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Les apports de la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfant

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Les apports de la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfant

The contributions of the law of 14 March 2016 on the protection of the child

Anne Oui

Observatoire national de la protection de l’enfance

<anne.oui@onpe.gouv.fr>

Résumé.La loi de mars 2016, amendant celle de mars 2007, place l’enfant au cœur du dispositif. L’évaluation, à tous les stades de l’intervention, a pour objet d’apprécier le danger ou le risque de danger au regard des besoins fondamentaux de l’enfant précisés dans la loi.

Cette évaluation doit être faite par une équipe pluridisciplinaire, concerner toute la fratrie et respecter des délais en fonction de l’âge. La notion de danger grave et immédiat, faisant référence à la notion de maltraitance, entraîne une saisine directe de l’autorité judiciaire. La santé de l’enfant dans sa globalité est prise en compte et oblige les départements à désigner un médecin réfèrent en protection de l’enfant. Cette loi insiste sur l’importance d’assurer cohérence, continuité et stabilité du parcours de l’enfant confié et d’adapter son statut sur le long terme. Ainsi, elle renforce les possibilités d’utilisation du retrait de l’autorité parentale et de la déclaration judiciaire de délaissement (qui remplace la déclaration judiciaire d’abandon).

Mots clés :protection de l’enfance, évaluation, besoins fondamentaux, stabilité, statuts

Abstract.The law of March 2016, amending that of March 2007, puts the child at the heart of the device. The purpose of the evaluation, at all stages of the intervention, is to assess the danger or risk of danger with regard to the basic needs of the child specified in the law.

This evaluation must be done by a multidisciplinary team, concern all the siblings and meet deadlines according to the age. The concept of serious and immediate danger, referring to the notion of abuse, involves a direct referral to the judicial authority. The health of the child as a whole is taken into account and forces the departments to appoint a referral doctor in child protection. This law insists on the importance of ensuring consistency, continuity and stability of the course of the child entrusted and to adapt its status in the long term. Thus, it increases the possibility to use the withdrawal of parental authority and the judicial declaration of leaving (witch replace the judicial declaration of the manifest lack of interest of the parents).

Key words:child protection, assesment, basic needs, stability, status

Introduction

Presque neuf ans jour pour jour après la loi du 5 mars 2007, un nouveau texte législatif, la loi n 2016-297 du 14 mars 2016, donne une perspective renouvelée à la pro- tection de l’enfant en France. Si la réforme de 2007 a pu, à certains égards, apparaître comme relative- ment institutionnelle [1], celle de 2016 place l’enfant au cœur du dis- positif. Comme en 2007, cette loi, discutée sur une proposition de deux sénatrices auteures d’un rapport de la commission des affaires sociales [2], a été précédée en 2014 de la publi- cation de plusieurs autres travaux qui l’ont en partie inspiré. En février

2014, une commission réunie à la demande de la ministre de la famille sous la présidence d’Adeline Goutte- noire, professeure de droit, formule 40 propositions de modifications en grande partie législatives visant à

« sécuriser le parcours des enfants dont le besoin essentiel est la stabilité dans le cadre d’un accueil qui cor- responde à leur intérêt»[3]. En juin de la même année, le rapport de mis- sion rédigé par Alain Grevot pour le compte du défenseur des droits sur la situation de Marina Sabatier décédée en 2009 [4] rend compte de diverses failles et défaillances contextuelles et de faiblesses structurelles dans le système de protection franc¸ais.

Entre 2007 et 2016, la recherche en

doi:10.1684/mtp.2018.0700

m t p

Tirés à part : A. Oui

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protection de l’enfance s’est également développée, béné- ficiant en particulier du soutien apporté par l’Observatoire National de Protection de l’Enfance et son conseil scienti- fique. Ces travaux ont permis d’améliorer la connaissance des populations concernées et des interventions, et de repérer des insuffisances sur des questions comme l’accès à l’autonomie des jeunes sortant de la protection de l’enfance, la prise en compte de l’effet des violences conjugales sur les enfants ou encore la santé des enfants en protection de l’enfance.

Parmi l’ensemble des publications paraissant sur la protection de l’enfance, émerge aussi à cette période une nouvelle catégorie d’ouvrages écrits par des adultes ayant été pris en charge pendant leur enfance, qui témoignent de leurs parcours en vue de faire évoluer l’organisation et le fonctionnement du système. Certains de ces livres mettent en évidence la difficulté à identifier les maltrai- tances envers les enfants, qu’elles soient intrafamiliales [5] ou institutionnelles [6] ; mais ils font également res- sortir le rôle majeur de protection que peuvent jouer des adultes attentifs et informés auprès d’enfants subissant des violences dans leur milieu de vie.

Comme en 2007, la réforme de 2016 s’est accom- pagnée, sous l’impulsion de la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, d’une importante consultation de l’ensemble des acteurs de la protec- tion de l’enfance, incluant cette fois la participation de jeunes adultes récemment sortis des dispositifs de protection.

On présentera ici quelques axes principaux de la loi de 2016, qui a été complétée à ce jour par 13 décrets d’application. Pour une présentation de l’ensemble des dispositions de la loi, les lecteurs pourront se reporter à la note d’actualité de l’ONPE de mars 2016 [7]. Cette nouvelle réforme met l’accent sur la prise en compte en protection de l’enfance des besoins de l’enfant. Elle confirme le rôle central de l’évaluation pour la qualité des interventions. Enfin elle vise, par différentes mesures, à sécuriser le parcours des enfants en protection de l’enfance.

Une approche centrée sur les besoins de l’enfant

Dans le corpus juridique de la protection de l’enfance, la loi du 5 mars 2007 avait déjà introduit les concepts phares de la convention internationale des droits de l’enfant à travers l’article L112-4 du code de l’action sociale et des familles (CASF) qui stipule que «L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamen- taux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant.»La loi du 14 mars 2016 va plus loin, en révi-

sant entièrement la définition de la protection de l’enfance retenue en 2007 et en en donnant une nouvelle formula- tion centrée sur l’enfant. Selon l’article L112-3 du CASF modifié par l’article 1 de la loi précitée, «la protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits». L’enfant apparait donc au centre de l’intervention, il en est clairement désigné comme le sujet. Garantir ses besoins fondamentaux devient donc une des visées de la politique de protection de l’enfance. Il s’agit d’aider l’enfant protégé à bien grandir : ainsi, ce qui est attendu des parents le devient également du dispositif de protection de l’enfance, ce qui prend particulièrement sens pour les enfants bénéficiant d’une mesure de sup- pléance parentale de longue durée sous la responsabilité des services.

L’accent est mis sur la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant dans les différentes étapes du processus de protection. Ainsi l’évaluation d’une infor- mation préoccupante par les services départementaux a pour objet«d’apprécier le danger ou le risque de danger au regard des besoins fondamentaux [. . .] du mineur»et doit«prendre en compte l’avis des titulaires de l’autorité parentale sur les besoins du mineur »(art. D226-2-3 du CASF). Par ailleurs, la loi de 2016 redéfinit un outil déjà prévu en 2007, le projet pour l’enfant, comme support pour accompagner le mineur tout au long de son parcours de protection. Dans sa version initiale, ce projet avait trois finalités : individualiser la prise en charge pour un enfant, impliquer ses parents, et assurer la cohérence/continuité de sa prise en charge. Le nouvel article L223-1-1 du CASF le repositionne dans une perspective première qui est de garantir le développement de l’enfant dans ses différentes dimensions. Prévu pour accompagner le mineur tout au long de son parcours, le projet pour l’enfant est le docu- ment socle de tous les autres supports de la prise en charge.

Élaboré à l’issue de l’évaluation dès lors qu’est décidée l’attribution d’une prestation ou d’une mesure de pro- tection, ce projet doit prendre en compte « les besoins fondamentaux de l’enfant, sur les plans physique, psy- chique, affectif, intellectuel et social, au regard notamment de son âge, de sa situation personnelle, de son envi- ronnement et de son histoire » (art D223-12 du CASF).

Il doit ensuite être régulièrement adapté en fonction de l’évolution des besoins de l’enfant, à partir des rapports de suivi.

Afin d’avancer sur la concrétisation de cette nou- velle perspective, a été lancée après le vote de la loi une démarche nationale de consensus sur les besoins de l’enfant, dont le rapport a été rendu le 28 février 2017 [8]. L’objectif était d’identifier des besoins communs et universels reconnus fondamentaux, dans le sens où leur satisfaction permet la construction du sujet dans la

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plénitude de ses potentialités, du respect de ses droits et au service de son développement et de son accès à l’autonomie et à la socialisation. Trois premiers besoins – les besoins physiologiques et de santé, le besoin de pro- tection et le besoin affectif et relationnel – constituent ce que les auteurs du rapport qualifient de«méta-besoin de sécurité ». Un besoin particulier est dit« méta-besoin» dès lors«qu’il englobe la plupart (sinon l’ensemble) des autres besoins fondamentaux que peut avoir un enfant au cours de son développement. La satisfaction de ces der- niers ne pouvant être atteinte que dans le contexte de la satisfaction suffisante du premier»[9]. En considérant que tout enfant, pour grandir,«s’individuer»et s’ouvrir au monde, a besoin d’une base de sécurité interne suf- fisante pour explorer et acquérir des habiletés favorables à son autonomie et à sa socialisation, les experts réunis pour la conférence ont postulé que le méta-besoin des besoins fondamentaux universels de l’enfant en protection de l’enfance est le besoin de sécurité, besoin nécessaire tout au long de la vie.

À ces trois besoins s’en ajoutent quatre autres : le besoin d’expériences et d’exploration du monde, le besoin d’un cadre de règles et de limites, le besoin d’estime de soi et de valorisation de soi, le besoin d’identité. Les experts ont également identifié des besoins spécifiques en protection de l’enfance : ceci provient, d’une part, des effets sur le développement de l’enfant d’un parcours de vie antérieur d’expositions adverses (violences phy- siques, psychologiques, sexuelles, négligences, violences conjugales, troubles de la relation parent-enfant. . .), géné- ratrices d’une exacerbation des besoins fondamentaux et de besoins de compensation et, d’autre part, des effets de la rupture, de la séparation, du placement et du parcours de prise en charge en protection de l’enfance. Enfin, des mineurs en situation de handicap et bénéficiaires d’une mesure de protection ont des besoins particuliers.

À partir de cette démarche, les sept besoins fonda- mentaux peuvent constituer une référence incontournable et socialement partagée, non seulement par les respon- sables politiques et les professionnels, mais aussi avec les parents ; à l’instar de l’approche adoptée dans plusieurs pays occidentaux comme le Royaume-Uni, le Québec, l’Italie [10], ces besoins fondamentaux de l’enfant peuvent devenir un support d’échange entre les professionnels et les parents pour rechercher ensemble les actions à mener en vue d’assurer la protection de l’enfant.

Une confirmation du rôle central de l’évaluation pour la qualité des interventions

En posant comme un droit des familles l’obligation d’une évaluation préalable de la situation familiale avant toute intervention de protection et en définissant les

trois champs sur lesquels porte cette évaluation (l’état de l’enfant, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement, art. L223-1 du CASF), la loi du 5 mars 2007 a fondé le caractère cen- tral de l’évaluation en protection de l’enfance. La même loi a également fixé le principe d’une évaluation pluridis- ciplinaire annuelle de la situation de tout enfant accueilli en protection de l’enfance ou faisant l’objet d’une mesure éducative (art. L223-5). L’évaluation de la situation est centrale car elle permet d’établir la nécessité de porter atteinte au droit à la vie privée des familles pour assu- rer le droit de l’enfant à être protégé, conformément aux exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts Olsson contre Suède 1988 et Kuzner contre Allemagne 2002).

L’évaluation doit aussi déboucher sur l’indication de l’intervention la plus adaptée au regard des difficultés de l’enfant et du respect du caractère progressif de la pro- tection de l’enfance. Selon le droit franc¸ais, la protection de l’enfant relève en effet de trois sphères progressives.

La première sphère de protection d’un enfant revient à ses parents qui disposent de l’autorité parentale pour le

«protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité et pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne »(art. 371-1 du Code civil). La deuxième sphère est la protection administrative, mise en œuvre par le président du conseil départemental et ses services, et qui repose sur l’accord des parents : un accord qui doit porter sur l’identification des difficultés de l’enfant, les solutions proposées, les modalités de leur mise en œuvre et les délais d’intervention. Enfin, la troi- sième sphère est la protection judiciaire qui introduit la dimension de contrainte, la décision du juge s’imposant aux parents même si le juge des enfants doit rechercher leur adhésion. Conformément aux mécanismes de subsi- diarité de l’article L226-4 du CASF, le Parquet doit être saisi par le département dans trois cas de figure prévus par la loi du 5 mars 2007 pour les situations d’enfants en dan- ger connues du département : lorsque les actions menées par les services sociaux n’ont pas permis de remédier à la situation de danger, en cas d’impossibilité de collabo- ration avec la famille ou de refus de sa part, ou en cas d’impossibilité d’évaluer la situation. L’article 11 de la loi du 14 mars 2016 y ajoute un quatrième cas de figure, les situations de danger grave et immédiat, notamment les situations de maltraitance, dès lors que le développe- ment physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant est gravement compromis.

Ce principe de progressivité se retrouve dans les quatre seuils d’intervention du dispositif de protection de l’enfance distingués selon la nouvelle définition de cette politique publique qui comprend«des actions de préven- tion en faveur de l’enfant et de ses parents, l’organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant ainsi que les décisions

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administratives et judiciaires prises pour sa protection » (art.1 de la loi du 14 mars 2016 modifiant l’article L112-3 du CASF).

Au regard des enjeux de l’évaluation en protection de l’enfance, la loi du 14 mars 2016 complète son cadre d’organisation, dans la perspective d’une plus grande rigueur des pratiques professionnelles. Les précisions portent sur les personnes chargées de cette évaluation, désormais réalisée par«une équipe pluridisciplinaire de professionnels identifiés et formés à cet effet»et sur le fait qu’«à cette occasion, la situation des autres mineurs pré- sents au domicile est également évaluée»(art. L226-3 du CASF modifié par l’art. 9 de la loi de 2016). Par ailleurs, dans le cadre de la préparation du projet pour l’enfant, l’accent est mis sur la nécessaire prise en compte de la santé de l’enfant dont plusieurs travaux de recherche ont montré qu’elle était insuffisante [11, 12]. Une évaluation médicale et psychologique de l’enfant doit être effectuée pour détecter ses besoins de soins et les intégrer dans son projet (art. 21 de la loi du 14 mars 2016 modifiant l’article L223-1 du CASF).

Ajoutons à ces dispositions une nouvelle obligation pour les départements, celle de désigner, au sein d’un des services, un médecin référent«protection de l’enfance», chargé«d’organiser les modalités de travail régulier et les coordinations nécessaires entre les services départemen- taux et la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, d’une part, et les méde- cins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire du département, d’autre part » (art. L221-2 du CASF modifié par l’article 7 de la loi de 2016). Si la cel- lule de recueil des informations préoccupante instituée dans chaque département par la loi du 5 mars 2007 n’a de fait, dans la plupart des départements, pas la responsa- bilité de mener directement les évaluations des situations familiales, ses missions de recueil, de regroupement et de tri des informations préoccupantes ainsi que de suivi de leur traitement en font un espace essentiel pour le repérage et l’engagement de la prise en compte d’une situation d’enfant en risque ou en danger. La présence d’une compétence médicale dans ce lieu est donc indis- pensable, comme le recommandait l’ONPE dès 2008 [13].

Outre ces dispositions légales, le décret n2016-1476 du 28 octobre 2016 apporte des compléments sur les conditions de mise en œuvre de l’évaluation des situa- tions. Ce texte fixe à trois mois le délai de réalisation d’une évaluation d’information préoccupante, ce délai pouvant être réduit en fonction de la nature du danger et de l’âge du mineur, notamment s’il a moins de deux ans (art. D226-2- 4 II du CASF). Dans le rappel des finalités de l’évaluation et des points sur lesquels elle doit porter, le texte insiste sur la nécessité d’une « caractérisation » du danger ou du risque de danger encouru par l’enfant (art. D226-2-3 III du CASF). Une recherche menée en 2013 sur 75 dos- siers d’évaluation de situation de maltraitances a constaté

que«si les rapports d’évaluation rassemblent les éléments d’information et d’observation des situations, ils ne per- mettent pas d’identifier ni de classer clairement la nature et le degré de la maltraitance faute de sa caractérisation» [14]. Ce constat a amené les chercheurs à interroger la qualité de l’expertise évaluative menée et ses ressources en termes de clinique et d’outils propres à la protection de l’enfance. À la suite de ces résultats, le décret précité pré- voit que les professionnels chargés de l’évaluation d’une information préoccupante doivent disposer de formations et connaissances sur«le développement et les besoins fon- damentaux de l’enfant en fonction de son âge, la fonction parentale et les situations familiales », « les conséquen- ces des carences, négligences et maltraitances », « les méthodes d’évaluation des situations individuelles», qu’ils doivent s’appuyer sur des outils et cadres de référence définis et partagés au sein du conseil départemental et au niveau national, et que leurs connaissances doivent être actualisées (art. D226-2-5 II du CASF).

La recherche précitée a également observé, dans près d’un quart des dossiers étudiés, un phénomène qualifié

«d’informations préoccupantes récurrentes»sur des situa- tions où des interventions et mesures sont proposées à l’issue de plusieurs alertes, et seulement lorsque la durée d’exposition aux négligences a produit ses effets délétères, avec notamment un retard du développement, des défi- cits cognitifs ou des signes dépressifs. Cette observation a conduit les chercheurs à poser l’hypothèse d’un proces- sus de production du handicap lié à un retard de prise en charge d’enfants en protection. Le décret du 28 octobre 2016 tire enseignement de ce travail en demandant que soient prises en compte dans l’évaluation d’une situation les éventuelles informations préoccupantes rec¸ues anté- rieurement.

En matière d’évaluation, l’évolution juridique liée à la loi de 2016 vise ainsi, à travers les différents aména- gements évoqués, à disposer de références partagées ainsi qu’à harmoniser et à fiabiliser les résultats des évaluations.

Sécuriser le parcours des enfants en protection de l’enfance

L’article 12 de la loi du 14 mars 2016 élargit les mis- sions de l’aide sociale à l’enfance, qui se trouve désormais chargé de veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme (art. 12). Par là le législateur tient compte des acquis de la connaissance dans le champ de la protection de l’enfance, la stabilité étant présentée de fac¸on unanime par les résul- tats de recherche et les observations cliniques comme favorable au développement de l’enfant et facilitatrice pour la transition vers l’âge adulte [15]. Toutefois, d’autres travaux, à l’étranger en particulier, ont également montré

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les difficultés récurrentes des institutions de protection à assurer cette stabilité [16].

Pour ce qui est de la situation franc¸aise, le rapport Gouttenoire précité a souligné la nécessité, eu égards au caractère évolutif de la protection d’un enfant dans le temps, de questionner le statut de l’enfant placé sur le long terme, afin d’adapter son projet de vie à sa situation et de favoriser son développement. La loi de 2016 contient plusieurs dispositions en vue de mieux appréhender les statuts de protection, qui se caractérisent par la pluralité des acteurs pouvant les mobiliser. Un des enjeux est de fluidifier les articulations entre ces acteurs, pour éviter que des enfants ne restent de fac¸on durable dans des situations intermédiaires insécurisantes.

Ainsi, au-delà d’un certain délai de prise en charge (délai fixé par le décret n 2016-1638 du 30 novembre 2016) dans le régime de l’assistance éducative dont le rapport Gouttenoire a rappelé le caractère«par essence temporaire», le passage à un statut plus pérenne permet- tant une meilleure continuité de vie doit être envisagé.

Pour cela, dans ces situations, d’une part, obligation est faite à l’aide sociale à l’enfance, en tant que service gardien de l’enfant, d’examiner l’opportunité de mettre en œuvre d’autres mesures que l’assistance éducative et d’en informer le juge des enfants qui suit le placement, en lui présentant les raisons qui amènent à retenir ou à exclure les mesures envisageables (art. 29 de la loi de 2016 créant l’article L227-2-1 du CASF). D’autre part, la compétence est donnée au Parquet pour saisir le juge aux affaires familiales, le cas échéant sur transmission du dos- sier d’assistance éducative ou sur avis du juge des enfants, en vue de statuer sur la délégation totale ou partielle de l’autorité parentale ; en ce cas, le Parquet agit avec l’accord du tiers candidat à la délégation d’autorité paren- tale (art. 38 de la loi de 2016 complétant l’article 377 du Code civil).

Une meilleure stabilité des placements est recherchée en obligeant l’aide sociale à l’enfance à informer le juge compétent de toute modification envisagée du lieu et mode de placement d’un enfant confié depuis au moins deux ans à la même personne ou au même établissement (cette information étant systématique pour les enfants de moins de deux ans, et ne s’appliquant pas en cas d’urgence ou si l’enfant âgé de plus de deux ans est confié à une même personne ou un même établissement depuis moins de deux ans) (art. 27 de la loi de 2016 complétant l’article L223-3 du CASF).

Deux cadres juridiques de remise en question de l’autorité parentale, le retrait d’autorité parentale et la déclaration judiciaire de délaissement parental, sont ren- forcés et évoluent ; dans des situations où il a été gravement porté atteinte à l’intérêt des enfants, ces dispositifs ouvrent la possibilité d’admettre des enfants dans ce qui devient un véritable statut de protection, celui de pupille de l’État.

Ainsi, le retrait d’autorité parentale au civil est étendu aux cas de parents exposant leurs enfants à des agissements violents,«lorsque l’enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exer- cées par l’un des parents sur la personne de l’autre»; de plus, le service de l’ASE rec¸oit compétence pour diligenter des actions en retrait d’autorité parentale au civil (art. 25 et 41 de la loi de 2016 modifiant l’article 378-1 du Code civil). Au pénal, l’obligation de la juridiction de jugement de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale en cas de crimes ou délits commis par les parents à l’encontre d’un mineur est étendue à l’égard des frères et sœurs de la victime mineure (art. 39 de la loi de 2016 modifiant les articles 221-5-5 et 222-48-2 du Code pénal). Cette obliga- tion avait déjà été créée, à l’égard de la victime elle-même, par une loi n2014-873 du 4 août 2014.

Concernant la procédure de traitement des situations caractérisées par un«désintérêt manifeste des parents» autrefois fixée à l’article 350 du Code civil, elle fait l’objet d’une rénovation attendue depuis plusieurs années [17].

Outre son déplacement du huitième titre du Livre I du code civil consacré à la filiation adoptive vers le titre neuf du même livre relatif à l’autorité parentale, l’objet de cette procédure est modifié, traitant du «délaissement»vécu par l’enfant et non plus du«désintérêt manifeste»de ses parents (notion qui pouvait impliquer d’après la jurispru- dence une forme d’intentionnalité de leur part), avec une définition qui reste liée à l’absence de relations : le délais- sement est en effet considéré lorsque les parents n’ont pas établi avec l’enfant les relations nécessaires à son édu- cation ou à son développement pendant une année, sans qu’ils en aient été empêchés par quelque cause que ce soit.

Il est à noter que le délaissement parental pourra désor- mais être déclaré à l’endroit des deux parents ou d’un seul.

La demande en déclaration de délaissement ne doit être transmise qu’après que des mesures appropriées de sou- tien aient été proposées aux parents. Elle peut également être présentée par le Parquet, d’office ou sur proposition du juge des enfants (art. 40 de la loi de 2016).

Les perspectives d’avenir pour les enfants pris en charge comme pupilles de l’Etat sont élargies : ils doivent bénéficier d’un projet de vie défini par leurs instances de tutelles, ce projet pouvant être une adoption mais pas seulement (art. 34), comme le souhaitait un collectif de professionnels de la protection de l’enfance [18].

Pour garantir une vigilance sur le statut des enfants pris en charge, outre le suivi annuel obligatoire de la situation de l’enfant déjà évoqué, l’article 26 de la loi modifiant l’article L223-1 du CASF crée dans les services une commission ad hoc ; pluridisciplinaire et pluri- institutionnelle, cette commission est chargée d’examiner et de formuler un avis, sur la base des rapports de sui- vis, sur la situation des enfants confiés depuis plus d’un an lorsqu’il existe un risque de délaissement parental

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ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. À partir d’expériences existant dans les départements, ces commissions doivent être des leviers pour éviter que des enfants ne soient « oubliés » dans les services. La situation des enfants de moins de deux ans y est examinée tous les six mois. Les personnes les plus proches de l’enfant dans sa vie quotidienne (réfé- rent et assistant familial notamment) doivent être associées à l’examen de sa situation. Les résultats d’une première étude sur la mise en place de ces commissions dans les départements montrent une recherche d’efficience du dis- positif, dans des contextes territoriaux très hétérogènes dans leurs organisations comme dans les effectifs d’enfants confiés ; ils indiquent également que ces instances viennent réinterroger les fondamentaux de la protection de l’enfance à différents niveaux, suscitant des attentes en termes de clarification des notions et de soutien des pratiques [19].

Par différentes mesures, la loi du 14 mars 2016, tout en consolidant le réaménagement de l’architecture de la pro- tection de l’enfance engagé en 2007, opère un recentrage de ce dernier sur la personne de l’enfant et sur la prise en compte de ses besoins fondamentaux. Toutefois, la mise en œuvre effective d’une nouvelle approche ne pourra se faire sans un effort de formation de l’ensemble des acteurs concernés, tâche à laquelle les acteurs des diffé- rents niveaux de gouvernance de cette politique publique, observatoire départemental de la protection de l’enfance sur les territoires, conseil national de la protection de l’enfance au niveau du Gouvernement, se sont d’ores-et- déjà attelés.

Points à retenir

La récente loi du 14 mars 2016 place l’enfant et la prise en compte de ses besoins au coeur du dispositif de protection de l’enfance.

Elle renforce l’évaluation initiale et en cours d’intervention.

Elle insiste sur la stabilité du parcours des enfants protégés par une attention portée à leur statut juridique.

Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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Références

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