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« De petites considérations doivent-elles arrêter lorsqu’il s’agit d’un grand bien général ? » : l'inoculation à Genève au XVIIIe siècle

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« De petites considérations doivent-elles arrêter lorsqu'il s'agit d'un grand bien général ? » : l'inoculation à Genève au XVIIIe siècle

WENGER, Alexandre Charles

Abstract

Lors de son introduction en Europe au XVIIIe siècle, l'inoculation variolique, présentée par ses défenseurs comme un chef-d' œuvre de rationalité éclairée, a fait l'objet de débats philosophiques, médicaux et théologiques passionnés. L'histoire de l'inoculation touche à la fois à la santé publique, à l'expérience individuelle et familiale et aux progrès de la médecine.

Trop jeune pour laisser des traces directes, l'enfant représente une figure centrale mais absente de cette histoire. En se focalisant essentiellement sur le cas de Genève, cet article montre d'abord quel est, de l'avis des médecins, l'âge théorique idéal pour être inoculé. Puis il s'intéresse aux inoculateurs qui hésitent à opérer un enfant de constitution faible, par crainte de la publicité négative que représenterait un échec. Il présente ensuite deux contextes de réception de l'inoculation par le profane: les initiatives publiques genevoises en matière d'inoculation et le cas d'un drame familial après l'échec d'une inoculation. Le but de cet article est donc 1) de faire le point sur la chronologie et les aspects [...]

WENGER, Alexandre Charles. « De petites considérations doivent-elles arrêter lorsqu'il s'agit d'un grand bien général ? » : l'inoculation à Genève au XVIIIe siècle. Bulletin Canadien d'Histoire de la Médecine , 2004, vol. 21, no. 1, p. 103-120

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:85128

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(2)

«De petites considérations doivent-elles arrêter lorsqu'il s'agit d'un grand

bien général?» tinoculation à Genève au XVIII e siècle 1

ALEXANDRE WENGER

Résumé. Lors de son introduction en Europe au xvme siècle, l'inoculation variolique, présentée par ses défenseurs comme un chef-d' œuvre de rationalité éclairée, a fait l'objet de débats philosophiques, médicaux et théologiques pas­

sionnés. I.:histoire de l'inoculation touche à la fois à la santé publique, à l'ex­

périence individuelle et familiale et aux progrès de la médecine. 'Irop jeune pour laisser des traces directes, l'enfant représente une figure centrale mais absente de cette histoire. En se focalisant essentiellement sur le cas de Gènève, cet article montre d'abord quel est, de l'avis des médecins, l'âge théorique idéal pour être inoculé. Puis il s'intéresse aux inoculateurs qui hésitent à opérer un enfant de constitution faible, par crainte de la publicité négative que représen­

terait un échec. Il présente ensuite deux contextes de réception de l'inoculation par le profane: les initiatives publiques genevoises en matière d'inoculation et le cas d'un drame familial après l'échec d'une inoculation. Le but de cet article est donc 1) de faire le point sur la chronologie et les aspects sociaux de l'histoire de l'inoculation à Genève; 2) de montrer que la réputation d'un médecin-inocula­

teur est un paramètre fondamental dans la détermination du choix des par­

ents; et 3) de s'interroger sur ce que l'inoculation peut nous ,apprendre sur là perception de l' enfance sous l'Ancien Régime.

Abstract. As it was introduced in 18th century Europe, the smallpox inocula­

tion, presented by its supporters as a masterpiece of enlightened rationality, gave rise to passionate philosophical, medical, and theological debates. The history of inoculation deals with public health as well as individual experience and medical, progress. Too young to provide us with first-hand evidence, chil­

dren are central, yet absent figures in this history. Focusing essentially on Geneva, this article firstly indicates what, according to doctors, the theoreti-

Alexandre Wenger, Institut d'histoire de la médecine et de la santé, Université de Genève, Faculté de médecine.

CBMH/BCMH/Volume 21:1 2004/p.103•120

(3)

104

ALEXANDRE WENGER cally ideal age to be inoculated is.Itthen turns to the inoculators, who hesitate to operate on children because of their weak constitution, for fear of the nega- tive publicity a failure would bring.Itfinally presents the reception of inocula- tion by the public within two different contexts: the public initiatives taken in Geneva in the field of inoculation, and the case of a family drama ensuing from the failure of an inoculation. The purpose of this article is to: (1) summa- rize the chronology and social aspects of the history of inoculation in Geneva;

(2) demonstrate that the reputation of the inoculating physician is a funda- mental parameter guiding parents in their choice; and (3) raise the question of what inoculation can teach us about the perception of childhood during the

Ancien Regime.

Dans son

Memoire sur /'inoculation

de

la petite veroie

de 1754, Charles de La Condamine rappelle qu'a cette epoque, la petite verole tuait ou defigu- rait pres du quart de la populationfran~aise.Or, I'inoculation, seule arme pour lutter contre ce fleau, se revelait imparfaite. Elle restait une operation risquee et a !'issue incertaine, parfois meme fatale. Elle a sus- cite des debats passionnels dont les enjeux ont !res largement depasse les seules frontieres de la reflexion medicale2•

Stricto sensu,

une inoculation se pratiquait comme suit:

on fait aux deux bras dans la partie externe&:moyenne, au-dessous de I'inser- tion du muscle deltoide, pour ne point generla liberte du mouvement, une inci- sion de moins d'un pouce de long.&:si peu profonde, qu'elle entame a peinela peau. On insere dans la plale untilde la meme longueur, Impregne de la matiere d'un bouton rnlir&sans rougeur

a

sa base, pris d'une petiteverolesoit naturelle soit artificielle, d'un enfant sain; on couvre Ie tout d'un plumasseau, d'un emplAtre de diapalme, &: d'une compresse qu'on assujetlit avec une bande.Onleve cet appareil environ quarante heures apres,&:on panse la plaie une fois toutes les vingt-quatre heures'.

Mais loin de se limiter a ce seul geste, elle requerait d'abord une longue et meticuleuse traduction. Apres avoir choisi une saison adequate, il s'agissait, par une diete appropriee, de disposer Ie corps du patient de maniere a ce qu'il resiste au mieux aI'operation. DeI'eruption a la dess- iccation et a la suppuration des pustules, les differentes phases de la maladie faiSaientI'objet d'une attention ininterrompue. Si tout se pasSait au mieux, une inoculation prenait au minimum entre 25 et 30 jours.

tenfant est Ie parent pauvre de l'histoire de !'inoculation variolique.

Pour cause, l'historien n' a pas, Ie concernant, de sources directes a soumettre a sa sagacite et son entreprise s'avere, pour Ie moins, par- tiellement deceptive. Neanmoins, l'inoculation peut etre consideree comme une pratique importante et emblematique dans une histoire de I'enfance, parce qu'elle touche aux regards portes surl'enfant par sa famille, par Ie medecin et par I'institution hospitaliere.

Proposee comme modele de republique eclairee par

I'Encyclopedie,

l .ue.nelle.allait.la.reputationd'avoir tOtadoptl!J'inoculation et del'avoir

(4)

L'inoculation a Geneve au XVIIIe siecle

105 developpee avec succesIi large echelle. Les temoignages de l'epoque sont enthousiastes : «A Geneve,l'on a commenceIiinoculer sur lafinde I'annee 1750,&I'on a toujours continue depuis, en sorte que les progres de I'inoculation ont ete tres reguliers» proclame par exemple Daniel De La Roche (1743-1814) en 1786'. En 1801-autre exemple-Louis Odier (1748- 1817) assure que la decouverte delavaccination jennerienne ne peut

«qu'interesser vivement les Medecins de Geneve qui, depuis 50 ans, inoculent toutes les annees la petite-verole, avec un succes tel, qu' on ne voit presque plus aucun habitant aise de cette Commune, qui en soit marque»5. I.:adhesion unanime du corps medicalIila nouvelle pratique inoculatoire etait en effet unespecificite genevoise qui peut s'expliquer parl'ouverture delacite sur Ie monde anglo-saxon - ouverture favorisee par ce quel'on a appele

[,internationale huguenote -

mais vraisemblable- ment aussi parlacohesion

sociale

qui regnait parmi les medecins de Geneve. Une evaluation chiffree exacte de la situation genevoise est toutefois difficileIietablir des lors, comme I'atteste la reference d'Odier aux

habitants aises,

que la reputation genevoise reposait pourl'essentiel sur des inoculations privees de particuliers fortunes. Les documents administralifs conserves aux archives d'Etat de Geneve (AEG) nous per- mettront neanmoins de nous faire une idee des initiatives institution- nelles prisesIi I'H6pitai entre 1749, date delapremiere inoculation Ii Geneve, et 1798, dateIilaquelle la decouverte du cow-pox par Jenner commenceIiyetre discutee.

PREPARER I:ENFANT

Au XVIIIe siecle, les adultes sont nombreux dont Ie visage estIijamais grele de cicatrices laissees par les pustules varioleuses. Ceux qui n'ont pas contracte la variole, ou qui ne sont pas certains de l'avoir contractee, vivent dans la crainte d'en etre atteints, defigures ou d' en mourir, ce d'autant plus que la maladie etait reputee frapper plus severementIi mesure quel'age avance. Meme si

de facto,

la variole emporte la majorite de ses victimes dans les premieres annees de vie', ellen'est done pasl'af- faire que des enfants';ilest avere que des adultes etaient inocules, par- fois meme en masse'. Mais idealement, les medecins inoculent les enfantsIil'age OUl'on presume que leur resistance corporelle est au mieux10•En ce qui concerne sa limite superieure, la tolerance est grande, la regie elant que plus on inocule tard, plus la preparation des disposi- tions internes du corps doit etre stricte. Au contraire, Ie jeune enfant n'est pas encore corrompu par des nourritures trop riches ou trop lour- des et ses fibres corporelles sont encore souples et aptesIiune recupera- tion prompte. Les «enfants nes de parents bien portants,& accoutumes Iiune diete vegetale,» precise Ie medecin genevois Gaspard Vieusseux (1746-1814), «ont ces qualiteS»l1.

.

- - - - -

(5)

106 ALEXANDRE WENGER

Les medecins font varier I'Age ideal pour etre inocule

grosso modo

entre quatre ans et douze ans, bien que cette tranche d'Age ait tendance a baisser au cours des decennies. Ainsi, un rapport de fevrier1751,rendu par les medecins de I'Hopital, stipule que «I'age Ie plus convenable' est depuis huit jusqu'a seize ans»". Le chirurgien Daniel Guyot(1704 -1780), inocu1ateur genevois de la premiere heure, deconseille d'inoculer en dessous de quatre ans et demi a cause de la pousse des dents13•Avec les convulsions et les coliques infantiles, I'argument de la pousse des dents est unanimement repris contre l'inoculation d' enfants trop jeunes; pour Samuel-Auguste Tissot(1728-1797)dans son

Inoculation }ustifiee

14de1754, la limite inferieure est de cinq ans, tandis qu'elle est de quatre ans pour I'article «Inoculation»

de I'Encyclopedie

de 1765(attribue a Theodore Tronchin15, 1709-1781)et trois a quatre ans pour Vieusseux dans son

Traitt! de la nouvelle methode d'inoculer

la

petite vt!role

de

1773.

[article de

l'Encyclopedie

et Ie traite de Vieusseux avancent !imide- ment la possibilite d'inoculer a partir de 3 semaines ou 1 mois, «apres les accidents ordinaires des premiers jours» mais avant les dangers suiv- ants. Un Age qui aurait surtout une utilite sociale <<pour les pauvres et les gens de la campagne, qui ne peuvent pas preserver leurs enfants de la contagion jusqu'a'I'Age requis [soit quatre ans] comme Ie font les gens aises»!6. Les familles patriciennes genevoises pouvaient en effet generale- ment envoyer leur enfant dans leur maison de campagne. Neanmoins, ce ne sera qu'a partir du milieu des annees 1780qu'on inoculera a Geneve en dessous de quatre ans, ce dont temoigne Daniel de La Roche par un texte dans lequel il dit avoir inocuJe a Geneve de nombreux enfants Ages de 2 mois a 2 ansI'.

Mais Ie degre de preparation deI'enfant ne depend evidemment pas uniquement de !'Age; outre les nombreux facteurs climatiques et dietetiques, il en est un qui pose particulierement probleme aux inocu- lateurs. Que faire lorsqueI'enfant est valetudinaire, lorsqu'il est de com- plexion cacochyme?

CONVAINCRE LES PARENTS,

Onimagine aisement que les parents d'un enfant de sante fragile hesitent a Ie faire inoculer. Un enfant qui presente par exemple de mauvaises predispositions familiales necessite une preparation plus compliquee, et Ie medecin doi! alors se montrer

tres

persuasif envers les parents.C'est toute- fois une autre difficulte rencontree par l'inocu1ateur qui nous interesse ici : «des enfants nes de parents delicats. rappelle Vieusseux «apportent souvent, en venant au monde, des principes de maladie qui ne se develop- pent qu'a un certain age [c.-a-d. vers cinqau six ansI. Le temps de les inoculeI; est avant qu'Us 50ient parvenus a eet

age

qui leur est si runeste.

n

est pourtant beaucoup plus prudent de ne les point inoculer du tout, de

~ , ...:1.. •• ••~.. _ ' __r -<._ll._v: .1-_~__ .-1- ---'

(6)

L'inoculation

a

Geneve au XVIIIe siec/e 107 Celte derniere remarque est fondamentale. Elle temoigne de la con- science de la dimension edifiante qu'un inoculateur a de son geste. Faut- i! inoculer un etre de sante fragile au risque, en cas d' ernec, de deteriorer sa propre image et celle de !'inoculation? Entre Ie bien public qui voudrait, dans une perspective eclairee, que tout Ie monde filt inocule, et I'embarras du cas present, l'inoculateur fait figure d' equilibriste. Pour Vieusseux, mieux vaut laisser tomber une operation risquee que de met- tre toutI'edifice en peril. Cen'est pasI'avis de De La Roche pour quiI'ex- emplarite d'un inoculation reste subordonnee

a

!'interet general:

]aPetite-verole etant une maladie qui attaque tout Ie monde indistinctement, il est du devoir de Yinoculateur de travailler de toutes ses forces

a

en rendre Ie preser- vatit aussi general qu'illui sera possible; [it doit] encore par ses discours ras- surer ceux qui pourraient avoir des craintes sur son usage,&delruire les prejuges qui existent encore sur sonutilite.Cette maxime suivieala rigueur conduirait Ie Pratiden

a

refuser d'inoculer les enfants qui appartiennent

a

des familles ou Yon sait que la Petite-Verole est generalement tIes mauvaise ; car c'est un fait, que les Petites-Veroles inoculees qui se sont monlrees facheuses&d'un mauvais carac- tere, ont ete observees dans de pareilles familles. Et qui peut sans fremir penser

a

cette consequence!Quisait cependant si cette raison n'a jamais influe sur la con- duite de ces Inoculateurs qui veulent

a

tout prix mettre leur reputation

a

couvert".

Ce passage touche

a

ce queYonpourrait nommerlafonction discursivede tout medecin d'Ancien Regime. l:efficacite du medecin, ici du medecin inoculateur, passe en effet autant par Ie discours - i! doitconvaincreet ras- surer - que parla prescription etI'administration de remMes;convaincre et rassurer entrent

a

part entiere dans sa vocation therapeutique et/ou prophylactique. La position de l'inoculateur se revele donc fragilel -.Sa reputation represente son unique garantie de conserver une clientele, parlant d'assurer les progres de l'inoculation; symetriquement, les par- ents qui en ont la possibilite et les moyens financiers vont considerer la reputation d'un inoculateur comme Ie meilleur gage d'une operation

a

!'issue heureuse. Une operation ratee laissait sur les esprits une impres- sion beaucoup plus forte qu'une serie d'inoculations reussies. 'fronchin par exemple, champion de l'inoculation mondaine, refusait les candi- dats

a

!'inoculation qu'i! jugeait inaptes

a

en supporter les effets.C'est en choisissant scrupuleusement ses patients que Tronchin s'est forge une aura d'infaillibilitew. Nous verrons plus loin, parI'exemple dela consul- tation epistolaire adressee

a

TIssot, que la reputation de ce dernier est ce qui, pour les parents, fonde la legitimite meme de leur requete, Autant sinon plus que la logique probabiliste, c'est la personnalite de l'inocula- teur et sa publicite qui determineI'acceptation ou Ie rejet de Yinoculation.

Une autre complication etait liee

a

I'arnbigu'ite apparente des signes de la maladie.

n

arrivait queI'on ne filt pas meme certain si la petite verole avait reellement ete contractee; au XVIIIe siede, Ia distinction entre la variole et d'autres fievres eruptives (rougeole, scarlatine, varicelle, etc.)

(7)

108 ALEXANDRE WENGER n'etait pas formellement etablie et, la confusion aidant, on pouvait penser qu' un inocule pouvait encore contracter une petit verole naturelle. La credibilite de l'inoculateur etait alors en jeu. Parfois, c'est la marche meme de la maladie qui etait en cause. Ainsi, dans une lettre adressee 11 un medecin-inoculateur non-identifie, Abraham Trembley (1710-1784) raconte l'inoculation de son fils de quatre ans, Jean, Ie22 septembre1768par Ie chirurgien genevoisFran~ois-DavidCabanis(1727- 1794). Dix-sept jours apres l'operation, les pustules ayant sechees, on conc1ut 11 une «petite verole tres benigne». Or, Ie vingt-septieme jour, I'eruption reelle se declenche soudain. Suite 11 quoi Trembley releve qu'i1s sont nombreux, ceux «qui sont facilement ebranles par des

cas equivoques.

Celui que je viens de vous decrire a fait d'abord beaucoup de bruit ici.

Sans etre instruit de l'histoire du fait on a decide que mon enfant avoit eu une petite verole naturelle apres I'avoir eue par inoculation»2!. On voit bien que !'inoculation, qui a pu etre presentee par certains esprits ec1aires comme un chef-d'ceuvre de la raison et de la vision probabiliste, reste emotionnellement Ires chargee, et que Ie debat est petri de doutes.

INITIATIVES PUBLIQUES GENEVOISES

Qu'en etait-il des enfants dependants de I'Hopital? La premiere initiative genevoise en matiere d'inoculation prise par une institution et ne resul- tant pas seulement d'un volonte individuelle date de feYrier1751.Peut- etre influencee par les inoculations pratiquees par Tronchin et Guyot respectivement en1749et1750,la direction de I'Hopital, apres avoir fait dresser un memoire sur l'inoculation, «a pense qu'il convient d'en faire I'experience sur des sujets entierement dependans des Directions, et prin- cipalement sur des Batards, qu'i1s ne se proposent pas de faire faire l'inoc- ulation sur des sujets qui y avoient une trop grande repugnance, ni sur ceux qui auroient Pere et Mere sans en avoir par un prealable obtenu Ie consentement»22. Ainsi, 11 la mi-mars1751,les deliberations hospitalieres confirment qu'un premierg~onavait ete inocule. Les experiences entre- prises sur les enfants trouves dependants de l'hopital semblent meme avoir engage certains particuliers11faire Ie grand saut, mais11leurs frais23•

Les archives hospitalieres restent ensuite presque sept ans sans men- tionner l'inoculation. (On sait toutefois par Ie

Memoire

de Daniel Guyot que33inoculations"privees" sont pratiquees 11 Geneve entre septembre 1750et novembre1752;par ailleurs une note manuscrite donne encore les noms de36personne inoculees11Geneve en1753et175424.)Excepte un cas isole, entre1754et1763,la pratique de l'inoculation semble s'etre arretee 11 I'hopital25. Le 8 mars 1758,une certaine Mme Signoret, qui voulait faire inoculer une jeune fille 11l'hopital, essuie meme un retus parce qu'il n'y a «pour cela dans la Maison aucun endroit convenable»26.

(8)

L'inoculation a Geneve au XVIlIe siecle

109 En mars1765 :changement de cap. Les ravages causes par l'epidemie de17642'decident l'Hopital a executer un reel programme en matiere d'inoculation, qui reste tout a fait frappant pourIanouveaute de la vision along terme qu'i1 vehicule, pour sa volonte d'une action concertee, et pour l'appel ala responsabillte dtoyenne qui Ie sous-tend.Laquantite de personnes mortes deIapetite verole, pendant l'epidemie qui tend a sa fin, a engageIaNoble Direction de l'Hopital General a faire inoculer chaque annee, des a present un certain nombre des enfans confies a ses soins.

Mais reflechissant que diverses personnes, quoique dans une situation aisee, ne peuvent faire inoculer leurs Enfans, a cause deIapetitesse de leur logement, ou d' autres embarras domestiques, laditte noble direc- tion estime qu'i1 etait du bien public de faire etablir dans l'hOpital un apartement propre a faire inoculer les personnes qui Ie desireroit, en remboursant les frais. En consequence, on donne avis au public que des Ie Printems de cette annees1765iIYaura al'Hopital General un aparte- ment separe et eloigne de ceux des Pauvres& des Malades, dans lequel on pourra inocu1er six personnes, lesquels seront soignes par des domes- tiques affectes a cet objet, traitees & medicamentees par les Docteurs Medecins et Maitres en Chirurgie de l'HopitaI, et que Ie traitement entier de la Maladie ainsi que les frais de Nourriture&de sejour seront payes au moyen de 31 florins six sols par personne, offrant meme de recevoir gratis les enfants dont les Peres ne se croiroient pas en etat de payer laditte somme. Ceux qui voudront profiter de cet etablissement, sont invites a s'adresser a M.r l'hopitalier dans Ie courant du mois deMars"'.Ce passage

«est Ie premier a exprimer une volante claire deIadirection de l'hOpitaI en matiere de sante publique»29. Bien que Ie soutien aux indigents soit un devoir public sous l'Ancien Regime,Iaprise en charge du COlit de l'opera- tion, prohibitif a de nombreux egards pour les particuliers, est inatten- due30•Ainsi, en avril1765, 6enfants dependants de l'hOpitaI sont inocu1es avec sUCCeS31 •Et au debut de l'annee1766,Ie Conseil de la ville releveque l'initiative «avoit ete goutele] du Public,&que divers Particuliers se pro- posoient d' envoyer al'HopitaI [...

1

leurs Enfans pour y etre inocules.» Ce sont donc 8 enfants, dont trois de particuliers, qui subissent, taus heureusement, l'operation en juiJlet1766.Nouveau coup de theatre en

£evrler1768,lorsque la direction de l'hOpital declare

que l'etablissement de l'inoculation de la petite verole a I'Hopital avoit ete faite, dans la veue d'inviter les personnes dans une situation etroite,ayenvoyer leurs Enfans pour y etre inocules; mais que n'en ayant point voulu profiter, Ie but de cet etablissement se trouvoit manque, quoique des gens riches au

a

leur aise y eussentenvoyeleurs Enfans, parcequeces derniers avoient paseux memes

tOllSles moyens de les faire inoculer ches ewe; qu'll estime done qu'llya lieu de laisser tomber eet elablissement [...] sans prejudice des pauvres [...Jqui pourront toujours etre inocuMs dans la Chambre des MaladesJ2 .

---~----

(9)

- - - - - - - - - -- - - -

110 ALEXANDRE WENGER

La decision d' abandon est acceptee et Ie constat d' echec cinglant : I'ini- tiativea ete boudee par les pauvres,

a

qui elle etait pourtant destinee. On sent I'amertume des responsables de I'Hopital, impuissants devant la population qui n'a «point voulu profiter» de leur offre, cela d'autant plus que des gens fortunes y ont repondu favorablement33•

Derniere etape:

a

partir des annees 1770, certaines inoculations de particuliers pratiquees selon la nouvelle methode - I'inoculation sut- tonienne34 - alarment la population genevoise qui ne voit pas d'un bon reilles convalescents qui prennentl'airsur les promenades publiques. En 1776, les autorites se mellent donc

a

la recherche d'un lieu approprie pour les inocules. (ll est par ai1leurs propose de leur imposer un signe distinctif sur les vetements.) Mais la regularite monotone avec laquelle la question de I'isolement est discutee en Conseil, notamment en 1780 ou encore en 1783, confirme que la force d'inertie et les doutes qui pesent sur la pratique de !'inoculation - doutes qui reprennent de plus belle lorsque d'autres maladies regnent - I'empeche de jamais reellement demarrer

a

large echelle

a

I'Hopital35•

LA «LONGUE HISTOIRE DES MALHEURS DE SON INOCULATION. : LE CAS D'HERVILLY

Entre 1770 et 1774, Samuel-Auguste Tissotre~oitdeux memoires de con- sultation et une serie de lettres portant tous sur les suites tragiques de I'inoculation de MIle d'Hervilly, jeune noble residant

a

Paris. Depuis qu'il a publie

LInoculatwn Justifiee

en 1754, Ie medecin vaudois est devenu celebre dans ce domaine et des patients de toute I'Europe Ie sollicitent36•

Ces documents, que Tissot reunit dans un dossier sous Ie titre de

«Paralysie de MIle d'Hervilli»37 contiennent donc une narration post- operatoire,

a

laquelle echappent partiellement les hesitations,l'argu- mentation, voire les negociations qui ont a1imente Ie choix parental.

Toutefois, les maux que subit la jeune £ille conduisent ses parents et d' autres membres de la famille proche

a

reinterpreter toute I'histoire de l'operation de leur fille. Les regrets et les doutes qu'ils expriment gardent la trace des hesitations qUi etaient les leurs avant I'inoculation. Devant l'echec, leur conviction effritee les conduit

a

reinterpreter leur processus de decision, revelant du meme coup les rapports entre I'inoculateur et la famille. Le cas de MIle d'Hervilly est donc interessant parce qu'il donne acces

a

I'apprehension emotionnelle d'un evenement tel qu'une inocu- lation par un cercle familial restreint, mais aussi parce qu'il entre dans Ie cadre des cas difficiles debattus plus haut par Vieusseux et De La Roche : MIle d'Hervilly presente une sante vacillante (point qu'invoquera son inoculateur pour se decharger de sa responsabilite).

Le dossier s'ouvre par une lettre de la marquise d'Hervilly et un memoire de son mario Dans la premiere", datee du 25 fevrier 1770, la

(10)

L'inoculation

il

Geneve au XVIIIe siecle

111 marquise, se justifie de son courrier : apres avoir consulte <<les meilleurs medecins de Paris», seul TlSsot et sa <<reputation si bien acquise» pourront encore sauver leur fille des suites de son inoculation. Le memoire du marquis" dresse un calendrier Ires exact et emouvant des faits. Leur fille cadette, agee de 8 ans et 9 mols, s'est fail inoculer Ie 6octobre 1769. Elle a toujours ete de sante fragile; elle a notamment eu une premiere

«attaque ressemblant al'apoplexie» a 4 ans. «Toutes ces choses represen- tees a Mr. Pouver Medecin Anglois, eleve deMr.Sutton40,nel'ont point empeche de juger Mademoiselle d'Hervilly en etat d' etre inoculee». Ce dont, ajoute Ie marquis, lui et sa femme «eurent Ie Malheur de Ie clOire».

Viennent ensuile la description del'operation elle-meme et celle de ses suites malheureuses, relatees dans une chronologie Ires serree, parfois d'heure en heure. La suppuration variolique est terrible, «depuis les ais- selles jusque sous la plante des pieds». Les parents n'ont pas lesine devant les moyens; !'inoculation a ete pratiquee dans un lieu isole, «une maison hors de Paris a la barriere du petit Charonne», certainement pour permetlre a la fillette de prendrel'air,conformement a la methode suttonienne. Lorsque, en Mpil des multiples medicaments,l'etat de cette derniere empire - elle est atteinte de surdite partielle suite a une fluxion d' oreilIe, elle est prise de convulsions et ses douleurs sont si vives qu' elle se debat «a se tuer si on l'eut laisse libre» - , elle est emmenee a la campagne dans une berline, afin de la faire changer d'air.

Mais la situation continue de s'aggraver, la fillette perdant meme I'usage de la parole, et son pere de condure :«c'est un Enfant rebute de maux et de remedes». Depile,iIajoute neanmoins un dernier point: «Mr. Pouver a dit pour sa justification que tous les accidens arrives a Mademoiselle d'Hervilly venoient de son mal d'oreille qu'on pouvoit regarder comme un mal de famille».

Le 6 juin 1770, les d'Hervilly envoient une nouvelle lettre a Tissot pourl'aviser del'amelioration del'etat de leur fille. De meme en aoflt,iIs lui annoncent que leur fille est «mieux portante» bien qu' elle conserve

«de la foiblesse dans tout Ie cote inocule»". Mais une lettre du 13 juin 1771 annonce Ie drame : la fillette est a nouveau au plus mal, continuant ce que sa mere nomme de maniere eloquente «Ia longue histoire des malheurs de son inoculation».

Le cas d'Hervilly presente une situation oilles rapports de confiance sont brises : Ie marquis regrette d'avoir cru en Pouver, qui protege ses competences d'inoculateur et invoque une predisposition familiale pour justifier Ie tour tragique pris par les evenements. Outre la dimension purement medicale, les elements-de de cette correspondance sont la confiancedes parents et la reputation du ou des medecin(s). I:inocula- tion de MlIe d'Hervilly s'est pourtant pratiquee dans des conditions de preparation et de surveillance ideales, les parents ayant notamment pris plusieurs avis medicaux42 . Mais une fois les relations de confiance

(11)

112 ALEXANDRE WENGER

rompues, cette profusion d'avis, qui semble ne faire qu'empirer la situa- tion, leur devient

a

charge et, suite

a

1a defection de Pouver, les laisse seuls face

a

1a responsabilite de leur choix. Leur reaction sera done de trouver quelqu'un qui se situe au-dessus de1a melee des autres medecins et qui puisse les guider dans leurs choix.C'est done sur sa reputation que les d'Hervilly prennent contact avec Tissot, se rattachant de manii~re

pathetique

a

son autorite et jurant de Ie suivre dans Ie detail de ses con- seils. De lui, iIs attendent deux choses : qu'illes console - on retrouve ce que nous avons appele 1a

jonction discursive

du medecin43 - et, bien entendu, qu'il rende leur filIe

a

sa sante.

ParailIeurs,l'echec de !'inoculation va inf1uer sur la famille d'Hervi11y dans son rapport au temps: desormais, toute I'histoire familiale sera jugee

a

I'aune d'un evenement fondateur qui est !'inoculation, revelant ainsi I'impact psychologique de cette derniere. En effet, tout comme la phase de preparation, la convalescence medicalisee fait entierement partie d'une inoculation. Tous les efforts des parents, leur recherche d'une caution dans la renommee d'un grand medecin, leurs remords quant

a

l'operation

stricto sensu,

montrent bien que dans leur esprit,

!'inoculation n'est pas terrninee. Les d'Hervil1y esperent que !'inocula- tion trouve unefinheureuse grace

a

Tissot, et cet espoir conduit

a

une dilatation monstrueuse du temps; ils vivent encore dans Ie temps de

!'inoculation". Desormais, qu'il concerne Mlle d'Hervilly ou tout autre membre de la famille proche, chaque evenement s'inscrira dans une chaine causale ouverte, comme une beance impossible

a

refermer, par I'echec de !'inoculation. II en va ainsi lorsqu'en janvier 1773, Mlle d'Hervilly, placee dans un couvent parisien pour son education, est prise d'une fievre putride45 •Mais plus encore, la maladie qui conduira bientot la marquise d'Hervilly dans la tombe, est interpretee par sa sceur (qui reprend la correspondance avec Tissot

a

partir de 1773) comme une suite du chagrin engendre par <<lous les accidents qu[eMile d'Hervil1y) a eprouves depuis son inoculation»".

. Au final, on sent que tout cet echange episto1aire est sourdement tra- vaille par une question jamais verbalisee : etait-il pertinent et necessaire de prendre Ie risque d'inoculer une enfant, valetudinaire par nature et,

enl'occurrence, de menager,

a

elle et

a

sa famille, une vie de souffrance

et de deuil? Le marquis et la marquise d'Hervilly etaient visib1ement penetres des Lurnieres. fis se sont decides sur Ie conseil des medecins, en connaissance de cause. Mais toute argumentation logique, fiit-elle implacable, s'estompe lorsque les parents en sont reduits

a

croire aveuglement un praticien plutot qu'un autre. Sa reputation et la relation de confiance qu'ils instaurent avec lui forment alors I'unique critere sur lequel ils construisent leur espoir.

(12)

L'inoculation

tl

Geneve au XVlIIe siecle

CONCLUSION

113

thistoire des initiatives hospitalieres genevoises et Ie cas d'Hervilly ne constituent que des inelices partiels pour qui veut reflechir sur la reception de I'inoculation au

xvm

e siecle. Le plus frustrant est la presence perma- nente des enfants dontlavoix ne se fait jamais entendreCaJ;comme Ie spe- cifie Tissot,,<]'age011[les enfants] commencent it pouvoir juger delavaleur des raisons, n'est plus favorable pour inoculer la petite verole»47. I;his- toire de I'inoculation en elit forcement moins sur les enfants, trop jeunes pour pouvoir exprirner leur propre choix, que sur les regards portes sur eux et, par consequent, sur ceux qui sont itl'origine de ces regards.

On «est Ie maitre de choisirl'age, Ie lieu, la saison, Ie moment, la dis- position de corps&d'esprit; Ie mededn&Ie chirurgien auxquels on.a Ie plus de confiance», elit

I'Encyclopedie"'.

C'est cette possibilite de choisir Ie moment et les conditions les plus adequats pour contracter la maladie - possibilite qui s'oppose it une attitude d'assenliment passif devant la maladie49 - qui faitlavaleur de I'inoculation aux yeux des philosophes et des mededns eclairesso. Mais ce choix, cet exerdce du libre arbitre est tres contraignant pour des parents car, en definitive, sil'on accorde sa confi- ance it un pratiden plutot qu'it un autre, c'est lui qui determinera, dans la mesure du possible, I'age, Ie lieu, la saison, etc5l •Tout est donc ramene au choix de !'inoculateur et ce choix, fonde sur la confiance, revelel'en- vers du discours probabiliste pro-inoculationiste.

n

elit la negodation, Ie facteur irreductiblement humain de toute demarche meelicale et, dans Ie cas present, la limite inelividuelle it une logique dont Ie taux de reussite depend d'une application generale.

Les promoteurs de !'inoculationl'avaient parfaitement compris et, parallelement it leur argumentation populationniste et patriotique, ils en ont appele aux parents et it leur sentiment filial. Pour penetrer dans l'espace domestique, il fallait convaincre non seulement les meres de famiDe, en tant qu' elles regnent sur la sphere privee52, mais aussi les peres, dont I'epoque (re-)decouvrait Ie role educatif53•

Pour en revenir au cas genevois, et si on lit attentivement les quelques recensements de series d'inoculations que des mededns ont laisses de leur pratique, on constate qu'il y a habituellement - en tout cas dans les classes aisees - plus de filles que degar~onsoperes: 6 personnes du sexe masculin contre 13 du sexe feminin pour la premiere serie d'inocula- tions par Guyot; et 3 gar~onscontre 11 filles pour Vieusseux54•Encore une fois,etant donneleurc~rach~reisole,ces chiffres, qui sontcertaine~

ment la consequence de plusieurs fadeurs combines, se pretent diffi- cilement a !'interpretation; la crainte de la defiguration entrainee par un variole naturelle et dont les consequences sodales sont plus lourdes pour les filles que pour les gar~onspeut jouer un role. La crainte d' ex- poser I'heritier male et d' encourirl'extinction du patronyme familial

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _J

(13)

114 ALEXANDRE WENGER

pourrait egalement etre invoquee, mais en denner lieu, celie explica- tion signifierait un defaut de confiance dans \'inoculation.

II faut en outre tenir compte de I'histoire des

Immortelles,

facteur local qui a vraisemblablement influenceIa pratique inoculatoire genevoise.

Profitant habilement del'obsolescence du systeme de calcul des rentes viageres lancees par Ie 1I'esor royalfran~ais,les banquiers genevois ont mis au point une formule qui perrnellait de limiter les risques d'un place- ment surIavie et d'en maximiser les profits. Un banquier selectionnait trente

tetes

(comme on les appelait a I'epoque), soit des demoiselles de l'aristocratie genevoise sur la vie desquelles iIpla~aitrespectivement trente contrats viagers. II faisait ensuite de ces trente contrats une seule masse de rentes qu'il fractionnait en autant de parts qu'il trouvait de pre- neurs. Si une demoiselle venait a mourir, Ie preneur ne perdait qu'un trentieme de sa part". Pour se garantir autant que possible des morts precoces des

leles,

les banquiers les choisissaient selon des criteres dra- coniens : calcul de probabilite de vie moyenne, ascendants familiaux, etc.

mais aussi etat de sante: <1usqu'en1774environ, on pritIaprecaution de choisir des "tetes" d'un age de sept a quatorze ans, pour n'avoir plus a craindre les petites veroles [... ]. Quelques annees plus tard, a I'aube des grands placements viagers, les progres medicaux et surtout la pratique generalisee de la vaccination

/sic

pour inoculation] a Geneve perrnirent de choisir les "tetes" desl'age tendre de quatre a sept ans, puis meme a par- tirdeIapremiere annee de vie»56. Cage decroissant des

letes

suit defa~on

claireIabaisse de I'age auquel on inoculait a Geneve". Chistoire des

Immorlelles

peut donc contribuer a expliquer la disproportion entre les sexes relevee dans les series d'inocuIations de Guyot et Vieusseux58;par ailleurs, elle semble averer Ie fait que \'inoculation etait parfaitement acceptee, pour Ie moins dans I'esprit des elites financieres et nobiliaires.

De fait, deux logiques completement differentes president aux inoc- ulations genevoises. D'une part, il Yales enfants trouves dependants de I'Hopital, «pratiques» parce qu' etant orphelins, personne ne pouvait refuser I'operation en leur nom". I:inocuIation de ces enfants est plus marquee dans les annees d'instalIation de I'inoculation a Geneve, entre 1750et1770environ. Nous avons vu que c'est sur eux que la direction de I'Hopital decide par exemple, en fevrier 1751, de faire I'

experience

de l'operation. Leur inoculation a valeur de test, mais elle participe egale- ment d'une «gestion» hospitaliere des enfants trouves qui, par sa dimen- sion preventive, se situe a la source des initiatives en matiere de sante publique. D'autre part, il y ales cercles mondains penetres des Lumieres etIariche bourgeoisie, espaces prives ou se prennent des initiatives indi- viduelles60•C'est de ces milieux quel'exemple deIapremiere inoculation genevoise (pratiquee par Tronchin) est donne en1749. Ce sont eux encorequi,fideles a I'inoculation jusqu'aIadecouverte deIavaccination, contribueront a la reputation moculatoire de Geneve.

(14)

L'inoculation

tl

Geneve au xvm e siecle

REMERClEMENTS

115

l'

exprime mes remerciements

a

Micheline Louis-Courvoisier pour avoir relu cet article et pour ses conseils avises, ainsi qu'

a

Severine Pilloud qui m' a signale Ie dossier d'Hervilly, etiIJacques Trembley, qui m' a autorise l'acces au fonds d'archives de sa .famille,

NOTES

1 Cette contribution reprend, moyennant des modifications8ubstantielles, une communication donnee l\Gen~ve en septembre 2001 dans Ie cadre de la 5~

conference intcrnationale de laEuropean Association for the History of Medicine and Health (EAHMH),dont Ietheme faitier etait «Health and the Child. Care and Culture in History»,

La

citation dutitre est cxtraite de Daniel DeLaRoche,Recherches sur les Moyens de Prevenir la Petite Vb-ole Naturelle; et Procedts D'une Societe etablie

a

Chester pour eet objet,&pour rendre i'inoculationgenerate.Traduits de l'Ang/ois deM.Haygarth,D. M, parM.De La Roche(Paris: Buisson, 1786); «Preface duTraductcUl)),p. xlviii.

2 Le petit ouvrage de Jean-Fran.;ois de Raymond, La querelle de l'inoculation ou Prthistoire de.la vaccination (Paris: Vrin, 1982) fait un point assez complet de la situation. Sur Ie recours au calcuL des probabilitcs ct ses enjeux par certains partisans de l'inooulation tels que James Jurin (1684-1750), Jean d'Alembcrt (1717-1783) au Daniel Bernoulli (1700-1782),d.Leslie Bradley,Smallpox Inoculation: An Eighteenth- Century Mathematical Controversy(Nottingham: University of Nottingham, 1971).

3 Encycfopedie ou DictionMire Raisonne des Sciences, des Arts et des Metiers, Par une Societe de Gens de Lettrcs(1751-1780), tome 8, 1765, p. 758b. Cette maniere d'opcrcr etait susceptible de modifications; certains inoculateurs preferaient indser la jambe, d'autres se mefiaient de l'emplatrc, etc. Au sujet de !'inoculation ditesuttoniemle,cf.

d-dessous, note 34. Ilarrivait aussi frequemment que Ie medecin borne son action

a

la preparation du patient et

a

la supervision de l'operation, l'inoculation proprement dit ctant dclegueeIiun chirurgicn.

4 De La Roche, Daniel,Recherches sur les Moyens de Prevenir la Petite Wrole Naturelle, p. xxxvii.IIaffirme encore que depuis «douze ou quinze ans surtout, I'inoculation a fait

a

Geneve beaucoup de progres» (De La Roche, Daniel,Recherches sur les Moyens,p.xvi), que «depuis 1750, on a inocule toutes les annees, d'abord un petit nombre de personnes, puis successivement un plus grand» (De LaRoche, Daniel, Recherches sur les Moyens,p. xxxviii), qu'on «a vu plus d'une fois, pendant respace d'une salson, soixante

a

quatrc-vingts inocules dansl'enceinte de la ville» (Xvii), etc.

5 Memoiresur l'inlXulntion de Ia vaccine

a

Geneve(CanIX),p.11.

6 En effet,l'inoculation se repand en Europe de la maniere la plus marquante en deux endroits cxtrcmement permeables aux idees angiaises : la Hollande et la Republique de Geneve, toutes deux protestantes et entretenant de ce fait des contacts tres cordiaux. CommeI'a rcleve Genevieve Miller,The Adoption of Inoculation for Smnllpox in England and France(Philadephia: University of Pennsylvania Press, 1957), p. 197- 203, les debuts de !'inoculation dans ces deux endroits relevent souvent de

!'initiative individuelle d'une poignee d'hommes, amis au parents,les uns des autres, et tres majoritairement descendants de protestantsfran~ais- parfois d'ltalie septentrionale - ayant fui les persecutions religieuses de leur pays,

7 Pour la periode 1750 -1799, la distribution par age des deccs par variole a Geneve est la suivante: mains d'un an: 26,4%;de 1 a 4 ans: 53,1 % ;de 5 a 9 ans: 15,6%, soit 95,1%du total des deces avant la dixieme annee. (Source: Perrenoud, Alfred, La population de Geneve, XVI-XIXe siedes[Geneve: Jullien, 1979], p. 465).

8 Les cas d'adultes atteints de petite verole ont un poids psychologique et social plus fort que ceux des enfants, qui plus est lorsque la victimc est celebre: la mort de Louis

(15)

116 ALEXANDRE WENGER XV Ie 10 mai 1774precipiteles inoculations effectuees dans la familleloyale(Louis XVI est inocule Ie 18 juin 1774).

9 C'est parexemple Ie cas dans les colonies anglaises en Ameriqueaudes inoculations d'adulles sont praliquCes pendant les fpidemieset pendantIaGucrre d'Independance : soldats britanniques, miliciens, soldats loyalistes nairs mais aussi dvils et pauvres dans les grandes villes - cf.Feno, Elizabeth,Pox Americana. The Great Smallpox Epidemicof 1775-82 (New York: Hill and Wang, 2001); en France,apresl'inoeulation des eofaots du dued'Orleans par 1l'onchin en 1756, des adultes, et particulierement des femmes nobles pour qui~tredefigureesdiminuait d'autant leurs chances de percer dans Ie monde, se font inoculer (<<Fashionable Parisiennes, anxious to preservetheirbeauty, joined the throngs seeking 'fronchin'5care». Genevieve Miller, The Adoption of Inoculation, p. 220).

10 Le raisonnement des partisans de !'inoculation repose aussi sur I'idee qu'en inoculant tous les enfants en basAge,on soustrait

a

la variole naturelle toutes ses victimes potentielles. Pour etre efficace, it faut inoculer beaucoup et tOt :

«I.'inoculation sera d'autant plus utile

a

Yhwnanite, qu'eUe deviendra plus generale»

(De La Roche,Recherches sur les Moyens de PrevenirlaPetite Verole Naturelle,p. xlix).

11 Gaspard Vieu8seux,TraUe de la nouvelle methode d'inoculer la petite verole(Geneve: Chez Emanuel du Villard, 1773).

12 Memoire des medecins sur l'inoculation de la Petite Verole.

va

en Conseil1e 15: fevrier 1751;

insere dans AEG; RC 251 entre les pages86et87. Ce document se proclame

«edaire» dansl'esprit; itcontient une reflexion sur la variole naturelle et sur la variole prise par inoculation. 11 condut en faveur de la seconde, moyennant certaines precautions (regime, temperature, etc.) fondees sur des prindpes solidistes.

13 DanielGuyot, «Memoire Historique sur l'lnoculation de la Petite Verole Pratiquee

aGeneve» envoyeat'Academie Royale de Chirurgie de Paris en 1752 (dansMemoires de I'Acadbnie Royale de Chirurgie, Il>ris, 1752,p.552-62).

14 I.:inoculation justifiee, au Dissertation pratique et apologetique sur cefte methode(Lausanne:

Bousquet, 1754).

15 II s'agit en fait de deux artides «Inoculation» qui se suiventi ie premier s'etend sur plus de 27 colonnes, Ie second sur 5 colonnes et est signe par lronchin. Les deux article sont habituellement attribues

a

Tronchin,l'anomalie etant alors expliquee par les mauvaises conditions editoriales (cf. Mason, Haydn,«I.:article Inoculation de l'Encyclopedie et Voltaire)}, dans Sylvain Auroux, ed., l:Encyclopedie, Diderot, l'esthttique. Milanges en hommage a Jacques Chouil/et (1915-1990) (Paris: PUF, 1991).

On peut toutefois relever certaines differences entre les deux articles; dansI'article signe par lui, Tronchin se pose en champion et pionnier absolu de !'inoculation sur Ie continent, alors qu'il serait beaucoup plus discret dans Ie premier. Par ailleurs, Tronchin preferait inciser la jambe plutot que Ie bras, parce qu' etant plus eloignee deIatete, les risques d'inflammation y etaient moins cleves. Cette preference est clairement affichee dans Ie second article, mais pas dans Ie premier. SurI'attribution de cet article, d. aussi Emch-Deriaz, Antoinette, «I.:inoculation justifiee vraiment?»,

Bulletin Canadirn d'Hisloire de la Medecine, 2 (1985): 237-63.

16 Gaspard Vieusseux,TraiU de la nouvelle methode d'inoculer,p.12.

17 DeLaRoche, Recherchessur lesMoyrnsde Prtvetlir /a Pente Verale Naturelle, p.lv-lvii.Par ailleurs,AlfredPerrenoud rappelle que c'est«AI'occasion deI'epidemie de 1787 queL.

0dieJ;dansses chroniques medicales duJournaldeGeneve,conseilla d'inoculerlesenfants desragede quatre mois»(LapopulationdeGeneve,p. 465, note 2.-Cf. aussiL.Gautier,La medecine aGenevejusqu'a /aftn du XVIIIe sikle [Geneve: M.D.5.H.A.G., 1905], p. 401).

18 De La Roche,Recherches sur les Moyens de Prevenir 1a Petite Verole Naturelle,p. liii-iv.

Si De La Roche est d'avis qu'll faut inoculer tout Ie monde sans distinction (d.ci- dessus, note 10), cette citation, oil chaque phrase prend semantiquement Ie contre- pied de celie qui la precede, devoile un malaise face

a

cet epineux probleme.

19 Les deux passages suivants expriment clairement la tension

a

laquelle est soumis l'inoculateur: «ll me resteitparler d'une opinion qui, par Ie trop d'cxtension qu'on

(16)

L'inoculation a Geneve au xvm esiecle

117

lui donne, oe peut que nuire auxprogresde l'inoculation [...J.Les accidents, dit- on,quisurvicnncnt aux inocules, sont constamment dusalafaute del'inoculateur.

Cette proposition que rai vu soutenir ouvertement dans differents cerits, est evidemment fausse&:dangereuse [.. .]. Lesparents n'ascrantplusfaireinoculer leurs enfants que lil ou.ilse trouvera un Inoculateur instruit par une longue experience,&:qui n'aura jamais vu arriver d'accidents dans sa pratique. Les nouveaux Praticiens n'auront la confia<nce de personne,&:ne pourront jamais J'acquerir» (DeLa Roche,Recherches sur les Moyens de Prevenirla Petite Verole NaturelIe, p. IViii-lix); et «Que les Medecins [... ] aient moins en vue leur propre reputation que Ie bien public; qu'ils rassurent les peres&les meres sur la crainte ridicule des dangers de laPetite~Ve~oleinoculee»!(De La Roche,Recherches sur les Moyens,p. Ixix).

20 Agit~ilen fin stratege ou en therapeute prudent? toujours est-il que ses succes lui vaudront de I.ancer une reelle mode. de l'inoculation·au sens propre du terme meme, puisque Ie «bonnet

a

l'inoculation», avec des rubans ornes de pois imitant les boutons de la petite verole, sera confectionne a Paris apres l'inoculation par nonchin, Ie 26 mars 1756, des enfants du Due D'Orieans.

21 Gene-ve, Bibliotheque Publique et Universitaire(BPV);Fonds TrembleyW4,Minute de la lettre d' Abraham 'Ii'embley a un destinataire non identifie, sans date, 3 f.- Souligne par nous, Dans ce document, Trembley defend fermement I'inoculation;

il se situe resolument danslaperspective d'un perc et pedagogue cdaire (tel qu'll la developpera dans Ie discours preliminaire des Instructions d'un Pere

a

sea Enfants sur la Nature et sur la Religion, Geneve: Chez .Marc Chapuis, 1775), prenant activement part au developpement naturel ct harmonieux de ses enfants des leur plus jcuncage, Trembley va jusqu'a minutieusement observer l'evolution des pustules de Jean

a

la loupe; mais il est alors difficile de delimiter ce qui, dans un tel geste, incombe a l'inquietudc paternelle et ce qui echoit

a

la curiosite edairee.

II en va de meme pour Ie document adjacent (Fonds Trembley 26/3, texte a, 18 f.), qui contient des Notes prises par Abraham 'Ii'embley au jour Ie jour rendant compte de l'inoculation [de ses enfants] qui retracent de maniere tres detaillcc la marche des inoculations de ses cinq enfants, Trembley s'y montre minutieusement attentif, il se leve chaque nuit pour prendre Ie pouls de ses enfants, pour comptcr Ie nombre dc leurs pustules et pour consignerI'evolution de leur etat general.

22 AEG; RC 251, p. 86, 15 fevrier 1751.

23 C'estIe cas par exemple de Marc Thrretini, qUi veut faire inoculer son filieul et domestique dans une «chambre particuliere» et doit par consequent embaucher a ses frais une personne qUi en prenne soin pendant touteJaduree de J'operation (Arch. Hasp.Aa102-p. 111, 115&117; 18, 21 &28avril 1751). Fin ao(\11751, on apprend que «les Mededns et Chirurgicns de la Maison ne trouvent plus parmi les enfans dependans de 1'hOpital des sujets sur Iesquels its puissent continuer leurs experienccs de !'inoculation». Par consequent, its acceptent la proposition d'un pasteur qUi peut leur «fournir» un fils de paysan de la campagne genevoise (ABC;

Arch, Hosp. Aa 102-p. 153; 29 aout 1751). Cette remarque ne permet pas de determiner si ce manque resulte de l'incapadte de trouver un donneur de pus satisfaisant aux eXigences des mededns ou si ceux·ci n'ont simplement plus du tout trouve de pus variolique (Ie registre des morts recense huit morts de petite verole pourl'annt~e1751) oum~me,s'it n'y a plus d'enfants

a

inoculer,

24 Cf.nole 60.

25 Le 'pasteur confirme ceUe cessation: «Ies premiers essais s'en firent a l'Hopital en l'anncc 1751; mais [.. ,] depuis quelques annecs cet usageyavoit cesse» (AEG; Arch.

Hasp. Aa 104, p. 314, 18 mai 1763.)

26 AEG; Arch. Hasp.Aa103, p. 234, 8 mars 1758.

27 «Ml ie Oir. Vasserot a raporte, qu'il est frape delaquantite de personnes qui sont . mortes cctte annee de la petite verole prise naturellement, y en ayant eu 135 jusqu'au 16e courant; que c'cst a cause des Maladies epidcmiques de rougeole&

(17)

118 ALEXANDRE WENGER d'inflammation qui on regnc, que M.rs les Medecins de l'Hopital n'ont pas ete d'avis qu'aninoculatdanslaMaison Ie Printems dernier, [IIpropose en outre]qu'on c:hoisisse pour Ie Printems prochain ceux qu'il y aura lieu d'inoculer; qu'il souhaiteroit aussi qu'nnfitmettre surlafeuille d'avis qu'on a etabli

a

I'Hopital une chambreadouze tits, pouryinoculer ccux qui ne sont pas enetatd'etreinocules ches cux. Surquoi opine, on a chargeM,rIeOir.Vasserot de dresser

a

ce sujetun

Memoire qui sera leu ceans» (AEG; Arch. Hasp.Aa104, p. 471, 21 novembre 1764;

ainsi que Arch. Hasp. Aa 104, p. 512&<513; 24&<27 fevrier 1765.) 28 AEG; Arch. Hasp.Aa104, p. 515; 3 mars 1765.

29 Louis-Courvoisier, Micheline,Soigner et consoler. La vie quotidienne dans un Mpital

a

la

fin de l'AncienRegime: Genlve 1750-1820 (Geneve: Georg, 2000), p. 116.

30 Peter Razzel,The Conquest of Smallpox.TheImpact of Inoculation on Smallpox Mortality inEighteenth~Century Britain (Firle: Caliban Books, 1977),p. 46-49~ttirel'attention sur Ie fait que l'inoculation des pauvres pouvait presenter des avantages economiques par rapport

a

la variale naturelle.

31 AEG; Arch. Hasp.Aa104, p. 527, 10 avril 1765et Arch. Hasp.Aa104, p. 537, 8 mai 1765.

32 AEG; Arch. Hasp. Aa 105, p. 186,7 fevrier 1768.

33 Les riches se reodental'H6pital pourytrouver un lieuadapte,non pourl'aspect financier; n'ayant pas titre a beneficier de la charlte publique, Us paient eneUetleg frais de leur inoculation (cf. note 23). La dimension socio-economique de

!'inoculation est abordec ci-dessous, dans la conclusion de l'article.

34 'C/est-a.-dire en scarifiantlcgerement Ie bras et cnyappliquant non plus unfil imbibe de pus mais unepetitequantite de lymphepreleved'une pustule variolique peu mOre, ced dans Ie but de produirelaforme la plus attenuee possible de la maladic. Cette methode, qui est introduite

a

Geneve au debut des annees 1770, correspond par ailleurs a l'emergence, depuis quelques temps deja, d'une logique nouvelle de reactivite et d'endurcissement corporels, au scin de laquelle la promenade de sante ct I'exposition au grand air remplacent progressivement l'ancienne sudation et les purges, sous quelque forme que ce soit. Le froid n'est plus craint et les inoculations peuvent desormais se pratiquer en hiver.

35 Cf. les pages que Micheline Louis-Courvoisier, Soigner et consoler, consacre a

!'inoculation a Geneve (en particulier, p. 113-118); elle releve un total final de 35 inoculations mentionnees dans les archives hospitalieres (Louis-Courvoisier,Soigner et consoler, p. 46). Pour un rapide biIan chiffre, Ie tableau de mortalite variolique dresse par Leon Gautier(La medecinet.l:Geneve, p. 382) fait apparaitre qu'entre 1701 et 1750. sur un total de 33'875d~es,1833 sont causes par la petite verole, tandis que de 1751

a

1800 (date de la derniere grande vague endemique a Geneve avant l'introduction delavaccination), 2'087 deces sont dus alapetite verole sur un total de 38'136 trepas recenses. Les taux de mortalite variolique sont respectivement de 5,41%et 5,47%.L'inoculation n'a done exerceaucune influence

a

un niveau global.

Les donnees seront tout autresi\partir de 1798; Louis Odier, inventeur en 1799 du terme devaccine pour designerlapetite verole des vaches, annonee, dans Ie numero d'octobre 1798 de laBibliotheque britannique, l'opuscule d'Edward Jenner paru la meme annee sur l'utilisation du cow-pox(An InqUiry into the causes and effects of the Variolae Vaccinae)i dans les numeros de novembre et deeembre 1798, Odier publie deux articles qui analysent la dfk:ouverte de Jenner, assurant un sucees rapide

a

la vaccination sur sol genevois.

:36 Cf. Emch-Deriaz, Antoinette,Tissot. Physicilln a/the Enlightenment (New York: Peter Lang, 1992), p. 27.

37 Ce dossier fait partie d'un fonds d'environ 1300 documents ecrits au docteur Tissot, entre 1750 et 1797, et conservealaBibliotheque Cantonale Dniversitaire (BCD) de Lausanne, A la faveur d'une bourse du Fonds National pour la Recherche Scienlifique (requete 11-56771.99), Severine Pilloudet Micheline Louis-Courvoisier ont depouille ces documents et une base de donnee accessible sur Internet est en cours de realisation. Ce travail se fait dans le cadre de l'Institut universitaire romand

(18)

L'inoculation a Geneve au XVIIIe siecle

119

d'histoire de la,medecine et delasante publique,

a

Lausanne, sous la direction du professeur Vincent Barras. La reference du dossier sur !'inoculation de Mlle d'Hervilly est BCU, Fonds TIssol 15/3784;1V144.02.02.l6. ilI44.02.02.24.nesl compose de documentsecritspar Ie marquis et la marquise d'Hervilly, puis,ala mort de cctte dernierc, par sa areur. !issal a directement note son diagnostic au bas de certaines lettres.

38 BCU, Fonds Tissoll5/3784;11/144.02.02.l6, lettre du 25 fevrier 1770.

39 BCU, Fonds Tissol 15/3784111/144.02.02.17, memoire joint illa lettre du 25 fevrier 1770.

40 Pouver,au Joseph Power, partenaire autorise de la famille Sutton, officiant

a

Paris

(Razzel,Peler,The Conquest of Smallpox,p. 63.)

41 BCU, Fonds Tissoll5/3784;11/144.02.02.19, lettre du 18 .01l11770.

42 Plusieurs medecins apparaissent dans Ie dossier: medecin de famille, inoculateur, consultants, etc. Aprea l'inoculation, les parents restent perplexes devant Ie panel medicamenteux que leur proposent «les medecins» (Ie terme figure toujours au pluriel dans leur recit).

43 Dans la suite de la correspondance, its insisteront beaucoup sur Ie manque de consolation apporlee par les medecins dont les prescriptions, de surcroit, divergent:

raison pour laquelle"dit la marquise

a

Tissot, «je ne ferai rien volontiers que par votre avis Monsieur»,BCU,Fonds TissotIS/3784/1V144.02.02.21,lcttre du28juillet 1771(datation de Tissot).

44 Cette conception de !'inoculation comme un processus qui peut ,durer tres longtemps n' cst pas tout a fait evidente pour notre regard moderne, Notre connaissance du mecanisme de production des anticorps lars delavaccination nous conduitpeut~etre

a

negliger la preparation et la convalescence, pourtant aussi irnportants que l'inci.sionet l'application du pus elles-memes pour les hommes du XVme si~cle. Les maux de Mile d'Hervilly sont reellement une phase de l'inoculation qui oe s'acheve pas; Us ne s'agit pas de nouveaux maux frappant un organismc deja fragilise par l'inoculation.

45 BCU,Fonds TissotIS/3784/1VI44.02.02.24,mcmoirc joint a la lettre du 30 mai1774, 46 BCU, Fonds Tisso. 15/3784111/144.02.02.23, lellre du 30 mai 1774.

47 Tissot,rinoculation justifiee,p,83.

48 Encyclo"edie ou Dictionnaire Raisonne,p,759a,

49 Tissot resume cette passivite comme suit: "1.:on a cru, pendant longtemps, que la petite verole etait produite par un germe, par un poison, que les peres transmettaient

a

leurs enfants,&qui naissant avec nous, restait cache&tranquille dans quelque recoin de notre corps, jusqu'a ce qu'ayant acquis un certain degre de maturite,ilvint a se developper,

a

corrompre nos humeurs,&

a

produire la petite verole." (Tissot, Inoculation justifiee, p,131)Dans cette perspective, la petite verole pouvait etre consideree de maniere fataliste comm.e un scull critique mais obligatoire d' entree dans la vie et l'inoculation comme une sorte de violence contre-nature. Au contraire, la promotion de l'inoculation par les philosophes et les medectns eclaires marque - en termes d'histoire de la sante - une progressive confiance dans un potcnticl dcfcnsif du corps et l'affirmation d'un pouvoir sur la marche naturelle des maladies.

50 Voltaire a ete Ie premier en France

a

prendre !'inoculationcommc~mblemede l'esprit philosophique(Lettres philosophiques,Onzieme lettre «Sur l'inscrtion de la petite verole»,1734),frayantlavoie a l'artide deI'Encyclopediequi prodame que tant que les prejuges et l'ignorance entraveront l'avancee de l'inoculation, nous ne serons «ni philosophes ni ciloyens» (767b).

51 A noterqu~refuser l'inoculation peut s'averer tout aussi lourd et culpabilisant pour des parents que l'accepter.

52 Au sujet, par exemple, de Tissot,cf.Emch-Deriaz, Antoinette,Tissot. Physician of the Enlightenment,p,28·31:l'auteur attire l'attention sur 1e fait que l'intention de Tissot en redigeantL:lnoculation Justifieeest - contrairement a la majorite des traites qui avaient ete donncs sur Ie sujet - de s'adresser a un public vaste de non-medecins, et notamment les femmes - «women whomitis of the upmost importance to

convince» precise Tissot dans une lettre

a

HaUer du22fevrier1754(Tissot,.Phl/sidan _

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