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: La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion oumoteur du changement social ? SOCIOLOGIE

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Academic year: 2022

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SOCIOLOGIE

THEME : La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du changement social ?

NOTIONS: conflits sociaux, mouvements sociaux, régulation des conflits, syndicat.

INDICATIONS COMPLEMENTAIRES : on montrera que les conflits peuvent être

appréhendés à partir de grilles de lecture contrastées : comme pathologie de l'intégration ou comme facteur de cohésion ; comme moteur du changement social ou comme résistance au changement.

En s'appuyant sur quelques exemples, on s'interrogera sur la pertinence respective de ces différents cadres d'analyse en fonction de la nature des conflits et des contextes historiques.

On s'intéressera plus particulièrement aux mutations des conflits du travail et des conflits sociétaux en mettant en évidence la diversité des acteurs, des enjeux, des formes et des finalités de l'action collective.

CONFLITS ET MOBILISATION SOCIALE

I°) Introduction: Conflit social et mouvement social : quelques définitions II°) Quelques caractéristiques sur les « nouveaux mouvements sociaux »

III°) Les « nouveaux mouvements sociaux » : les analyses du « post-matérialisme »

IV°) Les « Nouveaux mouvements sociaux » : l’analyse d’Alain Touraine en termes d’historicité

I °) Introduction: conflit social et mouvement social : quelques définitions

Mai 68 est-il un conflit social ou un mouvement social ? Et la marche des chômeurs ? Les grèves de cheminot ? Les contre-sommets du G8 ? Bien que ces deux termes apparaissent inextricablement liés, il est possible de les organiser afin de les rendre plus intelligible et éviter ainsi toute confusion.

1.) Le conflit social dispose de deux définitions selon qu’on l’utilise au singulier ou au pluriel. Le conflit social désigne de façon générale l’affrontement entre les acteurs sociaux sur le fonctionnement et les buts de l’organisation sociale, la répartition des revenus, l’organisation des institutions, les orientations politiques, etc... A l’inverse les conflits sociaux désignent tout un ensemble de conflits secondaires qui forment autant de clivages dont est constituée la société : conflits religieux, ethniques, linguistiques. Ainsi bien que les conflits sociaux se raccrochent à de nombreux phénomènes quotidiens (grèves, manifestation, boycott, etc.), le conflit social est avant tout une « prénotion » telle que la définit Emile Durkheim dans Les règles de la méthode sociologique (1895), c'est-à-dire une idée spontanée sur la réalité sociale souvent fausse demandant à être remplacée par un « fait construit » susceptible d’expliquer convenablement un phénomène social. L’expression de « conflit social » comporte de nombreux sous-entendus politiques et notamment à l’analyse marxiste en termes de lutte de classes. Le conflit doit être distingué de la concurrence, de la sélection ou de la compétition.

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2.) La notion de mouvement social constitue à la fois une spécification et une extension de la notion de conflit social. Spécification car elle désigne certains conflits particuliers et extension car elle qualifie des mobilisations dotées d’une ampleur telle, qu’elles sont susceptibles de remettre en cause l’ordre social. C’est ainsi qu’on parle de « mouvement social » à propos de mai 68. Ce terme apparaît en revanche impropre pour qualifier une grève de cheminots ou d’infirmières demandant la revalorisation de leur statut. C’est non seulement l’ampleur du mouvement (nombre de personnes concernées), mais aussi l’ampleur des revendications qui permet de qualifier un conflit comme étant un « mouvement social ». Un mouvement social s’accompagne en effet le plus souvent de la revendication de droits (droit au travail, à la santé, etc.) dotés d’une portée universelle. Bien qu’initialement centrés sur le monde du travail, les mouvements sociaux (et a fortiori les conflits sociaux) se sont élargis à de nouveaux objets, d’où l’appellation de « nouveaux mouvements sociaux ».

3.) Interroger les conflits sociaux permet d’analyser des phénomènes variés à partir duquel s’établit la réalité sociale et politique (réformes, etc.). Mais de façon plus générale à travers la question des conflits sociaux, c’est la question du changement social qu’il est possible d’interroger. En étudiant une mobilisation, aussi concrète et particulière soit elle, on est conduit à mener une réflexion d’ensemble sur l’ordre social et son changement. On oppose ainsi généralement les théories de l’intégration, qui perçoivent le conflit comme le révélateur d’un dysfonctionnement d’une société perçue comme harmonieuse (c’est le cas de Durkheim et plus généralement du « fonctionnalisme ») et les théories du conflit, qui mettent l’accent sur les processus de domination et sur l’opposition irréductible entre les groupes (sociologie marxiste et sociologie critique de Pierre Bourdieu).

4.) On englobe les conflits sociaux et les mouvements sociaux dans l’expression plus générale d’action collective que l’on distingue d’une « action sociale ». L’action collective se distingue par trois caractéristiques.

· Le groupe partage des objectifs et des buts car ses membres ont des intérêts communs à agir ensemble (Exemple : les membres d’une association écologiste qui militent en faveur de la réduction de l’effet de serre et du réchauffement climatique).

· Le groupe doit manifester une solidarité effective qui l’unit par rapport aux groupes concurrents (Exemple : le groupe d’écologiste sera très probablement unit contre les groupes pétroliers ou les constructeurs automobiles).

· Le groupe doit s’organiser pour mener l’action de façon efficace afin d’atteindre des buts communs (Exemple : le groupe d’écologistes peut organiser une pétition en faveur du développement des énergies renouvelables).

II°) Quelques caractéristiques sur les « nouveaux mouvements sociaux »

L’expression de « nouveaux mouvements sociaux » (NMS) fait référence d’une part à de nouvelles formes de mobilisations apparues au cours des années soixante et d’autre part à un ensemble de travaux et recherches théoriques tentant de renouveler l’analyse des conflits sociaux.

Les NMS seraient des formes de contestation inédites apparues au cours des années soixante bien qu’ils nous semblent aujourd’hui tout à fait communs : le féminisme, l’écologisme, les mouvements régionalistes, les mouvements étudiants. Se sont peu à peu ajoutés de nouveaux mouvements défendant de nouvelles causes comme les droits des immigrés, des homosexuels ou encore le droit à une alimentation saine, etc.

Ces NMS se caractériseraient par une rupture avec les conflits sociaux plus classiques symbolisés par le syndicalisme et le mouvement ouvrier. Soulignons, en suivant Erik Neveu, quatre points de cette rupture qui justifieraient cette nouveauté :

 Les formes d’organisation et d’action : les NMS manifestent une défiance explicite avec la centralisation des partis et syndicats souvent jugés trop bureaucratiques. Ces NMS valorisent, au moins dans les discours, l’autonomie des structures décentralisées. A l’encontre des discours idéologiques jugées trop vastes, comme la « lutte des classes », ces mouvements valorisent des objectifs précis souvent ponctuels (arrêter un train transportant des déchets radioactifs par exemple).

Enfin les NMS se singularisent par leurs répertoires d’action collective avec des formes de protestation peu institutionnalisés, valorisant l’aspect festif (sit-in, gay-pride ou défilé homosexuel,

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fête paysanne anti-OGM) ou la dimension symbolique (grève de la faim en faveur des immigrés sans- papiers, préservatif géant sur l’obélisque de la concorde pour la lutte contre le sida).

 Les valeurs et revendications : tandis que les conflits sociaux classiques portaient sur la distribution des richesses (augmentations de salaire), les NMS comporteraient des revendications moins matérielles et plus symboliques. Leurs revendications seraient souvent l’expression d’un style de vie voire d’une identité. Exemple : les mouvements homosexuels témoignent d’une revendication identitaire forte.

 Le rapport au politique : contrairement aux syndicats qui fonctionnaient en relation étroite avec les partis politiques, ces mouvements sont souvent méfiants voire réfractaires aux organisations politiques, considérées comme compromises.

 L’identité des acteurs : tandis que les « anciens » mouvements sociaux se revendiquaient d’une unité de classe (ouvrière, paysanne, etc.), les NMS se définissent par rapports à des critères qui sont souvent plus culturels qu’économiques. Exemples : l’identité sexuelle, religieuse, régionale, etc.

Ainsi, les « nouveaux mouvements sociaux » traduiraient l’émergence de conflits, dont le fondement ne serait plus le monde du travail, mais une recherche de reconnaissance sociale. Ils révèlent ainsi la place croissante des en jeux symboliques des conflits sociaux. Les mouvements sociaux sont en effet producteurs d’identité non seulement parce qu’ils s’appuient sur des intérêts communs, mais aussi parce qu’ils sont producteurs d’un sentiment d’appartenance collective. (Exemple : un groupe de voisins de quartiers se mobilisant à l’occasion d’un contentieux avec la mairie, peut, par exemple aboutir à la création d’une association de défense des intérêts du quartier, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance à un groupe.

III°) Les « nouveaux mouvements sociaux » : les analyses du « post-matérialisme »

Les « nouveaux mouvement sociaux » s’inscriraient dans l’affirmation de nouvelles identités et de nouvelles valeurs. C’est en tout cas ce que prétendent les théoriciens « post-matérialistes » qui postulent le passage de valeurs matérialistes à des valeurs post-matérialistes, c'est-à-dire moins orientées vers les ressources économiques et plus marquées par des enjeux identitaires.

Parmi ces théories, Didier Lapeyronnie distingue deux courants de pensée : ceux d’une part qui théorisent cette société post-industrielle et ses aspirations et ceux d’autre part qui comme Alain Touraine s’inscrivent dans une perspective néo-marxiste en tentant d’identifier un « nouveau » conflit central susceptible de prendre la relève du mouvement ouvrier.

Le premier théoricien de la société « post-industrielle » qui caractériserait les « Trente glorieuse » est Daniel Bell. Ce sociologue publie en 1973 un « essai de prospective sociologique » intitulé "Vers la société post- industrielle" dans lequel il décrit les principales évolutions à venir de nos sociétés. La société post-industrielle se caractériserait selon lui par le passage d’une production matérielle à l’essor de l’ « immatériel » (comme l’information), la valorisation du savoir sur la technique et un déplacement du pouvoir vers ceux qui maîtriseraient la « nouvelle technologie intellectuelle ». Le conflit social apparaît dès lors modifié en fonction de la nouvelle structure sociale.

C’est Ronald Inglehart, sociologue américain, qui apporta une justification théorique des NMS, notamment dans son livre La révolution silencieuse, publié en 1977. Pour lui les mouvements sociaux sont généralement orientés selon les valeurs d’une société. Les « Trente glorieuses » constituent une période de prospérité au cours de laquelle les revendications matérielles tendraient à perdre de l’importance. Ainsi dans les sociétés occidentales, la satisfaction des besoins matériels de l’essentiel de la population permettrait un déplacement du conflit vers des revendications plus qualitatives. A partir d’un ensemble de faisceaux (développement économique, hausse du niveau d’instruction, développement des moyens de communication, etc.) Inglehart esquisse un indicateur global de post-matérialisme qui permettrait de mettre en évidence cette lente transformation des valeurs. C’est au final une révolution culturelle qui est à l’œuvre selon lui dans nos sociétés industrielles, d’où le titre de son ouvrage, à travers les nouvelles générations.

Contrairement aux générations ayant connues les conflits mondiaux, la génération du baby-boom serait moins matérialiste, plus ouverte à la « tolérance » et plus sensible aux questions environnementales. Ce sont sur ces nouvelles bases culturelles que se structuraient de nouveaux conflits sociaux autour de nouvelles causes. Les conflits sociaux sont dès lors perçus comme le résultat d’un décalage entre ces

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nouvelles » demandes sociales et l’incapacité des institutions à y répondre de façon convenable . C’est autrement dit l’incapacité des autorités sociales et politiques qui aboutirait à la création de mouvements protestataires en dehors des cadres classiques de l’action collective. On pense ici à la désyndicalisation et la remise en cause des partis politiques comme structures inadéquates pour entendre les revendications de la

« société civile ».

IV°) Les « Nouveaux mouvements sociaux » : l’analyse d’Alain Touraine en termes d’historicité 1.) Bien qu’Alain Touraine fut l’un des premiers sociologues en France à distinguer les nouveaux

mouvements sociaux des conflits sociaux plus traditionnels, sa perspective s’inscrit dans la tradition marxiste : la modernité est pour lieu toujours le lieu d’un affrontement entre deux grands acteurs collectifs ou classes sociales. Il s’inscrit ainsi contre le courant d’analyse américain qui propose d’analyser les conflits sociaux à partir d’une rationalité instrumentale de type économique, à l’instar d’Olson ou d’Oberschall.

« Notre hypothèse principale est que le syndicalisme n’est pas seulement une « coalition » formée pour l’obtention de « biens collectifs » comme le pense Mancur Olson ou Anthony Oberschall, mais un mouvement défini par sa position dans des rapports de classe et qui met en cause l’utilisation des forces de production de la société industrielles ». L’analyse en termes de mobilisation des ressources réduit selon lui les mouvements sociaux à des groupes de pression et néglige ainsi le contenu idéologique ainsi que le sentiment de solidarité ou d’hostilité qu’expriment ces mouvements.

2.) Il existe pour Touraine dans chaque société un mouvement social et un seul qui incarne non une simple mobilisation mais un projet de changement social. Pour parvenir à ce statut de changement social, une mobilisation doit remplir trois conditions.

 Un principe d’identité, c’est à dire « qui lutte ? » : « Le principe d’identité est la définition de l’acter par lui- même. Un mouvement social ne peut s’organiser que si cette définition est consciente ; mais la formation du mouvement précède largement cette conscience. C’est le conflit qui constitue et organise l’acteur […] Si j’emploie cette expression [principe d’identité], ce n’est donc pas pour laisser croire qu’un mouvement social part de la conscience de lui-même, de ses intérêts et de ses buts, avant d’entrer en lutte avec l’adversaire sur un champ de bataille déterminé par les circonstances. L’identité de l’acteur ne peut pas être définie indépendamment du conflit réelavec l’adversaire et de la reconnaissance de l’enjeu de la lutte ».

 Un principe d’opposition, c’est à dire « qui est l’adversaire ? » : « Un mouvement ne s’organise que s’il peut nommer son adversaire, mais son action ne présuppose pas cette identification. Le conflit fait surgir l’adversaire, forme la conscience des acteurs en présence. Même si le conflit est limité par son enjeu immédiat et les forcs qu’il mobilise, on ne peut parler de principe d’opposition que si l’acteur se sent confronté à une force sociale générale en un combat qui met en cause des orientations générales de la vie sociale » (La production de la société).

 Un principe de totalité, c’est à dire « pourquoi lutter ? » : le principe de totalité renvoie à une notion clef de l’analyse tourainienne : l’historicité, c’est à dire « l’ensemble des formes de travail de la société sur elle- même ». L’orientation (ou la ré-orientation) de l’historicité est selon Touraine l’enjeu de la lutte des classes.

Un mouvement social n’est par conséquent compréhensible, qu’en tant qu’il lutte en vue de la « direction de l’historicité, c’est à dire des modèles de conduite à partir desquels une société produit ses pratiques ». En bref, ce qui différencie fondamentalement action collective et mouvement social selon Touraine est la recherche d’une orientation générale de la société.

3.) Ainsi à chaque type sociétal correspondrait un seul et unique mouvement social. La société industrielle se caractériserait par les luttes du mouvement ouvrier, la société marchande par la lutte pour les droits civiques, et la société « post-industrielle » par les « nouveaux mouvements sociaux » (NSM). C’est dans une telle optique que Touraine et ses collègues (F. Dubet et M. Wieviorka) vont analyser les mobilisations étudiantes de Mai 68, le Chili d’Allende, les mouvements antinucléaires ou les conflits régionalistes comme les luttes occitanes l’image d’une quête du mouvement social capable de prendre la relève du mouvement ouvrier déclinant. En effet le déclin de la société industrielle, à partir de laquelle s’était constituée une conscience de classe ouvrière, laisse vacante la place d’acteur central dans la production de la société. « On comprend mieux maintenant, dans ce contexte historique, l’objectif central de notre recherche, découvrir le mouvement social qui occupera, dans la société programmée, la place centrale qui fut celle du mouvement ouvrier dans la société industrielle et du mouvement pour les libertés civiques dans la société marchande.

4.) Comme l’écrit Erik Neveu « cette quête d’un nouveau mouvement social est aussi un travail de deuil permanent ». Les nouvelles luttes s’avèrent en effet incapables jusqu’à aujourd’hui de se constituer comme

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« sujet historique » disposant d’une maturité égale celle du mouvement ouvrier. C’est par exemple le cas du mouvement antinucléaire, auquel Touraine a consacré une étude, enlisé dans des enjeux locaux et qui demeure incapable de produire un cadré théorique où ses valeurs et ses adversaires seraient clairement identifiés (La prophétie anti-nucléaire, 1980). On peut penser à la difficulté des partis écologistes à formuler un projet de société suffisamment cohérent et plus largement à la difficulté des NMS à dépasser le cadre de revendications catégorielles (associations féministes, par exemple).

5.) Ces nouvelles luttes doivent, dans les sociétés programmées, prendre conscience d’elles-mêmes par le biais de l’ « intervention sociologique ». Touraine entend, par ce terme, une méthode selon laquelle le sociologue devrait intervenir afin d’aider les acteurs à saisir la signification de leur lutte. Le sociologue se transforme ainsi en producteur du social, voire en prophète, dont la mission serait de faciliter l’émergence d’un mouvement social. Pour cela, le sociologue doit entrer en contact avec le groupe afin de l’obliger à expliciter le sens de son action et prendre conscience ainsi de ses valeurs et de son adversité.

6.) La sociologie tourainienne constitue une alternative importante dans la façon de concevoir les NMS aux approches anglo-saxonnes pour lesquelles la notion de classe aurait perdu toute pertinence. Pourtant elle n’échappe pas à certaines critiques :

 Tout d‘abord, l’analyse tourainienne demeure très largement marquée par « le mouvement ouvrier » en tant qu’étalon de référence à l’aune duquel sont mesurés tous les conflits sociaux ultérieurs. Ce

« mouvement ouvrier » apparaît par ailleurs largement mythifié. Quels étaient les éléments constitutifs de ce mouvement ? Comment est il apparu ? Quels buts poursuivait-il ? Autant de questions qui demeurent sans réponses…

 Comme dans les travaux anglo-saxons qu’il critique, Touraine fait peu de cas au rôle de l’Etat et plus généralement du pouvoir politique. Il raisonne ainsi comme si ces mouvements et conflits sociaux pouvaient émerger de la société civile en opposition à l’Etat mais sans que le poids du politique dans ces conflits ne soit élucidé.

V°) Les « Nouveaux mouvements sociaux » : quelle nouveauté ?

1.) Face aux transformations de la société (déclin du syndicalisme et baisse du nombre d’ouvriers, émergence de nouvelles revendications et de nouveaux modes d’action, etc.), certains sociologues ont tenté de théoriser la spécificité des conflits propres à la modernité, qualifié sous l’appellation de « nouveaux mouvements sociaux ». Mais en recourant si abusivement à l’appellation flatteuse de « nouveauté » n’ont ils pas cédé aux sirènes de la « modernité » ? Il s’agit dès lors d’interroger la part de nouveauté que comportent ces NMS. On peut formuler au moins trois critiques à ces théories :

2.) Contrairement aux « anciens » mouvements sociaux, comme le conflit ouvrier, dont les enjeux étaient matériels, les revendications des NMS seraient avant tout de nature idéologiques voire identitaires. Cette opposition ne résiste guère à un examen approfondi. Tout d’abord comme l’a démontré Olivier Filleule dans son étude des manifestations de rue en France (Stratégies de la rue, 1996), les revendications matérielles (salaires, emplois, conditions de travail, etc.) l’emportent nettement sur les griefs « post-matérialistes ».

Mais surtout la dichotomie (=opposition) entre revendications « matérielles » et « post-matérialistes » peut être remise en cause. Les grèves ouvrières peuvent porter des enjeux plus idéologiques. C’est par exemple le cas des grèves en faveur de la journée de travail de huit heures en début de siècle ou le mouvement de 1936 qui s’apparentait à un refus du taylorisme et à l’aspiration d’une majeure autonomie dans le travail. Certains se sont ainsi élevés violemment contre: « Les analyses en terme de « post- matérialisme » ne sont ainsi, que des diagnostics et pronostics normatifs sur le changement social voués à être démentis dans les faits » (Collovad Annie, Humanitaire ou le mangement des dévouements).

3.) L’idée en second lieu d’un « effacement des conflits des classes » au profit d’appartenances multiples et d’individus autonomes est d’autre part très contestable. La participation à des mouvements sociaux apparaît en effet fortement corrélée aux dispositions sociales des acteurs qui y prennent part. Ainsi les analyses de Mai 68, perçu comme le moment inaugural d’un « nouveau » conflit social, soulignent la forte participation des cadres et professions libérales à l’inverse des milieux pus populaires comme les ouvriers et les employés. Les individus les plus enclins à la protestations sont très nettement issus des milieux les plus favorisés, comme en témoigne la surreprésentation des diplômés dans les conflits sociaux. Il apparaît donc

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que la caractère « inter-classiste » affiché par les NMS se trouve infirmé par le rôle que joue l’inégale distribution des ressources dans l’action collective.

4.) Un dernier travers de l’analyse des NMS tient à la surestimation de l’importance et de la durabilité de certains conflits. Le mouvement ou féministes ne semble pas avoir survécu à l’obtention de certaines de leurs revendications (droit à la contraception avec la loi Neuwirth, droit à l’avortement avec la loi Veil), ce qui permet de douter du « projet de société » dont seraient porteurs ces groupes sociaux. Si ce nouveau paradigme s’appuie sur l’émergence de mouvements sociaux émergents, son succès théorique est probablement lié à un effet de contexte des « Trente glorieuses » comme Erik Neveu l’a mis en évidence.

On risque dès lors de surestimer le clivage entre « anciens » et « modernes », surtout lorsque l’on observe que certains NMS ont pris position dans les cadres plus traditionnels de l’action collective, tels que les partis « verts » en France mais surtout en Allemagne. Pour échapper à toute opposition réductrice Erik Neveu propose de raisonner en termes d’institutionnalisation des mouvements sociaux, c’est à dire la capacité qu’on certaines organisations à faire reconnaître à long terme leur autorité au sein du système politique. Il ne s’agit ainsi plus tant d’opposer les anciens mouvements aux nouveaux mais de voir comment certains mouvements arrivent à se pérenniser. L’approche en termes d’institutionnalisation ouvre la voie à une analyse des relations entre les groupes sociaux et les pouvoirs publics. Là où les théoriciens des NMS voyaient un simple rapport d’opposition, on peut lire un processus de domestication, c’est à dire la capacité des pouvoirs publics à négocier, voire apprivoiser, avec les représentants des mouvements sociaux à l’aide de nombreux dispositifs (nominations, subvention, etc.). Un exemple de cette institutionnalisation est la création de ministères durant les années soixante-dix à partir de revendications portées par des mouvements sociaux (Droit des femmes, Lutte contre les discriminations, Environnement, Consommation, etc.). Parfois réduits à une dimension purement symbolique, ces administrations recrutent souvent d’anciens militants qui y voient des stratégies de reconversion.

Après avoir lu et compris les concepts et mécanismes sociologiques présentés dans le thème ci- dessus, tentez de répondre aux questions suivantes, en les justifiant et les illustrant par des situations historiques ou d’actualité:

1°) Définir sociologiquement la notion de « mouvement social ».

2°) Selon quel courant sociologique, les conflits sociaux sont-ils révélateurs d’un dysfonctionnement dans l’ordre social ?

3°) D’après l’analyse marxiste, le conflit social est-il lié aux contradictions internes de la société (facteur endogène) ou bien externe à la société (facteur exogène) ?

4°) Expliciter la distinction utilisée dans la théorie marxiste entre « classe en soi » et « classe pour soi ».

5°) D’après l’analyse sociologique, les formes de mobilisations collectives sont-elles immuables dans le temps ou bien toujours en évolution au cours de l’histoire ?

6°) La théorie marxiste de « la lutte des classes » est-elle toujours pertinente pour analyser les conflits sociaux contemporains?

7°) Selon A.Touraine, qu’est ce qui différencie fondamentalement l’action collective et le mouvement social ?

8°) Pour A.Touraine, quel est la nature du changement social ? 9°) Comment caractériser la société post-industrielle ?

10°) Définir la notion de « Nouveaux Mouvements Sociaux » (N.M.S.) ?

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