PHYSIQUE CELLULAIRE
Fusion mitochondriale et autres curiosités membranaires (8)
Jean-Pierre HENRY 4 Juin 2009
QUELQUES RAPPELS:
Physique de la fusion
• Nécessité d’un rapprochement des membranes
• Nécessité d’une « exposition » des cœurs hydrophobes:
– Courbure « spontanée »: nature des phospholipides
– Courbure induite: insertion partielle de protéines, effet de protéines fusogènes
– Tension superficielle
• Intermédiaires identifiables
– Hémifusion: fusion des seules monocouches adjacentes – Pore de fusion: conductance mesurable
Fusion et déformations membranaires
• L’étude des fusions cellule-cellule suggère que les déformations membranaires pourraient jouer un rôle important dans certaines fusions
• Ces déformations sont induites de manières
différentes, souvent par des protéines en interaction avec les têtes polaires d’une monocouche
• Les fusions mitochondriales peuvent être un autre exemple de ce type
• Indépendamment des fusions, des déformations membranaires spectaculaires peuvent être
observées
Fusion mitochondriale
• La microscopie électronique a montré la mitochondrie
comme un objet autonome (ballon de rugby)
• La microscopie optique
(marquage GFP) montre un réseau dynamique lié au cytosquelette
• Ce réseau montre des
fusions et fissions multiples
(Chen et al (2003) J Cell Biol, 160, 189)
L’équilibre fusion-fission contrôle la morphologie des mitochondries
• A gauche, mutant de la fusion, à droite de la fission
• L’équilibre détermine la taille et le nombre de mitochondries
• Chez le sauvage, tube de 0,5 µ de diamètre et 1 à 10 µ de longueur
(Detmer and Chan (2007) Nature Review,8, 870)
Pourquoi un réseau dynamique?
• Si un défaut apparaît
(protéine défectueuse, perte de l’ADN), la fusion permettra d’y pallier
• La mitochondrie s’adapte aux zones de forte demande
énergétique (neurone)
• Les défauts de fusion ou fission sont léthaux ou
conduisent à des maladies (neuropathies périphériques (Charcot, Marie,Tooth),
cécité(atrophie optique))
Mécanisme de la fusion mitochondriale
• La mitochondrie possède deux membranes:
– Membrane externe: rôle d’enveloppe, avec des pores (porines, à structure en tonneau de feuillets β)
– Membrane interne: très développée, avec des repliements (crêtes), étanche aux protons
• La fusion doit s’effectuer sur les deux membranes en conservant à chacune ses propriétés
Etude in vitro de la fusion mitochondriale (levure)
• On marque in vivo avec deux GFP la matrice de mitos
• Après isolement, on mélange les préparations
• On centrifuge, puis on
suspend dans un milieu avec ATP
• Les mitos jaunes indiquent une fusion
(Meeusen et al (2004) Science,305,1747)
Images de fusion mitochondriale
Images à 2 Hz
Caractéristiques de la fusion
• L’effet de la composition du milieu de fusion est analysé
• Le GTP est requis (les analogues non
hydrolysables bloquent
• Le potentiel
transmembranaire
(membrane interne) est nécessaire
ERS, Energy Regenerating System, Production d’ATP
Fusion membranes externes membranes internes
• Dans l’expérience précédente, l’index de la fusion est le mélange de protéines solubles de la matrice
(GFP/DsRed)
• Ce protocole révèle la fusion des deux membranes (interne et externe)
• Le même travail décrit aussi une fusion limitée aux membranes externes, par un processus différent
Fusion des membranes externes
• Dans le protocole précédent, les
mitochondries étaient
centrifugées, puis incubées dans un milieu riche en GTP
• Maintenant, on analyse juste après la resuspension
• On voit des doublets non déformés (flèches noires) et déformés (flèches rouges)
• Dans ce dernier cas, la microscopie électronique montre une fusion des membranes externes
Fusion des membranes externes
• On effectue un triple marquage: les deux matrices (rouge et bleu) et la membrane externe (GFP)
• Les images montre la membrane (verte) autour de deux compartiments non mélangés (B) ou mélangés (C)
Les deux membranes fusionnent indépendamment
• Fusions indépendantes, mais co-ordonnées: dans les conditions cellulaires, on ne voit pas de fusions
limitées à la membrane externe
• Le test permet de déterminer les composants
nécessaires à la fusion des membranes externes
• Ces composants ne sont pas ceux nécessaires à la fusion des membranes internes: différence dans les concentrations de GTP, ΔpH plus important que ΔΨ
• Les systèmes de fusion sont différents
Protéines impliquées dans la fusion:
les mitofusines de la membrane externe
• Test de fusion in vivo: les
mitochondries sont marquées par la GFP dans une cellule et la Ds- red dans l’autre
• Les cellules sont fusionnées par addition de PEG
• A) Mito sauvages: fusion
• B) Cellules mitofusine nulles (Mfn- /-)
• C et D) Cellules Mfn+ (vertes) avec Mfn- (rouges)
• La Mfs est requise sur la
membrane externe des deux mitos
(Koshiba et al, 2004, Science,305, 858)
La mitofusine
• La mitofusine (Mfs) est une protéine à deux segments transmembranaires (gris)
• Interactions fortes de type hélice- hélice (coiled-coil) trans (bleu)
• La partie verte a une activité
GTPase et des homologies avec la dynamine
Les deux domaines extracellulaires sont nécessaires à la fusion
• Des mutations/déletions dans le domaine coiled-coil bloquent la fusion
• La délétion du domaine GTPase bloque la fusion et conduit à une apposition des membranes (F et G, barre 0,2 µ)
OPA-1: une protéine impliquée dans la fusion des membranes internes
• OPA-1 est une protéine de la membrane interne requise pour la fusion
• C’est un protéine membranaire avec un segment
transmembranaire
• Elle possède un domaine à activité GTPase
• La fusion requiert l’hydrolyse du GTP
• OPA-1 appartient à la
superfamille des Dynamines
La dynamine-1 est une « pinchase »
• L’endocytose est symétrique de l’exocytose (jaune: milieu extracellulaire)
• La séparation de la vésicule d’endocytose requiert une protéine, la dynamine, et du GTP
• La dynamine est vue comme une mécanoenzyme
responsable du pinçage (pinching off) du tube
Mécanisme de la dynamine:
Fission
• La dynamine a une activité GTPase faible
• En présence de GTP, elle se polymérise et son activité
GTPase augmente
• En présence de membrane (schéma: liposome),
formation d’une hélice dont le pas change en présence de GTP
Praefcke and McMahon (2004) Nature Mol Cell Biol, 5, 137
Mécanisme de la dynamine:
Tubulation
• Si l’hydrolyse du GTP est lente devant la vitesse de polymérisation, on a un allongement du tube
• Ce schéma pourrait aussi rendre compte de la
vésiculation: l’étirement des lipides conduisant à la
rupture (poppase)
Fusion mitochondriale après tubulation
• La Mitofusine et OPA-1 agirait comme des
dynamines, chacune sur sa membrane
• Le fort rayon de courbure à l’extrémité des tubules serait suffisant pour déclencher la fusion
• Remarque: il existe une autre dynamine (Dnm1) impliquée dans la fission
Conclusions
• Les fusions mitochondriales sont intéressantes et complexes: deux systèmes indépendants, mais coordonnés
• Les membranes possèdent un système de reconnaissance homotypique : la mitofusine
• La GTPase de la mitofusine pourrait soit induire un changement de conformation de type fusion virale, soit être une » dynamine » mécanosensible
• Sur la membrane interne, OPA-1 est une dynamine;
elle pourrait induire une tubulation et la fusion par les extrémités des tubules
Conclusions (2)
• L’étude des fusions cellule-cellule et mitochondriales montrent que, dans la majorité des cas, on ne met pas en évidence de « protéines fusogènes »,
analogues aux protéines virales ou aux SNARE
• Ces protéines pourraient être à découvrir
• Une autre hypothèse est que la fusion impliquerait des protéines de reconnaissance (non fusogènes) et une déformation de la membrane (ostéoclastes,
myoblastes de mouche, mitochondries)
• Que sait-on des déformations de membrane?
Courbure membranaire et mécanismes de remodelage
• Dans la cellule, il y a des compartiments à courbure forts (rouge)
• b) Golgi: empilement de
saccules avec fenestrations
• c) Tubule sur un endosome
• d) Bourgeonnement du virus du SIDA
(McMahon et Gallop, 2005, Nature,438, 590)
Mécanismes de déformation membranaire
Mécanismes de déformation:
1- Composition lipidique
• Une courbure spontanée peut être induite par la géométrie des phospholipides
• Les têtes polaires et la géométrie des queues interviennent
• La courbure peut être
modifiée par des protéines : flippase, transformation des têtes polaires, hydrolyse de chaînes grasses
• Séparation de phase
Mécanismes de déformation:
2 -Protéines membranaires
• La forme des protéines
membranaire peut déformer la membrane
• Le récepteur de l’Ach se localise à la pointe des
repliements membranaires de la jonction neuromusculaire
• Souvent, des protéines sous- membranaires oligomérisent les récepteurs
Mécanismes de déformation:
3- Cytosquelette
• L’actine est reliée à la membrane par des
protéines; les remaniements du cytosquelette déforme la membrane. Ex: Villosités
• Les moteurs sur la tubuline engendrent des
déformations. Ex: Golgi
• Il y a des interactions entre forces/tension
membranaire/déformation
Mécanismes de déformation:
4 -Protéines d’échafaudage
• Protéines périphériques (liées aux têtes polaires)
• Elles imposent imposent une géométrie (exosquelette) ou elles favorisent une
conformation
• Exemples : dynamine,
clathrine, cavéoline, domaine BAR, bourgeonnement des virus
Mécanismes de déformation:
5- Insertion d’hélices amphipathique
Ex: Epsine, amphiphysine, Arf, …
Exemples de déformations membranaires:
nanotubes intercellulaires (tunneling nanotubes)
• Cellules PC-12, cellules étalées pendant 2 h
• Fréquence 2 images/s
• Observation en champ large
(Rustom et al (2004) Science, 303, 1007)
Les nanotubes
• A,B,C,D) observation en fluorescence, après marquage des
membranes
• E) fixation et coloration pour l’actine (rouge) et la tubuline (vert); le
filament ne touche pas le verre; il a de l’actine
• F,G) microscopie électronique (F, balayage, G, transmission)
Le diamètre est de 50 à 200 nm, la longueur peut atteindre plusieurs diamètres cellulaires
Les nanotubes peuvent fusionner avec la cellule cible
• Images en microscopie électronique à
transmission
• A) fusion avec la cible
• C1) extrémité fermée
• Hypothèse: la courbure très forte de l’extrémité du tube favorise la
fusion
(Gerdes and Carvalho, 2008, Curr Op Cell Biol, 20, 470)
Les nanotubes assurent une communication intercellulaire
• Les membranes ont été
marquées par le colorant DiI
• Le mouvement est suivi en fluorescence à 4Hz
• Les deux films
correspondent à deux
séquences du même champ
• On voit un mouvement
unidirectionnel de particules marquées (vésicules)
Les nanotubes assurent une communication intercellulaire
• Une cellule développe une protrusion sous la poussée de l’actine
• Un nanotube se développe et fusionne avec la cellule cible
• Une communication
unidirectionnelle s’établit
• Des vésicules sont transférées par un
mécanisme dépendant de l’actine
L’autophagie: un phénomène important en physiologie
• L’autophagie est la digestion d’éléments cytosoliques
pouvant être de grande taille:
agrégats protéiques, mitochondries
• Cela permet une adaptation à des situations de famine, à certains type de
développements, à
l’élimination de microbes, à l’élimination d’organelles non fonctionnelles
Xie et Klionsky (2007) Nature Cell Biol, 9, 1102)
Mécanisme de l’autophagie
• Une vésicule aplatie se développe autour des éléments à éliminer
• Formation d’un
autophagosome, limité par une double bicouche
• Fusion avec un lysosome de la membrane externe de l’autophagosome
• Digestion par les
hydrolases lysosomiales
Autophagie vue par microscopie électronique
• a) Hépatocyte de rat. La membrane du phagosome est lisse
• b) Fusion d’un phagosome avec une vacuole de levure
L’autophagie: une curieuse morphogenèse
• Le développement de la structure à double membrane à partir du disque implique un changement de
courbure entre les deux faces
• Le mécanisme est inconnu
(Yoshimori et Noda 2008, Curr Op Cell Biol, 20, 401)
Conclusions
• Si la cellule comporte des compartiments qui
permettent d’effectuer simultanément des opérations différentes, cette compartimentation est dynamique
• Elle implique de nombreuses fusions membranaires, ainsi que des fissions; des protéines participent à ces étapes
• Mais, l’ensemble de la dynamique membranaire est loin d’être exploré
• Cette exploration laisse une large place à la physique