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Article pp.69-85 du Vol.37 n°215 (2011)

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Texte intégral

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sous la direction de

Jean-Claude Dupuis

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DOI:10.3166/RFG.215.69-85 © 2011 Lavoisier, Paris

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A

lors que les politiques de responsa- bilité sociale des entreprises (RSE) étaient surtout envisagées comme des réponses à des pressions externes, un nombre croissant de travaux s’efforcent depuis quelques temps d’illustrer le fait qu’elles peuvent aussi participer de démarches plus proactives (voir par exemple Crifo et Ponssard, 2010 ; Louche et al., 2010 ; Nidumolu et al., 2009 ; Porter et Kramer, 2006 et 2011). Ces travaux mettent en perspective que les politiques de RSE ne relèvent pas uniquement du registre des

« figures imposées » (Aggeri et al., 2005) visant à minimiser les pertes de potentiel de création de valeur qui pourraient résulter de menaces de contestation sociale et plus lar- gement de conflits d’intérêts. Ils soulignent qu’elles peuvent ou pourraient également participer d’une « Strategic Corporate Social Responsibility » (Porter et Kramer, 2006), ou de démarches d’exploration de nouveaux espaces stratégiques visant à renouveler et développer le potentiel de création de valeur de l’entreprise.

Le propos qui est le nôtre dans cet article consiste à rendre compte qu’il convient de ne pas trop cliverles deux registres d’action car ils relèvent in fined’une même logique : gérer l’obsolescence morale. Dans un cas, il s’agit de gérer les risques de pertes de valeur économique qui pourraient survenir d’une remise en question de la légitimité de l’entreprise. Dans l’autre, il s’agit d’innover par une remise en question de l’ordre des valeurs. Si différence il y a, elle réside dans l’origine du processus d’obsolescence morale ; dans un cas, l’entreprise le subit, dans le second, elle en est la source. Nous soulignons également qu’une telle lecture n’a rien d’exorbitant. Elle est le produit d’une approche théorique assumant et s’ef-

forçant de concrétiser pleinement le rejet de la thèse de la séparation. En cela, elle ne fait que retrouver la théorie des parties pre- nantes qui a pour point de départ, dixitson auteur emblématique, R.E. Freeman, le rejet de la « separation fallacy » (Freeman et al., 2010). Reste que l’intégration des sphères économique et éthique y demeure problématique. Nous montrons ici qu’une approche socio-économique est à même d’offrir une voie de dépassement.

Notre présentation commence donc par une mise en perspective des principales tensions qui traversent le champ théorique de la RSE : réductionnisme économique versus sociologisme mais aussi « science social approach » versus « normative ethics approach » (Jones et Wicks, 1999 ; Andriof et Waddock, 2002 ; Freeman et al., 2010).

Sur cette base, nous montrons que l’approche socio-économique offre une voie de dépas- sement car elle permet de penser le cou- plage dynamique des sphères économique et éthique. Il en résulte une compréhension de la sphère économique comme celle d’une sphère travaillée par des stratégies de débordement-recadrage (Callon, 1998 et 1999) génératrices d’obsolescence morale.

Nous tirons alors parti de travaux menés dans le champ de la RSE et se revendiquant d’une approche socio-économique pour illustrer le fait que les deux registres d’ac- tion des politiques de RSE participent d’une même logique de gestion de l’obso- lescence morale. Dans un cas, l’entreprise cherche à se prémunir contre d’éventuelles actions de débordement qui pourraient détruire une partie de son potentiel productif.

Dans l’autre, c’est elle qui est à l’origine d’actions de débordement qui visent alors à innover par les valeurs. Nous concluons en soulignant que l’approche socio-économique

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constitue une voie pour revenir à de la poli- tique générale d’entreprise, i.e.à un corpus ne disjoignant pas étude des fins et étude des moyens (Martinet, 2008).

I – LE CHAMP DE LA RSE : UN CHAMP EN TENSION

Nous allons mettre en perspective que le champ de la RSE est un champ traversé par deux grandes bipolarités en tension qui même si elles ont partie liée, ne sont en rien réductibles. Cette double tension étant source d’antagonismes, le champ de la RSE apparaît être un champ relativement clivé.

1. Les pôles économique et sociologique La première bipolarité est celle qui met aux prises des explications en termes de contrainte d’efficience avec d’autres en termes de contrainte de légitimité. Elle est donc relative à une tension entre un pôle économique et un pôle sociologique. La présentation des théories de la RSE faite par Capron et Quairel-Lanoizelée (2007, p. 1010) prend par exemple appui sur cette bipolarité.

Les travaux du pôle économique reposent sur une représentation de l’entreprise en tant que personne morale ayant noué des contrats avec diverses parties prenantes ayant chacune leurs propres objectifs. L’ap- proche de la RSE y est donc une approche contractuelle mobilisant essentiellement le cadre de l’économie néo-institutionnelle (théorie de l’agence, théorie des coûts de transaction, théorie des droits de propriété) et celui de la théorie de la dépendance envers les ressources. Située en économie concurrentielle de marché, l’entreprise, rationnelle et intéressée, y est mue par un enjeu d’efficience. Les démarches de RSE initiées par les entreprises y sont comprises

et justifiées viace prisme : elles participe- raient de la volonté de minimiser les pertes de potentiel de création de valeur qui pour- raient résulter de conflits d’intérêts entre parties prenantes. La logique à l’œuvre serait ainsi une logique instrumentale gui- dée par le calcul et l’intérêt. Les travaux du pôle économique de la théorie de la RSE sont de ce fait assez proches des travaux composant le « courant disciplinaire parte- narial » de la gouvernance de la firme (Charreaux, 2006).

Les travaux du pôle sociologique proposent une toute autre lecture. Ce pôle est consti- tué par des travaux prenant appui sur la théorie néo-institutionnelle sociologique.

Apparue au milieu des années 1970, la sociologie néo-institutionnelle (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott, 1995, 2001) prend le contre-pied du volet néo-institutionnel économique. L’en- treprise y est pensée comme totalement insérée dans la société et soumise de ce fait à la pression d’un environnement institu- tionnalisé, i.e.à la pression d’un environne- ment structuré par des règles, des normes et des valeurs partagées. La sociologie néo- institutionnelle participe ainsi d’une vision de l’évolution des organisations alimentant l’idée d’un contrôle externe pesant forte- ment sur ces dernières. Sous cet angle, les démarches de RSE portées par les entre- prises s’interprètent comme des ajuste- ments adaptatifs aux valeurs dominantes de la société. Elles résulteraient d’une quête de légitimité, i.e. de la recherche d’une

« impression partagée que les actions de l’organisation sont désirables, convenables ou appropriées par rapport au système socialement construit de normes, de valeurs ou de croyances sociales » (Suchman, 1995, p. 572). Un comportement socialement res-

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ponsable ne peut se réduire à une logique de calcul (intéressée) ; il existe parce qu’il serait impensable de faire autrement (Oliver, 1991). Selon cette conception, les managers anticipent que le défaut de conformisme serait socialement sanctionné.

Les comportements socialement respon- sables ne seraient donc pas des réponses aux seules pressions du marché mais aussi, et surtout, des réponses à des pressions ins- titutionnelles provenant d’organes de régu- lation (tels que l’État, les instances repré- sentatives des professions), d’organisations en position de leadership, et de la société en général. Les démarches de RSE s’explique- raient bien davantage par une quête de légi- timité que par le souci d’améliorer l’effi- cience de l’entreprise.

2. Les pôles positif et normatif

La seconde bipolarité est d’un autre ordre.

Elle est de nature épistémologique et interne à la théorie des parties prenantes (Stakeholder Theory). Comme cette théorie est le corpus dominant, ses attracteurs influent sur la topographie du champ.

Cette bipolarité en tension a très bien été décrite par Jones et Wicks (1999). Tout en reconnaissant les mérites de la typologie classique de Donaldson et Preston (1995), ces auteurs soulignent que celle-ci ne per- met pas de faire apparaître que la théorie des parties prenantes (TPP désormais) se caractérise par deux grandes approches : une « science social approach » et une

« normative ethics approach » (Jones et Wicks, 1999). Cela les a conduits à forger une nouvelle typologie. Celle-ci tire parti de la typologie de Donaldson et Preston qui identifie et distingue trois types de tra- vaux : des travaux de nature descriptive/

empirique visant à décrire que les entre-

prises/managers se comportent d’une cer- taine façon (« firms/managers actually behave in certain ways » (Jones et Wicks, 1999, p. 207)), des travaux de nature ins- trumentale soulignant que « certain out- comes are more likely if firms/managers behave in certain ways » (ibid.) et enfin des travaux normatifs recommandant que les « firms/managers should behave in cer- tain ways » (ibid.). Jones et Wicks (1999) soulignent cependant que ces trois types de travaux participent de deux grandes approches. Autrement dit, une cartogra- phie judicieuse des attracteurs du champ de la TPP passe par un regroupement par- tiel. « For the purpose of charting recent developments in recent literature, research in stakeholder theory can be usefully grouped into two somewhat broader cate- gories: 1) social science-based theory, including instrumental and descriptive/

empirical variants, and 2) ethics-based the- ory focusing on normative issues. » (ibid.).

Alors que la « science social approach » s’intéresse à l’analyse de ce qui est, la « nor- mative ethics approach » s’intéresse, elle, à ce qui devrait être. Plus précisément,

« some stakeholder theorists take an approach that differs substantially from orthodox (“functionalist”) social science.

Rather than collecting data and using scien- tific methods to test hypotheses, this group focuses on normative issues. This mode of inquiry involves specifying what moral oblig ations stakeholder theory places on managers, particularly the relative impor- tance of obligations to shareholders and those to others groups » (Jones et Wicks, 1999, p. 209). Cette bipolarité a bien entendu partie liée avec celle entre positivisme et constructivisme. Ceci étant, comme le souli- gnent Jones et Wicks (1999), elles ne

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sont pas réductibles, la « normative ethics approach » impliquant une posture beau- coup plus évaluative. « Although advocates of this approach do not state, their work has significant affinities with one research paradigm in organization studies – the

“interpretivist view” (Berger et Luckman, 1966 ; Morgan et Smircich, 1980), which assumes that “people socially and symboli- cally construct and sustain their own organi- zational realities” (Gioia et Pitre, 1990, p. 588) – and some similarities to “radical humanism”, which shares this subjectivist view of organizational reality but take a more evaluative, even critical, stance. » (ibid.).

La bipolarité analyse des faits/analyse des valeurs étant source d’antagonismes, Jones et Wicks (1999) proposent une voie d’inté- gration via une « convergent stakeholder theory ». La posture de R. E. Freeman (1999) est beaucoup plus radicale. Il rejette l’idée même d’intégration car cela signifie- rait admettre du même coup l’existence de deux sphères autonomes ce qui est pour lui fondamentalement contraire au cœur axio- matique de la TPP, i.e.le rejet de la « sepa- ration fallacy » (Freeman et al., 2010).

II – UNE VOIE DE DÉPASSEMENT : L’APPROCHE SOCIO-ÉCONOMIQUE Comme on le voit, les bipolarités qui struc- turent le champ de la RSE sont aujourd’hui perçues comme problématiques car sources d’antagonismes : explication en termes d’efficience versus explication en termes de légitimité et analyse des faits versusanalyse des valeurs. Nous allons rendre compte que ces tensions sont liées à la nature des cor- pus théoriques qui dominent aujourd’hui le champ et que nous venons de présenter.

Ceux-ci conduisent en effet à des formes de réductionnisme symétriques. La présenta- tion fera apparaître du même coup qu’une approche socio-économique est une voie à même de conjuguer et d’équilibrer ces bipolarités.

Il en va ainsi des pôles économique et socio- logique. Ceux-ci sont aujourd’hui appréhen- dés comme des pôles antagonistes car les approches néo-institutionnelles qui les incar- nent conduisent à des réductionnismes symétriques. Hatchuel a très bien caractérisé ces réductionnismes. « Chacune de ces visions ne se définit que par un seul opéra- teur de conception de l’action, respective- ment les “savoirs” ou les “relations” » (2001, p. 31). Cela conduit à des explications anta- gonistes : efficience (utilitarisme) versus légitimité (sociologisme). Fondamentale- ment, ces réductionnismes trouvent leur source dans les conceptions de l’encastre- ment sociétal (embeddedness) incorporées dans chacun de ces corpus. Dans la concep- tion néo-institutionnelle économique, l’en- treprise est pensée d’emblée comme étant en marché (cf. figure 1). Comme le marché n’y est pas un espace amoral, la sphère écono- mique y reste imperméable aux changements de valeurs. Les théories néo-institutionnelles de la firme sont en effet ancrées dans la théo- rie de la valeur-utilité. Cela signifie que l’avoir surplombe la sphère économique (c’est le bien visé). Il n’est donc pas surpre- nant que la rationalité instrumentale (effi- cience) y absorbe en quelque sorte la ratio- nalité axiologique (légitimité).

L’approche sociologique néo-institution- nelle a une autre conception de l’encastre- ment. L’entreprise n’y est pas conçue comme étant d’emblée en marché. Elle est d’abord en société. Si cette conception

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laisse place aux conflits de valeurs, elle n’est pas pour autant exempte d’un certain réductionnisme. En l’occurrence, l’entre- prise y est pensée comme étant toujours en société. Cela signifie que l’encastrement sociétal y est conçu comme un processus permanent et statique. Une telle conception ne laisse pas place à une pensée du désen- castrement (disembeddedness), à savoir de processus conduisant à l’existence de sphères d’activités dotées d’une autonomie relative. De ce fait, elle ne permet pas de penser que des activités pourraient être sou- mises au seul jeu d’une contrainte d’effi- cience, l’ordre des fins y étant toujours en débat. Il n’est donc pas surprenant qu’elle conduise à un réductionnisme symétrique dans lequel, cette fois-ci, c’est la rationalité axiologique (conflits de valeurs/jugement) qui absorbe la rationalité instrumentale (conflits d’intérêts/calcul).

À suivre ce raisonnement, on saisit égale- ment les caractéristiques d’une approche à même d’équilibrer la bipolarité écono- mique/sociologique. En l’occurrence, une telle approche doit s’ouvrir à une conception dynamique de l’encastrement qui permette de penser tant l’encastrement que le désen- castrement. Autrement dit, cette approche se doit de respecter le « principe de non-sépara- bilité entre savoirs et relations » (Hatchuel, 2001, p. 33). Ne réduisant l’action collective ni à un savoir totalisateur (utilitarisme) ni à une relation totalisatrice (sociologisme), on pourrait la qualifier de socio-économique.

Une telle approche est également à même d’équilibrer la tension existant entre les pôles positif et normatif. Le rejet de la separation fallacy s’y exprime via l’idée que le calcul (objectivité) implique de s’en- tendre sur ce qui doit compter (subjecti- vité). Cela conduit certains auteurs à parler Figure 1 –La conception néo-institutionnelle économique

de l’encastrement sociétal de l’entreprise

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de ce fait de « qualcul » (Cochoy, 2002 ; Callon, 2009) afin de se libérer « de l’op- position entre jugement (qualitatif) et calcul (quantitatif) » (Callon, 2009, p. 255). L’ap- proche socio-économique invite plus préci- sément à une pensée dynamique du rapport des sphères économique et éthique. Ce rap- port doit être compris comme un rapport dynamique couplage/découplage (encastre- ment/désencastrement). Cela signifie qu’une telle approche ouvre à une pensée de sphères économiques dotées d’une auto- nomie relative. Ceci étant, l’ordre écono- mique n’y est pas pensé comme un espace homogène mais comme un espace travaillé par des processus d’obsolescence morale liés à des actions de cadrage/débordement au sens de Callon (1998, 1999).

On ne peut donc que regretter qu’une telle approche reste à ce jour relativement peu mobilisée dans le champ théorique de la RSE, à l’exception notable des travaux du Centre de gestion scientifique de l’École des mines de Paris (Aggeri et al., 2005 ; Acquier, 2007) et, ainsi que cela va être pré- senté des travaux de Godard et Hommel.

III – LE VERSANT RÉACTIF

DU MANAGEMENT RESPONSABLE : LA GESTION DE LA

CONTESTABILITÉ SOCIALE

Ces travaux (Godard, 1993; Hommel, 2001 et 2004) ont abouti à la conception d’un modèle dit de la gestion contestable (MGC). Ce modèle nous semble assez illus- tratif des potentialités d’une veine de recherche cherchant à éviter les réduction- nismes. Les propos de Godard1dans la pré- face de l’ouvrage de Hommel (2004) issu

de sa thèse dans laquelle le MGC est déve- loppé, sont à ce titre très explicites.

« Depuis la grande transformation de Karl Polanyi, une controverse oppose les tenants de l’embeddednessde l’économique dans la société et ceux de l’exploration d’un uni- vers clos sur lui-même. Le livre de Thierry Hommel vient rejoindre le camp des pre- miers en donnant un nouveau dévelop - pement à cette vision de l’économique enchâssé dans le social, mais surtout il contribue à dépasser l’antagonisme des conceptions montrant comment on peut dépasser l’historicisme en bouclant la boucle par l’autre côté : ce sont in finedes mécanismes économiques qui donnent leur efficacité à des processus de contestation sociale et qui rendent compte de la géogra- phie industrielle de la contestabilité. En cela, le livre de Thierry Hommel est une contribution remarquable à une socio-éco- nomie qui ne se satisferait pas d’accoler des univers disjoints. » (2004, p. 10).

Le MGC prend appui sur le précédent de la théorie des marchés contestables (TMC) (Baumol et al., 1982) et vise en quelque sorte à l’élargir en y donnant place à la contestabilité sociale. C’est dans la TMC qu’apparaît formellement l’idée qu’une menace potentielle pourrait, dans des conditions déterminées, suffire à discipliner le comportement d’entreprises établies sur un secteur d’activité. Cependant, dans cette théorie, seules les menaces relevant exclusi- vement du processus concurrentiel sur les marchés interviennent. L’idée force de la TMC est de mettre en évidence que, dans des conditions dites de contestabilité par- faite des marchés telles que définies par

1. Godard ayant été le directeur de thèse de T. Hommel.

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Baumol et al. (1982), la dynamique concur- rentielle relève tant de la concurrence effec- tive entre les opérateurs présents sur le mar- ché que de l’existence d’une concurrence potentielle. Cette dernière fait référence à des entreprises qui seraient susceptibles d’entrer sur le marché compte tenu du niveau de profitabilité observé sur celui-ci.

Cette concurrence potentielle, du fait de la seule menace d’entrée qu’elle représente pour les opérateurs historiques du marché, contraint leurs pratiques tarifaires. Elle conduit soit à les transformer en des pre- neurs de prix (price takers), soit à leur ôter leur pouvoir de marché et donc à les disci- pliner. Face à cette menace d’une entrée potentielle de nouveaux concurrents dispo- sant de capacités techniques et d’un accès aux ressources productives équivalent à celui des opérateurs historiques, ces der- niers sont alors obligés de modifier leurs comportements et d’intégrer dans leurs choix par anticipation cette menace poten- tielle. La TMC met également en évidence que le degré de contestabilité d’un marché est mécaniquement déterminé par la pré- sence de coûts irrécupérables (sunk costs) et de barrières à l’entrée et à la sortie. Ces coûts et ces barrières sont eux-mêmes imputables à la possibilité, dans les domaines d’activité technologiques consi- dérés, de recourir à des actifs spécifiques, dont la propriété, connue ex antepar l’in- vestisseur, est de ne pouvoir être redéployée ou cédée sans pertes significatives.

Pour notre propos, il est intéressant de noter que le modèle d’analyse des forces concur- rentielles de Porter (1980) est convergent avec le cadre de la TMC tout en constituant un élargissement. En effet, il intègre les forces concurrentielles à l’œuvre dans la TMC, concurrence effective et concurrence

potentielle, et l’élargit vial’introduction de la concurrence de filière et d’une sixième force qualifiée d’« État ». La démarche du MGC est convergente au sens où elle vise à intégrer dans la TMC un équivalent analy- tique de la sixième force de Porter. Ceci étant, la façon de concevoir cette force est radicalement différente au sens où au lieu de la concevoir en surplomb de la sphère économique (les cinq forces), elle y est pen- sée comme endogène. Cela n’a rien d’éton- nant au sens où les travaux de Porter parti- cipent de l’approche néo-institutionnelle économique alors que ceux constitutifs du MGC relèvent d’une démarche socio-éco- nomique.

Pour ce faire, le MGC mobilise la théorie de la justification (Boltanski et Thévenot, 1991). Cette sociologie de la délibération invite en effet à saisir que loin d’être un espace homogène, la sphère économique est marquée par des tensions entre diffé- rents registres de justification. L’économie serait ainsi un espace caractérisé soit par des discontinuités, soit par des tensions entre des modèles de valorisation différents, et non par une cohérence (Eymard-Duver- nay, 2009). Même si par rapport à la théorie de l’acteur-réseau, les conflits de valeurs ne sont pas compris directement et explicite- ment comme participant de processus de débordement-recadrage (Callon, 1998 et 1999), la résultante analytique est in finela même : l’économie est comprise comme une sphère traversée et travaillée par des processus d’obsolescence morale.

Le MGC donne du même coup à com- prendre que le développement de pratiques dit de management responsable (politiques de RSE explicite) est une des réponses que les entreprises ont ou peuvent développer pour gérer ces processus d’obsolescence

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2. À suivre Laufer (1996), c’est la crise du droit et plus largement celle du système de légitimité rationnel-légal qui conduirait et se traduirait aujourd’hui par une recrudescence de la contestabilité sociale. Les normes sociales, les règles devenant incertaines, les entreprises seraient conduites à évoluer non plus en « univers stabilisé » mais en

« univers controversé » (Godard, 1993). L’économie réapparaît de ce fait comme étant un espace marqué par des tensions entre modèles de valorisation différents et donc par des conflits de légitimité, le règne de la loi, loi juri- dique et loi scientifique, ayant eu tendance à effacer cette réalité (Laufer, 1996).

3. Une captive d’assurance est une société filiale, créée par l’entreprise, qui va jouer le rôle d’un assureur tradi- tionnel en garantissant les risques uniquement portés par l’entreprise. Elle perçoit des primes de la holding et verse des indemnités en cas de sinistres, conformément au schéma classique de l’assurance.

morale lesquels ont tendance à s’intensifier avec la crise du système de légitimité rationnel-légal (Laufer, 1996)2. Plus préci- sément, la mise en œuvre de pratiques de management responsable viserait à désa- morcer si ce n’est prévenir toute menace potentielle de contestation sociale, i.e.d’ac- tions de débordement remettant en question

la légitimité des activités et pratiques de l’entreprise. Ceci étant, le MGC met égale- ment en perspective que les pratiques de management responsable ne sont qu’une des stratégies que les entreprises peuvent mobiliser pour se couvrir par rapport à un risque d’obsolescence morale. Très précisé- ment, il fait apparaître que les entreprises

1) Stratégies visant à moduler l’horizon d’engagement :

– la sortie du marché, l’abandon d’investissements ou d’une gamme de produits durant la phase de recherche ;

– flexibiliser les nouveaux actifs ;

– accélérer la valorisation des actifs, pour accélérer leur amortissement et autoriser les sor- ties du marché sans perte lourde.

2) Stratégies visant à allonger l’horizon prévisible et à stabiliser le cadre d’action :

– le lobbying exercé auprès de l’administration et/ou d’ONG en vue de stabiliser le cadre d’activité de l’industrie ;

– l’adhésion à des systèmes de normalisation et certification volontaires ;

– l’adoption d’une politique de communication et de concertation envers les porteurs des contestations potentielles ;

– le partenariat gestionnaire entreprises/ONG.

3) Stratégies visant à réduire les sources objectives de risques :

– la prévention « à la source », calée sur la représentation des dangers possibles (changement technologique anticipé) ;

– l’engineering « end of pipe » dans la phase de production et d’amortissement des investis- sements productifs.

4) Stratégies visant à limiter l’impact financier de la contestabilité potentielle :

– le recours à des techniques de couverture du risque au moyen de contrats d’assurance, de la constitution de fonds d’indemnisation privés, ou de la création de captives (auto-assurance)3; – jouer la carte du juridisme en exploitant au maximum le temps des procédures judiciaires.

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disposent de quatre grandes catégories d’options de couverture (Hommel, 2004) : – limiter leur exposition en modulant la durée de leur engagement économique, dans la limite des possibilités conférées par le domaine technologique considéré ; autre- ment dit, rechercher des gains de flexibilité stratégique ;

– stabiliser le contexte institutionnel et social durant la période d’engagement de façon à allonger leur horizon de prévisibi- lité des menaces ;

– limiter les sources objectives de risque potentiel de contestation en modifiant leurs process, les produits qu’elles proposent et leur organisation du travail de façon à désa- morcer les menaces ;

– déployer des mesures visant la couverture financière des risques de contestation, sans se soucier directement des impacts réels qui se trouvent à la base des potentielles mises en cause.

Chacune des catégories d’options de cou- verture peut de plus donner lieu à une ou plusieurs stratégies (voir encadré « typolo- gie des principales stratégies »).

La liste des stratégies de couverture permet de repérer que les pratiques de RSE ren- voient à certaines stratégies de couverture, essentiellement celles qui correspondent aux options 2 et 3. Le MGC invite ainsi à comprendre que le développement des pra- tiques de management responsable participe de l’émergence de modèles de gestion de la contestabilité qui tentent de s’adapter à l’in- tensification de la contestabilité sociale et de l’articuler avec la gestion de la contesta- bilité par la concurrence. Ceci étant, le MGC aide également à repérer que le degré d’exposition des entreprises à la contestabi- lité sociale n’est pas homogène et que cette variabilité n’est pas uniquement fonction

des attributs des parties prenantes de l’en- treprise, notamment de leur pouvoir, légiti- mité et urgence (Mitchell et al., 1997). Il y a également une détermination technico-éco- nomique qui joue. Lorsqu’une entreprise possède des actifs aisément redéployables ou lorsque l’investissement initialement consenti est peu coûteux, elle est moins exposée et peut de ce fait moins se soucier de la contestabilité sociale. Dans ces situa- tions, elle est en effet en capacité de se reployer sans mettre en péril sa sécurité éco- nomique si une menace potentielle de contestation venait à se réaliser. En donnant à comprendre que la contestabilité sociale est une force endogène, le MGC souligne que « ce sont in finedes mécanismes écono- miques qui donnent leur efficacité à des pro- cessus de contestation sociale et qui rendent compte de la géographie industrielle de la contestabilité » (Hommel, 2004, p. 10).

IV – LE VERSANT PROACTIF : L’INNOVATION PAR LES VALEURS Les travaux développés par une équipe de chercheurs du CGS autour d’Aggeri (Aggeri et al., 2005) apparaissent conver- gents et complémentaires par rapport à ceux qui ont abouti au MGC.

Ils sont convergents car d’une part le constat de départ est identique. Ces auteurs soulignent en effet que les travaux domi- nants du champ de la RSE butent sur la separation fallacy; ils restent ancrés dans une pensée de sphères découplées et sta- tiques. Pour expliciter cela, Acquier (à paraître) prend appui sur la distinction for- gée par Baron (1995, 2006) entre stratégies de marché (market strategies) et stratégies hors marché (non-market strategies). Les premières réfèrent aux stratégies concur-

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4. Cette distinction est convergente avec le modèle de Porter dans lequel la sixième force est conçue en surplomb de la sphère concurrentielle.

5. Callon revendique lui-même que ses travaux participent d’une socio-économie de l’innovation (cf. par exemple, Callon, 1997).

rentielles alors que les secondes sont des stratégies institutionnelles visant à agir sur les règles du jeu marchand4. Sur cette base, Acquier souligne alors que « la littérature académique anglo-saxonne du champ Busi- ness & Society a avant tout considéré la RSE et le développement durable sous l’angle des stratégies hors marché. En ne venant pas re-questionner les fondements de la valeur marchande, la littérature Busi- ness & Society tend à véhiculer l’image d’un marché perçu comme espace libre et amoral. Dans cette perspective, valeurs sociales et valeurs économiques opéreraient en relative déconnexion. Les valeurs sociales et les enjeux de légitimité s’exerce- raient dans l’espace non marchand, alors que les forces économiques, d’une autre nature, opéreraient dans l’arène mar- chande… Les approches existantes se heur- tent donc à différentes limites : elles restent souvent centrées sur les dynamiques « hors marché » et n’interrogent que marginale- ment les modes de construction de la valeur marchande, elles ne s’attardent pas sur les interactions entre valeurs sociales et mar- chandes, ou les abordent de manière sta- tique. Il nous semble donc nécessaire de considérer que les valeurs sociales ne s’ex- priment pas seulement à l’extérieur du jeu marchand (comme l’exprime la métaphore des stratégies hors marché), mais qu’elles interagissent en permanence avec le jeu marchand » (ibid., p. 11-14).

Ces travaux sont d’autre part convergents de par le fait qu’ils mobilisent tout comme le MGC une approche socio-économique5,

cette voie de recherche étant pensée comme une voie à même de remédier au constat partagé. En l’occurrence, ces travaux pren- nent appui sur la théorie de l’acteur-réseau.

Ils mobilisent principalement la dialectique

« cadrage/débordement » forgée par Callon (1998, 1999) ainsi qu’une distinction que cet auteur a opérée dans le prolongement en typifiant deux contextes, les « situations froides » et les « situations chaudes » (ibid., 1998, 1999). Pour Callon, les situations sont « froides » quand le cadrage constitue la norme. Le cadre institutionnel, notam- ment les conventions de qualité, étant stabi- lisé et équipé, les débordements sont rares.

La logique dominante est alors une logique de conformation : on joue dans les règles et peu sur les règles. Les situations chaudes renvoient à un autre cas polaire où le cadre n’est pas stabilisé et où les débordements sont la règle. Comme nous avons eu l’occa- sion de le souligner, il existe une affinité entre la théorie de l’acteur-réseau et le cadre théorique mobilisé par Godard et Hommel. Il existe ainsi par exemple une affinité évidente entre la distinction « situa- tion froide/ situation chaude » et celle opé- rée par Godard (1993) entre « univers stabi- lisé » et « univers controversé ».

Ceci étant, les travaux développés par Aggeri et al. (2005) enrichissent l’analyse.

Ils mettent notamment en avant que la ges- tion de l’obsolescence morale ne se limite pas au registre de la gestion de la contesta- bilité sociale. En l’occurrence, en prolon- geant la distinction « situation froide/situa- tion chaude », ils isolent deux registres

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d’action, les « figures imposées » et les

« figures libres » (Aggeri et al., 2005).

Alors que le premier registre est au cœur du MGC, le second est peu ou pas pris en compte dans ce dernier. Les chercheurs du CGS qualifient de « figures imposées »

« un ensemble d’actions permettant à l’en- treprise de respecter un ensemble de valeurs sociales institutionnalisées au sein du jeu marchand, c’est-à-dire déjà cadrées, à la fois aux niveaux technique (elles sont contrôlables et réalisables) et social (elles apparaissent nécessaires et légitimes)… Il ressort que les figures imposées permettent à l’entreprise de se prévenir de crises médiatiques et d’une image irresponsable, mais ne constituent pas un levier de reposi- tionnement stratégique » (Acquier, à paraître, p. 27). On perçoit bien que ce régime d’action est affaire de gestion de la contestabilité sociale (au sens du MGC) de façon à prévenir toute menace potentielle de contestation sociale si ce n’est se diffé- rencier en donnant l’« impression partagée que les actions de l’organisation sont dési- rables, convenables ou appropriées par rap- port au système socialement construit de normes, de valeurs ou de croyances sociales » (Suchman, 1995, p. 572).

Les chercheurs du CGS soulignent et illus- trent cependant à juste titre que les figures imposées ne sont pas le seul registre d’ac- tion. Les entreprises peuvent elles-mêmes être à l’origine d’actions de débordement.

« L’entreprise n’est pas seulement un agent réactif, évoluant dans un contexte social qui lui serait imposé. L’organisation peut en effet activement participer, par ses figures libres, à la constitution et l’organisation de nouvelles problématiques sociales… Nous nommerons “figures libres” un ensemble d’actions initiées par l’entreprise visant à

déborder le jeu concurrentiel en articulant des valeurs sociales émergentes et en cours de structuration avec la valeur marchande des biens et services de l’entreprise… Pour l’entreprise, les figures libres peuvent être à la source de repositionnements straté- giques. Ils sont caractéristiques de situa- tions d’innovation de valeur, qui par le biais de la re-conception des biens et services, viennent déplacer les termes du jeu concur- rentiel (Le Masson et al., 2006) et reposi- tionner l’entreprise sur un terrain unique (Kim et Mauborgne, 2005). » (Acquier, à paraître, p. 28-29).

La gestion de l’obsolescence morale com- prend ainsi un registre proactif que l’on peut qualifier d’innovation par les valeurs. En effet, ces démarches d’entrepreneuriat ne sont pas purement institutionnelles. Comme le souligne Aggeri, elles sont étroitement liées « à des projets collectifs d’innovation qui les incarnent et leur donnent une sub- stance… Elles visent à potentialiser des innovations singulières qui régénèrent des potentiels stratégiques » (2011, p. 30).

Autrement dit, les démarches d’innovation par les valeurs visent à établir de nouveaux biens, en un sens littéral, i.e. de nouvelles valeurs (économiques), ce qu’Aggeri (2011) qualifie de nouveaux « champs d’innova- tion », susceptibles de déboucher sur une offre de nouveaux objets techniques (biens et services) et des business modelsassociés.

« Il s’agit de construire des promesses col- lectives (Geels et al., 2002), de légitimer sur le plan social des domaines d’innovation qui étaient auparavant hors cadre pour les entre- prises. » (Aggeri, 2011, p. 10).

Ces démarches d’innovation par les valeurs sont bien entendu sources d’obsolescence morale. Certes, en cas de succès, elles aboutissent à attribuer de la valeur à

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quelque chose qui n’en avait pas ou peu.

Ceci étant, par le même mouvement, elles génèrent un déclassement pour une partie des champs d’innovation et les offres de biens et services liées compte tenu du fait qu’elles introduisent un changement de la hiérarchie des valeurs. Autrement dit, les démarches d’innovation par les valeurs sont à la commande de processus de destruction créatrice au sens de Schumpeter (1942).

D’ailleurs Eymard-Duvernay (2009) et Swedberg (2006) font une interprétation de même nature des processus de destruction créatrice. « Notre hypothèse est que son analyse pourrait être clarifiée en introdui- sant la question des valeurs. Schumpeter insiste plutôt, pour caractériser les innova- tions, sur la réduction des coûts qu’elles permettent, grâce à une nouvelle combinai- son des ressources productives. Pourtant, plusieurs éléments de l’analyse montrent que l’innovation est, de façon plus pro- fonde, un changement des valeurs. L’accent mis sur la question de la qualité des biens dans le processus de concurrence va en ce sens : le capitalisme est constamment tra- vaillé par l’innovation sur les qualités. Avec les nouvelles combinaisons productives l’entrepreneur initie un changement de valeurs par l’innovation : ce qui était valo- risé dans le « circuit » est maintenant déva- lorisé, les finalités qui orientent les agents sont profondément transformées… Schum- peter remarque d’ailleurs que la valeur des nouveaux biens échappe aux systèmes éta- blis de valeurs, de même que les dons et les œuvres d’art. Le processus de “destruction créatrice” est ce processus de renversement des valeurs établies, ce qui explique la vio- lence qui le marque, bien mal analysée par les théories de l’équilibre » (Eymard- Duvernay, 2009, p. 355).

CONCLUSION : UNE VOIE POUR REVENIR À DE LA POLITIQUE D’ENTREPRISE

Nous nous sommes efforcés dans cet article de rendre compte et d’illustrer les potentia- lités d’une approche socio-économique pour le champ de recherche sur la RSE.

Nous avons notamment mis en évidence qu’une telle approche offrait une voie de dépassement de la separation fallacyet plus largement des réductionnismes qui ont ten- dance à caractériser le champ. Au lieu de disjoindre les logiques, l’approche socio- économique invite en effet à les conjoindre de façon dynamique. Dans le prolonge- ment, en prenant appui sur deux recherches qui ont investi cette perspective dans le champ de la RSE, nous avons montré que l’approche socio-économique permettait de rendre compte que les pratiques dites de management responsable s’étendaient de la gestion des risques à l’innovation straté- gique et que ces deux registres d’action par- ticipaient d’une même logique, à savoir gérer l’obsolescence morale.

Compte tenu de son potentiel pour le champ de la RSE, il est donc dommage qu’une telle voie de recherche reste peu investie (à de notables exceptions comme nous l’avons souligné). Ceci est d’autant plus le cas que l’approche socio-écono- mique participe pleinement de ce que David et al. (2001) qualifient de « nou- velles fondations pour les sciences de ges- tion ». Elle appelle en effet à analyser non pas des faits économiques ou sociaux mais des actions collectives. Comme par ailleurs elle appelle également à ne pas disjoindre étude des fins et étude des moyens, elle nous semble constituer une voie pour reve- nir à de la politique d’entreprise. À choisir, plutôt que d’inviter à les concevoir comme

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Autrement dit, elle souligne que l’entre- prise est une affaire de société certes parce qu’elle est en société (et pas seulement en marché) mais aussi parce qu’elle est une société (humaine avec un projet collectif).

Elle implique donc de modéliser l’entre- prise comme une « unitas multiplex » au sens de Morin (1977) en constante

construction/déconstruction : agent de pro- duction, organisation sociale mais aussi entité politique au sens d’une entité doté d’un pouvoir de finalisation, i.e.du « pou- voir de dire et de choisir le passé, le pré- sent et l’avenir auxquels vont désormais se référer un ensemble de sujets puisant leur identité et leurs raisons de vivre justement dans ce choix-là » (Caillé, 1993, p. 268).

Cela revient à affirmer le besoin de régé- nérer du politique dans la théorie de la gouvernance d’entreprise et le manage- ment stratégique.

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