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Militantisme et usage des archives à l'heure d'Internet : le cas des féministes françaises du Web

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Militantisme et usage des archives à l’heure d’Internet

Le cas des féministes françaises du Web.

Jeanne Blanconnier 2018-2019

Master 1 Archives

Sous la direction de Mme Bénédicte Grailles

Membres du jury Bénédicte Grailles | Maîtresse de conférences en archivistique Patrice Marcilloux | Professeur des universités en archivistique

Soutenu publiquement le 07 juin 2019

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Militantisme et usage des archives à l’heure d’Internet

Le cas des féministes françaises du Web.

Jeanne Blanconnier 2018-2019

Master 1 Archives

Sous la direction de Mme Bénédicte Grailles

Membres du jury Bénédicte Grailles | Maîtresse de conférences en archivistique Patrice Marcilloux | Professeur des universités en archivistique

Soutenu publiquement le 07 juin 2019

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RE MER C IE MENTS

Tout d’abord, je tiens à remercier ma directrice de recherches, Bénédicte Grailles, maîtresse de conférence en archivistique à Angers et fortement impliquée dans la cause féminine et féministe, pour son accompagnement, sa disponibilité et ses précieux conseils tout au long du semestre. Je lui suis reconnaissante d’avoir été si intéressée par mon thème de recherche et d’avoir aiguillé mon sujet.

Je remercie Marine Gilis, sans qui je n’aurais eu la chance de découvrir le projet QueerCode et de rencontrer sa fondatrice, Isabelle Sentis, que je remercie tout particulièrement pour le temps qu’elle m’a accordé malgré un calendrier chargé.

Aussi, je remercie toutes les militantes qui ont pris soin de répondre à mes mails et à mon questionnaire. Je les remercie surtout profondément pour leurs actions qui participent à la cause des femmes, tous les jours davantage. Une pensée toute particulière à Anne Monteuil-Bauer pour sa curiosité et son aide.

Je remercie également France Chabod qui, par sa position au Centre des archives du féminisme, m’a donné accès à toute la liste BCWeb répertoriant les sites féministes français.

Enfin, un sincère et chaleureux merci adressé à mes proches, amis et camarades pour leur soutien inépuisable.

Je tiens à souligner ma reconnaissance à l’ensemble de ces personnes pour leur vif intérêt porté à l’égard de mes recherches.

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Sommaire

INTRODUCTION ... 1

PREMIERE PARTIE : LES FEMMES, ENTRE INTERNET ET ARCHIVES ... 5

1.État du féminisme, du milieu du XIXème siècle à nos jours ... 6

2.Des archives et des femmes ... 19

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ... 35

BIBLIOGRAPHIE ... 37

1.Ouvrages généraux sur les archives et la culture ... 37

2.Histoire du féminisme (et du militantisme) ... 37

3.Histoire de l’internet et des médias ... 38

4.Archives communautaires ... 39

5.Les archives du féminisme... 40

SOURCES ... 43

1.Les sources en ligne ... 43

2.Questionnaire………. ... 45

3.Sources orales………. ... 45

DEUXIEME PARTIE : FEMINISMES MILITANTS 2.0 A L’ECOUTE DES ARCHIVES . 47 1.Féministes et rapports au monde archivistique ... 49

2.Internet, mobilisateur d’initiatives historiques valorisantes ? Le fil rouge, les archives……… ... 67

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ... 84

CONCLUSION GENERALE... 85

ANNEXES ... 87

Annexe n° 1 – Questionnaire ... 87

Annexe n° 2 – Réponses aux questions ouvertes ... 104

Annexe n° 3 – Tableau des sites féministes utilisés... 109

Annexe n° 4 - Inventaires chrono-thématiques ... 112

TABLE DES GRAPHIQUES ... 115

TABLE DES MATIERES ... 117

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Table des sigles et abréviations

AFF : Ateliers Femmes et Féminisme

AFNOR : Association française de normalisation AN : Archives nationales

ARCL : Archives Recherches et Cultures Lesbiennes BCWEB : BnF Collecte du Web

BDIC : Bibliothèque de documentation internationale contemporaine BMD : Bibliothèque Marguerite Durand

BNF : Bibliothèque nationale de France CAF : Centre des archives du féminisme

LGBTQI : Lesbien, gay, bi, trans’, queer et intersexe MLF : Mouvement de libération des femmes

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Introduction

En France, le féminisme est une notion qui a précédé l’apparition du terme. Déjà, dès la Révolution, les femmes revendiquèrent l’égalité des sexes et leur affirmation. D’ailleurs, en 1791, Olympe de Gouge rédige La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et emploie le terme de « droits des femmes » qui se rapproche de la notion contemporaine.

Cependant, l’expression « féminisme » n’apparait qu’au cours du XIXème siècle. Pour certains, elle provient d’une citation de Charles Fourier, penseur socialiste et proféministe, qui définit la notion dès 1837. D’autres relèvent son émergence en 1872 au sein du livre d’Alexandre Dumas- fils, L’homme-femme ; néanmoins l’historiographie du féminisme n’a pas retenu cette date contrairement à celle de 1882, année durant laquelle Hubertine Auclert, pionnière dans la lutte des femmes, emploie publiquement le terme au sein d’une lettre adressée au préfet qui a été publiée au journal La Citoyenne1.

Depuis, le féminisme a parcouru bien du chemin et est devenu un véritable objet d’intérêt. Il a su s’affirmer dans l’espace public, malgré bien des obstacles, et s’approprier de nouveaux relais pour faire entendre ses revendications. Effectivement, aujourd’hui plus que jamais, les militantes sont visibles à de multiples endroits, principalement sur Internet qui constitue certainement l’un des espaces les plus fréquentés par les femmes. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules à avoir recours à ces technologies numériques puisqu’elles s’inscrivent dans un mouvement bien plus global de prise de pouvoir par les groupes minorisés ; les réseaux sociaux permettant aux mouvements homosexuel, transexuel, queer, afro, latino, etc., de se rendre visibles et d’élever leur voix. Au sein de ce contexte de prise de position dans l’espace public, ces communautés, qui sont depuis si longtemps mises à l’écart, contestent leur effacement dans les histoires générales et traditionnelles depuis les années 1960-1970. Puisque l’histoire ne s’écrit pas sans archives, elles revendiquent alors que les structures de conservation procèdent à une meilleure égalité dans leurs pratiques de collecte et de conservation des sources. Depuis les années 1980-1990, certaines communautés prennent même les devants et tentent de constituer leurs propres fonds, effectuant ainsi une conservation plus représentative des sources. Ces sujets sont actuels comme le démontrent les débats menés par le collectif Archives LGBTQI et les structures étatiques afin que soit ouvert un centre de conservation LGBTQI2.

Ainsi, de telles thématiques intéressent, et ce jusque dans le domaine archivistique.

D’après Anne Gilliland, Sue McKemmish et Andrew J. Lau, ainsi que AERI research

1. Christine Bard, « Faire des vagues – périodiser l’histoire des féminismes », Karine Bergès, Binard Florence, Nedelec-Guyard Alexandrine (dir.), Féminismes du XIXème siècle : une troisième vague ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 34-36.

2. Site Archives LGBTQI, [en ligne], disponible sur https://archiveslgbtqi.fr/ (consulté le 15/05/2019).

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presentations3, cela correspond à un courant de recherche contemporain : les archives communautaires – « community-based archives and community-centric archival policy » –. Très développé dans le monde anglo-saxon depuis le début des années 1990, ce courant n’apparaît en France qu’à la fin des années 2000. Il est possible de le rapprocher du courant de recherche archives et société. D’ailleurs, concernant le féminisme, des études scientifiques françaises en archivistique sont apparues ces dernières années et l’Université d’Angers participe largement à cette émergence puisque de nombreuses recherches ont été menées par des étudiants et chercheurs4. Cela accompagne un mouvement plus global d’intérêt à l’égard des archives féminines et féministes comme le démontre l’année 2018 qui est particulièrement éclairante : la Grande collecte sur la place des femmes dans la société française menée par les Archives de France, un cycle de quatre débats sur l’engagement des femmes et pour les femmes qui a eu lieu aux Archives nationales de Pierrefitte en mars 20185 ou encore un colloque « Les féministes et leurs archives (1968-2018) » qui s’est tenu à l’Université d’Angers à la même période. Ainsi, c’est dans ce contexte que notre questionnement quant à l’usage des archives féministes sur Internet par les militantes a pris racine, puis évolué.

Mais de quelles archives s’agit-il ? Il est possible de distinguer deux catégories concernant les sources des femmes. Tout d’abord, les archives des femmes, dites aussi d’archives féminines, que l’on peut définir comme étant tous les documents ayant trait à la vie de celles-ci. Ensuite, les archives féministes, qui sont « des fonds produits par toute personne ou groupe œuvrant pour l’émancipation, la promotion ou la dignité des femmes »6. Autrement dit, tout document produit ou reçu par quelqu’un qui se définit comme féministe. Évidemment, ces archives se recoupent et se complètent, ce qui implique parfois une réelle ambiguïté.

Néanmoins, les fonds féministes semblent majoritaires au sein des structures de conservation du fait de l’intérêt que provoquent les archives des grandes figures féministes. Notre étude se portera uniquement, après bien des hésitations, sur cette deuxième catégorie d’archives.

Effectivement, il semble plus adéquat de s’attacher à ces archives puisqu’elles sont l’héritage du combat des militantes actuelles. Pourquoi parle-t-on de militantisme en ligne ? Principalement en raison de l’évolution des actions féministes qui se déroulent davantage sur Internet puisqu’il est « mobilisé à la fois comme support de coordination, moyen d’information et mode d’action »7.

3. Anne J. Gilliland, Sue McKemmish, Andrew J. Lau, Research in the Archival Multiverse, Australia, Monash University, 2017, p. 23-24.

4. Se référer à la bibliographie pour les références des publications qui furent rédigées par Bénédicte Grailles (maîtresse en archivistique à Angers), Christine Bard (professeure d’histoire contemporaine à Angers), Charly Jollivet (chercheur en archivistique associé au Laboratoire Temps, Mondes, Sociétés (TEMOS) d’Angers), Julie Kergueris (étudiante de M1 Archives en 2016-2017) ou encore Marie Gauthier (étudiante de M1 Archives en 2017-2018).

5. Charly Jollivet, « Une place pour le féminisme dans les services d’archives publics français ? », 2018, p. 7.

(à paraitre)

6. Bénédicte Grailles, « Collecter et rendre visible les archives du féminisme : une action en réseaux », La Gazette des archives, n° 221, Association des archivistes français, 2011, p. 174.

7. Dominique Cardon, Fabien Granjon, Médiactivistes, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 90.

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Un tel sujet engendre de multiples interrogations. Afin d’y répondre, les différentes études scientifiques disponibles sur ces thèmes ont été rassemblées et trois grands axes se sont alors démarqués. Ils concernent le féminisme, l’usage des nouvelles technologies et le monde archivistique. Le présent mémoire entrecroise chacun de ces axes pour les mettre, ensuite, en perspective au sein d’une étude plus spécifique. Ainsi, deux grandes parties constituent l’état des connaissances.

Tout d’abord, il s’agira de reconstituer les grandes lignes du mouvement féministe et de répondre aux grandes problématiques qui furent soulevées par de nombreuses féministes. Qu’en est-il de l’histoire du féminisme ? Comment s’est-il affirmé ? Qu’est-ce que les pionnières de ce domaine historique ont fait émerger et qu’ont-elles rendu possible ? À cela s’ajoute l’étude interne du féminisme, par l’analyse de ses différentes vagues et son alliance soudaine avec le monde numérique. Pourquoi cet outil est-il devenu prépondérant dans l’usage des activistes ? Est-il l’un des alliés de la lutte féministe ?

À la suite de l’observation soulevée par les premières historiennes selon laquelle il existe un silence historique à l’égard des femmes, il s’agira de trouver une explication. L’histoire des femmes fut difficilement réalisable principalement du fait d’une véritable absence des sources conservées. Comment rendre compte de ce silence si puissant ? Était-ce véritablement inexistant ou une infime politique d’archivage existait-elle déjà ? Quelles ont été les différentes réponses des milieux archivistiques à ces dénonciations ? Et comment les féministes ont-elles pallié ce manque ? À partir des évolutions observées, il conviendra de présenter la relation qu’entretiennent ces deux ensembles de nos jours.

Ces premières recherches vont ensuite ouvrir sur de nouveaux questionnements au sein d’une seconde partie. L’objectif principal de l’étude de cas sera d’observer si les militantes instrumentalisent les archives de leur communauté par le biais d’Internet. Cela inclut de vérifier si elles ont un rapport aux archives féministes. Et si oui, comment elles en rendent compte sur Internet. Dans ce développement, nous nous attacherons à répondre à diverses hypothèses. Les militantes semblent entretenir un lien particulier avec le monde archivistique, qu’en est-il véritablement ? Quel est leur rapport aux archives et aux centres de conservation ? Existe-t-il une utilisation en ligne des archives féministes ? Si oui, qu’inclue-t-elle et comment s’affiche-t- elle ?

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Première partie : Les femmes, entre Internet et archives

Pour reprendre l’expression de Jacques Derrida, de nombreuses minorités sont en « mal d’archives » 8 et recherchent des méthodes pour pallier celui-ci. Beaucoup de critiques établissent ce monde comme étant celui d’un système masculin : il a été construit par les hommes, dirigé et raconté par eux. Dans cette optique, ces minorités, sexuelles et raciales, ont mesuré l’enjeu que représentait la chute des barrières sociétales établies. Ainsi, les femmes ont participé aux divers mouvements d’émancipation et ont pris en main leur histoire à l’aide de multiples actions : elles ont élevé leur voix, elles se sont archivées, elles se sont racontées et aujourd’hui, elles ne cessent de s’étudier. À la suite de cette idée, il est nécessaire de s’intéresser aux différentes caractéristiques de cette prise de position féminine dans l’histoire et dans la société.

De plus, les nouvelles technologies occupent une place croissante dans notre quotidien mais elles semblent devenues tout particulièrement nécessaires à la cause féminine. Mais dans quelle mesure peut-on affirmer que les femmes se sont appropriées Internet, devenu plateforme de leur empowerment ?

Aussi, les prises de conscience sur la nécessité de documenter davantage les femmes continuent d’évoluer, de participer à une diversification des fonds d’archives dans les structures publiques et d’encourager les initiatives privées, souvent le fait d’associations militantes consternées par le manque historique à l’égard des femmes. Ces dernières années, des politiques publiques s’instaurent également et tentent d’observer une meilleure égalité quant à la conservation du patrimoine français mais il semble qu’un long chemin reste à parcourir avant que ce fossé de genre soit réduit.

Tous ces constats méritent étude et confirmation. Ainsi, afin d’observer l’évolution des rapports au féminisme et d’approfondir les relations entre ces différentes notions – femmes, numérique et archives –, nous allons constituer deux parties principales. Tout d’abord, un état de la place du féminisme dans notre société mérite d’être dressé. Suite à cela, il s’agira de s’interroger sur les rapports existants entres féministes, archives et institutions : est-ce en voie de reconnaissance ou la méfiance persiste-t-elle ?

8. Jacques Derrida, Mal d’archive : une impression freudienne, Paris, Galilée, 2008, 154 p.

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1. État du féminisme, du milieu du XIX

ème

siècle à nos jours

Les travaux menés par les premières historiennes des femmes nous ont permis de dresser un état du féminisme. En étudiant son écriture, son histoire et sa chronologie, on remarque que celui-ci provoque de nombreux débats au sein de la société. Malgré les multiples questionnements qu’engendre l’histoire féminine et féministe, les études sont encore relativement éparses et principalement monopolisées par le monde anglo-saxon. Néanmoins, il est tout de même possible de mener une réflexion sur la place occupée par le féminisme ces deux derniers siècles, en France.

Karine Bergès affirme qu’il faut « fouiller l’histoire du féminisme pour mieux appréhender les cadres théoriques, les modalités d’actions et les stratégies du temps présent »9. C’est pourquoi il est nécessaire de se pencher sur la construction de l’histoire des femmes, de définir les contours qu’elle a permis de faire émerger, et enfin, d’analyser à quoi correspond le féminisme actuel.

1.1. Où en est l’histoire des femmes ? De l’apparent oubli aux gender’s studies (du milieu du XIX

ème

siècle aux années 2000- 2010)

Aujourd’hui, l’intérêt pour l’histoire des femmes et du féminisme progresse doucement grâce aux volontés féminines qui se sont affirmées ces trente dernières années. Le milieu universitaire – recherches et enseignements – est également un relais important puisqu’il en offre la découverte et la transmission aux nouvelles générations. Or, cette histoire a longtemps été victime d’indifférence, en retrait des grands courants historiques et de ce fait, inconnue du plus grand nombre. Mais comment expliquer ce relatif passage d’une histoire sans femmes aux nombreuses publications sur l’histoire des mouvements féministes, des genres et des sexualités ?

1.1.1. Les femmes, ces grandes oubliées, ou l’histoire au masculin

Tout d’abord, le premier postulat des historiennes pionnières de ce changement a été de dénoncer la place minoritaire accordée aux femmes dans l’écriture de l’histoire car celle-ci était faite – écrite et enseignée – par les hommes. En effet, le milieu universitaire a été, pendant de nombreux siècles, un entre soi masculin qu’il fut difficile de rendre accessible aux femmes10. Les grandes écoles historiques ont d’ailleurs accueilli des hommes qui oubliaient, ou effaçaient volontairement, toutes traces des femmes. En 1985, Michelle Perrot affirme déjà cette idée dans

9. Karine Bergès, « Introduction », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 11.

10. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire des femmes et du genre, Lyon, ENS Éditions, 2007, p. 38.

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un article titré « Où en est l’histoire des femmes ? ». Ainsi, dans une simple vision chronologique de la discipline scientifique, il apparaît une situation figée dès le XIXème siècle11.

En effet, dès les années 1840, Jules Michelet rend le rapport des sexes « moteur de l’histoire » mais stéréotype les hommes et les femmes12. Puis, l’histoire positiviste, dite aussi d’école méthodique, de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, courant historiographique de la Troisième République, s’intéresse principalement au politique en omettant toute forme d’histoire privée et tente de définir le plus précisément possible la discipline historique.

Cependant, l’exclusion du féminin y est chose commune : « métier d’hommes qui écrivent l’histoire au masculin » ou encore « et les matériaux qu’ils utilisent (archives diplomatiques ou administratives, documents parlementaires ou presse périodique) sont l’œuvre d’hommes qui ont le monopole de l’écrit comme de la chose publique » 13. Ce n’est pas non plus grâce à la première génération de l’École des Annales, courant historique fondé à la fin des années 1920 par Lucien Febvre et Marc Bloch, que l’histoire des femmes et du féminisme prend racine dans les milieux académiques. Bien que multipliant les champs historiques, cette génération ne sait finalement faire de la place qu’à l’histoire économique et sociale, oubliant toute « dimension sexuée de l’histoire »14. Dans un tel contexte, les femmes ne semblent pas pouvoir bénéficier d’une quelconque reconnaissance par le domaine scientifique. Il faut donc attendre la troisième génération des Annales pour que la place des femmes dans l’histoire soit réévaluée.

Ce constat est cependant à nuancer, dans la mesure où certains historiens ont tenté de rendre visibles les femmes au sein de leurs travaux. Ces derniers, novateurs mais en marge des écoles historiques, ne représentent qu’une part minoritaire des études menées en histoire et cela est malheureusement représentatif d’un puissant manque d’intérêt pour la cause des femmes. Marine Rouch, dans son article « Les féministes et leurs archives », nous dresse un tableau de ces premiers ouvrages15. Elle indique que Léon Abensour, agrégé d’histoire- géographie et docteur ès lettres, publie une Histoire générale du féminisme à nos jours en 1921, alors qu’il est membre de l’Union française pour le suffrage des femmes. Puis, il faut attendre un peu plus de quarante ans puisque dans les années 1960, Pierre Grimal, spécialiste de lettres classiques, publie quatre tomes de son Histoire mondiale de la femme. Aussi, malgré la franche position de l’École des Annales sur les thèmes de leur recherche, Françoise Thébaud prend soin de faire remarquer que Lucien Febvre s’est finalement intéressé aux sujets féminins à la suite de son amitié avec Paule Braudel, épouse de Fernand Braudel. En effet, il « entreprit des

11. Sur l’étude des différentes écoles historiques et leur silence face à l’histoire des femmes, voir : Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., 312 p. ; Michelle Perrot, « Où en est l’histoire des femmes ? », Matériaux pour l’histoire de notre temps, Histoire des femmes et du féminisme, n° 1, 1985, p. 5-7.

12. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., p. 37.

13. Michelle Perrot, « Où en est l’histoire des femmes ? », op. cit., p. 5.

14. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire ..., op. cit., p. 37.

15. Marine Rouch, « Les féministes et leurs archives », Blum Françoise (dir.), Genre de l’archive, constitution et transmission des mémoires militantes, Paris, Codhos, 2017, p. 77.

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recherches sur Marguerite de Navarre », fit des femmes « un thème de conférences données à l’École nationale supérieure de jeunes filles de Sèvres, puis de ses cours au Collège de France (1940-1940), enfin d’un livre publiée en 1944 : Autour de l’Heptaméron. Amour sacré, amour profane » 16.

Cependant, preuves du dernier siècle, l’histoire des femmes ne pouvait compter que sur ses sujets primaires pour émerger.

1.1.2. Les premières reconnaissances en marge des écoles historiques

a) Milieu du XIXème au milieu du XXème siècle, les tentatives d’émergence d’une histoire des femmes

Afin de lutter contre cet oubli systémique, certaines femmes ont pris les devants de la recherche afin d’écrire leur propre histoire. Ainsi, dans ce contexte et d’après Christine Bard,

« dès son origine, l’histoire du féminisme s’inscrivit dans une perspective militante » 17.

La recherche historique sur les femmes et son écriture ne fut pas un mouvement très développé en France au cours du XIXème siècle mais nous en conservons des traces. Des ouvrages, tels que le Dictionnaire historique des Françaises (1804) de Fortunée Briquet et Les femmes dans l’histoire (1889) de Henriette Guizot de Witt, sont publiés alors même que l’histoire de Michelet ne s’intéresse encore qu’aux illustres hommes de la nation. Ces publications françaises sont suivies de celles d’autrices étrangères telles que Clarisse Bader, Sarah Taylor Austin ou encore Lucy Maynard Salmon. Une histoire du combat suffragiste est même publiée par un groupe de militantes américaines entre 1881 et 1922, History of Women Suffrage, participant à l’apparition d’une histoire des femmes américaines18. Cependant, le contexte général n’étant pas favorable aux développements de telles études, ces chercheuses restèrent dans l’oubli.

C’est ensuite au cours du XXème siècle que de nouvelles recherches sur les femmes sont réalisées, œuvres de personnes relativement engagées. Des thèses sont présentées, des biographies et des études sur l’histoire des femmes et du féminisme sont entreprises, dont les noms de leurs auteurs nous semblent alors peu connus : Suzanne Grinberg, Marguerite Thibert, Jules Puech ou encore Jeanne Bouvier19. Mais là encore, l’isolement reste complet.

16. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., p. 37.

17. Marine Rouch, « Les féministes et leurs archives », op. cit., p. 77.

18. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., p. 36-37, p. 43.

19. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op.cit., p. 42-43 : « Li Dzeh-Djen pour sa thèse très hagiographique sur la presse féminine en France de 1864 à 1914 », « l’historienne et militante Edith Thomas qui rédigea des biographies de femmes révolutionnaires et une étude sur la participation des femmes à la Commune (les pétroleuses) ».

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b) Des pionnières de l’histoire des femmes à la reconnaissance institutionnelle Les femmes l’ont bien compris, si elles aspirent à ce que leur histoire soit racontée, cette entreprise sera la leur. En 1970, les Françaises semblent déjà prendre du retard en la matière puisqu’aux États-Unis dès 1960, les historiennes, accompagnant les mouvements militants, lancèrent des programmes de renouvellement des recherches historiques en prenant les femmes comme objet d’étude. Ces travaux nommés « women’s studies » cheminèrent doucement jusqu’en Europe où ils prirent racine. Il est clair qu’en France comme ailleurs, l’envie d’écrire l’histoire des femmes se développe à mesure que les voix et les actions de celles-ci se font plus présentes dans l’espace public.

Françoise Thébaud, Michelle Perrot et Michèle Riot-Sarcey20, toutes trois estiment que la période du Mouvement de libération des femmes, s’ajoutant à un contexte intellectuel

« favorable à l’émergence de nouvelles questions concernant les sciences humaines et sociales, et la politique »21, a rendu nécessaire, et provoqué, la recherche en histoire du féminisme. La troisième génération des Annales accorde également davantage de crédits à de nouveaux objets – prise en compte des représentations et pratiques quotidiennes – mais l’écriture de l’histoire des femmes, à ses débuts du moins, reste l’acte de militantes. Les pionnières de ce renouveau historique sont aujourd’hui reconnues pour leurs recherches qui ont ouvert la porte à cette puissante thématique et engendré le développement d’études académiques sur le sujet.

Principalement inscrite dans le champ des sciences humaines, l’histoire des femmes devient donc visible grâce à des historiennes comme Michelle Perrot et François Thébaud, mais également Yvonne Knibiehler, Madeleine Rebérioux ou encore Rolande Trempé. Par leurs travaux, elles cherchent à combler les manques d’une histoire nationale, classique et masculine qui occulte toutes contributions des femmes dans l’avancée de la société.

Leurs études se développent en parallèle d’un besoin de mémoire exprimé par les féministes de la deuxième vague22. Ces demandes circulent et atterrissent sur les bancs des universités françaises, où le nombre d’étudiantes et d’enseignantes ne cesse d’augmenter.

L’université se féminise et l’histoire des femmes s’institutionnalise alors doucement. Ainsi, en 1973, à Paris VII-Jussieu, les premiers cours intitulés « Les femmes ont-elles une histoire ? » sont donnés par Michelle Perrot, Fabienne Bock et Pauline Schmitt-Pantel. S’ensuit le début d’un déploiement continuel de politique universitaire à l’égard de cette nouvelle histoire23 : des

20. Les idées explicitées dans les paragraphes suivants sont extraites de : Françoise Thébaud (dir.), Pas d’histoire sans elles. Ressources pour la recherche et l’enseignement en histoire des femmes et du genre, Orléans, SCEREN-CRDP de l’académie d’Orléans-Tours, 2004, p. 11-12 ; Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., 312 p. ; Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’histoire, Manchecourt, Flammarion, 2002, 493 p. ; Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2008, p. 103-105.

21. Françoise Thébaud (dir.), Pas d’histoire sans elles …, op. cit., p. 11.

22. Principal exemple : en août 1970, les militantes du Mouvement de libération des femmes déposent, à l’Arc de Triomphe, une gerbe de fleurs à la mémoire de la femme du soldat inconnu avec une banderole : « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ».

23. Exemples de colloques : « Les femmes et les sciences humaines » à Aix-en-Provence (1975), « Femmes,

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colloques, des séminaires et groupes de réflexion, ainsi que l’ouverture de nouveaux enseignements. Ce mouvement de recherche évolue et commence même à traverser les disciplines – philosophie, histoire, sociologie et littérature. Michelle Perrot évoque également l’implication du Centre National de Recherches Scientifiques dans le développement de ces recherches et du Ministère des Droits de la Femme, menée par Yvette Roudy, qui, en 1984, ouvre des postes « d’études féministes » dont « un des quatre postes concerne alors l’histoire ».

Comme elle le dit si bien, « l’histoire des femmes bénéficie donc d’une certaine reconnaissance dans et hors les institutions »24.

Les publications sur la question se font également de plus en plus nombreuses, tant par les revues que les brochures ou les ouvrages25. Cependant, la grande entreprise de légitimation de l’histoire des femmes est menée par Michelle Perrot et Georges Duby, à la demande de Vito et Giuseppe Laterza, traducteurs italiens de l’Histoire de la vie privée. De l’Europe féodale à la Renaissance. Georges Duby est alors un historien novateur dans son approche puisqu’il développe un intérêt continu pour la place des femmes, depuis le début des années 1970. Cela lui permet d’entreprendre, aux côtés de Michelle Perrot, la publication des cinq volumes de L’Histoire des femmes en Occident (1990-1992). Grâce à cet ouvrage, une histoire des femmes est rendue possible et devient accessible au grand public. Traduit dans de nombreuses langues, il trouve des relais et bouscule les recherches étrangères. À cela s’ajoute évidemment l’historiographie sur l’histoire des femmes de Françoise Thébaud26 qui est, aujourd’hui encore, l’ouvrage le plus complet sur ce thème.

L’étape suivante d’une telle avancée semble n’être qu’une internationalisation de la recherche et l’émergence de nouveaux questionnements. Les années 1990 et le début du XXIème siècle ont su accueillir ce renouvellement avec succès.

1.1.3. Féminisme en renouvellement (les années 1990-2010)

Le renouvellement du féminisme accompagné de ses nouveaux questionnements ne s’est manifesté qu’à partir de l’internationalisation des échanges. En effet, la recherche sur le féminisme provoque débats et discussions, tant dans les pays occidentaux qu’en Afrique et en Asie. Témoin de cette diffusion du féminisme dans les études étrangères, la Fédération internationale de recherche sur l’histoire des femmes est fondée en 198727. Une section française, Mnémosyne, Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre,

féminisme et recherches » à Toulouse (1982) ; exemple de groupes de réflexion : le Centre d’études féministes de l’Université de Provence (1972).

24. Michelle Perrot, « Où en est l’histoire des femmes », op. cit., p. 5-7.

25. Pour plus d’informations, se référer à la p. 104 de Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, op. cit.

26. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., 312 p.

27. Article wikipédia « Internation Federation for Research in Women’s History », [en ligne], disponible sur https://en.wikipedia.org/wiki/International_Federation_for_Research_in_Women%27s_History (consulté le 11/04/2019)

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apparait d’ailleurs en 200028. L’intérêt provoqué par l’histoire des femmes et du féminisme rend nécessaire les échanges de pensée pendant les différents colloques internationaux : le premier fut celui de 1989 organisé par Les cahiers du GRIF à Bruxelles. Ces différentes approches ont ensuite permis de faire émerger d’autres champs de recherche comme celui du corps, de la sexualité ou encore du genre.

Ainsi, en France, les études sur le genre et son histoire n’apparaissent qu’au début des années 2000, alors qu’aux États-Unis, les études sur le « gender » florissent déjà depuis les années 1980. Le continuel retard français tient du fait que les historiennes n’accordent aucun crédit à la traduction de ce terme. Déjà, lorsque les historiennes américaines et britanniques nommaient leur pratique d’ « herstory » – à l’inverse de l’histoire, « history », qui se concentre sur les hommes –, les Françaises préféraient le terme d’ « histoire sur les femmes » à celui d’ « histoire féministe », utilisé péjorativement pour définir la lutte d’une histoire des sexes29. De suite, les recherches sur le genre obtiennent un meilleur crédit dans la discipline historique que celui accordé à l’histoire des femmes trente ans plus tôt, allant jusqu’à s’institutionnaliser au sein des universités. Des enseignements se développent alors, comme le démontre le master en études sur le genre proposé par l’université d’Angers, et provoquent l’évolution des questionnements : on s’interroge sur l’histoire des masculinités et même sur l’histoire des identités sexuelles. En effet, proposant « une relecture sexuée des événements et phénomènes historiques »30, cette histoire du genre bouscule les conceptions établies par l’histoire, tant sociale, politique que culturelle.

Ces recherches en histoire des femmes, du féminisme et du genre ne cessent de se développer tant l’intérêt pour la thématique progresse. Néanmoins, les femmes n’ont désormais plus le monopole de la recherche féministe, puisque les hommes en ont poussé la porte. Les travaux de recherche croissent d’années en années, explorant de nouveaux angles encore inconnus : par exemple, les études sur le féminisme et le Web politique sont apparues ces dernières années mais sont encore très restreintes31. Aussi, même si des axes ont été explorés, ils sont maintenant réinterrogés, critiqués et remis en perspective comme c’est le cas de la notion de « vagues de féminisme » définissant la chronologie de l’histoire des femmes.

28. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., p. 197.

29. Françoise Thébaud, Écrire l’histoire …, op. cit., p. 51-52, p. 117.

30. Françoise Thébaud (dir.), Pas d’histoire sans elles …, op. cit., p. 11.

31. Nous pouvons citer : Armelle Weil, « Vers un militantisme virtuel ? Pratiques et engagement féministe sur Internet », Nouvelles Questions Féministes, 2017/2 (Vol. 36), p. 66-84 ; Karine Bergès, « Femmes en réseaux et réseaux de femmes », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 175-191 ; Lucy Halliday, Histoire de l’Internet féministe en France (1996-2015). Première approche socio-historique, Mémoire de M2 Histoire – Recherche, Angers, 2016, 110 p.

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1.2. Un féminisme fracturé

Faire la chronologie du féminisme n’a pas toujours été chose aisée et de nombreuses recherches ont été menées afin de délimiter les grandes lignes. Certains travaux s’accordent sur sa définition en différentes temporalités, quand d’autres s’y opposent et proposent de nouvelles perspectives.

1.2.1. La notion de vagues

Le terme généralement utilisé est celui de « vague », nous parlons de « première, deuxième et troisième vague ». Christine Bard en donne une définition qui se veut être aussi précise que pertinente32. D’après elle, une vague est la représentation imagée d’un cycle de mobilisation féministe correspondant à un contexte particulier. Elle sépare en trois cycles ces mobilisations, de la fin du XIXème siècle à nos jours. David Bertrand, s’appuyant sur les travaux de Ruud Joopmans, estime que l’on peut observer par deux critères la naissance d’une nouvelle vague féministe. Le premier serait la hausse apparente d’un intérêt généralisé pour le féminisme et le second serait le renouvellement des outils des militantes. À cela s’ajouterait le fait que les revendications soient celles d’une nouvelle génération33. Ces jeunes féministes chercheraient donc à se réapproprier le féminisme passé afin de le faire correspondre aux besoins de leur société.

Internationalisée, cette notion de vague fait consensus dans les divers courants d’écriture de l’histoire des femmes mais n’est pas à l’abri des débats suscités par l’historiographie féministe. Ainsi, des historiennes s’opposent clairement à l’utilisation de ce terme car elles estiment que « ce qui découpe le mouvement féministe n’est ni le temps, ni les générations, mais bien les courants d’idées »34. La périodisation des vagues ne semble donc poser aucun problème contrairement à la définition qui leur est accordée, tant le mouvement connaît des places et des temporalités différentes.

Malheureusement, Christine Bard démontre également que cette fragmentation du féminisme en principe de vagues tend à ne pas s’attacher aux « éclipses »35 des mouvements, instants où les mobilisations féministes se sont tues, ou du moins faites moins présentes dans l’espace public. Ces absences, dont la plus célèbre est celle qui suivit la chute du Mouvement de libération des femmes entre la fin des années 1970 et celle des années 1980, sont appelées

« backlash »36 - contrecoups. Ces silences de l’histoire mériteraient pourtant une étude plus

32. Christine Bard, « Faire des vagues – périodiser l’histoire des femmes », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 31-45.

33. David Bertrand, « L’essor du féminisme en ligne. Symptôme de l’émergence d’une quatrième vague féministe ? », Réseaux, La Découverte, p. 236.

34. Karine Bergès, « Introduction », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 18.

35. Christine Bard, « Faire des vagues … », op. cit., p. 42.

36. Karine Bergès, « Introduction », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 16.

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approfondie dans la mesure où ils sont symptomatiques de changements qui s’effectuent au sein du féminisme. Ils permettraient également d’envisager chaque vague dans un contexte plus global, l’avant, le pendant et l’après.

Mais à quoi correspondent ces vagues ? Que découpent-elles ? Et qui en sont les acteurs ? Un ensemble de questions se bouscule auquel il faut tâcher de donner réponses. Les études sont nombreuses, peuvent-elles alors nous éclairer au plus près de ce qu’est l’histoire du féminisme ?

1.2.2. Chronologie du féminisme : de la première à la troisième vague

Comme énoncé précédemment, l’historiographie du féminisme attribue à ce mouvement trois grandes phases depuis le milieu du XIXème siècle jusqu’à nos jours. Chacune de ses vagues s’est vue être plus novatrice que son aînée, avec des revendications étendues et de plus grandes réussites. Mais peut-on affirmer que c’est une rupture directe avec les idéaux précédents ou est- ce simplement une évolution améliorée de ceux-ci ? En s’appuyant sur de nombreuses chercheuses37, il nous est possible de dresser les grands traits de cette lutte féministe.

Tout d’abord, évoquons la première vague qui correspond au temps des suffragettes.

Ces femmes principalement anglo-saxonnes du milieu du XIXème siècle luttent pour que le droit de vote leur soit accordé. Suivies de près par les féministes françaises, toutes recherchent l’égalité, tant politique et économique que juridique, de leur statut face à celui des hommes. Ce premier mouvement est porté par des féministes assez bourgeoises, comme Marguerite Durand ou Hubertine Auclert. Bien que de nombreuses femmes – Marie-Louise Bouglé, Hélène Brion, Sarah Monod et d’autres – continuent de lutter pour leurs droits au XXème siècle, il est toutefois répété que le déclin, voire la fin de ce premier cycle, apparait durant l’entre-deux guerres. Or, comme le souligne Christine Bard, de nombreuses luttes sont encore gagnées à cette époque et c’est seulement l’Occupation qui provoque la division des femmes et les fait quitter la scène publique38.

S’ensuit la deuxième vague qui apparaît au cours des années 1960, d’abord aux États- Unis puis en Europe, et qui s’accorde à contester la domination masculine reproduite dans la société. Michèle Riot-Sarcey attribue à Simone de Beauvoir le déclenchement des évolutions futures. Son livre, Le deuxième sexe, parait en 1949 et connaît un franc succès. Évoquant la libération sexuelle individuelle comme moyen de s’affranchir des hommes, ses propos vont tout de suite intéresser les jeunes générations de féministes39. Se frayant un chemin jusque dans les

37. Karine Bergès, Binard Florence, Nedelec-Guyard Alexandrine (dir.), Féminismes du XIXème siècle …, op.

cit., 281 p. ; Maria Nengeh Mensah (dir.), Dialogues sur la troisième vague féministe, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 2005, 247 p. ; Christine Bard, Les féministes de la première vague, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 230 p.

38. Christine Bard, « Une histoire de l’histoire des féministes de la première vague », Les féministes de la première vague, op.cit., p. 24-25.

39. Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, op. cit., p. 93.

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années 1960, ses idées sont revendiquées par tout un ensemble de courants féministes – libéral, marxiste, radical et lesbien – chapeauté par le grand Mouvement de libération des femmes, pour venir se fracasser contre les murs du monde politique. Ainsi, de multiples possibilités s’ouvrent aux femmes, les années 1970 devenant un véritable tournant, aussi professionnel que privé, pour celles-ci. Mais le mouvement s’essouffle et trouve sa fin aux dernières heures de cette grande décennie 1970, principalement du fait de son renfermement sur lui-même : « le féminisme de la deuxième vague est resté centré sur “les femmes” comme catégorie unifiée, et a ainsi, à son tour, provoqué des dissidences » 40.

Aujourd’hui, il est convenu de définir notre époque comme étant celle de la troisième vague féministe. Les études sur cette troisième génération sont prolifiques et l’intérêt pour le sujet est croissant. Ce terme de « troisième vague » est apparu au début des années 1990 aux États-Unis41 du fait des mentalités bousculées par les women’s studies et des critiques formulées par les femmes contre le manque de représentation de la diversité féminine42. Selon Diane Lamoureux, l’objectif principal de ce mouvement féministe est de rompre avec la génération précédente, considérée comme trop générale dans ses luttes : « persistance des inégalités de genre », « remise en cause de la non-mixité », et d’être un « un féminisme plus englobant »43. Ainsi se développent divers mouvements féministes aux multiples revendications – afro, lesbien, latino à l’encontre d’un féminisme blanc et hétérosexuel. Ces mouvements luttent contre l’idée selon laquelle nous serions dans une ère postféministe rendant non-légitime toute action44. Le féminisme de la troisième vague se caractérise par son organisation horizontale, ses mobilisations collectives, mais aussi et surtout par son appropriation des technologies de l’information et de la communication. Cependant, cette notion de troisième vague fait débat. On s’interroge sur son existence, en allant parfois jusqu’à la remettre en question45 : pourquoi parler de troisième vague alors que les femmes de la deuxième sont toujours actives ? Il est alors plus facile, pour certains, d’user des termes de « nouvelles féministes », « féministes du XXIème siècle » ou « féministes du temps présent » puisque l’historiographie féministe peine à s’accorder.

40. Maria Nengeh Mensah, « Une troisième vague féministe au Québec ? », Dialogue sur la troisième vague féministe, op. cit., p. 14.

41. « Un premier réseau de jeunes féministes nommé The Third Wave s’est formé aux États-Unis en 1992 », (Maria Nengeh Mensah (dir.), Dialogues sur la troisième vague féministe, op. cit., p. 15.) ; « En 1992, la journaliste féministe états-unienne Rebecca Walker publie dans Ms. Magazine “Becoming the Third Wave.” », (Christine Bard, « Faire des vagues – périodiser l’histoire des féminismes », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 31.)

42. Diane Lamoureux, « Y a-t-il une troisième vague féministe ? », Cahiers du Genre, 2006/3, (HS n° 1), p. 60.

43. Diane Lamoureux, « Y a-t-il une troisième vague féministe ? », op. cit., p. 59, p. 67, p. 69.

44. Le féminisme n’aurait plus de raison d’exister car toutes les avancées auraient été réalisées. Diane Lamoureux, « Y a-t-il une troisième vague féministe ? », op. cit., p. 65-67.

45. Karine Bergès, « Introduction », Féminismes du XIXème siècle …, op. cit., p. 15.

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Pour autant, il est impossible de remettre en cause le fait qu’un changement se soit opéré dans la visibilité et les modalités d’actions des réseaux féminins ces dernières années.

Internet est venu bousculer le monde féministe qui, jusqu’au début du nouveau millénaire, n’avait que peu de relais pour se faire entendre.

1.3. Féminisme contemporain : les femmes à la conquête du Web

« Les théories sur le genre et la technologie ont considérablement évolué durant les deux dernières décennies. Alors que le féminisme de la seconde vague a généré un fatalisme qui insistait sur le rôle de la technologie dans la reproduction du patriarcat, dans les années 1990, les auteurs cyber-féministes ont célébré les technologies digitales comme étant en soi libératrices pour les femmes », disait Judy Wajcman dans son article « From Women and Technology to Gendered Technoscience » (2007)46.

Internet a rapidement intéressé le champ disciplinaire de la recherche, pour autant peu d’études ont été entreprises sur ses rapports avec le féminisme. Basées sur les propos de Fabien Granjon47, des initiatives récentes se sont démarquées afin d’analyser l’enjeu que représentait l’utilisation du Web par les féministes de la nouvelle génération.

1.3.1. Internet, mot-clé de la notion de troisième vague

La troisième vague ne peut se définir sans être accolée à l’outil Internet. En effet, tous s’accordent à dire que la naissance de l’un est concomitante du développement de l’autre durant les années 1990-2010. D’ailleurs, en France, l’apparition d’un nouveau féminisme dans la société fait suite à la Quatrième conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, tenue en 1995 à Pékin. Celle-ci a permis de conscientiser les femmes sur leur absence des médias48, engendrant chez de nombreuses associations féministes la volonté d’infléchir cette « fracture numérique de genre »49. La deuxième génération avait recours à des médias alternatifs pour s’opposer aux relais traditionnels mais cette troisième a su évoluer et s’approprier les outils virtuels pour affirmer son indépendance. Dans l’imaginaire collectif, Internet apparaît alors comme un possible relais des revendications féministes ; il est « vu, entendu, reconnu, toléré comme un espace ouvert, large, horizontal et transnational »50. Il représente également un parallèle à l’espace public, tout en étant moins dangereux et dominant. Dans un contexte où le féminisme cherche

46. Josiane Jouët, Katharina Niemeyer, Bibia Pavard, « Faire des vagues. Les mobilisations féministes en ligne », Réseaux, 2017/1, n°201, La Découverte, p. 31.

47 . Fabien Granjon, chercheur au Laboratoire de sociologie des usages du Centre de recherche et développement de France Télécom, est considéré comme le pionnier de la recherche sur l’Internet militant.

Ses publications concernent principalement les nouvelles formes d’engagements politiques et leur appropriation des techniques de l’information et de la communication.

48. Valérie Lootvoet, « Introduction », V. Lootvoet (dir.), Femmes et médias-médias de femmes, Université des femmes de Bruxelles, n° 2, 2010 (janvier 2011), p. 7-11.

49. Lucy Halliday, Histoire de l’Internet féministe en France (1996-2015) …, op. cit., p. 32.

50. Joëlle Palmieri, « Révéler les féminismes sur le Net », Femmes et médias …, op. cit., p. 96.

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à se faire moins radical et plus global par le biais d’espaces alternatifs, le Web semble alors parfaitement correspondre – de rares travaux sur le « cyberféminisme » ont d’ailleurs plébiscité cela, développant aussi l’idée qu’il permettrait de faire tomber les normes patriarcales51.

Néanmoins, la constante évolution de l’utilisation d’Internet dans le quotidien des féministes depuis 2010 amène certains chercheurs – dont David Bertrand en France52 – à avancer l’hypothèse que nous serions entrés dans une quatrième vague féministe.

1.3.2. Internet et la naissance de l’activisme militant

Le « cyberféminisme », comme certains le nomment, ne s’est pas développé de son seul fait et de l’unique volonté des femmes à affirmer leur représentation dans l’espace public.

Effectivement, il s’insère dans un plus grand mouvement d’appropriation des technologies de l’information et de la communication par les milieux politiques et militants, dit de

« cyberactivisme ». Comme évoqué plus haut, Fabien Granjon est le chercheur spécialiste de cette théorie de l’Internet militant, rapidement suivis par d’autres tels Olivier Blondeau, Laurence Allard, Cédric Biagini, Clément Mabi et Anaïs Theviot53. Indiquant que « les milieux militants ont toujours su s’emparer des médias alternatifs et des nouvelles techniques de communication »54, Fabien Granjon démontre également comment et pourquoi ces milieux – principalement les jeunes générations – se sont appropriés l’outil Internet à partir des années 1995. Déçus par les modèles politiques traditionnels, ils ont surtout été attirés par son mode d’organisation : affranchi de toutes contraintes – temporelles et spatiales –, il est construit sur un principe d’horizontalité, c’est-à-dire qu’il est a-hiérarchique et correspond alors aux principes nouvellement défendus par les mouvements militants. De plus, utiliser Internet pour se faire entendre est représentatif du ras-le-bol ressenti quant au manque de visibilité offerte à ces communautés dans l’espace public. Cela leur permet ainsi de rendre leurs informations plus rapidement accessibles tout en intéressant de nouveaux publics.

Le développement d’Internet a offert un ensemble de possibilités pour les milieux militants. Effectivement, il permet à ces utilisateurs en ligne de se retirer des actions en réel tout en restant très actifs virtuellement et leur rend également accessible une multitude de

51. Premiers travaux dus à Donna Haraway et Sadie Plant selon Christine Bard (dir.), Dictionnaire des féministes. France, XVIII-XXIème siècles, Paris, PUF, 2017.

52. David Bertrand, « L’essor du féminisme en ligne … », Réseaux, op. cit., p. 232-257.

53. Fabien Granjon, L’Internet militant. Mouvement social et usage des réseaux télématiques, Éditions Apogée, Médias et Nouvelles technologies, 2001, 189 p. ; Olivier Blondeau, Laurence Allard, Devenir média.

L’activisme sur Internet, entre défection et expérimentation, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, 381 p. ; Cédric Biagini, L’emprise numérique. Comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies, Montreuil, Éditions l’Échappée, 2012, 445 p. ; Clément Mabi, Anaïs Theviot, « S’engager sur Internet. Mobilisations et pratiques politiques », Politique de communication, n° 3, 2014/2, PUG, p. 5-24.

54. Fabien Granjon, « L’Internet militant. Entretien avec Fabien Granjon », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 79, 2005, p. 25.

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luttes55. Dans ce contexte, il est devenu impossible d’envisager le militantisme sans qu’il fasse usage du Web et le fossé numérique s’explique désormais à la « manière d’utiliser Internet » 56. Cependant, des critiques existent – certaines défendues par Cédric Biagini57. Internet représenterait la fin du militantisme car il ne serait qu’une illusion de la mobilisation dans la mesure où le virtuel ne peut être un véritable terrain d’action. De plus, il signerait également la fin des relations sociales, provoquant la circulation intensive d’informations et l’augmentation de la violence. Enfin, à cela s’ajouterait l’idée qu’à terme, seuls les dominants occuperaient une puissante position sur le Web, engendrant ainsi la poursuite des inégalités58.

Pourtant, cet outil représente encore un grand espoir pour toute société actuelle dans la mesure où il est le symbole de l’émancipation face aux normes imposées par l’ensemble des structures traditionnelles.

1.3.3. Femmes en réseau et empowerment

Différentes études démontrent l’idée défendue par les chercheurs et chercheuses de la troisième vague selon laquelle le féminisme serait passé d’un mouvement de rue à un engagement en ligne. Les chiffres résultant de ces études sont clairs, les femmes sont les principales utilisatrices d’Internet, principalement lorsqu’elles ont moins de trente ans59. Ainsi, il est nécessaire d’observer comment s’inscrit ce nouvel outil dans la mobilisation féministe.

Tout d’abord, nous observons que cette nouvelle génération de féministes se revendique comme étant celle qui fera bouger les barrières de l’inégalité et de l’effacement des femmes dans la sphère publique. Or, bien des obstacles sont à franchir afin d’atteindre cet idéal. Dans cette conception, elles ont compris qu’Internet serait leur force. Un premier tableau de cette prise de conscience nous a été dressé par Lucy Halliday au sein de son mémoire60. Les premières féministes à utiliser Internet à la suite de la Conférence de Pékin sont Les Pénélopes et Les Internénettes. Tout en se rendant davantage visibles, elles font la promotion de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans les mouvements féministes en transmettant leurs savoirs à travers leur site. Elles revendiquent l’utilisation d’Internet comme porte d’entrée vers de nouvelles possibilités et cherchent ainsi à en développer son emploi dans le militantisme féministe : le Web offre une première tribune aux femmes qui n’en avaient jamais eue jusque-là.

55. Théorie défendue par Jacques Ion et reprise dans Fabien Granjon, « L’internet militant … », op. cit., p. 25.

56. David Bertrand, « L’essor du féminisme en ligne … », op. cit., p. 233.

57. Cédric Biagini, L’emprise numérique..., op. cit., p. 219-221.

58. Clément Mabi, Anaïs Theviot, « S’engager sur Internet… », op. cit., p. 9.

59. Étude de Médiamétrie « Web Observatoire des Réseaux Sociaux 2015 » : en 2015, 61% des femmes se connectaient tous les jours à Internet contre 53.5% des hommes. (Josiane Jouët, Katharina Niemeyer, Bibia Pavard, « Faire des vagues … », op. cit., p. 32.) ; enquêtes du Pew Research Center (David Bertrand, « L’essor du féminisme en ligne … », op. cit., p. 235.)

60. Lucy Halliday, Histoire de l’Internet féministe en France (1996-2015) …, op. cit., p. 32-39.

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De plus, créateur de réseaux, Internet donne naissance à une internationalisation facilitée de la lutte. Permettant la diffusion des idées, il provoque également une augmentation d’intérêt chez les jeunes générations et les « communautés d’activistes dormantes »61 ainsi qu’une hausse de la participation. Jessalynn Keller estime que le simple fait de retweeter, commenter ou créer un site féministe permet d’attacher les femmes au combat en leur offrant une autre alternative que l’adhésion aux structures traditionnelles62. Effectivement, Internet offre un espace militant dématérialisé à celles qui le souhaitent. À l’aide de hashtags ou de posts, ce féminisme dénonce et provoque, ce qui renforce alors l’idée d’un féminisme 2.0 favorisant l’empowerment, c’est-à-dire l’émancipation des femmes. Avec Internet, on peut partager nos expériences, les relayer et organiser des actions collectives qui ne pourraient être possibles à une pareille échelle si cela s’effectuait dans un espace public63. Comme l’indique Armelle Weil, Internet possède alors une multitude de statuts : pour certains, il est « une fin en soi », tandis que pour d’autres, il n’est qu’un relais de communication64. Mobilisateur d’expériences, il est également un espace de création culturel principalement utilisé par les femmes.

Malheureusement, le Web étant un espace invisible, sans barrière ni règle, il offre également la parole à toute forme de violence. La première est celle que l’on peut définir d’ « interne au milieu » féministe65. Étant à la quête d’un féminisme idéal, certaines militantes s’attaquent et déchirent leur propre combat, engendrant alors un silence consenti de beaucoup de femmes. La seconde violence est produite par des haters – des cyberharceleurs. Attaquant les minorités qui luttent contre diverses formes d’inégalité, cette violence est la plus présente et la plus dangereuse dans les processus d’émancipation des femmes. Mais elle est aussi révélatrice d’une large prise de pouvoir des femmes dans l’espace numérique66.

Ainsi, il semble que le féminisme soit à la recherche d’un ensemble de représentations depuis toujours. Luttant contre son éviction dans l’histoire, il est désormais un thème développé dans les milieux universitaires. De la constitution de son histoire à l’étude de son épanouissement dans la société actuelle, ce féminisme est loin d’être entièrement exploré et ne cesse d’offrir de nouvelles possibilités à ses activistes. Bien loin d’avoir acquis la reconnaissance de tous, ce combat semble désormais bien plus accepté sur la place publique. Aussi, chaque jour, la société s’applique à sauvegarder davantage les traces de son histoire et à la valoriser.

61. Armelle Weil, « Vers un militantisme virtuel ? … », op. cit., p. 69, p. 79.

62. Bibia Pavard, « Les mobilisations féministes … », op. cit., p. 165.

63. Des actions tels que Paye ta shneck ou #balancetonporc symbolisent ce potentiel : des témoignages de harcèlement sexiste et sexuel participant alors à une prise de conscience collective et à l’émergence de nouveaux combats.

64. Armelle Weil, « Vers un militantisme virtuel ? … », op. cit., p. 81.

65. Armelle Weil, « Vers un militantisme virtuel ? … », op. cit., p. 71-72.

66. Josiane Jouët, Katharina Niemeyer, Bibia Pavard, « Faire des vagues. … », op. cit., p. 48.

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2. Des archives et des femmes

Les archives sont les sources de l’histoire. Sans elles, pas d’histoire et sans histoire, aucune appartenance. La France s’attache à collecter, conserver et valoriser un ensemble de documents, principalement publics, puis secondairement privés afin de pallier les vides historiques. Pour autant, cette politique d’archivage représente un point de friction pour certaines catégories de notre société. Ne produisant pas d’archives ou n’intéressant aucune institution, de nombreux groupes ne sont pas représentés au sein des fonds d’archives conservés. Cette absence de politique à l’égard des minorités provoque alors un double danger.

Si aucune archive ne démontre l’existence et l’organisation de ces groupes, leur histoire ne peut exister. Mais ce manque de représentativité, comme Terry Cook le rappelle, tend également à engendrer un cercle vicieux : non-représentées, ces minorités ne fréquenteront pas les services d’archives67. Et si elles ne les fréquentent pas, comment alors peuvent-elles penser donner afin de pallier ce silence historique ?

Ces questionnements représentent un véritable enjeu, tant dans les débats actuels que dans les recherches scientifiques et les prises de décision institutionnelles. Elles concernent les minorités raciales mais également sexuelles dont le mouvement féministe se revendique. Ainsi, de leur première rencontre aux tentatives de rapprochement de ces dernières années, il serait intéressant de s’aventurer au sein de cette difficile relation qui existe entre les archives, les femmes et les institutions.

2.1. Archiver l’histoire des femmes, une ancienne revendication pour lutter contre l’oubli (XIX

ème

-XX

ème

siècles)

« L’oblitération de la mémoire des femmes vient aussi de la dissémination des sources et de l’occultation de leurs œuvres, dispersées ou englouties dans des fonds généraux » affirme Annie Dizier-Metz dans son ouvrage sur la Bibliothèque Marguerite Durand68. Cette bibliothèque, fondée en 1932 après don des collections d’une journaliste féministe, fut d’ailleurs le grand témoin de la difficulté que représente l’archivage des sources féminines et féministes jusqu’aux années 2000.

2.1.1. Archives de femmes, mais où sont-elles ?

Tout d’abord, lorsque les femmes entreprennent de combler les lacunes de l’histoire au cours de la seconde moitié du XXème siècle, une chose évidente leur apparait : il existe peu, voire

67. Bénédicte Grailles, « Quelques réflexions à l’usage des archivistes », Bénédicte Grailles, Patrice Marcilloux, Valérie Neveu, Véronique Sarrazin (dir.), Les dons d’archives et de bibliothèques. XIXème-XXIème siècle. De l’intention à la contrepartie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 49.

68. Annie Dizier-Metz, La Bibliothèque Marguerite Durand, histoire d’une femme, mémoire des femmes, Paris, Bibliothèque Marguerite Durand, 1992, 83 p.

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