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25 mai 1895, Oscar Wilde est condamné

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AU № 1 - Avril 1995

ez éawir i

l ' U n i v e r s i t é d e L a u s a n n e

25 mai 1895, Oscar Wilde est condamné

Procès d'artiste, procès de

l'homo- sexualité

L e s r a y o n s X o n t 1 0 0 a n s

L e s c o l o r a n t s s o n t p a r t o u t

E V A N G I L E S DE L'OMBRE: P L U S DE S U R N A T U R E L D A N S LA V I E DE J É S U S - D É B A T :

•PVfiPIPI L ' E U T H A N A S I E ACTIVE U N I V E R S I T É : U N TIERS DES É T U D I A N T S

IHiïll L^TWI A B A N D O N N E N T LEURS É T U D E S , D A N S L ' I N D I F F É R E N C E GÉNÉRALE

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1

Quand la déménageuse démarre, tout est dit.

Quand vous voyez passer une déménageuse Lavanchy, dites-vous que tout a été organisé, programmé, planifié, au départ et à l'arrivée.

Le client n'a que deux choses à faire: informer

Lavanchy... et s'installer dans son nouveau cadre. «Avec des gants blancs», c'est un engagement.

B E R N E

® (031) 382 12 61 FAX (031) 382 13 94

L A U S A N N E

® (021) 624 32 32 FAX (021) 624 56 42

F R I B O U R G

(037) 26 51 51 (037) 26 71 5 5

M I L A N

(39-2) 4 8 91 09 71 (39-2) 4 8 91 49 57

G E N E V E

(022) 788 42 88 (022) 788 42 92

P A R I S

(33-1) 4 5 73 66 00 (33-1) 4 6 80 78 70

/AVAVr>

avec des gants blancs

U n tiers d e s é t u d i a n t s a b a n d o n n e n t leurs é t u d e s . Chaque mois, ils sont nombreux à quitter l'université. A ce jour, au­

cune étude approfondie n'a tenté de recenser les raisons de ces aban­

dons souvent ressentis comme des échecs. Aujourd'hui, deux cher­

cheurs lausannois participent à un projet ambitieux qui devrait per­

mettre de lever le voile. Premiers rÙuttaU en page -Il

La b i o t e c h n o l o g i e a l i m e n t a i r e Peut-être verra-t-on un jour naître des applications alimentaires pour des colorants obtenus par le génie génétique. A Lausanne, au Labo­

ratoire de phytogénétique cellu­

laire, le D r Ursula Hinz a pu obte­

nir un pigment jaune identique au pigment naturel de la betterave, en clonant in vitro le gène d'un cham­

pignon: l'amanite tue-mouches!

Lire en page 56

IMPRESSUM

Niez savoir!

Magazine de l'Université de Lausanne No1,avril 1995

Tirage: 20 000 ex.

Rédaction:

Service de presse de l'UNIL

Axel-A. Broquet resp., Florence Klausfelder BRA, 1015 Lausanne-Dorigny

Tél. 021/692 20 71 Fax 021/692 20 75 Rédacteur responsable:

Axel-A. Broquet

Conception originale et coordination:

Jocelyn Rochat.

journaliste au Nouveau Quotidien Ont collaboré à ce numéro:

Sonia Arnal, Patricia Brambilla, Jean-Bernard Desfayes, Isabelle Guisan, Denise Jeanmonod, Nicolas Imhof, Nicolas Verdan

Correcteur:

Albert Grun Concept graphique:

Richard Salvi, Territet/Montreux Imprimerie et publicité:

Presses centrales, Lausanne Photos de couverture:

Oscar Wilde: LEN SIRMAN Hergé Moulinsart Sundancer

Sommaire

Edito page 2

mm

Le «rayon invisible» a 100 ans page 3 Le souvenir de Sébastopol page 5 Les premières radios lausannoises page 7 L'arsenal de la police scientifique page 11

Du sang neuf dans La vie de Jésus page 12 Les «Evangiles de l'Ombre» dans la Pléiade page 15 Le premier portrait de Jésus page 17 La virginité apocryphe de Marie page 18

Oscar Wilde, ou le procès d'un décadent page 19 La littérature en procès page 22 Quand l'homosexualité était un crime page 26 Persécutions en Suisse page 28

WÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊKÊÊÊÊÊÊM

L'euthanasie active

Extraits d'un séminaire-débat page 29

WÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊ^ÊÊKÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊM Des couleurs dans votre assiette

Les additifs alimentaires page 34 Le jaune de l'amanite page 39 Les apprentis-sorciers du XIX

e

page 40

WÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊM

Un tiers des étudiants abandonnent leurs études page 41 L'UNIL, un cancre? page 46

WÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊtÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊ

Le César de l'UNIL page 47 Des Etats généraux sur la formation universitaire page 48 La SAV, précieux partenaire de l'UNIL page 49 Anniversaires en HEC

Les dix ans du DEEP page 50

Les grands pas de l'informatique page 51

Compétences de l'UNIL sur un coup de fil page 52

L'Europe acclamée à Dorigny page 53

Photos express page 54

(3)

Edito

«ALLEZ SAVOIR», UNE PUBLICATION

RÉGULIÈRE

A v e c le lancement de son nouveau périodi- que, «Allez savoir!»,

successeur d'«UNILausanne», et sa participation à «Synergies», publica- tion annuelle des universités de Suis- se occidentale, l'Université de Lau- sanne a contribué à modifier le paysage médiatique des Hautes Ecoles de Suisse romande. La première édition d'«Allez savoir!» portait toutefois le numéro zéro, car il s'agissait d'un essai. Ce dernier a été couronné de succès et l ' U N I L a décidé de com- mencer avec le présent fascicule une publication régulière.

R a p p e l o n s que l ' U N I L dispose de deux périodiques. Le premier, «Uni- scope», vise principalement la com- munauté universitaire. «Uniscope» a pour mission d'informer les personnes qui fréquentent Dorigny, le C H U V ou les instituts d'Epalinges sur les sujets les plus divers: politique universitaire, conférences, publications, manifesta- tions culturelles ou sportives, etc. «Uni- scope» est largement lu aussi par les personnes qui s'intéressent à l'Uni- versité, notamment par les journalistes qui y trouvent souvent matière à des articles d'actualité.

J u s q u ' e n 1993, l'essentiel de la com- munication de l ' U N I L avec l'extérieur était assuré par le magazine « U N I - Lausanne», à raison de quatre paru-

tions p a r année. A- près une phase de réflexion et d'expéri- mentation en 1994, cette mission est reprise cette année par «Allez savoir! ».

Le rythme de parution du nouveau venu est fixé à trois publications annuelles, soit avril, juin et octobre.

Son rôle est d'ouvrir les portes de l'Université à un large public. Sa for- mule originale de collaboration entre chercheurs et journalistes profession- nels vise à communiquer de manière simple une information scientifique souvent complexe, parfois surprenante.

La première parution d'«Allez savoir! » l'an dernier a incité de nombreux lec- teurs à nous témoigner leur satisfac- tion. A tous les auteurs de ces lettres ou faxes vont nos remerciements.

Q u a n t à ceux qui, à la pointe de la tech- nologie, nous ont envoyé des messages via Internet, ils auront bientôt la sur- prise de découvrir «Allez savoir!» sur leurs réseaux informatiques favoris sous l'adresse: WWW.unil.ch

U n mot encore sur «Synergies». Cette année, le numéro 2 du périodique des Universités suisses occidentales paraî- tra en décembre. Il vous renseignera sur l'évolution des projets de collabo- ration entre les Universités de Berne, Genève, Fribourg, Neuchâtel, l ' U N I L et l ' E P F L .

La rédaction A l l e z s a v o i r ! / № 1 A v r i l 9 5

SCIENCES

Le «rayon invisible

qui pénètre les corps»

a 100 ans cette année

E a raidon de ded Innombrabled applications, le rayonnement X a vu don Image de banallder,

durtout dand le public.

Mald en 1895, quand Rontgen a mis en évidence ded propriétés

f

il excitait la planète matière.

L

es performances sportives et sco- laires font toujours l'objet d'un classement. Ce n'est pas le cas des inventions, tant mieux. Mais s'il fallait classer la découverte des propriétés des rayons X, ce serait à coup sûr l'une des percées les plus importantes de l'histoire des sciences. Cette percée — le mot est on ne peut plus adéquat — a cent ans cette année et son inventeur, Wilhelm Conrad Rontgen, est né il y a 150 ans à Lennep, en Rhénanie. Un double anniversaire que le monde scientifique suisse saluera avec d'autant plus d'ardeur qu'il est étroitement lié à ce pays (").

*) Plusieurs manifestations sont organisées en Suisse pour célébrer ces anniversaires, sous les auspices de la Société suisse de radiologie; un colloque est mis sur pied pour cet automne par le D r François Terrier, professeur de radiologie à l'Univer- sité de Genève, en coopération avec le professeur J e a n - J a c q u e s Dreifuss de l'Institut romand d'histoire de la médecine et de la santé publique. A Zurich, le professeur Beat Riittimann prépare tout un cycle de conférences et une grande exposition.

A l l e z s a v o i r ! / № 1 A v r i l 9 5 3

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SCIENCES: LE «RAYON INVISIBE QUI PÉNÈTRE LES CORPS» A 100 ANS CETTE ANNÉE

Fils d'un c o m m e r ç a n t en textile, Rôntgen a vécu son enfance et son adolescence en Hollande, pays de sa mère; mais c'est à Zurich, à l'Ecole polytechnique fédérale, qu'il viendra faire ses études. Par p u r hasard. En effet, mis à la porte de son collège pour une faute qu'il n'a pas commise, il ne peut obtenir le diplôme de maturité indispensable p o u r e n t r e r à l'univer- sité. C'est alors q u ' u n ami de son père lui signale qu'il existe, en Suisse, un établissement de niveau universitaire qui accepte les étudiants sans matu- rité, au prix d'un examen d'admission.

LE jeune Rôntgen s'y présente et le réussit brillamment.

En 1868, il obtient son diplôme d'ingénieur mécanicien et décroche un doctorat dans la même branche l'année suivante déjà. Sa première découverte dans la ville des b o r d s de la Limmat n'est pas scientifique: le jeune uni- versitaire fait la

CONNAISSANCE

d'une

Zurichoise qui e n t r e r a elle aussi dans la postérité. N o n seulement il deman- d e r a sa main p o u r l'épouser mais il p h o t o g r a p h i e r a celle-ci a u x rayons X.

La main de M m e Rôntgen, reproduite dans tous les ouvrages, a été la p r e - mière partie de squelette jamais radio- graphiée !

Professeur à 27 ans

Le savant a depuis longtemps quitté Zurich q u a n d il réalise ces clichés mé- morables. Il a poursuivi des études de physique à W u r z b u r g avant d'être nommé, à 27 ans, professeur à Stras- bourg, qui est alors une ville alle- m a n d e . La consécration devait inter- venir seize ans plus tard, après un passage à l'Université de Giessen; en

L'homme araignée est un symbole des pouvoirs magiques

que l'on a longtemps prêtés aux rayons X, puisqu 'il il doit sa mutation

à la piqûre d'une araignée irradiée.

1888, il est nommé à la tête de l'Ins- titut de physique de l'Université de W u r z b u r g . Comme tous les g r a n d s physiciens de l'époque, Becquerel et Curie en tête, il se passionne p o u r les propriétés des rayons cathodiques découverts p a r Hittorf en 1869; ces rayons ont été étudiés par Crookes, inventeur de l'ampoule qui porte son nom.

Le principe en est relativement simple. A l'aide d'une bobine d'induc- tion qui fournit de la h a u t e tension, on active la cathode d'une ampoule à gaz raréfié qui émet un faisceau d'élec- trons rapides; ces derniers viennent frapper l'anode, une électrode métal- lique, ce qui e n g e n d r e un r a y o n n e - ment électromagnétique capable, on ne sait t r o p comment, de r e n d r e cer- tains objets fluorescents et de déchar- ger à distance les corps électrisés.

D a n s les laboratoires de physique des années 1880, tout le monde est capable de r e p r o d u i r e l'expérience, a m u s a n t e au d e m e u r a n t ; mais p e r s o n n e ne sait encore à quoi cela peut bien servir.

99% de transpiration, 1% d'intuition

En 1895, Rôntgen fait et refait l'expérience avec différentes tensions, diverses cibles. Le 8 novembre, il rend

luminescent un écran recouvert d'une couche de platinocyanure de b a r y u m . J u s q u e - l à , rien que de très banal!

Mais, comme l'explique le professeur Georges Terrier, professeur honoraire de l'Université de Lausanne, a u t e u r d'une étude sur les pionniers lausan- nois de la radiologie à paraître dans

«Médecine et Hygiène», une intuition géniale va l'inciter à répéter l'opéra- tion dans l'obscurité, en e n t o u r a n t le tube de Crookes d'un carton noir o p a q u e . Ça marche tout aussi bien.

Il poursuit son investigation en interposant des objets entre l'ampoule et l'écran: ceux-ci laissent passer le r a y o n n e m e n t s'ils ne sont pas t r o p épais ni t r o p denses. Les plaques pho- t o g r a p h i q u e s sont impressionnées ou voilées, même à l'abri de leur châssis de bois ou enveloppées dans du papier;

l'interposition d'un objet métallique dans le faisceau de rayons le fait appa- raître en o m b r e chinoise sur le néga- tif p h o t o g r a p h i q u e . Plus fondamen- talement — mais cela n'a pas une importance immédiate pour la réussite de son expérience — il détermine que ces rayons sont produits à l'endroit où les électrons rapides percutent le verre du t u b e .

Tout indique q u ' o n se trouve en présence d'un r a y o n n e m e n t invisible et p é n é t r a n t . N e sachant c o m m e n t désigner ces rayons, Rôntgen les b a p - tise «rayons X». M o i n s de d e u x mois plus tard, le 28 d é c e m b r e 1895, il publie une communication provisoire, intitulée «A p r o p o s d'une nouvelle sorte de rayons», dans le bulletin de la Société physico-chimique de W u r z - b u r g — un travail récompensé, en 1901, par le premier prix Nobel de physique.

4

ALLEZ S A V O I R ! /

1

AVRIL

95

U n r a y o n m u t a g è n e

La littérature fait état de nom­

breuses utilisations des rayons X en biologie. Des expériences ont montré dès les années 1920 que ces radiations pouvaient modifier,

«améliorer la résistance p h y s i q u e »

parfois durablement, des espèces végétales cultivées. C'est ainsi qu'on a pu améliorer la résistance physique de certaines céréales, la résistance aux maladies d'autres végétaux, voire leur précocité. Ces techniques ne sont pas encore d'un usage universel.

Un temps, on a fondé plus d'espoir dans la lutte contre les

«radiostériliser les m â l e s »

parasites et les insectes. L'idée de radiostériliser les mâles avec les rayons X était en effet séduisante et fonctionnait très bien en

laboratoire. Sur le terrain, beaucoup moins. Mais, avec le cobalt 60, elle a été reprise avec une certaine réussite.

Enfin, en ce qui concerne la conservation des denrées alimentaires, ce ne sont pas non plus les rayons X mais les rayons gamma, reconnus comme sans danger pour l'homme, qui ont permis d'éliminer insectes et micro­

organismes dans les

denrées stockées (céréales, poisson séché, fruit) ou dans les produits frais (oeufs, viande, poisson).

Le «souvenir de S e b a s t o p o l »

e professeur Georges Terrier aime raconter l'histoire de cet officier britannique, miraculeu- sement rescapé du siège de Sébastopol en 1855 où il avait pris une balle au pli de l'aine. Avec toujours le plomb russe fiché dans son bas-ventre, il part après sa convalescence pour les Indes où il attrape le choléra, la petite vérole et des fièvres. Il survit, devient général et prend sa retraite en Angleterre.

Ayant appris la découverte de Rôntgen, il veut se faire radiographier pour voir la balle qu'il a dans le corps. On est en 1897 et ce type de radio n'est pas facile à réaliser. A l'hôpital londonien, on le passe sous les rayons X pendant... une heure et quart. Sans autre résultat immédiat qu'une facture assez salée.

Quelques semaines plus tard, la peau de son ventre rougit puis noircit, se tend et finit par lâcher; la plaie sup- pure, l'homme a plus qu'un pied dans la tombe.

Ce diable de général a pourtant de la réserve; il se tire d'affaire une fois encore et son médecin l'envoie en Suisse reprendre des forces. Et que fait-il? Il vient à Lausanne consulter le prof. Jules Berdez qui accepte de lui faire une nouvelle radio. Le praticien lausannois estime, comme la commu- nauté scientifique à cette époque, que la gangrène radiographique est ana- logue à une brûlure électrique et n'est pas due aux rayons X. Il suffit, selon lui, d'interposer une mince lame d'alu- minium entre l'ampoule et le sujet, ce qui exige un temps de pose plus long...

Durant l'exposition, la plaque se casse;

il faut refaire une pose qui permet fina- lement de situer la balle.

Le patient est alors montré au fameux Dr César Roux, professeur de chirur- gie, qui, sagement, refuse de pratiquer une intervention; il lui conseille plu- tôt de «garder son souvenir de Sébas- topol». Ravi d'avoir vu l'objet, ne fût- ce qu'en photo, même s'il le porte sur lui, le général respecte les ordres et s'exécute, satisfait de son séjour en Suisse. Il n'a plus jamais donné de ses nouvelles...

Le professeur docteur César Roux

ALLEZ S A V O I R ! /

1

AVRIL

95 5

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S C I E N C E S : Le « r a y o n i n v i s i b e qui p é n è t r e l e s c o r p s » a 100 a n s c e t t e a n n é e

Comme une traînée de poudre

La nouvelle se répand dans le monde comme une traînée de poudre: on a dé- couvert en Allemagne «le rayon invi- sible qui pénètre la matière»... Le 5 jan- vier 1896 déjà, le journal

VIENNOIS «DIE

Presse» annonce la découverte et pu- blie les premières images obtenues par le procédé du professeur Rôntgen.

L'information mettra cinq jours pour parvenir à Zurich. C'est la N Z Z , bien entendu, qui en a la primeur; elle sort même de sa réserve habituelle pour annoncer le 10 janvier «cette décou- verte extraordinaire et historique».

Douze jours plus tard, la Sarine est tra- versée et «La Patrie Suisse», l'hebdo- madaire illustré romand de l'époque, reproduit, sous le titre «La transparence des corps», l'image d'une main obser- vée à travers ce rayonnement fabuleux.

Mais attention, «La Patrie Suisse»

innove, elle aussi: le cliché date du 13

JANVIER

et a été réalisé à Berne par le D r Forster, professeur de physique à l'Université. C'est dire que non seule- ment les travaux de Rôntgen ont été connus de manière très rapide

MAIS

ils

ont été répétés avec une célérité tout à fait inhabituelle dans le monde. Et le professeur Forster n'est pas le seul: en Suisse romande, ses collègues physi- ciens Charles Soret, à Genève, et Henri Dufour, à Lausanne, sont tout aussi

avancés. Le dernier nommé donne le 22 janvier 1896 une conférence à la Société vaudoise des

SCIENCES

natu-

relles et présente toute une série de photos dont il est l'auteur: parmi d'autres, une croix de laiton percée d'un petit trou et surtout la main d'un enfant de 9 ans dont on peut voir très distinctement les os. Aux doigts, deux anneaux de laiton sont opaques, un anneau d'aluminium est en partie trans- parent. Un travail d'orfèvre p o u r le radiologue lausannois d é b u t a n t qui sera salué comme il se doit le 27 jan- vier à Paris à l'occasion d'une séance de l'Académie des sciences.

Les petites mains à la peine

La simplicité de l'appareillage, l'enthousiasme dû à l'innovation et les résultats spectaculaires qu'on en obtient suscitent la précipitation. Qui n'est pas la mère des vertus en matière de recherche, comme on va le

VOIR.

Pour répondre à une demande de plus en plus pressante, on crée un peu par- tout des services de radiologie. A l'hôpi- tal de Genève en 1898, on fait appel à un photographe professionnel, un cer- tain Vincent; le travail ne lui plaît qu'à moitié, il ne le fera que deux ans. Tant mieux pour lui et tant pis pour son suc- cesseur,

HENRI

Simon, employé de com- merce et photographe amateur qui va

passer treize ans dans son laboratoire et y laisser sa santé et même la vie, comme l'a décrit le D r Roger Mayer, privat-docent d'histoire de la médecine à l'Université de Genève, dans un cha- pitre d'un ouvrage consacré à la radio- logie en Suisse (Ed. H a n s Huber, Berne, 1989).

Après deux ans de pratique seule- ment, Simon est atteint des premiers symptômes dus aux radiations ioni- santes. «Les conditions de travail de ce temps, écrit Mayer, et en particulier la radioscopie, si courante à l'époque, obligeaient constamment à tenir à main libre les écrans fluorescents. (...) La peau, particulièrement au niveau des mains, allait d'abord être touchée: elle devient sèche et squameuse. Dès 1903, la radiodermite qui s'installe a pris le type eczémateux, elle devient prurigi- neuse et elle va se généraliser. » O n am- pute un doigt, puis la

MAIN

avant qu'un cancer ne se déclare et s'étende à tout l'organisme du malade. Il meurt en 1913, à 45 ans. Son collaborateur Louis Barbey partage la même destinée.

Il faut dire qu'à cette époque, on se sert des rayons X à peu près pour tout et n'importe quoi. Les dermatologues croient très vite à la radiothérapie et s'équipent en conséquence. Un neuro- logue tente même de soigner un épi- leptique en lui mettant la tête sous les rayons pendant de longues minutes...

AL L E Z S A V O I R ! / N ' 1 AV R I L 9 5

Les p r e m i è r e s radios lausannoises

L'expérience de W. Rontgen

D u miracle, on attend des miracles

O n aurait tort de se gausser de ces efforts un peu désordonnés, voire chao- tiques, du début de la radiologie. Les rayons X tenaient du miracle et on en attendait des miracles. Et c'est en défi- nitive la passion déployée par les pion- niers qui a permis de corriger le tir et de prendre toutes les mesures radio- protectrices qu 'on connaît de nos jours.

Avec des dérapages encore, longtemps après la Deuxième Guerre mondiale, dans les fêtes foraines où le phénomène de fluorescence permet d'épater le badaud et même dans les magasins de souliers où l'on étudie l'adaptation d'une chaussure au pied des clients grâce au fameux rayonnement.

En 100 ans, l'évolution de l'image- rie médicale a été considérable — sans parler de la radiothérapie qui est un chapitre à part —

MAIS

le principe découvert par Rôntgen en 1895 est tou- jours à la base de la radiographie moderne: les produits de contraste met- tent mieux en évidence les organes et les vaisseaux que le médecin veut étu- dier. La vidéo

et l'informa- tique se sont a s s o c i é e s pour traiter les signaux, r é d u i r e l'irradiation, amélio- rer la qualité des ima ges et les conser- ver mieux qu'avec des films. C'est encore les rayons

X que l'on utilise dans les scanners qui permettent d'effectuer des cou

C

et arrachement osseux trau- matique au coude a été radio- graphié en 1896, à Lausanne.

C'est l'une des premières radiogra- phies réalisées par le prof. Henri Dufour, au laboratoire de physique de l'Université, quelques mois seulement après la découverte de Rôntgen.

Une pose de 20 minutes était néces- saire pour réaliser cette vue de 19x15.

La Faculté de médecine de Lausanne sera dotée en 1926 de la première chaire de radiologie en Suisse.

pes du corps humain, ce que les spécia- listes appellent des «coupes tomoden- sitométriques».

D'autres techniques, complémen- taires ou novatrices, sont venues com- pléter l'arsenal des médecins, surtout depuis 1960; la plupart sont opéra- tionnelles en Suisse. Les ultrasons qui permettent ces fantastiques echogra- phies, sans danger pour les femmes

4"Childrens hospita

« - Wards 28 - 31 v Accidents and

emergencies ->>

Blood test Fracture clinic Pharmacy

X -ray - »

enceintes, en sont un exemple specta- culaire. Il y a aussi l'imagerie par réso- nance magnétique nucléaire (IRM) qui fournit des coupes du corps humain:

les noyaux d'hydrogène de ses organes, placés dans un puissant champ magné- tique, sont excités par des impulsions é l e c t r o m a g n é t i q u e s . L ' o r d i n a t e u r exploite ces informations et fournit une image, parlante pour le spécialiste.

Ces i m a g e s , utilisées essentiellement pour le dia- gnostic, montrent la struc- t u r e des o r g a n e s . P o u r observer leur fonctionne- ment, on utilise d'autres techniques modernes comme la scintigraphie, qui lait ap- pel aux rayons gamma, ou encore la tomographie par émission de p o s i t r o n s ( P E T ) ; cette dernière mé- t h o d e , d o n t le c h a m p d'action est la cellule, met en évidence notamment la pré- sence de cellules cancéreuses à un stade précoce ou des altérations cérébrales diver- ses, comme la maladie d'Alz- heimer.

Décidément, en un siècle, les disciples de Rôntgen ont fait du bon travail.

Jean-Bernard Dejfayej

AL L E Z S A V O I R ! / № 1 AV R I L 9 5 7

(6)

SCIENCES: LE «RAYON INVISIBE QUI PÉNÈTRE LES CORPS» A 100 ANS CETTE ANNÉE

L'utilisation des rayons X n 'est pas toujours raisonnable. Dans les années 1950, on les utilisait pour

évaluer le confort des pieds par rapport à la surface de la semelle. On exposait ainsi à des doses pouvant aller

/а.и/it

'à 5,8 rad des enfants et des adultes ... ainsi que le personnel de magasins de chaussures. Près de ÎO'OOO de

ces appareils furent installés aux Etats-Unis.

(Document prêté par Orise, Oak Ridge Institute for science and education, Oak Ridge, Tennessee.)

La c h a s s e aux a t o m e s ne fait que c o m m e n c e r

bserver le comportement d'un atome en pleine réaction chi- mique grâce à des faisceaux de ayons X, c'est la performance dont est capable le synchrotron de Grenoble, inauguré l'automne passé.

La construction de l'European Syn- c h r o t r o n Radiation Facility (ou ESRF), un anneau de 900 m de dia- mètre, a duré six ans et elle est reve- nue à quelque 600 millions de francs à une douzaine de pays européens, dont la Suisse qui participe au pro- gramme à hauteur de 4%. Mais c'est de l'argent bien investi si l'on songe à tout ce que cette installation, unique au monde, est en mesure de fournir aux chercheurs, comme l'a relevé le pro- fesseur Jean-Pierre Weber, de l'Uni- versité de Lausanne, qui dirigeait la délégation scientifique suisse à Gre- noble.

Insurpassé par ses qualités de stabilité et d'intensité, le rayonnement émis par l'ESRF permettra par exemple aux chercheurs d'étudier la structure ato- mique de composés chimiques et bio- logiques avec une précision jamais atteinte; une molécule pourrait ainsi être mesurée au dix millionième de mil- limètre. Et, avec cette technique, la médecine pourrait détruire, de manière non invasive, les tumeurs cérébrales cancéreuses, et la géophysique devrait être en mesure d'analyser des échan- tillons dans des conditions simulant celles rencontrées au centre de la Terre.

Douze «lignes de lumière», sur les qua- rante qui fonctionneront à la fin de ce siècle, sont déjà opérationnelles. La Suisse partage avec la Norvège l'utili- sation exclusive d'une de ces lignes qui intéresse au premier chef les Hautes Ecoles et l'industrie pharmaceutique.

Dès sa découverte par Marie et Pierre Curie, en 1898, le radium, source inextinguible de radiations, a connu une vogue qui enflamma bien des esprits, du fait de sa réputation de

transformer les matériaux et les tissus.

L'alchimie était enfin à portée de main!

Ce «radium emanator» était supposé purifier l'air en y ajoutant du radon. Son faible encombrement permettait à son propriétaire de bénéficier de ses «bienfaits» à domicile et

durant ses voyages.

(Document prêté par Orise, Oak Ridge Institute for science and éducation,

Oak Ridge, Tennessee.)

8 AL L E Z S A V O I R ! / № 1 AV R I L 9 5

I l s r e n d e n t

t r a n s p a r e n t s l e s c œ u r s d e p i e r r e

«Pour la minéralogie, comme pour tout le domaine de la physique du solide, les rayons X sont à

l'origine de développements majeurs de la connaissance scientifique.» Le Dr Philippe Théiin, privat-docent et responsable scientifique du Laboratoire de Rayons X, est intarissable dès qu'on évoque les techniques mises en œuvre au LRX et au Centre d'analyse minérale (CAM) de l'Université de

Lausanne, dirigé par le professeur Hans-Rudolf Pfeifer.

« 3400 minéraux naturels différents»

Quand on sait qu'il existe 3400 minéraux naturels différents, étiquetés aux rayons X, il est légitime d'apprécier les

instruments qui simplifient la vie!

Une roche, c'est un agrégat de différents minéraux qu'il est aujourd'hui possible d'identifier, de quantifier et de caractériser de manière précise et rapide.

La connaissance d'un minéral passe moins par sa forme extérieure que par sa structure interne, l'arrangement régulier et périodique de la matière, en d'autres termes la structure

Dr Philippe Tbélin

cristalline. La principale méthode d'étude des cristaux est la

diffraction aux rayons X, c'est-à- dire la perturbation du faisceau par le cristal irradié. Le

rayonnement ayant une longueur d'onde voisine de la périodicité des cristaux, il est possible d'étudier l'organisation des atomes, de mesurer les distances entre ceux-ci, bref d'établir une carte de visite de l'échantillon.

Depuis dix ans, le LRX s'est doté d'équipements modernes, de diffractomètres pilotés par ordinateur. Le traitement des données s'effectue via une banque de données qui contient plus de 60'000 standards de référence.

Quelque 2700 analyses ont été faites durant la dernière année

académique.

« l e spectromètre a réduit à 2 heures u n travail

d'une semaine»

Au CAM, le spectromètre de fluo­

rescence X— destiné à l'analyse quantitative des éléments compris entre le fluor et l'uranium dans la classification périodique des éléments de Mendeleïev — a réduit à 2 heures un travail qui, prenait une semaine.

AL L E Z S A V O I R ! / № 1 AV R I L 9 5 9

(7)

S C I E N C E S : Le « r a y o n i n v i s i b e qui p é n è t r e l e s c o r p s » a 100 a n s c e t t e a n n é e

R a d i u m R e v o l u t i o n i s e s

•Mfiiwmh Indianapolis Phy-

sician Perfects

Method of Treatment by Cerebral Localization, and

Treats Patients By Tele-

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vait à confec­

tionner des boissons I

S' toniques

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%

sérieux Massachussets Institute of Technology (MIT, mentionné dans la coupure de droite), cette boisson «lumineuse» fit sensation au banquet annuel de la Boston Scientific Institution.

Les résultats des premières expériences sur des cellules tumorales firent croire à la découverte de la panacée capable de localiser et de guérir la partie du cerveau atteinte par la maladie et de modifier la pigmentation de la peau.

Les documents de cette page ont été prêtés par le conservateur de la Hammer Collection, Archives Center du National Muséum of American His- tory, Smithsonian Institution, à Washington (références 85-10211, 85-10206 et 85-10205).

Suite à une demande du service de presse diffu­

sée sur le réseau internationalPROFNET, l'Uni­

versité de Oak Ridge nous a signalé préparer un document pour les 100 ans des rayons X et nous en a faxé 35 pages. Nous avons ainsi pu choisir des illustrations qui nous sont parvenues par courrier express deux jours plu.) tard! Quelques uns de ces documents de f axés émanaient de la Hammer Collection. Nous avons demandé à son conservateur l'autorisation de les reproduire.

Deux jours plu,) tard, les photos demandées nous parvenaient avec ladite autorisation.

A. Broquet A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

Cl I

L ' a r s e n a l d e l a P O L I C E

S C I E N T I F I Q U E

L'Université de Lausanne a la chance d'abriter l'un des deux instituts universitaires de police scientifique d'Europe. Le profes­

seur Pierre Margot, qui le dirige, s'est donc attaché à y mettre en œuvre les techniques les plus élaborées. Parmi les outils ultra­

modernes qui sont ou seront mis à disposition des étudiants et des chercheurs, figure un nouvel appareil de microanalyse par fluorescence X. La méthode était connue mais restait relativement

« u n nouvel appareil de microanalyse»

complexe; le nouvel instrument simplifie les opérations et procure un grand confort d'utilisation. Il est surtout beaucoup plus sensible que toutes les techniques en usage.

La fluorescence analyse les rayons X émis par l'échantillon. Parmi les

utilisations possibles figure

l'identification des peintures; ces dernières contiennent des pigments, qui donnent la couleur, et des éléments de charge

spécifiques. Il est possible

d'identifier notamment l'arsenic, le baryum, le plomb, Valu, le silicium, le soufre, le titane, le chrome, le fer, le cuivre, le zinc, le

« i l est possible d'identifier l'arsenic»

strontium ou le zirconium; mieux, on peut déterminer leurs

proportions dans une peinture donnée. Il suffit d'un échantillon de 10 micromètres carrés (le micromètre a 5 zéros après la virgule) pour obtenir en quelques minutes un spectre interprétable et comparable à un modèle connu.

«Très utile lorsqu'il s'agit de déterminer avec une assez grande probabilité qu'un fragment de peinture déposé sur un pare-chocs appartient bien à une autre

voiture accidentée...», commente Daniel Correvon, collaborateur scientifique de l'Institut.

Il en va de même pour les fibres textiles. Là, ce sont les substances

que le fabricant ajoute aux fibres synthétiques, pour leur donner des propriétés particulières (brillance, résistance, etc.), qui sont

analysées. La méthode permet de différencier deux fibres que d'autres techniques n'auraient pas pu discriminer. Des recherches vont être entreprises à Lausanne pour savoir si l'Omicron de

«Kevex» (le fabricant de l'instru­

ment) est en mesure de détecter la pollution minérale des fibres; en d'autres termes, est-ce qu'on peut différencier deux jeans identiques portés dans des conditions diverses ou par des personnes différentes?

D'autres recherches sont en cours ou vont être entreprises. Elles touchent notamment aux verres dont l'étude se limitait jusque-là à la détermination de l'indice de réfraction et la densité; on va pouvoir analyser exactement les éléments en trace contenus dans le verre. Très prometteurs aussi sont les travaux touchant les résidus d'incendies intentionnels:

« ...que les rayons X excitent»

la plupart des produits qui accélèrent la propagation du feu, tels les solvants ou l'essence, contiennent des métaux, provenant des récipients, que les rayons X excitent. Des recherches excitantes, elles aussi.

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

(8)

APOCRYPHES

Du sang neuf dans la vie de Jésus

L es facuLtéd de théologie romandes publient, aussi à l'Intention du grand public, des textes méconnus de l'Eglise officielle. Vaste entreprise qui éclaire l'histoire des premières

communautés chrétiennes et qui met en évidence l'Intérêt persistant de courants reli-

gieux pour ce qu'on appelé les Evangiles de

'omb re».

1 2 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

Prof. Jean-Daniel Kaestli

L

es énigmes posées depuis vingt siècles par la vie de J é s u s rem- plissent l'existence de nombreux cher- cheurs et, parfois, le tiroir-caisse des éditeurs. Dernière enquête populaire en date, celle du journaliste J a c q u e s Duquesne qui a voulu vulgariser le tra- vail des historiens et bouleverser les idées reçues sur la virginité de Marie, le massacre des Innocents, le miracle de Cana et tant d'autres: du pittoresque décapant, disent ses détracteurs, mais qui escamote l'enseignement du Christ.

Des textes longtemps ignorés

La vie de J é s u s fait couler une encre beaucoup plus discrète et

obstinée dans les facultés de théologie romandes.

Une bonne poignée de chercheurs s'y activent à

«élargir le paysage théolo- gique» du Nouveau Testa- ment en faisant connaître des textes que l'Eglise a longtemps ignorés. Des récits inspirés par la vie du Christ, écrits d u r a n t les dix premiers siècles de notre ère mais jugés long-

temps inacceptables, voire même fran- chement hérétiques, par la tradition officielle. Cette littérature chrétienne est dite apocryphe («cachée» en grec), parce qu'exclue du Canon. Elle est généralement complètement ignorée du chrétien moyen parce que peu com- mentée, souvent lacunaire du fait de sa transmission hasardeuse, volontiers truffée de formulations énigmatiques, et donc difficile à comprendre. Son message est du coup souvent, lui aussi,

«caché».

Les récits font la part belle au surnaturel

Malgré la ténacité et la curiosité des savants romands - qui font partie d'un réseau i n t e r n a t i o n a l de q u e l q u e soixante théologiens, philologues, orientalistes et historiens -, pas de révé- lations fracassantes en vue dans les nouvelles traductions qu'ils peaufinent.

O n n'y découvre pas de J é s u s né dans un château entre un chameau, une tor- tue et cinq frères et soeurs, mort à 50

E n b r e f

Le canon, recueil normatif des textes reconnus par l'Eglise, a été progressivement sanctionné dans sa forme actuelle, fixée

définitivement au IVe siècle. Le canon du Nouveau Testament contient les 27 textes que l'on lit et sur lesquels on prêche dans toute l'Eglise chrétienne.

La frontière du canon n'est pas forcément la même dans toutes les Eglises. On ne saurait en principe rien ajouter ni retrancher à ce recueil, mais là encore, les avis divergent quant à des ajouts possibles au fil des découvertes.

Tout texte qui n'est pas canon est apocryphe.

Le nom de Jésus en araméen

ans et père de deux enfants ! Non, la littérature apo- cryphe chrétienne enrichit - contredit, renforce - le Nou- veau Testament de récits nés à différents moments dans différentes cultures.

Ces récits, affirme le pro- fesseur de théologie J e a n - Daniel Kaestli - le directeur de l'Institut des sciences bibliques de l'Université de Lausanne est aussi secrétaire de l'association qui orchestre la recher- che sur les apocryphes -, font souvent une part généreuse au surnaturel, à l'extraordinaire, dans la vie et la figure du Christ. Un exemple? Quand l'Evan- gile apocryphe de Pierre relate la Pas- sion, la mort et la Résurrection, il décrit la garde romaine du tombeau et la manière dont celle-ci regarde l'ange descendre du ciel et rouler la pierre. Il donne à voir cette scène surnaturelle pour souligner la puissance et donc la

divinité de J é s u s . — ^

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

(9)

A P O C R Y P H E S : D u s a n g n e u f d a n s l a v i e d e J é s u s

Les roi.) mages, qui ont inspiré de nombreux artistes (ici Gustave Doré)

n 'apparaissent pas dans la Bible, mais dans les apocryphes

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

Les Rois mages

ne sont pas dans la Bible

C ' e s t a u x a p o c r y p h e s et n o n a u x E v a n g i l e s d u N o u v e a u T e s t a m e n t q u e l ' i c o n o g r a p h i e p o p u l a i r e d o i t la visite d e s t r o i s Rois M a g e s à l'enfant d e B e t h l é e m , c o m m e la p r é s e n c e d a n s la g r o t t e (et n o n l ' é t a b l e ) d u b o e u f et d e l ' â n e g r i s . C e r t a i n s d e ces t e x t e s i n s i s t e n t s u r la n a i s s a n c e m i r a c u l e u s e d e la V i e r g e M a r i e elle- m ê m e et o n t s t i m u l é la d é v o t i o n m a r i a l e d a n s l ' E g l i s e c a t h o l i q u e . D ' a u t r e s s o u l è v e n t d e s q u e s t i o n s s u r l ' e n f a n c e t u r b u l e n t e d u C h r i s t , ses frères et s o e u r s , l'âge d e sa m o r t , les m o d a l i t é s d e la r é s u r r e c t i o n .

A u j o u r d ' h u i , on d é t e r r e c e s t e x t e s . « L e s e x é g è t e s s ' a c c o r d e n t s u r d e s e x p l i c a t i o n s m o i n s r a t i o n - n e l l e s q u ' a u 19e siècle où les s o u - b a s s e m e n t s h i s t o r i q u e s d e c e r t a i n s é p i s o d e s é t a i e n t s y s t é m a t i q u e m e n t mis en q u e s t i o n , c o n s t a t e le p r o f e s - s e u r K a e s t l i . O n a d m e t t r a a i n s i q u e J é s u s a v a i t c e r t a i n s p o u v o i r s d e g u é r i s o n , m ê m e si ce p o i n t n ' e s t p a s c e n t r a l d a n s les E v a n g i l e s . »

L a t e n d a n c e est à n o u v e a u à la ren- c o n t r e d e s c u l t u r e s . L'influence d u milieu a v a i t p a s s é à l ' a r r i è r e - p l a n d a n s la théologie de la p a r o l e de D i e u de Karl B a r t h q u i affirmait l'altérité d u m e s s a g e c h r é t i e n . M a i s a u j o u r - d ' h u i la t h é o l o g i e s ' i n t é r e s s e , c o m m e à la fin du 19e siècle, au milieu reli- g i e u x d u c h r i s t i a n i s m e , a u x influ- e n c e s n o n c h r é t i e n n e s aussi qui l'im- p r è g n e n t , p a r e x e m p l e les c r o y a n c e s é g y p t i e n n e s s u r le m o n d e d e s m o r t s d o n t on p e u t t r o u v e r d e s t r a c e s d a n s c e r t a i n s a p o c r y p h e s .

L e s « E v a n g i l e s d e l ' o m b r e » d a n s l a P l é i a d e

Le secrétariat lausannois de l'AELAC (Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne) coordonne une vaste entreprise éditoriale autour des recherches menées principalement entre Paris et Lausanne. Beaucoup d'apocryphes sont restés jusqu'ici dispersés dans des revues souvent introuvables. Us n'ont guère été retraduits et réédités depuis la fin du XIXe siècle. La découverte de nouveaux manuscrits et une nouvelle approche des débuts du christianisme ont fait repartir la recherche et les publications.

• Savantes:

l'éditeur belge Brepols a lancé en 1983 une

«Séries Apocryphorum» qui attend encore plus de vingt textes en préparation. Ils paraissent en version originale (copte, grec, syriaque, géorgien, vieil irlandais, etc.) et en traduction

abondamment commentée.

• De prestige:

un premier volume de la Pléiade intitulé «La Bible, textes intertestamentaires»

(soit des apocryphes de l'Ancien Testament) a été publié en 1987 et a très bien marché commerciale­

ment. Gallimard a du coup de­

mandé à l'AELAC un volume d'apocryphes chrétiens. Un ouvrage basé sur l'état le plus ré­

cent de la recherche avec une in­

troduction et un appareil critique de notes destinés à un grand pu­

blic cultivé. Il est prévu pour 1996.

• Grand public:

piqué par l'initiative de Gallimard, l'éditeur Brepols a activé le lancement d'une série de poche distribuée en principe hors circuits

universitaires. Les premiers volumes ont paru en 1993, ne coûtent qu'environ 20 francs mais n'échappent pas encore au ghetto.

Les facultés romandes se sont lancées dans l'aventure, histoire de justifier, en atteignant un plus large public, les efforts investis dans cette recherche.

« l a connaissance de la Bible est en très nette perte

de vitesse»

Pas vraiment le commun des mortels, le grand public visé, mais des lecteurs familiers de la Bible et du jargon théologique. Le pari est difficile alors que la

connaissance de la Bible est en très nette perte de vitesse sous nos latitudes.

Les apocryphes font encore parler d'eux lors des cours publics

dispensés à l'université (Lausanne, hiver 94) et de colloques. Le

dernier a eu lieu en mars à Lausanne. Il s'intéressait aux métamorphoses de ces textes dans la littérature médiévale,

l'iconographie, le folklore. Et aux rapports qu'ils entretiennent avec le canon biblique.

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

(10)

A P O C R Y P H E S : D u s a n g n e u f d a n s l a v i e d e J é s u s

On trouve dans les apocryphes un Evangile de Thomas qui traite de l'enfance de Jésus

(gravure de Gustave Doré)

«L'

Quand la théologie exhume des minorités oubliées

Les c h e r c h e u r s r o m a n d s font donc p a r t i e du c o u r a n t qui rend la parole a u x minorités oubliées, en l ' o c c u r r e n c e ces p r e m i è r e s c o m m u - n a u t é s c h r é t i e n n e s d o n t les récits n'ont pas eu l'heur de plaire à l'Eglise officielle. L e u r m a t é r i a u : des m a n u s - crits c o n n u s d e p u i s l o n g t e m p s mais p a s forcément s o i g n e u s e m e n t t r a - duits ni c o m m e n t é s , et des d é c o u - v e r t e s récentes, d ' i m p o r t a n t s fonds coptes et de la mer M o r t e d é c o u v e r t s a p r è s la d e r n i è r e g u e r r e .

C'est là un immense iceberg d'his- toires qui en disent long sur la r e p r é - sentation de J é s u s d a n s les premières églises c h r é t i e n n e s . S u r leur c o n c e p - tion du rôle des a p ô t r e s et de l'ori- gine des Eglises locales... Bref, de quoi n o u r r i r ce q u ' o n p o u r r a i t a p p e - ler l'ethno-théologie.

Le travail se p o u r s u i t , t â c h e de fourmi et de titan, depuis u n e ving- taine d ' a n n é e s , e n t r e Paris, l'Amé- rique du N o r d et la Suisse r o m a n d e où la faculté de L a u s a n n e a s s u r e le s e c r é t a r i a t de l ' A E L A C , Association p o u r l'étude de la l i t t é r a t u r e apo- c r y p h e chrétienne. U n labeur obscur, confiné jusqu'ici à des p u b l i c a t i o n s s a v a n t e s ( d a n s u n vaste et i n t e r m i - nable « C o r p u s c h r i s t i a n o r u m , Series A p o c r y p h o r u m » , publié en Belgique p a r Brepols) mais qui sort de l'ombre a c t u e l l e m e n t (cf. e n c a d r é page 15).

L'étrange enfance de Jésus

A l o r s , ces a p o c r y p h e s , d e s «com- m e n t a i r e s a v i s é s , r e s p e c t u e u x et d o n c a d m i s s i b l e s ? » , s ' i n t e r r o g e le p r o f e s s e u r et v i c e - r e c t e u r l a u s a n -

Christ, Xlle siècle, Eglise Sainte-Sophie, Istanbul

J histoire du Roi Abgar et de Jésus» est une légende syriaque sou- vent citée par les historiens. Selon ce texte surprenant, Jésus aurait reçu, deux jours avant sa mort, un messager de la cité d'Edesse, une ville forte située au nord de la Syrie, entre le Tigre et l'Euphrate. Dans

Le p r e m i e r p o r t r a i t de J é s u s

n o i s E r i c J u - n o d , a v a n t de r é p o n d r e «qu'il faut les e x a m i - n e r d e c a s en cas, en r o m p a n t a v e c le v i e u x p r é j u g é s e l o n l e q u e l ils s e - r a i e n t n é c e s s a i - r e m e n t u n e c o n - t r e - E c r i t u r e ou u n e E c r i t u r e p a r a l l è l e et c o n - c u r r e n t e , d é v e - l o p p a n t d e s i- d é e s s c a b r e u s e s ou s u s p e c t e s » . P r e n e z l ' E v a n -

gile d e l'enfance selon T h o m a s q u i m o n t r e u n J é s u s u n p e u s a d i q u e e n v e r s ses c a m a r a d e s : en d é c r i v a n t ses f r a s q u e s , ce t e x t e n ' a r i e n d ' u n e b i o g r a p h i e s a c r i l è g e , d i s e n t nos c h e r c h e u r s . Il vise à i l l u s t r e r c o m - m e n t l'enfant « c r o i s s a i t et se forti- fiait en e s p r i t » .

B o n n o m b r e de t e x t e s a p o - c r y p h e s r a c o n t e n t u n e h i s t o i r e p o u r é c l a i r e r u n t e x t e d u C a n o n j u g é o b s - cur. Ainsi l ' a p ô t r e B a r t h é l é m y , d a n s son E v a n g i l e a p o c r y p h e , d e m a n d e d e s p r é c i s i o n s s u r ce qui s'est p a s s é lors de la C r u c i f i x i o n : il d i t a v o i r vu les a n g e s d e s c e n d r e v e r s J é s u s c r u - cifié et a c c o m p a g n e r q u e l q u ' u n au ciel. J é s u s e x p l i q u e a l o r s à B a r t h é - l é m y q u e s'il ne le v o y a i t p l u s d a n s les t é n è b r e s , c'est qu'il était d e s - c e n d u v e r s H a d è s ( l ' E n f e r ) p o u r d é l i v r e r les p a t r i a r c h e s . Le r é c i t c o r r e s p o n d au d o g m e q u i v e u t q u e J é s u s soit allé a u x enfers et m e t en s c è n e c e t t e d e s c e n t e .

une lettre en syriaque, le roi Ahgar faisait acte de foi, demandait guérison et offrait à Jésus un asile dans ses murs.

Si le scribe messa- ger n'a pas réussi à détourner le Christ de son destin, il n'est quand même pas rentré à Edesse les mains vides. Il a ramené avec lui un portrait de Jésus, et une double promesse: un apôtre allait venir pour guérir le roi, et la cité d'Abgar resterait invincible.

Derrière cette légende tardive (Ve siècle), des faits historiques: cette région est bien devenue le premier royaume chrétien, bien avant la conversion du Romain Constantin.

Quant au portrait de Jésus, il est devenu le modèle de l'icône byzan- tine, copiée jusqu'au XVIIIe siècle.

Ce texte apocryphe témoigne enfin de la vitalité des communautés syriaques, qui ont envoyé de nom- breux missionnaires, dont certains ont atteint la Chine (Ville siècle) et la Mongolie.

«Histoire du roi Abgar et de Jéstu», Alain Dejreumaux, Brepols Apo­

cryphes, Texted en poche, 1993.

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5

(11)

A P O C R Y P H E S : D u s a n g n e u f d a n s l a v i e d e J é s u s

L'Apocryphe de la Genèse.

Colonnes XXI-XXII.

Maison du Livre.

© Office des Antiquités d'Israël.

Des paroles

de Jésus qu'on ne trouve pas ailleurs

L e s t e x t e s les p l u s a n c i e n s , c o m m e c e l u i d e T h o m a s , o n t b i e n s û r d a v a n t a g e d ' i n t é r ê t h i s t o r i q u e . L ' E v a n g i l e d e T h o m a s c o n t i e n t d e s p a r o l e s d e J é s u s q u ' o n n e t r o u v e p a s a i l l e u r s ; c e r t a i n s y v o i e n t le 5e E v a n g i l e . S o n m e s s a g e e s t p a r t i c u - l i è r e m e n t d u a l i s t e : l ' h o m m e d o i t se c o n n a î t r e l u i - m ê m e c o m m e é t r a n - g e r a u m o n d e p o u r ê t r e s a u v é , il v i e n t d ' a i l l e u r s , d ' u n m o n d e d e l u m i è r e . L a r é p o n s e c h r é t i e n n e d e T h o m a s , d e t y p e g n o s t i q u e , r e v i e n t à t o u t e s les é p o q u e s . C e r t a i n s m i l i e u x q u i n e t r o u v e n t p a s le m e s - s a g e officiel d e l ' E g l i s e a s s e z s p i r i - t u e l y t r o u v e n t l ' e n s e i g n e m e n t

«caché» q u ' i l s s o u h a i t e n t , a c c e s s i b l e s e u l e m e n t a u t e r m e d ' u n e r e c h e r c h e . P a r f o i s , l ' e x i g e n c e d ' u n e diffusion r e s t r e i n t e e s t c o n t e n u e d a n s le t e x t e l u i - m ê m e . A i n s i les

« Q u e s t i o n s d e B a r t h é l é m y » , q u i se v e u l e n t r é s e r v é e s a u x s e u l s c h r é - t i e n s q u i s'en m o n t r e n t d i g n e s .

A u j o u r d ' h u i , a r g u m e n t e n t les c h e r c h e u r s a v e c le p r o f e s s e u r K a e s t l i , le r e n o u v e a u d e s s p i r i t u a - lités p e u t se n o u r r i r d e t e l s t e x t e s . Ils a i d e r o n t p a r a i l l e u r s les c r o y a n t s q u i a d h è r e n t a u c h o i x d e s t e x t e s c a n o n i q u e s à m i e u x c o m p r e n d r e les m a n i f e s t a t i o n s m o d e r n e s d e ce r e n o u v e a u .

Isabelle Guuian

A lire: «L'Evangile de Barthélémy», de J e a n - D a n i e l Kaestli et Pierre Cherix, Brepols Apocryphes, Textes en poche, 1993.

L a v i r g i n i t é a p o c r y p h e d e M a r i e

Certains de ces textes ont eu beaucoup d'influence, ont été copiés des milliers de fois alors que d'autres se sont perdus très tôt dans les sables de l'Egypte. Ne restent alors parfois que des citations en marge de manuscrits bibliques pour montrer que tel texte était utilisé dans des milieux judéo-chrétiens à l'écart de l'Eglise

«catholique». Et ce témoignage même fragmentaire permet d'étudier des communautés chrétiennes anciennes originales.

«l'Evangile de Jacques»

L'un des textes les plus connus, le protévangile de Jacques, extrême­

ment populaire, a survécu dans quelque 150 manuscrits grecs, dans des traductions anciennes en syriaque, copte, égyptien, arménien, géorgien et dans des remaniements latins. Il s'étend sur la naissance et l'enfance de Marie, puis sur son mariage avec Joseph avant de raconter,

parallèlement aux Evangiles de

Luc et de Matthieu, la naissance de Jésus et la visite des Rois mages. Cette défense et illustration de la virginité de Marie, qui présente sa l~ naissance presque comme un

~~ miracle - rien d'impur dans cette vie-là déjà - active la dévotion mariale dès le Ile siècle. L'époque a besoin de cette vision de Marie; le protévangile sera utilisé dans la liturgie de l'Eglise et l'enrichira de plusieurs fêtes relatives à la Vierge.

« d e s détails sur la venue au monde de Jésus»

Il donne des détails aussi sur la venue au monde de Jésus. Quand Joseph découvre que Marie est enceinte, il veut la renvoyer, mais une épreuve publique prouve l'innocence de Marie. Plus tard, il ira chercher la sage-femme qui sera témoin d'une naissance exceptionnelle. «L'apologie d'une naissance virginale, là encore, répond certainement à un besoin de l'époque, relève le professeur Kaestli, en l'occurrence des accusations répandues par les Juifs et les païens. Elle souligne encore plus fermement que les Evangiles canoniques la dimension surhumaine du Christ dans cette naissance sans cris ni souffrances.»

Ce texte venu sans doute trop tard pour faire partie du canon a été très lu - dans l'Eglise grecque notamment. Il est entré dans les chroniques historiques qui détaillent l'histoire de la Vierge.

Au-delà de l'exclusion du canon, la pratique de certaines Eglises a décidé de sa valeur.

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SOCIÉTÉ

Oscar Wilde

ou le procès d'un décadent

ed médecine avan- cent aujourd'hui que

l'homosexualité edt d'origine génétique.

Si cette théorie avait prévalu il y

a un diècle, Odcar Wilde n 'aurait pad été condamné, le 25 mai 1895, pour

«comportement contre nature».

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 A V R I L 9 5 1 9

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S O C I É T É : O s c a r W i l d e o u le p r o c è s d ' u n d é c a d e n t

Wilde et Douglas à Oxford, en 1893.

L

es dieux m'avaient presque tout donné. J'avais le talent, un nom distingué, une haute position sociale, le brillant et la hardiesse intellectuelle», écrivait O s c a r Wilde, au cours de son incarcération. «Mais j'ai tout perdu», pourrait-on ajouter.

Difficile d'imaginer Oscar Wilde der- rière les barreaux. Lui, le dandy irlan- dais adulé pour ses pièces piquantes, recherché pour la vivacité impertinente de son esprit. Lui, le flâneur désinvolte, esthète jusqu'au bout des ongles, avec la moue légèrement arrogante de celui qui évolue dans un monde supérieur. Ses spectacles obtenaient un triomphe auprès de la bonne société anglaise. O n l'invitait à toutes les réceptions. Il sédui- sait. Affichait sa verve dans tous les salons du West End londonien. C'était la grande vie, la vie facile.

Un écrivain à la barre

Et pourtant, c'est bien lui qui s'avance à la barre, le 3 avril 1895. En costume élégant, une fleur à la bou- tonnière, il sourit à l'avocat de son adversaire. Mais c'est lui, Oscar Wilde, 41 ans, marié et père de deux enfants, qui a intenté ce procès en diffamation contre le marquis de Queensberry.

Pour le faire taire, p o u r faire cesser toutes les injures publiques. Qui l'accu- sent d'être un sodomite et d'avoir une liaison avec Lord Alfred Douglas, le fils du violent marquis. C a r ce dernier, resté dans l'histoire surtout comme l'inventeur des règles de la boxe, était connu à l'époque p o u r son caractère insupportable et ses impétueux coups de gueule. Il représente tout ce que la noblesse anglaise peut avoir de sté- réotypé: «Pas très intelligent, il était

chasseur, joueur et boxeur. C'était le beau produit stérile d'une classe à son déclin», décrit Ernest Giddey, profes- seur honoraire d'anglais à l ' U N I L .

L'arroseur arrosé

Très vite, le procès intenté par Wilde se retourne contre lui. Le p r o c u r e u r se sert de ses ouvrages littéraires, en par- ticulier «Le portrait de Dorian Gray», pour prouver l'«immoralité» et la

«nature subversive» de l'écrivain: un des personnages déclare avoir adoré follement un jeune homme? C'est donc que lui aussi, l'auteur, a eu une passion effrénée pour un adolescent. L'étau de

la justice britannique se resserre, sous les traits d'Edward Carson, l'avocat du marquis. Enchaînement fatal. N o n seu- lement ce premier procès se termine par l'acquittement de l'impétueux boxeur, mais, quelques jours plus tard, tombe une décision subite du tribunal en possession de nouveaux documents:

l'arrestation d'Oscar Wilde. Motif:

avoir commis des actes indécents.

Le 26 avril, il se retrouve à la barre, mais cette fois dans le box des accu- sés. S'ensuit un long et pénible réqui- sitoire visant à démontrer l'homo- sexualité de l'écrivain, son implication dans un trafic sexuel. Questions mes-

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L'arrestation d'Oscard Wilde.

Dessin tiré de la

presse anglaUe de l'époque

No o t r e v r a i e v i e e s t s o u v e n t c e l l e q u e n o u s n e m e n o n s p a s .

Dans la conversation

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~ïï~ ~T

CJn p o è t e p e u t s u r v i - v r e à t o u t , s a u f à u n e f a u t e d ' i m p r e s s i o n .

Dans la conversation

quines sur la nature de ses relations avec ses amis, ses serviteurs. Bilan d'une vie, jusque-là faite de nacre et de champagne, soudain mise à nu, traînée dans la boue. Il faut dire que l'Angle- terre victorienne ne badine pas avec ces choses-là. Homosexualité, inceste, autant de crimes impitoyablement poursuivis p a r la justice. Le grand Byron le sait bien, lui qui a dû quitter le pays pour une sulfureuse

affaire

de mœurs. Ernest Giddey rappelle que, juste avant le procès de Wilde, les sta- tuts de répression avaient encore été renforcés: «Dix ans plus tard, cette affaire aurait probablement été très dif-

férente. Sous Edouard V I I , l'Angle- terre a commencé à s'ouvrir au liber- tinage».

La justice joue les prolongations

Mais O s c a r Wilde s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Comme les jurés ne parviennent pas à se départager lors du deuxième procès, il en faudra un troisième, un mois plus tard. Le 25 mai 1895, le verdict tombe:

O s c a r Wilde est reconnu coupable d'homosexualité et condamné à deux ans de travaux forcés. A travers cette sévère punition, c'est tout ce que 1 écri- vain représentait qui est bafoué: lui, l'intellectuel, l'artiste décadent, le para- site de l'aristocratie, lui le paradoxe vivant, le miroir déformant de la bonne société puritaine.

Dans le journal «News of the World»

du 26 mai 1895, on pouvait lire: «Le cas Wilde est

enfin

classé et le rideau se ferme sur le plus horrible scandale qui ait jamais troublé la vie londonienne depuis des années. (...) La société est

enfin

débarrassée de ces goules et de leurs hideuses pratiques. Wilde a tout de suite confessé sa faute et les créa- tures malpropres avec lesquelles il a choisi de vivre ont reconnu que les accusations étaient vraies. C'est à un terrible coût que la société s'est nettoyée de ces méprisables importateurs de vice exotique, mais le gain en vaut le prix et il est agréable de voir que, pour une fois, justice a été faite». Le verdict a été acclamé par une liesse populaire. Alors que Wilde voit sa vie réduite à une cel- lule, ce jour-là, des prostituées ont dansé dans la rue, «probablement payées par le marquis de Queensberry», précise Ernest Giddey.

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