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Entre sujet et objet de soin, quelle place pour le patient?

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Academic year: 2022

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Entre sujet et objet de soin, quelle place pour le patient ?

I.F.S.I. de l’E.R.F.P.P. du G.I.P.E.S. d’Avignon et du Pays de Vaucluse

GARCIA Laura

Promotion 2019-2022

Unité d’Enseignement 5.6. S6 : "Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles "

Directrice de mémoire : SOLLIER Céline Date de remise : 23/05/2022

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Note aux lecteurs :

« Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie sans l’accord de son autrice. »

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Remerciements :

Je souhaite débuter en remerciant Madame SOLLIER Céline, ma directrice de mémoire, qui m’a vu rire et pleurer en faisant ce travail mais qui m’a parfaitement guidé et soutenu tout du long. Je vous remercie pour votre temps, votre patience et vos conseils qui m’ont été précieux.

Monsieur GADY Hervé, mon référent pédagogique, sur qui j’ai toujours pu compter, et avec qui j’ai beaucoup ri et bu de nombreux cafés ! Je vous remercie du soutien moral et des encouragements que vous avez pu me donner.

L’ensemble des formateurs du GIPES et des intervenants, pour l’encadrement et la richesse intellectuelle de ces trois années de formation, et grâce à qui j’ai acquis les savoirs théoriques essentiels à la pratique de ce beau métier.

Rébecca, Anne-Lise et Isabelle, les documentalistes du GIPES, pour leur aide pendant mes recherches ainsi que leur disponibilité et leur écoute tout au long de cette formation.

Un remerciement tout particulier aux quatre infirmiers interrogés, sans qui ce devoir ne serait pas ce qu’il est. Je vous remercie pour votre participation, votre sincérité, et votre implication en ayant pris de votre temps, personnel et professionnel.

Aux infirmiers rencontrés en stage qui m’ont transmis leur savoir pratique et m’ont permis de devenir l’infirmière que je suis en terminant ce devoir, ainsi que l’ensemble des personnels soignants et non soignants que j’ai eu la chance de rencontrer. Merci pour votre bienveillance et votre gentillesse à mon égard. J’ai fait de très belles rencontres…

Florent, pour sa relecture et ses encouragements dans la fin de l’écriture de ce travail.

Julie et Charline, mes camarades de promotion devenues des amies, avec qui j’ai partagé ces trois années qui n’ont pas été tendres avec nous du fait du Covid-19. Merci pour tous ces instants de rires qui nous ont permis de décompresser. Vous avez égayé mes journées et je vous en remercie.

Toute ma famille, et plus particulièrement mes parents, mes sœurs et mes grands-parents paternels, que j’aime infiniment. Merci à ma maman, pour les heures passées à m’interroger avant les partiels.

Nicolas et Raphaël, mes meilleurs amis depuis maintenant dix-huit ans, qui ont toujours été présents pour moi, qui m’ont fait rire mais ont également séché mes larmes. Je vous remercie pour votre soutien. J’espère vous garder toujours dans ma vie. Je vous aime.

Et enfin à toi qui prends de ton temps pour lire mon travail et le faire perdurer. J’espère qu’il te permettra de débuter une réfection sur le sujet et qu’il t’apportera quelques réponses…

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Joueur de blouse

On dit bien souvent « l’habit ne fait pas le moine », En psychiatrie parfois, celui-ci nous dédouane.

Et si dans les médias on nous dit « blouses blanches », Elles ne donnent surtout pas pour tout, « carte blanche ».

« Approchez la distance », voilà une injonction, Une bonne occasion de se remettre en question.

Ce titre est accrocheur, voire interrogateur, Mais il renvoie aussi, à tout notre intérieur.

Car comment réunir deux mots si opposés, Dans une relation dite soignant-soigné.

L’équilibre est pour tous, une recherche permanente, L’atteindre reste une chose, pas du tout évidente.

Avouez que dès le départ, tout est un peu faussé.

D’un côté les soignants, de l’autre les soignés.

Nos blouses et nos statuts sont là pour rappeler, Où se trouvent la science et puis l’autorité.

On revêt donc ces blouses comme si cette carapace, Pouvait nous protéger de nos peurs, nos angoisses.

Comme si le fait de porter ce signe distinctif, Devait nous dispenser de rester attentif.

Sous prétexte de vouloir, ainsi se différencier, Pour autant, certaines bases nous devons respecter.

Combien de fois, il nous arrive de rencontrer, Sans même prendre la peine, de se présenter.

Cette blouse est un peu notre permis de soigner.

Mais reste trop souvent ceinture d’sécurité.

Elle n’est finalement, qu’vêtement d’identité, Qu’on devrait n’utiliser, que comme un laisser-parler.

Respectez vos distances, il peut venir un choc, Ne pas aller trop loin, surtout pas d’équivoque.

Comme si ce bout de tissu devait nous protéger, D’une sortie de route, d’un dérapage non-contrôlé.

Pourquoi ne pas oser dire, qu’elles sont aussi pouvoir, Quand on écoute parfois certains cris de couloir.

Elles devraient nous permettre des abus de «pour voir», Pour que tous nos patients retrouvent un peu l’espoir.

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C’est vrai que quelquefois, on impose la loi, Par le biais de « cachets », très souvent faisant foi.

Ils nous conduisent alors, dans des chambres d’isolement, Pour des soins de proximité tout en restant dix, et tant !

Pour toutes ces vies, stoppées sur une aire d’auto-doute, Qui ont besoin d’aide, pour continuer leur route, Parce que parfois à une, deux ou même à quatre voix, Ils traversent des mondes que nous ne maîtrisons pas.

A force de penser qu’on les connaît très bien, On finit par oublier qu’il faut tisser du lien.

Et même si son propos souvent, peut dérouter, Un de nos rôles propres est déjà d’écouter.

Quel droit avons-nous donc aussi de tutoyer, Est–ce réduire la distance, cette familiarité?

Je suis de ceux qui pensent, que le vouvoiement, Est marque de respect et non d’éloignement.

Mettre de la distance, c’est dire « à tout à l’heure » Parler proximité, c’est arrêter une heure.

Qui parmi nous est capable d’infirmer, Que nous avons bien du mal parfois, à préciser.

Nous sommes dans la maîtrise du savoir différer, Cela nous permet ainsi de plus nous préserver.

Et puis ça nous évite, de trop nous engager, Sans doute par cette crainte de devoir affronter.

Parce qu’elle reste bien plus qu’une vraie protection, Parce qu’elle donne le pouvoir de trop souvent dire non.

Elle devrait être repère, et source de confiance, Elle est synonyme trop souvent de puissance.

En matière de blouse, nous sommes donc joueurs, Nous l’utilisons bien au gré de nos humeurs.

Aller vers le patient n’est pas toujours aisé, Mais alors pourquoi, rendre tout compliqué ?

Il suffit d’écouter, certainement respecter, Ce que veut dire souffrance et puis fragilité.

Soigner c’est prendre un train, compartiment douleur, Aider dans ces voyages, à mettre la vie à l’heure.

Yves-Marie FROT Le 19 mars 2004.

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SOMMAIRE :

Introduction ... 1

1. Situations d’appel ... 2

1.1. Situation d’appel n°1 ... 2

1.2. Situation d’appel n°2 ... 4

2. Questionnement ... 7

3. Cadre de références ... 9

3.1. Le soin ... 9

3.2. La subjectivation du patient dans le soin ... 16

4. Enquête exploratoire ... 22

4.1. Choix de l’outil ... 22

4.2. Choix de la population ... 22

4.3. Lieux d’investigation ... 23

4.4. Guide d’entretien ... 23

4.5. Analyse des entretiens ... 24

4.5.1. Le soin ... 24

4.5.2. La subjectivation du patient dans le soin ... 29

4.5.3. Notions nouvelles ... 36

4.6. Limites de l’enquête exploratoire ... 37

5. Problématique ... 39

6. Question de recherche ... 43

Conclusion ... 44

Bibliographie ... 45 Annexes ...

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INTRODUCTION

Au terme de ces trois années d’étude à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers1, j’ai décidé de rédiger mon Travail Ecrit de Fin d’Etudes2 sur la subjectivation du patient dans le soin. Ce travail est le fruit d’une réflexion qui se poursuivra dans ma future pratique professionnelle. En effet, j’ai pu observer l’importance de la relation soignant-soigné et son impact sur le soin prodigué. Je me suis interrogée sur le comportement des soignants lors de stages, et la façon dont ils pouvaient considérer les patients comme sujets ou objets de soin.

J’ai pu observer divers comportements et situations qui ont nourri ma réflexion.

J’ai décidé de travailler à partir de deux situations qui m’ont marqué de par leur contraste dans la prise en compte du patient dans le soin. Ce travail va me permettre de me questionner sur ma propre pratique soignante afin de faire évoluer la relation établie avec les patients. Au cours de la formation, nous avons eu de nombreux apports théoriques sur l’importance de la relation soignant-soigné, or, si celle-ci est primordiale, elle n’en reste pas moins subjective car elle dépend des personnes qui entrent en relation.

Je débuterai mon travail en décrivant les deux situations vécues en stage à partir desquelles ma réflexion est partie, puis j’expliciterai le questionnement qui en a découlé, pour arriver à ma question de départ. Je présenterai mon cadre de références qui m’a permis d’apporter des éléments de réflexion. Par la suite, je réaliserai une enquête exploratoire auprès des professionnels ciblés, puis j’analyserai les résultats obtenus, avant de critiquer les limites de ce travail. Enfin, je confronterai les résultats obtenus lors de l’enquête exploratoire avec ceux de mon cadre de références pour rédiger ma problématique, et je terminerai en formulant ma question de recherche à partir des éléments nouveaux que l’enquête exploratoire m’aura apportés.

1 Institut de Formation en Soins Infirmiers = I.F.S.I.

2 Travail Ecrit de Fin d’Etudes = T.E.F.E.

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1. SITUATIONS D’APPEL

Pour mon T.E.F.E., j’ai choisi de présenter deux situations qui se sont déroulées durant le premier stage de ma deuxième année à l’Institut de Formations en Soins Infirmiers d’Avignon. J’ai réalisé ce stage de cinq semaines dans un service de cardiologie d’un hôpital local. Ce service est organisé en différents secteurs. Dans le secteur des soins continus se trouvent douze lits en chambres individuelles, dédiés à la surveillance des patients en post- angioplastie coronaire, sortie de soins intensifs, pathologies à surveillance continue de gravité intermédiaire entre secteur traditionnel et soins intensifs. Dans le secteur d’hôpital de semaine se trouvent dix lits réservés à l'admission des patients pour des examens invasifs programmés (coronarographie, exploration électro-physiologique, implantation de stimulateur cardiaque) qui auront un séjour de courte durée pouvant être inférieur à 24 heures. Enfin, dans le secteur ambulatoire Salle de Surveillance Post-Interventionnelle3 se trouvent trois lits de soins ambulatoires pour les patients sortant de coronarographies ou d’explorations du faisceau de His, ainsi que quatre lits de soins post-interventionnels réservés à des patients venant de subir des interventions sous anesthésie générale et des angioplasties complexes. Concernant les professionnels y travaillant, on y trouve en permanence quatre infirmiers, répartis sur les différents secteurs, dont deux qui travaillent ensembles en SSPI ; ainsi que trois aides- soignants répartis sur les trois secteurs et des agents de services hospitaliers. Ils travaillent en 7h36. De plus, nous retrouvons une cadre de santé et un médecin dans le service. Pour finir, deux blocs opératoires se trouvent dans le service, où nous pouvons retrouver des chirurgiens, anesthésistes et des infirmiers de bloc opératoire.

1.1. S

ITUATION D

APPEL N

°1

Ma première situation d’appel se déroule un vendredi et je suis d’horaires du matin. Je suis à la fin de ma quatrième semaine de stage lorsqu’une patiente de 68 ans, Madame B., est hospitalisée dans le service pour un infarctus du myocarde traité par coronarographie avec pose d’un stent sur l’artère Inter-Ventriculaire Antérieure proximale. La patiente se trouve dans mon secteur. Madame B. est une femme mariée, n’ayant pas d’enfant, qui a travaillé comme aide-ménagère toute sa vie. Comme antécédents, en plus de son récent infarctus du myocarde, elle a une maladie de Crohn, une hypertension artérielle et un tabagisme sevré. Elle présente depuis plusieurs jours une altération de l’état général liée à une restriction volontaire

3 Salle de Surveillance Post-Interventionnelle = S.S.P.I.

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de ses apports alimentaires du fait d’une poussée de sa maladie de Crohn qui lui cause des douleurs abdominales et des nausées. A la suite de sa coronarographie, l’état de Madame B.

ne s’améliore pas en raison de sa dénutrition. A cause de cela, elle est très dépendante et a besoin d’aide dans la plupart des actes de la vie quotidienne, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il a alors été proposé par le médecin de lui placer une sonde nasogastrique afin de lui apporter une nutrition entérale. La patiente est en accord avec ce soin. Il est 14h00 lorsque le médecin du service arrive dans la chambre de la patiente. L’infirmière et moi-même sommes entrées dans la chambre, emportant avec nous le chariot d’urgence à la demande du médecin. Un autre infirmier et une aide-soignante sont également présents dans la pièce, sans que je connaisse la raison de leur présence. J’essaie de me positionner à une place où je ne les gêne pas, tout en pouvant observer. Je me place au pied du lit de la patiente, collée au mur, tandis que son mari sort dans le couloir en attendant que la sonde nasogastrique soit posée. Le soin débute et est réalisé par le médecin. La patiente ne réussit pas à déglutir la première sonde, qui s’enroule dans sa gorge au lieu de descendre dans son œsophage, malgré ses nombreux essais pour l’avaler. Une seconde sonde nasogastrique est utilisée, mais cela se solde également par un échec. Durant tout ce temps, la patiente fait un réel et visible effort pour avaler la sonde. Je peux en témoigner car celle-ci me regarde tout du long et semble très concentrée pour que le soin se déroule le plus rapidement possible. Son visage est crispé et traduit son anxiété qui augmente progressivement. Après une courte pause, de trois minutes tout au plus, il est décidé de réessayer une dernière fois. Mme B. réussit à avaler la sonde, et alors que nous pensons que le soin se déroule bien, le scope se met à indiquer une tachycardie avec une chute de la tension artérielle. Le médecin retire rapidement la sonde, puis Mme B perd connaissance et fait un arrêt cardio-respiratoire. A ce moment-là, je ne bouge pas, il y a tellement d‘agitation déjà dans la pièce. Je sais pertinemment que les personnes présentes sont bien mieux formées que moi et que je risquerais de gêner leur organisation que je ne connais pas. Cependant, je ne souhaite pas sortir de la pièce, sauf si on me le demande, car je n’ai jamais eu l’occasion d’assister à une prise en charge d’urgence, et je pense que cela peut être formateur, malgré que ce soit tragique pour cette dame. J’observe ce qui se passe.

Le médecin allonge immédiatement le lit de la patiente et débute un massage cardiaque. Il me semble être concentré sur la bonne réalisation de ses gestes pour une prise en charge optimale. Il a une attitude réactive et ordonnée. L’aide-soignante présente dans la pièce en sort, en ne refermant pas complètement la porte derrière elle, ce qui m’étonne car le mari

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de Mme B est dans le couloir. L’infirmier présent dans la chambre prend aussitôt les choses en main pour préparer l’oxygène et ballonner la patiente tandis que l’infirmière qui m’encadre ce jour-là s’apprête à sortir le défibrillateur automatique. Mais à ce moment-là le scope nous indique un rythme cardiaque. L’agitation retombe, et la patiente reprend connaissance quelques secondes plus tard. Elle reste très calme dans son lit. Le médecin lui parle avec une voix calme et rassurante en lui expliquant que la pose de la sonde nasogastrique n’a pas réussi et qu’elle a fait un arrêt cardiaque qui a rapidement pu être repris. Elle lui dit également qu’elle va être changée de service pour aller en service de Soins Intensifs de Cardiologie4 pour avoir une surveillance plus importante. Le médecin sort de la chambre pour aller en informer le mari de Mme B, toujours dans le couloir. J’ai suivi l’infirmière qui m’encadrait ce jour-là jusqu’à la salle de soin. Nous avons eu peu d’échanges au sujet de l’arrêt cardiaque auquel je venais d’assister. Elle m’a expliqué avoir récupéré le dossier de la patiente pour le donner au médecin pour le changement de service puis elle m’a demandé si je devais y aller, et puisque j’avais fini ma journée de stage depuis longtemps déjà, et que j’avais un impératif en fin d’après-midi, j’ai répondu que oui et je suis partie. Même si cette situation n’a pas duré plus d’une minute, j’ai pu observer que les soignants présents n’ont pas tous réagi de la même manière. Il n’était pas prévu que je retourne en stage durant le week-end et lorsque je suis revenue le lundi, j’ai demandé des nouvelles de la patiente, qui était désormais hospitalisée dans le service de S.I.C.. Elle allait bien et une sonde nasogastrique avait pu lui être posée sans soucis. Il ne me restait que cinq jours de stage, et je ne l’ai jamais revu. Aucun membre de l’équipe ne m’a jamais reparlé de cette patiente et de son arrêt cardiaque, et je ne me suis pas sentie non plus d’aller vers l’équipe pour en reparler.

1.2. S

ITUATION D

APPEL N

°2

Ma seconde situation d’appel a également eu lieu durant mon stage dans le service cardiologie. J’ai eu la chance de pouvoir passer la matinée au bloc opératoire qui se trouve dans le service. Ce jour-là, j’ai pu assister à deux coronarographies et poses de stents avec un premier chirurgien, puis une opération du faisceau de His et pose d’un Holter sous-cutané implantable avec un second chirurgien.

Tout d’abord, j’ai pris place dans le bloc opératoire pour assister à deux coronarographies avec un premier chirurgien. Les deux coronarographies se sont déroulées de

4 Soins Intensifs de Cardiologie = S.I.C.

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manière presque identique concernant la posture du chirurgien, donc je vais en faire une description globale, malgré que le premier patient soit un patient arrivé en urgence, et que le second soit une opération programmée. Dans les deux cas, la pose d’un stent sur une artère coronaire a été nécessaire. A chaque fois, le chirurgien discute avec l’équipe et les patients avant de débuter l’intervention, et garde une attitude décontractée par la suite. Le chirurgien explique ce qu’il réalise afin que le patient et moi-même soyons informés de ses gestes. Il me laisse la possibilité de donner mon avis sur la coronaire bouchée en regardant sur l’écran au- dessus du patient, ce que j’apprécie fortement. Il rassure le patient, notamment celui arrivé en urgence, et il prend en compte ce que le patient ressent. A ce moment, je me dis que le patient est réellement considéré en prenant en compte le physique et le psychique, en le prenant en soin dans sa globalité. Le chirurgien ne laisse pas transparaitre d’émotions négatives. Il reste concentré, tout en étant agréable avec l’équipe et le patient et en discutant avec celui-ci. Il est calme, rassurant et sympathique. Il met une ambiance agréable et apaisée dans le bloc opératoire.

Dans un second temps, j’ai assisté à une intervention sur un faisceau de His avec un second chirurgien. Cette intervention était réalisée sur une jeune fille de 16 ans, qui fait régulièrement des malaises vagaux et chez qui un problème au niveau d’une de ses valves cardiaques a récemment été découvert. Je m’occupe de cette patiente depuis plusieurs jours et une relation de confiance s’est établie entre elle et moi. Pour cette intervention, le chirurgien a pour objectif de stimuler électriquement son cœur, afin de provoquer un malaise et de déterminer l’activité électrique nécessaire pour qu’elle fasse un malaise. Par conséquent, la patiente doit être réveillée et n’avoir qu’une anesthésie locale, afin de pouvoir communiquer avec le chirurgien et qu’il puisse observer la clinique chez elle. Avant de rentrer dans le bloc opératoire, des membres de l’équipe m’ont prévenu que le chirurgien est angoissé pour cette intervention. Aux dires de l’équipe, il semblerait qu’il ait régulièrement une attitude anxieuse au bloc opératoire, mais cette fois-ci son angoisse semble être majorée. L’équipe émet l’hypothèse que cette angoisse pourrait venir du fait que ce chirurgien ait une fille du même âge que la patiente. J’ai donc pris place dans le bloc, en essayant de ne pas déranger le chirurgien par ma présence. Je me suis discrètement placée à côté de l’infirmière et des écrans de contrôle des stimulations électriques. J’observe le chirurgien augmenter progressivement l’intensité électrique. Mais au fur et à mesure, la patiente est de plus en plus angoissée et se met à pleurer. Elle demande à ce que je m’approche pour lui tenir la main. Le chirurgien

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accepte et je me place du côté gauche de la patiente, puisque le chirurgien est placé à sa droite. Je glisse ma main sous le champ stérile pour attraper la main de la patiente avec ma main gauche, et je pose ma main droite sur le haut de son front d’un geste rassurant afin qu’elle puisse se détendre. Ma place me permet d’avoir une bonne vision des expressions du visage et de la gestuelle du chirurgien. Il me semble percevoir au travers de ses expressions que son anxiété augmente au fur et à mesure qu’il augmente l’intensité de l’électricité. Il fait d’ailleurs une remarque à ce sujet à l’infirmière, lui disant qu’il arrive à un niveau élevé et qu’il ne va bientôt plus pouvoir continuer à augmenter. Il soupire dans son masque, ce que je perçois comme un signe d’agacement. Ses regards sont fuyants, il marmonne et fronce régulièrement les sourcils. Durant tout ce temps, le chirurgien ne s’adresse pas à moi et ne m’explique pas ce qu’il est en train de réaliser. Il a une attitude froide avec l’équipe et la patiente, à qui il ne s’adresse qu’avec des questions brèves concernant l’apparition de signes de malaise, sans prendre en compte ses pleurs et sans essayer de la rassurer. Il ne parait pas prendre en compte son inquiétude. Le chirurgien me parait essayer de cacher ses émotions de cette façon, puisqu’il parle avec une voix froide mais dans laquelle je perçois des tremblements. Ne réussissant pas à provoquer un malaise à la patiente, le chirurgien dit à la patiente qu’il va lui poser un Holter sous-cutané implantable afin d’enregistrer son rythme cardiaque pour le corréler avec les signes ressentis par la patiente (malaises, palpitations) comme cela lui avait été expliqué auparavant. Cela permet de rechercher un trouble du rythme chez une personne faisant des malaises réguliers sans cause retrouvée. A la fin de l’intervention, le chirurgien quitte le bloc opératoire sans que je puisse lui poser de questions.

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2. QUESTIONNEMENT

Ces situations m’ont amené à avoir divers questionnements que je vais développer.

Dans ma première situation, les soignants ont fait preuve d’une grande réactivité dans leur prise en charge, en agissant immédiatement et efficacement pour donner le maximum de chance à la patiente. La patiente a fait un arrêt cardiaque en service de cardiologie, donc un service spécialisé dans les problèmes cardiaques. Je m’interroge donc sur la possibilité que la prise en charge par les soignants diffère selon son lieu, et notamment dans des services non spécialisés.

Cette première situation a eu lieu au début de ma seconde année d’étude, ce pourquoi je me suis demandée si j’aurais pu réagir autrement avec plus d’expérience. Cette réflexion m’amène à me questionner sur la réactivité d’un soignant novice et d’un soignant expert dans des situations d’urgence, qu’il soit novice du fait de l’obtention récente de son diplôme, ou qu’il le soit car il vient d’arriver dans le service. Ma réflexion m’a amené à me demander si la maitrise de la technicité par les soignants permet de mieux appréhender l’aspect relationnel avec le patient durant un soin.

Aussi, nous pouvons voir dans la première situation que le mari de la patiente est sorti dans le couloir pour permettre la réalisation de la pose de la sonde naso-gastrique à son épouse. Celui-ci est resté seul, et n’a pas été pris en compte lorsque la patiente a fait l’arrêt cardiaque. La situation lui a été expliquée par le médecin à sa sortie de la chambre de la patiente, une fois l’urgence passée. Je me suis interrogée sur la manière dont les soignants peuvent inclure les familles des patients pendant et à la suite d’une prise en charge.

Dans ces deux situations d’appel, les patients m’ont paru angoissés. Je me questionne sur le rôle des soignants dans l’identification, la prévention et la prise en charge de l’angoisse ressentie par le patient lors d’une hospitalisation, et le lien entre son angoisse et les représentations qu’il peut avoir. Ces représentations peuvent concerner l’hôpital, le matériel présent lors du soin comme le chariot d’urgence, le lieu de la prise en charge comme le bloc opératoire, le motif d’hospitalisation, ou la blouse blanche par exemple. Cela m’amène aussi à m’interroger sur l’impact que peut avoir le nombre de soignants présents dans la pièce sur l’angoisse du patient. Par extension, je m’interroge sur la place de l’étudiant dans l’observation d’un soin. Sa présence peut également ajouter de l’angoisse au patient, qui voit la pièce se remplir d’une personne de plus vêtue tout de blanc. Je m’interroge aussi sur la manière dont l’attitude du soignant peut impacter l’angoisse des patients.

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Nous savons qu’il est préférable que le patient soit acteur de sa prise en charge. Nous pouvons voir cependant que dans la première situation, la patiente semble être considérée comme un objet de soin, ce qui s’explique par le caractère d’urgence de sa prise en charge. Le médecin se consacre à la bonne réalisation des gestes d’urgence afin de donner un maximum de chance à la patiente. Par la suite, en post-urgence, elle me semble être considérée comme un sujet de soin par le médecin qui communique avec elle et lui explique avec douceur ce qui vient de se passer, la prenant en soin psychologiquement, en plus de la prendre en soin physiquement. La deuxième situation met en évidence différents comportements des soignants, dans des soins pourtant similaires. En effet, le premier chirurgien semble avoir eu une approche des patients comme des sujets de soin en communiquant avec eux et en prenant en compte leurs ressentis tout au long des interventions ; tandis que le second chirurgien semble avoir considéré la patiente comme un objet de soin, en ne tenant compte que de l’aspect physique, sans prendre en compte l’aspect psychique de la patiente. Cela m’amène à me demander dans quelle mesure les soignants prennent en compte le côté psychologique des patients lors d’un soin, et les considèrent comme des sujets de soin. Je me questionne donc sur l’objectivation et la subjectivation du patient lors de sa prise en soin.

Aussi, je m’interroge sur la manière dont les émotions des patients peuvent être perçues par les soignants, lorsque la communication est non-verbale. La communication peut passer par les expressions du visage, comme c’est le cas dans ma première situation lors de la pose de la sonde naso-gastrique.

Pour finir, les différences observées dans la gestion des émotions des soignants m’interpellent également. Lorsque nous devenons proches de certains patients, je me questionne sur la possibilité pour les soignants de rester professionnels tout en développant de l’attachement pour les patients, et la notion de "juste distance" qui en découle. Le soignant étant humain, il peut parfois se sentir sous l’emprise de ses émotions, ce pourquoi il me parait pertinent de questionner l’impact que peuvent avoir les émotions des soignants sur le soin.

Au vu de tous ces questionnements, je décide d’orienter ma réflexion sur la subjectivation des patients et l’impact que cela peut avoir sur le soin, en posant la question de départ suivante : « Dans quelle mesure la subjectivation du patient impacte le soin ? ».

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3. CADRE DE REFERENCES 3.1. L

E SOIN

Le premier concept qui émane de ma question de départ est le soin, et c’est à partir de celui-ci que cette première partie va se développer. Il me semble donc important de commencer par le définir pour mettre en avant sa subtilité. Selon Philippe Svandra, il semble être plus aisé de définir ce que sont les soins que de définir ce qu’est le soin. Il met en évidence leurs sens différents selon que le mot soit employé au singulier ou au pluriel. En effet, si au pluriel les soins se réfèrent aux « actes de sollicitude, de prévenance envers quelqu’un, actions par lesquelles on s’occupe de la santé, du bien-être physique, matériel et moral d’une personne » (CNRTL), il est intéressant de noter qu’au singulier, le soin correspond au « souci, [à la] préoccupation [relative] à un objet, une situation, un projet auquel on s’intéresse » (CNRTL). Ainsi, selon Philippe Svandra, le soin renvoie à l’attitude que le soignant a envers le patient afin de lui porter une attention particulière. Walter Hesbeen fait également une différence entre les soins et le soin, en y intégrant la notion du métier : « Si les soins relèvent d’un métier qui consiste à faire des soins que seuls des soignants dûment habilités peuvent poser dans un contexte professionnel, le soin, quant à lui, ne relève d’aucun métier et est accessible à tout un chacun. » (2011, p. 17). De ce fait, ces auteurs nous montrent la complexité des soins infirmiers qui ne se limitent pas à prodiguer des actes techniques.

S’il n’existe qu’un mot unique en français pour définir les soins, qu’ils soient techniques ou relationnels, en anglais le soin peut être traduit par deux mots : le "care" et le

"cure"

.

Selon Philippe Svandra, ce dernier correspond au fait de traiter et fait référence aux soins thérapeutiques, tandis que le "care" correspond au fait de prendre soin et « renvoie aux soins de préservation de la vie [et] dénote la dimension affective mobilisée par ce type d’activité dont la plupart nécessitent d’être réalisées avec « tendresse » » (2009, p. 2). Nadja Eggert décrit la pensée de Joan Tronto pour qui le "care" correspond à une activité et à une disposition humaine qui sont fondamentales, et qui renvoient à tout ce que nous faisons dans le but de prendre soin de nous et de notre environnement. Ainsi, « les quatre éléments d’une éthique du care [sont] : l’attention (se soucier de), la responsabilité (prendre en charge), la compétence (prendre soin), la capacité de réponse (recevoir le soin). » (Lefève, C., 2016, p.

204). Cependant, Cynthia Fleury nous dit bien que toute la subtilité du "care" réside dans le fait qu’il ne se substitue nullement au "cure", mais qu’il est l’aura de celui-ci.

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De plus, Jean-Marc Lebret détaille la différence entre "faire du soin" et "prendre soin".

Pour lui, "faire du soin" renvoie aux soins techniques qui impliquent l’objectivation du patient, tel que Descartes pouvait le faire avec sa vision mécaniste de la maladie. Tandis que selon lui, le "prendre soin" implique une considération du patient par le soignant, et donc renvoie davantage aux soins relationnels. Nous pouvons donc établir un lien entre le "cure" et le "savoir-faire" qui correspond au fait de "faire du soin", ainsi qu’entre le "care" et le "savoir- être" qui correspond plutôt au "prendre soin". Jean-Marc Lebret met en évidence la pensée de Walter Hesbeen selon qui c’est la différence que nous faisons entre l’idée de « « faire du soin » et celle de « prendre soin de quelqu’un » […] qui permet d’inscrire son action, le contenu de son métier, dans « une perspective soignante, porteuse de sens et aidante pour la personne soignée » (2007). Toujours selon Jean-Marc Lebret, le "prendre soin" implique une attention particulière portée par le soignant au patient qui vit une situation qui lui est également particulière. Cette attention particulière permet au soignant de veiller à contribuer au bien-être du patient et lui permet de veiller à conserver un soin de qualité, ce vers quoi le soignant doit toujours tendre dans ses relations avec la personne soignée.

Selon Walter Hesbeen, quel que soit le contexte dans lequel il s’exerce, « le soin véritable relève de la rencontre et du cheminement entre une personne soignante, professionnelle ou non, qui a pour intention d’être aidante et une personne soignée qui nécessite d’être aidée. » (1998, p. 23). Pour que le soin puisse avoir lieu, il est donc nécessaire que deux intervenants entrent en relation : le soignant et le soigné. Alexandre Manoukian définit la relation soignant-soigné comme une « rencontre entre deux personnes, c’est-à-dire deux caractères, deux psychologies particulières et deux histoires » (Paillard, C., 2018, p. 349). Jean-Marc Lebret présente l’évolution de cette relation en commençant par faire référence à Descartes et à sa vision mécaniste, selon qui le remplacement de l’organe malade est suffisant pour guérir le patient, car il établit une dualité entre le corps et l’âme. Il cite par la suite l’Organisation Mondiale de la Santé qui définit en 1946 la santé comme étant

« un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (Lebret, J-M., 2007), ce qui montre l’évolution de la relation soignant-soigné dans notre société contemporaine avec une prise en compte du patient dans sa globalité, à la fois physique et mentale. Céline Lefève reprend cette même idée en disant que le corps et l’âme d’une personne ne peuvent être considérés séparément.

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Cette relation entre le soignant et le soigné nous mène à nous questionner sur la distance dans le soin, cette « proximité distanciée ou comme le nomme Levinas le principe de

« la séparation liante » » (Lebret, J-M., 2007) qui permet de créer une relation responsable.

Celle-ci s’appuie sur une relation de confiance selon Jean-Marc Lebret. En effet, Walter Hesbeen développe l’idée selon laquelle la relation soignant-soigné est une rencontre qui a pour objectif de construire des liens de confiance. Selon lui, le soignant doit accueillir le patient de façon à permettre à cette relation de confiance de se créer. « Dépassant le simple respect sans verser dans une sensibilité contingente par nature, Paul Ricœur propose [la notion de] sollicitude. A la recherche d’une hypothétique bonne distance, la sollicitude doit permettre au soignant d’être bienveillant tout en permettant à autrui de demeurer lui-même » (Svandra, P., 2009, p. 3). Philippe Svandra poursuit son développement en faisant référence à la relation asymétrique entre le soignant et le soigné, mais propose l’idée selon laquelle c’est la personne soignée qui domine en obligeant le soignant à réagir dans la relation de soin. Il reprend l’idée d’Emmanuel Levinas qui compare cette relation à une prise en otage, car le soignant se sent obligé d’agir du fait de la souffrance de la personne soignée. Jean-Marc Lebret évoque également cette relation soignant-soigné qu’il considère comme déséquilibrée, et dans laquelle le soignant se sent impacté par des sentiments d’affectivité et un certain don de lui-même. Philippe Svandra évoque deux philosophes contemporains, Gildas Richard et Robert Misrahi, qui, malgré leurs traditions philosophiques différentes, sont en accord pour dire que « le soin est une forme de don » (2009, p. 4). Il ajoute que « [le] soin trouve sa nature non pas dans le domaine qu’il investigue (le corps), mais dans le but qu’il se propose (la personne singulière). » (Ibid, p. 4). Pour finir, il ajoute que le soin est finalement à la fois une relation entre une personne soignante et une personne soignée, un don du soignant mais aussi un ensemble d’actions qui mènent à une rencontre et un accompagnement entre ces deux protagonistes du soin, dans le but de réaliser le meilleur soin qu’il leur est possible de prodiguer.

L’ Organisation Mondiale de la Santé définit la qualité des soins comme étant « [une]

démarche qui doit permettre de garantir à chaque patient la combinaison d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en terme de santé, conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, de résultats et de contacts humains à l’intérieur du système de soins » (Santé Publique). Selon

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Zeynep Or et Laure Com-Ruelle, la qualité des soins est une notion qui prend en compte plusieurs dimensions qui peuvent être regroupées dans cinq indicateurs : « efficacité, sécurité, réactivité, accès et efficience » (2008, p. 4). Elles ajoutent que la mesure de cette qualité des soins prend en compte trois champs d’investigation que sont la structure de soins, le processus de soins et les résultats finaux obtenus. Walter Hesbeen ajoute que « l’accueil, l’écoute, la disponibilité et la créativité des soignants, combinés à leurs connaissances de nature scientifique, et habiletés techniques, sont [les] déterminants essentiels d’un soin de qualité. » (cité par Paillard, C., 2018, p. 332). Cependant Walter Hesbeen cite Reerink pour expliquer que la qualité est une notion subjective et dépend de l’appréciation de chacun. Ainsi, selon lui, la qualité perçue dépend de la personne qui regarde avec toute sa subjectivité et nous avons tous notre propre perception de cette qualité. Pour lui, on ne peut tendre vers la qualité que lorsque la personne qui souhaite faire un soin de qualité porte une attention particulière au patient et le considère avec du respect. Pour qu’un soin soit considéré comme étant de qualité, il nous dit qu’il est nécessaire de considérer le patient dans son entièreté, ce qui signifie que l’écoute et la disponibilité sont primordiaux. Enfin, Walter Hesbeen souligne que « des soins d’une très grande qualité technique ou scientifique peuvent être faits ou donnés dans l’oubli de la singularité et de la sensibilité de la personne à laquelle ils se destinent » (cité par Paillard, C., 2018, p. 332). Par cette phrase, il fait une différence entre la qualité du soin et la qualité des soins. Enfin, Walter Hesbeen place le professionnel de santé comme véritable acteur de la qualité du soin, de par l’impact que peuvent avoir son attitude, son comportement et son investissement personnel.

La qualité du soin passe par des valeurs soignantes que sont « la bienveillance, avec ses valeurs attachées : patience, douceur, attention, tolérance, compassion, empathie, etc. » (Dubas, F., 2012, pp. 136-137). Patrick Thominet évoque les valeurs et débute par associer le mot valeur aux valeurs morales qui conditionnent nos actes de la vie quotidienne, que nous soyons soignant ou non. Ainsi, selon lui, la valeur d’une personne correspond à sa conscience morale observée au travers de ses actes, puisque la valeur n’est évaluable que dans la réalisation pratique. Il poursuit en évoquant l’importance des valeurs morales du soignant, partagées entre ses valeurs personnelles, et les valeurs professionnelles qu’il a pu acquérir et développer en cours de formation et grâce à son expérience. Pour Danielle Blondeau la différence entre ses deux types de valeurs est dépassée. Selon elle, le professionnalisme n’est pas le fruit d’une superposition entre les valeurs personnelles et professionnelles de

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l’infirmière, mais se révèle être plutôt comme « un tout fondé essentiellement sur l’exigence morale de la personne elle-même désignée sous le nom de conscience personnelle » (citée par Patrick Thominet, 2011, p. 36). Au travers de cette conception, Danielle Blondeau centre les valeurs sur les qualités morales de la personne, tout comme Pascale Tocheport le fait. Selon elle, les valeurs de l’infirmière se rapportent à la morale, c’est-à-dire à l’ensemble des

« règles, des normes, des lois et des valeurs qui nous guident dans l’appréciation du bien à faire et du mal à éviter » (2011, p. 33). Enfin, Patrick Thominet détaille les trois valeurs fondamentales, ou valeurs absolues, que sont la tolérance, le respect et la sollicitude, qui doivent être toujours présentes, et cela sans exception. Il nous dit que celles-ci sont par ailleurs au cœur de la déclaration universelle des droits de l’homme et réaffirmées par les codes de déontologie. Egalement, une valeur essentielle nécessaire au soin est la dignité, que Pascale Tocheport évoque. Selon elle, la dignité est le principe selon lequel toute personne doit être considérée comme une fin et jamais comme un moyen ni un objet. Elle nous dit que chaque personne possède une dignité inhérente et mérite le respect quel que soit son âge, son état de santé ou sa condition sociale. « Comme le mentionnait le philosophe Gabriel Marcel, prendre en compte la dignité de l’humain c’est lui reconnaître, en toute circonstance, la capacité de prononcer deux « tout petits » mots que sont « ma vie » » (Hesbeen, W., 2011, pp.

22-23). Thomas et Znaniecki, cités par Stéphane Desbrosses, définissent l’attitude comme étant « un état d’esprit de l’individu envers une valeur » (Ibid, para. 4). Ils établissent donc un lien entre l’attitude et la valeur, tout comme Park qui ajoute à cette définition une notion de variation d’intensité dans l’attitude, et ajoute que l’attitude est fondée sur l’expérience ce qui la distingue de la notion d’instinct. Ils s’accordent tous pour dire qu’il est impossible d’expliquer un comportement sans la notion d’attitude, car c’est celle-ci qui le guide en prenant son origine sur l’expérience. Jacques Chalifour, cité par Lise Riopelle et Montserrat Teixidor, met en évidence le fait que les attitudes de l’infirmière, lorsqu’elle est auprès du patient, sont aussi importantes que le traitement qu’elle lui prodigue. Pour lui, ces attitudes sont l’empathie, la compréhension, la compassion, l’authenticité et la confiance, qui permettent à chaque personne soignée de pouvoir être regardée tel « un être exceptionnel, c’est-à-dire un humain à nul autre pareil » (Hesbeen, W., 2011, p. 19).

En 1997, B. Kozier et K. Blais ont défini les soins infirmiers comme étant un « service d’aide humaniste centré sur les soins et la santé » (2002, p. 62). Jean Watson affirme que « la discipline infirmière étant une activité profondément humaine, l’approche infirmière s’appuie

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sur une philosophie humaniste » (cité par Riopelle, L., 2002, p. 44). Il ajoute que Carl Rogers a participé au développement de l’humanisme en donnant à la relation soignant-soigné « la vision d’une relation interpersonnelle pleine de cohérence, d’empathie et de chaleur humaine » (Ibid, p. 44). Mettre en avant cette approche humaniste, c’est mettre en avant la place centrale de l’humain dans les soins et placer la personne au cœur de toutes nos préoccupations soignantes. C’est ce qu’évoque Frédéric Dubas avec l’Humanisme, un mouvement intellectuel issu de la Renaissance, au cours du XVI° siècle, et qui a permis de quitter le théocentrisme pour placer l’Homme et ses valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs, afin qu’il soit protégé et respecté, en prenant en compte sa dignité et son autonomie. Ce mouvement est né de la redécouverte des œuvres de l’Antiquité grecque et latine, par des penseurs et des gens de lettres tels que Erasme, Rabelais, Montaigne ou Petrarca, que nous citent Lise Riopelle et Montserrat Teixidor. Ce concept a par la suite été repris par le philosophe Emmanuel Kant dont nous connaissons la citation suivante : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais comme un moyen » (cité par Tocheport, P., 2011, p. 32) ; et a inspiré le modèle de l’infirmière américaine Virginia Henderson selon Lise Riopelle et Montserrat Teixidor. « [L’humanisme] sonne aujourd’hui comme une référence un peu anachronique. C’est pourtant cette ancienne notion que l’on convoque pour promouvoir, en un pléonasme, une « médecine humaine ». » (Dubas, F., 2012, p. 133). L’Humanisme et l’humanitude sont deux concepts que Margot Phaneuf nous explique afin de pouvoir les différencier et en comprendre toute la subtilité car ils sont intimement liés.

Elle nous explique que « l’humanisme est un concept philosophique qui nous montre l’importance de la place de l’homme dans le monde, alors que l’humanitude, un concept de nature plutôt anthropologique, nous fait voir les racines de notre condition humaine et par là même, ce qui en fait l’essence » (2007, p. 2). Margot Phaneuf nous apprend que l’humanitude est un concept anthropologique qui a été popularisé par Yves Gineste et Rosette Marescotti pour les personnes âgées en perte d’autonomie cognitive. Mais Margot Phaneuf nous indique qu’il serait intéressant d’appliquer également ce concept aux soins généraux afin d’inspirer nos contacts avec les malades, quels qu’ils soient, et de « redonner leur noblesse à des soins quotidiens qui nous paraissent souvent plutôt banals et monotones » (2007, p. 1). Elle ajoute que ce concept permet de mettre en lumière l’importance « des comportements et des actions simples [qui] rejoignent l’être dans ce qu’il a de plus essentiellement humain » (2007, p. 3),

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ce qui permet aux soignants de raviver la flamme qui doit animer leurs soins. Ainsi, Margot Phaneuf explique qu’effectuer des soins dans une approche d’humanitude apporte des bénéfices au patient en lui permettant d’avoir un bon équilibre psychologique, un plus grand bien-être, mais aussi de conserver ses capacités humaines. Cela passe par trois piliers majeurs que sont le toucher, le regard et la parole, que nous présente Margot Phaneuf. Le toucher est considéré comme le premier appel d’humanitude selon Margot Phaneuf. Elle décrit l’importance de ce moyen de communication qui permet de reconnaitre le caractère humain de l’autre. « En soins infirmiers nous approchons les corps et le contact de la main se faisant langage, il parle souvent beaucoup plus et beaucoup mieux que toutes nos paroles » (Phaneuf, M., 2007, p. 11). Selon elle, le toucher est capable de transmettre nos attitudes. Elle nous dit qu’il peut permettre de manifester du soutien, de l’écoute et de l’attention à la personne soignée, car « la chaleur de la main soignante peut apporter à la fois, le soulagement, le sentiment de sécurité et le réconfort » (2007, p. 11). Mais nos gestes peuvent également communiquer de la froideur ou de l’indifférence, ce pourquoi elle nous dit qu’il est important de faire attention au sens que nous voulons donner à nos soins. Ensuite, Margot Phaneuf évoque l’importance du regard car il révèle l’acceptation que nous avons de l’autre et notre ouverture à sa souffrance. Tout comme le toucher, il peut transmettre de l’attention à la personne soignée, ou au contraire, de l’indifférence. Elle insiste sur le regard bienveillant du soignant qui permet de confirmer la dignité de la personne soignée, « car c’est dans l’œil des autres que nous percevons ce que nous sommes et ce que nous valons » (2007, p. 13). Enfin, Margot Phaneuf évoque le pouvoir de la parole et la considère également comme un appel d’humanitude qui, associée au geste de tendresse et au regard du soignant, permet de faire évoluer le patient. En effet, elle nous indique qu’en lui parlant, nous montrons au patient que

« quel que soit son état, il est suffisamment important pour que nous lui adressions la parole et que nous l’écoutions » (2007, p.15). La parole de l’infirmière peut communiquer un espoir de mieux-être au patient et être consolatrice. De ce fait, Margot Phaneuf nous montre que le concept d’humanitude nous renvoie à la fragilité humaine et à sa quête de soutien et de protection. Pour conclure, Margot Phaneuf nous montre que le concept d’humanitude permet de redonner du sens et de la dignité à nos actions. Elle nous permet de comprendre que la valeur du geste n’est plus uniquement liée à son aspect technique ou médical. Les soins sont emplis de chaleur et prennent en compte la personne soignée dans son intégralité.

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3.2. L

A SUBJECTIVATION DU PATIENT DANS LE SOIN

Pour Carl Rogers, cité par Christine Paillard, chaque individu est unique. C’est en cela que la relation soignant-soigné est aussi la « rencontre de deux subjectivités » (Delhaye, M., 2007, p. 57). La subjectivité est définie comme étant une « qualité (inconsciente ou intérieure) de ce qui appartient seulement au sujet pensant » (CNRTL). Il est donc nécessaire de s’adapter à la subjectivité, et donc à la singularité de chaque patient. Cette idée est développée par Philippe Svandra selon qui le soin est un acte désintéressé qui doit s’adresser au patient en prenant en compte sa singularité et sa vulnérabilité car il est en demande d’aide et d’humanité. Philippe Svandra reprend les mots de Frédéric Worms : « Pour soigner, il ne suffit pas de le pouvoir, il faut aussi le vouloir. » (2009, p. 2). Il retraduit l’idée selon laquelle le fait de soigner ne correspond pas simplement au soin de quelque chose mais au soin de quelqu’un. C’est pourquoi il est « impossible de considérer la maladie sans faire référence à l’organisme dans lequel elle se développe, de même qu’à la subjectivité de la personne malade. » (Lefève, C., 2016, p. 57). Jean-Marc Lebret nous rappelle que nous devons nous efforcer de « placer le sujet au centre de la praxis médicale » (2007). En effet, selon Philippe Svandra, la subjectivation du patient nécessite que le soignant associe ses compétences à la notion d’humanité que nous avons vue précédemment. Christine Paillard évoque l’approche centrée sur la personne. Dans la définition de celle-ci, elle évoque l’approche humaniste, la confiance et la complexité des rapports entre la personne soignante et la personne soignée, qui tendent tout d’abord vers la réalisation et l’expression de soi, avec l’autre, au sein de relations éclairées et vers le non-jugement, l’acceptation, la congruence et l’empathie. Lise Riopelle et Montserrat Teixidor s’accordent pour dire que l’objectif de l’infirmière est la personnalisation de ses actes en fonction des besoins du malade en cherchant à s’accorder à son point de vue et à respecter ses prises de décision, donc sa subjectivité.

Mais la subjectivation du patient peut avoir des conséquences sur le soin. Philippe Svandra cite Marie-Ange Coudray qui rappelle que « le soin se situe à l’endroit exact de la rencontre des vulnérabilités » (2009, p. 3). Ainsi, selon Philippe Svandra, la relation de soin se crée dans la rencontre des vulnérabilités, car la vulnérabilité du soignant est touchée par celle du patient en souffrance. Mais cette vulnérabilité a des conséquences sur le soignant.

Céline Lefève évoque la réflexion de Friedrich Nietzsche qui incite à penser aux effets nocifs de la compassion. En effet, Friedrich Nietzsche questionne l’ambivalence de certaines valeurs habituellement associées au soin considérées comme bonnes, comme la compassion, qui se

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définit comme un "sentiment poussant à partager, à comprendre la souffrance d'autrui » (CNRTL). Cette réflexion est reprise par Céline Lefève : « Une personne qui compatit, c’est […] une personne de plus qui souffre » (2016, p. 153). Nous pouvons donc nous questionner sur la place de la compassion dans le soin et la souffrance qu’elle provoque. Finalement, Céline Lefève nous invite à réfléchir sur l’importance de cette compassion dans le soin, souvent considérée comme un pilier de la sollicitude au même titre que l’empathie, et qui permet de porter une attention particulière au patient pour entrer dans une relation de soin.

Mais cette compassion, et de façon plus large, la subjectivation du patient, est parfois empêchée.

Certains éléments peuvent décentrer l’attention du soignant envers le patient comme

« l’argent, la technique, le pouvoir, la fatigue, la routine, etc » (Svandra, P., 2009, p. 6), ce qui a pour conséquence d’empêcher le soin, et d’empêcher la prise en soin globale du patient, en se centrant sur la maladie et non le malade. Benoît Dufrénoy montre les difficultés des conditions de travail rencontrées par les professionnels de santé telles que « le sentiment répandu de manque de temps ; le trop peu de considération au sein de l’équipe ; la non- coopération des patients ; le matériel insuffisant ou inadapté ; les difficultés inhérentes à la continuité des soins » (cité par Dupuis, M., 2011, pp 153-154). Ce sont ces conditions difficiles au quotidien qui vont amener les soignants à « perdre leur sensibilité, à s’éloigner de la valeur attribuée, lors de leur engagement dans la profession, à leur travail, et finalement à ne plus prendre en compte la singularité des humains dont ils prennent soin au quotidien » (Ibid, p. 154). Face à ces conditions de travail, Benoît Dufrénoy questionne la capacité du soignant à se sentir suffisamment bien pour être capable de faire rejaillir son désir de bien traiter le patient au cœur de son travail.

Par ailleurs, Céline Lefève évoque la pratique actuelle de la médecine qui se base essentiellement sur les connaissances acquises avec la biomédecine. « L’objet-maladie » (Dubas, F., 2012, p. 172) est au centre de cette pratique. Frédéric Dubas reprend les propos de Freud et nous montre que le bio-médecin est un observateur puisqu’il le compare à un œil. Or Frédéric Dubas met en évidence que la médecine ne peut pas être pratiquée en prenant en compte seulement les statistiques et les sciences biologiques car « un malade n’est pas plus réductible à sa maladie qu’un corps à un organisme ou qu’une existence humaine à une vie biologique » (Ibid, p. 9). Philippe Svandra s’accorde à Frédéric Dubas pour dire que l’évolution des techniques médicales tend à faire du malade un simple objet de soin, ce qui va

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à l’encontre de la véritable nature du soin. Cette évolution médicale passe par l’Evidence Based Medicine5 que présente Frédéric Dubas. Il nous dit que cette pratique de la médecine est apparue dans les années 1990 et tend à universaliser le soin avec des systèmes de quantification et de visualisation, pour servir la pratique clinique de la maladie. Cela a pour conséquence de tendre à « standardiser les prises en charge plutôt qu’à les individualiser. » (Lefève, C., 2016, p. 47). L’Evidence Based Medicine est critiquée par Céline Lefève car cette méthode ne prend pas en compte les valeurs et les préférences des patients, en se concentrant uniquement sur la recherche clinique, afin de diminuer les coûts. Il est important de rappeler l’importance de prendre en compte le patient dans sa singularité et de considérer son efficience et sa pertinence, et non seulement son efficacité, pour qu’un soin soit de qualité selon Frédéric Dubas. Ainsi, il nous dit que « s’opposer à l’EBM serait prendre le risque de ne pas faire progresser la médecine, donc de la faire régresser, de la ramener à une ère pas si ancienne d’empirisme et de dogmatisme » (2012, p. 108). Mais il contraste son propos en disant : « A l’opposé, magnifier l’EBM et s’y assujettir serait exposer la médecine au « tout biomédical », forme moderne du scientisme médical et donc promesse d’obscurantisme. » (Ibid, p. 108). De plus, selon Frédéric Dubas, le vocabulaire employé en service de soin est lui-même objectivant et réducteur, et va orienter la pensée du soignant vers la maladie, en le détournant du malade, car la maladie est au centre de cette médecine scientifique. En effet, il précise que nous utilisons des locutions telles que "l’observation des signes cliniques",

"l’histoire de la maladie" ou la "prise en charge" du patient, qui traduisent l’idée selon laquelle l’objet-maladie est appréhendée en dehors du sujet-malade.

Cela a pour conséquence d’objectiver le patient, ce que développe Philippe Svandra, en nous disant que les soignants sont amenés à réaliser, sans en être conscients, des actes qui vont oublier le patient sur lequel ils sont pratiqués, ce qui va avoir pour conséquence de nier sa dignité. Frédéric Dubas établit un lien entre cette objectivation du patient et le déficit d’Humanisme dans les soins du fait que la maladie est inscrite dans l’organisme du patient et qu’elle est l’objet principal de cette médecine. Il nous dit : « Toute tendue vers cet organisme, d’autant plus fascinée par lui qu’elle peut mieux le maîtriser techniquement, en pratique en

« voir » de plus en plus, le « réparer » de mieux en mieux » (2012, p. 165). Ainsi, il ajoute que la médecine devient une somatologie, tournée vers le symptôme et non plus le malade.

« Mais l’homme est un corps et de souffrance et de jouissance, pas seulement un organisme,

5 Evidence Based Medicine = EBM

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et il mène une existence qui ne saurait être réduite à une vie biologique. Et si un homme existe plus qu’il ne vit, c’est qu’il parle et, par conséquent, qu’il désire (donc manque), en une histoire qui est absolument la sienne. » (Ibid, p. 165). Malheureusement, Philippe Svandra ajoute que les soignants font davantage des soins, que ce qu’ils prennent soin, car ils occultent le patient. Cela est à la fois préjudiciable pour les personnes soignées et pour les soignants, car cela va induire progressivement une routine et un désintérêt pour leur métier.

En effet, Christine Humblot nous indique que de nombreux professionnels, lorsqu’ils sont plongés dans leur pratique quotidienne et dans leurs habitudes, oublient la personne soignée qu’ils ont devant eux. Elle évoque certaines expressions qui placent le patient comme étant à « la charge » (cité par Dupuis, M., 2011, p. 129) du soignant telles que : « « Je le lave », « Je le fais » » (Ibid, p. 129). La personne soignée n’est plus considérée dans sa globalité de corps et d’âme, et devient « une réelle charge, lourde à porter, tel un fardeau qu’il faut mobiliser en se donnant le moins de mal possible » (Ibid, p. 129). Christine Humblot nous dit également que les soignants entrent dans une sorte d’habitude et de routine qui vient générer chez eux des comportements dépourvus de bientraitance, ce qui les mènent à la banalisation de l’humain, comme nous l’évoque Michel Dupuis. Pour lui, la banalisation se réfère à « la perte ou l’affadissement du spécifique, la disparition ou le gommage du singulier, la normalisation » (2011, p. 30). En d’autres termes, banaliser la personne soignée revient à oublier sa singularité, son caractère unique voir son humanité. Michel Dupuis évoque la perte de l’attention portée au patient. Il nous dit que la personne soignée cesse d’être considérée comme un être exceptionnel, et même comme un sujet de soins, pour n’être finalement plus traitée que comme un objet. Cependant, Walter Hesbeen nous rappelle que

« cette négligence ne procède pas d’une intention malfaisante mais s’inscrit dans une forme d’oubli, un manque de réflexion quant à la finalité même de tous les actes de soins » (2011, pp. 20-21). Enfin, Michel Dupuis met en relief ce lien existant entre ces notions de temps et d’expérience pouvant nous mener à « la routine, à l’habitude, au déjà-vu, au déjà-dit et au déjà-senti » (2011, p. 29). Pour éviter cela, il nous invite à garder les yeux ouverts sur « tout ce qui endort l’esprit critique, ce qui anesthésie les perceptions toujours changeantes, ce qui fait voir les choses globalement ou superficiellement […] » (2011, p. 29) afin de ne pas tomber dans la banalisation du patient.

Mais l’expérience est vue sous un autre angle plus positif avec Marie Delhaye et Françoise Lotstra, qui écrivent sur l’évolution des émotions ressenties par le soignant avec

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l’expérience. Elles évoquent l’importante quantité de celles-ci au début de la carrière du soignant, ce qui peut le submerger. Ainsi, elles disent qu’il se trouve dans « une pseudo- empathie » (2007, p. 52) qui va le déstabiliser car il sera « « empêché » d’être optimalement empathique de par sa subjectivité défensive et ses émotions envahissantes teintées de projections. » (Ibid, p. 53). Dans un second temps, elles nous apprennent que le soignant va entrer dans une « empathie souffrante » (Ibid, p. 53) qui va compliquer son rapport avec le patient et donc par conséquent la relation soignant-soigné. Par la suite, elles décrivent la prise de distance du soignant du fait de son « son attitude défensive » (Ibid, p. 54) qui le pousse à adopter une « position de repli émotionnel » (Ibid, p. 54) dans laquelle il va se centrer sur la technicité de son soin. Enfin, Marie Delhaye et Françoise Lotstra évoquent le dernier stade, qu’elles nomment le stade de la maturation, durant lequel les soignants vont apprendre à maitriser leurs affects ce qui va leur permettre de se sentir en pleine possession de leurs moyens pour ne plus être débordés par leurs émotions afin de pouvoir réaliser un soin de qualité. A ce moment-là, le « savoir-être prend de la consistance à côté du savoir-faire. Les psychanalystes diraient qu’il s’agit de gérer émotionnellement les transferts et les contre- transferts. » (Ibid, pp. 56-57). Ainsi, selon elles, l’expérience peut également avoir des avantages.

Pour conclure cette deuxième partie, nos soins et, de façon générale, notre pratique soignante et le soin apporté au patient, doivent donc être pensés avec et pour le patient.

Philippe Svandra reprend les mots de Dominique Folscheid avec la phrase : « Nous ne souffrons pas tant d’un manque de moyens que d’une pénurie de sens. » (2009, p. 5). En effet, l’importance d’un soin nourri de sens est une idée que partage également Frédéric Dubas. Il met en évidence le respect porté au patient, et place l’éthique, la loi, la morale et la déontologie pour base au soin, et au sens que nous lui donnons. Philippe Svandra avance quant à lui la notion de responsabilité du soignant, et son importance pour qu’un soin soit éthique. En effet, il reprend les propos de Paul Ricœur selon qui la responsabilité du soignant vient du fait que le patient compte sur lui, ce qui engendre une qualification morale du soignant. « Le soin pourrait être alors défini comme un agir au service d’une éthique » (Ibid, p. 4). Il reprend également le triangle éthique de Paul Ricœur, selon qui l’éthique est « la recherche de « la vie bonne » […], avec et pour autrui […], dans des institutions justes » (Ibid, p. 6). Ce serait donc pour lui le lien entre l’estime de soi, la sollicitude et la justice qui seraient à la base de l’éthique du soin. Soin qui, comme le développe Philippe Svandra, ne

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peut être considéré comme éthique, qu’à condition que son unique visée soit le patient et sa subjectivation dans le soin. En effet, l’éthique est « une démarche réflexive et pragmatique en quête du préférable. […] Il s’agit d’une affaire singulière, un face-à-face de consciences, unique à chaque fois. » (Maroudy, D., 2015, p. 27). Pour le philosophe Emmanuel Kant, cité par Pascale Tocheport, l’éthique se caractérise comme étant une philosophie globale des conditions humaines. Pour lui, elle cherche ce qui est bien pour les individus seuls, mais aussi le groupe social. Il ajoute qu’ « [elle] met en action le « je » avec ses désirs, dans la relation des autres » (cité par Tocheport, P., 2011, p. 32). De plus, selon Aristote, l’éthique « consiste à agir dans l’appréciation et l’évaluation de ce qui peut être considéré comme bon » (Ibid, p.

32). Pascale Tocheport montre l’importance des principes éthiques dans la relation de soins afin de donner du sens aux actions et de pouvoir les appliquer de la manière la plus juste et la mieux adaptée à la personne soignée. Elle met en évidence la responsabilisation de nos actes afin de repérer certaines déviances, de mesurer la portée de nos propres décisions et d’approfondir notre professionnalisation. Pour Walter Hesbeen, effectuer une relecture éthique du quotidien des soins permet de « nourrir la réflexion de chacun sur ses propres manières d’être et de faire et pour élever ses propres capacités afin de mieux identifier, détecter ce qui pourrait accroître le risque de banaliser l’humain » (2011, p. 28). Aussi, peut- être pourrions-nous avancer, comme le stipule Daniel Maroudy, que « le « supplément d’âme » que l’on attend des soignants est de nature éthique » (2015, p. 27) ? Pour lui, il s’agirait d’un mélange de raison, de devoir, de conviction et de bonté de service, qui permettraient de prodiguer un soin de qualité, en prenant en compte le patient dans sa globalité, et dont les effets bienfaisants dépasseraient ceux de la pharmacopée.

Après avoir exposé mon cadre de références, je vais maintenant mener une enquête exploratoire afin de pouvoir, par la suite, comparer mes recherches aux données sur le terrain.

Références

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