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Le sacerdoce de tout baptisé et le ministère sacerdotal

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Le sacerdoce de tout baptisé et le ministère sacerdotal

Le laïc, coresponsable dans l’Eglise avec le prêtre Olivier GLAIZE

Avant-propos

La première chose que je fais lorsque je lis un ouvrage spécialisé, c’est de vérifier que l’auteur est un spécialiste et qu’il est compétent et reconnu. Ce ne sera pas vraiment le cas ici puisque l’auteur de ce propos n’est ni spécialiste, ni reconnu ! Quant à ses compétences, ce sont celles d’un étudiant en théologie qui passe plus de temps dans ses missions confiées par sa famille religieuse, les Marianistes, que le nez dans des ouvrages de théologie. Pour autant, la question de l’avenir de l’Eglise me passionne et, en particulier, la question de la place du laïc et du prêtre dans l’Eglise.

C’est la raison pour laquelle j’ai choisi comme sujet de dissertation la question du sacerdoce, d’une part, dans sa dimension ministérielle (le sacerdoce des prêtres) et d’autre part dans sa dimension baptismale (le sacerdoce commun des fidèles). Quels sont les points communs entre ces deux sacerdoces ? Quel est celui qui est le plus important ? Quelle distance existe-t-il entre ces deux sacerdoces ? Le prêtre est-il le seul à pouvoir agir dans l’Eglise in personna christi (dans la personne du Christ) ? Que nous apporte le Concile Vatican II sur la place du laïc dans l’Eglise ? Sur la place du Peuple de Dieu dans l’Eglise ? Sur la place du prêtre, de l’évêque ? Quelle est l’évolution de la place du laïc dans l’Eglise de Vatican II à aujourd’hui, en passant en particulier par Paul VI et Jean- Paul II ? Les laïcs sont-ils dans l’Eglise des collaborateurs des prêtres ou bien des coresponsables de l’Eglise ?

Faute de temps pour remanier ce travail et le rendre moins universitaire, ce texte a conservé son côté dissertation théologique hormis le rajout, à la fin de la conclusion, d’un poème d’Annie Johnson Flint. Il pourra donc paraitre un peu ardu pour le non-initié. Il ne faudra pas hésiter à sauter les passages trop compliqués ! Mais pour que la démonstration soit convaincante, il était nécessaire d’avancer progressivement dans la démarche sans sauter d’étape. Quant à celui qui préfèrera avoir affaire à un spécialiste sur ces questions, il n’aura qu’à consulter directement les livres proposés dans la bibliographie à la fin de cet opuscule.

OG

à Antony, le 30 juin 2014

Introduction

De 1980 à 2010, l’Église catholique de France est passée de 38000 prêtres à 14000. La moyenne d’âge est actuellement de 75 ans. Si le rythme des ordinations se maintient – une centaine par an – on devrait pouvoir compter sur 6000 prêtres en 2020 dont 3000 en activité1.Dans de nombreux diocèses d’Europe et d’Amérique du Nord, ce constat est le même et les catholiques, qu’ils

1 Cf. RIGAL Jean, L’Église en quête d’avenir, p.19 et l’article « L’Église face à la pénurie des prêtres » lefigaro.fr 29.07.12.

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soient prêtres, religieux ou laïcs, sont bien obligés de s’interroger autour de leur évêque sur l’avenir de leur diocèse2 et le service qu’ils y rendent. En effet, tout chrétien baptisé-confirmé, qu’il soit prêtre diocésain ou non, est invité à prendre sa part de mission dans l’Église. Dans Lumen Gentium3 en 1964, le dernier Concile rappelle qu’il n’y a qu’un peuple de Dieu et un seul baptême, et que, « même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité. » Cette volonté d’associer à sa mission tous les membres de l’unique Peuple de Dieu, apparaît clairement dans le Chapitre 10 de Lumen Gentium dont voici l’extrait le plus significatif :

Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, qui ont entre eux une différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre : l’un et l’autre, en effet, chacun selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ (in persona Christi), le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles eux, de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâce, le témoignage d’une vie sainte, leur renoncement et leur charité effective. LG 10

Le Concile ne pouvait s’imaginer que l’Église souffrirait un jour d’une telle pénurie de prêtres en Occident. Mais en mettant en avant le sacerdoce commun des fidèles et en invitant chaque laïc à assumer dans l’Église et dans le monde sa part de mission, il a suscité un nombre impressionnant de laïcs se mettant au service des diocèses et des paroisses. Toutefois, de nombreuses questions théologiques demeurent sur ces deux sacerdoces comme en témoigne cette intervention de l’archevêque de Chicago en 1982 : « Il nous faut étudier l’identité ou le rôle de tous les membres de l’Église et y réfléchir plus à fond. Le point spécifique de référence doit être la signification du sacerdoce des fidèles et du sacerdoce ministériel et la distinction entre l’un et l’autre. Nous partageons tous le rôle prophétique, sacerdotal et royal du Christ, mais comment ? C’est seulement quand la clarté sera faite sur nos rôles respectifs que nous pourrons travailler en harmonie. »4La question posée par Mgr Bernardin a-t-elle trouvé une réponse aujourd’hui ? Mais que voulait dire le Concile en parlant de sacerdoce commun des fidèles et de sacerdoce ministériel ? Quelle relation et quelle distinction entre l’un et l’autre ? Quelle harmonisation possible ? Que devons-nous entendre lorsque nous parlons d’un peuple sacerdotal et d’un unique sacerdoce du Christ ?

Pour traiter ces questions, je commencerai par étudier brièvement comment les Écritures et les premières communautés chrétiennes utilisent le mot sacerdoce. Dans une deuxième partie, il s’agira de s’arrêter longuement sur l’extrait de Lumen Gentium et ses deux notions : sacerdoce commun et sacerdoce ministériel. Qu’a voulu dire le concile ici ? La troisième partie sera consacrée à la réception de cet extrait dans l’Église d’aujourd’hui. Au regard de ce que vivent les diocèses de nos pays occidentaux, ces questions sont d’une brûlante actualité et méritent une attention particulière de la part de tout chrétien qui s’intéresse à l’avenir de l’Église catholique et de son Église locale.

2 Il est important de rappeler ici que « le diocèse, Église locale, est le lieu où se réalise l’Église du Christ. Sa plénitude ne lui est cependant donnée que dans la communion avec les autres Églises locales, qui forment avec lui l’Eglise catholique.

L’unité est maintenue par le collège des évêques, pasteurs des Églises locales, sous la responsabilité de l’évêque de Rome, le pape, qui a pouvoir de juridiction et de magistère sur l’ensemble des Églises locales et sur chacune. » Gérard SIEGWALT, in LACOSTE Jean-Yves et al, Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 2007.

3 VATICAN II, LUMEN GENTIUM, n°32 (Constitution dogmatique sur l’Église).

4 Mgr Bernardin, Documentation catholique, t. 79, 1982, pp. 978-932, spécialement 931-932.

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I. L’utilisation du mot sacerdoce dans les Écritures et les premières communautés

Des livres entiers existent sur cette question comme celui d’un des plus grands spécialistes, le jésuite Albert VANHOYE, auteur de Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament5. Que retenir d’essentiel sur le sujet ?

a. Le mot « sacerdoce »

Le mot « prêtre » se dit en hébreux, kohėn qui sera traduit en latin sacerdos. Dans l’Ancien Testament, le prêtre est celui qui est préposé à tout ce qui relève du religieux, dont, par exemple, les sacrifices à l’autel. Dans les Évangiles, le mot prêtre n’est jamais appliqué à Jésus, ni à ses disciples, mais il désigne toujours les prêtres juifs. C’est seulement à partir de l’Épître aux Hébreux que le mot prêtre ou sacerdoce est réservé exclusivement au Christ.

b. « Le Christ est la source de tout le sacerdoce. »

Cette expression « le Christ est la source de tout le sacerdoce » vient de Thomas d’Aquin6. Elle résume bien le premier point d’attention que nous devrons toujours avoir à l’esprit lorsque nous utilisons le mot sacerdoce. Il y a en effet un unique prêtre – un unique sacerdoce – et c’est le Christ.

L’Épître aux Hébreux affirme que « nous avons un prêtre éminent établi sur la maison de Dieu » (He, 10, 21) et que ce prêtre est Jésus Christ (He 4, 14-15). Mais cette affirmation a un sens qui va bien au-delà de celui utilisé jusqu’alors : Jésus n’a jamais été prêtre au sens de préposé au Temple. S’il devient pour les chrétiens le seul grand prêtre, ce n’est que par sa passion dans laquelle il s’offre, lui- même, en sacrifice. Le sacerdoce devient alors intimement lié au sacrifice. « Si le sang de boucs et de taureaux et si la cendre de la génisse répandue sur les êtres souillés les sanctifient en purifiant leur corps, combien plus le sang du Christ, qui, par l’esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour servir le Dieu vivant. » (He 9, 13-14) Le sacerdoce de Jésus, c’est Jésus qui s’offre lui-même en sacrifice et non les bourreaux qui le sacrifient. Lorsque les chrétiens veulent imiter le Christ dans son sacerdoce, ils « offrent » leur vie à Dieu, par exemple à travers une mission donnée ou un choix de vie plus radical.

c. Les chrétiens, qu’ils soient laïcs ou prêtres, sont un peuple sacerdotal et royal

Quand le chrétien fait l’offrande de sa vie, il n’est pas seul : il est membre d’un corps. « Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part » (1Co 12, 27), écrit saint Paul au sujet des premiers chrétiens. C’est donc par le Christ, et comme membre du corps du Christ, que le chrétien appartient au peuple de Dieu devenu peuple sacerdotal. S’inspirant du prophète Isaïe, saint Pierre écrit : « Mais vous, vous êtes ‘la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis, pour que vous proclamiez les hauts faits’7de celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière. » (1P, 2, 9)Et chaque membre de ce peuple est invité à être une « pierre vivante » qui entre dans la « construction de la Maison habitée par l’Esprit, pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ » (1P, 2, 5).Dans l’Apocalypse, Jean adresse sa prière au Christ, « qui a fait de nous un royaume, des prêtres pour Dieu son Père, à lui gloire et pouvoir pour les siècles des siècles.

Amen » (Ap 1, 6).À partir du moment où le chrétien adhère au Christ, il est associé à son sacerdoce.

5 Dans cette première partie, je m’inspire essentiellement de ce livre - VANHOYE Albert, Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1980.

6 Somme de théologie IIIa q.22 a.4.

7 Is 43, 20-21.

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« Tout saint est prêtre – écrit Thomas d’Aquin – (…) Tout homme bon est dit prêtre de façon mystique, car il offre à Dieu un sacrifice mystique, c’est-à-dire lui-même comme une victime vivante à Dieu, selon Romains 12, 1. »8

d. Le Nouveau Testament ne donne pas le titre de sacerdoce aux apôtres, mais…

Dans son ouvrage, Albert VANHOYE constate que, dans le Nouveau Testament, seul l’Épître aux Hébreux aborde une christologie sacerdotale. « À la multitude des prêtres anciens succède donc un seul prêtre nouveau. » Le titre du livre est révélateur et évoque plusieurs prêtres anciens mais un seul prêtre nouveau ! Parler de prêtres nouveaux au pluriel n’est possible qu’en faisant écho au passage de l’Apocalypse que nous venons de lire : le chrétien est associé au sacerdoce unique du Christ. C’est le peuple qui est sacerdotal. Quelle place alors donner à ceux qui ont été appelés au ministère ordonné ? Peut-on qualifier de sacerdotal ce ministère ? Pour VANHOYE, la réponse est double : « On a pu constater, d’une part, qu’aucun texte du Nouveau Testament ne donne aux apôtres ni à d’autres ministres de l’Église un titre sacerdotal explicite mais, d’autre part, que le développement doctrinal observable à l’intérieur du Nouveau Testament met nettement sur la voie d’une compréhension sacerdotale du ministère. » Aussi devons-nous avoir bien à l’esprit que le sacerdoce du Christ ne s’est pas réalisé dans le cadre d’une cérémonie, mais au cours d’un événement. À l’image de ce sacerdoce, celui de l’Église « ne consiste pas à célébrer des cérémonies, mais à transformer l’existence réelle en l’ouvrant à l’action de l’Esprit Saint et aux impulsions de la charité divine ».9

e. Conclusion

La lecture attentive du Nouveau Testament que fait Albert VANHOYE l’amène à conclure que lorsque nous parlons de sacerdoce, nous devons toujours garder à l’esprit que le sacerdoce du Christ, le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel sont bien trois approches à la fois complémentaires, et indissociables. Il nous faut donc éviter deux écueils possibles : ne parler du sacerdoce que dans le sens qui nous intéresse en omettant les deux autres sens ; et ne pas utiliser du tout le mot sacerdoce sous le prétexte qu’il évoque des réalités trop différentes. Après cette première approche, comment comprendre alors l’utilisation du mot sacerdotal dans Lumen Gentium n°10 ?

* * *

8 Sentences IV d. 13 q. 1 a. 1 sol. 1 ad 1.

9 Albert VANHOYE, cf note 5.

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II. L’utilisation du mot sacerdoce au chapitre 10 de Lumen Gentium

Dans l’extrait choisi de Lumen Gentium n°10, le mot sacerdoce ou sacerdotal est cité sept fois. Cet extrait est à lire dans un contexte précis, à savoir à l’intérieur d’un chapitre consacré au peuple de Dieu.

a. Un chapitre ajouté dans Lumen Gentium sur le peuple de Dieu, peuple sacerdotal Au Concile, ce qui a permis de mettre en valeur la notion de peuple sacerdotal, puis de sacerdoce commun, c’est d’avoir développé la notion de peuple de Dieu. Pour Yves CONGAR, l’une des initiatives les plus décisives du concile fut l’introduction, dans Lumen Gentium, entre le chapitre I sur le Mystère de l’Église et le chapitre III sur la Constitution hiérarchique et l’épiscopat, d’un chapitre II sur le Peuple de Dieu. Ce chapitre, qui n’était pas prévu dans les documents de préparation du Concile, permet d’exposer clairement ce qui est commun à tous les membres de l’Église, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles »10. Bien plus, « il s’agissait de donner priorité et primauté à ce qui relève de l’être chrétien »11 : le plus important n’est pas ce que je suis dans l’Église en tant que prêtre ou laïc, mais ce que je suis en tant que chrétien baptisé. « La notion de peuple de Dieu telle qu’on la tire des saintes Écritures permet d’affirmer à la fois l’égalité de tous les baptisés dans la dignité de l’existence chrétienne, qualifiée comme sacerdotale, royale et prophétique, et la diversité des services ou offices qui entraîne, sous l’angle fonctionnel, une inégalité. »11

En parlant d’un peuple sacerdotal, l’Église de Vatican II va apporter une meilleure compréhension du « sacrifice spirituel » que chaque chrétien baptisé est invité à vivre : pas seulement les chrétiens prêtres ou consacrés, mais aussi les laïcs mariés ou célibataires. Au tout début du paragraphe 10, Lumen Gentium déclare que : « le Christ Seigneur, grand prêtre d’entre les hommes, a fait du peuple nouveau ‘un Royaume, des prêtres pour son Dieu et Père’12. Les baptisés, en effet, par la régénération et l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint, de façon à offrir, par toutes les activités du chrétien, autant d’hosties spirituelles, en proclamant les merveilles de celui qui, des ténèbres, les a appelés à son admirable lumière. » Ce passage récapitule tout ce que la lecture des Écritures nous a permis de découvrir sur le sacerdoce dans la première partie de ce propos. Grâce à cette notion de Peuple

- sacerdotal (le chrétien est prêtre : il fait l’offrande de sa vie),

- prophétique (le chrétien est prophète : il « proclame les merveilles » de Dieu)

- et royal (le chrétien est roi à l’image du Christ venu pour servir l’homme et non pour être servi : il travaille à l’humanisation du monde),

le chrétien comprend mieux la grandeur d’une vie donnée à Dieu. Toute existence chrétienne a une valeur sacerdotale. Elle se traduit par la pratique des deux plus grands commandements que propose Jésus13 : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Celui qui aime, sacrifie du temps, sacrifie toute sa vie ou une partie de sa vie pour Dieu et pour son prochain. Dans l’Épître aux Romains, saint Paul écrit : « Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-même en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rm 12, 1- 2)14.

10 Saint Augustin, cité dans Lumen Gentium, n°12.

11 CONGAR Yves, Le concile de Vatican II. Son Église, peuple de Dieu et corps du Christ, coll. Théologie historique n°71, Paris, Beauchesne, 1984, 177 p., chapitre IX.

12 Cf. Ap 1, 6 ; 5, 9-10.

13 Mt 22, 34-40 ou Mc 12, 28-34.

14 Pour Yves CONGAR (cf. note 11), saintPaul résume ici ce qui pourrait être « la charte d’une vie chrétienne ».

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La conséquence de cette approche théologique du sacerdoce commun est que la « catégorie du sacerdoce n’est plus une catégorie exclusivement ministérielle, comme elle l’était pour la théologie du Moyen Âge et au Concile de Trente. Il faudra désormais préciser en quel sens le ministère est sacerdotal, au regard de l’unique sacerdoce du Christ et du sacerdoce commun des fidèles. »15 Mais alors, quelle relation et quelle distinction y-a-t-il entre ces deux sacerdoces ?

b. Une différence d’essence entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel

Si la ressemblance fondamentale réside dans le fait que les deux sacerdoces (commun et ministériel) viennent de l’unique sacerdoce du Christ, la différence fondamentale est surtout une question d’essence.

- Dans le cas du sacerdoce commun, il s’agit d’un sacerdoce existentiel : c’est-à-dire, la possibilité pour le chrétien d’imiter, dans sa vie spirituelle et apostolique, le Christ, unique prêtre ; la possibilité de faire l’expérience du sacrifice de sa vie comme nous l’avons vu plus haut.

- Dans le cas du sacerdoce ministériel que Bernard SESBOÜÉ15 préfère appeler ministère sacerdotal ou ministère presbytéral16, il s’agit de la dimension sacerdotale de tout ministère ordonné : le prêtre se met au service des fidèles (ministère qui vient du latin minister, ministri, « serviteur ») et, comme pasteur et représentant du Christ, il « forme et conduit le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ (in persona Christi), le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ».(LG 10)

C’est pourquoi ces deux sacerdoces sont ordonnés l’un à l’autre : ils sont « deux participations différentes et particulières de l’unique sacerdoce du Christ »17.C’est donc grâce au ministère sacerdotal que le peuple de Dieu peut exercer son sacerdoce royal, en particulier dans l’eucharistie.

- Le sacerdoce royal est existentiel et demeurera pour tous les fidèles, prêtres comme laïcs, éternellement !

- Par contre, « le sacerdoce ministériel est solidaire de la vie itinérante de l’Église : il n’aura plus de raison d’être dans l’eschatologie. »17, c’est-à-dire, dans la vie éternelle.

Concernant la différence de degré proposée dans l’extrait, Bernard SESBOÜÉ17 estime qu’il y a là une « négligence rédactionnelle du texte, due sans doute au relent de la considération habituelle du prêtre comme celui qui a quelque chose en plus que le simple chrétien ou qui est au-dessus de lui ». Pour lui, « la différence d’essence et celle de degré s’excluent mutuellement ».

Mais alors, si ce sacerdoce commun est de l’ordre de l’essence, ne devrait-il pas être qualifié d’universel ?

15 SESBOÜÉ Bernard, De quelques aspects de l’Église. Païens et juifs - Écriture et Église - Autorité - Structure ministérielle¸ Paris, Desclée de Brouwer, 2011, 281 p. Chapitre VI.

16 C’est le ministère qui est sacerdotal et non le sacerdoce qui est ministériel. Pour parler du prêtre comme nous l’entendons encore aujourd’hui, le concile parle indifféremment de ministère ordonné, ministère sacerdotal, sacerdoce ministériel, ministère presbytéral et presbytre. Sur les faire-part d’ordination, on parle de plus en plus d’ordinations presbytérales au lieu d’ordinations sacerdotales.

17 Bernard SESBOÜÉ, cf. note 15.

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c. Parler d’un sacerdoce universel plutôt que d’un sacerdoce commun ?

D’après Jean-Pierre TORRELL18, les théologiens rédacteurs du texte ont hésité entre sacerdoce commun et sacerdoce universel. Si le mot universel convenait pour désigner ce qui appartenait à tous (et le sacerdoce appartient bien à tous ceux qui se réclament du Christ), il pouvait aussi signifier « ce qui renferme tout », « ce qui comprend tout en soi ». Pour éviter cette ambiguïté, ce côté absolu, on préféra le mot commun. Mais ce mot a aussi un inconvénient dans sa traduction française : ce qui est commun est habituellement ordinaire, banal ! On comprend mieux ici la nécessité de connaître la genèse de toute rédaction importante pour éviter d’éventuelles erreurs d’interprétation.

Le fait que la formule sacerdoce commun n’ait été utilisée qu’une seule fois durant tout le Concile est peut-être un signe que cette juxtaposition de mots ne convenait pas pleinement aux yeux des rédacteurs. Mais sur le fond, c’est-à-dire sur ce que signifie vraiment sacerdoce commun¸ il n’y a aucune équivoque : il s’agit bien de parler d’une égale dignité entre tous les chrétiens qui sont membres d’un même peuple et qui ont une même foi et un même baptême.

Maintenant que nous avons souligné ce qui fait l’unité du peuple de Dieu, il devient nécessaire de mieux appréhender la place du ministre ordonné au sein de ce peuple, et son rôle in persona Christi dont parle Lumen Gentium 10.

d. Si le ministre ordonné agit « in persona Christi », les autres chrétiens aussi

Pour illustrer le sens de cette formule in persona Christi, il suffit de citer saint Augustin :

« Pierre baptise, c’est le Christ qui baptise (…) Judas baptise, c’est le Christ qui baptise. »19 En parlant ainsi, Vatican II ne fait donc que reprendre un enseignement ecclésial traditionnel et constant. Bien entendu, au moment de la consécration, lors de toute eucharistie, cette formule prend un sens très fort et solennel pour celui qui redit, devant l’autel, les paroles du Christ au moment de la dernière Cène.

Il faut toutefois aller plus loin dans son utilisation : Jean-Louis TORREL20 rappelle que cette formule n’est pas réservée aux ministres ordonnés. En effet, non seulement le baptême assimile tout chrétien au Christ mais, de plus, il « habilite aussi le croyant à agir dans l’ordre du culte chrétien, non seulement pour recevoir les sacrements, mais aussi pour concourir à l’offrande de l’eucharistie et donner certains d’entre eux : baptême et mariage ». Sans enlever le caractère particulier que revêt cette formule pour le ministre ordonné, il ne faut pas non plus lui donner un usage trop restrictif. Dans le cas d’un laïc qui donnerait dans l’urgence le baptême à quelqu’un ou dans le cas du mariage, c’est le Christ qui donne l’effet du sacrement dans son caractère comme dans sa grâce, et ceci, par l’intermédiaire du laïc. On peut d’ailleurs ajouter ici qu’avant le Concile de Trente, pendant des siècles, les laïcs étaient aussi habilités à donner le sacrement des malades, et même, en cas de nécessité, le sacrement de la confession.21

Le ministre ordonné demeure tout de même le seul ministre de certains sacrements – l’eucharistie, les malades, la réconciliation, l’ordre, la confirmation – et de plus, il est le pasteur de la communauté qui lui est confiée. Cette responsabilité de pasteur est vécue par celui-ci en communion avec son évêque dont il est un coopérateur. Car c’est l’évêque qui fait l’unité de l’Église locale comme nous allons le voir maintenant.

18 TORRELL Jean-Pierre, Un peuple sacerdotal, Sacerdoce baptismal et ministère sacerdotal, Paris, Cerf, 2011, 255 p.

19 Homélie sur Saint Jean, Tr. VI 7.

20 TORREL, cf. note 18.

21 Cf. Hervé LEGRAND, article « Sacerdoce »in LACOSTE Jean-Yves et al, Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 2007 p. 1251.

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e. Le prêtre, coopérateur de l’évêque qui seul reçoit la plénitude du sacrement de l’ordre Un examen des sources des trois premiers siècles22 a permis, dès le Concile, de mieux comprendre comment, dans les premières communautés chrétiennes, s’articulaient le rôle de l’évêque et celui du prêtre ou, plus exactement, du presbytre. Cela a donné au Concile une nouvelle approche :

« Les évêques ont succédé aux apôtres par institution divine comme pasteurs de l’Église » (LG 20) ;

« Dans les évêques, assistés des prêtres, le Seigneur Jésus, Pontife suprême, est présent au milieu des croyants. » (LG 21) ; « Par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’ordre que l’usage liturgique de l’Église et la voix des saints Pères appellent le ‘sacerdoce suprême’. » (LG 21) Pour Bernard SESBOÜÉ, les textes du Concile disent clairement que

« l’épiscopat constitue la plénitude du sacrement et que, par conséquent, le presbytérat et le diaconat en sont des participations partielles »23.

Les prêtres, dans Lumen Gentium, deviennent donc des coopérateurs de l’évêque qui exercent leur ministère en dépendance de l’autorité de celui-ci. Les prêtres forment un collège autour de leur évêque, collège appelé presbyterium. Suite à Vatican II, un certain nombre de prêtres a regretté que cette différence entre le rôle du presbytre (le ministre ordonné) et celui de l’épiscope (l’évêque) soit autant marquée. Le Concile rappelle toutefois que « Les prêtres, bien qu’ils n’occupent pas le

‘sommet du pontificat’ et que, dans l’exercice de leur pouvoir, ils dépendent des évêques, leur sont cependant unis dans la dignité sacerdotale et, en vertu du sacrement de l’Ordre, à l’image du Christ, Prêtre souverain et éternel, ils sont consacrés pour prêcher l’Évangile, paître les fidèles et célébrer le culte divin comme de vrais prêtres de la nouvelle alliance » (LG 28).

La raison de cette dépendance du ministre ordonné à son évêque est à chercher dans l’histoire des premières communautés chrétiennes rassemblées autour de leur évêque lors de l’unique eucharistie possible des Églises locales de l’époque. Car il n’y a qu’une eucharistie toujours offerte au nom de « l’Église une, sainte, catholique et apostolique » (Symbole de Nicée). Et ce qui fait l’unité de l’Église universelle, c’est la pratique de cette unique eucharistie dans chaque Église locale, eucharistie toujours offerte au nom de l’Église, « Une ». Il y a donc un rapport entre l’un et le multiple.

Pour Jean ZIZIOULAS, « dans le cas de l’Église locale, l’un est représenté à travers le ministère de l’évêque, tandis que la multitude est représentée à travers les autres ministères et le laïcat. (…) Le principe est que l’un, l’évêque, ne peut exister sans la multitude, la communauté, et que la multitude ne peut exister sans l’un »24. La communauté ne peut exister sans l’évêque ; le peuple de Dieu ne peut exister sans le Christ. Le Peuple de Dieu est le corps du Christ et la tête de ce corps, c’est le Christ.

C’est le Christ qui fait l’unité du Peuple de Dieu. C’est Lui qui fait l’unité de l’Église et qui en est son fondement. C’est le rôle de l’évêque de marquer cette unité de l’Église locale.

f. Conclusion

L’étude de cet extrait du Concile ouvre une large réflexion de l’Église sur la place de chaque chrétien, prêtre, prophète et roi, dans le monde d’aujourd’hui. Elle nous rappelle l’exigence que revêt l’unique baptême reçu par tous et « l’appel universel à la sainteté dans l’Église » que lancèrent les Pères de l’Église à tous ceux qui se réclament du Christ, qu’ils soient prêtres ou non ! Mais qu’en est- il de ce sacerdoce commun aujourd’hui, cinquante ans après ? Comment le chapitre 10 de Lumen Gentium a-t-il été réceptionné dans l’Église d’après le Concile ?

* * *

22 Cf. ZIZIOULAS Jean (Métropolite Jean de Pergame) L'Eucharistie, l'Évêque et l'Église durant les trois premiers siècles, Paris, Cerf, 2011317 p.

23SESBOÜÉ Bernard. Cf. note 15 p. 10.

24 Cf. Jean ZIZIOULAS, Christologie, pneumatologie et institution ecclésiale. Un point de vue orthodoxe. chapitre III in ALBERIGO Giuseppe et al, Les Églises après Vatican II, dynamisme et prospectives, Actes du colloque de Bologne 1980, Théologie historique n°61, Paris, Beauchesne, 1981, 360 p.

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III. La réception du chapitre 10 de Lumen Gentium depuis cinquante ans

Depuis le Concile, l’Église a poursuivi sa réflexion sur le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel, d’une part dans l’expérience de la vie de chaque Église locale et, d’autre part, à travers des textes officiels et deux synodes.

a. Sur le terrain, un nouveau visage d’Église voit le jour

Un nombre de plus en plus important de laïcs se mette au service de leur diocèse et de leur paroisse. Cette évolution, qui sera d’abord le fruit d’une Église davantage peuple de Dieu où chacun doit prendre sa part de mission, va progressivement s’accentuer en raison de la pénurie grandissante de prêtres. Des laïcs sont alors envoyés par leur évêque pour des missions habituellement confiées à des prêtres (responsabilité d’aumôneries en milieu scolaire, hospitalier, carcéral, etc., catéchisme, célébrations de funérailles, préparations au mariage, etc.) Ces envois sont le plus souvent accompagnés d’une lettre de mission de l’évêque. Pour gagner en compétence, un certain nombre de laïcs se lance dans de longues études professionnelles, pastorales ou théologiques. Les prêtres voient se développer autour d’eux des équipes de collaborateurs où laïcs, prêtres et religieux travaillent en coresponsabilité. Par ailleurs, le rôle des évêques devient davantage pastoral (le pasteur de son diocèse) et donc, plus proche des communautés.

En insistant sur une ecclésiologie de communion – une Église tout entière Peuple de Dieu – Vatican II va permettre aussi l’élaboration d’une théologie de l’Église locale et d’une théologie du laïcat plus claire avec, comme première conséquence, la prise de conscience que toute l’Église est vraiment ministérielle. Même si l’utilisation du mot ministère pour les laïcs dans les textes du Concile reste discrète,25 son usage, encouragé par Paul VI à partir de 1972, devient normal.

b. Mais, au fur et à mesure, les documents officiels montrent une réception hésitante Depuis que le Concile a rappelé l’importance d’utiliser le mot sacerdotal dans ses trois dimensions – sacerdoce du Christ, sacerdoce ministériel et sacerdoce commun – , l’Église va tenter de clarifier le vocabulaire et l’articulation entre la mission du laïc et celle du prêtre (ou du presbytre).

Que faut-il en retenir ?26

Tout d’abord, une liste de documents officiels sur la question : 1971 : Le sacerdoce ministériel. Document synodal ; 1972 : Ministeria quaedam. Motu proprio. Paul VI ; 1975 : Evangelii nuntiandi. Exhortation post-synodale. Paul VI ; 1983 : Code de droit canon ; 1988 : Christifideles laïci. Exhortation apostolique post-synodale, JeanPaul II ; 1992 : Pastores dabo vobis. Exhortation apostolique post-synodale, JeanPaul II.

Pour Bernard SESBOÜÉ, une étude approfondie de ces documents amène à faire plusieurs constatations. Tout d’abord, les rédacteurs de ces documents ont encore du mal à rentrer dans le nouveau vocabulaire. Ils parlent autant de prêtres que de presbytres ; ils évoquent aussi plus volontiers le sacerdoce ministériel que le ministère sacerdotal. Bien entendu, le fait qu’il n’y ait pas eu une unité dans les documents du Concile sur l’utilisation de ce vocabulaire, n’a pas favorisé les choses.

25 Deux textes seulement en parlent : le décret sur l’apostolat des laïcs, APOSTOLICAM ACTUOSITATEM n°2 (« il y a dans l’Église diversité de ministères, mais unité de mission. ») et AD GENTES n°15.

26 Il est impossible ici de rentrer dans les détails mais on trouvera dans le livre déjà cité de Bernard SESBOÜÉ (cf. note 23) au chapitre VI intitulé « Les vicissitudes d’une réception. Le déplacement des catégories du ministère à Vatican II et sa gestion jusqu’en 2010 »,un résumé de la question.

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Ensuite, on observe progressivement un déplacement. Les textes de Paul VI restent encore très imprégnés de la pensée de Lumen Gentium 10. Les missions confiées par les évêques sont de nature clairement pastorale. Les laïcs deviennent de réels collaborateurs des prêtres et les Églises locales sont encouragées à parler de ministères laïcs pour qualifier leur mission. Avec Jean Paul II, suite aux abus de certains laïcs concernant une utilisation inadéquate des mots sacerdoce commun et de ministères, la démarche est devenue plus hésitante.

c. De Paul VI à Jean-Paul II

La comparaison entre deux des passages les plus significatifs de deux exhortations apostoliques est révélatrice :

- Dans Evangelii nuntiandi n°73 en 1975, Paul VI écrit : « Il est certain qu’à côté des ministères ordonnés (…) l’Église reconnaît la place de ministères non ordonnés, mais qui sont aptes à assurer un service spécial de l’Église. (…) Ces ministères auront une vraie valeur pastorale dans la mesure où ils s’établiront dans un respect absolu de l’unité, en bénéficiant de l’orientation des pasteurs, qui sont précisément les responsables et les artisans de l’unité de l’Église. De tels ministères, nouveaux en apparence mais très liés à des expériences vécues par l’Église tout au long de son existence — par exemple ceux de catéchètes, d’animateurs de la prière et du chant, des chrétiens voués au service de la Parole de Dieu ou à l’assistance des frères dans le besoin, ceux enfin des chefs de petites communautés, des responsables de mouvements apostoliques ou autres responsables —, sont précieux pour l’implantation, la vie et la croissance de l’Église et pour sa capacité d’irradier autour d’elle et vers ceux qui sont au loin. »

- Dans Christifideles laïci n°23, en 1988, Jean Paul II écrit : « Il faut remarquer toutefois que l’exercice d’une telle fonction ne fait pas du fidèle laïc un pasteur : en réalité, ce qui constitue le ministère, ce n’est pas l’activité en elle-même, mais l’ordination sacramentelle. Seul le sacrement de l’Ordre confère au ministre ordonné une participation particulière à la fonction du Christ Chef et Pasteur et à son sacerdoce éternel. »

Ce passage semble sous-entendre un lien tellement privilégié entre ordination sacramentelle et ministère qu’à la suite, nombre de prêtres et d’évêques éviteront d’utiliser le ministère pour parler de la mission des laïcs. Mais ceci s’explique, peut-on lire dans le même paragraphe, par un certain nombre de critiques repérées par l’Assemblée synodale et qui « ont porté sur l'usage indiscriminé du terme ministère, sur la confusion et le nivellement pratiqué entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel, (…) sur la tendance à la cléricalisation des fidèles laïcs et le risque de créer en fait une structure ecclésiale de service parallèle à celle qui est fondée sur le sacrement de l'Ordre ».

Pour autant, à la fin de ce même paragraphe, Jean Paul II signale qu’une commission spéciale vient d’être créée et que parmi les questions abordées, il y aura celle qui concerne « la différence entre les ministères qui dérivent du sacrement de l'Ordre et les ministères qui dérivent des sacrements de Baptême et de Confirmation. » L’usage du mot ministère pour les laïcs baptisés-confirmés n’est donc pas remis en cause. Mais l’hésitation demeure bien ancrée sur le terrain, et l’Église n’a pas encore eu la possibilité d’aller au bout de sa réflexion sur cette question du sacerdoce commun et d’une mission commune de tout chrétien baptisé.

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d. L’ouverture avec Benoît XVI, d’une année sacerdotale et non presbytérale en 2009 Ouverte solennellement le 19 juin 2009 par Benoît XVI, cette « année sacerdotale » pour toute l’Église fut placée sous le patronage de saint Jean-Marie Vianney, saint patron des curés de paroisse. Son objectif était clair : sensibiliser toute l’Église au problème de la pénurie de prêtres. Il est évident que cette pénurie dans les pays occidentaux met en danger l’avenir de leurs Églises locales.

L’initiative de Benoît XVI était donc fondamentale et fut très bien accueillie. Mais pourquoi l’avoir appelée sacerdotale ? À l’époque, il n’y a pas eu beaucoup de réactions sur l’utilisation du mot sacerdotal. À noter toutefois le mot qu’adressa l’évêque de Nancy-Toul aux membres de son diocèse :

« L’adjectif sacerdotal ne vaut pas seulement pour les prêtres. Il s’applique d’abord au peuple de Dieu parce qu’il est le Corps du Christ, unique médiateur entre Dieu et les hommes. Ensuite à chaque baptisé associé par le baptême au sacerdoce du Christ. Quant au sacerdoce exercé par les prêtres, il est au service de celui des baptisés afin que le peuple de Dieu vive du Christ et annonce l’Évangile.

L’année sacerdotale concerne donc l’ensemble des baptisés. [...] C’est dans cet esprit que nous ouvrons la nouvelle année pastorale avec une session consacrée à la diversité des ministères dans l’Église et que nous poursuivrons notre recherche sur la place des prêtres au service des communautés chrétiennes »27.

Pour rester dans l’esprit du Concile, il aurait sans doute été plus judicieux de parler d’une

« année presbytérale ». Dans son ouvrage De quelques aspects de l’Église, Bernard SESBOÜÉ regrette « cette confiscation » du mot sacerdotal qui a eu l’inconvénient de « reléguer dans l’oubli la donnée du sacerdoce commun de tous les fidèles, dont le thème n’a fait l’objet d’aucune prédication ni réflexion ».

e. Le pape François et le sacerdoce commun des fidèles

Dans sa première exhortation apostolique Evangelii Gaudium le pape François n’évoque pas la question du sacerdoce commun. Une rapide recherche dans ses homélies et discours ne donne pas plus de résultat. Par contre, au n°104 de son exhortation, il écrit : « Il ne faut pas oublier que lorsque nous parlons de pouvoir sacerdotal ‘nous sommes dans le concept de la fonction, non de la dignité et de la sainteté’28. Le sacerdoce ministériel est un des moyens que Jésus utilise au service de son peuple, mais la grande dignité vient du Baptême, qui est accessible à tous. » C’est une belle façon de rappeler la dignité commune de tout chrétien baptisé, qu’il soit presbytre ou non.

Il évoque une fois au n°102 les ministères laïcs de façon très belle : « Les laïcs sont simplement l’immense majorité du peuple de Dieu. À leur service, il y a une minorité : les ministres ordonnés. (…) Nous disposons d’un laïcat nombreux, bien qu’insuffisant, avec un sens communautaire bien enraciné et une grande fidélité à l’engagement de la charité, de la catéchèse, de la célébration de la foi. Mais la prise de conscience de cette responsabilité de laïc qui naît du Baptême et de la Confirmation ne se manifeste pas de la même façon chez tous. Dans certains cas parce qu’ils ne sont pas formés pour assumer des responsabilités importantes, dans d’autres cas pour n’avoir pas trouvé d’espaces dans leurs Églises particulières afin de pouvoir s’exprimer et agir, à cause d’un cléricalisme excessif qui les maintient en marge des décisions. Aussi, même si on note une plus grande participation de beaucoup aux ministères laïcs, cet engagement ne se reflète pas dans la pénétration des valeurs chrétiennes dans le monde social, politique et économique. Il se limite bien des fois à des tâches internes à l’Église sans un réel engagement pour la mise en œuvre de l’Évangile en vue de la transformation de la société. La formation des laïcs et l’évangélisation des catégories professionnelles et intellectuelles représentent un défi pastoral important. »

27 Journal diocésain du 7 septembre 2009, diocèse de Nancy-Toul.

28 Jean Paul II, Exhort. Ap. post-synodale, Christifideles laici n°55.

(12)

Conclusion

Ce parcours nous aura permis de mieux comprendre ce qu’est le sacerdoce commun des fidèles et la véritable égalité qui règne entre tous, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ29.Il aura mis en évidence la nécessité de donner priorité et primauté à ce qui relève de l’être chrétien30 .

Cependant, nous n’aurons pas réussi à clarifier comment, concrètement, prêtres et non-prêtres, partagent leur rôle prophétique, sacerdotal et royal, dans leur Église locale. La commission voulue par le synode de 1987 qui avait pour thème « la vocation et la mission dans l'Église et dans le monde vingt ans après le Concile Vatican II » n’a jamais pu achever ses travaux. L’un de ses objectifs était de trouver un langage clair, sans ambiguïté, qui aide chaque chrétien, prêtre, religieux ou laïc, à prendre sa part de mission dans son Église locale.

Benoît XVI était conscient de ce problème. Il appelait en 2012 à un « changement de mentalité » et déclarait que les laïcs devaient être « considérés non pas comme des collaborateurs du clergé, mais comme des personnes réellement coresponsables de l’être et de l’agir de l’Église »31. N’est-ce pas le rôle de l’Église de revenir rapidement sur cette question ?

En attendant, sur le terrain, Églises locales et paroisses vivent des réalités bien différentes.

Dans certaines régions du monde, l’effectif des prêtres en diminution et leur moyenne d’âge obligent Églises locales et paroisses à se restructurer, à répartir différemment les responsabilités et à donner de nouvelles responsabilités aux laïcs. Mais les hésitations sur le statut à donner aux laïcs (comme d’ailleurs aux diacres permanents) empêchent parfois cette harmonisation entre ministère commun et ministère sacerdotal dont parlait l’archevêque de Chicago.

L’Église est pourtant là, là où prêtres et non-prêtres acceptent de faire l’unité dans la paroisse autour de la parole de Dieu et de l’eucharistie. Au fond, c’est sans doute une question de sacrifice : ne faut-il pas sacrifier son intérêt personnel pour le bien de tous ? Ne faut-il pas tout simplement repartir du Christ ? Apprendre à vivre avec nos points de vue différents et nous retrouver unis autour du Christ qui fait l’unité du peuple de Dieu ? Ce théologien avait raison lorsqu’il écrivait, en 1938, que « deux extrêmes sont possibles dans la vie de l’Église. Tous deux s’appellent égoïsme. C’est quand chacun veut être tout ou quand un seul veut l’être. Dans ce second cas, les liens d’unité deviennent si étroits et l’amour si ardent que l’on risque d’étouffer. Dans le premier, tout est si disloqué et si refroidi qu’on risque de geler. L’un de ces égoïsmes engendre d’ailleurs l’autre. Aussi ni un seul, ni chacun, ne doivent vouloir être le tout. Tous ensemble peuvent seuls être le tout, car seule l’unité de tous peut former un tout organique. C’est l’idée de l’Église catholique »32.

Dans un livre33 coécrit par le Cardinal Suenens et Dom Helder Camara, on y trouve ce texte qui invite tout chrétien baptisé, prêtre, prophète et roi, à repartir du Christ : c’est cette mission

29 VATICAN II, LUMEN GENTIUM, n°32 (Constitution dogmatique sur l’Église).

30 CONGAR Yves, Le concile de Vatican II. Son Église, peuple de Dieu et corps du Christ, coll. Théologie historique n°71, Paris, Beauchesne, 1984, 177 p. chapitre IX.

31 La Croix 24.08.2012, Rome, Extrait du message adressé par Benoît XVI à Mgr Domenico Sigalini, assistant général du Forum international d’action catholique (FIAC), dans le cadre de la VIe Assemblée ordinaire de ce Forum qui s’est ouvert le 22 août 2012 à Iaşi, en Roumanie, sur le thème « Coresponsabilité ecclésiale et sociale ».

32 J.-A. MÖHLER, L’unité dans l’Eglise, Paris, Cerf, 1938, p. 225 (cité par SESBOÜÉ Bernard, De quelques aspects de l’Église. Chapitre 5, conclusion).

33 Cardinal Suenens & Dom Helder Camara Renouveau dans l’Esprit et service de l’homme Bruxelles, Lumen Vitae, 1979, p. 144 - Le poème cité est d’Annie Johnson Flint, p. 43

(13)

commune que tout chrétien, qu’il soit prêtre, religieuse, religieux ou laïc, est invité à mettre en pratique.

Le Christ n'a d'autres mains que nos mains pour faire son travail aujourd’hui;

Il n'a d'autres pieds que nos pieds

pour entraîner les hommes sur sa route;

Il n'a d'autre langue que nos langues

pour raconter aux hommes comment il est mort;

Il n'a d'autre aide que notre aide pour les amener à ses côtés;

Nous sommes la seule Bible

qu'un monde insouciant lira;

Nous sommes l'évangile du pécheur, le credo du railleur,

le suprême message du Seigneur,

qui s'exprime en actes et en paroles.

Mais qu'arrivera-t-il si nos chemins sont tortueux, si notre image est brouillée,

si nos mains sont occupées

par d'autres tâches que les siennes, si nos pas nous conduisent

vers l'attrait du péché, si nos langues parlent de choses

indignes de ses lèvres?

Comment pouvons-nous espérer pouvoir l'aider

si nous ne nous mettons pas à son école?

(14)

Bibliographie

Bible utilisée

• TOB, Traduction Œcuménique de la Bible, Cerf & Société biblique française, 2010 Documents d’Eglise consultés

• CONCILE ŒCUMENIQUE VATICAN II, Paris, Centurion, 1967 o LUMEN GENTIUM (Constitution dogmatique sur l'Église)

o APOSTOLICAM ACTUOSITATEM (Décret sur l'apostolat des laïcs)

o PRESBYTERORUM ORDINIS (Décret sur le ministère et la vie des prêtres) o SACROSANCTUM CONCILIUM (Constitution sur la sainte liturgie)

• FRANÇOIS (pape), La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique, n°23, 49, 102-104

• JEAN-PAUL II, Les fidèles laïcs (ChristifidelesLaici). Exhortation apostolique du Pape, n°23 Ouvrages consultés

• ALBERIGO Giuseppe et al, Les Églises après Vatican II, dynamisme et prospectives, actes du colloque de Bologne 1980, Théologie historique n°61, Paris, Beauchesne, 1981, 360 p.

• CONGAR Yves, Le Concile de Vatican II. Son Église, peuple de Dieu et corps du Christ, coll.

Théologie historique n°71, paris, Beauchesne, 1984, 177 p.

• FRANÇOIS (pape), La Joie de l’Évangile. Exhortation apostolique, Paris, Bayard, Cerf, Fleurus-Mame, 2013, 248 p.

• FRANÇOIS (pape), L’Église que j’espère. Entretiens avec le P. Spadaro, S.J., Paris, Flammarion/Études, 2013, 235 p.

• RIGAL Jean, Ces questions qui remuent les croyants, Paris, Lethielleux, DDB, 2011, 336 p.

• RIGAL Jean, L’Église en quête d’avenir, Réflexion et propositions pour les temps nouveaux, Paris, Cerf, 2003, 280 p.

• SANCHEZ ZARINANA Humberto José, L'être et la mission du laïc dans une église pluri- ministérielle, Paris, L'Harmattan, 2008, 462 p.

• SESBOÜÉ Bernard, De quelques aspects de l’Église. Païens et juifs - Écriture et Église - Autorité - Structure ministérielle¸ Paris, DDB, 2011, 281 p.

• SESBOÜÉ Bernard, Les animateurs pastoraux laïcs. Une prospective théologique in Etudes, septembre 1992, p. 253-266

• TORRELL Jean-Pierre, Un peuple sacerdotal, Sacerdoce baptismal et ministère sacerdotal, Paris, Cerf, 2011, 255 p.

• VANHOYE, Prêtres anciens, prêtre nouveau selon le Nouveau Testament, Paris, Seuil, 1980, 366 p.

• ZIZIOULAS Jean (Métropolite Jean de Pergame),L'Eucharistie, l'Évêque et l'Église durant les trois premiers siècles, Paris, Cerf, 2011317 p.

Dictionnaire de théologie consulté

• LACOSTE Jean-Yves et al, Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 2007

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Table des matières

Introduction p. 2

I. L’utilisation du mot sacerdoce

dans les Écritures et les premières communautés p. 4

a. Le mot « sacerdoce »

b. « Le Christ est la source de tout le sacerdoce. » c. Les chrétiens, qu’ils soient laïcs ou prêtres,

sont un peuple sacerdotal et royal d. Le Nouveau Testament

ne donne pas le titre de sacerdoce aux apôtres, mais…

e. Conclusion

II. L’utilisation du mot sacerdoce

au chapitre 10 de Lumen Gentium p. 6

a. Un chapitre ajouté dans Lumen Gentium sur le Peuple de Dieu, peuple sacerdotal b. Une différence d’essence

entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel c. Parler d’un sacerdoce universel

plutôt que d’un sacerdoce commun ?

d. Si le ministre ordonné agit « in persona Christi », les autres chrétiens aussi

e. Le prêtre, coopérateur de l’évêque

qui seul reçoit la plénitude du sacrement de l’ordre f. Conclusion

III. La réception du chapitre 10 de Lumen Gentium

depuis cinquante ans p. 11

a. Sur le terrain, un nouveau visage d’Église voit le jour b. Mais, au fur et à mesure,

les documents officiels montrent une réception hésitante c. De Paul VI à Jean-Paul II

d. L’ouverture d’une année sacerdotale et non presbytérale en 2009

e. Le pape François et le sacerdoce commun des fidèles

Conclusion p. 14

Bibliographie p. 16

Références

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