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Article pp.69-77 du Vol.39 n°236 (2013)

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Texte intégral

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D O S S I E R

L’investissement

socialement responsable

sous la direction de

Patricia Crifo

Nicolas Mottis

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PATRICIA CRIFO1

Université Paris Ouest Nanterre la Défense ; École polytechnique ; CIRANO

NICOLAS MOTTIS ESSEC

D O S S I E R

DOI:10.3166/RFG.236.69-77 © 2013 Lavoisier

L’ISR à la recherche de nouveaux élans ?

L

es premiers travaux de recherche sur l’investissement socialement responsable (ISR) sont déjà anciens. Un point central de ces travaux concerne la question de la performance financière associée : un investissement socialement responsable est-il plus rentable, à court, moyen ou long terme, qu’un investissement conventionnel ? Les fonds ISR surperfor- ment-ils par rapport aux fonds conventionnels ? Cette question a fait l’objet de centaines de publications et constitue encore un axe central de nombreuses recherches. Nous avons choisi de focaliser ce dossier de la RFG sur les approches qui renouvellent le débat, non pas en cherchant à évaluer si les fonds ISR sont sur- ou sous- performants par rapport aux fonds traditionnels, mais plutôt en privilégiant les articles qui proposaient de nouvelles questions ou pistes de recherche telles que la commensurabilité des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la labelli- sation, le rôle de l’ISR pour les investisseurs particuliers ou l’ISR et les PME entre autres.

Comme le soulignent Capelle-Blancard et Monjon (2012), une attention probablement trop grande a été portée à la question de

1. Patricia Crifo remercie la chaire « Finance durable et investissement responsable » pour son soutien.

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la performance financière de l’ISR. Beau- coup d’enseignements peuvent néanmoins être tirés de ces recherches. Ce sera l’objet de la première partie de cet article. Mais au-delà de cette question de la performance financière, l’ISR a aujourd’hui besoin de s’appuyer sur de nouvelles explorations académiques pour poursuivre son dévelop- pement. L’intérêt suscité par ce domaine dans la communauté académique étant en forte croissance, que ce soit attesté par le nombre de publications, de conférences internationales, de thèses ou de prix remis sur le thème, ce dossier vise à illustrer quelques-unes de ces nouvelles voies de recherche. La deuxième partie de cet article met en perspective les six articles retenus dans ce dossier.

I – QUELLE CORRÉLATION ENTRE PERFORMANCE FINANCIÈRE ET EXTRAFINANCIÈRE AUX NIVEAUX DE L’ENTREPRISE ET DES FONDS D’INVESTISSEMENT ?

Si la principale et première responsabilité de l’entreprise est de faire des profits, la performance extrafinancière permet-elle d’y contribuer en améliorant la perfor- mance économique et financière ? Que sait-on du lien entre performance financière et extrafinancière au niveau de l’entreprise et au niveau des fonds d’investissement ? 1. Performances financière et

extrafinancière au niveau de l’entreprise Le lien entre performance financière et extrafinancière au niveau de l’entreprise a donné lieu à une littérature académique considérable, comme en témoignent les nombreuses revues de littérature consacrées à ce sujet depuis plusieurs décennies (voir par exemple Orlitzky et al., 2003 ; Portney,

2008). Le débat intense consistant à savoir s’il existe un lien réel entre RSE et per- formance financière peut être considéré comme clos par la méta-analyse de Mar- golis et al. (2011) fondée sur 251 études :

« L’effet de la performance sociale sur la performance financière est petit, positif et significatif. La performance RSE ne détruit pas la valeur actionnariale, même si ses effets sur la valeur de l’entreprise ne sont pas élevés ». Toutefois, de nombreux chercheurs continuent de considérer que la recherche doit se poursuivre activement sur ce sujet pour comprendre pleinement les déterminants de cette relation, autrement dit pour comprendre comment les firmes peuvent réussir à la fois sur les plans finan- ciers et extrafinanciers. Comme le souli- gnent Crifo et Forget (2013b), pour aller plus loin dans cette voie, il est nécessaire de contourner de nombreuses difficultés mises en évidence par les travaux passés.

Une première difficulté est l’existence de variables omises dans les déterminants de la rentabilité des firmes (McWilliams et Siegel, 2000), c’est-à-dire le fait d’oublier une variable qui expliquerait la perfor- mance économique (comme la publicité).

Un biais associé est celui de modèle mal spécifié et d’endogénéité (Garcia-Castro et al., 2010). En termes techniques, l’endogé- néité dans un modèle statistique résulte de la corrélation entre une variable du modèle et le terme d’erreur. Dit autrement, des boucles de causalité entre les différentes variables du modèle n’ont pas été bien prises en compte. Ce biais peut avoir diffé- rentes causes, comme l’oubli de variables explicatives ou des erreurs de mesure. Pre- nons un exemple. Supposons que la culture de l’entreprise et la compétence de ses diri- geants soient deux facteurs qui expliquent

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d’une part, un niveau élevé de performance extrafinancière et d’autre part, un haut niveau de performance financière. Ainsi, si l’on explique la performance financière par la performance extrafinancière sans inté- grer ces deux variables dans le modèle, les deux performances sont dites endogènes et ne pas en tenir compte biaise les résultats.

Des bases de données très complètes sont donc nécessaires. Il est également souvent supposé que le lien entre performances financière et extrafinancière est linéaire, alors que certains chercheurs ont mis en évidence l’existence de niveaux extrafinan- ciers optimaux à ne pas dépasser (Barnett et Salomon, 2006), invitant à l’utilisation de modèles plus sophistiqués.

Une autre difficulté majeure réside dans le sens de la causalité. La performance extra- financière est-elle un moyen d’améliorer la performance financière de l’entreprise ou, à l’inverse, une performance financière est-elle une condition nécessaire à la per- formance extrafinancière ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer l’impact joué par la performance ESG, de celui joué par la publicité et la R&D (deux variables explicatives usuelles). Il est également nécessaire de disposer de données sur des périodes suffisamment longues pour pou- voir observer les évolutions dans le temps.

Parmi les études qui traitent efficacement ce point, Baron et al. (2008) trouvent une causalité inversée : la performance extra- financière augmenterait avec la quantité de ressources financières disponibles.

Une autre difficulté concerne la nature multidimensionnelle de la RSE. On résume souvent ces différentes dimensions aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), mais ceux-ci cachent en pratique un large éventail de mesures.

La dimension environnementale renvoie par exemple à l’incorporation dans la concep- tion, la production et la distribution des pro- duits de pratiques relatives à la prévention et au contrôle de la pollution, la protection des ressources en eau, la conservation de la biodiversité, la gestion des déchets, la gestion de la pollution locale ou encore la gestion des impacts environnementaux du transport. La dimension sociale renvoie quant à elle aux pratiques innovantes de gestion des ressources humaines (formation et gestion des carrières, participation des salariés, qualité des conditions de travail) et peut inclure également les contributions aux causes d’intérêt général et local ; le respect des droits de l’homme ou encore l’élimina- tion du travail des enfants. Enfin, la dimen- sion gouvernance renvoie aux pratiques des entreprises vis-à-vis de leurs action- naires (respect du droit des actionnaires, promotion de l’indépendance et la com- pétence des administrateurs, transparence de la rémunération des cadres dirigeants) et peut être étendue aux comportements sur les marchés et vis-à-vis des clients et des fournisseurs (prévention des conflits d’intérêts et des pratiques de corruption ou anticoncurrentielles, sécurité des produits, information donnée aux consommateurs sur les produits, diffusion des bonnes pratiques dans l’ensemble de la chaîne de valeur en amont et en aval de la production). Tenir compte des multiples dimensions de la RSE est d’autant plus important que, comme le soulignent Bénabou et Tirole (2010), les firmes peuvent être proactives sur certaines dimensions et en retrait sur d’autres. Il n’y a pas de raison non plus que l’impact de la RSE sur la performance économique et financière soit uniforme à travers ces diffé- rentes dimensions. Cavaco et Crifo (2013)

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montrent par exemple que ce sont certaines combinaisons de politiques ESG qui entraî- nent une augmentation de la performance financière. Précisément, l’absence de lien fort entre performance financière et perfor- mance extrafinancière pourrait cacher en fait un double phénomène : une forte per- formance dans les entreprises qui adoptent conjointement des pratiques RSE complé- mentaires, et une faible performance dans les entreprises qui adoptent simultanément des pratiques substituables. L’identifica- tion de ces complémentarités (synergies)/

substituabilités (arbitrages) est donc impor- tante pour comprendre le lien RSE/perfor- mance. Identifiant ce type de relations sur un échantillon de près de 600 entreprises européennes sur la période 2002-2007, ces auteurs (Cavaco et Crifo, 2013) montrent que les activités centrées sur les ressources humaines et le comportement sur les mar- chés envers les clients et les fournisseurs apparaissent comme des facteurs complé- mentaires de la performance financière, alors que les activités centrées sur l’environ- nement et les comportements commerciaux envers les clients et les fournisseurs appa- raissent comme des facteurs substituables dans la création de la plus-value financière.

Au niveau des fonds d’investissement, les travaux sur la performance financière de l’ISR ont également donné lieu à une litté- rature considérable. La recherche sur la per- formance extrafinancière des fonds ISR est quant à elle nettement moins developpée.

2. Performances financière

et extrafinancière au niveau des fonds d’investissement

D’un point de vue théorique, l’ISR s’op- pose au principe de diversification qui fonde la théorie moderne du portefeuille

de Markowitz (1952) (Capelle-Blancard et Giamporcaro-Saunière, 2006), puisqu’il réduit l’univers d’investissement. Selon la théorie financière classique moderne, les fonds ISR devraient donc être moins per- formants que les fonds conventionnels. Or ce ne semble pas être le cas, générant un nombre considérable de travaux cherchant à expliquer les mécanismes en jeu. Il n’existe toutefois pas de consensus sur l’impact du caractère socialement responsable d’un portefeuille d’entreprises sur sa perfor- mance financière. La littérature s’est essen- tiellement concentrée sur l’arbitrage entre différents types de performance en visant à répondre aux questions suivantes. La performance environnementale ou sociale s’améliore-t-elle au détriment de la per- formance financière classique ? ou bien les deux types de performance sont-elles corrélées, à court ou à long terme ? Crifo et Forget (2013b) passent en revue un certain nombre de travaux sur le sujet et observent qu’une majorité d’entre eux s’ap- puie sur une méthode consistant à comparer la performance des différents fonds. Pour beaucoup, on ne trouve pas de différence de performance entre les fonds ISR et les fonds conventionnels lorsque l’on contrôle pour les différences de style de gestion au sein du portefeuille (voir par exemple Van de Velde et al., 2005). Barnett et Salomon (2006) considèrent à ce titre que la perte financière éventuellement subie par un fonds ISR (pour cause de diversification réduite) serait compensée par la sélection de firmes mieux gérées et plus stables dans le portefeuille.

Des travaux récents mettent en lumière le fait que la performance des fonds ISR a évolué au fur et à mesure que l’ISR lui-

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même a évolué (Climent et Soriano, 2011), passant d’une performance inférieure à celle des fonds conventionnels à une per- formance équivalente ces vingt dernières années. Une première hypothèse est que les gérants des fonds ISR ont gagné en expérience et suffisamment amélioré leurs sélections pour parvenir à réaliser la com- pensation évoquée par Barnett et Salomon.

La seconde hypothèse, moins optimiste, est liée à la « mainstreamisation » de l’ISR, c’est-à-dire la diffusion des critères ISR à la gestion d’actifs classique (voir Crifo et Mottis, 2013 ; Arjaliès, 2010). La compo- sition des fonds ISR ne différait finalement pas tant que ça de celle des fonds conven- tionnels – ce qui expliquerait des perfor- mances similaires.

Pour dépasser ce débat, d’autres méthodes que la comparaison des fonds ISR avec les fonds conventionnels pourraient s’avé- rer pertinentes pour saisir les impacts de l’ISR sur d’autres types de performance.

Par exemple, il est possible d’exami- ner l’impact des pratiques d’investisse- ments responsables sur le coût du capital.

Heinkel et al. (2001) démontrent ainsi théo- riquement qu’il faut 20 % d’investisseurs éthiques (dans leur modèle, il s’agit d’in- vestisseurs qui votent avec leurs pieds) sur le marché pour qu’il y ait un impact sur le coût du capital de l’entreprise, ce que véri- fient empiriquement Hong et Kacperczyk (2009). Une seconde piste consiste à étudier d’autres types d’actifs que les actions bour- sières, par exemple le capital investissement (private equity). Crifo et Forget (2013a) ont ainsi analysé ce secteur en France et ont mis en évidence une intégration rapide des enjeux ESG dans les fonds de capital-inves- tissement conventionnels. Leurs résultats

empiriques montrent que l’ISR en capital- investissement est caractérisé par un enga- gement actionnarial, qu’il est stratégique- ment déterminé par un besoin de nouveaux leviers de création de valeur, de meilleure gestion des risques et de différenciation pour lever des fonds.

Ce bref panorama souligne que pour renou- veler le débat sur l’étude du lien entre per- formance ESG et performance financière, que ce soit au niveau de l’entreprise ou au niveau des fonds d’investissement, il est aujourd’hui nécessaire d’ouvrir la boîte noire de l’ISR et de la RSE pour regarder en détail les pratiques qui se révèlent plus ou moins rentables à plus ou moins long terme.

De ce point de vue, les articles sélectionnés dans ce dossier se concentrent sur quatre enjeux clés : la structuration du marché et la question de la labellisation ; la mesure de la performance extrafinancière, le marché des particuliers et l’extension de ces enjeux au niveau des PME.

II – QUELQUES ENJEUX CLÉS POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’ISR

Le dossier commence par un article de Christophe Revelli qui apporte une mise en perspective historique de l’émergence et du développement de l’ISR. Il montre bien comment la question de la performance financière de l’ISR a progressivement occupé une bonne partie des réflexions du champ. Au-delà de ce débat, l’article pro- pose quelques scénarios possibles d’évolu- tion entre une absorption de ces concepts de gestion d’actifs par le « mainstream » de la finance et le retour ou le renforcement des valeurs éthiques qu’il portait à l’origine.

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Quel que soit cet avenir, la question de la structuration du marché par des labels est essentielle. L’article de Diane-Laure Arjaliès, Samer Hobeika, Jean-Pierre Ponssard et Sylvaine Poret examine l’im- pact des différents labels ISR qui se sont développés en France ces dernières années (CIES, AFG-FIR-Eurosif, Novethic, Afnor).

Il montre que ces labels ont eu un effet positif sur la dynamique de l’ISR, en favo- risant l’ISR sur toutes les classes d’acifs, en encourageant la création d’une expertise ISR interne aux sociétés de gestion, en dif- fusant l’ISR à la gestion d’actifs classiques (« mainstreamisation »), et en promouvant la transparence et la pédagogie entourant les fonds ISR. Mais deux faiblesses princi- pales ont limité cet impact. Ces labels ont plus reflété le point de vue des sociétés de gestion que celui des investisseurs particu- liers, et ils ne se sont pas appuyés sur les réseaux des banques et assurances distri- buant ces produits ISR pour en faire un axe de différenciation concurrentielle.

L’article de Gunther Capelle-Blancard et Aurélien Petit montre que la nature multidi- mensionnelle de la RSE pose un défi majeur à toute recherche qui s’appuierait sur une agrégation des critères ESG. La majorité des travaux existant reposent sur les don- nées des agences de notation extrafinan- cière, qui fournissent des indicateurs s’ap- puyant la plupart du temps sur l’hypothèse implicite que ces différentes dimensions sont fongibles (une bonne pratique pouvant compenser une mauvaise pratique) et com- mensurables (les différents facteurs ESG peuvent se combiner, car ils seraient d’égale importance). En déterminant la propor- tion relative d’informations ESG publiées dans les médias sur la période 2002-2010 (près de 200 000 articles concernés), les

auteurs proposent un système de pondé- ration des enjeux RSE par critère ESG et par secteur totalement novateur qui permet de mesurer la performance extrafinancière des entreprises en fonction de l’intensité informationnelle (la pondération calculée) de chaque critère selon le secteur d’activité, une voie médiane entre sélections positives (best-in-class) et exclusion.

Au-delà des questions de structuration du marché et d’évaluation de la performance extrafinancière, les acteurs du domaine reconnaissent aujourd’hui qu’un des pro- blèmes majeurs de l’ISR se situe sur l’aval de la chaîne de valeur, au niveau de la dis- tribution des produits vers la clientèle des particuliers. Dans des pays comme la France en particulier, le secteur a en effet jusqu’à présent été fortement tiré par les institution- nels, mais les réseaux bancaires ou les com- pagnies d’assurance ont déployé de façon très limitée les produits d’épargne ISR vers le marché des particuliers. C’est donc l’ob- jet de deux contributions de ce dossier. L’ar- ticle de Fabien Durif, Isabelle Prim-Allaz et Hind Sami, basé sur une enquête réalisée au Canada, permet de mieux comprendre les comportements d’achat des particuliers vis-à-vis des produits ISR. Il montre bien les difficultés d’accès à l’information et de compréhension des produits que peuvent avoir les clients potentiels. Il analyse les paramètres expliquant leur niveau de satis- faction par rapport à ces produits. Surtout, il propose une segmentation assez précise des clients – les adeptes, les déçus, les acheteurs potentiels, les réfractaires – et caractérise leur comportement.

L’article de Sébastien Pouget et Marco Heimann est tout à fait complémentaire : il prend la perspective de l’offreur, le conseiller bancaire susceptible de vendre

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des produits ISR à ses clients particuliers.

Il se concentre sur trois facteurs influen- çant les recommandations des fonds ISR par ces conseillers clients bancaires : les caractéristiques des fonds d’investissement, les croyances et valeurs personnelles des conseillers et la demande des clients. L’ar- ticle est basé sur deux études empiriques sous forme d’enquête en ligne. Les résultats soulignent l’utilité, pour favoriser la com- mercialisation des fonds ISR, de la mise en avant des caractéristiques des fonds, et de l’argument de performance à long terme dans les formations internes, mais également l’intérêt potentiel d’une approche stratégique des valeurs ESG dans la gestion des ressources humaines.

Enfin un périmètre encore trop largement inexploré en matière d’ISR concerne celui des PME. L’un des enjeux fondamentaux pour analyser la diffusion de l’ISR au-delà d’une analyse des stratégies de grandes entreprises cotées en Bourse est de com- prendre comment il peut s’ouvrir à d’autres classes d’actifs, notamment les entreprises non cotées en Bourse et les PME.

Au plan académique, la recherche sur la RSE des PME s’est développée ces der- nières années, mais elle demeure très frag- mentée et n’a pas encore développé de théorie cohérente. Les engagements dans une démarche de RSE des PME ne seraient pas formalisés et la politique ne serait pas clairement établie et visible (Jenkins, 2004).

Spence (2007) souligne également que l’es- sentiel des travaux empiriques consiste en des études de cas de « bons élèves ».

Pour dépasser ces études de cas et proposer une réflexion sur les modalités de diffusion des enjeux de l’ISR aux PME, l’article de Rim Oueghlissi s’appuie sur une base de données très large, l’enquête Changement

organisationnel et informatisation (COI), menée sur près de 14 000 entreprises pour caractériser les pratiques socialement res- ponsables autour de quatre grandes dimen- sions : environnement, sociale, clients four- nisseurs, et dimension sécurité et qualité du système de management. L’intérêt de cette approche empirique pour l’ISR est triple.

Premièrement, elle permet de mettre en lumière les différences de pratiques entre grandes entreprises et PME sur des indica- teurs comparables entre entreprises et entre secteurs, et peut donc éclairer les processus d’analyse ISR au-delà du groupe des firmes cotées en Bourse. Deuxièmement, en mon- trant explicitement que les PME semblent moins engagées que les grandes firmes dans leurs démarches RSE, soulignant les diffé- rences notamment dans le domaine social ou vis-à-vis des clients et des fournisseurs, ou bien dans le secteur des biens d’équi- pement, cette étude identifie les points de convergence ou de divergence et les pers- pectives à développer. Enfin, en fournissant des indicateurs quantitatifs et qualitatifs de RSE au sein des PME elle apporte une information cruciale pour les actionnaires et investisseurs ISR de nature à appuyer et formaliser leurs démarches.

En conclusion, il est évident que ce dossier n’épuise pas le sujet de l’ISR. D’autres thèmes tout aussi importants ne sont pas couverts ici, mais font actuellement l’objet de nombreux travaux tant en France qu’au niveau international. Pour n’en citer que deux, on peut évoquer par exemple les questions d’engagement actionnarial. Un enjeu majeur de l’ISR est ainsi de com- prendre quel est son impact non seulement pour les investisseurs, mais aussi sur la société dans son ensemble. Les investis- seurs peuvent boycotter des entreprises, et

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ainsi renchérir leur coût du capital, mais ils peuvent aussi être plus actifs dans la gouvernance des entreprises en dialoguant avec les dirigeants ou en votant lors des assemblées générales d’actionnaires. Com- ment dès lors faire en sorte que les objectifs ESG des fonds ISR s’expriment réellement au travers de mécanismes de représentation des actionnaires et autrement que par de simples votes avec les pieds ?

Par ailleurs, un autre enjeu majeur de l’ISR concerne le rapport intégré. Cette ques- tion est d’ailleurs au cœur des réflexions de la Commission européenne qui a pro- posé le 16 avril 2013 une modification de la législation comptable en vigueur, afin d’accroître la transparence de certaines grandes sociétés en matière environnemen- tale, sociale et de gouvernance. Sur ce dernier point par exemple, les grandes sociétés cotées seront tenues de fournir des informations sur leur politique de diversité, notamment au regard des critères d’âge, de

sexe, d’origine géographique, de qualifica- tions et d’expérience professionnelle des membres du conseil d’administration, et les sociétés qui n’appliquent pas une poli- tique de diversité devront justifier ce choix.

Comment dès lors faire en sorte que les entreprises produisent une information qui articule mieux performances financières et extrafinancières ?

Ne correspondant au départ qu’à des marchés de niche, les concepts d’ISR ont aujourd’hui un impact sur un pan non seulement très significatif, mais surtout en forte croissance de l’industrie financière. En parallèle, du côté des entreprises, les thématiques liées à la RSE montent également en puissance. Nul doute que ces deux phénomènes parallèles se renforceront mutuellement encore plus fortement qu’aujourd’hui et que les idées évoquées dans ce dossier finiront par toucher de façon beaucoup plus large les travaux de recherche dans de nombreuses disciplines de l’économie et du management.

BiBliographie

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