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4. Enquête exploratoire

4.5. Analyse des entretiens

4.5.1. Le soin

J’ai choisi de débuter chaque entretien en demandant aux infirmiers de me définir ce qu’est selon eux le soin afin d’introduire une notion centrale de mon devoir. Nathan et Emma ont clairement explicité l’importance de la visée physique ainsi que psychologique du soin, tandis que cette distinction n’a pas été clairement dite par Gwenaëlle même si elle la laisse supposer dans ses propos. Elle met néanmoins en avant que « c’est toujours dans un but d’aider le patient à aller mieux et à lui amener quelque chose de positif » ( ) ce qui rejoint les propos d’Emma qui parle d’apporter un bénéfice au patient et un mieux-être. Il est

cependant intéressant de noter que Claire n’a pas défini le soin en expliquant que pour elle « il n’y a pas vraiment de soin, il y a une prise en charge » ( ) qu’elle définit comme devant être globale, en prenant en compte toutes les pathologies du patient. Elle apporte une précision qui semble être importante pour elle et dit : « On prend soin des gens mais pour moi on ne soigne aucune maladie » ( .

La notion de prendre soin a été citée par Claire et Emma. Pour elles, le prendre soin prévaut sur le faire soin. Pour Claire, cela passe par l’acceptation du soin et cela fait écho à sa définition du soin puisqu’elle y revient encore lorsqu’elle dit qu’on « ne soigne pas les gens d’un infarctus, on prend en charge un infarctus » ( ). Emma choisit également d’axer sa pratique « plus sur le prendre soin que sur le faire soin », ( ans un service de soins qu’elle qualifie elle-même comme étant très technique et pouvant être angoissant pour les patients, d’où l’importance des soins relationnels qui priment sur les soins techniques. Toutefois, elle ajoute une précision en cas de difficultés relationnelles avec un patient, ce qui la pousse à moins s’intéresser au côté relationnel de leur relation de soin.

Nathan a débuté en évoquant les soins techniques et le faire soin, dans un discours qui semblait centrer sa pratique sur la technicité des soins lorsqu’il dit : « mon soin je l’ai fait de la même manière, de manière stérile, je reste concentré sur le poids à perdre, sur le bain du dialysat, je sais pourquoi on est là. On va dire que je ne pense pas que le soin aurait pu être […] mieux fait ou moins bien fait » ( ). Mais son discours a évolué au fur et à mesure de l’entretien, laissant place aux soins relationnels, et permettant de montrer l’importance qu’il leur accorde, expliquant qu’il aime parler aux patients et leur expliquer les soins. Il semble toutefois regretter la part de relationnel qu’il avait avec ses patients lorsqu’il était aide-soignant : « en tant qu’infirmier tu as beaucoup moins de temps à accorder au relationnel, tu vois plus de patients mais par contre tu es beaucoup plus limité dans ta façon de leur parler » ( ). Seule Gwenaëlle n’a pas développé les soins relationnels, en qualifiant sa pratique de « très technique » ( ).

Pour Nathan et Claire qui travaillent en service d’Hémodialyse et prennent en soin des patients chroniques, la relation soignant-soigné se doit d’être une relation de confiance car c’est une relation qui va durer dans le temps. Emma ne prononce pas le mot "confiance" mais explique que les patients aiment bien se confier à elle, laissant sous-entendre la confiance qu’ils lui portent. Nathan explique qu’il a observé que la relation soignant-soigné diffère selon le lieu de soin, selon les services dans lesquels il a travaillé. Il explique cependant qu’elle

implique pour lui « beaucoup de responsabilités » ( ) mais qu’elle peut être oubliée dans le cas de soins techniques ou de soins d’urgence, afin de ne pas perdre de temps dans la réalisation des soins nécessaires au patient. Gwenaëlle explique quant à elle qu’elle

« considère plus le patient qu’à [ses] débuts d’infirmière » ( ) car elle arrive à lui parler tout en surveillant son scope, mais n’approfondit pas davantage la relation qu’elle crée avec ses patients. Tandis qu’Emma évoque une relation qui peut être différente dans le cas de patients intubés, car elle n’est pas communicante, mais insiste sur le fait que la relation persiste et est intéressante. Elle évoque durant l’entretien une communication physique et ajoute qu’ « on se surprend à apprécier un regard un contact » ( ). La relation passe alors par d’autres biais que la parole, même si elle nous dit que son objectif reste de rendre le sourire aux patients et de leur remonter le moral avec des blagues.

Aucun soignant n’a spontanément définit ce qu’est selon lui la qualité dans le cadre du soin ou des soins. Cependant, Emma axe la qualité de sa pratique sur le prendre soin, plutôt que sur les gestes techniques, ce qui rejoint Nathan lorsqu’il évoque la situation où son patient n’a pas parlé durant toute la séance de dialyse, ce qui n’a pas été un soin de qualité selon lui, car la part de relationnel n’était pas présente en plus de la part technique du soin. Claire évoque la possibilité d’avoir un soin de meilleur qualité du fait de la chronicité des patients en Hémodialyse et que « la prise en charge du patient peut être optimale [à condition] qu’il en ait envie aussi » ( ). Enfin, Gwenaëlle reste sur un discours très technique : « Mon soin il va être de qualité parce que […] quand je vais lui poser une perfusion de manière propre […] il développe pas de sepsis sur sa voie centrale » ( ). Cependant, elle évoque une notion intéressante en associant la qualité à la fin de vie. Elle explique qu’une

« réunion éthique avec des limitations thérapeutiques […], c’est un non acharnement thérapeutique et c’est un soin comme un autre qui amène malheureusement au décès du patient mais si le patient meurt dans la dignité et sans douleur […] c’est un soin de qualité aussi malheureusement » ( .

De nombreuses valeurs sont ressorties dans les entretiens, mais peu ont été nommées par les infirmiers. Dans la majorité des cas, ces valeurs étaient visibles au travers des propos des soignants, sans qu’aucun mot ne soit posé dessus. Claire a cependant expliqué que

« chaque soignant va avoir une attitude différente, et c’est ça qui est difficile dans notre profession » ( , tout en sachant que l’attitude est un état d’esprit envers une valeur.

Parmi ces valeurs, celles qui ont été clairement énoncées par les soignants sont la patience,

l’attention, l’empathie, la dignité et la confiance. Le respect se retrouve dans les propos de Claire, mais ne concerne pas le respect du patient, mais plutôt le non-respect de ses volontés.

La bienveillance, qui correspond à une disposition favorable à l’égard de quelqu’un, peut être observée dans l’entretien de Nathan lorsqu’il évoque l’impossibilité pour lui de brancher une perfusion sans parler au patient, ou dans l’entretien de Claire lorsqu’elle explique s’être assise avec la patiente deux minutes afin de discuter avec elle de sujets qu’elle aime dans le but de la détendre et que la séance se passe bien. Gwenaëlle dit que dans tous les cas selon elle « le soin […] c’est […] apporter quelque chose à un patient pour lui permettre d’aller mieux » ( ), ce qui passe également par la douceur et la patience dans le soin. A ce sujet, Nathan dit : « tu vas avoir beaucoup de soin relationnel […] et tu vas passer un temps fou à essayer de les déstresser » ( Il ajoute qu’il faut chercher à rassurer les patients en leur expliquant qu’on va s’occuper d’eux, notamment dans les situations d’urgence, ou dans certains soins désagréables comme l’évoque Emma lorsqu’il faut aspirer des patients intubés.

Le tout étant de leur parler « le plus calmement possible » ( ) et de leur laisser du temps, d’être patient avec les patients, ce qui donne d’autant plus de sens à ces homonymes.

Emma dit par ailleurs qu’il est important de faire usage de cette patience, qu’elle explique du fait de son jeune diplôme, ce qui peut nous faire réfléchir quant à la patience des soignants plus expérimentés, d’autant plus que la patience n’est pas ressortie dans les discours des infirmiers avec plus de cinq ans de diplôme. Une autre valeur retrouvée dans les discours des soignants est l’attention : l’attention à l’autre, au soin qui lui est fait et à la manière dont il lui est présenté. Nathan et Claire énoncent clairement cette valeur, tandis qu’elle se comprend dans les mots choisis par Gwenaëlle : « je place toujours le patient, si je le peux, au cœur de ma prise en charge » ( ). Cela se retrouve également dans le discours de Nathan lorsqu’il dit qu’« il faut qu’on adapte son soin à cette personne, savoir ce qu’elle ressent, savoir dans quel état elle est sur le moment » ( ). L’attention portée au patient peut entrainer chez le soignant deux autres valeurs qui se retrouvent aussi dans leurs discours : la compassion et l’empathie. Nathan cherche à rassurer ses patients en leur expliquant qu’il va y avoir beaucoup de monde autour d’eux mais que les soignants vont bien s’occuper d’eux. De leurs côtés, Claire Gwenaëlle et Emma évoquent l’empathie ressentie chez le soignant. Claire dit même être parfois « peut-être trop même empathique avec les patients » ( tandis que Gwenaëlle nous met en garde contre cette empathie, qui fait que nous ne pouvons pas prendre en charge des personnes que nous connaissons et qui peut nous rendre

plus longs à réagir dans des situations d’urgence. Quant à Emma, elle parle d’une situation où sa patiente est décédée et où elle aurait pu pleurer tant ça l’a affecté. La tolérance et la compréhension sont d’autres valeurs que nous retrouvons dans le discours des soignants interrogés. Cela peut passer par l’adaptation de l’heure des repas ou de la toilette, comme le dit Gwenaëlle, mais l’objectif est dans tous les cas d’« essayer de composer avec le patient » ( ). Nathan reprend cette idée : « On est là pour s’occuper des gens, qu’ils aient un sale caractère ou pas, qu’on soit d’accord avec eux ou pas, on n’est pas là pour juger quoique ce soit » ( ). Il ajoute : « Ils sont tous différents, ils peuvent vivre les choses différemment » ( ). L’autonomie des patients est également à prendre en compte pour adapter le soin. C’est ce que nous dit Claire qui travaille en Hémodialyse, un service dans lequel elle arrive à rendre ses patients acteurs de leurs soins, de les faire participer en se lavant le bras, en s’installant pour la pesée puis sur le lit, en pouvant regarder la télévision et voire même parfois demander de changer les réglages de la dialyse car cela ne leur convient pas.

Enfin, la confiance est une autre valeur essentielle dans le soin. Elle ressort dans les entretiens de Nathan et Claire qui travaillent avec des patients chroniques. En effet, « ce sont des patients qui ont besoin d’avoir confiance en les soignants » ( ). Il est donc intéressant de noter que la chronicité et donc la longévité de leur prise en charge implique une relation de confiance avec les soignants, ce qui ne ressort pas dans le discours de Gwenaëlle et d’Emma, qui ont d’avantage l’habitude de travailler avec des patients en urgence vitale, avec des prises en charge plus brèves. La confiance qu’a le patient envers le soignant provient également du respect que celui-ci lui porte et de la dignité qui y est associée. Dans tous les cas, « il ne faut pas oublier que ce sont des êtres humains avec un psychique et que ce n’est pas qu’un corps » ( ). Gwenaëlle ajoute que la digité peut également être observée dans une fin de vie et qu’elle permet au patient de recevoir un soin de qualité et une fin de vie correcte, malgré une finalité tragique.

L’Humanisme et l’humanitude sont des concepts qui peuvent être retrouvés dans les discours des soignants malgré qu’ils n’aient jamais été nommés. Tous les soignants mettent en avant l’importance de placer le patient au cœur de leur soin, et les notions d’autonomie et de dignité sont ressorties de leurs discours. Concernant les trois piliers de l’humanitude, la parole est celui qui revient dans tous les entretiens. Nathan nous dit qu’il « ne [peut] pas brancher une perfusion et ne pas parler à un patient » ( ) et qu’il « aime bien leur demander comment la séance précédente s’est passée pour avoir des idées sur la séance qui va se

produire » ( ). Il aime aussi ajouter une pointe d’humour lorsque celle-ci est bien reçue par le patient. Tout comme lui, Claire aime parler avec les patients et comprendre pourquoi ils sont malades, notamment avec les patients de psychiatrie qu’elle a pu rencontrer.

Elle souhaiterait par ailleurs que les soignants expliquent davantage aux patients ce qu’ils leur font dans la globalité. Gwenaëlle et Emma qui travaillent en Réanimation évoquent également l’importante part de la parole dans le soin dans ce service qui peut être très anxiogène pour les patients selon Emma. Mais si Gwenaëlle débute en disant que c’est aussi « d’avoir un patient qui communique avec toi qui fait que c’est un sujet et non pas un objet » ( ), elle poursuit en expliquant qu’elle continue de parler aux patients dans le coma, en leur expliquant les soins qu’elle leur fait, même avec les patients qui sont sédatés et curarisés, avec qui elle sait qu’il n’y aura aucun échange. Emma évoque « une communication très différente même si on se surprend à apprécier un regard un contact » ( ) ce qui permet d’introduire les deux autres piliers de l’humanitude qui sont le regard et le toucher. Selon elle, cette communication physique avec les patients de réanimation permet d’apprendre à faire attention au moindre mouvement du patient, et d’apprendre « à bien connaître le patient déjà quand il est sédaté pour pouvoir mieux le comprendre quand il va se réveiller » ( ), ce qui ajoute une attention particulière portée au patient par le soignant, et contribue à le placer au centre de sa prise en soin.

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