MEDIATOR : la vraie leçon
Le Parisien : édition du Vendredi 21 Février 2014
Sur injonction de la CADA, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie vient de livrer ses données. Non pas toutes celles qui étaient réclamées par le collectif Initiative Transparence Santé (période 1999 – 2009) mais uniquement celles de la période 2008 – 2009.
Le journal Le Parisien - édition du Vendredi 21 Février 2014 qui reproduit la carte ci-dessus – rapporte certains éléments du rapport rédigé à partir des données livrées par la CNAM, à savoir qu’entre Novembre 2008 et Novembre 2009 :
« Sur les 119 104 médecins libéraux installés en France, 52 348 ont, en 2009, prescrit au moins une fois du Médiator. Parmi ceux-ci 44 275 sont des généralistes » ;
« On peut estimer à 305 000 le nombre de français ayant utilisé ce médicament pour son effet anorexigène » ;
« 80,4% des prescriptions étaient hors AMM » ;
« Il est donc probable que 500 000 Français utilisaient encore du Médiator à la veille de l’arrêt de ce médicament lancé en 1976 » ;
« Entre Novembre 2008 et Novembre 2009, 4,8 millions de boîtes de Médiator ont été remboursées »
« Soit un coût de 18,7 M€ auxquels il faut ajouter la part des complémentaires (35%) ».
Qui seraient les responsables ?
Le Laboratoire Servier qui aurait encouragé les prescriptions hors AMM ;
Les prescripteurs qui auraient prescrits dans l’ignorance de la vérité dans le but de satisfaire un vrai besoin mal couvert ;
La CNAM dont certaines caisses primaires avaient rappelé à l’ordre des prescripteurs ;
L’Ordre National des Médecins qui aurait fermé les yeux au nom du principe sacré de la liberté de prescription ;
La société IMS qui aurait fourni début 2006 à la Commission de Pharmacovigilance une étude portant sur l’année 2005 concluant à la sécurité d’emploi du Médiator ;
La défunte Afssaps, et avant tout son département de pharmacovigilance, qui aurait fermé les yeux sur les signaux et les similitudes avec la dexfenfluramine ;
Les membres de la Commission d’AMM traités comme les Templiers du régime.
Rappelons que la première publication faisant état de l’imputabilité de Médiator dans un cas de valvulopathie date de 20031 et aussi qu’une valvulopathie n’était pas facile à déceler chez un diabétique obèse (la vraie population cible) sur la simple symptomatologie, sauf à faire pratiquer des explorations systématiques ce qui parait peu concevable pour un médecin qui prescrit hors AMM chez une jeune femme de 35 ans « trop enveloppée ».
Rappelons également que l’enquête de l’IGAS s’est arrêtée aux portes du Ministère de la Santé où pas moins de deux ministres sont contrevenus à l’avis négatif de la Commission de la Transparence.
Aucun monde n’est parfait. Les entreprises recherchent le profit. Souvent trop et au détriment de l’humain. Les organismes étatiques ne sont pas impartiaux. En France, ils sont sous la coupe des politiques, sous couvert d’indépendance depuis l’affaire dite du « sang contaminé ». Et les politiques, même les plus courageux, craignent avant tout les sanctions électorales ; ce qui les amènent trop souvent à céder à la démagogie.
Alors comment faire ?
Il faut appliquer une règle et une seule : la transparence pour tous. C’est ainsi, et seulement ainsi, que toutes les forces en présence pourront lutter à armes (à peu près) égales. Patients, consommateurs, Etats, firmes, citoyens, doivent pouvoir accéder aux mêmes informations que l’Etat, dès lors que cela n’est pas susceptible de nuire à la sécurité de la nation. Mieux, celles-ci devraient être délivrées avec un souci de pédagogie ; leur niveau de compréhension devrait être évalué dans une démocratie idéale.
1Ribera et al. Valvular Heart Disease Associated with Benfluorex. Rev Esp Cardiol 2003;56(2):215-6.
Des travaux (recherches, thèses, articles,...) bien plus nombreux et bien plus fructueux pourraient être réalisés dans les domaines de la santé publique – le gros point faible en France – et de l’épidémiologie : deux disciplines qui regardent d’en haut et non d’en bas.
Imagine-t-on une thèse sur le bon usage du Médiator soutenue dix ans auparavant ? Combien de victimes auraient été évitées ?
Pourquoi les institutions en France, Etat en tête, craignent elles la transparence ? Comme les entreprises.
Comme toute organisation.
L’Etat ne doit-il pas être transparent aux citoyens ? Quid de la responsabilité sociétale des entreprises ?
Et que nul n’invoque la confidentialité des données. Les moyens de protéger la confidentialité des données existent. Cet argument éculé est fallacieux dans au moins 90% des cas.
Transparence des données, liberté d’analyser et d’informer : voilà les maîtres mots.
Pourtant, aujourd’hui encore, toujours selon le Journal Le Parisien, malgré l’injonction de la CADA, la CNAM refuserait de livrer les données des années 1999 à 2009 au motif du respect du secret de l’instruction de deux enquêtes en cours. Mais ces données auraient dû être d’accès libre bien avant, dans l’intérêt de la collectivité que la CNAM est censée défendre.
La vraie leçon de toute cette affaire est la suivante : c’est d’une révolution démocratique – pas de palais - dont notre République étatique a besoin, dans l’intérêt bien compris de tous ses citoyens.
Le 27 Février 2014, Yves Tillet
white-tillet@white-tillet.com