dénicher un métier fœtus, en bas âge ou adolescent qui pourrait être une véritable voie de reconversion pour eux.
Crédit photo : Mo & Jonny Williams Voir aussi
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