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Academic year: 2022

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focus lycée

CHERCHER SA VOIX, TROUVER UNE VOIE

par Audrey Voisin,

professeure agrégée de lettres modernes, lycée Albert-Châtelet, Douai

Savoir +

Bossy Jean-François, La Philosophie à l’épreuve d’Auschwitz. Les camps nazis, entre Mémoire et Histoire, Ellipses, Paris, 2014.

Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Minuit, Paris, 1979.

Lejeune Philippe, Le Pacte autobiographique (1975), Seuil, Paris, 1996.

Simonet-Tenant Françoise (dir.), Le Propre de l’écriture de soi, Téraèdre, Paris, 2007 (not. les articles d’Anne Coudreuse et de Geneviève Haroche-Bouzinac).

LE PROGRAMME de l’enseignement de spécialité « Humanités, littérature et philosophie » (HLP), publié au Bulletin officiel du 19 juillet 2019, s’inscrit dans le cadre particulier d’un enseignement bidisciplinaire qui engage les réflexions littéraires et philosophiques sur deux objets d’étude « partagés », parmi lesquels figure « La recherche de soi » au premier semestre. Ce thème couvre la période du romantisme jusqu’au xxe siècle.

Nous questionnerons « La recherche de soi » au travers d’une séquence de lettres en classe de terminale à raison de 3 heures par semaine. Le cours de philosophie

« lié », également d’une durée de 3 heures par semaine, s’emparera du même thème, idéalement d’une problématique partagée qui sera traitée par des textes communs ou de nouvelles références. Autant que faire se peut, chaque discipline proposera des passerelles vers l’autre. Nous suggérons quelques-unes de ces passerelles dans le déroulé qui suit.

Cette séquence, intitulée « Chercher sa voix, trouver une voie », invite l’élève à comprendre comment se façonne l’individu, à travers quels modèles et références, comment ce dernier invente une façon de se dire qui témoigne d’un vécu et d’un regard sur le monde dans lequel il vit. La question de l’émergence d’un « je », lié à une époque, influencé sans doute, mais singulier malgré tout, est centrale. Nous proposons d’éclairer un parcours du « je » en nous appuyant sur des textes d’époques et de genres différents. La recherche de soi suppose d’envisager l’énonciation comme moyen de définition de soi. À tâtons, le soi crée des ébauches, il bâtit par défaut un objet qui se dérobe obstinément. À travers cette séquence, nous montrerons comment fixer le « soi » devient alors une gageure, tant l’énonciation peine à faire coïncider l’existant et l’écrivant.

Les cours s’autorisent à croiser les trois sous-entrées de l’objet d’étude : « Éducation, transmission et émancipation », « Les expressions de la sensibilité » et « Les méta- morphoses du moi ». Un rappel de l’objet d’étude de première « Les pouvoirs de la parole » n’est pas non plus exclu. De même, on peut envisager des textes et des documents qui ne s’inscrivent pas dans les bornes temporelles proposées : le recours à des pensées et des textes antérieurs inscrit la réflexion dans une logique d’héritage et de réécriture féconde.

L’évaluation en séance 9, dessinée dans le strict respect de l’objet d’étude et du programme, doit davantage être considérée comme un travail d’apprentissage car elle se veut formative et non sommative. Nous proposons ainsi une modalité de travail progressive, accompagnée et raisonnée, pour que les élèves apprennent à mobiliser les savoirs.

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LA SÉQUENCE ÉTAPE PAR ÉTAPE

SÉANCE 1 (3 HEURES) : S’AFFIRMER PAR LA PRISE DE PAROLE Objectif

Pour faire le lien avec le programme HLP de première « Les pouvoirs de la parole » (art de la parole et autorité de la parole), cette séance montre que la prise de parole constitue une affir- mation identitaire de soi.

Support

Allocution de Simone Veil à Auschwitz du 27  janvier 2005 (disponible sur crif.org).

Activités

Le discours de Simone Veil est envisagé en fonction de quatre perspectives.

1. Élucidation du contexte de l’allocution et de la légitimation du discours dans ce contexte (autorité de la parole).

2. Étude du jeu des pronoms personnels (passage du « je » au

« nous », opposé au « vous ») et ses conséquences (la parole s’universalise, trouve un interlocuteur qu’elle questionne, confronte, fait réagir).

3. Évocation du sort réservé aux Juifs  : s’interroger sur celle-ci, ce qu’elle suggère et sur les figures rhétoriques qui la soutiennent (en lien avec l’art de la parole narrative).

4. Analyse précise de l’appel lancé à la fin du texte. Commenter à nouveau l’opposition des pronoms personnels.

L’interprétation du professeur 

Rappeler son passé à travers sa voix personnelle, le faire entendre, c’est affirmer et rappeler son existence, voire ici les conditions de sa survie. C’est aussi joindre sa voix à une voix collective, celle des victimes de la Shoah, des survivants, des générations actuelles et futures. C’est encore lancer un appel à la prolongation nécessaire de cette « voix », qui est celle du devoir de mémoire. Ce faisant, la voix personnelle ouvre une voie double : celle du cheminement intime et individuel d’un sujet qui travaille à sa définition, à sa reconstruction par l’énonciation, et celle d’un cheminement collectif, celui d’un

« groupe » qui doit entendre et se souvenir pour prendre une direction salutaire.

Prolongements (travail en groupes ou individuel)

1. L’enseignant peut envisager un travail sur la littérature des camps, notamment à partir des textes Si c’est un homme (1988) de Primo Levi ; Maus (1980), une bande dessinée d’Art Spiegelmann ; et Aucun de nous ne reviendra (1965) de Charlotte Delbo. Pour cette dernière sera fourni un extrait de son récit où elle évoque la nécessité de l’art pour survivre et propose de monter une pièce de Molière dans le camp.

2. Les élèves recherchent quelques auteurs de cette période en les présentant sous forme de notices biographiques accompa- gnées de quelques extraits frappants.

3. Sous forme de « note d’intention », éventuellement orale, les élèves expliquent (seuls ou par groupes) comment ils ont mené leurs recherches, de quelle aide ils ont eu besoin et comment ils ont sélectionné leurs extraits.

4. Enfin, sous forme d’une synthèse, il s’agit de s’interroger : peut-on dire que l’écriture a permis à ces survivants de « retrou -

ver leur voix » ? On peut présenter aux élèves un nouveau corpus de textes ou les laisser libres de constituer le leur à partir des références déjà compulsées. Ce travail fait écho à d’autres discours de Simone Veil : de quelles autres voix se fait-elle la porte-parole ?

Pistes pour l’étude philosophique

Mourir, périr : ce que l’on refuse aux exterminés. Mourir se conçoit comme la fin du processus de vie. Le déporté est cependant déjà anéanti lorsqu’il perd la vie : l’extermination nie jusqu’à son existence même. Voir La Philosophie à l’épreuve d’Auschwitz (2004), de Jean-François Bossy, ou encore Être et Temps (1927), de Martin Heidegger.

SÉANCE 2 (3 HEURES) : LE COLLECTIF ET L’INDIVIDUEL Objectif

Montrer le lien entre voix collective et voix individuelle  : comment l’énonciation de l’individuel construit-elle l’uni- versel (mise en œuvre de la construction du rapport de soi au monde et aux autres) ? L’individuel fonde l’accès à un universel (« Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condi- tion », Michel de Montaigne, Essais, livre III, 2). L’écriture de soi permet cette médiation entre le singulier et l’individuel, l’individuel se révélant porteur d’un universel.

Le président français Jacques Chirac accompagné de Simone Veil, ancienne prisonnière d’Auschwitz, entrent dans l’ancien camp d’extermination nazi, le 27 janvier 2005. Cette photographie combine la figure de Simone Veil, le devoir de mémoire et la commémoration.

On distingue en arrière-plan, sur la grille de l’entrée du camp, les mots Arbeit macht frei, « Le travail rend libre ».

© Janek Skarzynski/AFP

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Support

Michel de Montaigne, Essais, livre III, 2 « Du repentir » : depuis « Les autres forment l’homme… » à « … ne pense seulement pas à soi. » Activités

Pour mener la lecture, on éclairera la vision de l’homme et du monde proposée avant d’étudier le caractère insaisissable de la matière humaine (« je ne puis assurer mon objet ») et d’en- visager les justifications avancées par l’auteur.

L’interprétation du professeur 

Pour Montaigne, seul est pertinent le discours qui se rapporte à une réalité individuelle. Mais cet idéal est difficile à atteindre, car la coïncidence entre le moi écrivant et le moi existant n’est pas parfaite : elle est impossible à fixer car elle ne connaît pas d’état stable, l’être étant par nature changeant, non d’année en année, mais d’instant en instant. Cette réalité individuelle ne se conçoit donc que dans une série d’instants, et toujours dans le mouvement : « Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre […] mais de jour en jour, de minute en minute » (III, 2). La voix s’énonce dans une tentative ardue de faire coïncider l’être et le langage.

Interprétation littéraire

Par quels procédés, dans cet extrait, Montaigne met-il en évidence l’instabilité de l’être et du monde ?

Pistes pour l’étude philosophique

Quelle conception de la vérité cet extrait établit-il ? Peut-on se peindre « au naturel » ?

SÉANCE 3 (3 HEURES) : L’ÉCRITURE DE L’INSTANT Objectif

Il est difficile d’appréhender un soi qui se dérobe, dont la mouvance est permanente et qui s’inscrit dans le temps. Il faut ainsi envisager l’écriture de l’instant au travers des écrits fragmentaires dont les apports et les difficultés seront évoqués en une lecture comparée de trois extraits.

Supports

– Madame de Sévigné, Correspondances : lettre 29.

– Anne Frank, Journal d’Anne Frank : extrait du 20 juin 1942.

– André Gide, Si le grain ne meurt, 1926 : chapitre 1, depuis

« J’écrirai mes souvenirs comme ils viennent... » à « … afin que le magnifiât la distance ».

Activités

Pour mener la lecture, nous étudierons l’ancrage dans la situa- tion d’énonciation, les intentions de l’écriture et la différence entre ces trois types d’écrits à travers les questions suivantes.

– Quelles sont les limites du journal et de l’introspection intime, tournée vers soi avec soi pour finalité ?

– Quelles sont les limites de la lettre dont les conditions de réception (délais, pertes) et de lecture rendent l’évocation de soi « en instant » désuète et déjà fausse ?

– Comment André Gide met-il en lumière les insuffisances de la mémoire et du regard distancé qui cristallise parfois de manière erronée ?

Prolongements (travail en groupes ou individuel)

Nous proposons aux élèves de rédiger une lettre autobiogra- phique (appréhension de soi à l’instant t, en situation de cours).

On peut échanger à l’oral sur les difficultés rencontrées dans cet exercice et travailler collectivement aux éléments que l’on peut attendre, ceux que l’on évaluera positivement (démarche d’explicitation des attendus, autoévaluation et remédiation dans un temps d’écriture en reprise ou en dialogue, éventuel- lement mené en groupes).

SÉANCE 4 (2 HEURES) : LES CHOIX ÉNONCIATIFS Objectif

Il s’agit d’envisager la difficulté pour l’écriture, d’appréhender le soi, cet objet qui se dérobe : quel mode d’énonciation pour évoquer un soi multiple ?

Supports

– Jules Vallès, L’Enfant, 1879 : incipit.

– Jules Renard, Poil de Carotte, 1894 : chapitre « Les poules ».

– Annie Ernaux, Les Années, 2008 : de l’incipit jusque « … le rêve à l’histoire ».

Anonyme, Portrait multiple de Marcel Duchamp, 1917, épreuve gélatino-argentique, 8,7 × 14 cm, Paris, Centre Pompidou - Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle.

On peut demander aux élèves d’observer cette photographie : comment sont ici suggérées à la fois la pluralité et l’unité du regard sur soi ?

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais/Georges Meguerditchian

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Activités

Nous suggérons aux élèves une activité préalable consistant à repérer les marques énonciatives et leur référent. Il convient ensuite d’étudier le choix d’une énonciation différente du « je » en rapport avec les faits évoqués. Quel regard sur soi ce choix énonciatif traduit-il ? Quelle difficulté pour le soi « écrivant » (comment ce choix énonciatif traduit-il l’impossibilité ou le refus de dire « je » ?) ? Enfin, nous envisageons les variations dans la finalité de l’écriture et la notion de roman autobiogra- phique (écriture comme exutoire, mise en perspective de soi, explicitation ou justification).

Nous réfléchissons aux problèmes que l’écriture peut poser quand s’engage l’énonciation de soi. Il convient de les lister, au moins quelques-uns parmi les plus évidents, par exemple : ce que j’appelle « je » au moment où j’écris recouvre-t-il la même chose que le « je » que je me propose d’évoquer ? Quels choix les élèves feraient-ils eux-mêmes, et pourquoi ? Enfin, on se questionnera sur la possibilité de distinguer vraiment en nous ce qui ne relève pas de notre individualité pure (on peut revenir sur le texte d’Annie Ernaux et sur l’emploi qui est fait du pronom « nous »).

L’interprétation du professeur

Les choix énonciatifs traduisent la difficulté à faire coïncider un soi et un « je » énonciatif qui recouvre une réalité multiple et peut être vu comme défaillant, incapable de traduire le moi dans son rapport au temps, dans son évolution et ses varia- tions. Trouver sa voix narrative suppose donc de résoudre cette tension en une adéquation signifiante.

Prolongements (travail individuel)

– Étude d’un extrait des Confessions (1782) de Jean-Jacques Rousseau, « Le peigne cassé ».

– Définition du genre autobiographique et éclairage de Philippe Lejeune à travers Le Pacte autobiographique (1975).

Pistes pour l’étude philosophique

Henri Bergson, dans le chapitre 2 de son Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), met en évidence la tension qui existe entre la conscience, dans sa concrétude, et les structures du langage. Celles-ci nous contraignent à décrire les faits psychiques dans la succession, tandis que les états de conscience voient s’interpénétrer présent et passé, c’est-à-dire la durée dans toutes ses dimensions. Il existe donc une limite du langage et de l’écriture, qui sont toujours des spatialisations, pour rendre compte du moi qui n’est que dans la durée.

SÉANCE 5 (1 HEURE) : L’ÉVOLUTION DU REGARD SUR SOI Objectif

Lecture de l’image dont l’objectif est d’étudier l’évolution du regard sur soi à travers les siècles. Quels invariants ?

Supports

– Jan Van Eyck, L’Homme au turban rouge (autoportrait présumé), 1433.

– Un autoportrait d’Albrecht Dürer au choix, réalisé vers 1500 (par exemple Portrait de l’artiste tenant un chardon, 1493 ; Autoportrait à 26 ans, 1498 ; Autoportrait à la fourrure, 1500).

– Rembrandt, Autoportrait au chapeau de velours, 1634 ; et Auto­

portrait à l’âge de 63 ans, 1669.

– Gustave Courbet, Le Désespéré, 1843-1845.

– Édouard Manet, Autoportrait à la palette, 1878-1879.

– Selfies divers extraits de l’article « Me, my selfie and I », Libération, 12 octobre 2013.

Activités

Les élèves observent les autoportraits présentés et répondent à la question suivante : quelles constantes de la représentation de soi peut-on dégager de l’analyse de ces autoportraits ?

SÉANCE 6 (3 HEURES) : LA QUESTION DES ORIGINES Objectif 

Penser un cheminement en « impressions » vers le commen- cement : la question des origines.

Supports

– Giacomo Casanova, Histoire de ma vie (1789-1798), coll. « Folio classique », no 1760, Gallimard, Paris, 1986, p. 28-30.

– Albert Cohen, Le Livre de ma mère (1954), coll. « Folio », no 561, Gallimard, Paris, 1974, p. 52-53.

Activités

Dans le texte de Casanova, nous étudions comment le récit se construit sur des éléments factuels et temporels, puis, dans le texte de Cohen, nous montrons que le portrait de la mère amène la question de soi qui suppose nécessairement l’interrogation des origines.

L’interprétation du professeur

Casanova débute son récit par l’évocation de ses parents qui occupe peu de place. Le réel début du récit est marqué par l’ex- pression « mon existence en qualité d’être pensant ». S’ensuit un récit chronologique et factuel, fondé sur des souvenirs L’actrice tilda Swinton prenant un selfie avec ses fans lors de la première mondiale du film Snowpiercer à Séoul, le 29 juillet 2013. Que disent ces autoportraits modernes, marqués par l’entrée culturelle tout autant que par la dimension mémorielle (« Ce jour-là, je l’ai rencontré(e)… ») ? L’acteur fait-il son autoportrait ou le portrait du personnage qu’il incarne ?

© Kim Hong-Ji/Reuters

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conscients, précis. L’auteur semble fonder son récit sur la conscience de soi, en tant que sujet pensant. L’expression de ce « soi » ne serait alors possible qu’à partir du moment où le soi écrivant est capable de situer une conscience capable de se remémorer clairement le passé. Pourtant, le soi ne saurait se limiter à cette capacité à restituer clairement : le « soi » d’André Gide (séance 3) est autant celui qui a vécu les choses telles que sa mère les lui raconte que celui qui a cru qu’elles s’étaient passées comme dans son souvenir. La conscience modèle ou remodèle les souvenirs, tant à partir de faits que de sensations ou de perceptions, qui constituent également pour partie une vérité, l’erreur ayant aussi sa place dans ce processus de recons- truction (voir aussi Rousseau dans Les Confessions et Proust, À la recherche du temps perdu). De même, il faut interroger la possibi- lité de la chronologie et de la linéarité dans une reconstruction de soi qui se veut appréhension fidèle. Pour Albert Cohen, le soi se dessine à travers l’imprégnation, la diffusion en nous des êtres qui nous ont engendré. Le modèle de la mère aimante deviendra ainsi celui de l’auteur qui interrogera toute sa vie

« l’amour du prochain » et l’intolérable rejet de l’autre.

Prolongements (travail individuel)

On travaillera avec les élèves sur l’écriture du portrait du père ou de la mère.

Pistes pour l’étude philosophique

L’écriture d’un « soi » réinterroge le cogito cartésien. On peut par exemple faire le lien avec la critique opérée par John Locke dans le chapitre 27 du livre II des Essais philosophiques concernant l’entendement humain (1689). On peut s’attacher plus particuliè- rement à la question de la mémoire, garante du soi.

SÉANCE 7 (3 HEURES) : LE CULTE DU MOI Objectif

Construire les définitions de « culte du moi », naissance et survivance.

Support

Chateaubriand, Mémoires d’outre­tombe, 1848, chapitre 1.

Activités

Nous étudions, pour commencer, comment se dessine l’idée de retrait du monde, puis comment la nature devient le cadre privilégié de ce retrait, ceci associé à la définition du projet des Mémoires. Il s’agit d’établir la double vocation de l’œuvre entre cheminement historique/politique et cheminement intime.

Nous aurons soin de réfléchir en outre au moi romantique.

L’interprétation du professeur

Les Mémoires d’outre­tombe relèvent du genre classique des mémoires littéraires (à la manière des Mémoires de Saint­

Simon par exemple), mais s’inspirent aussi des Confessions de Rousseau. Chateaubriand y raconte en effet les événements historiques majeurs dont il a été témoin. Il se livre aussi à une confidence qui dévoile son moi intérieur. La nature est le refuge solide et apaisant qui sert d’écrin et de caisse de réso- nance aux états du moi. De fait, inscrite dans le mouvement romantique, l’œuvre fait la part belle au « je » lyrique et au

« moi romantique » né dans cette période de bouleversements

historiques, sociaux et métaphysiques, qui trouve dans la nature le seul élément stable quand tous les repères collec- tifs s’effondrent. Cette génération, privée de ses repères, met l’accent sur l’individu, autant par nécessité que par choix. Et si Chateaubriand appelle de ses vœux le retour des Bourbons, la jeune génération romantique écrit le repli sur soi pour des raisons inverses : après les espoirs suscités par la Révolution, les années napoléoniennes et leur gloire, la Restauration appa- raît comme un régime rétrograde et mesquin. Alors que, depuis plusieurs décennies, la France occupe une place centrale dans l’aventure humaine, la société proposée aux jeunes semble fade et dépourvue de perspectives. Le repli sur soi et la prédomi- nance du moi, qui prend des formes variées selon les auteurs, marquent ce désenchantement, né d’une confrontation à une époque jugée stérile. Les Mémoires d’outre­tombe énoncent la relation intime entre le mouvement du monde et l’individu, qui se définit dans et par l’Histoire.

Prolongements (travail de groupes)

Nous proposons pour ce travail un prolongement oral par groupes avec la question suivante : la vision romantique vous paraît-elle très éloignée de notre conception actuelle de l’in- dividu ? Si le sujet est commun à tous les élèves, le traitement varie en fonction des groupes. Nous travaillons d’abord sur l’explicitation de la question posée et le transfert des connais- sances construites pour envisager ensuite soit une lecture intonée du texte de Chateaubriand (un extrait choisi en parti- culier), soit un écrit d’appropriation passant par l’écriture libre ou une écriture d’imitation, soit une analyse de l’expression du

« je » dans la société médiatique contemporaine (reprenant ou non des exemples de la séquence en cours ou des références contemporaines).

Le bilan collectif rebondit sur une synthèse répondant à la question « Comment s’exprime ce culte du moi de nos jours ? » comme un lien préparatoire à la séance 8.

Pistes pour l’étude philosophique

La figure du « grand homme » chez Hegel permet de mettre en évidence l’articulation entre le héros et l’histoire, l’incarnation du peuple dans un homme singulier.

SÉANCE 8 (2 HEURES) :

RÉFLEXIONS SUR LE « MOI » MODERNE Objectif

Définir le « moi » moderne : quel regard est le sien ? Égotisme et narcissisme : la notion d’individu au cœur de la société.

Supports

– Capture de textes publiés sur les réseaux sociaux.

– Selfies variés apportés par les élèves (dûment référencés).

Activités

L’enseignant demande aux élèves d’observer les textes rassem- blés provenant des réseaux sociaux et les selfies : quels choix sont opérés ? Pourquoi ? Que portent-ils ? Qu’apportent-ils ? L’interprétation du professeur

Réseaux sociaux et selfies envisagent le soi comme une recom­

position : il s’agit de se donner à voir tel qu’on est mais ces

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pratiques portent en elles un paradoxe : postées comme étant le reflet de la personne, les photographies font l’objet de véri- tables mises en scène de soi par le choix des postures, des poses, et par le choix de ce qui est publié ou non. Nous assis- tons à la création d’un personnage, donné comme vrai (voir la tendance des selfies pris sur le vif ou sans maquillage), mais dont la présentation dit finalement toute la tromperie. Cette recomposition est aussi saisie dans l’instant : la proximité entre la prise du selfie et le moment où il est posté marque le désir de se montrer en temps réel, comme un gage de sincé- rité, un partage rapide de « ce que je fais, ce que je vis » – en un mot, « ce que je suis ». En réalité, la pratique du selfie crée une dualité entre personnage public et personnage privé, entre social et intime, alors même qu’elle se propose de réduire cette fracture. Les réseaux sociaux, en créant profils et avatars, vont dans le même sens. L’engouement pour ces pratiques porte d’une certaine manière les métamorphoses du moi („voir à ce sujet l’article d’Elsa Godart, « Construction de soi et numé- rique », in TDC, no 1128, p. 60-63).

Prolongements (travail de groupes)

L’enseignant peut demander aux élèves comment s’exprime la dualité des personnages dans les œuvres suivantes.

– Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782, lettre 81 (autoportrait de la marquise de Merteuil) : extrait long ou texte intégral.

– Guy de Maupassant, Le Horla, 1887, 6 et 7 juillet.

– Raphaël Enthoven, «  Narcissisme  », in L’Endroit du décor, Gallimard, Paris, 2009, p. 79 (à propos des selfies).

Pistes pour l’étude philosophique

À travers une étude sur les sciences humaines, Michel Foucault montre, dans Les Mots et les Choses (1966), que c’est une défini- tion de l’homme qui est à l’œuvre : celui-ci doit comprendre sa propre disparition (la « mort de l’homme ») ou plus exacte- ment sa propre « dispersion », avec la figure de « l’éclatement du visage de l’homme ». Il y a un contraste saisissant entre l’analyse foucaldienne du visage et de ses masques, et celle que pourrait faire Emmanuel Lévinas du visage de l’homme comme marque du sacré (voir Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, 1961).

POUR ALLER PLUS LOIN

Un travail bidisciplinaire lettres-philosophie est attendu. Le professeur de philosophie peut ainsi nourrir sa propre pers- pective soit à partir des textes choisis dans le cours de lettres (un même support mais une démarche, une perspective diffé- rentes), soit à partir de textes différents suggérés dans les

« Pistes pour l’étude philosophique ».

Au terme de la séquence construite dans le cadre de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », les élèves qui ont profité des deux disciplines peuvent répondre à la problématique initiale (comment fixer le « soi » devient une gageure, tant l’énonciation peine à faire coïncider l’existant et l’écrivant). Pour ce faire, ils convoquent les entrées réfé- rences qui leur semblent les meilleures dans un devoir cons- truit sur la logique du devoir canonique attendu en fin de

terminale : un commentaire de texte à composer à travers deux questions renvoyant aux deux approches disciplinaires, l’une d’interprétation (littéraire), l’autre de réflexion (philosophique).

Le professeur devra à la fois penser ce devoir comme un accompagnement pas à pas (pour le bilan et la construction des compétences) et comme un bilan de séquence réalisé par les élèves.

ÉVALUATION FORMATIVE

SÉANCE 9 (4 HEURES) Support

Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, 1782 : première promenade, incipit jusque « m’enterrer tout vivant ? ».

Questions

1. Question d’interprétation littéraire  : Étudiez par quels procédés Rousseau établit sa singularité par rapport aux autres hommes.

2. Question de réflexion philosophique : Peut-on se définir sans le regard d’autrui ?

Proposition de 4 étapes d’accompagnement pour réaliser cette évaluation

Chaque étape dure 1 heure.

– Étape 1 (en classe) : 30 minutes de travail personnel (analyse et lecture du texte), 20 minutes de reprise orale collective (expli- citation du texte), 10 minutes de rédaction-reprise personnelle.

– Étape 2 (à la maison) : exploration du texte et construction d’une réponse organisée aux questions posées.

– Étape 3 (en classe) : reprise personnalisée (outils, échanges entre élèves et/ou avec le professeur).

– Étape 4 (en classe) : reprise de la rédaction en autonomie.

(7)

focus lycée

PRÉSENTATION TABULAIRE DE LA SÉQUENCE POUR LA CLASSE DE TERMINALE

Séances Dominantes Modalités Compétences travaillées Activités réalisées par les élèves 1

(3 h)

Lecture/oral Lecture/écriture

Classe entière Travail maison

– Établir la continuité des interrogations du cours HLP (lien première/terminale).

– Lire et interpréter un texte littéraire.

– Construire le lien Histoire/histoire individuelle.

– Étude de l’allocution de Simone Veil à Auschwitz (27 janvier 2005).

– Prolongements (travail en groupes ou individuel) :

– - la littérature des camps (recherches biographiques, choix d’extraits justifiés) ; – - analyse réactivant les modalités

de lecture de la séance et ouverture sur les autres discours de Simone Veil (avortement).

2 (3 h)

Lecture/oral Classe entière – Établir le lien entre les séances 1 et 2.

– Lire et interpréter un texte littéraire.

– Préparation à un devoir type.

Lecture analytique d’un extrait de Montaigne (Essais, livre III, 2,

« Du repentir »).

3 (3 h)

Lecture/écriture Classe entière Travail individuel/

groupes

– Lire et interpréter des textes littéraires.

– Exploiter des lectures pour construire un écrit personnel.

– Exposer une démarche d’écriture et travailler collectivement à une amélioration individuelle.

– Lecture comparée de trois extraits (Madame de Sévigné, Anne Frank, André Gide).

– Prolongements : rédiger une lettre autobiographique « de l’instant ».

4 (2 h)

Lecture Classe entière

Travail individuel

– Lire et interpréter des textes littéraires.

– Réinvestir les connaissances sur l’énonciation (séance 1) et envisager ses difficultés.

– Réfléchir à une stratégie d’écriture de soi.

– Lecture comparée de trois extraits (Jules Vallès, Jules Renard, Annie Ernaux).

– Prolongements : lecture en autonomie (Jean-Jacques Rousseau, Philippe Lejeune).

5 (1 h)

Lecture de l’image Oral

Classe entière – Lire et interpréter des œuvres picturales.

– Établir des liens entre les œuvres.

– Produire un écrit de synthèse.

Observation et analyse des autoportraits proposés.

6 (3 h)

Lecture/écriture Classe entière Travail individuel

– Lire et interpréter des textes littéraires.

– Produire un écrit personnel et subjectif.

– Engager la réflexion sur l’écriture de soi par l’écrit personnel.

– Lecture comparée de deux extraits (Giacomo Casanova, Albert Cohen).

– Prolongements : écriture du portrait du père ou de la mère.

7 (3 h)

Lecture/oral Classe entière Groupes

– Lire et interpréter un texte littéraire.

– S’engager dans une démarche de réflexion collective.

– Proposer et justifier ses choix, débattre.

– S’approprier un style, une démarche,

« imiter pour se défaire ».

– Lecture analytique (Chateaubriand).

– Prolongements : la vision romantique vous paraît-elle très éloignée de notre conception actuelle de l’individu ? Modalités de restitution au choix : lecture intonée d’un extrait de Chateaubriand ; écrit d’appropriation ; écrit d’analyse sur l’expression contemporaine du « je » dans la société médiatique actuelle.

8 (2 h)

Lecture/lecture de l’image/oral

Classe entière Groupes

– Proposer des supports de réflexion référencés et justifier ses choix.

– Engager un débat collectif s’appuyant sur des références (construire la notion d’exemple argumenté).

– Réflexion sur des textes publiés sur les réseaux sociaux et des selfies apportés par les élèves.

– Prolongements (Pierre Choderlos de Laclos, Guy de Maupassant, Raphaël Enthoven).

9 (4 h)

Évaluation Classe entière Travail maison

Construire une réponse raisonnée et argumentée s’appuyant sur des références.

Évaluation formative à partir d’un extrait des Rêveries du promeneur solitaire, de Jean-Jacques Rousseau.

Références

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