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«Si je parviens à gagner un roi, j aurai plus fait pour la cause de Dieu que si j avais prêché des centaines et des millions de missions.

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Academic year: 2022

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Direction de la fabrication : Thierry Dubus Edition : Emmanuelle Rivoire-Grimaud

Fabrication : Axelle Hosten

© AELF, Paris, 2013, pour les citations bibliques.

© Mame, Paris, 2021.

57, rue Gaston-Tessier, 75019 Paris www.mameeditions.com

ISBN : 9782728929559 MDS : MM 29559 Tous droits réservés pour tous pays.

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souverain, touché par la grâce de Dieu, peut faire, dans l’intérêt de l’Église et des âmes, mille missionnaires ne le feront jamais. »

Saint Alphonse-Marie de Liguori.

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À Agnès, Alban, Arnaud, Caroline, Isabelle, Olivier, Xavier… avec qui je partage une amitié politique, mais surtout que j’admire pour la fidélité de leur engagement. Ils sont de ceux dont le mandat électoral participe à la reconstruction de notre cité. Puisse ce livre susciter des vocations pour qu’ils soient moins seuls.

À Nicole pour toutes ces heures passées à me parler de monsieur Ousset. Elles sont pour beaucoup dans mon amour de la politique et ma réflexion sur l’éthique de l’action.

À Charles qui connut l’engagement politique, des conseils munici- paux aux bureaux ministériels. Sa confiance et son souci de susciter une nouvelle génération politique auront été la voix de mon appel à servir ceux qui s’engagent.

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Écrire un livre qui invite à l’engagement politique, à l’heure de la crise sanitaire, peut sembler anachronique. N’y a-t-il pas de sujets plus urgents à traiter ? L’épidémie et les décisions qu’elle a entraînées portent en elles une quantité incroyable de questions aujourd’hui sans réponses.

Au lendemain du premier confinement, dès le mois de mai 2020, nous avons rêvé d’un monde d’après qui serait le monde d’avant en bien mieux. Entre nos aspirations profondes et nos fantasmes d’un monde parfait, il y avait là de quoi noircir des milliers de pages…

Quelques mois plus tard, entre gestes barrière et couvre-feu, le confi- nement semble nous coller à la peau. Nous avons accepté, comme un mal nécessaire, une quantité inouïe d’attitudes, de renoncements qui interrogent notre humanité au plus profond de ce qui fait sa raison d’être : la relation à l’autre. Il y avait là encore de quoi noircir des mil- liers de pages…

Nous savons désormais que la sortie de la crise sanitaire ne signera pas l’avènement du monde d’après. Il  nous faudra des années pour réparer ce qui a été abîmé par les mesures prises pour éviter que l’épi- démie ne se mue en hécatombe. Nous sommes entrés dans une autre crise, économique et sociale, qui nous oblige à faire de la santé mentale une priorité de santé publique. Nous vivons déjà les premiers signes de cette crise sans qu’elle suscite réellement une réflexion collective. Il y avait là encore de quoi…

Et  pour le passionné de politique, l’époque est extraordinaire  : comme toutes les crises, elle est un formidable révélateur des failles et

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des dérives de ce qui était auparavant considéré comme la normalité.

Il y avait donc là encore…

Le lecteur pourrait donc penser qu’ouvrir, dans ce contexte, un livre dans lequel jamais le mot « Covid-19 » ne serait inscrit ne serait qu’un pari arrogant ou une désertion face à une situation qui apparaît comme sans espérance. Le fil des actualités sur les chaînes d’information conti- nue est saturé par la crise sanitaire et toute notre vie est comme suspen- due au rythme des admissions à l’hôpital et des apparitions de variants.

Les débats suscités autour du maintien des élections municipales en mai dernier ont montré qu’une grande majorité d’entre nous était prête à mettre entre parenthèses la vie naturelle des institutions. Pen- dant plusieurs mois, nul n’a su quand auraient lieu les prochaines élections. Le temps institutionnel a semblé comme suspendu. Les élec- tions régionales et départementales devaient avoir lieu en mars 2021 mais quand, en temps normal, les campagnes auraient dû battre leur plein, aucun homme politique n’osait aborder le sujet par crainte d’ap- paraître comme un ambitieux indécent sans conscience des priorités.

Nul n’est naïf et l’observateur attentif a pu tout de même lire les petits pas de danse esquissés par l’un ou l’autre mais toujours dans une cer- taine discrétion… presque l’air de rien. Nous savons maintenant que les élections régionales et départementales devraient avoir lieu au mois de juin 2021. Il ne faudra pas oublier que les rumeurs les plus folles avaient évoqué juin ou septembre 2022, après les élections présiden- tielles…

Pourquoi donc choisir d’écrire une invitation à l’engagement poli- tique ? Peut-être simplement parce que, justement, la vie politique semble au point mort et que l’action d’un gouvernement, désarmé devant une crise inédite par sa nature et son ampleur, et les commen- taires acides ou complaisants d’une opposition qui ne représente plus qu’elle-même, ne peuvent résumer la vie politique d’un pays.

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À l’échelle des collectivités locales, l’action politique est rythmée par les mesures sanitaires mais elle ne peut s’y réduire car notre vie bat encore. Les municipalités continuent de gérer les concessions dans les cimetières, de fixer les amendes contre le stationnement gênant, de délivrer des permis de construire, de préempter des bâtiments pour les réhabiliter en crèches… Les départements, d’accueillir les mineurs iso- lés, de construire des collèges, de gérer des maisons de retraite… Les régions, d’enrichir les collections publiques d’art contemporain, d’ani- mer les pôles de compétitivité, d’organiser la mobilité interurbaine…

Le  Parlement poursuit son travail législatif  : révision de la loi de bioéthique, proposition de loi relative à la sécurité globale, pour ne citer qu’elles. La violence terroriste a rappelé que l’action du gouvernement ne pouvait se résumer aux décisions du Conseil de défense sanitaire.

La vie continue et nos élus poursuivent leur mandat ! Ce n’est pas parce que le temps politique est comme suspendu qu’il est suspendu ! Tant qu’il existe une vie sociale, il subsiste une vie politique. Ce n’est pas parce que le débat public est obnubilé par la crise sanitaire qu’au- cune décision politique n’est prise.

Dans un pays où personne ne s’est ému que, pendant plusieurs mois, la date des prochaines élections ait été reportée sine die, il est vital de rappeler que, parce qu’elle est au cœur de nos existences, la vie politique ne peut être laissée aux autres. Et si la crise sanitaire offre l’opportu- nité de noircir des milliers de pages, ne devrait-elle pas offrir aussi celle d’agir en vue du bien commun ?

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Le magistère de l’Église catholique regorge de textes qui, à la manière de l’exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici du pape saint Jean-Paul II, analysent, détaillent, justifient, expliquent la voca- tion spécifique des laïcs tant dans l’Église que dans le monde. Les ser- mons de nos curés sont des appels incessants à l’exercice de la charité.

Une vie chrétienne pleine ne saurait se limiter à célébrer et annoncer.

Elle est aussi service. Nos prêtres chaque dimanche n’ont de cesse de nous rappeler le commandement du Christ : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » La charité n’est pas en option et il se pourrait bien qu’elle puisse nous conduire, à la suite de Jésus, à mourir pour l’autre.

Fils et filles de Dieu, les laïcs que nous sommes sont donc envoyés dans le monde pour annoncer et servir :

« Il faut donc regarder en face ce monde qui est le nôtre, avec ses valeurs et ses problèmes, ses soucis et ses espoirs, ses conquêtes et ses échecs  : un monde dont les conditions économiques, sociales, politiques et culturelles présentent des problèmes et des difficultés encore plus graves que celles décrites par le Concile dans la Constitution pastorale Gaudium et spes.

De toute manière, c’est là la vigne, c’est là le terrain sur lequel les fidèles laïcs sont appelés à vivre leur mission. Jésus veut pour eux, comme pour tous ses disciples, qu’ils soient le sel de la terre et la lumière du monde (Mt 5, 13-14)1. »

1. Jean-Paul II, Christifideles laici, exhortation apostolique post-synodale sur la vocation et la mission des laïcs dans le monde, 1988, n° 3.

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Cette action dans le monde est multiforme : libre, informelle et ins- titutionnelle, individuelle et collective… tant que cette animation du monde temporel est au service des pauvres et des faibles. L’exhortation met en exergue l’engagement bénévole que les catholiques investis- sent largement. Nous avons tous autour de nous un proche qui donne une matinée par semaine pour le petit déjeuner des SDF, un autre qui passe ses samedis à la banque alimentaire ou encore un autre qui fait du soutien scolaire, sans oublier celui qui visite les malades à l’hôpital ou accompagne les migrants dans leurs démarches administratives ou encore celui qui gère les comptes de l’association familiale locale… Les annonces de fin de messe, le dimanche, sont pleines de ces appels à s’engager dans les mouvements et associations d’Église ou purement civiles. Nous sommes toujours prompts à y répondre. « […] le béné- volat doit être considéré comme une expression importante d’apostolat où les fidèles laïcs, hommes et femmes ont un rôle de premier plan2. »

Pourtant, il est un appel qui se fait rarement entendre jusque dans nos paroisses : celui de l’engagement en politique. Le lecteur peut remonter aussi loin que possible dans sa mémoire, jamais il n’a entendu son curé l’inviter à s’engager dans un parti ni à se présenter à des élections. Il l’a entendu lui rappeler que voter est du devoir de tout chrétien, que voter doit se faire selon sa conscience. Il l’a même parfois entendu l’inviter à aller manifester, mais s’engager sur le champ de bataille politique…

jamais !

Pourtant le magistère traite la question et il est clair : les catholiques ont le droit et le devoir de participer à la vie politique, comme le rap- pelle Christifideles laici.

« Pour une animation chrétienne de l’ordre temporel, dans le sens que nous avons dit, qui est celui de servir la personne et la société, les

2. Ibid., n° 42.

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fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la

“politique”, à savoir à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun. Les Pères du Synode l’ont affirmé à plusieurs reprises : tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique3. »

Le magistère ne laisse donc planer aucun doute : la participation à la vie politique est du ressort des laïcs. Bien que celle-ci soit multiforme, l’invitation inclut l’action législative et celle qui s’opère par le biais des institutions. Sous le vocable « politique », saint Jean-Paul II comprend ainsi tout ce qui relève de la vie en société et de son organisation. L’ac- tion politique est donc bien composée de l’action civique, portée par ce que nous appelons aujourd’hui la société civile, et de l’action politique au sens le plus restrictif, portée, elle, par les élus et les administrations qu’ils dirigent. Action organique, action institutionnelle.

L’apostolat des laïcs passe donc aussi par les urnes et la candidature à  des élections. Nos bibliothèques regorgent d’ouvrages de réflexion sur les institutions et leur manière d’assurer la paix et l’harmonie au sein de la Cité et sur le dialogue entre États et Église. Sans compter que nous avons aussi de quoi nous éclairer sur le bien commun pour chacun des sujets de société  : accueil des migrants, procréation, tra- vail, environnement, justice, guerre… Mais rien sur l’agir en poli- tique ! Enfin, pas grand-chose… une note doctrinale, des passages de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin… C’est un peu comme si nous avions une perception désincarnée de la politique : nous y réflé- chissons comme à un jeu de construction, une ingénierie sociale pure- ment technique. Nous savons ce qu’est un gouvernement idéal, nous savons ce qu’est un bon chrétien mais nous avons fait l’impasse sur les

3. Ibid. n° 42

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qualités humaines que doit posséder celui qui gouverne et sur la pra- tique concrète du pouvoir. Pourtant, la question a une grande incidence sur l’exercice de ce même pouvoir. Nous avons fait une distinction trop simpliste entre le temporel et le spirituel, entre la morale et la politique, entre la spéculation philosophique et l’action.

Ce vide sur nos étagères nous arrange bien car il contribue à notre surdité à l’appel. La tentation est bien grande de laisser l’engagement électif aux autres. Entrer en politique signifie s’exposer, parler à voix haute, se soumettre au suffrage des autres, bref se mettre en danger.

La violence du combat politique fait peur. Personne n’a envie de voir sa vie personnelle exposée sur les réseaux sociaux par un adversaire indé- licat. Personne n’a très envie de passer ses soirées à compter ses sou- tiens, constater les défections, réfléchir à une stratégie de campagne.

Et une fois en politique, il faudra encore batailler contre ses adversaires, prendre des décisions qui auront des conséquences pour de nombreuses personnes, rendre compte de ses erreurs… Comment être certain de faire les bons choix quand on n’en a pas initialement les compétences ? Comment satisfaire les mécontents quand chaque décision entraîne son lot d’oppositions ?

Les excuses pour se dédouaner sont faciles à trouver : tout le monde n’a pas les qualités pour faire un bon homme politique. Savoir parler, concerter, trancher et décider n’est pas donné à tous. Il faut du charisme pour attirer les suffrages, il faut des idées et surtout il faut la force de les mettre en œuvre. Et, dans un monde où concilier vie familiale et vie professionnelle n’est pas une tâche facile, il est impossible d’intégrer un engagement aussi chronophage. Il est préférable de se concentrer sur ses devoirs d’état. La politique risquerait de mettre en péril la famille.

C’est un engagement qui enrôle conjoint et enfants alors qu’ils n’ont rien demandé. Et avec un passé d’engagé en paroisse, l’étiquette catho sera implacable. Il est mal vu, au pays de la laïcité d’être un croyant

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engagé en politique, il sera donc impossible de réunir au-delà de ceux à qui l’on serre la main, le dimanche matin à la sortie de la messe. D’ail- leurs, on ne s’invente pas en politique. Il faut commencer jeune, avoir un réseau, des appuis, être le poulain d’un autre qui vous prépare la place, connaître les us et les coutumes de ce milieu si hostile… La liste est longue de ces bonnes raisons que nous avons de ne pas répondre à l’appel d’un engagement à dépasser le rôle de simple électeur.

La tentation est donc grande de ne pas se sentir concerné et de laisser la place aux autres. De toute façon, comme il n’y a plus grand-chose à attendre des politiques, rien ne prouve qu’on fera mieux. Autant s’en- gager dans la paroisse et dans les associations d’action civique, c’est plus efficace !

Nous nous disons catholiques mais nous sommes bien des hommes et des femmes de peu de foi ! Nous avons oublié que celui que Dieu avait choisi pour libérer son peuple pensait lui aussi qu’il n’avait pas les qualités nécessaires. Nous sommes si sourds et aveugles à l’appel que l’auteur a pris le temps de nous raconter par deux fois la voca- tion de Moïse. Le récit est sous nos yeux et par deux fois, dans le livre de l’Exode, il nous rappelle que celui que Dieu choisit ne se sent pas la capacité d’être celui qui est envoyé : « Qui suis-je pour aller trou- ver Pharaon et faire sortir d’Égypte les Israélites ? » (Ex 3, 11), dira Moïse une première fois. Le petit berger ne peut imaginer être celui que Dieu a choisi. Nous sommes comme lui, nous regardons autour de nous, espérant trouver celui qui, lui, est l’élu. L’appel ne peut pas nous concerner. Une fois convaincu qu’il est choisi par Dieu, Moïse doute encore. Ce n’est pas qu’il se pense incapable, il se sait incapable : « Je n’ai pas la parole facile. Comment Pharaon m’écouterait-il ? » (Ex 6, 30).

Moïse n’est pas un faux modeste qui se cache derrière son petit doigt par peur ou par paresse de sortir de son confort. Il est lucide. Il connaît ses talents et ses faiblesses et il sait que Dieu l’appelle là où le talent lui

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fait défaut : la parole. La tradition veut que Moïse ait été bègue. Nous, contrairement à Moïse, nous n’écoutons pas la réponse de Dieu : « Je serai avec toi, et voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé » (Ex 3, 12). Et quatre chapitres après, dans l’autre récit de la vocation de Moïse, Dieu détaille son plan :

« Vois, j’ai fait de toi un dieu pour Pharaon, et Aaron, ton frère sera ton prophète. Toi tu lui diras tout ce que je t’ordonnerai, et Aaron, ton frère, le répètera à Pharaon pour qu’il laisse les Israélites partir de son pays.

Pour moi, j’endurcirai le cœur de Pharaon et je multiplierai mes signes et mes prodiges dans le pays d’Égypte. Pharaon ne vous écoutera pas, alors je porterai la main sur l’Égypte et je ferai sortir mes armées, mon peuple, les Israélites, du pays d’Égypte, avec de grands jugements. Ils sauront, les Égyptiens, que je suis Yahvé, quand j’étendrai ma main contre les Égyptiens et que je ferai sortir de chez eux les Israélites (Ex 7, 1-5).

Dieu a tout prévu et plus encore. Le lecteur attentif constatera que Dieu n’est pas seulement aux côtés de Moïse, il est celui qui agit. Moïse ne réussira qu’à la condition de laisser Dieu agir pour lui. Si  nous devions nous appuyer sur les talents que nous avons reçus, nous serions tentés de dire « À moi la gloire ! » Mais si Dieu nous appelle à agir, en nous appuyant sur nos propres faiblesses que lui seul peut combler, alors nous ne pourrons que proclamer : « À toi la gloire ! »

Thomas More est le saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques mais Moïse est la figure dont nous avons besoin. Plus que David et Salomon, il nous fait comprendre ce que Dieu attend de nous quand il appelle à l’engagement politique. La mis- sion qu’il a confiée à Moïse était éminemment politique : Dieu, ayant vu la misère de son peuple, choisit le jeune berger de vingt-quatre ans pour sortir les Hébreux d’Égypte et les conduire vers la Terre promise.

Toute la vocation de la politique est là : créer les conditions du bien commun pour que les hommes puissent vivre leur vocation de Fils de

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Dieu et se tournent vers le Salut ! Pour cela Moïse devra entrer en cam- pagne électorale et gagner la confiance des Israélites, ouvrir un dialogue diplomatique avec Pharaon, assumer la guerre, nourrir son peuple en Prophète-Providence, éditer des lois, exercer la justice… Il y parvien- dra, non sans difficultés. Mais il y parviendra car jamais il ne le fera au nom de Dieu mais parce que sa faiblesse laissera Dieu agir à travers lui.

Aujourd’hui, ce n’est plus à travers le Buisson ardent que Dieu nous appelle. Il le fait à travers les mots du pape François dans son exhorta- tion apostolique Evangelii gaudium :

« Parfois, je me demande qui sont ceux qui dans le monde actuel se préoccupent vraiment de générer des processus qui construisent un peuple, plus que d’obtenir des résultats immédiats qui produisent une rente politique facile, rapide et éphémère, mais qui ne construisent pas la plénitude humaine4. »

Que ce livre puisse ôter toute peur à ceux qui sont appelés à générer des processus qui construisent un peuple ! Qu’il les aide à oser dire oui à leur vocation de construire la plénitude humaine !

4. Pape François, Evangelii gaudium, exhortation apostolique sur l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui, 2013, n° 224.

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LES CATHOLIQUES EN POLITIQUE, UNE RELATION DISCRÈTE FONDÉE

SUR LA MÉFIANCE

Il semblerait que les catholiques, bien que bons citoyens, n’aiment pas la politique, du moins l’action politique. Ils sont bénévoles, élec- teurs mais rarement élus. Au pays de la laïcité, les statistiques sur les élus sont nombreuses mais elles restent discrètes sur l’appartenance reli- gieuse. Si certains observateurs de la vie politique ont pu parler d’élec- torat catholique, les élus catholiques, eux, comptent pour du beurre.

L’opinion peut à peine citer quelques figures comme le député euro- péen François-Xavier Bellamy, la députée de l’Oise Agnès Thill… et c’est presque tout. Pourtant, nombreux sont les élus locaux qui fré- quentent les bancs de l’église le dimanche. C’est comme si, au pays des Lumières et de la raison, être élu et se reconnaître d’une religion était un blasphème à l’égard de la République.

UN  ÉLECTORAT REMARQUÉ POUR UN ENGAGEMENT ÉLECTIF DISCRET

Un article de Libération titrait en août 20195 : « Chez les députés, la foi jette un froid » et d’expliquer que « si plusieurs élus de l’Assemblée nationale pratiquent assidûment la religion catholique dans le privé, ils sont néanmoins réticents à l’afficher publiquement, de peur d’être

5. « Chez les députés, la foi jette un froid », Libération, 15 août 2019.

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considérés comme des réactionnaires ». La chose est dite : être chrétien en politique, c’est être nostalgique d’un autre temps et refuser le pro- grès. Par crainte de l’étiquette et de tout amalgame, les élus restent donc très pudiques sur leur foi, même si aucune loi, pas même celle de 1905, ne les y contraint.

Discrets et certainement pas très nombreux. Pour pallier l’absence de chiffres, il suffit de faire un rapide calcul. D’après le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, notre pays compterait 520 000 élus locaux auxquels il faut ajouter les 925 parlementaires et les 79 députés européens. Le total de 53 004 est une surévaluation en raison des mandats cumulés, il faut donc le revoir à la baisse. Une étude commandée par La Croix et Pèlerin et publiée en janvier 20176, a révélé que 53 % des Français se considèrent comme catholiques, 23  % comme « catholiques engagés », c’est-à-dire qu’ils se sentent rattachés à la vie de l’Église d’une manière ou d’une autre, et 5 % comme catholiques pratiquants. Pour que la proportion d’élus catholiques pratiquants respecte la proportion de catholiques au sein de la population française, un rapide calcul indique qu’ils devraient être environ 26 000. Pourtant chaque année, le Pèlerinage chrétiens élus publics, organisé à Lourdes, ne regroupe qu’une petite soixantaine de participants. La comparaison est fallacieuse, il faut le reconnaître, car ce dernier chiffre est certainement très éloigné de la réalité de l’engage- ment des catholiques en politique. Pourtant la comparaison, pour peu flatteuse qu’elle est, est un indice de sous-représentativité.

Cependant les catholiques ne sont pas absents du champ politique et, lors des élections présidentielles de 2017, bien que minoritaires, ils sont apparus, pour la droite et l’extrême droite, comme une force poli- tique non négligeable. Car si les catholiques ne s’engagent que très peu

6. « Qui sont vraiment les catholiques de France ? », La Croix, 11 janvier 2017.

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dans la bataille des élections, ils sont de bons citoyens qui, à l’heure de la rupture du lien de confiance entre les électeurs et leurs dirigeants, ne jouent pas la carte de l’abstention et continuent de voter. D’ailleurs, plus les catholiques se disent pratiquants, moins ils ont tendance à voter aux extrêmes et notamment à l’extrême droite. Les catholiques ont bien conscience que leur poids dans les urnes est celui d’une minorité sans unité partisane. La défaite de François Fillon, suivie du second tour des élections présidentielles qui les a condamnés à choisir entre le libéra- lisme et le populisme a achevé de convaincre ces derniers qu’il ne leur est plus possible de voter positivement pour un candidat. À l’exception peut-être des élections municipales.

CATHOLIQUES, À DROITE TOUTE ?

Les catholiques continuent de voter, malgré leurs objections, pour les candidats qui leur sont proposés parce qu’ils sont de bons citoyens. Ils ont le goût du bien commun, comme l’a révélé la mobilisation contre le mariage pour tous en 2013. La Manif pour tous a su réveiller les catholiques de droite et plus largement. Elle leur a fait vivre le frisson de la militance, que leurs camarades de gauche connaissaient si bien mais qu’ils avaient tendance à laisser de côté. Près de sept ans plus tard, le réveil d’un catholicisme conservateur semble pourtant s’être essoufflé.

La révision des lois de bioéthique, dont le débat public a commencé par des États généraux en 2018, révèle la lassitude d’un mouvement qui peine à se faire entendre et à mobiliser. Pas étonnant quand on sait le virage que cet électorat de droite a opéré ces dernières années. En 2017, au premier tour des élections présidentielles, il plébiscitait François Fillon et en faisait le candidat qui récoltait le plus de voix parmi les catholiques pratiquants réguliers, soit 44 % de leurs suffrages selon le sondage Harris Interactive pour la La Croix7. Pourtant, aux élections

7. Détails de l’étude disponibles : http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2017/04/

Rapport-vote-catholiques-la-croix-25042017.pdf

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européennes, alors que la fameuse révision des lois de bioéthique est encore en débat, 37 % des catholiques pratiquants ont voté pour la liste Renaissance de la majorité présidentielle et ce chiffre monte à 43 % chez les catholiques pratiquants réguliers. Résultats très au-dessus des moyennes nationales. La revendication de l’abrogation de la loi Taubira est bien définitivement tombée aux oubliettes.

Pourtant, le mouvement social né dans le sillage de La Manif pour tous a montré que les catholiques faisaient preuve d’un véritable intérêt pour l’action politique. Mais plus pour l’engagement dans la cité que pour l’engagement électoral. Du mouvement social de 2018, est née toute une série de vocations d’engagement sur le champ culturel. Les catholiques de droite ont analysé l’échec législatif de leur mobilisation en s’appropriant les concepts de penseurs socialistes comme Orwell8 et Gramsci9 tout en les cuisinant à la sauce conservatrice. Convaincus que l’opinion publique, dans sa décence commune, n’adhérait pas aux progrès sociétaux proposés par ses dirigeants, ils devaient poursuivre la bataille culturelle qu’ils avaient initiée. Colloques, conférences et essais n’ont alors cessé d’inviter les enfants de mars 2013 à renouer avec les métiers de la parole  : enseignement, journalisme… Les plus investis ont créé des écoles, des associations, des journaux… Les étudiants ont fait leur année d’humanitaire en France dans les cités ou les territoires ruraux. L’engagement s’est voulu service et a souvent pris ses racines dans la démarche de la nouvelle évangélisation. Une grande partie des mouvements et associations existait avant 2013 mais le mouvement social leur a donné un souffle nouveau et leur action a été perçue non plus comme une simple œuvre de charité mais comme un préalable fondamental à la construction d’une société du bien commun.

8. George Orwell postule une décence des classes ordinaires qui serait un sens inné de l’entraide et de la morale.

9. Antonio Gramsci affirme que la conquête du pouvoir passe, au préalable, par l’hégémonie cultu- relle au sein des représentations, des croyances et des pratiques.

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L’engagement politique est resté le parent pauvre. La naissance de Sens commun, en 2013 au sein des Républicains, a suscité autant d’en- thousiasme que de méfiance. Lors des débats législatifs sur le mariage pour tous, les députés montés au créneau ont paru bien trop peu nom- breux aux yeux des militants de La Manif pour tous. L’idée était donc bonne, non de créer un parti, mais d’être le levain dans la pâte d’un parti historique. L’idée pouvait apparaître aussi comme utopique. Comment les 9 000 adhérents revendiqués entre 2013 et 2018 pourraient-ils avoir du poids dans un parti qui en revendiquait un peu plus de 230 000 en 2015 ? Entrer au sein des LR signifiait sortir de l’ornière des sujets de bioéthique et être capable de se faire entendre sur les autres. Mais sur- tout faire sa place dans un mouvement politique qui réunit des cadors, plus par une pratique de la politique que par une pensée commune, c’était prendre le risque, au mieux, de se faire marcher sur les pieds, au pire, de n’avoir aucune existence. L’épreuve du feu des élections municipales de 2014 a achevé de convaincre les méfiants : intégrer une liste où la tête et le programme étaient totalement en adéquation avec les principes de Sens commun a été mission impossible. Les candidats conservateurs ont été vus par leurs collègues des Républicains comme une belle caution « famille » capable d’attraper au vol un électorat qui s’était révélé en descendant dans la rue le dimanche après-midi.

C’est ainsi qu’au lendemain des élections municipales de 2014, Sens commun revendique une cinquantaine d’élus. Depuis, six d’entre eux ont été investis aux élections législatives de 2017, sans qu’un seul soit élu. La défaite de François Fillon a signé l’éclipse, au moins jusqu’en 2022 d’un courant conservateur au sein des Républicains, et ainsi de l’engagement de catholiques affirmés.

Pourtant, certains catholiques de droite rêvent encore à l’homme providentiel qui emporterait leur adhésion avec un programme en pure adéquation avec leurs convictions profondes. Ils n’attendent plus grand- chose des leaders de la droite républicaine, dont une grande partie joue

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à chat avec la majorité d’Emmanuel Macron, en fonction des sondages d’opinion. La tentation d’un vote à l’extrême droite n’est pour cette partie catholique de droite qu’un pis-aller. Marine Le Pen n’emporte pas leur adhésion : son débat lors du second tour des élections prési- dentielles en 2017 a confirmé qu’elle ne méritait leur bulletin de vote que par dépit. Ils ont compris que son combat pour une restriction de l’immigration était bien le seul qu’ils partageaient. En faisant, dès 2002, de la lutte contre l’avortement un sujet secondaire, elle leur avait envoyé un signal fort. Au sein du Rassemblement national, les catho- liques sont peu nombreux et ils portent la mauvaise réputation d’être là en attendant le retour de la nièce de Marine Le Pen. Car si certains catholiques de droite rêvent encore à l’homme providentiel, c’est plutôt à la femme providentielle ! Marion Maréchal Le  Pen est devenue la figure emblématique des catholiques conservateurs qui voient en elle la Jeanne d’Arc du xxie siècle. Seul problème : la petite-fille de Jean-Marie Le Pen semble n’avoir aucune envie de revenir en politique, du moins pour le moment.

Si, à l’échelle nationale, les catholiques de droite apparaissent comme orphelins et que la majorité d’entre eux, certes les moins conservateurs, ont rallié la majorité présidentielle, à l’échelle locale, le maillage ter- ritorial des maires de droite et de centre droit résiste bien. La  perte de grandes métropoles comme Marseille et Bordeaux ne doit pas faire oublier leur résistance dans les territoires ruraux et leur forte implan- tation dans les villes moyennes. C’est là que les catholiques investis en politique sont les plus nombreux, qu’ils soient adhérents aux Républi- cains ou sans étiquette. Les études manquent sur le sujet. Dommage !

LA SURVIVANCE DU CATHOLICISME DE GAUCHE

À gauche, la tradition d’un engagement politique fondé sur la ques- tion sociale est plus ancrée : depuis la Libération, le militantisme catho- lique a été idéologiquement de gauche. En  simplifiant à très grands

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traits, il possible de dire qu’à l’exception des grandes mobilisations comme celle de l’opposition à la légalisation de l’avortement en 1974 et de celle de l’École libre de 1984, le terrain des idées et des débats politiques était réservé aux catholiques de gauche tandis que sur le ter- rain, les catholiques de droite et divers droite investissaient les mandats locaux. Dans les années 1980, le ralliement des catholiques de gauche à François Mitterrand avec l’union du centre droit et du centre gauche initie le lent déclin de leur identité propre en politique. Formés par l’Ac- tion catholique, avec des personnalités comme Jean-Marc Ayrault au Mouvement rural de la jeunesse chrétienne ou Jean-Yves Le Drian à la Jeunesse ouvrière chrétienne, les catholiques de gauche se sécularisent et réduisent ainsi leur action politique à son fondement social. Le mouve- ment de 2013 change la donne et fera dire au politologue Gaël Brustier :

« Les milieux catholiques conservateurs proposent davantage que la gauche une réponse aux angoisses du temps présent. Au pouvoir ou plus radicale, la gauche dont une partie est tombée dans le social conserva- tisme, semble saisie par la trouille10. » Les catholiques engagés sur le front politique à gauche ont suivi le lent mais inexorable déclin des Partis socialistes et communistes. Au premier tour des élections présidentielles de 2012, seulement 14 % des catholiques pratiquants avaient voté pour François Hollande contre 47 % pour Nicolas Sarkozy.

2013 somme les catholiques de gauche de se positionner dans le débat sur le mariage pour tous avec, pour chacune des positions possibles, une immense difficulté. La doctrine sociale de l’Église est très claire sur les questions de morale et la redécouverte de la théologie du corps de saint Jean-Paul II ne laisse aucun doute : être en faveur du mariage pour tous signifie être en désaccord avec le magistère de l’Église. Les prises de parole des évêques français à cette occasion n’ont fait que le confirmer.

10. Gaël Brustier, « La force de La Manif pour tous est de donner une explication du monde », Libération, 13 novembre 2014.

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Quant à s’y opposer, ce n’est pas plus facile. Cela implique d’être une voix minoritaire et discordante dans sa propre culture et son propre mouvement politique, accessoirement au pouvoir, et donc de renoncer à appartenir au camp du bien. Quelques-uns ont osé comme le député divers gauche de Martinique, Bruno Nestor Azerot, ou encore le député socialiste de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier.

À cette occasion, le mouvement des Poissons roses est sorti de l’ombre en annonçant publiquement son soutien à La Manif pour tous.

Bien que ne s’affichant pas comme chrétiens, les Poissons roses sont des cathos de gauche ! La rencontre avec le pape François en 2016 enfonce le clou d’un corpus idéologique inspiré de la doctrine sociale de l’Église tout en étant, sur l’échiquier, proche du Parti socialiste. Avec à peine 450 adhérents en 2016, les Poissons roses ne sont pas parvenus à incar- ner une voix sur la scène politique et leur action s’apparente plus à celle d’un think-tank.

Aujourd’hui, le catholicisme de gauche retrouve une petite jeunesse autour de la question de l’environnement. La publication de l’ency- clique Laudato si’ sur la sauvegarde de la maison commune par le pape François et son discours d’accueil des migrants ont montré que l’Église catholique est capable de s’emparer des grands sujets de société. Cette parole publique proche de la doctrine politique traditionnelle des partis de gauche français a décomplexé. Les tenants d’une critique acerbe du libéralisme ont rejoint les rangs de La France insoumise, les défenseurs de l’environnement Europe Écologie-Les Verts (EELV). Il ne s’agit que d’une infime minorité absolument pas représentative d’un mouvement de fond car l’engagement des catholiques dits de gauche est lui aussi bien plus un militantisme associatif que partisan et électoral.

Il faut toutefois ne pas négliger le rôle que pourrait jouer EELV dans la résurgence d’un catholicisme de gauche. Certes, l’engagement des catholiques dans les partis écologiques n’est pas nouveau et remonte

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aux années 1970, mais il a eu tendance à faire son coming-out ces der- niers temps. Les élections municipales de 2020 ont révélé que le parti écologique avait su récupérer une partie des déçus du socialisme qui ont définitivement quitté les banquets du PS suite au quinquennat de François Hollande et des quatre années de Manuel Valls au gouver- nement. L’ancien député Alain Lipietz l’explique très bien : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. Il y a un fil qui va du monde catho à la gauche au nom de la solidarité. À partir des années 1980-1990, avec son tour- nant libéral, le PS a mis de côté le souci des pauvres, donc les chrétiens sont allés vers les Verts11. » Vis-à-vis d’un parti très actif sur les ques- tions sociétales, l’encyclique a fait sauter les verrous. Les catholiques qui s’y engagent trouvent une ligne proche de leurs préoccupations sociales : lutte contre les injustices et les discriminations, défense des droits de l’homme et des migrants et évidemment préservation de l’en- vironnement. Le texte du pape a aussi changé le regard des militants écologistes, comme le reconnaît l’ancienne députée, Cécile Duflot. Être catholique n’est donc plus totalement incompatible avec l’idée écolo- giste du progrès. La preuve ? Le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, ne se cache pas pour dire que son engagement politique a été inspiré par le théologien protestant Jacques Ellul et par le pape François. Le nouveau maire se reconnaît de culture catholique et, dans une interview au jour- nal La Croix, il n’hésite pas à dire que sa « foi irrigue son engagement ».

Cependant il s’affiche comme catholique peu pratiquant et, comme la très grande majorité des catholiques engagés en politique, il revendique de ne pas confondre les deux. « Je suis par ailleurs un paroissien discret, très attaché à la laïcité, conquête républicaine majeure. Mes adversaires m’ont qualifié de “catho basque”… Mais je n’ai jamais mélangé les deux tableaux. La foi est une question personnelle12. »

11. « Écologistes : et Dieu créa leur flamme », Libération, 14 septembre 2020.

12. « Pierre Hurmic : “Laudato si’, un moment d’émerveillement” », La Croix, 3 septembre 2020.

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LA FAIBLESSE D’UNE TRADITION DÉMOCRATE-CHRÉTIENNE

Cette difficulté à associer foi personnelle et engagement politique prend racine dans une lecture biaisée de la laïcité, elle-même influen- cée par la philosophie des Lumières. L’idée d’une opposition entre foi et raison perdure d’autant plus fortement que la menace d’un islam politique est aujourd’hui dans toutes les têtes. Reconnaître sa foi tout en étant engagé politiquement, c’est prendre le risque non seulement d’être traité de réactionnaire mais aussi celui de vouloir faire de sa reli- gion un programme politique qui s’imposerait à tous par-delà la liberté de conscience. Si la France a été leader dans la réflexion sur le catholi- cisme social, elle n’a, contrairement à ses voisins italien ou allemand, pas une grande expérience de la démocratie chrétienne.

Dès les années 1830, des hommes comme Montalembert, Lamennais, Lacordaire ou encore Ozanam ont cherché à réconcilier les catholiques avec les acquis libéraux de la Révolution française. Tandis que l’un veut fonder la liberté religieuse sur les libertés publiques, les autres sont convaincus que le triptyque « liberté, égalité, fraternité » est d’essence évangélique, ou encore que seul l’engagement des catholi- ques en politique peut apporter une réponse à la question sociale.

Cette réflexion se traduit dans un engagement politique électif pour Montalembert, Lamennais et Lacordaire sans que le statut sacerdotal des deux derniers soit un réel obstacle. Toutefois, cette démarche, qui cherche à allier action religieuse et action politique, tourne court en 1910 avec la condamnation par saint Pie X des idées diffusées par Marc Sangnier et ses disciples dans la revue Le Sillon. Cette condamnation, qui tombe au lendemain de la seconde expulsion des congrégations reli- gieuses entre 1902 et 1903, et du vote de la loi de 1905, se place dans un contexte de durcissement des relations entre la France et l’Église de Rome. Le sentiment d’une certaine connivence à l’égard du libé- ralisme républicain et la modernité des idées défendues par Le Sillon, notamment en ce qui concerne les relations entre laïcs et clercs, ainsi

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que sa conception de l’égalité émancipatrice entre les hommes expli- quent en grande partie cette condamnation.

L’engagement des catholiques en politique, influencé par la pensée du catholicisme social, ne donne pas naissance à une longue tradition dans l’histoire contemporaine. Pourtant, la démocratie chrétienne va s’épanouir au cours de la IVRépublique. Pendant une période rela- tivement courte, elle exerce une influence forte sur l’action des gou- vernements et les débats parlementaires. Dans l’entre-deux-guerres, une petite formation politique, le Parti démocrate populaire, par- vient à faire élire quelques députés à l’Assemblée mais n’exerce aucune influence. Il faut attendre la Libération pour que les principes de ce courant, qui a bien alimenté les réseaux et journaux résistants, soient au cœur de la refondation de la France. Le  Mouvement républicain populaire (MRP) est fondé en 1944 et, dès 1946, il est le deuxième groupe parlementaire avec 158 sièges à l’Assemblée nationale. Il ne s’af- fiche pas comme chrétien et son positionnement est centriste, comme le montrent les grandes mesures qu’il porte ou soutient : mise en place de l’État-providence, création de la Sécurité sociale, droit de vote des femmes, multiples actions en faveur de la construction européenne…

Son électorat est, lui, de droite. Le MRP perturbe le traditionnel clivage gauche-droite et ne parvient pas à fidéliser son électorat plus conser- vateur face aux principes d’humanisme et de progrès. Avant même le retour de De Gaulle au pouvoir en 1958, les démocrates-chrétiens montrent des signes de faiblesse. En 1951, ils ne recueillent que 15 % des voix, contre 26,2 % en 1946. En 1956, ils n’ont plus que 76 élus à l’Assemblée. Leurs faiblesses structurelles et idéologiques sont ren- forcées par la déchristianisation et l’exode rural qui réduisent leur base électorale. Pressé sur sa droite par les gaullistes, les conservateurs du Centre national des indépendants et paysans (CNIP) et les poujadis- tes de l’Union des commerçants et artisans (UDCA), le MRP ne par- vient pas à trouver sa place dans la VRépublique, même s’il rallie De

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Gaulle. Les démocrates-chrétiens sont alors réduits au rôle d’électorat d’appoint pour la droite.

Dans les années qui suivent, la bipolarité de la vie politique française ne laisse pas plus la place à un parti démocrate-chrétien centriste, à l’image de la CDU allemande ou encore du CD italien. Les années 1960 et 1970 sont toutefois marquées par la figure de Jean Lecanuet. Son succès révèle plus celui d’un homme charismatique que l’essor de la démocratie chrétienne en France. Marqué à droite, il n’a pas d’appuis à gauche. La résurrection du Parti radical grâce à la figure emblématique de Jean-Jacques Servan-Schreiber et le programme d’union de la gauche de 1974 achèvent de réduire l’espace politique disponible au centre.

Aujourd’hui, les héritiers de la démocratie chrétienne pourraient se retrouver dans le Modem de François Bayrou, lui aussi longtemps considéré comme force d’appoint pour la droite. L’arrivée d’Emma- nuel Macron et la rupture qu’elle a instaurée avec le clivage traditionnel gauche-droite n’ont pas ouvert de brèche dans l’espace politique puisqu’à ce clivage, elle en a substitué un nouveau entre libéralisme et populisme. Cette bipolarité est de plus en plus contestée comme le montre le succès de mouvements comme EELV et la démocratie chré- tienne pourrait tout à fait incarner une troisième voie. L’essor intellec- tuel qui a accompagné le mouvement social de 2013 a bien mis en évidence le désir d’une pensée et d’une action politique fondées sur la doctrine sociale de l’Église. À gauche comme à droite, les catholiques ont fait le constat lucide qu’aucun mouvement sur l’échiquier politique ne les satisfait. Cette alternative nécessiterait pour les catholiques de droite de renoncer au libéralisme économique et de prendre la question sociale à bras-le-corps, avec autant de ferveur que pour les sujets de bioéthique. Mutation qu’une grande partie d’entre eux n’est pas prête à accomplir comme le montre le vote plus que significatif des catholi- ques lors des dernières élections en faveur de la majorité présidentielle,

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La République en marche. Quant aux catholiques de gauche, il faudrait qu’ils acceptent de s’emparer de sujets qu’ils considèrent comme réac- tionnaires et qui n’ont pas toujours la cote dans les milieux médiatiques et intellectuels. Preuve que la bipolarité de la vie politique touche aussi les bancs de nos églises !

Toutefois, ces dernières années, un parti a tenté l’expérience de faire de la politique en s’assumant comme chrétien. Il s’agit du Forum des républicains sociaux (FRS) en 2001, qui change de nom en 2009 pour s’appeler Parti chrétien-démocrate (PCD) puis devient VIA, la voix du peuple en 2020. Le  parti s’est toujours affiché comme conservateur et assume la dimension chrétienne de sa démarche. Classé à droite, il fait partie des mouvements fondateurs de l’Union pour un mouve- ment populaire (UMP) pour laquelle il a comme mission de chasser l’électorat catholique. Toutefois, même si Christine Boutin est nom- mée ministre du Logement et de la Ville, entre 2007 et 2009 au sein des gouvernements Fillon, le FRS puis le PCD sont à peine considé- rés comme des réservoirs de voix pour la droite. Jean- Frédéric Poisson, président du PCD, n’obtient que 1,5 % des voix lors des primaires de la droite à l’automne 2016 et se rallie à la candidature Fillon. Lors de la campagne présidentielle, la manifestation au Trocadéro le 5 mars, en soutien au candidat de la droite en plein Penelopegate, est due à une mobilisation très forte des mouvements conservateurs issus de la société civile. Sens commun est fer de lance de la mobilisation quand le PCD fait défection. Refusant de donner l’impression de s’opposer aux juges, Jean-Frédéric Poisson s’interdit d’y participer, mettant ainsi un terme à la possibilité d’un parti chrétien-démocrate au sein de la droite. Les électeurs conservateurs boudent les candidats PCD lors des élections législatives en juin suivant alors que ces derniers étaient au nombre quatre entre 2007 et 2012 et un lors de la mandature précé- dente. Le PCD a échoué à incarner une action politique chrétienne à droite. Même un parti comme celui de Nicolas Dupont-Aignan,

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Debout la  France, peut se permettre le luxe de ne pas faire alliance avec le PCD lors des élections européennes en 2019. La quarantaine d’élus municipaux, annoncée en juin 2020, bien qu’étant un chiffre très faible, révèle qu’une action politique locale portée par des candidats catholiques n’est pas à négliger. Constat valable aussi pour les élus de Sens commun.

L’annonce, en juillet 2020, de la candidature de Jean-Frédéric Pois- son aux prochaines élections présidentielles et le changement de nom du parti ne devraient pas changer la donne. La paralysie de la vie poli- tique au moins jusqu’à la fin du printemps 2021, puis les campagnes électorales régionales et départementales ne permettront certainement pas au candidat conservateur d’avoir une tribune médiatique. L’homme, partisan de l’union des droites, veut proposer un programme alternatif à celui d’Emmanuel Macron mais il est à craindre que sa candidature reste avant tout une candidature de témoignage.

*****

Il serait donc faux de dire que les catholiques n’aiment pas la poli- tique. Peut-être est-ce la politique qui n’aime pas les catholiques ? Ceux-ci semblent n’avoir jamais pu trouver leur place sur l’échiquier et, de ce fait, ont cherché à s’investir dans les partis qui leur semblaient les plus proches ou les moins éloignés de ce que leur souffle leur conscience chrétienne. La méfiance historique de la République à l’égard des reli- gions peut expliquer, en partie, cette difficulté à faire naître un courant ouvertement d’inspiration chrétienne.

Contraints de n’être qu’une force d’appoint et un réservoir de voix, les catholiques ne sont que très rarement en position de force au sein des partis pour faire entendre une voix discordante et négocier des places sur les listes de candidatures. Les partis de gouvernement ne voient en eux qu’une minorité peu agissante et « bien élevée ». La  négliger

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ne comporte aucun risque. L’attitude particulièrement méprisante du gouvernement Castex, lors des discussions sur la reprise des cultes en novembre 2020, montre à quel point un gouvernement qui, jusqu’à présent, a été soutenu par l’électorat catholique, peut faire l’économie d’une relation apaisée.

Si, à l’échelle nationale, l’action politique ne semble pas réussir aux catholiques, leur engagement discret dans les institutions locales est du même ordre que leur engagement associatif : le service du frère se fait avec le tablier noué autour de la taille bien plus qu’avec l’étendard aux armes du Vatican brandi à la face des électeurs.

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L ENGAGEMENT POLITIQUE, VOCATION PAR EXCELLENCE DU BAPTISÉ

Les auteurs antiques, à la manière de Platon et d’Aristote, pour ne citer que les auteurs grecs, nous ont tous appris l’honneur qu’il y a à servir la cité. La démocratie athénienne de Périclès invente même le misthos, cette compensation financière qui permet aux citoyens les plus pauvres de se dégager de la contrainte prosaïque du travail pour sié- ger dans les différentes institutions. La réalité est toujours moins idyl- lique que la politique pensée par les philosophes, mais se soustraire à ses obligations civiques est, dans l’Antiquité grecque comme romaine, un déshonneur. Et  si la Méditerranée est encore au programme des classes de seconde, visiblement l’honneur que les citoyens d’Athènes et de Rome avaient à contribuer à la vie de la cité n’est pas transmis.

Notre société se caractérise, entre autres, par la désertion des mandats et des bureaux de vote. Aux dernières élections municipales, en 2020, les difficultés pour constituer des listes ont été sans précédent. Les têtes de liste ont dû batailler dur pour convaincre d’être rejointes et déposer des listes complètes tandis que 106 communes se sont retrouvées sans aucun candidat. Le taux d’abstention record de 58,4 % au second tour pour ces mêmes élections peut s’expliquer par la crise sanitaire, mais il s’inscrit dans une tendance lourde : 49,88 % aux élections européennes de 2019, 25,44 % au second tour des présidentielles de 2017, 57,35 % au second tour des élections législatives de cette même année…

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Les Français désertent l’engagement dans la vie politique… Nous ne pouvons que le déplorer. Mais nous, catholiques, avons une véritable vocation à y répondre positivement. En tant que citoyens comme en tant que baptisés, nous sommes doublement appelés à nous engager.

LES CATHOLIQUES, DES CITOYENS COMME LES AUTRES…

ENFIN, PRESQUE !

Les catholiques sont, dans l’espace public, des citoyens comme les autres auxquels incombent les mêmes droits et devoirs. La charte des droits et devoirs du citoyen français publiée au Journal officiel en jan- vier 2012 en dresse la liste et précise : « À la qualité de citoyen français s’attachent en outre des droits et devoirs particuliers, tels que le droit de participer à l’élection des représentants du peuple et le devoir de concourir à la défense nationale ou de participer aux jurys d’assise. » En  effet, la République française ne fait aucune distinction de race, ni de croyance. Toutes les responsabilités politiques nous sont donc ouvertes tant que nous en remplissons les conditions comme n’importe quel autre citoyen.

Notre foi fait de nous des citoyens à la double appartenance. Saint Augustin, dans ses sermons, nous a appris que notre patrie est celle de la Cité de Dieu. Sur terre, nous ne sommes que des pèlerins de la Jérusalem céleste dans l’attente de la vision béatifique. Bien que nous ne la connaissions pas encore, nous sommes en marche vers celle-ci.

Pourtant, lors du dernier repas, à Pierre qui réclame de le suivre dès à présent, Jésus répond : « Où je vais, tu ne peux pas me suivre mainte- nant, mais tu me suivras plus tard » (Jn 13, 36). Si l’on suit la pensée de saint Augustin, l’apôtre a beau être appelé à rejoindre le Christ auprès du Père, il a besoin de marcher encore sur la route qui y mène. Nous sommes donc dans le monde et, en tant que créature incarnée dans un lieu et dans un temps, nous partageons la vie quotidienne de nos semblables.

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La célèbre Lettre à Diognète13, bien que proposant une lecture théo- logique un peu différente de celle des deux Cités de saint Augustin, éclaire bien cette idée que nous sommes, certes, citoyens du Ciel, mais que nous appartenons aussi à la cité des hommes qui est la nôtre. Cette lettre, qui date de la fin du Iie, début du Iiisiècle, est l’un des plus anciens témoignages sur la manière dont les premiers chrétiens ren- dent compte de leur foi. Les historiens ont montré qu’il s’agissait d’une défense au sens juridique du terme dont le chapitre 4 décrit comment les chrétiens partagent la vie quotidienne de leurs semblables tout en s’efforçant de rompre avec les manières du monde :

« Les chrétiens ne sont distingués du reste des hommes ni par leurs pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n’ont pas d’autres villes que les vôtres, d’autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes ; seulement ils ne se livrent pas à l’étude de vains systèmes, fruit de la curiosité des hommes, et ne s’attachent pas, comme plusieurs, à défendre des doctrines humaines.

Répandus, selon qu’il a plu à la Providence, dans des villes grecques ou barbares, ils se conforment, pour le vêtement, pour la nourriture, pour la manière de vivre, aux usages qu’ils trouvent établis ; mais ils placent sous les yeux de tous l’étonnant spectacle de leur vie tout angélique et à peine croyable. Ils habitent leurs cités comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs. Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère.

Comme les autres, ils se marient, comme les autres, ils ont des enfants, seulement ils ne les abandonnent pas. Ils ont tous une même table, mais pas le même lit. Ils vivent dans la chair et non selon la chair. Ils habitent

13. L’édition aux Sources chrétiennes de la Lettre à Diognète, traduite par Henri-Irénée Marrou, est épuisée, mais elle se trouve facilement sur Internet. Le site du Vatican en propose un extrait, à l’adresse suivante :

http://www.vatican.va/spirit/documents/spirit_20010522_diogneto_fr.html

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la terre et leur conversation est dans le ciel. Soumis aux lois établies, ils sont par leurs vies, supérieurs à ces lois. »

Le texte est clair, les chrétiens sont des citoyens qui ne se distinguent des autres que par quelque chose d’insaisissable : leur ambition spiri- tuelle. Même s’ils sont « comme des étrangers » dans leur cité, ils vivent intégralement leur vie de citoyen dans la cité : ils exercent leur droit de vote, les charges qui leur sont confiées, participent à l’effort collectif de la défense de la cité, à l’impôt… Leur engagement politique va donc de soi.

Quelques siècles plus tard, le 16 février 1892, l’encyclique Au milieu des sollicitudes, par le pape Léon XIII ne révèle rien d’autre qu’un appel à s’engager dans la vie politique. Dans le contexte de la politique anti- cléricale menée par la IIIRépublique, il invite pourtant les catholiques à se rallier à ce nouveau régime. Le pape n’est pas naïf : il condamne toute cette législation. Il a bien saisi qu’elle était portée par la volonté

« d’anéantir » le christianisme en France. En distinguant ce qu’il appelle les pouvoirs constitués des législations, Léon XIII reconnaît la légiti- mité du pouvoir républicain mais il appelle les catholiques à améliorer les lois par le jeu des institutions. Qu’importe le régime, tant qu’il res- pecte sa finalité, c’est-à-dire celle du bien commun ! Cet appel prend sa source dans la conviction profonde du pape que les catholiques français ont le devoir de s’engager pour pacifier leur pays car seule la religion permet de créer du lien social. Il y a donc, dans l’appel au Ralliement lancé par Léon XIII, la conviction profonde que les catholiques français de la fin du xixe siècle doivent cesser de focaliser leur action sur la seule forme du gouvernement. Leur combat contre le régime républicain les a conduits à déserter la vie politique, ce que le pape condamne. Parce qu’ils sont membres de la cité et parce qu’ils sont catholiques, il est du devoir des catholiques d’entrer dans le champ politique. Si un contexte aussi anticlérical que celui de la fin du xixe siècle n’est pas un obstacle

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à l’engagement des catholiques en politique, c’est bien parce que nous sommes invités à vivre pleinement notre condition humaine dans le service de la cité.

CONTRIBUER À L’ORDRE TEMPOREL PAR SOLIDARITÉ AVEC LE GENRE HUMAIN

L’homme est, par nature, un être social comme nous l’ont enseigné Platon, Aristote ou encore saint Thomas d’Aquin. Incapable de vivre seul, il ne se suffit pas à lui-même et son désir de vivre avec d’autres l’emporte sur la nécessité de vivre en société. Dans sa Somme contre les Gentils, le théologien dominicain ajoute : « Il est naturel à tous les hommes de s’aimer entre eux. Nous en avons le signe par le fait que l’homme se porte par instinct naturel au secours de tout individu qui se trouve dans la nécessité, même s’il lui est inconnu, en le remettant par exemple en bonne voie, en le prévenant des dangers, et ainsi de suite14. » Les catholiques sont donc tout particulièrement soucieux de cette conception de la vie en société qui s’oppose à celle des contractua- listes comme Hobbes, Locke ou Rousseau, et qui fait de la vie en société le résultat d’une volonté rendue nécessaire pour survivre. Cette valori- sation du lien social donne ainsi toute son épaisseur à la solidarité pour le genre humain. Catholiques, nous aussi, mais surtout plus que tout autres, en raison de notre fidélité au Christ serviteur, nous ne pouvons pas nous affranchir de ce lien naturel qui nous unit aux autres.

En partageant la condition humaine de leurs semblables, les catho- liques épousent l’intégralité de leur existence. Contrairement aux membres d’une secte dont l’unité se fonde en grande partie sur la rup- ture avec l’environnement d’origine de chacun et qui développe un

14. Les extraits de saint Thomas d’Aquin présents dans cet ouvrage sont tous issus de l’ouvrage de synthèse : saint Thomas d’Aquin, Petite somme politique. Anthologie de textes politiques traduits et pré- sentés par Denis Sureau, Pierre Téqui, 1997. Extrait cité : Somme contre les Gentils, livre 3, chap. 117.

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discours de rejet du reste de la société au nom de sa prétendue impu- reté, les catholiques assument leur présence dans le monde. L’histoire du christianisme en est la preuve : elle est une longue histoire de soli- darité avec les hommes. Les chrétiens ont été de ceux qui ont libéré les esclaves, soigné les malades, nourri les veuves et les orphelins… Les moines du Moyen Âge, en implantant leurs abbayes, ont contribué au défrichement, ont fertilisé les terres, ont participé au développement économique de régions entières… Les exemples sont multiples. La vie en société fait donc partie de notre condition humaine mais elle appar- tient aussi à notre ADN de chrétiens. Dans la constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, Paul VI souligne, dès les premières lignes de son avant-propos, cette solidarité avec le genre humain qui caractérise les catholiques :

« Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. Leur communauté, en effet, s’édifie avec des hommes, rassemblés dans le Christ, conduits par l’Esprit Saint dans leur marche vers le Royaume du Père, et porteurs d’un message de Salut qu’il faut proposer à tous. La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire15. »

Cette solidarité avec le genre humain conduit donc les catholiques à rejoindre les hommes de bonne de volonté dans ce désir d’une société qui respecte la justice et la dignité des personnes. Cette action ne peut faire l’économie de l’action politique car, selon saint Thomas d’Aquin, elle promeut le bien commun de la société en assurant à ses membres le bien-vivre économique, moral et spirituel. Par l’engagement politique,

15. Paul VI, Gaudium et spes, constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, 1965, n° 1.

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les catholiques poursuivent donc cette contribution à l’ordre temporel en vue donc du bien commun.

LA POLITIQUE, FORME LA PLUS HAUTE DE LA CHARITÉ

Nous connaissons bien nos œuvres de miséricorde : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers sans oublier ensevelir les morts. L’évangile de Matthieu est un véritable pro- gramme concret de charité bien ordonnée (Mt 25, 34-45). Et là, nous les catholiques, nous sommes plutôt performants dans la pratique de la charité. Nous sommes aux premières loges pour panser les plaies d’une société imparfaite.

En instaurant une hiérarchie qui place la politique au sommet de la charité, Pie XI insiste sur le fait que les œuvres caritatives et huma- nitaires sont nécessairement restreintes. Évidemment, nous sommes appelés à protéger les faibles, à soulager les souffrances des hommes, à répondre à ce cri de Jésus : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous l’avait fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait  » (Mt  25,  40). Servir les plus fragiles qui nous sont donnés pour frères, c’est servir le Christ. Mais plus que servir, ne sommes-nous pas invités à transformer les structures qui provoquent ces souffrances, confortent les fragilités, suscitent les pauvretés ? L’ex- pression du pape Pie XI prend sa source dans ce constat que la politique est une forme de charité qui ne s’adresse pas qu’à quelques-uns mais bien à la communauté tout entière. Celui qui s’engage en politique répond à la vocation de structurer la société de façon que son prochain n’ait pas à se retrouver dans la pauvreté, quelle qu’elle soit. La charité en politique ne se contente donc pas de panser les plaies mais elle agit sur la source de ces plaies et nécessite de rechercher le bien de toutes les personnes prises individuellement et dans la dimension sociale qui les unit. La politique est donc bien la forme la plus haute de la charité

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à laquelle les catholiques ne peuvent se soustraire, comme le rappelle le pape François dans Fratelli tutti, en reprenant les mots mêmes de son prédécesseur :

« En effet, un individu peut aider une personne dans le besoin, mais lorsqu’il s’associe à d’autres pour créer des processus sociaux de fraternité et de justice pour tous, il entre dans “le champ de la plus grande charité, la charité politique”. Il s’agit de progresser vers un ordre social et politique dont l’âme sera la charité sociale. Une fois de plus, j’appelle à réhabiliter la politique qui “est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun”16. »

Dans les paragraphes suivants, le pape François affine sa réflexion et reprend la distinction de saint Thomas d’Aquin entre l’acte « éli- cite » et l’acte « impéré ». Le premier relève des actes qui sont en lien direct avec la vertu de charité envers les personnes et les peuples tandis que le second crée ou améliore les institutions pour les rendre meil- leures. Notre vocation de catholiques est donc d’exercer cette charité qui accompagne la personne qui souffre mais aussi celle qui change les conditions sociales génèrant sa souffrance. Là réside toute la noblesse de l’action politique. Comme tout le reste, la politique peut se fonder sur l’amour car elle a vocation à être un instrument de charité. D’ail- leurs, pour le pape François, amour et politique sont intrinsèquement liés car seul l’amour social permet d’affronter les problématiques du monde actuel, en particulier celles suscitées par les effets pervers de la mondialisation.

16. Pape François, Fratelli tutti, encyclique sur la fraternité et l’amitié politique, 2020, n° 180.

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LA POLITIQUE, UN ESPACE À ÉVANGÉLISER

Selon le baromètre du Cevipof17, la défiance à l’égard des institu- tions politiques ne cesse de croître. En 2019, près de 32 % des Français éprouvaient même du dégoût à leur égard. La colère a laissé place à un rejet d’ordre moral avec le sentiment, chez les électeurs, d’être trahis par les promesses électorales non tenues, de ne pas être considérés ni écoutés… En dix ans, 85 % des personnes interrogées ont considéré que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’elles et 74 %, que ce personnel politique est plutôt corrompu. Toujours sur la même période, ce sont les sentiments négatifs de la méfiance, du dégoût, de l’ennui et de la peur qui l’emportent à l’évocation du vocable « poli- tique » pour 79 % des sondés. Les catholiques, bien qu’appartenant au club de plus en plus restreint des électeurs fidèles des bureaux de vote, ne sont pas insensibles à ce dégoût de la politique. Nombreux sont ceux qui arguent qu’il est inutile de s’y investir. Pourtant, c’est certainement parce que la politique est devenue une immense friche que les catho- liques ont pour vocation de s’y engager.

La politique est un lieu d’évangélisation comme les autres mais nous ne nous en préoccupons pas vraiment. Nous avons appris à évangéliser en paroisse, à évangéliser dans la rue et sur les plages, à évangéliser au travail, à évangéliser les musulmans, à évangéliser par et dans les médias, par et dans la culture… Nous avons même évangélisé la sexualité ! Et la politique est restée le parent pauvre : angle mort de nos actions de cha- rité, angle mort de nos actions d’évangélisation. En 1993, le pape saint Jean-Paul II alertait les catholiques espagnols :

« Dans une société pluraliste comme la vôtre, s’avère nécessaire une présence catholique accrue et plus incisive, individuelle et collective, dans les divers secteurs de la vie publique. Il  est inadmissible et contraire à

17. Résultats en détails et mis à jour régulièrement sur le site dédié : https://www.sciencespo.fr/

cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique

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