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Drôlerie et noblesse : l'esthétique et l'éthique du corps des aristocrates à l'épreuve des dramaturgies comiques et tragi-comiques du XVIIe siècle français

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des aristocrates à l’épreuve des dramaturgies comiques et tragi-comiques du XVIIe siècle français

Anissa Jaziri

To cite this version:

Anissa Jaziri. Drôlerie et noblesse : l’esthétique et l’éthique du corps des aristocrates à l’épreuve des dramaturgies comiques et tragi-comiques du XVIIe siècle français. Littératures. Université de Nanterre - Paris X, 2019. Français. �NNT : 2019PA100004�. �tel-02426259�

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Sommaire

INTRODUCTION 10

A- L’ESTHETIQUE DU CORPS DES ARISTOCRATES : VERS LA DISCRETION DE L’ECLAT 21

I- LA BEAUTE PHYSIQUE DES PERSONNAGES DE NOBLES : DE LA CHAIR A LESPRIT 21

1- L’idéal du corps féminin 22

a- Le teint 24

- Le culte de la blancheur 24

- Le rose et le blanc : pour un teint éclatant 32

Neige, lis et roses Métaphores de l’éclat : lumière, jour, aurore --- L’éclat du teint --- L’éclat par les cheveux, les yeux et les lèvres --- L’éclat de la bouche - La beauté noire 45

b- La beauté dématérialisée 49

- Une beauté peu charnelle 49

- La beauté divinisée 54

c- Les yeux : pouvoir de fascination 59

d- Grâce, beauté intangible et exercices du corps 65

- Une grâce développée par la danse 66

- Une grâce développée par le chant 70

- Une grâce portée par la voix parlée 73

e- Des qualités d’esprit qui font « corps avec le corps » 75

- Belle de corps, donc belle d’esprit 75

- L’honneur féminin : un honneur du corps 86

L’honneur : une question d’être ou de paraître ? « Envelopper les ordures » - La femme valorisée par l’esprit 103

2- L’idéal du corps masculin 111

a- L’homme séducteur et raffiné 113

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- Costume élégant, corps « propre » 113

- La beauté du corps en soi 123

La beauté par les cheveux, le teint, les yeux Les qualités requises du teint Les yeux et les « charmes » Les proportions idéales b- Noblesse du corps, noblesse de l’âme 131

- Beauté et bonté : une alliance naturelle fondée sur une théorie 133

- Courage guerrier et virilité de l’homme délicat 144

c- L’évolution de l’idéal masculin : vers l’honnête homme de courage 151

- Éloquence et retenue : maîtrise du corps, maîtrise du langage 152

- Musique, danse et chant sur scène : du guerrier viril au noble raffiné 166

II- DES PRESTIGIEUSES PARTICULARITES PHYSIQUES DES ROIS A LEUR HUMANISATION 175

1- L’idéalisation de l’aspect du souverain ; le maintien d’une tradition 176

a- Rois et reines tragi-comiques : une forme particulière de beauté 177

b- La maîtrise des pulsions physiques : une caractéristique royale 182

2- Au-delà de la corporéité, l’essence divine du roi 185

a- Effets de la divinité royale sur gestes et paroles des sujets 188

b- Représenter le roi sur scène 192

3- Vers une humanisation des souverains 193

a- Rois et reines amoureux 193

b- Rois et reines intempérants : la surprise des comédies 197

- Reines et rois affaiblis 208

- Impulsions, colère et tyrannie 211

B- LES JEUX DE DEGUISEMENT : EFFETS ET FINALITES 218

I- DU RAYONNEMENT ARISTOCRATIQUE SOUS LES DEGUISEMENTS 218

1- Travestissements des maîtres 219

a- Le maître en subalterne 221

- Déguisement des princes, des rois et des reines : les vertus de Protée 222

- Déguisements des aristocrates en roturiers : paradoxes d’une noblesse Joueuse 226

b- Dissemblance des physiques aristocratiques et roturiers 228

2- Roturiers en habits de Grands : la mise en valeur du corps des nobles 242

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a- Déguisements par obéissance : les valets en maîtres 243

- Impossibilité physique des roturiers de passer pour des nobles 243

- L’absence de maîtrise des émotions et des appétits 248

b-Déguisements volontaires : conflits entre nature et culture 256

- Greffer la noblesse par vêtements et éducation ? 256

- Programmation de l’échec des greffes de la noblesse 262

II- EFFETS ESTHETIQUES ET SEDUCTEURS DES DEGUISEMENTS 266

1- Variété des masques : masques naturels, masques fabriqués 267

2- Se masquer sans masque 269

a- Avantages paradoxaux de la nuit pour l’action théâtrale 269

- La nuit favorable à l’incognito 270

- Les mystères de la nuit appréciés des seuls nobles 271

- La nuit, arme de séduction 274

- La nuit et les jeux de l’adultère 278

b- L’usurpation d’un corps et d’une identité 282

3- L’occultation du corps grâce aux accessoires 285

a- Corps caché, corps désiré : le pouvoir séducteur des écrans 286

- L’occultation du visage : masque, voile et coiffe 286

- Corps imaginés derrière leurs masques : créatures idéales et démoniaques 298

- Le déguisement de l’identité par l’habit 301

- Les portraits-masques 304

b- Le travestissement en homme : effets de trouble séduction 308

III-VERS LA DYNAMIQUE EPANOUISSANTE ET LIBERATOIRE DES DEGUISEMENTS FEMININS 316

1- Du vestitus à l’habitus ; spécificités du costume féminin 317

2- L’infériorité physique des femmes responsable de leur infériorité mentale 319

a- Les théories de la femme 319

- Formation du corps et des humeurs : imperfections de la créature froide 320

- Faiblesse physique, faiblesse morale de la femme 325

Une faiblesse morale liée à la constitution physique Corps de femme, corps de sorcière b- De l’inégalité physique à l’inégalité intellectuelle de deux sexes 334

- Effets différenciés du savoir sur les corps masculins et féminins 334

- Implications physiques de l’éducation féminine 336

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c- L’image spécifique de la veuve : l’obligation d’enfermement 340

- Réclusion sociale et austérité du vêtement 340

- Corps pur, corps souillé 341

d- Des voix discordantes : pour une autre conception de la femme 343

- La voix de Poullain de La Barre 344

- Des personnages de veuves libres 346

3- Les images vivantes de l’infériorité féminine dans la noblesse 347

a- Compatibilité de la faiblesse féminine avec les dramaturgies aristocratiques 348 - Incarnations théâtrales de « l’imbécillité » féminine 348

- La nature volage et infidèle de la femme incriminée sur scène 353

b- Contraindre la femme : un sujet dramatique récurrent 356

- Les contraintes imposées aux veuves 357

- Se prémunir contre les jeunes filles dangereuses 359

c- Corps féminins à vendre 362

- La jeune fille chosifiée 363

- La femme sans voix 370

d- Le théâtre dynamisé par l’aspiration féminine à la liberté 372

4- La visée libératrice des déguisements féminins 376

a- La femme entre l’honneur et la jalousie familiale 376

- Impatiences de la femme recluse pour l’honneur : beaux sujets pour le théâtre 377 - Dramaturgies de la jalousie : de l’emprisonnement aux échappatoires 379

b- Le masque ou l’abri du corps 385

- Déguisements et assomption de la liberté 385

- Se masquer en dissimulant 395

- Le travestissement en homme et ses enjeux 399

C- PRESENCE DE FIGURES INESTHETIQUES : ENTRE LE GRAVE ET LE PLAISANT 416

I- IMPERFECTIONS ET DEGRADATION DU CORPS 417

1- De rares exemples de laideur masculine 418

2- Incertitudes sur la beauté féminine 420

a- Une beauté féminine toute relative 420

b- La beauté éclipsée 423

- L’ombre portée par une autre beauté 423

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- La ternissure par la pauvreté 425

c- La laideur imaginaire 428

3- Risques de dépérissement de la beauté 431

a- La perte des « belles couleurs » 432

b- La perte des appas 434

II- PEUT-ON RIRE DU PHYSIQUE DES HONNETES GENS ? 435

1- Le comique problématique de la vieillesse 435

a- La vieillesse féminine sur scène : du comique discret au burlesque 436

- Discours sur la vieillesse féminine 436

- Le comique grinçant du spectre de la vieillesse 442

- Peur de la vieillesse ; de la stratégie d’éloignement à la présence rassurante 444

- Parure et maquillage comme antidotes contre la vieillesse 447

Des critiques du maquillage proportionnelles à l’âge de la femme Légitimité et créativité du maquillage à tous âges b- La vieille noble: personnage central et burlesque 455

2- Déchéance des forces masculines : du grave au comique 463

a. Un aspect tragique de la tragi-comédie 463

b. Les vieillards ridiculisés dans la comédie 466

3- Drôlerie de la gestuelle et des mimiques : des nobles de cour aux nobles de campagne 470

a- Entre naïveté et sophistication des gestes 470

b- Procédés de farce en milieu noble 477

III-L’ALIENATION DU CORPS PAR LES PASSIONS DE LAME 485

1 La colère avilissante 488

a- Gestes roturiers de la colère 488

b- Gestes de colère chez les nobles 489

- Colère et orgueil 489

- Colère et sens de l’honneur familial 493

- Colères d’amour 495

2- Déformations du corps sous l’effet des passions 500

a- Les effets incoercibles de la colère sur le visage 500

b- Les effets physiques de la folie 505

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c- Étranges effets déformants de la jalousie et de la haine 512

D- LA PROBLEMATIQUE INCARNATION DES NOBLES : LES DIRE, LES REPRESENTER 516

I- INCITATIONS TEXTUELLES A OBSERVER LE CORPS 516

1- Forces de la gestuelle : l’apport spécifique de la scène 517

2- Faire lire les passions sur le corps pour enrichir l’analyse 525

a- Le regard, miroir de l’âme 522

- Affirmation d’une communication par le regard 524

- Lire les yeux : la recherche de sentiments cachés 527

b- Du marquage diversifié des émotions à leur déchiffrage 530

- Lire l’intime sur le visage : diversité des rougeurs 532

- Lire l’intime sur le visage : diversité des pâleurs 539

La pâleur comme signe d’amour La pâleur : un signe alarmant (la douleur, la mort) II- CORPS DECRIT, CORPS REPRESENTE : COHERENCES ET CONTRADICTIONS 545

1- Faire voir par une présence physique la variété des émotions 546

a- L’art précis d’épouser les passions 547

- Par la voix 548

- Par les expressions du visage 554

Les yeux et les pleurs La bouche - Par des mains expressives 564

b- Tirer du texte la mise en corps des émotions 567

2- Les performances physiques des acteurs sur la scène 572

a- Le travail de l’acteur 572

- Le contrôle des mouvements et positions du corps 574

- L’importance du jeu et du physique de l’acteur dans le succès des pièces 582

b- Jouer le texte : une impossible gageure ? 597

- Difficultés d’une représentation fidèle à la lettre du texte 597

- La délicate représentation des personnages redoublés ou dédoublés 601

- Vieillesse et défauts physiques des comédiens 605

Vieux interprètes pour rôles jeunes

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Métamorphoses scéniques de la laideur

- L’art de se jouer des contraintes scéniques : l’exemple du chant 609

3- Plutôt dire le corps ? 611

a- Laisser intacte sur scène la beauté textuelle du corps 611

b- Complémentarité du texte et de l’incarnation 615 E- LA SEXUALITE DES NOBLES DANS LE SPECTACLE ET L’ACTION : LEGERETE, COMPROMIS ET PROVOCATIONS 620

I- ÉCART ENTRE SPECTACLE OFFERT PAR LA SCENE ET DISCOURS MORAL 622

1- La tradition des discours d’hostilité au théâtre et aux plaisirs 623

2- Enlèvements consentis : une défense jubilatoire contre l’excès d’autorité 629

3- Le goût des pièces sensuelles dans la période 1630-1640 631

a- Une sensualité latente 632

b- La sensualité aimable et manifeste 638

- L’apologie du désir et du plaisir 638

- Le spectacle des baisers sur la scène et le commentaire des plaisirs pris 643

- La présence des lits sur le plateau 650

- La femme désirante et entreprenante 652

c- L’homosexualité sur le théâtre : le divertissement par le trouble 656

4- La montée en puissance des discours contre le théâtre et l’impudicité de ses personnages féminins 663

a- L’incrimination de l’impudeur de Chimène dans Le Cid 664

b- L’amplification de la censure civile et religieuse au cours du siècle 666

II- DIVERSITE DES COMPROMIS AVEC LA MORALE DOMINANTE 673

1- Les formes du rappel à la vertu féminine dans le dialogue théâtral 673

2- La représentation des désirs incontrôlés et de leur châtiment 680

a. Sanctions de la violence sexuelle dans l’action dramatique 680

- Les enlèvements forcés voués à l’échec 680

- Horreurs des viols et châtiments 682

b. Forcer par la sorcellerie : une blâmable pratique féminine 694

3- L’assagissement de la scène 701

a- Mœurs et langage policés 701

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b- L’autocensure rétrospective 703

c- La scène sous vigilance 704

d- La disparition de la tragi-comédie 706

4- Habiles résistances de la sensualité aristocratique dans les comédies 707

a- Le fard pudique du langage 707

b- Le recours au burlesque 708

c-La perception des prudentes audaces moliéresques 711

III- DRAMATURGIES DU LIBERTINAGE ET DU LIBERTINISME 715

1- L’exercice léger du libertinage 716

a- Libertinages féminins 717

b- Libertinages masculins 729

c- La fête des sens pour les deux sexes : convivialité, saveurs et arts 737

- La condamnation morale des plaisirs de la table 737

- Festins de comédie 738

2- Les libertins « moqueurs déterminés » 741

a- Primauté affirmée du plaisir dans sa diversité 741

b- Se donner une puissance de vie par le renouvellement 743

c- Athéisme et liberté sexuelle 749

3- Puissance théâtrale et dynamique des libertins « hypocrites consommés » 754

CONCLUSION 760

BIBLIOGRAPHIE 772

INDEX 808

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Drôlerie et noblesse : l’esthétique et l’éthique du corps des aristocrates à l’épreuve des dramaturgies comiques et tragi-comiques du XVIIe siècle français.

Le corps est une fiction, un ensemble de représentations mentales, une image inconsciente qui s’élabore, se dissout, se reconstruit au fil de l’histoire du sujet, sous la médiation des discours sociaux et des systèmes symboliques.

(Georges Vigarello, Histoire du corps. II. De la révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 9.)

INTRODUCTION

Le corps, dont l’hygiène a connu une nette régression à la fin du Moyen Âge, semble avoir pris une grande importance sociale au XVIIe siècle : liée à l’organisation de plus en plus sophistiquée de la Cour, au Louvre puis à Versailles, dans laquelle l’aspect extérieur des grands donnait lieu à des appréciations et à des comparaisons que la dispersion des seigneurs dans leurs provinces n’impliquait pas, la multiplication des spectacles, des ballets et des diverses fêtes données par le roi a beaucoup compté dans une approche esthétique du physique de l’élite sociale. Le culte du corps de cette élite atteint son apogée durant la période « classique » avec une volonté manifeste de l’exhiber, de le modeler et de le contrôler selon une esthétique rigoureuse, attentive aux moindres gestes et aux moindres postures de chaque individu auxquels sont attribués des valeurs qui ressortissent à l’éthique.

Beaucoup d’études de nature sociologique ou anthropologique ayant été consacrées au corps, notre recherche s’est limitée à une perspective littéraire et plus particulièrement théâtrale, dans la mesure où, dans ce genre particulier, les personnages sont incarnés, et, l’image du corps

« populaire » ayant été la plus travaillée, notamment dans ses rapports avec la farce médiévale, il nous semblait doublement légitime d’orienter notre étude sur les évocations et représentations du physique noble. Le corps des aristocrates dans les spectacles avait certes déjà suscité l’intérêt des chercheurs dans sa perspective valorisante, dont l’esthétique, basée sur la magnificence du costume et la « grâce » du mouvement, surtout dans les ballets, déjà fort à la mode au début du siècle, correspondait à une visée de promotion de ce qui était déjà l’élite ; or les images d’un corps décoré et soigneusement entretenu suscitant admiration et respect nous ont paru récurrentes dans le théâtre parlé. Dans les tragédies, c’est une vision éthique du corps qui a été favorisée, de manière contrastée : la force, l’énergie, et la bravoure du corps ont été valorisées

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dans nombre de dramaturgies héroïques1 ; d’autres ont, en revanche, souligné ses faiblesses et sa capacité de souffrance, comme une récente étude l’a encore démontré2. Toutefois les aspects que prend le corps des aristocrates dans les genres concernés peu ou prou par le comique constituaient une piste d’étude moins prospectée. Notre choix a donc consisté à rechercher les images physiques de cette catégorie sociale qu’on a l’habitude de voir peupler le genre dit

« noble » dans des œuvres dramatiques qui semblent moins appelées à les flatter et appartenant aux genres de la comédie et de la tragi-comédie : cette seconde espèce leur ôte la solennité de l’appartenance à l’histoire et la première les envisage dans une vie censée se rapprocher du quotidien.

Il ne saurait surprendre que la tragi-comédie, genre hybride, très en vogue entre les années 1630-1640, à mi-chemin entre la comédie et la tragédie, introduise sur la scène des personnages de la noblesse : le traitement du corps s’y réduit-il toutefois à une célébration plus ouverte encore que dans la tragédie héroïque, la minoration du contexte moral et politique lui laissant plus de place, aussi bien dans les séquences d’action armée que dans les moments les plus détendus ? On sait que lors de ces pauses, écuyers et capitans, par les rires mêmes qu’ils suscitent, mettent en valeur la prestance morale et physique des protagonistes. On peut en revanche s’étonner que la comédie présente, elle aussi, de très nombreuses figures de nobles.

Est-ce dans la mesure où, comme l’écrit Hélène Baby, les deux genres apparaissent comme très voisins : « Amélie, écrite en 1630-1631 et publiée en 1638 sous le titre de tragi-comédie, ressemble à une comédie, tandis que La Belle Alphrède, créée en 1636 et publiée en 1639 sous l’appellation de comédie, ressemble à une tragi-comédie3 ». La présence des honnêtes gens semble surtout insolite dans un certain type de comédie d’où les figures roturières et/ou stéréotypées sont exclues, alors que rire et noblesse sont considérés dans la Poétique d’Aristote comme incompatibles : tel fut pourtant le projet, porté dès avant 1630, par Pierre Corneille.

Celui-ci déclara en 1660 avoir voulu dès ses débuts élever le genre comique en y introduisant les conversations et les amours des honnêtes gens :

La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n’y a point d’exemple en aucune langue, et le style naïf, qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit. On n’avait jamais vu jusque-là que la comédie fît rire sans personnages ridicules, tels que les valets bouffons, les parasites, les capitans, les docteurs, etc. Celle-ci faisait son effet par

1 Voir notamment Micheline Sakharoff, Le héros, sa liberté et son efficacité : de Garnier à Rotrou, Paris, Nizet, 1967.

2 Voir notamment Sylvaine Guyot, Racine et le corps tragique, Paris, P.U.F., 2014.

3 Hélène Baby, « Le capitan dans la comédie et la tragi-comédie françaises (1630-1640) : les enseignements génériques d’un type », dans Littératures classiques, 2007/2 (N° 63), p. 71-84, à la p. 72.

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l’humeur enjouée de gens d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence, qui n’étaient que des marchands4.

On doit assurément à ce « père de la scène française », selon l’expression si juste de Fontenelle5, bien qu’il ne considérât sans doute pas les comédies en employant cette expression, une poétique nouvelle de la dramaturgie au XVIIe siècle : « Environné de mauvais modèles, Corneille fut ce génie unique qui changea le théâtre6 ». Georges Forestier parle à juste titre d’une « dramaturgie de la gageure », soulignant le souci permanent de Corneille de renouveler, d’inventer sans relâche, et d’explorer inlassablement les limites de chaque genre dramatique.

Les comédies de Corneille, de Mélite à La Place Royale7, opérèrent, en fait, un changement radical dans la conception même du genre comique : le jeune dramaturge écarta de son théâtre les valets bouffons, les pères abusifs et les capitans de la comédie italienne, notamment improvisée, qui remportait un grand succès à Paris, pour mettre en scène les honnêtes gens, ceux-là même qui, à partir de 1637 (Le Cid ) assistaient aux représentations théâtrales, parfois assis sur des bancs placés de deux côtés de la scène. Avec leurs costumes somptueux, souvent rutilants d’or et d’argent et étincelants de pierreries, ces nobles faisaient désormais partie du spectacle et participaient manifestement à l’approbation de la comédie8. Chappuzeau notait dans son Théâtre François : « les Acteurs ont souvent de la peine à se ranger sur le Theâtre, tant les ailes sont remplies de gens de qualité qui n’en peuvent faire qu’un riche ornement9 ».

Eux-mêmes emportés par cette envie d’exhibition, et cherchant à plaire à un public noble, envoûté par la pompe et le luxe, les comédiens rivalisaient entre eux : c’était à « qui […] aura[it]

des habits plus magnifiques10 » et adaptés au rang des personnages aristocratiques qu’ils représentaient.

Ce renouvellement du genre semble avoir considérablement participé à valoriser la comédie et à lui donner des lettres de noblesse, alors qu’elle était considérée, dans une longue

4 Pierre Corneille, « Examen », dans Mélite, Paris, Guillaume de Luyne, 1663.

5 Voir Fontenelle, Œuvres complètes, Genève, Slatkine Reprints, 1968, [réimpression de l’édition de Paris, 1818, Vol.3].

6 Claudine Poulouin, « Corneille, père de la scène française. La théorisation de la supériorité de Corneille par Fontenelle », article paru dans Dix-septième siècle, 2004/4 (n° 225), p. 735-746. DOI : 10.3917/dss.044.0735.

URL : https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2004-4-page-735.htm.

7 Même Le Menteur et La Suite du Menteur, bien qu’elles introduisent des personnages de valets, organisent le rire à partir des actions des personnages bien nés.

8 Anne Verdier note que « Le vêtement de théâtre brille, fascine, captive, les regards, « construit » les corps des acteurs, mais aussi permet que la fascination donne lieu à une série d’interprétations : si la lumière est première, elle est aussi enjeu. Le vêtement, signe social et signe esthétique de la lumière projetée et reflétée, est ainsi signe de jeu […]. Par ses miroirs et ses facettes, le vêtement produit évidement, de la visibilité, de l’efficacité, mais aussi du sens, des sens, à l’intérieur d’une époque spécifique. » (Anne Verdier, L’Habit de théâtre : Histoire et Poétique de l’habit de théâtre en France au XVIIe siècle, Metz, Lampsaque, 2006, p. 13.)

9 Samuel Chappuzeau, Le Théâtre François, divisé en trois livres, où il est traité : I. de l’usage de la comédie ; II.

des auteurs qui soutiennent le théâtre ; III. de la conduite des comédiens, Lyon, M. Mayer, 1674, p.153.

10 Chappuzeau, Le Théatre François, op.cit., p.170.

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tradition théâtrale aristotélicienne11, comme un genre « inférieur », moins digne que le genre tragique puisqu’elle n’était qu’une imitation des personnes basses et fourbes. Peu « satisfait » de la définition aristotélicienne du poème dramatique, et en conformité non seulement avec son œuvre comique personnelle mais aussi avec maintes comédies contemporaines de celle-ci, Corneille rappelait dans son Discours de 1660, de l’unité et des parties du poème dramatique, la possibilité pour les personnages d’une comédie d’être de noble condition :

Quoi qu’il en soit, cette définition avait du rapport à l’usage de son temps, où l’on ne faisait parler dans la comédie que des personnes d’une condition très-médiocre ; mais elle n’a pas une entière justesse pour le nôtre, où les rois même y peuvent entrer, quand leurs actions ne sont point au-dessus d’elle. Lorsqu’on met sur la scène un simple intrique d’amour entre des rois, et qu’ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur état, je ne crois pas que, bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusques à la tragédie12.

Au début peu fréquentée surtout par les dames de la noblesse, à qui la bienséance ne permettait pas d’y assister jusque-là (du moins ouvertement), la comédie gagna beaucoup de terrain dès les années 30, comme prenant, en même temps que la tragi-comédie, le relais de la pastorale : encouragée tout d’abord par la politique de mécénat entreprise par Louis XIII et son ministre Richelieu, qui reconnaissaient le théâtre comme un art important et soutenaient ouvertement les troupes, la comédie, tout comme la tragi-comédie, comptait désormais des honnêtes gens parmi ses spectateurs. Ceux-là jouaient même pour leur propre divertissement, des pièces dans des présentations privées13 aussi bien que publiques. Le genre connut cependant son apogée avec Louis XIV qui donnait toute sa valeur de célébration à ce théâtre en interprétant différents rôles et en dansant plusieurs comédies-ballets lors des fêtes royales.

Corneille aimait, certes, défier les doctes, lecteurs fidèles d’Aristote, et jouait à brouiller les frontières entre les genres dramatiques, pratiquant la tragi-comédie avec Clitandre, l’élevant au rang de la tragédie (Le Cid) et ennoblissant davantage encore la comédie en créant la

« comédie héroïque14 » avec ses personnages royaux et son sujet grave. Il n’est cependant pas le seul à avoir représenté des honnêtes gens sur la scène comique du XVIIe siècle : pour ne citer que quelques auteurs d’un répertoire aussi riche que méconnu, Rotrou, Mairet, Scudéry, par

11 « la comédie […] est l’imitation d’hommes de qualité morale inférieure, non en toute espèce de vive, mais dans le domaine du risible, lequel est une partie du laid. » (ARISTOTE, La Poétique, 1449a, cité d’après la traduction de Janet Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1932, p. 35.)

12 Louis Forestier, Pierre Corneille. Trois discours sur le poème dramatique (Texte de 1660), Paris, Société d’Édition d’Enseignement Supérieur, 1963, p. 46.

13 « Il faut observer que ces sortes des représentations domestiques étoient fort communes dans ce tems-là ; les plus honnêtes-gens ne faisoient aucun scrupule de s’assembler pour joüer entre eux des pièces de théatre. » (Pierre- François Godard de Beauchamps, Recherches sur les théâtres de France depuis l’année onze cent soixante-un jusques à présent (1735), à Paris, chez Prault père, Avec approbation et privilège du roi, 1735, p. 283.)

14 Don Sanche D’Aragon est une comédie dont les protagonistes sont rois ou Grands d’Espagne, et dont le héros est un honnête homme qui se croit et qu’on pense de basse extraction jusqu’à ce qu’on découvre qu’il est prince.

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ailleurs auteurs de tragi-comédies, avaient pris leur part dans cette nouvelle dramaturgie qui écartait souvent de la véritable action comique les personnages de basse extraction, pour la peupler de nobles, de rois, de reines et de vice-rois mais, à la différence de Corneille, sans se limiter à leur « conversation15 », en les plongeant dans une action accidentée à des fins privées.

Les réécritures de comedias souvent à l’origine, avec quelques plaisantes dramaturgies italiennes, de ces comédies mouvementées furent pratiquées également par un D’Ouville ou un Thomas Corneille qui firent ainsi la part belle aux aristocrates, même en limitant leurs déplacements, dans un respect grandissant de l’unité de lieu et de temps. Dans la seconde moitié du siècle, Molière poursuivit d’une autre manière l’entreprise déjà commencée par tous ces dramaturges. Observateur attentif des mœurs de son temps, faisant rentrer l’action dans le cadre strict d’une demeure, Molière réalisa des peintures tantôt ironiques, tantôt favorables des nobles de son époque, n’hésitant pas à faire rire de l’afféterie des « honnêtes femmes », mettant en scène les effets physiques d’une misanthropie atrabilaire, comme les simulations hypocrites des honnêtes gens et faisant même du marquis ridicule un modèle comique, comme il l’a si bien énoncé dans son Impromptu de Versailles :

MOLIERE. Oui, toujours des marquis, que diable voulez-vous qu’on prenne pour un caractère agréable de théâtre ; le marquis aujourd’hui est le plaisant de la comédie. Et comme dans toutes les comédies anciennes on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie.(I, 1).

Afin d’étudier ces images du physique d’une noblesse moins héroïsée et perméable au comique, il convenait d’étendre notre champ de recherche à presque tout le XVIIe siècle : aussi avons-nous établi un corpus d’une soixantaine de pièces comiques et tragi-comiques datant de 1629 à 1690, et dix-huit dramaturges dont Alexandre Hardy, Benserade, Rotrou, Mairet, Scudéry, Tristan L’Hermite, Sallebray, Antoine Le Métel d’Ouville, Thomas Corneille, Boisrobert, Dancourt et Dorimond. Bien qu’elle semble avoir énormément plu au public de l’époque, une bonne partie du théâtre du début du siècle, avec ses dramaturgies riches et variées, reste encore peu connue aujourd’hui et nous avons tenu à la mettre en valeur.

L’ampleur du corpus nous a ainsi permis non seulement d’étudier avec maints détails les différents aspects du corps noble proposés aux spectateurs, mais également de suivre l’évolution de ses évocations et représentations depuis un premier XVIIe siècle encore libre et affranchi dans son approche du personnage physique des aristocrates jusqu’à un second, qui

15 Au sens de l’époque : leur façon d’être ensemble.

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semble, à l’image de son Roi Soleil, plus policé et davantage plié, du moins en apparence, à l’orthodoxie des règles esthétiques et morales dans la représentation qu’il en donne.

Notre étude a naturellement écarté les comédies dont les personnages principaux sont des roturiers : elle n’a gardé qu’en vue d’une comparaison, ou à cause d’une présence intéressante d’aristocrates à côté de paysans ou de bourgeois, que celles, comme Les Précieuses Ridicules de Molière, Georges Dandin, Le Bourgeois Gentilhomme, dont les personnages, fascinés par la noblesse qui leur manquait, cherchaient constamment à se la greffer en adoptant les manières aristocratiques, ce qui nous a semblé intéressant à étudier sur le plan comique, aussi bien que gestuel et psychologique. L’École des Femmes ne figure également dans notre corpus que pour sa relation immédiate avec La Critique de l’École des Femmes qui en constitue la suite. Nous avons, en outre, délaissé, non sans quelque regret, une des pièces les plus intéressantes sur l’hypocrisie religieuse et le libertinage : le Tartuffe de Molière, qui aurait certainement eu sa place si les personnages en avaient été nobles.

Notre choix d’étudier la présentation théâtrale du physique noble dans des actions à l’enjeu limité n’a pas pour autant débouché sur la simplicité d’analyse : tout d’abord, il existe une difficulté même à définir le corps, et à en tracer les contours. Que considère-t-on quand on en parle ? À quoi doit-on s’intéresser en l’étudiant ? Doit-on se limiter à son aspect statique et à un strict extérieur ? Un corps se meut, et il englobe beaucoup de ce qui environne et touche à sa substance charnelle. Par ailleurs il nous fallait comprendre comment les hommes du XVIIe siècle appréhendaient la question du corps et interroger à ce sujet des textes qui ne relevaient pas du théâtre. Dans son Dictionnaire Universel de 1690, Furetière consacre 17 entrées au mot

« CORPS » : ces définitions, si elles partent du corps comme substance, s’élargissent ensuite à d’autres domaines pour toucher jusqu’au domaine de la spiritualité et de la pensée. Ainsi Furetière donne une première définition du corps comme une « substance solide et palpable… », mais ne manque pas d’ajouter que CORPS « se dit aussi des habits, des armes qui servent à couvrir cette partie du corps qui va du cou jusqu’à la ceinture », pour préciser peu après que l’on utilise l’expression « voir ce qui cet homme a dans le corps » pour signifier « tascher à descouvrir dans ses sentiments, ses opinions », et qu’un homme qui « se traitte bien le corps » est un homme « délicat & sensuel ». Comment plusieurs disciplines comme la philosophie, la théologie, la physionomie, et les théories « des humeurs » ont-elles pu influencer les images multiples données par le texte et par la représentation de ce corps des nobles ? Traite- on de la même manière sur scène et dans les dialogues le corps masculin et le corps féminin et dans quelle mesure ces traitements reflètent-t-ils les ouvrages théoriques consacrés respectivement aux deux sexes à cette époque ? Aux antipodes de celui du peuple, le physique

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des nobles au XVIIe siècle, est, par ailleurs, soumis à de nombreuses règles sociales, religieuses et esthétiques (contrôle des politesses et des sociabilités, polissage des violences, auto- surveillance des gestes dans l’univers de l’intime et du public, règles de civilité et du bon goût, censure politique et religieuse…) qui en dessinent des contours sans doute plus idéaux que réels et façonnent des images : il nous a fallu les prendre en considération avant même d’étudier ceux qui figuraient sur la scène théâtrale de l’époque.

Le rôle de l’Église dans la perception de la relation de l’homme avec son corps est primordial. Contre une Antiquité païenne et libre, s’est installé un monothéisme austère et rigoriste qui, loin de lâcher la bride au désir, l’a soumis à des règles strictes : le corps a été considéré comme de peu d’importance, au profit d’une estime de l’âme et de la faculté raisonnable. Dans le scénario du péché , du repentir et de l’attente incertaine de la grâce et du salut, le corps qui porte les stigmates de la première faute, est considéré comme devant être systématiquement contrôlé afin d’éviter la rechute. Il nous a fallu toutefois être prudent et distinguer malgré le discours rigide des théologiens, des confesseurs et des théoriciens, les accommodements que se ménageaient plus instinctivement les nobles dans leur vie physique quotidienne et qui avaient des chances d’affleurer dans ces dramaturgies de l’existence privée.

À la prise en compte de ce contexte, s’est ajoutée la nécessité de porter notre attention sur le rapport entre présence réelle de comique et genre car c’est bien dans des dramaturgies qui recèlent la notion de comique que la présence du corps des nobles prend toute son importance. Fallait-il véritablement parler du comique produit par cette forte présence ? Cette notion était-elle toujours compatible avec l’action de personnages de haut rang ? Pouvait-on aller jusqu’à rire des « honnestes gens » du fait de leur comportement physique ? Celui-ci se prêtait-il à la caricature ? Pouvait-il parfois s’apparenter au corps farcesque des roturiers ? Pouvait-on faire incarner et dénigrer les Grands sans risquer des réactions vives, voire une censure politique ? Ce qui retient le rire, c’est que le physique noble reste souvent présenté comme devant être admiré en quelque point. Ne se contente-t-on pas de sourire lorsque l’action est portée uniquement par des aristocrates, comme c’est le cas des comédies cornéliennes, ces dramaturgies souvent douces-amères, sans effet comique flagrant ?

Il nous a semblé qu’il nous fallait recourir à une autre notion que le comique pour désigner les agréments diversifiés que procure la forte présence du corps des aristocrates dans ces dramaturgies, qui commencent avec une admiration amusée et qui peuvent aller jusqu’au rire, un rire de nature complexe, pas toujours le fait des mêmes catégories de public, en passant par les effets de surprise, ou de fascination inquiète.

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Molière, par la voix de Dorante, disait que « c’est une étrange entreprise que celle de [rire de] honnêtes gens », car, comme le dit ce Chevalier de La Critique de l’École des Femmes :

[…] il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les destins, et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement dans le théâtre des défauts de tout le monde. (Sc. 6).

« Rendre agréablement les défauts », ce n’est pas exactement faire rire. Nous avons alors songé à recourir à la notion de drôlerie pour désigner les agréments complexes procurés au public par les silhouettes, les visages et l’animation physique prêtés à cette galerie vivante de nobles constituée par notre corpus : ce terme nous apparaissait en effet plus polysémique que le mot « comique », difficilement dissociable des effets habituellement attendus de la comédie et produisant un effet de brouillage. Dans le Dictionnaire françois de Richelet, l’adjectif DROLE

est donné comme équivalent du latin lepidus, festivus, autant que d’hilaris, avec, comme quasi synonymes français, « plaisant », « qui fait rire » : il nous a semblé bien convenir à l’impression d’agrément et de possible brillance recherchée dans de nombreuses pièces en association avec quelques éclats d’hilarité. Le même dictionnaire propose le substantif DROLE comme équivalent de facetius, sagax, et, en français, de « gaillard, éveillé », soulignant donc la finesse, la subtilité, tandis que la drôlerie (= praestigiae) désigne une « plaisanterie », un « tour d’adresse ». Il convient, pour bien apprécier l’équivalence, de rappeler le sens de « gaillard » : dans son Thresor de la langue francoyse (1606), Jean Nicot traduit « gaillardise » par venusta facetia, qui souligne la part d’élégance recelée dans la gaieté dénotée. « Gaillard » est le qualificatif qu’emploie Uranie dans La Critique de l’École des Femmes pour décrire l’état physique et mental qu’elle partageait avec sa cousine Élise au sortir de la représentation de L’École des Femmes : « […] nous en revînmes saines et gaillardes ». Pour Furetière, le substantif « drosle » peut même impliquer quelque goût pour la débauche, dont on verra que certains personnages de notre corpus ne sont pas exempts, tandis que la possible application du terme à des gens qui sont « plaisants gaillards et subtils, madrés et dangereux comme des [ces] diables follets » nous paraît convenir assez bien aux jeux multiples de certains personnages, l’animation de l’action supposant une forte implication physique et les « tours de gaillardise » pouvant aller jusqu’à inquiéter et mettre provisoirement autrui en danger.

Pour faciliter nos observations du physique des gens de haut rang et analyser les divers effets de drôlerie qu’il procurait, nous avons opté pour une organisation en cinq parties. Nous avons d’abord accordé notre attention aux canons esthétiques auxquels semblent répondre les

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corps féminins et masculins évoqués dans les dialogues comiques et tragi-comiques de l’époque, en étudiant la manière de produire des effets d’agrément par ces évocations et en prêtant une attention particulière au physique des personnages de roi, dont l’aura divine, qui pose des problèmes de représentation, peut sembler se trouver en contradiction avec les éléments qui permettent de rendre plaisante cette célébration esthétique.

Toujours en relation avec l’esthétique et la mise en valeur de la beauté physique des personnages bien nés, nous avons ensuite porté notre regard sur un motif omniprésent dans les deux genres dramatiques en question, envisageant davantage le corps en mouvement : les déguisements, points de départ d’aventures multiples, aux indéniables effets embellisseurs, dont nous avons analysé la diversité, et aux enjeux physico-éthiques importants que nous avons précisés.

Malgré l’image idéalisatrice du corps qui semblait ainsi s’imposer, nous avons rassemblé, dans un troisième temps, des éléments qui montrent que les scènes comiques ou tragi-comiques pouvaient se révéler le lieu d’une dépréciation physique des aristocrates : laideur, insignifiance, déchéance et vieillesse n’épargnant pas les personnages de nobles, le thème occasionnait-il une approche grave ou des plaisanteries ? Les deux pouvaient-ils se mêler ? Le traitement scénique de la décrépitude de corps des aristocrates dévalué le rapprochait-il de celui des roturiers ?

Prenant alors en considération la réalité de la vie des troupes et des comédiens ainsi que les habitudes de jeu, nous avons abordé dans une quatrième étape les problèmes de représentation de ces aspects du physique des nobles et de leur animation : le texte appelle visiblement une incarnation des vies imaginées par les poètes dramatiques. Les comédiens étaient-ils à même, par leur jeu, de rendre plus expressifs encore les répliques et les rapports entre personnages ? Quels étaient les aspects de ce jeu qui étaient les plus travaillés ? Que savait-on des acteurs du moment, formés par la tradition ou par une discipline nouvelle ? Quelle part prenaient-ils dans la réussite d’une pièce ? La beauté, la laideur, la jeunesse, la vieillesse, invoquées dans le texte dramatique de ces comédies et tragi-comédies avaient-elles ou non une réalité scénique ? Toutes les émotions œuvrant sur le physique des personnages étaient-elles vraiment visibles sur scène ? Les mots ne pouvaient-ils parfois paraître mieux adaptés pour dire véritablement à eux seuls certains mouvements de l’âme ? La nécessité d’une incarnation s’imposant, s’agissait-il parfois d’un théâtre beaucoup plus oral que gestuel ?

La dernière phase de notre réflexion concerne la question du traitement de la sexualité dans toutes ces dramaturgies ; son évolution a été très sensible. On est frappé par les dramaturgies comiques et tragi-comiques d’une époque (1630-1640) de mise en sourdine des

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discours rigoristes : elles optent pour des actions de tranquille indifférence à ces discours, et pour une présentation très sensuelle des corps. Ne leur a pas moins succédé une ère où , jamais tout à fait oubliés, notamment dans la représentation impressionnante de la perte de tout contrôle sur soi et de violences commises sur autrui, les interdits semblent trouver davantage d’écho sur la scène, et où des accommodements avec eux ont visiblement été cherchés : en quoi ont-ils consisté puisque des comportements rebelles existent toujours dans les fables dramatiques. Tantôt irréfléchie, tantôt théorisée, cette rébellion est-elle présentée comme transgressive en vue d’un effet plaisant ? Dans leur absence de conformisme, à quelles conditions les conduites rebelles restaient-elles agréables en se fondant en raison par le discours ?

Alors que la forte présence physique des nobles, même dans des genres non considérés pour leur dignité, ne s’accompagne pas toujours de bonne humeur, on voit que l’étude des conditions du maintien de la drôlerie est restée essentielle à chaque étape de ce parcours.

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Partie I

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A- L’ESTHETIQUE DU CORPS DES NOBLES : VERS LA DISCRETION DE L’ECLAT

I- LA BEAUTE PHYSIQUE DES NOBLES : DE LA CHAIR A LESPRIT

Depuis toujours le corps et sa beauté ont énormément préoccupé l’Homme, qui a essayé inlassablement de se conformer aux règles de l’esthétique corporelle de son temps. Cependant, les canons de la beauté sont loin d’être stables ; ils diffèrent d’une époque à l’autre et changent selon des critères en perpétuelle mutation. Ainsi, à chaque période correspond un ensemble de normes qui définissent la beauté, et ce ne sont pas seulement les valeurs que l’on attribuerait à telle ou telle caractéristique de l’esthétique corporelle qui changent, mais les silhouettes et les formes elles-mêmes qui évoluent avec le temps. Quels sont donc les critères de la beauté des aristocrates au XVIIe siècle ? Y a-t-il quelque chose de commun entre les canons de la beauté féminine et ceux de la beauté masculine, forcément différents ? Et quels aspects de cette esthétique le théâtre français de l’époque met-il particulièrement en valeur ?

De la Renaissance, pudique et morale à ses heures, au début du XVIIe siècle, plus généralement imprégné d’érotisme et de séduction, les contextes sociaux et culturels changeants ont donc contribué à transformer la sensibilité aux corps (féminins et masculins) au fil des années. Cette histoire de la beauté épouse celle de la libération des itinéraires visuels, de l’assouplissement de la morale, des changements de modes de vie… Au XVIe siècle, la beauté semblait, dans sa version idéale du moins, ne concerner que le haut du corps :

La nature induit les femmes et les hommes à découvrir les parties hautes et à cacher les parties basses, parce que les premières comme propre siège de la beauté doivent se voir, et il n’est pas ainsi des autres étant seulement le soutien et la base des supérieures1,

écrit un certain Agnolo Firenzuola (1493 -1548) dans son Discours sur la beauté des dames2. Pourtant, le même Firenzuola est auteur d’ouvrages fort licencieux…

1Agnolo Firenzuola (1493-1548) est cité par Cham Oyabi, dans Les Forces spirituelles du corps, Éditions Publibook, Google book, p. 56.

2 Traduit de l’italien par Jean Pallet, en 1578.

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1- L’idéal du corps féminin

L’histoire s’inscrit dans les corps, nous dit Georges Vigarello dans son Histoire de la beauté :

Dans la figure de la femme [dans sa configuration extérieure], écrit Rubens, il faut observer que les traits et les contours de ses muscles [ceux de la femme], la façon de se poser, de marcher, de s’asseoir, tous ses mouvements et toutes ses actions soient représentés de manière qu’on n’y aperçoive rien qui tienne de l’homme, mais qui conformément à son élément primitif, qui est le cercle, elle soit entièrement ronde, délicate, souple, et entièrement opposée à la forme robuste virile3.

Le visage frais et blanc, si possible d’un ovale parfait, la gorge blanche4 (pas trop lourde mais censée souligner l’amincissement vers le bas), les mains minces, longues ou courtes, sont la condition d’une évaluation favorable à un moment de l’histoire où le deuxième sexe devient le « beau sexe », magnifié par peintres et poètes. Au XVIIe siècle, on demande aussi aux femmes d’avoir un teint de lait, une taille très fine, une poitrine imposante, des bras et des mains potelés.

« Des traits déliés et fins, des formes arrondies, une molle flexibilité, constituent en elle[s] un genre de beauté qui dépareroit l’homme5 » …La société progresse : on mange mieux, il y a moins de famines. On s’habitue à voir partout des femmes plus grasses, fécondes et plantureuses6. Mais on préfère toujours les genoux fins et des petites fossettes sur les coudes.

Les dames doivent cependant garder une taille serrée : la Montespan, déformée par tous ses accouchements, boit du vinaigre pour ne pas trop grossir. Elle se blondit aussi les cheveux, car le blond reste à la mode. Les femmes se fardent de rouge, symbole de l’amour et de la sensualité.

Elles ingèrent aussi force laits d’ânesse et autres élixirs en espérant se purifier ou s’affiner la taille, et vont jusqu’à accentuer leurs veines pour souligner la délicatesse de leur peau et donc leur haut lignage

Bien qu’il reconnaisse trente-six qualités qui définissent les canons de la beauté féminine, le P. Binet en cite seulement dix-neuf dans son Essay de Merveilles (1622) ; selon lui,

La parfaite beauté consiste en trente-six poincts

3 Rubens cité par Roger Duchêne, Être femme au temps de Louis XIV, Perrin, 2004, p. 279.

4 Brantôme décrit Marguerite de Navarre ; « ses beaux accoutrements, dit-il, n’osèrent jamais entreprendre de couvrir sa belle gorge ni son beau sein, craignant de faire tort à la vue du monde, qui se passait sur un si bel objet, car jamais n’en fut vu une si blanche ni si pleine de charme, qu’elle montrait si à plein et si découverte que la plupart des courtisans en mourraient … » (cité par Roger Duchêne, Être femme au temps de Louis XIV, Perrin, 2004, p. 286.)

5 Pierre Roussel, Système physique et moral de la femme, suivi du Système physique et moral de l’homme et d’un fragment sur la sensibilité, par Roussel. Précédé de l’éloge historique de l’Auteur par J.L Albert, Nouvelle Édition, revue, corrigée et considérablement augmentée, d’après de manuscrits inédits, Paris, Chez Crapart, Caille et Ravier, 1805, p. 318.

6 Le Clindor de L’Illusion comique de Corneille dit voir en Lyse la femme idéale et vante son « embonpoint ravissant » (III, 5)

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