Observations sur les techniques de fabrication
de
la
céramique
(a u to u r
de
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Caroline Hamon (UMR ArScAn - Protohistoire européenne)
et Bertille Lyonnet (UMR ArScAn - Orient cunéiforme)
La culture d e M aikop couvre un immense territoire qui s'étend essentiellement sur le flanc nord du G rand C aucase depuis la mer Noire jusqu'au Terek (Fig. 1).
Longtem ps d a té e du IIIe m illénaire, il est m aintenant évident qu'elle est contem pora ine de la période d'Uruk, au cours du IVe millénaire, mais ni la d a te précise de ses débuts ni celle d e sa fin ne sont encore établis a ve c certitude,
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Fig. 1. Les régions du Caucase n o rd -o ccid e n ta l (culture d e Maikop), d e Transcaucasie e t de M ésopotam ie du Nord (culutre d'Uruk)
Des techniques de fabrication aux fonctions des céramiques
C ette culture est célèbre pour la découverte d e plusieurs tom bes très riches en objets d 'o r ou d 'a rg e n t e t d'outils de cuivre. Elle é ta it en relation ta n t a ve c le m onde des steppes au nord q u 'a v e c celui d e la M ésopotam ie au sud. Ces relations sont entre autres attestées par la présence d 'u n sceaux- cylindre, e t surtout d e très forts parallèles du point de vue d e la typologie céram ique,
C 'est surtout en raison d e ces liens a v e c le m onde m ésopotam ien que la céram ique de Maikop e t les techniques utilisées pour sa fabrication nous intéressent ici.
Le tour une invention mésopotamienne au IVe millénaire ?
En M ésopotamie, on considère généralem ent (voir J. Oates, par exem ple) que le tour a été introduit à l'é p o q u e d'Uruk, é p o q u e à la fin d e laquelle serait a p parue la roue — que b e a u co u p tiennent com m e une invention m é so p o ta m ie n n e m algré la découve rte de dessins d e chars à roues sur des céramiques du milieu du IVe millénaire en Europe du sud-est. Les vases sont considérés com m e tournés, en raison d e leur très gra n d e régularité e t d e traces de ficelle parfois sur le fond d e petits vases. L'invention du tour ferait suite à divers essais de production rapide e t d e masse co m m e celui des coba-bow ls à paroi externe grossièrement raclée apparus à la fin d e l'é p o q u e d 'O b e id e t au d é b u t d e celle d'Uruk, ou celui des bevelled -rim bowls produits par emboutissage dans un moule dès le milieu de la période d'Uruk. On ne discutera pas ici du bien-fondé ou non de c e tte proposition e t on se penchera sur un assemblage proche quoique provenant d 'u n e région « périphérique ».
La céram ique de Maikop
Deux types d e céram ique sont attribués à la culture d e Maikop. Elles sont toutes deux produites lo c a le m e n t e t la distinction entre les deux productions reste encore difficilem ent im putable à des facteurs chronologiques, régionaux ou fonctionnels.
La cé ra m iq u e « classique » (WARE A) a longtem ps é té mal d a té e . Elle a toujours été considérée par les chercheurs russes co m m e originaire de M ésopotam ie e t due à l'arrivée de migrants, qui l'au rait réalisée sur place, La figure 2a présente les principales formes fermées et ouverte de la céram ique dite d e « M aikop ». Elle se distingue nettem ent d e la céram ique locale (WARE B), par sa couleur très souvent orangée, mais aussi grise, par ses
dégraissée. Des petites fractions d e végétaux, c h a m o tte e t des grains de quartz se retrouvent néanmoins dans la céram ique classique (WARE A) (Fig. 2b).
La céram ique de type A a p paraît subitement e t disparaît rela tive m e n t rapid e m e n t. Les archéologues russes la considèrent com m e tournée en raison d e la qualité de sa fabrication et de sa régularité.
Le corpus étudié
Le m atériel « classique » (WARE A) sur lequel nous avons travaillé provient essentiellement de sites prospectés, nos fouilles n 'a y a n t livré en place, dans des fosses, que du matériel dit « local » (Ware B).
Les sites prospectés sont situés le long des berges d 'u n b a rra g e cré é artificiellem ent sur le Kouban, près d e la Ville de Krasnodar. Ces derniers o n t été détruits par les mouvements répétés de l'eau. Les tessons ont donc, eux aussi, subis une érosion, et en particulier l'e n g o b e (rouge-brun ou noir) qui recouvrait la m ajorité d 'e n tre eux a disparu pour l'essentiel. Q uelques tessons présentés dans les photos qui vont suivre proviennent d'autres sites sur le m êm e la c d e b a rra g e (Psekups, fouilles d e N. Lovpache) ou d e sites plus éloignés, localisés en a m o n t le long du Kouban (Ust' Dzheguta, fouilles de A. Nechitajlo).
Une céram ique plutôt tournée ou montée au colombin ?
S'il est certain que c e tte céram ique est très bien finie, plusieurs indices, observés uniquem ent à l'oeil nu, m ontrent qu'e lle n 'é ta it très probablem ent pas tournée. Un fa ço n n a g e à la main d e vases montés aux colombins a pu être retravaillé a vec divers instruments (racloirs, lissoirs, etc..,), pe u t être sur une tournefte, lui conférant ainsi un aspect final très régulier.
L 'a s p e c t p a rticu liè re m e n t régulier d e la céram ique d e M aikop e t ses affinités morphologiques a v e c la céram ique tournée de M ésopotam ie du nord, sont à l'origine de l'hypothèse d 'u n m ontage de ces vases au tour. Il est vrai que la p â te d e certains vases semble très régulière : l'orientation de stries parallèles curvilinéaires ou rectilinéaires transversales y contribue. Ces stries peuvent néanmoins résulter d 'u n e régularisation très soignée ou de l'em ploi d e la techniqu e d e la main mouillée (Fig. 3a). Les surfaces sont particulièrem ent bien finies e t l'on observe un traitem ent soigné d e la surface externe
C epe n d a n t, le d é ta c h e m e n t du fo n d des vases à la ficelle, qui caractérise les vases tournés de la culture d'Uruk, n'est pas attesté sur les vases de la c ulture d e M aikop. De plus, m algré l'a s p e c t hom ogèn e d e la surface exferne de la m ajorifé des vases, on observe des traces d e régularisation par un lissage peu soigné ou incom plet, au niveau de la jonction entre la panse e t le col des vases (Fig. 3b). La finition du bord des vases a p p a ra ît d o n c plutôt réalisée à la main.
Un certain nom bre d'indices viennent étayer la proposition d 'u n m o n ta g e au co lo m b in des céram iques d e la culture de M aikop :
- identification d e traces de m on ta g e de colombins,
- traces de lissage e t d'éventuels outils en céram ique e t pierre associés,
- décors ou traitements d e finition
Parmi les indices présentés ici, un certain nom bre sont d 'a u ta n t plus intéressants q u 'o n les trouve près du bord d e vases, ta n t ouverts que fermés. En général, ces parties sont pourtant celles qui sont le plus fa c ile m e n t retravaillées et, par conséquent, les plus difficiles à déterm iner lors du d é b a t fa ço n n a g e /to u rn a g e .
Façonnage de la panse
De nettes différences entre l'a s p e c t des surfaces internes e t externes s'observent sur les vases, Le travail grossier d e la panse c ô té interne contraste a v e c le travail d e la surface externe qui présente une belle finition.
Lissage ex te rn e
L'e xce lle n te finition des surfaces externes résulte d 'u n lissage soigné. Sur un vase ferm é de Beljaev (Fig. 3c), des traces obliques d e lissage s'observent sous l'e n g o b e gris. L'aspect d e c e lissage horizontal évoque plus particulièrem ent un probable travail au g a le t. Sur deux tessons du site d e Pkhagugape (Fig 3d), de probables traces verticales d e lissage apparaissent très régulièrement disposées, On p e u t m êm e évoquer une volonté double de régularisation e t d e d é co r des surfaces externes de ces vases. Plusieurs techniqu es e t instruments sem blent d o n c avoir été em ployés pour le traitem ent des surfaces externes.
R a c la g e e x te rn e
Le ra cla g e externe dém ontre le besoin de
reprendre le m o n ta g e initial des vases, sans qu'u n e réelle volonté d e finition esthétique y soit forcém ent associée. Ainsi, on p e u t observer soit un raclage vertical sur la panse externe d e vases fermés, soit sur le fond des vases ouvert d e typ e « C oba bowl ». Sur un des bols à e n g o b e noir d e Beljaev, on note des traces d e fro tta g e e t un léger ra c la g e externe m ultidirectionnel sur le fond e t la panse disposées en « arêtes de poisson ». De telles traces d e raclage se retrouvent ég a le m e n t sur le ha u t d e l'é p a u le à la jonction entre la panse e t le col.
Colom bins sur vases ouverts
Du fait d e la finesse évidente de la pâte, la jo n c tio n des colom bins n'est pas visible m acroscopiquem ent sur la tranche des tessons. La te ch n iq u e du m o n ta g e au colo m b in n 'a p p a ra ît d o n c q u 'a u travers d 'a c c id e n ts d e finition qui viennent masquer im parfaitem ent les colombins ou qui les révèlent a posteriori. Tel est, entre autres, le cas d 'u n tesson gris-noir du site de Beljaev, où des restes d e colombins sont visibles sur l'extérieur. L'a tta ch e des colombins est parfois visible sur la fa c e externe, mais pas sur la fa c e inferne (Fig. 3e). Le m on ta g e au colom bin transparaît enfin au travers de « sillons » de délimitation,
Colom bins sur vases ferm és
D'après les traces m acroscopiques visibles sur les cols des vases fermés, on rem arque que l'épaisseur des colom bins semble toujours régulière au sein d 'u n m êm e vase (Fig. 3f). Les fissures indiquent dans certains cas l'e m p la c e m e n t des colombins.
La techniqu e d e reprise d e la liaison entre colom bins a co n d u it, dans certains cas, à l'éla boration d 'u n d é c o r en ond e lissé assez fréquent, égalem en t c o m m e en Mésopotamie.
Plusieurs techniques de lissage...
L'examen à la loupe binoculaire (jusqu'à 60x) des traces d e lissage m o n tre qu e différentes techniques ou du moins différents instruments ont pu être utilisés. À c ô té d e larges sillons répétitifs, on observe parfois des groupes d e sillons peu espacés ef fins (Fig. 3g). À ces traces d e lissage, il fa u t ajouter des traces d'incisions plus ou moins volontaires, qui pourraient tém oigner de l'utilisation non pas d 'u n tour mais au moins d 'u n système d e rotation (tournette, tesson renversé,...). La m ultiplicité des techniques de lissage utilisées renvoie d o n c à des m éthodes de fa ç o n n a g e n 'in tégrant pas encore le tour.
Des techniques de fabrication aux fonctions des céramiques
. . . e t d ’instruments utilisés
Plusieurs outils en céram ique présentent un bord émoussé e t un autre plus effilé e t tranchant. Il pourrait s'agir d e racloirs, à l'instar des pièces connues en Mésopotam ie du Nord pour la m êm e période.
Dans le c a d re d 'u n e analyse tracéologiq ue m enée sur les séries en pierre issues des sites de prospection du lac de Krasnodar, il nous a été donné d 'id entifier plusieurs galets oblongs, d e form e ovoïde (Fig. 3h). L'observation à la loupe binoculaire des facettes d'utilisation sur la tranche et les extrémités de ces galets nous a orienté vers un usage sur des matières minérales semie-dures. L'aspect lustré des surfaces, l'h o m o g é n é ité d e la distribution des stigmates, e t la présence de stries évo q u e n t fort probable m ent un emploi de ces galets en ta n t que lissoir. Ils pourraient être à l'origine d e la création des sillons larges identifiés sur certaines surfaces. L'expérim entation devra néanmoins venir étayer et confirm er c e tte hypothèse fonctionnelle.
Pour une fonction des décors et des traitements de finition des surfaces ?
Plusieurs décors semblent avoir eu une double fonction d e régularisation et d e d é c o r des surfaces. Tel est le cas entre autre d 'u n d écor incisé en spirale ou oblique sur un vase d e Psekups, im itation du « reserved slip ware » d e M ésopotamie. Le d é c o r en onde lissée sur le col servirait à masquer la jonction des colom bins au niveau du col. C ette technique, qui a p p a ra ît en M ésopotam ie du Nord à la période d'Uruk, correspond ra it à la p é rio d e p ré c é d a n t l'ap parition du tour. On considère souvent que ce geste d e d é c o r dérive initialem ent d 'u n geste de lissage.
La présence d 'u n e m ince pellicule en surface des tessons bien conservés té m o ig n e ra it de l'e xiste nce d 'u n e é ta p e d e polissage sur p â te hum ide ou semie-humide. À List' Dzheguta, dans cim etière d e kourganes en a m ont du Kouban, un vase entier bien régularisé présente des traces de lissage probable m ent faites sur la p â te hum ide ; il é voque la techniqu e de la « main mouillée ».
Un eng o b e d e couleur rouge / brune sert a p p a re m m e n t à m asquer les d éfauts d e régularisation des colombins. On en retrouve des traces résiduelles sur la très grande m ajorité des vases. On observe d o n c généralem ent une c o u ch e
d e polissage préalable à l'a p p lica tio n d 'u n e couche d 'e n g o b e .
Quelques perspectives d ’étude...
À la lumière d e ces quelques indices, les techniques d e m on ta g e e t d e fa ço n n a g e des vases apparaissent très hom ogènes au sein d e la cé ra m iq u e classique d e la culture d e M aikop. Jonction des colombins, traces de lissage et de raclage, présence d e décors venant masquer plus ou moins se co n d a ire m e n t ces traces techniques plaiden t d o n c en faveur d 'u n m on ta g e de ces céram iques au colom bin. Les indices de régularité et d 'o rie n ta tio n des traces d e lissage n 'e xclu e n t c e p e n d a n t pas l'em ploi d 'u n système d e rotation lente dans certains cas, De la m êm e manière, il est possible d'envisager l'em ploi de deux techniques distinctes pour la panse, plus régulière, et le col, où les traces d e colom bin sont mieux visibles.
L'approfondissem ent d e l'é tu d e te c h n o log iq u e d e ces vases d e vra se ce n tre r sur l'articulation des multiples étapes et techniques de fa çonna ge. Ceci devrait contribuer sensiblement à la compréhension des dynam iques relationnelles entre la M ésopotam ie du Nord et le C aucase du nord au IVe millénaire.
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Fig. 2. C éram ique d e M aikop (WARE A)
a. Typologie des formes d e la céram ique « classique » de M aikop ; b. dégraissants céram ique (végétal, quartz, c h a m o tte )
Céramique de Maikop
(WARE A)
Des techniques de fabrication aux fonctions des céramiques
Fig. 3. Indices techniques d'un m o n ta g e au coiom bin a. Ust'dzheguta traces régulières fa c e externe ; b. Pkhagugape, fa ço n n a g e interne irrégulier; c. Beljaev, lissage au g a le t; d. Pkhagugape lissage vertical / d é c o r ;
e. Beljaev, restes d e coiom bin visibles sur l'extérieur ; t. Beljaev, a tta c h e d e coiom bin visible ; g. empreintes d e lissage x5 ; h. Gorodskoy, c a b a n e 7, lissoir cé ra m iq u e 7