L'EMPREINTE DE LA LÉGION
A Négomano, sur le Rovouma, au Mozambique.— L e 13 septem- bre 1959, je ressors d'une zone encore i n e x p l o r é e de N o r d - M o z a m - bique. U n e longue colonne à pied m ' a m e n é des abords d u L a c Nyassa j u s q u ' à l a L o u t c h e n d a . E t a u confluent de celle-ci avec le R o v o u m a , j'aboutis, p l u t ô t fatigué et sale, à l a p r e m i è r e petite vigie portugaise : N é g o m a n o .
L à , u n chef de poste, tout seul, Spinola, entre son perroquet a p p r i v o i s é q u i ne cesse de m'invectiver, et u n jeune p h a c o c h è r e captif, hurlant à gorge d é p l o y é e .
J ' a i b u u n w h i s k y providentiel, pris une douche, d o r m i u n peu, et b a v a r d é de m o n m i e u x avec Spinola. I l ne parle presque pas fran- çais. L a radio l u i ayant, i l y a quelque temps, a n n o n c é mon « d é - b o u c h é probable », i l avait l a n c é u n appel sur les ondes à u n A l l e - m a n d , ancien légionnaire, chasseur professionnel dans l a forêt d u sud-est :
— I l nous aurait servi d ' i n t e r p r è t e ! me d i t - i l . E t j ' e s p é r a i s q u ' i l m'entendrait, grâce au petit poste portatif q u ' i l a f a b r i q u é de ses mains. Mais i l p a r a î t q u ' i l est aux trousses d ' é l é p h a n t s , dans le sud, t r è s loin de son camp de base. T a n t pis pour l u i et nous ! Déjà, i l p r é p a r e son L a n d R o v e r pour me conduire chez l'ad- ministrateur — é g a l e m e n t a v a n c é , quoique plus à l'arrière... — afin de discuter de m a prochaine descente d u R o v o u m a j u s q u ' à l ' O c é a n . E s c o r t é s par le perroquet, nous allons monter dans le pick-up, quand u n amusant v é h i c u l e surgit de l'orée des bois.
U n trois tonnes et demie aux ailes battantes, d'un vert devenu olive à l'usure, et dont les t ô l e s portent plaies et bosses. A v e c cela, i l ronfle t e l u n v i e u x lion...
— C'est Zeller ! fait Spinola, les mains en visière sur les yeux.
L ' E M P R E I N T E D É L A LÉGION 605
— Zeller ?
— O u i : le l é g i o n n a i r e . . . I l n'aura pas résisté !
Grincement de freins, puis de p o r t i è r e , grand bond sur le sol é c a r l a t e , et cette d é c l a r a t i o n dans m a meilleure langue mater- nelle :
— Pouvais-je laisser passer u n F r a n ç a i s à N é g o m a n o sans courir à l u i ? N o n . Impossible ! Je suis... et je reste de l a L é g i o n : or l a Légion, c'est l a France pour m o i . Ce m a t i n , je me suis brusque- ment décidé. J ' a i tout q u i t t é : mon camp d u sud, mes hommes, m a chasse, et j ' a i fait cent vingt k i l o m è t r e s pour vous voir. B o n - jour, a m i ! Gunther Zeller vous salue.
I l me secoue les mains, et ayant repris souffle :
— N e vous é t o n n e z pas que je vous aie tout de suite identifié : d'abord, vous avez l'allure française, et puis, comme Spinola est seul i c i , vous ne pouviez, à ses c ô t é s , ê t r e que... vous.
Je suis à l a fois i n t e r l o q u é et é m u . F a u t - i l que l a Légion E t r a n - gère laisse une empreinte indélébile, pour q u ' u n A l l e m a n d pur- sang m ' a i t a d r e s s é ces m o t s - l à ? II.est grand, maigre comme u n clou, et i l doit ê t r e dur comme le fer d'un clou. Cheveux blonds, tempes grisonnantes. Mobilité constante d u visage et des gestes.
— M o n cher Zeller, vous me touchez... Mais, m ' y connaissant u n peu en fatigue, je vois que vous avez fait u n rude trajet. A u s s i . . .
— Venez vous d é s a l t é r e z , conclut Spinola à m a place.
Zeller v a droit au frigidaire, dont les secrets l u i semblent fami- liers, en extrait une bouteille de café et en avale l a m o i t i é , humant entre chaque gorgée.
— J'en bois quatre à cinq litres par jour ! L e café du matto (la forêt), c'est m a boisson.
— U n café sauvage ?
— O u i , le seul, le v r a i , que mes hommes me cueillent au long des rios. J'en ai eu mille kilogs l ' a n n é e dernière...
— U n w h i s k y ? dit Spinola.
— M a foi, pas de refus... A p r è s le nécessaire, v a pour le superflu.
I l fume sans a r r ê t de ces cigarettes de tabac, noir, vendues par les factoreries aux i n d i g è n e s à deux écus (35 francs) leS vingt- cinq, et q u i , à m o n avis, sont les meilleures d u Mozambique (1).
— Voulez-vous en g o û t e r - u n e ? me propose-t-il.
— C'est d é j à fait... J ' e n avais tout u n stock en colonne à l ' i n -
(1) Tous les prix cités dans cet article sont exprimés en francs légers.
tention de mes hommes : mais j ' a i délaissé mes Nilos pour elles, à tel point elles me rappelaient nos Gauloises.
— A m o i elles rappellent celles que nous grillions au Maroc, avant l a guerre, dans notre guerre de b l é d a r d s . . . Voyez-vous, je n ' a i personne avec qui é v o q u e r ces souvenirs, « chevillés » en m o i 1 C'est pourquoi je n'aurais pour rien au monde r a t é l'occasion de l a venue d ' u n F r a n ç a i s .
— J ' a i a d o r é l ' a r m é e et suis un militaire m a n q u é , ou q u i , p l u t ô t , a t r a h i sa vocation : aussi, je peux vous comprendre.
— E n ce cas, u n seul p a r t i s'impose : je vous e m m è n e à m o n camp de base. \
— C'est que, fait Spinola, j ' a l l a i s m o i - m ê m e emmener M . B a l - san à M o u é d a , d ' o ù i l compte gagner le R o v o u m a , pour le des- cendre. (Il regarde sa montre). O r i l serait grand temps que nous partions, à moins q u ' i l . . .
Tous deux attendent m a décision : mais elle est prise I
— Chef de poste, l a vie nous r é s e r v e certaines belles minutes : je viens d'en vivre une. E l l e suspend mes projets. I l y a des hommes à qui l ' o n n ' a n i le droit n i le c œ u r de dire non. Je passerai deux jours a u p r è s de Zeller avec une joie p a r t i c u l i è r e .
Celui-ci bondit de son fauteuil :
— A l a bonne heure ! Vous me comblez a u - d e l à de tous mes v œ u x .
— Ich auch, ich bin séhr zufrieden, ich kabe es ihnen gesagt, und danke fur...
— H e i n ? Vous parlez l'allemand comme u n A l l e m a n d ? Alors, c'est complet...
Spinola a a l l u m é une cigarette et réfléchi, durant ces effu- sions.
— T o u t s'arrangera t r è s bien, fait-il. Je dois quand m ê m e aller en liaison vers l'administrateur : j ' e n profiterai pour l'entretenir de vos désirs, dont i l é t u d i e r a l a réalisation. A i n s i , aucun temps ne sera perdu pour vous. E t je reviendrai a p r è s - d e m a i n , p r ê t à re- tourner chez l u i avec vous. Ne vous excusez pas I E n ce moment, je saute sur les occasions d'aller à M o u é d a , car m a femme attend u n enfant d'un jour à l'autre, l à - b a s . . .
— Je vous p r é d i s u n garçon 1
Il d é m a r r e en trombe, comme si j ' a v a i s c o n t r i b u é à h â t e r l'heu- reux é v é n e m e n t .
— « A nous deux », maintenant ! me crie Zeller, c o n c r é t i s a n t
L ' E M P R E I N T E D E L A LÉGION 607 en trois mots toutes les perspectives ouvertes devant nous, spon- t a n é m e n t .
Vers le camp de Zeller. — L e truck cahote sur l a piste, comme u n vieux hack retrouve son parcours d'obstacles familier. Des mouches tsé-tsé é g a y e n t l a cabine. U n chargement hétéroclite chahute entre les ridelles, carambolant les boys.-
Une secousse provoque l'embrayage du d é m a r r e u r sur le mo- teur. B r u i t d é c h i r a n t . . . Zeller stoppe, saute à terre, et, dans l'éche- veau des fils électriques « baladeurs », d é n i c h e le contact qui a déclenché l'accident. Nous repartons en moins de. cinq minutes, comme si rien ne s ' é t a i t produit.
Ce camion ne peut avoir de maladie durable avec u n tel infir- mier à son bord ! Ce n'est m ê m e plus l'art de faire durer les restes : c'est Celui de maintenir le grand âge à l a p e r p é t u e l l e jeunesse.
Nous quittons vite l a piste de Mouéda, que nous suivions, pour piquer vers le sud. I l n'est guère que Zeller q u i roule de ce côté-là : si bien que le sol est assez peu défoncé. Petite forêt, serrée.
Plusieurs rivières — sèches — se s u c c è d e n t .
— S i nous remontions celle-ci, me dit-il en franchissant l'une d'elles, je vous montrerais le lieu d'un de mes grands souvenirs.
A ce m o m e n t - l à , je d é b u t a i s dans l a c o n t r é e : i l y a six ans. J'avais u n associé. U n m a t i n , avant le jour, nous étions à l'affût devant une mare stagnante, que nous savions fréquentée par les é l é p h a n t s . A quatre heures et demie, comme le ciel pâlissait, nous en voyons arriver vingt-six par le l i t de l a rivière, entre les t r è s hautes berges.
Vous ne sauriez avoir idée de leur extraordinaire reflux, d è s qu'ils nous eurent d é c o u v e r t s : ils se renversaient mutuellement, se montaient les uns sur les autres, entrechoquaient leurs défenses, dans u n tonitruant concert de barrissements. A h 1 c ' é t a i t l a belle é p o q u e . L e s é l é p h a n t s n'avaient pas encore é t é t r a q u é s . Ils v i v a i e n t , confiants, dans l a libre nature. M o i , j ' a i vite senti q u ' i l fallait réfréner m a passion et me limiter aux gros porteurs d'ivoire. J ' é p a r - gne les m è r e s , les jeunes. Seulement, d'autres sont venus... L a demande en. viande s'est accrue chez les grandes compagnies. E t si l'on ne s'inspire pas de m a m o d é r a t i o n , b i e n t ô t , l a forêt sera morte.
Beaucoup d'ébéniers, p a r m i les arbres. L e u r écorce t o r s a d é e , brune orangée, ne laisse pas p r é v o i r l a teinte sombre que prend ce bois une fois d é b i t é . I l fournit aux indigènes l a m a t i è r e p r e m i è r e
des rondelles serties aux oreilles, aux lèvres des femmes. Certains M a k o n d é en fabriquent d ' é t o n n a n t e s figurines, dont Spinola avait une collection.
Sur une partie d u trajet, poussent aussi de nombreux kapoks, producteurs de l a fibre courte, blanche, soyeuse, couramment utilisée alentour.
U n peu plus loin, des huttes se montrent derrière l ' é c r a n de la v é g é t a t i o n .
— L e s habitants de ce village vinrent un jour me chercher, fait Zeller. U n lion, qui paraissait les a p p r é c i e r , leur avait m a n g é six hommes. Ils trouvaient que cela suffisait, et me demandaient mon concours. A v e c de l a patience, je n ' a i pas t a r d é à faire sa rencontre. K a p u t t !
Mais le j o u r baisse.
— Nous allons arriver, me d i t - i l . Je ne vous e m m è n e pas au camp volant dont je remontais ce m a t i n : l u i , i l est beaucoup plus loin dans le sud, sur des é m i n e n c e s granitiques o ù j ' a v a i s r e p é r é des é l é p h a n t s . I l faut faire d u chemin pour atteindre ces bougres-là, à p r é s e n t . . . M o n é q u i p e , r e s t é e sur place, s'occupera à chasser des zèbres pendant que j e vous recevrai à m a base principale. Je vous offrirai là, de t r è s grand c œ u r , le t r è s grand... inconfort. Mais, si je ne me trompe, vous devez aimer cela ?
— O u i , mon v i e u x : on n'est vraiment u n homme que lorsqu'on a l a r g u é toutes les molles amarres !
Ses phares balaient des kajous p l a n t é s autour de quelques huttes. U n e demi-douzaine d ' i n d i g è n e s sont assis autour de feux.
A u fond de l a minuscule é t e n d u e défrichée, une case à peine plus importante que les autres.
— Zeller Palace! m'annonce-t-il. N o m d u lieu : M ' p o u y a .
• Quand remontent les souvenirs. •— L e moteur s ' é t e i n t , les phares restent allumés pour éclairer les abords. B i e n dressé, u n b o y greffe a u s s i t ô t sur les accumulateurs u n fil relié à quelque ampoule élec- trique de l ' h a b i t a t i o n : u n peu de l u m i è r e nait d e r r i è r e les cloisons à claire-voie. Je respire une grande bouffée d'air frais, m ' é t i r e , et entre.
Terre battue. Sur u n côté, le l i t de camp. Sur tous les autres, des batteries de vieilles caisses servant de commodes. A u centre, une table de fortune. A r m e s et munitions é p a r s e s . A u chevet d u p r o p r i é t a i r e , une boite à m y s t è r e s d ' o ù sort une chevelure de fils
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ébouriffés : le poste de radio, mode in matto... Les murs de paille s ' a r r ê t e n t à hauteur d'homme : quatre bandes de ciel étoile appa- raissent sous les rives d u chaume. O n couche, i c i , en plein air en m ê m e temps q u ' a b r i t é .
— Alors, que dites-vous de m o n c h â t e a u ?
— Merveilleux.
— Pour m o i , en tous cas ! Je suis amoureux de m a solitude.
Ne voir personne. Ne revoir ses semblables que lorsque le besoin s'en fait trop v i f : alors, rien q u ' u n coup de d é m a r r e u r à donner...
C'est l'idéal d'un ancien légionnaire. Mais ne sentez-vous rien ?
—'• L e café... Mon café... Mes boys sont en t r a i n d é le faire. Je peux dire qu'avec les cigarettes, i l conditionne mon existence.
Je flaire son parfum à distance, comme u n chien une é m a n a t i o n d'ani- mal. J'en bois plus de quatre litres par jour, vous ai-je dit, chaud au camp, froid — ou p l u t ô t tiède — à l'action, dans m a gourde.
Zeller ne marche pas sans café !
— Mais Zeller dort-il, à ce régime-là ?
— Comme u n enfant ! Comme l'enfant q u ' i l est resté... U n enfant de l a Légion. A u fait, avant que le « jus » ne soit à point, si je vous offrais u n verre de ce que, î à - b a s , nous appelions le « café colonial » : u n coup de blanc ?
I l tire à l u i une dame-jeanne, que je n'avais pas r e m a r q u é e , et me sert à ras bords.
— U n soir, avec deux camarades venus coucher à mon camp, nous avons v i d é l a m ê m e bonbonne en trois jours... Alors, allez-y c a r r é m e n t 1 L e rechange ne me manque pas, à M o u é d a .
C'est u n v i n sec du Portugal, agréable à l a langue. Dehors, les boys a c h è v e n t de cuisiner à l a l u m i è r e d'une l a m p e - t e m p ê t e . B i e n - t ô t , ils apportent u n bouilli de zèbre aux choux. E t le café, naturel- lement... Zeller le passe sous son nez avant d ' y tremper les lèvres.
Y a-t-il c h e r c h é son inspiration ? Doucement, en mangeant, i l aborde le sujet q u i l u i tient à c œ u r .
— J ' a i quarante sept ans... et j ' é t a i s jeune, vers 1930, quand je ressentis l'appel d u Maroc... Je ne fus pas d é ç u . L à - b a s , je trouvais le grand bled, le ciel bleu, l a ferme discipline dont tout A l l e m a n d a le besoin i n n é , et les loisirs variés que l'esprit français sait imaginer.
E t puis, des chefs. L e commandant Boissier et son panache. L e sportif capitaine Foucher. M o n lieutenant Parizot, que je n'oubli-
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rai jamais, et q u i s û r e m e n t se souviendrait de Zeller... J ' e n revois u n autre contre lequel nous pestions : raide, et si radin que nous le surnommions le capitaine Cra-Cra. Mais Cra-Cra allait avoir son jour et sa p o p u l a r i t é . . . Nous remontions de longues m a n œ u v r e s dans les djebels. Cinquante k i l o m è t r e s par jour. E t des loques sur le dos. Cra-Cra ne l â c h a i t rien de ses stocks d ' é q u i p e m e n t s neufs!
Nous doublions les é t a p e s pour arriver à temps à M e k n è s , o ù une grande p r é s e n t a t i o n devait ê t r e faite à u n g é n é r a l inspecteur. A vingt k i l o m è t r e s du but, voilà le capitaine q u i commande halte.
Quoi encore ? Une revue de d é t a i l s sur route ? O r , au heu de cela, i l nous renippe des pieds à l a t ê t e . Nous effectuons l ' e n t r é e l a plus r e m a r q u é e . I l fallait entendre les femmes 1 « A h , ces L é g i o n n a i r e s , ils sortent des pires fonds de brousse et toujours, ils ont l a ve- dette ! ». P o u r nous, Cra-Cra é t a i t i n t r o n i s é .
— Belle é p o q u e de l ' a r m é e française... avec des officiers « trem- pés » par l a guerre de 1914, et p l a ç a n t l a vocation au-dessus d u m é t i e r . .
— Cependant, i l y en eut u n mauvais : l'exception q u i confirme l a règle ? U n lieutenant russe, d'origine mongole. U n e brute. Je veux bien, nous étions difficiles à manier, disparates : mais i l nous traitait comme des serfs. I l fut t u é net par u n de nos camarades allemands, q u ' i l avait mis hors de ses gonds en l'appelant « sale Boche ». E h bien, le conseil de guerre nous donna l a preuve, à pro- pos de cette affaire, qu'une justice nous é t a i t a s s u r é e . E n raison d u meurtre, l'accusé fut c o n d a m n é . Mais en raison de l'insulte r e ç u e , i l n'eut que le m a x i m u m de l a peine de prison. B o n verdict ?
— Impeccable.
L a cafetière est déjà vide. I l claque dans ses mains. L e s boys l a rechargent.
— Des à-côtés, tout ce que je vous a i dit l à 1... C'est le baroud q u i comptait. Nous voyions Bournazel, l ' H o m m e Rouge. Nous rivalisions de prouesses avec les Goums, comme si l a guerre é t a i t u n j e u . E l l e l ' é t a i t . . . Officiers et soldats, nous marchions avec le m ê m e élan. O n ne m ' a d o n n é m o n bout de galon q u ' à l a fin ! Je ne l'attendais pas pour cogner. A h ! si vous pouviez retrouver en France le lieutenant P a r i z o t , i l vous narrerait m i e u x que m o i comment je fus des six premiers à prendre le djebel Maskaert, à 4.200 m è t r e s . E t i l jugerait si j ' a i m é r i t é m a croix de guerre des T . O . E . et m a m é d a i l l e coloniale... I l a fallu H i t l e r pour me briser tout cela !
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— D e quoi s'est donc mêlé l ' H o m m e B r u n , au paradis de l ' H o m m e Rouge ?
— E n 1937, Parizot me donne une permission. « Tes parents seront contents de te revoir, Gunther. Mais reviens. J u r é ? » Inutile de jurer : j ' é t a i s bien décidé à revenir, m ê m e en avance.
E h !,.. je tombe en plein nazisme. Que de changements \ M o n p è r e , n a v r é , me dit que le Nouveau Reich est hostile à l a L é g i o n é t r a n - gère. Pouvais-je exposer m a famille à des représailles, si je re- tournais au Maroc ? J e suis r e s t é . Mais u n guerrier au repos est prédisposé à l'amour... Une jeune Anglaise é t a i t en stage, p r è s de chez nous. Je m'en toque, et l'épouse. Encore fallait-il vivre...
L e t r a v a i l en m é t r o p o l e n ' é t a i t toujours pas fait pour m o i . J'avais un v i e i l oncle é t a b l i sur l a côte nord d u Mozambique : nous partons le rejoindre. A l a Légion, j ' a v a i s é t é artificier, r a d i o - t é l é g r a p h i s t e , mécanicien : je l u i dois tout, en v é r i t é , l'esprit et les mains... A l o r s , je commence à bricoler. J'arrive à monter une usine dont les ma- chines neuves gisaient en souffrance depuis deux ans. D u point de vue m a t é r i e l , mon m é n a g e allait donc bien. Pas d u point de vue sentimental... Quoique deux enfants nous fussent nés, deux g a r ç o n s , m a femme se lassait de l a colonie, et sentant que, m o i , je m ' y attachais, elle se lassait aussi de m o i . I l y a sept ans, elle m ' a q u i t t é , emmenant mes fils pour p r é p a r e r leur avenir à Londres, o ù l'un d'eux est aujourd'hui lieutenant de l a R . A . F . D ' u n commun accord, nous n'avons pas divorcé. Q u i sait ce que le futur réserve ? Nous nous écrivons...
— Ce que vous avez décidé ensemble est t r è s beau. L e mariage est sacré. M ê m e s ' i l traverse une impasse, fut-elle définitive, on n'a pas le droit de le rompre. Comme vous le dites si bien, q u i sait ?...
Il s'assombrit pour l a p r e m i è r e fois, et reste silencieux. Une gorgée de café le d é t e n d :
— C'est depuis ce t e m p s - l à , ou peu a p r è s , que j ' a i r e n o n c é à l a côte, aux petites villes d u Mozambique. J ' a i voulu plus de ce pays, encore si peu a b î m é . J ' a i tout voulu : l a forêt, les hommes i n a p p r o c h é s . Devineriez-vous quelle est m a plus forte jouissance ? M e sentir le premier à fouler une c o n t r é e de brousse... comme j ' a i été dans les premiers à me cramponner au piton d u djebel M a s - kaert...
— P e u t - ê t r e est-ce l a recherche de cette é m o t i o n - l à , et elle seule, q u i m ' a p o u s s é m o i - m ê m e à l'exploration — telle que je l a conçois !
— Vous connaissant u n peu, à p r é s e n t , je n'en doute pas.
Nous sommes frères sur plus d'un point. E n tous cas, c'est comme cela que je vins à l a grande chasse : une guérilla en son genre, o ù je suis e n g a g é en isolé... Mais en respectant certaines règles d'hon- neur : car j ' a i m e les b ê t e s que j'attaque.
— Vous me reparlerez d'elles ?
— O u i , demain, en sortant : car nous allons nous remuer.
Les accus faiblissent. I l d é b r a n c h e le fil de son ampoule élec- trique, et allume une lampe Pigeon. P e n c h é s sur nos verres, nos t ê t e s se rapprochent dans l a tache de l u m i è r e r é d u i t e . I l reprend, plus m é l a n c o l i q u e m e n t :
— L ' a v e n i r . . . l'avenir... c'est m o i q u i y ai fait une allusion, que vous avez reprise ensuite ! E n v é r i t é , jamais je n ' y songe. Je vis au p r é s e n t , sur m a l a n c é e . Mais si quelque m é s a v e n t u r e m ' i m - mobilisait, je crois, pour tout vous avouer, que je ne mettrais pas longtemps à casser m a pipe...
— U n gaillard de votre r é s i s t a n c e ? Allons donc...
— M o n v i e u x , m a r é s i s t a n c e ne v a u t pas mieux que celle d'un câble toujours maintenu aux limites de tension : un rien peut le faire claquer. E t puis, zut ! Je ne vous ai pas i n v i t é pour brasser des idées noires. A l'action, et j ' y suis, l'optimisme est m a l o i . Que diriez-vous d ' u n air de radio ?
— Non-, pas ce soir : je veux rester sur vos épopées marocaines.
— A l o r s , si on se couchait ?
M o n l i t d ' a l u m i n i u m tient juste entre l a t a b l é et les caisses- placards. J ' a i les pieds contre l a couchette de Zeller. I l ô t e sa che- mise, pour se rouler d a n » ses couvertures. D ' é t r a n g e s l a c é r a t i o n s ornent son thorax.
— Est-ce votre œ u v r e ? dis-je.
—. N o n pas... : mais celle d ' u n lion, que j ' a i t i r é et q u i est venu m o u r i r sur m o i . Ses dents se sont p l a n t é e s dans mon é p a u l e droite, tandis que ses griffes me labouraient le corps. Une caresse amicale... : sans doute voulait-il m'emmener au paradis avec l u i ?
Organisation d'un chasseur professionnel. — «Au jus, l à - d e d a n s ! ».
Je dormais comme une brute. C ' é t a i t m o n premier sommeil continu, depuis m o n safari. L u i , i l a d é j à t r a v a i l l é à son moteur, dont l a graisse l u i macule les bras. L e soleil se lève aussi paresseusement que m o i .
— L a douche « type Zeller » est à votre disposition dans l'en- clos paillé contigu à m o n palace.
L ' E M P R E I N T E D E L A L É G I O N 613 Une touque de d i x h u i t litres peut basculer sur u n axe de bois.
Mode d'emploi : faire d'abord tomber u n peu d'eau pour s'enduire de savon, puis tirer tout : le déluge s'abat. O n sort de l à aussi propre q u ' u n b é b é .
L e jus vient, embaumant, en guise d'apéritif. Dehors, les boys ont a l l u m é u n feu d'enfer dans Une niche de mortier : d è s que l a t e m p é r a t u r e sera suffisante, ils enfourneront les boules de p â t e blanche qu'ils a c h è v e n t de p é t r i r sur des planchettes : nous aurons des petits pains.
Faisant alterner le « café colonial » avec le café d u matto, Zeller me montre les deux armes dont i l ne se s é p a r e jamais : les autres sont restées au camp sud. U n e 375 classique, et, objet de sa prédi- lection, une 425 W e s t l e y Richards, à laquelle i l a confectionné u n magasin de neuf balles.
— E l l e m'est surtout précieuse, d i t - i l , depuis que le nombre d ' é l é p h a n t s a d i m i n u é . Car, obligé de ne plus d é d a i g n e r les petites b ê t e s , je dois disposer d ' u n moyen de t i r rapide pour assurer m o n poids'de viande n o r m a l .
— Qu'appelez-vous « petites b ê t e s » ?
— Buffles, zèbres, antilopes.
— Vous avez é v i d e m m e n t u n sens tout personnel des pro- portions ! Mais est-ce que vraiment, contre les buffles, vous pouvez l â c h e r neuf balles de suite sans ê t r e c h a r g é ?
— Nos buffles noirs ne chargent pas. E t quand j ' e n rencontre une troupe, cette W e s t l e y Richards y fait des ravages.
E n m ê m e temps que les boys apportent les petits pains chauds, arrive u n grand Noir, pâli par une longue course : u n agent de liaison d u camp sud. I l annonce que l ' é q u i p e a t u é deux zèbres hier. Zeller n'est pas content. Maigre b u t i n 1
— Dis-leur de continuer à observer les mouvements des élé- phants: Je serai de retour dans deux ou trois jours : i l faut que tout soit p r ê t à ce moment. Mange, et v a !
I l se tourne vers m o i :
— Une v é r i t a b l e s t r a t é g i e , que l a chasse des é l é p h a n t s , à l'heure actuelle ! Ils ont pris une terrible distance. O n a d'abord grand peine à les localiser. Ensuite, cache-cache. Convertis à l a prudence — et D i e u sait s'ils sont malins ! — ils n'approchent les points d'eau que l a nuit, et, a u s s i t ô t désaltérés, retraitent de cin- quante à soixante-dix k i l o m è t r e s . Inimaginable, le chemin qu'ils font ! P r e m i è r e m é t h o d e : les attendre à l'affût et les tirer quand
ils boivent : mais ils s ' é c h a p p e n t vite. E t vous n'en avez q u ' u n ou deux. Seconde m é t h o d e : se lancer à l'aube sur leurs traces à partir de l a mare o ù ils sont venus. Seulement, je vous l ' a i dit, i l leur arrive d'aller au diable vert, et souvent on ne les rattrape q u ' à l a nuit...
— E n ce cas, est-ce que, comme d'autres chasseurs, hélas 1, vous n'utilisez pas de projecteur ? J'en vois u n dans votre arsenal...
— Pas de jeu ! Car alors l ' é l é p h a n t , au lieu d'attaquer, se laisse éblouir et tuer l â c h e m e n t . N o n , je ne me sers de ce j o u j o u - l à que pour m'amuser avec des lions ou des l é o p a r d s . Encore u n « café colonial » ? Quel est le programme ?
— A vous de le fixer.
— E h bien, c o m m e n ç o n s par visiter m o n magasin central.
L ' o d e u r indescriptible de l a viande séchée indique, à distance, l a hutte o ù celle-ci est e n t a s s é e . D e u x tonnes au moins, en couffes de trente à trente cinq kilogs, attendent l ' a c q u é r e u r .
— M o i , je ne l'achemine pas, me dit Zeller : mon client vient l a chercher. Ce s y s t è m e restreint sans doute le volume de mes ventes : mais je ne vise pas l a q u a n t i t é . Vous avez p u voir que m o n t r a i n de vie é t a i t limité... Je me contente donc de soigner l a q u a l i t é .
— I l me semble, à l'aspect de l a marchandise, qu'elle a é t é séchée a u feu, non au soleil ?
— B i e n sûr. Ce q u i vient encore diminuer le poids résiduel : car, à ce traitement, 100 kilogs se r é d u i s e n t à 20 kilogs, alors que je tirerais 35 kilogs en s é c h a n t au soleil. E n contrepartie, j'obtiens 12 écus par kilogs, au lieu de 9 écus autrement. (1)
, — C'est a p p r é c i a b l e .
— I l le faut, car j ' a i bien des d é p e n s e s à amortir.
— Mais l'ivoire ?
— L ' i v o i r e ? I l é t a i t m o n sçul objectif i n i t i a l . I l y avait encore de gros porteurs au d é b u t . U n e fois, j ' a i m a n i p u l é une paire de défenses de 32 et 34 kilogs. E h bien, regardez l a moins mauvaise que j'aie en ce moment : 17 et 18 kilogs. U n e bagatelle !...
Ses boys l a sortent à l a l u m i è r e . I l l'assemble par les pointes, r é a l i s a n t une arche blanche qui l u i arrive sous le menton.
— Pas si m a l i dis-je. E n tous cas, m o n cliché sera excellent.
— H u m 1 vous n ' ê t e s pas difficile. E t puis, pourquoi les cours sont-ils t o m b é s de 100 écus le kilog, l ' a n n é e d e r n i è r e , à 70 ? A h 1 les chasseurs ont b o n dos.
(1) L'écu vaut 17 francs 25.
L ' E M P R E I N T E D E L A L É G I O N 615
L e séchoir est à côté d u magasin. Vaste é t a l de branches entre- croisées à 1 m è t r e 50 au-dessus d u sol. Je raconte à Zeller que du- rant ma colonne à pied, mes Y a o traitaient les quartiers de gnou seulement à u n m è t r e d u feu.
— O u i , me d i t - i l , quand l a viande est d e s t i n é e à une consom- m a t i o n presque i m m é d i a t e : mais, ainsi, elle r é d u i t trop vite, et son ^ i m m u n i t é serait insuffisante pour les livraisons commerciales.
Négligeant de d é j e u n e r d'un c o m m u n accord, nous partons pour u n long tour en brousse qui nous e n t r a î n e jusqu'au soir.
N ' a y a n t p r é c é d e m m e n t c h e m i n é qu'avec mes Noirs, je jouis de cette marche à travers l a nature a u p r è s d'un homme qui l a sent, l'aime, et s'intéresse à ses secrets. E t puis, plus besoin de bara- gouiner petit n è g r e ! Nous parlons librement, fraternellement.
Des a n i m a u x passent comme des flèches sous le taillis. Nous rencontrons des i n d i g è n e s M a t a p o u é et Ngôni, sur les huttes des- quels sont peints, au kaolin ou à l'ocre, des b ê t e s curieusement stylisées.
Les M a k o n d é ont d ' é t o n n a n t s arcs en mohamba et des flèches à pointe amovible, dont j ' é c h a n t i l l o n n e le poison foudroyant.
N ' é t a n t pas musulmans, dans cette c o n t r é e , ils é l è v e n t des porcs : et, pour les p r o t é g e r , chassent les fauves. Ils mangent le l é o p a r d : pas le lion. E t ils ne d é d a i g n e n t pas u n bon serpent grillé.
L a chute d u c r é p u s c u l e , rapide sous les tropiques, nous r a m è n e au campement avec une faim bien gagnée. '
Dédié au général de Gaulle. — Tabagie sous le chaume. Des sardines, dont i l me reste une petite provision, a g r é m e n t e n t le menu. L e légionnaire n'en a v a i t pas m a n g é depuis plusieurs mois I I l en avale une b o î t e e n t i è r e . Ombres silencieuses, ses boys passent dans l a nuit. A u x huttes, une v o i x fredonne une m é l o p é e sur u n air arabe. Zeller, en verve, reparle de chasse... Je l u i demande son souvenir « le plus drôle ».
-— Sans h é s i t a t i o n , celui des deux impallas que j ' a i « enfilés » d'une seule balle. Ils é t a i e n t exactement dans le prolongement r,un de l'autre, le m â l e me p r é s e n t a n t son p o s t é r i e u r . . . : j ' a i visé le milieu de celui-ci, et t r a v e r s é le couple. J o l i coup ?
— E t votre «> plus beau » souvenir ?
— Je n'en ai pas qu'un... A t t e n d e z , que j ' y pense. I l vous incombera de choisir !
I l allume une cigarette, probablement l a q u i n z i è m e depuis que
nous sommes à table, et v a tripoter son poste de radio j u s q u ' à ce qu'il obtienne Brazzaville — o ù passe une chanson à l a Juliette Gréco. Ce sera l'accompagnement musical pour ses histoires.
— P r e m i è r e , commence-t-il. Courte. Des é l é p h a n t s arrivent à un é t a n g — rien que des femelles, avec leurs petits : les m â l e s ont du retard. Elles t â t e n t d'abord d u pied le fond, puis cherchent l a jeune classe, qui craint l'eau et rechigne. Elles l a bousculent, l a poussent de force. Je pense à des b é b é s se d é b a t t a n t contre leur nourrice dans l a baignoire... L e s trompes maternelles saisissent les plus peureux, les douchent copieusement, leur imposent une toi- lette é n e r g i q u e . Merveilleux tableau familial !
« Seconde histoire : longue. Je suis à l'affût, dans l a nuit encore noire. Trois à quatre cents é l é p h a n t s surgissent, g r o u p é s (il faut vous dire que cela date de mes d é b u t s , de l a belle é p o q u e !). Don- nerwetterl C'est fantastique. Je n'en tirerai aucun : je regarderai.
« T o u t ce gros monde se dispute les bonnes places. Clapotis, Barrissements. Bousculades. Chacun s'est o c t r o y é une p r e m i è r e ration, quand u n coup de t h é â t r e se produit : l ' i r r u p t i o n d u sei- gneur.
« Je ne vous apprends pas que les troupes d ' é l é p h a n t s obéissent à des chefs, q u i commandent les mouvements. Plus l a troupe est grande, plus grand est le chef. Celui-ci bat les records... Je situe l a limite de vieillesse entre soixante-dix et soixante-quinze ans : i l doit l a friser. Taille, défenses... et fureur sont à l'avenant. Ce n'est pas u n seigneur mais u n roi, peut-être le roi de la région.
> « I l se fait une t r o u é e , cogne de l ' é p a u l e , frappe des pointes, renverse ses sujets, gronde f é r o c e m e n t . E t l a cause de sa colère est claire : voulant ê t r e le premier en tout, i l n'admet pas de n ' a v o i r pas été attendu à l ' é t a n g . Que les autres s ' a r r ê t e n t de boire, et l u i c è d e n t l'eau, l'eau e n t i è r e ! I l faut voir cette reculade, cette soumis- sion... j'allais dire cette contrition.
« Alors i l s'avance seul, et se d é s a l t è r e , s'asperge en prenant bien son temps. M o n vieux, p e u t - ê t r e est-ce cette scène-là, à laquelle les t é n è b r e s m'obligeaient à assister passif, qui m ' a affranchi de l'idée fixe de tuer ? E l l e ne sortira jamais de m a m é m o i r e . E l l e é t a i t d'une force... p r é h i s t o r i q u e . D'une... Mais on ne chante plus, à Brazzaville ? O n palabre... Ecoutez...
Les airs langoureux ont cessé à l a radio. U n bredouillage leur a succédé. Soudain, i l nous a s e m b l é entendre le mot « D e G a u l l e » . . . Zeller essaye d'augmenter l a t o n a l i t é . L e général fait une d é c l a r a t i o n
L ' E M P R E I N T E D E L A L É G I O N 617 concernant l'Algérie... O n ne peut appliquer l'oreille à deux contre l a petite b o î t e :
— L a place vous revient, me dit l ' A l l e m a n d : vous me raconterez.
E t ce 16 septembre, par hasard, au fond d u matto, m o i q u i depuis bien longtemps ai « décollé » de l ' a c t u a l i t é . . . , je perçois l a grande v o i x s'élevant de l'assemblage à clous et ficelles. J'apprends le formidable tournant politique a n n o n c é par notre p r é s i d e n t l u i - m ê m e .
M o n Général, a p r è s Zeller, u n soldat comme vous, vous aurez é t é l e ^ r e m i e r à me parler français dans l a forêt d u Mozambique...
E t dans quelles hautes circonstances ! Je ne puis vous dire combien cette extraordinaire correspondance avec vous, d'aussi loin, m ' a é m u .
C'est fini. Je fais m o n r é s u m é à Zeller, qui me r é p o n d simple- ment : merci. Il ne me demande pas ce que je pense : non par indiffé- rence, mais, je le sais, par principe. M i l i t a i r e au fond de l ' â m e , i l ne concevrait pas qu'une décision d u chef de mon pays fût discu- table par m o i .
Les adieux du légionnaire. — Ce m a t i n en b u v a n t le café, Zeller se livre à des savantes d é c o n n e x i o n s et reconnexions pour adap- ter son poste à l a longueur d'ondes de 60 m è t r e s sur laquelle, entre 7 et 8 heures, Moueda envoie des instructions à N é g o m a n o . Nous apprenons b i e n t ô t que Spinola au eu... u n g a r ç o n , et fait route vers son poste en compagnie de l'administrateur.
— Celui-ci vient pour vous, s'écrie Zeller : partons dare-dare, afin d ' ê t r e au rendez-vous.
L a course d u v i e u x t r u c k est interrompue pour une poursuite à pied de koudous, qui ont c o u p é l a piste devant nous. L e légion- naire en tue u n premier à vue, a p r è s une pointe au pas gymnastique.
E t u n second, cependant dissimulé par des "feuillages, après un nouveau cross-country. D e u x m â l e s . . . Je n ' a i cessé de le filmer à quelques m è t r e s derrière l u i .
I l est plus de m i d i quand nous entrons au poste. A v a n t que j'aie p u féliciter Spinola, c'est l u i qui me félicite de mes p r é d i c t i o n s de naissances... L ' a d m i n i s t r a t e u r Soarès, jeune, direct, manifeste un vif i n t é r ê t à m a descente d u R o v o u m a , et propose de m'emmener en sortant de table pour p r é p a r e r mon embarquement.
— Vous me lâchez... fait Zeller. A h ! S i le m é t i e r ne me tenait pas, je naviguerais bien avec vous !
Mais i l est de ceux auxquels une bonne rencontre redonne courage, au lieu de laisser, ensuite, de vaines nostalgies. I l blague, sourit, fume, fait une cure de whisky... E t en fermant l a p o r t i è r e de l'automobile de Soarès, i l me crie :
— O n se voit... O n se quitte... O n se rappellera... C'est l a vie ! Q u i sait si nos pas ne se croiseront pas de nouveau ? E n tous cas, Zeller reste votre homme !
E t comme l ' u n de ses talents accessoires est de parler aussi bien portugais, français, anglais qu'allemand, i l me dédie des good bye en quatre langues.
G r a n d c œ u r , et t e m p é r a m e n t à l a hauteur de sa lutte. T a n t d'autres chasseurs ne sont que force : i l a en plus, l u i , une â m e intacte et une touchante sensililité.
F R A N Ç O I S B A L S A N .