René-Guy Cadou et Marc Chagall dialogue artistique
Diaporama réalisé par Hélène CARRE, Formatrice Lettres-philosophie, ENSFEA - 2020
L’idée de ce diaporama est de permettre aux élèves de découvrir 2 univers artistiques que l’on a rapprochés.
Ce diaporama peut permettre d’aborder des points comme : Pourquoi a-t-on mis en parallèles ces deux artistes ?
Quels sont les thèmes abordés par chacun ? Quelles sont les ressemblances et les différences ? C’est là une entrée dans l’univers de Cadou et une façon de montrer qu’il existe d’autres formes d’expression pour les mêmes thèmes.
Il peut vous donner l’idée de présenter d’autres écrivains
Le rythme des diapositives est assez lent, il peut être accéléré par un simple clic ou vous
pouvez le modifier dans les paramètres.
La poésie fusion des arts ?
Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui Que chaque nœud du bois renferme davantage
De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt II suffit qu'une lampe pose son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle verni Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles
Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu'une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes La légèreté d'un arbre dans le matin.
René-Guy Cadou, Hélène ou le règne végétal, Seghers, 1981
• Marc Chagall
« Je serai chanteur », « je serai danseur »
Marc Chagall, David à la mandoline, 1914, Huile sur papier
marouflé sur carton, 50 x 37 cm, Collection particulière
Marc Chagall, Au-dessus de Vitebsk. Huile sur carton montée sur toile, 1914
René-Guy Cadou
Au-devant de la toile
Il y a tant de mains qui se pressent, Tant de beautés qui se confessent Qu’on ne sait plus
Mais on voit bien Fenêtre ouverte,
La lueur mauvaise du destin.
R G Cadou, « Peinture », Poèmes inédits; octobre 1947
Hélène
Je t'atteindrai Hélène À travers les prairies
À travers les matins de gel et de lumière Sous la peau des vergers
Dans la cage de pierre Où ton épaule fait son nid
Tu es de tous les jours L'inquiète la dormante Sur mes yeux
Tes deux mains sont des barques errantes À ce front transparent
On reconnaît l'été
Et lorsqu'il me suffit de savoir ton passé Les herbes les gibiers les fleuves me répondent
Sans t'avoir jamais vue Je t'appelais déjà
Chaque feuille en tombant Me rappelait ton pas
La vague qui s'ouvrait Recréait ton visage Et tu étais l'auberge Aux portes des villages
René-Guy Cadou, « Hélène », La vie rêvée, 1944
Marc Chagall, Les mariés de la Tour Eiffel, 1938
Marc et Bella Chagall
René-Guy et Hélène Cadou
La Guerre, Chagall, 1943, 106 X 76
LETTRE A DES AMIS PERDUS
Vous étiez là je vous tenais
Comme un miroir entre mes mains La vague et le soleil de juin
Ont englouti votre visage
Chaque jour je vous ai écrit Je vous ai fait porter mes pages Par des ramiers par des enfants Mais aucun d’eux n’est revenu Je continue à vous écrire
Tout le mois d’août s’est bien passé Malgré les obus et les roses
Et j’ai traduit diverses choses En langue bleue que vous savez
Maintenant j’ai peur de l’automne Et des soirées d’hiver sans vous Viendrez-vous pas au rendez-vous Que cet ami perdu vous donne En son pays du temps des loups
Venez donc car je vous appelle Avec tous les mots d’autrefois Sous mon épaule il fait bien froid Et j’ai des trous noirs dans les ailes.
René-Guy Cadou, « Lettre à des amis perdus », Pleine
poitrine, 1946
Le mort - par Marc Chagall 1924
La nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois J'entends je marche au bord du trou
J'entends gronder
Ce sont les pierres qui se détachent des années La nuit nul ne prend garde
C'est tout un pan de l'avenir qui se lézarde Et rien ne vivra plus en moi
Comme un moulin qui tourne à vide L'éternité
De grandes belles filles qui ne sont pas nées Se donneront pour rien dans les bois
Des hommes que je ne connaîtrai jamais Battront les cartes sous la lampe un soir de gel Qu'est-ce que j'aurai gagné à être éternel ? Les lunes et les siècles passeront
Un million d'années ce n'est rien
Mais ne plus avoir ce tremblement de la main Qui se dispose à cueillir des œufs dans la haie
Plus d'envie plus d'orgueil tout l'être satisfait Et toujours la même heure imbécile à la montre Plus de départs à jeun pour d'obscures rencontres Je me dresse comme un ressort tout neuf dans mon lit Je suis debout dans la nuit noire et je m'agrippe
À des lampions à des fantômes pas solides Où la lucarne ? Je veux fuir ! Où l'écoutille ? Et je m'attache à cette étoile qui scintille Comme un silex en pointe dans le flanc Ivrogne de la vie qui conjugue au présent Le liseron du jour et le fer de la grille.
René-Guy Cadou, « La Nuit surtout, », Le diable et son train, 1947-1948
Chambre de la douleur
La porte est bien fermée
Une goutte de sang reste encor sur la clé
Tu n’es plus là mon père
Tu n’es pas revenu de ce côté-ci de la terre Depuis quatre ans
Et dans la chambre je t’attends
Pour remmailler les filets bleus de la lumière
La première année j’eus bien froid Bien du mal à porter la croix
Et j’usai mes belles mains blanches A raboter mes propres planches Déjà prêt à partir sans toi
Puis ce fut le printemps la pâque Je te trouvai au fond de chaque Sillon dans chaque grain de blé Et dans la fleur ouverte aux flaques Impitoyables de l’été
Jamais plus les oiseaux n’entreront dans la chambre
Ni le feu
Ni l’épaule admirable du soir
Et l’amour sera fait d’autres mains D’autres lampes
O mon père
Afin que nous puissions nous voir.
René-Guy Cadou, « Hélène ou le règne végétal, 1951
Marc Chagall, Autour d’Elle, 1945, Beaubourg centre Georges Pompidou
Les fusillés de Chateaubriant
Ils sont appuyés contre le cielIls sont une trentaine appuyés contre le ciel Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandations à se faire Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent Ils sont bien au-dessus de ces hommes Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre Parce que le vent est passé là ils chantent Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas Le bruit énorme des paroles Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple Puisque toute liberté se survit
René-Guy Cadou, « Les fusillés de Chateaubriant » Pleine poitrine, 1946