Entéropathies médicamenteuses
Alexandre Pariente, Pau
FMC-HGE, Paris mars 2015
Conflits d’intérêt
• Conseil : Mayoly Spindler
• Conférences et invitations : Abbvie, Aptalis,
BMS, Gilead, Janssen, Mayoly-Spindler, Roche
Objectifs pédagogiques
-Connaître la définition d’une entéropathie médicamenteuse
-Connaître les manifestations cliniques
-Connaître les principales molécules incriminées
-Savoir quand et comment faire une épreuve de
réintroduction
Définition
• Maladie de l’ intestin (grêle et/ou côlon- rectum) due à des médicaments.
• La maladie peut être
– Organique : il existe des lésions (p.ex. colite)
– Fonctionnelle : pas de lésion (p.ex. diarrhée à la
metformine)
Pourquoi des entéropathies médicamenteuses ?
• L’intestin est aux premières loges et aux secondes (cycle entérohépatique)
• Equipement immunologique puissant
• Surface exposée
• Interactions avec
– Digestion – Absorption
• Métabolisme luminal
• Métabolisme bactérien
• Métabolisme entérocytaire
• Concentration entérocytaire des médicaments
Pereira de Sousa I et al. J Control Release 2014;192:301-9.
Manifestations des EM
• Infectieuses
• Ischémiques
• Maladies inflammatoires et/ou allergiques
– Jéjunites, iléites – (recto) colites
• Colites microscopiques
• Ulcères
• Sténoses
• Perforations
• Pneumatose
• Hématomes intramuraux et hémorragies
• Occlusions
– Bézoar
– Péritonite encapsulante – Fibrose rétro-péritonéale
• Diarrhées osmotiques
• Diarrhées sécrétoires
• Entéropathies exsudatives
• Diarrhées motrices
• Malabsorption
– Graisses – Glucose – Folates – Vitamine B12 – Calcium – Phosphore – Fer
• Pullulation microbienne
• Constipation, ileus, fécalome
Avec lésions anatomiques Sans lésions anatomiques
Gastroenterol Clin Biol 1982;6:16-18
Principaux médicaments
• Toutes les classes
• Très grand nombre de médicaments
• Vedettes
– AINS
– Veinotoniques dans les colites microscopiques – Olmesartan chez les anti-HTA
– Mycophénolate chez les immunosuppresseurs
Comment faire le diagnostic : d’abord
y penser !
2 ans de symptômes
• Femme de 56 ans
• HTA, DT2, cholestérol, cancer du sein,
dépression
• amlodipine, atorvastatine,
furosemide, metoprolol, ibesartan, clonidine,
aspirine, fenofibrate,
glimepiride, insuline NPH, bupropion, fer,
polyvitamines
• Coliques périombilicales, post prandiales, diurnes et nocturnes, nausées
• 8 hospitalisations en 2 ans
• Examen clinique négatif
• Biologie normale
• Arrêt de l’ alimentation
• Régression en 3 jours
Turcu AF et al. J Clin Gastroenterol 2009;43:338-41
2 ans de symptômes
• Scanner
• Artériographie N
• Duodénite violacée
• Coloscopie normale
• Œdème iléal
• Histologie quasi-normale
• Copro, parasito Nég
• Autoimmunité Nég
• Thrombophilie Nég
• Complément N
• Scanners répétés: id
Turcu AF et al. J Clin Gastroenterol 2009;43:338-41
La paix, enfin !
• Arrêt amlodipine, ibesartan
• 9 mois asymptomatique
• Nisoldipine : rechute
• Isradipine: rechute
• IDM (autre hôpital):
amlodipine, rechute
• Exclusion Ca- et sartan:
rémission
• Angioedème à bradykinine *
– Type I déficit en C1
inhibiteur héréditaire ou acquis
– Type II médicamenteux
• IEC
• Sartans
• Autres ?
– Type III femmes, oestrogènes
Fain O et al. Presse Med 2015;44:43-7; Bas M et al. N Engl J Med 2015;372:418-25
Imputabilité
Imputabilité
• > 30 méthodes
• Méthode française
• 3 critères
– Chronologique – Sémiologique – Bibliographique
• Classement
– Improbable – Possible
– Probable
En France on n’a pas de pétrole mais on a
de la
méthode !
Méthode française
Introduction Très suggestive Compatible Impossible
Dé-challenge R+ R0 R- R+ R0 R-
suggestive C3 C3 C1 C3 C2 C1 C0
Non concluante C3 C2 C1 C3 C1 C1 C0
non suggestive C3 C1 C1 C1 C1 C1 C0
Suggestive de la responsabilité du médicament
Autres cas
Explication alternative L+ L0 L- L+ L0 L-
Absente S3 S3 S1 S3 S2 S1
Possible ou présente S3 S2 S1 S3 S1 S1
Chronologie
Sémiologie
Méthode française
• Chronologie
– C0 à C3
• Intervalle introduction/effet
• Réintroduction accidentelle ou volontaire
• Sémiologie
– S1 à S3
• Aspect clinique particulier
• Biologie ou morphologie évocatrice
Combinaison de la chronologie et de la sémiologie pour l’imputabilité
intrinsèque globale
Dangoumau J et al. Thérapie 1978;33:373-81. Bégaud B et al. Thérapie 1985;40:111-8. Arimone Y et al. Thérapie 2011;66:517-25
Bibliographie (Imputabilité extrinsèque)
• B4:
–dans le résumé des caractéristiques du produit
• B3 :
–largement publié
• B2:
– quelques cas publiés
– ou rapporté pour d’autres médicaments de la même classe
• B1:
–Non publié
Arimone Y et al. Thérapie 2011;66:517-25
En pratique
• Interrogatoire : dater !
– Liste des médicaments du dernier trimestre
• Prises intermittentes
• Médecines parallèles
• Ordonnances, entourage, médecin traitant
– Répéter l’interrogatoire quand la sémiologie est évocatrice
• Citer les noms des médicaments responsables
• Eliminer les autres causes
– Ce n’est hélas parfois qu’après qu’on y pense
– Eviter « On réfléchit après la coloscopie et la gastroscopie »
• Utiliser les sources d’information
– Le dictionnaire Vidal (si la fréquence est > 10%) – Les bonnes revues de la littérature
– Le centre régional de pharmacovigilance – Les consultants (les copains !)
• Arrêter le médicament suspect
– Attention !
Réintroduction ?
• Interroger le malade (et le dossier !)
– Réintroductions accidentelles
• Indications
– Médicament important et/ou de responsabilité douteuse
– Effet indésirable pas trop grave et guérissant sans séquelle
– Effet non ou mal décrit (académique)
– Explication et accord du patient
Un exemple de réintroduction très
suggestive
Et pour finir, la vedette 2014 !
Pas si coeliaque ?
• 63 ans
• Père DT1
• 2 frères coeliaques
– Un avec adénoK
• Obésité, DT1, HTA, Hypothyroïdie
• Médicaments:
– Novonorm®, Cardensiel®,
Furosemide, Levothyrox®, Sevikar®
• Diarrhée brutale
– 6-7 s/j
– Diurnes et nocturnes
• Fatigue
• Amaigrissement 7 kg/3 mois
• Examen : tachycardie, abolition réflexes achilléens
• Biologie normale sauf
– 595 000 plaquettes/µL – CRP 18 mg/L
– K 3 mEq/L
– albumine 33 g/L – Cholestérol 1,36 g/L – Vitamine D 8 ng/mL
• IgA antitransglutaminase t = absentes
• HLA DQ2 présent
Pas si coeliaque ?
• Endoscopie:
– D2 cérébriforme
• Biopsies antrales fundiques et
rectosigmoïdiennes
normales
Atrophie villositaire séronégative pour la maladie coeliaque
• MC séronégative
• Médicaments
• Sprue inclassée
• Déficit immunitaire commun variable
• Entéropathie autoimmune
• Giardiase
• Lymphome T CD4+ primitif du grêle
• Sprue tropicale
• Pullulation microbienne
• Sprue collagène
• Lymphome T associé aux entéropathies
• Maladie de Crohn
• Métaplasie gastrique
• (VIH, entérite à éosinophiles)
DeGaetani M et al. Am J Gastroenterol 2013;108:647-53
72 malades
Qu’est ce que ces médicaments ont en commun ?
• Alteis®
• Axeler®
• Sevikar®
• Triaxeler®
• Trisevikar®
• L’olmesartan, bien sûr !
Entéropathie à l’ olmésartan
Mayo Clin Proc 2012; 87:732-8. Aliment Pharmacol Ther 2014; ;40:1103-9.
Entéropathie à l’ olmésartan
• 2008, 10 ans après la commercialisation
• environ 100 cas publiés
• 40 mg/j en moyenne, depuis 1 mois-11 ans
• Diarrhée abondante (1m-5a)
• douleurs,
• nausées,
• amaigrissement, déshydratation, acidose, insuffisance rénale
• manifestations extraintestinales
• Biologie :
– Anémie
– Hypokaliémie – Hypoalbuminémie – IgA anti Tt absents
– AC antientérocytes absents – AAN positifs ¾ des cas
• Morphologie
– Duodénum :
• AV 9/10
• Augmentation LIE 2/3
• Infiltrat chorion 9/10
– Côlon
• Quelques colites microscopiques
• Evolution
– Rémission rapide à l’ arrêt – IS ou anti-TNFa
Mayo Clin Proc 2012; 87:732-8. Aliment Pharmacol Ther 2014; ;40:1103-9.
Mécanisme immunologique ?
• Métabolisme intestinal de la prodrogue (olmesartan medoxomil) en olmesartan
• Long délai
• Aspect histopathologique
• Prévalence élevée HLA DQ2 (68% vs 30 %)
• Fréquence des AAN
• Réponse aux thiopurines et/ou antiTNF
• présentation à des cellules T CD4+ d’un métabolite local du médicament de forte affinité lié à une
molécule HLA ?
Points forts
• Tous les symptômes et beaucoup des principales lésions intestinales peuvent avoir une cause médicamenteuse.
• L’interrogatoire médicamenteux fait partie de toute consultation de gastroentérologie. Une cause
médicamenteuse doit être évoquée lorsque la sémiologie observée reste inexpliquée et/ou en présence d'aspects cliniques, endoscopiques ou histopathologiques
particuliers,
• Le délai entre l’introduction du médicament et l’
entéropathie peut être long, voire très long ; une prise discontinue est un piège fréquent.
• L’arrêt du médicament améliore rapidement les
symptômes et les lésions, mais doit être réfléchi pour ne pas risquer de sous-traiter de la maladie associée.
• Les colites microscopiques, les lésions causées ou favorisées par les AINS, les entéropathies au
mycophénolate et à l’olmesartan sont actuellement les entéropathies médicamenteuses les plus fréquentes.