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Violence scolaire : climat de prévention et direction d’établissement

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n°13 | Printemps 2012 Varia

Violence scolaire : climat de prévention et direction d’établissement

Violence at school: preventive atmosphere and management Violencia escolar : clima de prevención y dirección del centro

Laurence Thouroude

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/sejed/7439 ISSN : 1953-8375

Éditeur

École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse

Référence électronique

Laurence Thouroude, « Violence scolaire : climat de prévention et direction d’établissement », Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], n°13 | Printemps 2012, mis en ligne le 25 novembre 2013, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/sejed/7439

Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019.

Sociétés et jeunesses en difficulté est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Violence scolaire : climat de prévention et direction d’établissement

Violence at school: preventive atmosphere and management Violencia escolar : clima de prevención y dirección del centro

Laurence Thouroude

Problématique de la violence et climat scolaire

1 La violence en milieu scolaire se développe en fonction de certains contextes : économique, social, familial, individuel. Les collèges implantés dans les zones défavorisées sont particulièrement touchés. Éric Debarbieux a pointé l’importance des inégalités sociales devant le risque de violence en France. « Ainsi, alors que près de 16%

des élèves scolarisés en zones d’éducation prioritaires disent être victimes de violences à répétition, ils ne sont que 11% hors de ces zones prioritaires1

2 Pourtant, force est de constater que la violence scolaire est loin de se réduire à la violence du quartier importée dans l’école. En effet, les facteurs liés à l’institution scolaire ont fait l’objet de nombreuses recherches (Debarbieux, Dubet, Pain, Payet).

3 Pourquoi, à recrutement social équivalent, certains établissements réussissent-ils mieux que d’autres à créer et maintenir un climat serein ? Pour être en mesure de répondre à cette question, il nous faut d’abord appréhender le concept de climat scolaire, et étudier ses répercussions sur le phénomène de violence scolaire.

4 Daniel Sibony (1998) montre les liens entre violence et angoisse ; entre violence et processus identitaires, notamment les enjeux narcissiques qui y sont associés ; entre violence et injustice, nous dirons ici plus justement « sentiment d’injustice » car nous ne savons rien de la réalité des faits. « Pour mieux comprendre la violence, il faut creuser en deçà de la peur, vers l’angoisse ; elle repose sur un effet – la rupture de loi – qui justement est aux racines de toute violence2. »

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5 Dans la même perspective, Jacques Pain définit la situation violente comme « une situation relationnelle à enjeux narcissiques. De l’angoisse. Une clôture (pas de fuite possible), qui amène l’agression3 ». Jacques Pain développe l’idée qu’aujourd’hui, « la société française et l’école française reposent fondamentalement sur de l’angoisse4».

6 Comment caractériser le passage de la violence-angoisse à la violence-climat social ?

7 Christophe Bittolo, dans une étude consacrée à la psychopathologie des ambiances, emploie alternativement les termes d’ambiance, d’atmosphère ou de climat pour décrire une même réalité subjective de la vie des groupes et des institutions. Bittolo dit de l’atmosphère institutionnelle qu’elle « traduit l’état sensoriel et émotionnel d’une structure dans ses fonctions principalement d’appartenance, de cohésion et de cohérence

5».

8 Selon Jacques Pain, l’attention des professionnels en milieu scolaire doit se porter sur le climat de la classe et de l’établissement. Il écrit à ce propos : « Le climat d’un établissement scolaire c’est sa santé mentale [...] Le climat social passe essentiellement par ces trois analyseurs : la politique des apprentissages, la multiculture du lien social et la pratique de la démocratie6

9 Éric Debarbieux relie également le climat social au lien social. « La résistance plus ou moins grande à la violence scolaire est largement dépendante de la qualité du lien social existant entre les professionnels de l’école, mais aussi entre l’école et son quartier7.» Il souligne l’importance de l’influence du climat scolaire sur le risque d’apparition de comportements violents.

10 Pour Éric Debarbieux, le climat scolaire est lié à la clarté des règles et au « sentiment de justice scolaire8 ». Nous avons nous-même montré lors d’une précédente étude sur les collèges (Thouroude, 2011), qu’une gestion inadéquate des conflits quotidiens peut générer des comportements violents, quel que soit le milieu social des élèves. Si la violence peut être en partie produite par les professionnels, elle peut donc être également évitée dans la plupart des cas. En conséquence, la prévention des violences par les facteurs scolaires est possible et elle a fait ses preuves dans un certain nombre de collèges réputés difficiles.

11 Parmi les facteurs scolaires étudiés dans les recherches internationales, nous avons fait le choix de nous centrer sur la direction d’établissement. La fonction de direction est mal connue, mal comprise, et elle mérite de s’attarder, de faire connaître ses complexités et son importance. Les recherches de Debarbieux et son équipe, dans les établissements scolaires (1999, 2006), montrent que les effets liés au management sont très importants quant à la qualité du climat scolaire. Le style de la direction joue un rôle essentiel dans l’augmentation ou la réduction des actes de violence. C’est pourquoi nous sommes allées chercher des réponses préventives de la violence scolaire du côté de la direction d’établissement.

12 En ce qui concerne plus précisément les effets liés au management, les travaux de Kurt Lewin pendant la Seconde Guerre mondiale, sur la dynamique des groupes, représentent un apport essentiel pour l’analyse des phénomènes de leadership. Lewin a montré comment la modification d’un type d’autorité entraîne la modification du climat social du groupe. Les résultats obtenus en situation quasi-expérimentale s’avèrent transposables aux situations naturelles et n’ont pas perdu leur validité.

13 Sur le plan international, les résultats de plusieurs synthèses sur les effets des programmes d’intervention et de prévention des violences scolaires menées à grande

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échelle aux USA9, permettent de déterminer les critères et les conditions de l'efficacité de ces programmes. Éric Debarbieux (2006) a recensé les résultats de ces travaux, d’où se dégagent des éléments de consensus. Parmi ces éléments se trouvent en première ligne : l'amélioration du climat scolaire, les règles et normes de comportement claires et communes à l'établissement, le type d'implication des élèves dans le groupe de pairs (apprentissage coopératif).

14 Les programmes efficaces sont marqués par une présence forte des adultes au sein de l'établissement scolaire. L'incitation à la démarche coopérative, l'instauration d'une culture pacifiste permettent d'améliorer les résultats scolaires, de réduire la violence et de renforcer le sentiment d'appartenance à la communauté scolaire. Les programmes les plus efficaces sont basés sur l'encouragement et la coopération, non sur la répression. Le personnel est impliqué et motivé, formé et engagé à soutenir les interventions sur le long terme, avec un suivi régulier de leurs effets. Éric Debarbieux souligne que « la qualité d’un programme est largement dépendante de la manière dont les équipes s’en emparent, avec une place particulière faite à l’adhésion réelle au programme du chef d’établissement10.».

15 Jacques Pain (2006) met à jour onze facteurs de prévention à partir de ses enquêtes européennes, parmi lesquels les directions, qu’il relie directement au climat scolaire.

« Les directions sont essentielles à la vie d’un établissement. Ce sont elles qui fabriquent le climat, qui mettent la touche finale à l’ambiance11 ». Il ajoute : « Au XXIe siècle le

« contact » est à lui seul une pratique de la réussite pour un établissement scolaire12

16 Les conclusions des recherches actuelles nous amènent à formuler l’hypothèse qu’une gestion adéquate des conflits et violences passe par une direction forte et structurée, bienveillante à l’égard des enseignants qu’elle soutient, comme à l’égard des élèves, qu’elle considère tels qu’ils sont, avec leurs difficultés et avec leurs potentialités. Le changement de regard sur ces publics est un élément essentiel de la prévention des violences dans l’établissement. Ce changement de regard passe par la fonction de direction, et c’est ce que nous allons aborder dans la présente recherche.

Méthodologie

17 Notre méthodologie s’appuie sur l’analyse d’un documentaire intitulé « Madame la Principale», réalisé en 2001 par Thierry Delestrade dans un collège de Saint-Denis classé en ZEP (Zone d’éducation prioritaire), réputé pour son taux de violence élevé avant l’arrivée de la Principale, trois ans avant la réalisation du film. Le réalisateur a bénéficié d’un accès libre et permanent dans l’établissement pendant dix mois. La caméra est centrée sur la personne de la Principale (mais pas exclusivement) et sur la gestion des conflits quotidiens qui ponctuent la vie de l’établissement. Nous avons appelé la Principale « Madame la Principale », afin de respecter à la fois l’anonymat et l’esprit du documentaire. Pour les élèves et les enseignants, nous avons utilisé une initiale de façon tout à fait arbitraire, afin de préserver l’anonymat des personnes.

18 Nous avons sélectionné des séquences filmées qui relatent des situations qui posent problème : enseignants déstabilisés ou victimes, élèves indisciplinés, agresseurs ou victimes. Nous avons analysé les réactions des professionnels face à ces situations, les modalités de gestion des conflits et les effets des réponses mises en œuvre par l’équipe.

Les séquences relatées dans ce documentaire nous éclairent sur les caractéristiques d’une

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gestion juste et efficace des situations violentes, permettant l’instauration d’un climat de sécurité dans l’établissement, en dépit des conflits fréquents. Les dialogues entre les protagonistes ont été intégralement retranscrits.

19 Nous insistons sur les éléments importants de prévention des violences à travers l’analyse du discours et des postures de la Principale du collège qui impulse un climat favorable au quotidien. Plus précisément, nos analyses s’attachent à dégager les éléments-clés d’une posture éducative de prévention des violences et les processus qui participent d’un climat scolaire positif.

Présentation et analyses des séquences filmées

Discours d’accueil

20 Dans le documentaire intitulé « Madame la Principale » réalisé par Thierry Delestrade en 2001, la Principale se présente à l’équipe enseignante et expose ses conceptions pédagogiques à l’attention des nouveaux enseignants. Elle adopte d’emblée un discours clair, un ton ferme, mais néanmoins bienveillant.

« Comme vous arrivez, je compte sur vous pour que vous preniez en marche, je dirais, ce qu’on a essayé de faire depuis quelques années. C’est un peu brutal, mais vous n’êtes pas ici seulement pour enseigner. Vous êtes ici aussi pour éduquer. Et quand vous voyez un élève dans le couloir qui fait quelque chose que, d’après vous, il ne devrait pas faire, dites-le lui. Aucun adulte ne doit passer à côté d’un enfant en difficulté, je dirais parce que dans le fond, faire une chose interdite c’est bien être en difficulté, sans manifester son intérêt d’adulte. »

21 Elle précise que cet échange fait partie du projet d’établissement et n’hésite pas à aborder les difficultés liées aux spécificités du public scolaire accueilli.

« Vous allez avoir à faire à un public qui a besoin de contacts duels, tous les enfants, de la 6e à la 3e. Il y a un biais pour arriver jusqu’à eux. Il y a une façon d’arriver jusqu’à eux, il faut la trouver. Ce n’est pas simple, hein. On a quelques cas difficiles, vous les repérerez très vite. Mais même eux, et surtout eux, ils ont besoin d’aide. Il y a une petite phrase qui dit : « La beauté est dans les yeux de celui qui regarde. » Eh bien, je crois moi, que pour les élèves, si vous voulez que quelque chose change chez eux, c’est votre regard qui doit leur apporter ce changement. C’est la façon dont vous allez les voir, les considérer, leur parler qui va faire qu’ils vont vous écouter ou pas. »

22 Les élèves sont au centre des préoccupations de la Principale, la lutte contre la violence est un souci constant. Les difficultés ne sont pas sans remède : pas de fatalité donc, mais des incitations fortes à porter un regard positif sur les élèves.

23 Charles Gardou montre l’importance d’une « lecture en positif » des sujets en difficulté, c'est-à-dire un regard centré sur les potentialités et non sur les manques. Il rappelle le caractère interactif de la situation d’échec. « Le mot "échec" contient, sans équivoque, l'idée d'intervention extérieure et d'interrelation. L'enfant seul, coupé des tiers (comme l'enfant sauvage l'était), ne saurait connaître, littéralement parlant, d'échec, puisque l'échec vient du désir de l'autre. Être en échec signifie précisément avoir été mis en échec13 . » Les propos de Charles Gardou nous semblent s’appliquer autant aux problèmes de comportements qu’aux problèmes d’apprentissages.

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24 La Principale montre son intérêt pour les élèves accueillis. Elle prend la peine de se déplacer dans chaque classe de 6e pour un discours d’accueil des élèves, et aussi de leurs parents, en présence du professeur principal.

« Je suis venue me présenter et je voudrais aussi vous présenter les gens avec qui je travaille. Mais je vous rappelle que nous travaillons tous pour vous, d’accord ? Si nous sommes là, c’est pour nous occuper de vous, de vous les enfants du collège Pierre Degeyter. Bon, vous savez que, au collège, il y a un certain nombre de choses qui ne sont pas acceptées. Pour les garçons, par exemple, c’est la casquette… Pas de portable. Mesdames et Messieurs les parents, pas de portable. Parce que pour nous, c’est un objet de litige ici. C’est un objet qui attire la convoitise, qui attire l’attention des autres. Et puis ce n’est pas un objet qui est nécessaire pour apprendre à l’école. Je vous laisse comprendre la difficulté que vous aurez de venir nous convaincre de vous rendre les portables que vous aurez confiés à vos enfants.

Vous aussi vous devez vous conformer à certaines règles du collège. Elles ne changeront pas pour vous. ».

25 Le discours adressé à la fois aux élèves et aux parents pose un cadre solide et rassurant quant au souci affirmé de la réussite des élèves, dans un climat serein qui se veut propice au travail. La notion d’équipe est présente, la cohésion et la cohérence sont affirmées quant aux buts communs. Le discours d’accueil est important, pour les enseignants comme pour les élèves et leurs parents.

26 Les rituels d’accueil sont également importants. Tous les matins, on trouvera la Principale au portail de son établissement et elle aura un petit mot d’accueil pour chacun. Elle est présente aux entrées et aux sorties, en particulier en période de rentrée et avant les vacances scolaires. À la fin du trimestre, elle leur souhaite de bonnes vacances, elle accompagne ses paroles bienveillantes de quelques tapes amicales dans le dos et de sourires encourageants.

27 Rémi Casanova (2000) montre l’importance des moments de transition dans l’espace pédagogique. L’accueil quotidien est un moment privilégié et déterminant pour le climat du groupe. C’est un temps transitionnel (au sens de Winnicott, 1975) entre l’espace extérieur (espace privé de la famille) et l’espace public de l’école. Ce moment de passage mérite d’être ritualisé.

28 Jacques Pain souligne l’importance des rituels dans la prévention de la violence quotidienne. « Les techniques et les combats réglés sont des médiations, qui décollent le pratiquant de ses cristallisations imaginaires, de ses craintes « schizo-paranoïdes » et lui assurent un chemin de passage vers un peu plus de calme intérieur14.» Les rituels tiennent une place importante dans le cadre des pratiques de combat, tenant lieu également de protections contre la violence. Hélène Benigño souligne le rôle d’intégration sociale du rituel, en tant qu’il unit des individus d’une communauté. « Le rituel crée et perpétue régulièrement des sentiments collectifs15. »

29 Jacques Pain (1993) identifie l’accueil comme un élément de prévention des violences scolaires, au même titre que l’organisation de la vie scolaire, la pédagogie, et l’éthique.

L’éthique est fondée sur l’écoute et le respect de la parole de chacun.

30 Rémi Casanova (2000, 2004) développe le principe d’efficacité éthique, qui se décline dans ce qu’il nomme les « 4R ». « La complexité des causes entraîne une pluralité de réponses qui peuvent s’intégrer dans une règle en quatre points. Ce sont les 4R : Repères, Responsabilisation et Reconnaissance débouchent sur le Respect, la notion centrale de toute relation humaine viable16

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31 Jacques Pain et Rémi Casanova considèrent le respect comme un principe de la relation humaine, qui doit se confirmer dans les pratiques institutionnelles. C’est ce que nous observons dans les situations problématiques qui se déroulent dans ce collège. Comme le souligne Rémi Casanova, « l’efficacité éthique n’existe que par ses manifestations concrètes. Elle prend tout son sens dans le modèle socialisant des 4R, quatre points qui deviennent la base de la pédagogie humaniste et efficace adressée aux élèves comme au maître en les impliquant également17 ». Les manifestations concrètes de l’efficacité éthique sont précisément au cœur de notre étude et tous les acteurs sont concernés, les élèves comme les professionnels.

Enseignants en difficulté

32 Si les élèves sont en difficulté dans leur grande majorité, on peut dire que les enseignants le sont aussi. C’est ce qui fait dire à Brigitte Montfroy à propos des enseignants des ZEP que « la difficulté professionnelle de l’enseignant est au centre du vécu de la difficulté scolaire de l’élève18 ». Ce constat ne doit pas cependant mener au fatalisme. Les difficultés des enseignants comme celles des élèves peuvent être combattues, réduites voire prévenues par la présence et le soutien de tous les acteurs de l’établissement.

33 Dans le documentaire de Thierry Delestrade (2001), les enseignants du collège savent qu’ils peuvent trouver du soutien auprès de l’administration en cas de difficulté. C’est ce que montre la situation suivante.

Mme L, jeune enseignante de mathématiques nouvellement nommée dans le collège, se rend dans le bureau de la Principale, pour exprimer son désarroi et chercher du soutien.

Mme L: « Escalier B, escalier C, escalier D, des tags à tous les étages…

La Principale : « Vous me direz aussi combien il y en avait, et j’aimerais aussi savoir le texte des tags, parce que ça aussi c’est important… »

Effaçage des tags par les élèves… (« Fuck la police », « Nic les keufs », « 93 »).

La Principale : « Mme L, les choses graves, c’est quoi pour vous ? ».

Mme L : « …Pour moi, c’est le compas, la paire de ciseaux. J’ai reçu un morceau de règle dans la figure… et j’ai reçu des boulettes dans le dos, mais ça, c’est pas grave. ».

La Principale : « Oui, oui, mais…mais enfin, tout est grave là, hein ? Parce que vous comprenez ? Parce que je crois qu’il ne faut pas faire la différence, il y a des objets plus dangereux que d’autres ! Mais là, c’est l’acte. Ils sont en train de passer à l’acte, donc c’est grave ! Et la boulette aussi c’est grave ! Parce que ça a un effet d’entraînement ! ».

Mme L : « Et sinon, ce matin donc, ils ont mis un chewing-gum dans la serrure et d’ailleurs j’ai été le signaler à l’intendance. La serrure va avoir un léger problème. Je n’arrivais pas à enlever ma clé ce matin quand j’ai fermé la salle. J’ai été obligée de descendre pour qu’on vienne m’enlever la clé de la serrure. ».

La Principale : « Bon, je dois dire que c’est à la fois très classique et toujours aussi inacceptable. Mais je crois que le chewing-gum dans les serrures, ce n’est pas vraiment… Tant qu’on n’aura pas des cartes magnétiques ou… mais non, mais ils inventeront autre chose ! ».

Mme L : « Mais non, mais vu les évènements qu’il y avait… s’ils se permettent de faire ça, c’est que … vraiment… Voilà ! ».

La Principale : « Mais c’est parce que vous arrivez, d’accord ? Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas assez sévère. C’est parce que là, ils

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ont trouvé le moyen d’entrer hein ? Voilà, de profiter de la situation et ils en profiteront si on ne les arrête pas toute l’année ! Et l’année prochaine, ça ira mieux, simplement il faut vivre un an comme ça, hein ? ».

Mme L : (elle rit) « Un an comme ça ? ».

La Principale : « Non, mais… enfin, si on peut éviter, évitons ! Parce que d’abord ça fait perdre du temps à tout le monde et puis vous, vous n’êtes pas obligée hein, de supporter pendant un an cette…

Bon. Moi j’trouve que vous, enfin, d’après ce que je vois, vous tenez pas mal le coup ! ».

Mme L : « Je tiens le coup, oui, mais bon… Je leur ai dit : « bon là, je ne fais pas cours. » Ils m’ont dit : « et demain qu’est-ce qu’on fera ? » Je leur ai dit : « peut-être que je vais essayer de faire cours, mais moi je ne fais pas cours dans ces conditions là ! » Je veux dire, si à chaque fois je me retrouve… ».

La Principale : « C’est une bonne tactique je trouve, hein ? ».

34 Cette enseignante se trouve désemparée face à des comportements d’élèves qui parasitent son activité professionnelle et qu’elle ne comprend pas. Mais, la Principale s’attache à mettre en mots ces comportements, à leur donner un sens et lui fait savoir qu’elle n’est pas seule face à ses problèmes que l’on peut qualifier « d’autorité éducative » (Prairat, 2010). La qualité d’écoute autant que les propos rassurants de la Principale sur la confiance qu’elle accorde à la jeune enseignante ont valeur de réassurance et d’encouragement pour Mme L, face à ses difficultés quotidiennes. La reconnaissance de ses difficultés par la Principale engage Mme L à ne pas baisser les bras.

35 Il importe en effet de lutter contre l’isolement social, en particulier en milieu scolaire difficile. Éric Debarbieux soulève le problème de la solitude de l’enseignant dans sa classe.

« En France, cette difficulté est amplifiée par l’isolement social des jeunes enseignants qui viennent d’obtenir leur premier poste19.» Cette situation est associée à un turnover important dans les zones difficiles, c'est-à-dire de nombreux changements d’affectation en fin d’année scolaire. C’est le cas de cet établissement, où de nombreux jeunes enseignants sont affectés.

36 Une autre jeune enseignante en difficulté, Mme X, se rend dans le bureau de la Principale, où se trouve également la CPE, qui reste silencieuse durant l’échange avec l’enseignante déboussolée.

Mme X : « Il y a un tabouret de cassé, la porte, il y a plein de crachats dessus, donc je l’ai fermée, j’avais la main pleine de crachats. J’ai reçu plein de projectiles, des stylos et autres, des gommes, je ne sais pas, enfin, bon, ça ne peut pas durer comme ça… Il va falloir faire quelque chose ! (silence) Avec S, moi je ne comprends pas ce qu’il fait, S. Il rentre dans les cours, il sort, il revient, il repart, il fait ce qu’il veut ! Enfin, moi c’est la première fois que je vois ça ! Je ne comprends pas du tout ! Soit il vient, soit il ne vient pas ! Mais il rentre, il repart… Je ne comprends pas, vraiment ! ».

La Principale : « Mais quelle est votre attitude quand il se passe ce genre de choses ? ».

Mme X : « Ben, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Il a l’air de faire ce qu’il veut, donc… euh… ».

La Principale : « Non, mais attendez, c’est quand même bien vous le professeur, c’est vous l’adulte, c’est pas lui ?! ».

Mme X : « Bah oui… Il dit : « bah ! moi je viens pas aujourd’hui », et puis personne lui dit rien… alors bon… ».

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La Principale : « Non, S est en difficulté, hein, extérieure, bon. Il est difficile, il a besoin de l’attention des adultes. S, il n’a pas un seul copain dans ce collège, pas un seul copain ! »

Mme X : « Même dans la classe ? ».

La Principale : « Non, non, non ! Il n’est copain avec aucun gamin ! Il a besoin des adultes et ce besoin des adultes est complètement délirant ! Alors, ça veut dire qu’on doit arriver à… qu’à mon avis on doit arriver à capter son attention et à la transformer vers quelque chose de positif ! ».

L’enseignante rit : « Il va falloir une formation supplémentaire rien que pour le cas S ! »

La Principale : « Vous rigolez, mais nous, on est allé voir le Docteur C, hein ? …qui est pédopsychiatre. On est allé lui demander conseil, parce qu’à un moment donné, on ne savait plus quoi faire, quoi ! Vous parlez de formation supplémentaire, on est en train de se former sur le tas, sans arrêt !... ».

37 Le rire et l’humour qui terminent cette séquence montrent bien que la Principale réussit à la fois à dédramatiser la situation et à déculpabiliser l’enseignante, envahie par un sentiment d’impuissance. La Principale, par son écoute, aide Mme X à reprendre confiance en elle et la rassure quant à son pouvoir de faire face aux difficultés, en lui signifiant d’abord qu’elle les comprend et les partage. Mme X se sent donc moins seule et ce soutien l’incite là encore à ne pas céder au découragement.

38 De plus, la Principale apporte un autre regard sur l’élève S et invite l’enseignante à le considérer comme un garçon en souffrance, qui vit dans la solitude par rapport à ses pairs, et non plus seulement comme un élève perturbateur. Cette attitude qui consiste à induire un changement de regard sur un élève en difficulté est un outil pédagogique précieux pour les relations futures entre enseignants et élèves.

39 Les recherches sur le contexte scolaire local (Charlot et Émin, 1997 ; Debarbieux, 2006, 2008) montrent que le soutien reçu par les enseignants en cas d’incident est un facteur de protection primordial contre la culpabilité et la dépression. « La première base pour une action efficace est d’augmenter l’identification collective dans les établissements, celle des professionnels comme celle des élèves (Osborne, 2004)20

Classes indisciplinées

40 Le documentaire nous montre à plusieurs reprises des classes indisciplinées. La problématique de l’indiscipline est en effet très présente dans l’école d’aujourd’hui. Le rapport distendu aux normes et aux règles oblige les enseignants à faire face à une multitude de petits désordres quotidiens.

41 Dans la séquence qui suit, la Principale se déplace dans la classe pour parler aux élèves en présence de Mme L, jeune enseignante de mathématiques, qui rencontre des problèmes de discipline.

Mme la Principale suivie de deux surveillantes et de l’infirmière, frappe et entre dans la classe.

Les élèves se lèvent. Silence solennel.

Et soudain, un élève dissipé se manifeste.

La Principale : « S’il te plaît !... ».

Elle attend le silence total.

La Principale : « J’ai l’intention de vous faire faire des mathématiques avec Madame L. toute l’année, et avec personne d’autre ! Et ça il faut que vous le compreniez.

Alors votre attitude en maths doit changer ! À un élève au sourire moqueur : Si tu trouves ça drôle, tu sors ! »

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Silence.

« Qu’est-ce que vous pensez, vous, d’un cours où le professeur est obligé de rester en face de ses élèves pour pouvoir faire cours, parce que sinon, il reçoit des projectiles ?...Qu’est-ce que vous pensez des gens qui sont en face du professeur ? ».

Silence.

« Moi, je vous trouve d’un courage extrême ! Moi je trouve que dans la vie des hommes et des femmes comme vous, parce que vous allez devenir des hommes et des femmes, et bien je vous plains, figurez-vous !

Ah, c’est facile de lancer des choses quand on a le dos tourné ! Tout le monde peut le faire ! Seulement tout le monde ne le fait pas ! »

Silence.

« Maintenant, je voudrais vous poser une question : si un jour vous êtes dans la situation de Madame L … »

Silence.

« …Vous aurez le courage d’affronter tous les jours de la semaine des gens comme vous ? Vous aurez le courage ? Puisque aujourd’hui, vous êtes des lâches, vous agissez par derrière, quand vous serez plus grands, vous aurez le courage, vous d’affronter ce qu’elle affronte en ce moment ? ».

Silence.

La Principale sort de la classe et s’adresse aux adultes :

« Je crois qu’on va y arriver avec cette classe… Malgré les apparences parce qu’il y a pas mal d’élèves, là, qui sont sur le point de virer… Enfin, je suis peut-être optimiste en disant cela, hein ? ».

42 La Principale appelle les élèves à se décentrer pour analyser les effets destructeurs de leur comportement sur l’enseignante. Elle fait appel à leur responsabilité individuelle et collective pour les aider à gagner en maturité, afin qu’ils deviennent en mesure d’abandonner peu à peu leurs comportements néfastes. Cette intervention aura des effets positifs et l’indiscipline deviendra moins présente au cours de l’année. Mme L parviendra à surmonter ses difficultés dans sa relation au groupe classe et prendra plaisir à exercer son métier. En entretien avec le réalisateur, elle avouera bien aimer ses élèves, « toujours volontaires pour faire quelque chose ».

Enseignants victimes

43 En dehors de la problématique de l’indiscipline, aux effets diffus, il arrive qu’un enseignant soit directement pris pour cible par un élève et devienne sa victime. L'extrait suivant montre l'élève H dans le bureau de la CPE (Conseillère principale d’éducation) avec Mme L, enseignante de mathématiques, qui vient chercher réparation pour l’agression causée par H.

Mme L : « Bon, H, tu es là parce que tu m’as mis la balle dans la figure. ».

H : « Oui, mais c’est pas moi qui vous a mis la balle dans la figure. ».

CPE : « Et pourtant, Mme L t’a vu ! ».

H : « Mais c’est pas possible ! ».

CPE : « Madame L te voit et toi tu continues à dire que ce n’est pas toi ! ».

H : « C’est pas moi, comme si j’avais jeté la balle dans la figure ! ».

CPE : « Alors, ça veut dire quoi ? Que Madame L a rêvé ? Qu’elle ment ? ».

H : « Je sais pas… (vers l’enseignante) Mais, vous avez bien vu que c’était moi ? ».

Mme L : « Oui. ».

CPE : « Mais si ! ».

H : « Bah non ! ».

CPE : « Mais si H, c’est possible ».

H : « C’est pas possible, c’est pas moi ! ».

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44 Mme L a l’air atterré pendant cet échange avec la CPE. Elle sait que l'élève ment, mais il continue de nier sa responsabilité. La CPE comprend que la situation est bloquée pour le moment et elle n'insiste pas. Il est parfois utile de savoir différer la gestion d'une situation violente. La suite du récit le confirmera. Le garçon avouera finalement avoir lancé la balle à la figure de Mme L.

45 Étant encore dans la première semaine de l’année scolaire, la Principale décide de changer H de classe. Elle se rend elle-même dans la classe pour annoncer ce changement aux élèves, puis elle convoque H pour un entretien individuel dans son bureau. La situation trouve ainsi une issue et la victime obtient réparation.

46 Un incident plus grave est arrivé : une enseignante a été frappée par un élève après lui avoir mis un zéro à un devoir, car elle l’accusait de tricherie. La CPE prévient aussitôt les parents de l’élève, qui sont convoqués dans le bureau de la Principale.

47 Les parents doivent toujours être considérés comme des partenaires de l’éducation et être informés à ce titre du comportement de leur enfant dans l’établissement. Responsabiliser les parents permet de régler les problèmes de violence en trouvant des solutions efficaces dans l’immédiat et éducatives à plus long terme. Rémi Casanova souligne à ce propos que

« les parents appelés après une situation violente viendront en confiance, parce qu’ils savent, d’expériences, que l’école travaille avec et pas contre eux21 ».

48 L’élève Z, qui a frappé l’enseignante, est d’abord convoqué individuellement. Il se tient dans le bureau de la Principale, en présence de la CPE.

La Principale : « Z, dis-moi, comment est-ce que tu as pu faire, ce que Madame X m’a dit que tu avais fait ? Comment est-ce que tu as pu faire ça ? ».

Z : « Elle m’a dit que j’ai triché, et j’ai pas triché, elle m’a mis zéro. ».

La Principale : « Bon, d’accord. Elle te dit que tu as triché et tu n’as pas triché. Et c’était vrai que tu n’avais pas triché ? ».

Z : « J’avais pas triché ! ».

La Principale : « D’accord, elle te met zéro, ok ! Et après qu’est-ce que tu fais ? Z : « Après je me lève, elle commence à crier sur moi. ».

La Principale : « Pourquoi tu t’es levé ? ».

Z s’énerve : « Parce que… elle a dit que j’ai copié ! J’ai pas copié sur R, après elle a crié sur moi ! ».

La Principale : « Va doucement, doucement… Est-ce que tu te rends compte de ce que tu viens de faire ? Tu viens de frapper un professeur qui n’était là que pour faire son métier ! ».

Silence.

La Principale : « Tu comprends que c’est grave ce qui vient de se passer ? On ne peut pas excuser ce que tu viens de faire, c’est pas possible ! Z, regarde-moi, tu comprends ça ? Est-ce que tu comprends ce que je te dis là ? Parce que tu penses que les choses se règlent comme ça : on te fait une injustice et tu frappes, c’est ça ? Est-ce que tu veux vivre comme ça, Z ? On te fait une injustice et tu frappes ? Tu sais que ça peut aller loin comme ça, on peut se tuer aussi, hein ? ».

Silence.

La Principale : « C’est la première fois que tu fais ça ? » À la CPE : « C’est un garçon violent Z, d’habitude ? ».

La CPE : « Non, il s’énerve… ».

La Principale : « Non, mais ça il s’énerve, ça je le sais. C’est un énervé à fleur de peau ! ».

La CPE : « Non, c’est au plus verbal quand il perd le contrôle de lui-même. ».

La Principale : « Mme X va porter plainte. Et moi je vais faire un signalement. Non, mais c’est pas euh… Tu ne peux pas hausser les épaules hein ? C’est pas possible hein ? Il s’agit de ta vie là hein ? Moi je ne peux pas accepter que dans le collège, il y

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ait des gens qui se dressent comme ça contre les professeurs et les frappent ! Enfin, est-ce que tu comprends ça ?... ».

49 La Principale recueille la version de l’élève et lui pose des questions afin de bien comprendre ce qui s’est passé. La violence cache en effet une plainte, qu’il convient de faire émerger. La Principale lui signifie aussi que le passage à l’acte marque la limite du supportable. Jacques Pain définit ainsi les situations de passage à l’acte : « Ces situations violentes quotidiennes, ordinaires, sont des interactions humaines, mais des interactions mal gérées, impliquant fortement le narcissisme et la subjectivité des uns et des autres22

Lorsque le sentiment d’injustice vient se greffer à la frustration de la « mauvaise note », le narcissisme de l’élève est durement touché.

50 Les situations de passage à l’acte violent en appellent immédiatement à un acte de parole.

« Toute la dialectique, écrit Joseph Rouzel, est de passer du passage à l’acte à un acte de passage23.» Joseph Rouzel caractérise « l’acte éducatif » comme un passage obligé par le symbolique, la parole étant l’instrument privilégié de ce passage. Jacques Pain insiste également sur l’importance du rôle de la parole : « Faire circuler l’angoisse, et mettre les mots en tension, faire de la place à l’émotion24.» Ouvrir des espaces de parole s’avère plus que jamais nécessaire pour reprendre à froid les situations violentes. En effet, comme l’explique Jacques Pain : « La morale n’a pas de prise sur les émotions. Il faut que les émotions circulent, s’organisent, se hiérarchisent ; que l’angoisse puisse s’y distribuer, s’y investir « librement » ; pour qu’alors une morale foncièrement non violente s’acquière et surtout « tienne » dans une société comme la nôtre25. »

51 La mise en mots permet une élaboration des débordements émotionnels de l’élève, mais la Principale est fortement touchée par l’émotion qui entoure cette situation, ce qui témoigne des effets contagieux de l’émotion. Elle éprouve d’ailleurs le besoin de revenir sur la situation pour en parler, comme le montre l’extrait suivant.

52 Une fois que Z est sorti du bureau, la Principale s’adresse à l’interviewer, la voix chargée d’émotion :

« C’est terrible ce qui vient de se passer, et c’est vrai que c’est un choc à chaque fois ! Ça n’passe pas comme ça… D’abord parce qu’on a vu une prof en grande difficulté, qui a été choquée par ce qui vient de se passer, très choquée… Et puis il y a un enfant en grande difficulté. Vous avez compris que ce qui s’est passé en classe, c’est le résultat d’une vie difficile, hein ? Ça a été dur pour lui à la maison depuis plus d’un mois. Sa mère en a un peu parlé mais sans donner de détails. Et donc en fait, on a l’onde de choc, si je peux me permettre de prendre une image… difficile aussi. On a en classe, nous, l’onde de choc qui se passe à la maison. C’est un enfant qui a besoin d’aide, là… »

Encore sous le choc, la Principale rencontre les élèves de la classe concernée en train de chahuter dans le couloir. Elle intervient auprès d’eux :

« Vous vous rangez là, la 3e D ! Dépêchez-vous. Je ne sais pas si vous vous rendez compte que la situation n’est pas aussi agréable que vous avez l’air de vouloir le comprendre là, hein ? Il vient de se passer quelque chose de grave dans votre classe, je ne sais pas si vous en êtes conscients. Et j’aimerais bien que vous ayez l’attitude d’élèves de 3e, conscients de ce qu’il vient de se passer. ».

Les élèves ont vite retrouvé leur calme et s’acheminent vers la classe avec leur professeur. Puis, une fois les élèves installés, la CPE et l’infirmière viennent ouvrir un espace de parole dans la classe, afin de revenir sur ce qui s’est passé. Les élèves sont attentifs, intéressés par la question ; les mains se lèvent pour demander la parole.

L’infirmière : « En tous cas, c’est bien que vous vous soyez interposés. Je trouve que c’est remarquable de votre part. D’habitude moi j’ai des souvenirs où effectivement,

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la classe aurait regardé… et crié : « allez-y ! ». Et là, ça prouve que vous avez sacrément réfléchi quand même, c’est bien ! ».

Un garçon : « Moi, en fait, moi au début franchement, j’ai pas réagi directement parce que j’avais jamais vu un élève qui frappait un prof. C’était la première fois.

Moi je croyais que c’était pour rigoler ou qu’il faisait des menaces comme ça en l’air. C’est pour ça, au début, j’ai pas réagi. ».

La CPE : « Est-ce que vous avez quelque chose à dire sur des moments comme ça où hop ! On ne se contrôle pas. Est-ce que ça vous arrive à vous, et comment vous faites pour vous retenir, vous raisonner ou vous contrôler ? Comment on peut faire ? ».

Une fille : « Peut-être que c’est la goutte qui a fait déborder le vase. Peut-être qu’il y avait d’autres trucs dans sa tête et que, bon, il savait pas où les passer, et là il a eu l’occasion. »

L’infirmière : « Des soucis ? ».

Une fille : « Voilà, c’est ça péter les plombs, c’est une goutte qui fait déborder le vase. C’est comme si on était hystérique, donc à ce moment-là, on ne peut pas vraiment se contrôler. C’est à la fin, on peut penser à ce qu’on a fait. ».

L’infirmière : « Et parfois, il est trop tard ! Et justement, vous avez parlé de pétage de plombs, comment il aurait pu faire autrement, quand il a reçu ce zéro, qui effectivement pour lui a été difficile à vivre ? ».

Un garçon : « Essayer de s’expliquer ! ».

L’infirmière : « Comment ça s’appelle ça ? ».

Un garçon : « La communication. Il faut qu’il aille voir un porte-parole ! ».

Rires.

L’infirmière : « Exactement, ça s’appelle se maîtriser, ça s’appelle dialoguer, ça s’appelle parler. Vous êtes là pour apprendre à parler entre vous. À ne pas vous taper dessus dès qu’il y a un problème, même entre vous. ».

Une fille : « Mais c’est dur aussi ! ».

L’infirmière : « Je sais que c’est dur, d’accord c’est difficile ! ».

Une fille : « On nous apprend pas vraiment à nous contrôler ! ».

L’infirmière : « Les choses se font effectivement difficilement. Mais si il y en a un de vous, deux, trois, de cette classe qui commence à comprendre ça, et qu’ils le mettent en application, et bien, ça fait boule de neige, hein ? Et puis au bout d’un moment, la société elle risque de changer. Mais si vous, ici, vous n’arrivez pas à vous dire au fond de vous : il faut qu’on change ça, il ne faut pas qu’on tape à chaque fois, effectivement il ne se passera rien…Bien sûr que c’est difficile de se contrôler, bien sûr que c’est difficile de ne pas voler le portable qui est à portée de main, bien sûr ! (Rires) On est d’accord ! Mais à vous de bosser là-dessus. À vous de bosser sur cette maîtrise, sur ce contrôle et sur la parole ! ».

53 On retrouve dans cette séquence les relations analysées par Jacques Pain entre violence, angoisse et émotion. L’auteur propose de travailler sur les émotions pour sortir de la violence, soutenant l’idée que « l’angoisse doit trouver sa place dans le questionnement de l’école26 ». « La non-violence par la violence, une voie difficile », comme l’énonce Jacques Pain dans le titre de son ouvrage de 1999, entendant ainsi prendre en compte l’angoisse et les émotions qui sont associées à la violence et qui font partie intégrante du sujet humain. « Prévenir la violence, c’est d’abord accepter d’en parler, et ensuite accepter de la prendre à partie, pour enfin la tenir en laisse27. »

54 Serge Boimare préconise une heure de culture humaniste journalière, ce qui va de pair avec le fait « d’oser entraîner les élèves à l’expression personnelle28». Il préconise également de « mettre du récit et des mots sur les peurs, les inquiétudes, les émotions qui parasitent la pensée », mais aussi d’universaliser le problème rencontré » et « d’offrir un espace favorable à la symbolisation29».

55 C’est précisément ce que l’on observe dans cette séquence, face à un évènement contenant une forte charge émotionnelle pour le groupe-classe.L’idée du garçon « d’aller

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voir un porte-parole » a retenu notre attention par sa pertinence. Les rires qui suivent son intervention témoignent d’ailleurs de la justesse de ses propos. L’infirmière saisit l’importance de cette intervention et s’en empare pour affirmer la valeur de la parole et du dialogue dans les situations difficiles.

56 Il importe aussi pour l’élève incriminé de prendre conscience des conséquences de ses actes et de réfléchir à d’autres modes de comportement. C’est ce qu’Éric Debarbieux met en évidence lorsqu’il évoque l’efficacité de certains programmes américains. « Les programmes utilisés pour le contrôle des crises de colère (anger coping) établissent des règles de groupe claires et aident les jeunes concernés à identifier formellement les problèmes dans une perspective sociale, mais aussi à chercher des solutions alternatives à la colère en prenant conscience des conséquences personnelles et sociales de celle-ci30. »

57 Le cas de l’élève Z sera de nouveau évoqué, en présence d’une psychologue clinicienne qui se met à l’écoute de l’équipe une fois par mois. On ne nous cache pas la difficulté des conditions de travail et l’émotion est très présente (des pleurs mais aussi des rires). Ces espaces de parole permettent d’évacuer le stress de l’équipe, de mettre des mots sur les émotions. L’importance de la circulation de la parole est reconnue, comme elle l’est avec les élèves.

58 L’élève Z passera en conseil de discipline et sera exclu définitivement du collège, suite à un vote démocratique. La Principale ressent cette décision comme « éprouvante » car contraire à la mission du collège, qui est, dit-elle au réalisateur, de « garder nos élèves pour les aider à se construire ». L’exclusion pose problème : « On n’est pas sûr de prendre les bonnes décisions » dit-elle, puis : « Les décisions ne sont pas faciles à prendre. » Elle appellera d’autres principaux de collège pour retrouver le plus rapidement possible une place pour son élève exclu. Elle y parviendra en acceptant de prendre en échange un élève de 3e exclu d’un autre établissement.

59 Comme l’écrit Rémi Casanova, l’exclusion est bien « une arme à double tranchant31 », d’une part parce qu’elle doit n’être utilisée que comme un ultime recours, d’autre part parce qu’elle nécessite une reprise ultérieure, faute de quoi elle risque d’être au mieux inefficace, au pire contreproductive. « L’apparition de la violence a toujours un sens.

Dans la plupart des cas, elle doit servir d’analyseur d’un fonctionnement, d’attitudes qui la génèrent. C’est pourquoi elle mérite d’être reprise et comprise à froid32. »

60 C’est la posture compréhensive adoptée par Mme la Principale, qui inlassablement, chaque fois qu’il se passe quelque chose « qui ne devrait pas se passer », cherche à comprendre.

61 Comme l’écrit Eirick Prairat : « Une sanction est une réponse au double sens du terme, c'est-à-dire une explication et… une réaction33.» Et il insiste sur le second terme, comme le fait Mme la Principale auprès de ses collègues enseignants. Eirick Prairat défend l’idée d’une sanction expliquée, comprise et perçue comme juste par l’élève. Eirick Prairat énonce ainsi les caractéristiques d’une sanction éducative : « La sanction éducative s’adresse à un sujet. » Elle « porte sur des actes ». Elle est « privation de l’exercice d’un droit ». Elle « s’accompagne d’une procédure de réparation34». C’est bien le principe de la sanction éducative qui inspire Mme la Principale, qui guide l’action de son équipe au quotidien. Contrairement à une gestion aléatoire et dans l’urgence des situations violentes que nous avons eu l’occasion d’observer lors de nos précédents travaux (Thouroude, 2011), nous observons ici qu’une gestion réfléchie, portée par le principe

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d’efficacité éthique (Casanova, 2000), contribue à instaurer et à maintenir un cadre éducatif de qualité, indispensable à la prévention des violences.

La loi du plus fort et la loi du silence

62 La loi du plus fort et la loi du silence vont de pair. La loi du silence est essentiellement motivée par la peur des représailles de la part de l’agresseur et de ceux qui l’entourent.

Dans la séquence qui suit, il s’agit de violence à l’encontre d’une enseignante exercée par un élève non identifié. Face à la « loi du plus fort », doublée de la « loi du silence », la Principale oppose le devoir de responsabilité collective.

63 Suite à la plainte de Mme L d’avoir reçu à la tête un pot de tipex (effaceur d’encre) en plein cours, Mme la Principale convoque tous les élèves de la classe un par un dans son bureau, afin d’amener le coupable à se dénoncer.

Premier élève :

La Principale : « Je veux savoir qui a lancé du blanc sur Madame L ? C’est clair comme ça maintenant ? C’est ou bien tu pars du collège, et à mon avis, si tu pars du collège, tu ne reviendras pas. Ou bien, tu réfléchis à ce que tu dis, tu me fais des réponses qui correspondent à une réalité, et à ce moment-là, on réfléchit ensemble après. ».

Silence.

La Principale : « Parce que je te préviens, H, j’interroge tout le monde, tu m’entends, tout le monde !... ».

Deuxième élève :

La Principale : « Alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

A : « Bah, pendant que j’ai baissé ma tête pour ouvrir mon sac, il y a un tipex qui a volé. ».

La Principale : « Juste à ce moment-là ? ».

A : « Bah oui ! ».

La Principale : « C’est bête ça dis donc ! ».

A : « Parce que les autres personnes ils rentrent à ce moment-là ! ».

La Principale : « Ça s’est passé juste à ce moment-là ? ».

A : « Oui. ».

La Principale : « A, pose ton sac et enlève ton blouson. Essaie de réfléchir à ce que tu me dis, d’accord ? Je recommence : qu’est-ce qui s’est passé tout à l’heure en maths ? en début de cours ? Réfléchis bien… ».

A : « Y’a un tipex qui a volé. ».

La Principale : « Il venait d’où ? ».

A : « Ben, j’sais pas. »

La Principale : « Tu ne sais pas du tout ? ».

A : « Non. »

La Principale : « Tu veux partir du collège ? ».

A : « Non. ».

La Principale : « Bah si ! ».

Troisième élève :

La Principale : « Il y a vingt-trois élèves, il y en a deux qui empêchent de travailler, vingt et un qui ferment leur bouche ! Pourquoi ? ».

E : « Parce que après… après ils se font frapper ! ».

La Principale : « Deux contre vingt et un ?... ».

Silence.

La Principale : « Parce que si je te pose la question, c’est parce que je crois qu’il est important que comme individu, tu te la poses. ».

E : « C’est un peu de la complicité ! ».

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La Principale : « Non, c’est complètement de la complicité ! Ce n’est pas un peu ! Tu ne penses pas vraiment que vous avez tous une responsabilité ? Tu ne penses pas vraiment que, à un moment donné, comme être humain, on est responsable aussi de ce que font les autres ?...Et que si on ne fait jamais rien, que si on ne fait jamais rien, si on se contente simplement de se taire, on est coupable aussi ? Tu ne crois pas ça ? ». Silence.

Le lendemain, la Principale entre dans la classe et s’adresse ainsi au groupe d’élèves.

« Il faudrait quand même que dans vos têtes, ce soit clair. Pour moi, à un moment donné, vous avez un tout petit peu mûri, un tout petit peu grandi. Parce que, à un moment donné, on ne peut pas sans arrêt se cacher derrière la responsabilité des autres. Quand vous êtes tous d’accord pour ne rien dire, qu’est-ce que c’est que ça ? Eh bien c’est une responsabilité collective. Et c’est bien pour ça, qu’à un moment donné dans cette classe, je crois que l’examen collectif – et quand je dis l’examen collectif, c’est un par un – était nécessaire.

Alors, il n’y a pas de balance dans cette classe ! Il n’y a pas de balance dans cette classe…Je ne veux pas entendre ça, parce que pour moi, ce n’est pas quelqu’un qui a joué la balance, c’est chaque individu de la classe qui a pris ses responsabilités. ».

64 À la peur d’être « une balance », la Principale oppose le devoir de responsabilité de chacun. Elle amène alors un regard positif sur la dénonciation, là où les élèves ne voyaient que des aspects négatifs. Le discours de la Principale semble avoir atteint son but : faire réfléchir les élèves sur la question de la responsabilité collective. La dénonciation présente en effet l’intérêt de ne pas laisser les coupables dans l’impunité, et à plus long terme de préserver l’intégrité du groupe. Dans cette perspective, la lutte contre la loi du plus fort doit s’accompagner de la lutte contre la loi du silence.

Élèves difficiles

65 La cohésion de l’ensemble de l’équipe éducative est primordiale pour faire face aux élèves difficiles. Dans le documentaire de Thierry Delestrade, les problèmes des élèves difficiles avec leurs professeurs se règlent avec l’équipe administrative. L’élève incriminé est convoqué et doit répondre de ses actes, dans le bureau de la CPE ou de la Principale.

L’élève T est convoqué dans le bureau de la Principale en raison de son comportement indiscipliné en classe.

Mme D : « Alors assieds-toi maintenant. Et ne prends pas un air satisfait. ».

Silence.

Mme D : « Et ne prends pas non plus un air surpris ! ».

T : « Eh bien, je ne comprends pas. ».

Mme D : « Eh bien, tu ne comprends pas ? Et bien je viens de rencontrer Monsieur M, alors peut-être que ça va te faire comprendre ! Qu’est-ce que tu nous fais ? ».

T : « Rien. ».

Mme D : « Non, attends T, je n’ai pas le temps de rigoler là, hein ? Bon alors, je vais t’expliquer ce que tu as fait et après tu vas me dire si tu es d’accord ou pas, hein ? Comment se fait-il que Monsieur M soit obligé de te punir, de te mettre en colle, pour que tu arrives à avoir une attitude correcte en classe ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu ne peux pas être à la fois le T que je connais en conseil de discipline, en CA, en conseil de classe etc.… et en même temps celui qu’il me décrit ! Ce n’est pas possible !

Alors tu vas faire un travail sur toi-même pour décider qui tu es vraiment, et tu vas te comporter différemment avec Monsieur M, je te le demande instamment. Est-ce que c’est possible ? ».

T : « Oui. ».

Mme D : « Mais tu sais qu’en disant oui, tu sais à quoi tu t’engages ? ».

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T. : « Oui. ».

Mme D : « Tu as conscience quand même du « body langage » ? Bon. Donc, tu as une heure là, une heure de permanence, hein ?

Je te demanderai pendant cette heure de permanence de me mettre sur papier ce que tu décides de faire pour que ça change… ce que tu décides de faire volontairement pour que ça change. Tu comprends ? ».

T : « Oui. ».

Mme D : « Oui Madame ! ».

T : « Oui Madame. ».

Mme D : « Bon. ».

Une heure plus tard :

Mme D : « Tu peux me lire ton papier, T ? ».

T : « J’ai très bien réfléchi et j’ai pris la décision de me mettre immédiatement au travail afin de réussir pour mon année scolaire. Vous n’entendrez plus parler de moi dans l’année. ».

Mme D : « Tu dates et tu signes. Je vais demander à Monsieur M des nouvelles régulièrement, des nouvelles de ton attitude et de ton travail. ».

66 L’élève T s’engage par écrit et sait que la Principale se préoccupe de son évolution et de son devenir. Ce recadrage éducatif aura des effets positifs, comme en témoigne son comportement futur.

67 Se montrer responsable, c’est choisir librement des comportements acceptables et les adopter dans la durée. Comme le dit Éric Debarbieux : « Un individu responsable est un individu engagé : il exerce sa volonté pour faire des choix conscients et il s’engage dans leur exécution35.» Les travaux des psychologues sociaux dans le cadre de la théorie de l’engagement (Beauvois et Joule, 1990) ont montré l’influence de l’engagement oral et écrit sur les changements de comportement d’un élève fautif. L’élève ne peut plus éviter de s’interroger sur le sens de ses actes et sur ses conséquences, notamment dans ses rapports avec les adultes. C’est ainsi que le résume Rémi Casanova : « Responsabiliser, c’est aider l’élève à remplir des engagements pris vis-à-vis de lui-même et de la collectivité. C’est aussi le pousser à accepter et assumer les conséquences de ses actes.

C’est en définitive contribuer à le rendre mûr, raisonnable et réfléchi36. »

68 L’élève S pose davantage de problèmes à l’équipe éducative. Il fait figure de caïd local. On le voit tenter d’entrer en cours en retard et se faire exclure aussitôt, faute d’avoir ses affaires pour travailler. Il se retrouve dans le bureau de la Principale.

La Principale : « Je ne sais pas si tu es capable d’entendre ce que je vais te dire parce que… c’est un peu difficile, mais, à la première incartade, à la première bêtise, on va me dire, on va me demander un conseil de discipline pour toi ! Et là, il n’y aura pas de recours, S, tu comprends ? Il n’y aura pas de recours. On ne pourra pas dire on va lui donner encore une chance etc. Si tu vas en conseil de discipline S, tu sors du collège, c’est clair. La seule marge de manœuvre qu’il te reste, ce serait d’être parfait pendant un certain nombre de semaines, mais parfait !

Je pense que tu peux faire des choses très bien. Mais à un moment donné, pour des raisons qui sont presque indépendantes de ta volonté, tu débordes…

Tu comprends le message que je veux te faire passer, là ? Reformule-le pour voir si tu comprends.»

S est silencieux, la joue appuyée sur sa main.

S. : « Faut que pendant des semaines, j’sois irréprochable. ».

La Principale : « Oui, si tu arrives à tenir jusqu’à la fin du mois de décembre, jusqu’aux vacances de décembre, sans qu’il y ait le moindre… la moindre difficulté, peut-être qu’on peut y arriver ! »

Elle l’accompagne vers sa classe, une main maternelle passe sur sa tête et le long de son dos, un geste d’apaisement qui atteindra son but.

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69 Les interventions ciblées de l’équipe administrative en direction de certains élèves difficiles sont destinées à aider autant les professeurs en difficulté que les élèves difficiles, eux aussi considérés comme étant en difficulté.

Élèves victimes

70 Le documentaire de Thierry Delestrade se penche aussi sur la question des élèves victimes. Cette question est moins souvent abordée que la violence à l’encontre des personnels et elle ne s’est développée que récemment dans la recherche française. On n’oubliera pas cependant que les premières victimes de la violence scolaire sont des élèves. Selon Éric Debarbieux (2006), les victimes identifiées sont à 78% des élèves et les auteurs identifiés sont à 86% desélèves. Dans la séquence qui suit, le cas d’une élève victime est traité dans l’infirmerie par l’infirmière scolaire, qui fait partie intégrante de l’équipe administrative et qui est très impliquée dans le projet d’établissement, axé sur la lutte contre la violence scolaire.

L’infirmière est dans son bureau avec une fille, qui est venue se faire soigner. Des garçons regardent à travers le hublot de la porte.

L’infirmière : « Je sais que c’est dur de dire, mais je veux dire… je ne vais pas aller leur dire ce que tu m’as dit. Je vais juste demander à Madame B de jeter un œil. Mais si on ne le fait pas, ça ne sert à rien, je veux dire, à chaque fois vous nous dites : « on ne sait pas qui c’est, on ne veut pas vous dire parce qu’on a peur… ». Mais attends, on n’est pas dans un collège où on doit avoir peur, quand même ! ».

La fille : « Après ils vont avoir des problèmes. »

L’infirmière: « Ah bah ils vont se faire houspiller ! Ils ne vont pas avoir des problèmes, on va juste leur dire que ça ne se fait pas. Mais ça t’évitera que ça recommence. Et ça leur fera prendre conscience à eux qu’il y a des choses qui ne se font pas, non ?

Tu trouves normal de venir me voir, de me dire : « Madame, il y a des garçons qui me tapent dans les jambes et qui m’ont fait mal, parce qu’ils voulaient des bonbons que j’avais pas ! ». et que moi je te dise : « Ah bah ma petite R, je suis désolée, repars dans ton cours ! » (silence) Tu trouverais normal que je te dise ça ? C’est ça que tu attendrais de moi ? ».

La fille (se tortillant, gênée) : « J’sais pas… ».

L’infirmière: « Tu viens me voir pour que je fasse quelque chose. Tu es d’accord ? Alors je vais regarder les coups, mais je vais aussi faire qu’il n’y en ait plus des coups, tant qu’à faire ! On est d’accord ? C’est pour ça que tu es venue ici, parce que tu es mal, parce que c’est pas juste ! Tu es d’accord ? ».

La fille pince la bouche et se tortille, puis elle pleure.

L’infirmière caresse sa joue : « Je suis désolée ! ».

La fille : « Après, ils vont avoir des problèmes et ils vont encore tout mettre sur mon dos ! ».

71 On est ici en présence d’une violence de type harcèlement entre pairs, appelé school bullying dans le vocabulaire anglo-saxon, qui vise les élèves les plus fragiles et les plus isolés.

Comme le dit Éric Debarbieux : « La violence se construit dans la répétition oppressive de la loi du plus fort. La loi du plus fort n’a pas obligatoirement besoin pour s’imposer de la fiesta sanglante et chaotique qui marque l’opinion. Une pression continue, une répétition tyrannique lui sont au moins autant efficaces37.» Éric Debarbieux rappelle la peur et la honte des victimes de violences : « La loi du plus fort s’accompagne toujours de la loi du silence et, par principe, la plupart des actes de violence entre pairs se déroulent hors de la présence d’adultes38.» La lutte contre le harcèlement entre pairs s’avère un enjeu majeur, sachant que selon les estimations de la recherche anglo-saxonne, un enfant harcelé à

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l’école présente quatre fois plus de risques de faire une tentative de suicide à l’adolescence.

72 La difficulté de la lutte contre le harcèlement entre pairs réside en effet dans la peur des représailles, qui impose la loi du silence aux victimes et qui laisse les agresseurs dans l’impunité. Sortir de ce cercle vicieux suppose une équipe soudée et une relation de confiance totale entre les élèves et les adultes de l’établissement.

L’influence du principal de collège sur le climat de l’établissement

73 On remarquera que dans le documentaire étudié, la Principale accorde une place importante à la parole.Les difficultés des enseignants comme celles des élèves se règlent dans le bureau de la Principale avec les personnes concernées, à l’abri des regards indiscrets. La CPE et l’infirmière sont également impliquées, ce qui témoigne de l’existence d’une « équipe » administrative solidaire dans l’établissement, une équipe préoccupée par la vie du collège et pas seulement par les résultats scolaires des élèves.

Les problèmes de classes indisciplinées se règlent en présence de la Principale, au sein même des classes concernées. L’attention portée à la victimation des élèves et des enseignants contribue à maintenir un climat relativement serein et sécurisant pour tous.

74 Madame La Principale a bien perçu les liens étroits entre angoisse, instabilité, échec scolaire et actes de violence, qui se dégagent des recherches sur la question. Cette conscience l’amène à considérer que ces élèves ont avant tout « besoin d’aide ». Cette posture est fondamentale car elle est le point de départ de mesures d’aide, tant éducatives que pédagogiques. Comme le dit Daniel Sibony : « Les liens symboliques n’empêchent pas la violence mais ligaturent l’angoisse qui s’y traduit39.» Le lien de groupe est un recours contre l’angoisse, mais ce n’est pas le seul. « Au-delà du groupe et de son lien, le recours contre l’angoisse est le partage de la parole40.» Daniel Sibony ajoute : « Mais le groupe peut être remplacé : avoir un projet créatif, par exemple, c’est être appelé à une rencontre avec l’Autre sous le signe d’une loi possible.»

75 Une séquence du film montre la Principale rendant visite à un petit groupe d’élèves « en difficulté quant aux règles de vie dans l’établissement » partis en classe verte, accompagnés de leur professeur, d’un animateur et d’un éducateur. Il règne dans le groupe un climat à la fois de travail et de convivialité auquel la Principale participe pleinement. Elle s’intéresse à leurs activités, assiste à leur spectacle de fin d’année, dans la joie et la bonne humeur.Elle aide S, le caïd local, à préparer son texte oral qu’il présentera devant le groupe à la fin du séjour ; elle rit avec lui à l’occasion du partage du dessert. Il faut souligner à cette occasion que la Principale n’hésite pas à prendre son repas à la table des enfants tout en parlant avec eux. La fermeté n’exclut pas la chaleur humaine et une alternance des deux modalités relationnelles appropriées aux situations vécues aboutit à établir un climat de confiance entre les professionnels et les élèves.

76 La meilleure illustration de ce rapport de confiance est la visite de S, le caïd local dans le bureau de la Principale, pour lui demander son avis sur son projet de partir habiter chez son oncle, dans une autre ville. Elle l’encouragera face à son enthousiasme et saura lui témoigner de la gentillesse en tirant un trait sur ses erreurs du passé. S demandera à dire au revoir à l’infirmière, qui lui fera ses adieux avec la même gentillesse, en lui rappelant

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