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Kazimierz Dolny : les coulisses sociales de la ville-spectacle

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Kazimierz Dolny : les coulisses sociales de la

ville-spectacle

Waldemar Siemiński

To cite this version:

Waldemar Siemiński. Kazimierz Dolny : les coulisses sociales de la ville-spectacle. Les nouveaux cahiers franco-polonais, Centre de Civilisation Polonaise (Sorbonne Université) et Faculté des Lettres Polonaise (Université de Varsovie), 2007, “ Genius loci face àa‘ la mondialisation ”, 6, p. 57-64. �hal-02176363�

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WALDEMAR SIEMIŃSKI

Ecole Polytechnique de Varsovie

KAZIMIERZ DOLNY :

LES COULISSES SOCIALES DE LA

VILLE-SPECTACLE

LES CONSTRUCTIONS AUTOCHTONES

Il existe des lieux et des villes qui suscitent une attention et un soin spontane´s depuis des ge´ne´rations. Et c’est pre´cise´ment dans ces endroits que les gens et les communaute´s se sentent « chez eux », bien que leur vie puisse se passer dans une autre re´gion1.

Kazimierz sur la Vistule en Pologne appartient a` ce genre de lieux. C’est un endroit particulier tant du point de vue ge´ographique (une valle´e pittoresque au bord d’un fleuve) qu’architectural.

Les constructions de Kazimierz sont particulie`res entre autres parce que leurs auteurs restent, en re`gle ge´ne´rale, anonymes. C’est seulement au XXe sie`cle que plusieurs architectes connus ont commence´ a` travailler dans la ville. Durant les sept sie`cles passe´s, les baˆtisseurs non anonymes sont rares, il s’agit de Balin ou de Piotr Likkiel.

Les fac¸ades des baˆtiments ou` l’on a assemble´ le bois et la pierre calcaire a` peine travaille´e, les toits, les petites toitures, les sure´le´vations, les de´corations des baˆtiments les plus riches qui ressemblent a` des pains d’e´pices, tout cela respire le provincialisme. S’il est question ici d’architecture, c’est l’architecture « autoge`ne », locale, il s’agit plus de l’œuvre des artisans, des mac¸ons baˆtisseurs que des architectes.

Dans le cas de l’architecture autoge`ne, nous pouvons distinguer clairement deux principes majeurs de ge´ne´ralisation. Il est possible de baˆtir une re´flexion ge´ne´rale a` partir de la somme des cas qui se ressemblent, ou bien de la construire

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sur la base d’un cas isole´, lorsque nous y trouvons un phe´nome`ne expe´rimental extreˆme.

Ce cas isole´ nous apprend que l’on « peut faire encore de cette manie`re», et que, a` la palette des possibilite´s humaines, nous ajouterons une variante inattendue de plus. « Les lieux », les milieux locaux, ont e´te´ jusqu’a` notre e´poque ge´ne´rateurs de ces cas uniques. Dans ces « lieux », un grand nombre d’e´le´ments s’entremeˆlent, et ils rentrent dans des relations re´ciproques, donnant une nouvelle impulsion les uns aux autres, cre´ant ainsi des structures locales qui n’existent nulle part ailleurs. C’est pre´cise´ment ce phe´nome`ne qui est a` l’origine du « genius loci », de l’esprit local et de son expression. La spe´cificite´ locale, l’« aˆme du lieu » se manifeste non seulement dans le baˆti, mais aussi, par exemple, dans la langue (un patois, ou des coutumes qui cre´ent des mode`les originaux).

A Kazimierz, la cre´ation locale du baˆti a su e´galement puiser dans des motifs orientaux et profiter du gouˆt et du savoir-faire des baˆtisseurs itine´rants qui, partant des rives du lac de Coˆme, apre`s avoir traverse´ la Hongrie et la Slova-quie, arrivaient jusqu’en Pologne. Nous avons donc ici a` faire a` une fusion de particularismes locaux. Les Juifs, qui s’installaient a` Kazimierz depuis le XVe sie`cle, ont e´galement leur part dans la naissance de cette architecture mais, malheureusement, leur apport est peu connu.

L’usage de mate´riaux locaux, du calcaire, est a` Kazimierz une constante. Des parties sure´leve´es et de nouveaux e´tages, qu’il fallait rajouter aux maisons vite et peu cher pour y loger les jeunes ge´ne´rations des familles qui s’agrandis-saient, e´taient baˆtis avec le bois, un mate´riau conside´re´ comme moins noble. Le bois e´tait utilise´ surtout pour construire l’arrie`re des maisons, c’e´tait une des caracte´ristiques propres aux maisons des Juifs de Kazimierz.

Dans cette architecture autoge`ne, le terrain constructible est utilise´ de manie`re re´fle´chie et e´conome, jusqu’a` la perfection. C’est pour cette raison qu’il y a autant de sure´le´vations, d’escaliers exte´rieurs, de paliers, de passerelles. On respectait aussi le relief du terrain, tre`s accidente´ a` Kazimierz. Il revenait moins cher d’e´pouser le relief que de le niveler.

C’est cet ensemble de facteurs locaux qui a cre´e´ l’architecture de Kazimierz, donnant a` la ville un charme particulier, et cet aspect esthe´tique agit sur les gens de l’exte´rieur depuis plusieurs sie`cles. Les premiers documents iconographiques des baˆtiments de la ville datent du XVIIIe sie`cle, il s’agit des aquarelles de Jan Henryk Mu¨ntz et de Zygmunt Vogel.

Pour de´montrer que ce phe´nome`ne de l’architecture autoge`ne n’appartient pas, a` notre e´poque de planification et de projets unifie´s, a` un passe´ re´volu, je pre´senterai le cas des constructions de la famille Gil, qui se trouve a` Kazimierz, rue Krzywe Koło, pre`s de la ce´le`bre e´glise paroissiale.

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Comme beaucoup d’habitants de Kazimierz, Władysław Gil, aujourd’hui de´ce´de´, avait a` son actif un bon nombre de me´tiers et de compe´tences, il e´tait donc agriculteur, mac¸on, tailleur de pierre, commerc¸ant. En 1947, il a achete´ aux autorite´s de la ville un terrain constructible, avec une maison en ruines. Le terrain de Gil est petit, triangulaire, s’e´tend en pente de Krzyżowa Góra a` la rue Krzywe Koło.

Tout d’abord, Gil a couvert la maison situe´e dans l’angle du terrain par un toit de tuiles en ce´ramique rouge. Il a construit un escalier exte´rieur menant vers le grenier ou` logeaient alors les enfants de la famille. Au pied du coteau, il a construit une e´table et une e´curie avec la pierre blanche de Kazimierz, provenant d’une petite carrie`re, proprie´te´ de la famille. Dans les anne´es soixante, comme ses enfants grandissaient, il a rajoute´ au-dessus de ces locaux un e´tage d’habitation, relie´ de nouveau par un escalier exte´rieur. Cet e´tage supple´mentaire e´tait ille´gal du point de vue de la le´gislation en vigueur. C’est pourquoi, le maire de l’e´poque, Edward Rodzik, voisin de la famille Gil, commenc¸ait sa journe´e par inspecter, de sa feneˆtre, le terrain des Gil. Puis, constatant que les constructions progres-saient, il y envoyait un milicien. Une truelle a` la main, Gil s’enfuyait alors dans le taillis du mont des Trois Croix, il ne restait sur place que sa femme laquelle continuait a` gaˆcher le mortier, le milicien ne l’arreˆtait pas. Quand, dans les anne´es soixante-dix, Władysław Gil a commence´ a` relier la maison d’origine a` la seconde baˆtisse, les de´pute´s de la ville ont mis sous scelle´ l’angle de cette construction sauvage. Mais le mac¸on de Kazimierz a su contourner la loi, en construisant autour, plus loin. Il a e´te´ pourtant contraint de commander un projet global de la maison a` un architecte de me´tier. Le premier projet a e´te´ rejete´, et Gil a commande´ le suivant. Mais, suivant ces nouveaux plans, la construction s’est ave´re´e trop couˆteuse, et les travaux se sont arreˆte´s. Le fils cadet de Gil dut donc attendre plusieurs anne´es son habitation se´pare´e. La cour en pente avait toujours des fonctions utilitaires, on y e´levait des poules ou garait la voiture. C’e´tait aussi une aire de jeux pour les enfants de la troisie`me ge´ne´ration de cette famille.

Le conservateur de la ville, M. Żurawski, y passait et plaisantait, c’est de « la ville antique», disait-il. Comme telle, et cela arrive souvent a` Kazimierz, elle est devenue un lieu d’attraction pour les peintres et les photographes, de sorte que ce lieu posse`de aujourd’hui sa propre iconographie. La spontane´ite´ architecturale de la ville, que je viens d’illustrer avec l’exemple de la famille Gil, a sculpte´ une bonne partie du paysage de Kazimierz et fait partie de la sous-culture locale. Pourtant, ce phe´nome`ne n’a jamais inte´resse´ les historiens d’art. Les exigences et les re`gles de leur me´tier imposent, depuis toujours, les e´tudes qui visent a` de´montrer les liens de l’architecture de Kazimierz avec de grands

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mouvements architecturaux et a` re´ve´ler les traces pre´sume´es de cre´ateurs de renom ou d’architectes de me´tier. Ainsi, l’un des historiens d’art a pre´sente´ la the`se selon laquelle le plan urbanistique de la ville aurait un caracte`re manie´riste, typique de la Renaissance tardive, et aurait pour auteur Santi Gucci, l’architecte en chef du roi Etienne Batory. Certes, Santi Gucci a supervise´, entre 1565 et 1585, la reconstruction du chaˆteau de Janowiec, pre`s de Kazimierz, mais rien d’autre n’atteste ses liens avec l’urbanisme a` Kazimierz.

LES AUTOCHTONES

Les autochtones, bien qu’ils aient construit de manie`re imaginative, e´taient de pie`tres e´crivains. Les inscriptions latines qui figurent sur les immeubles bourgeois les plus cossus sont e´crites dans un latin tronque´, local. Ce n’est pas a` Kazimierz qu’on aurait compose´ des sagas de familles, comme en Islande, ou des chroniques municipales.

Les constructions de la ville te´moignent d’une vitalite´ et d’un certain ge´nie cre´ateur. Mais la population n’avait pas su, ou peut-eˆtre n’avait pas senti la ne´cessite´ de s’exprimer autrement que dans l’architecture. Les re´cits sur les autochtones sont l’œuvre des gens de l’exte´rieur, bien qu’on ne puisse pas les traiter d’e´trangers dans tous les sens du terme puisqu’ils e´taient toujours tre`s bien accueillis dans la ville.

Compter sur soi-meˆme, se de´brouiller, transmettre la tradition d’une ge´ne´ra-tion a` l’autre, ce sont des traits typiques de la socie´te´ locale. Face a` la beaute´ du paysage de Kazimierz (Maria Kuncewiczowa parle de « paradis » en 1933, Czechowicz, en 1934, parle lui aussi de « paradis »), la socie´te´ locale, dans les relations du XIXe et du XXe sie`cles, semble peu inte´ressante, et dans sa majeure partie, terriblement pauvre.

Un seul texte litte´raire fait exception a` cette re`gle. Il s’agit du roman de Szalom Asz Bourgade (A stetl, de 1911). Il appartient a` ce mouvement litte´raire qui, avec l’œuvre de Isaac Beshevis Singer, a e´te´ couronne´ par le prix Nobel, en 1987. Lublin et d’autres villes du roman de Singer sont situe´s a` quelques dizaines de kilome`tres de Kazimierz.

Dans le roman d’Asz, Kazimierz est habite´ par une communaute´ juive vigoureuse ; dans la ville, Juifs et Polonais, les goys, vivent une symbiose.

Cette communaute´ est enracine´e dans la re´gion, et la Vistule, « l’eau, pre´serve les coutumes juives ». En 1978, a` New York, Samuel Leob Shneiderman, originaire de Kazimierz, a publie´ l’ouvrage « The River Remembers », et la Vistule y apparaıˆt comme un des principaux motifs dans la me´moire de la communaute´ juive de la ville.

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Selon la vision d’Asz, ce qui caracte´rise sa communaute´, ce sont la solidarite´, l’entraide, une lutte intense, parfois aˆpre pour re´aliser les inte´reˆts e´conomiques de chaque membre : « L’appel du comptoir... s’entend tout autour, et avec lui sonne le clocher de l’e´glise, et ces deux voix se rejoignent dans une seule prie`re d’un seul Dieu... »

Une colonie de peintres, qui s’est installe´e a` Kazimierz, a impose´ l’image de la ville dans les anne´es suivantes. En 1972, et de´ja` avec une certaine distance, Kuncewiczowa en parlait dans les Fantoˆmes, en ces termes :

A Kazimierz, la vie semblait etre un the´aˆtre, et le monde un de´cor... Les maisons inte´ressaient par leur aspect exte´rieur, plus elles e´taient biscornues, plus elles valaient la peine d’eˆtre vues. Les peintres pratiquaient avec un gouˆt particulier « la the´aˆtralisation de l’existence...

Des symptoˆmes de la maladie sociale, la salete´ et la de´formation, e´taient e´leve´s au rang des phe´nome`nes esthe´tiques. Dans les ruelles et sur les places, la pauvrete´ arrivait aux gens jusqu’a` la taille, et ils y baguenaudaient comme dans « l’eau pure »2.

Kuncewiczowa avait raison. Elle a contribue´ aussi a` cre´er ce canon, une manie`re particulie`re de voir Kazimierz. La ville et ses habitants y figuraient en toile de fond. Et ses acteurs principaux e´taient les estivants et les vacanciers plonge´s dans le soleil chaud d’un e´te´ infini et dans le tourisme que l’on comprend comme un antidote a` un trop plein du temps libre, lorsqu’on passe ses vacances dans un seul endroit.

LES VACANCIERS, LES TOURISTES

Les e´trangers e´taient a` Kazimierz bien rec¸us. Kazimierz Brandys de´crit ainsi la ville dans les anne´es soixante :

Il existe des lieux ou` chacun, tout de suite apre`s y eˆtre arrive´, se sent comme chez soi. De la meˆme fac¸on qu’a` Paris ou` on flaˆne, les mains dans les poches3.

Maria Kuncewiczowa, dans Dwa księżyce (Deux lunes), e´nume`re plusieurs exemples de l’assimilation rapide dans la ville.

Exemple 1.

La bourgade sauvage e´tait, pour l’Avocat, un terrain d’exercices de pre´dilection. Ici, dans une ambiance de vacances de bohe`me, dans une assemble´e d’artistes

2 M. Kuncewiczowa, Fantomy, Warszawa, 1972. 3

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e´cervele´s, il e´tait facile d’absoudre sa propre vie un brin dissolue... En observant comment les peintres, les poe`tes, les come´diennes usent leurs forces a` transformer le monde en quelque chose d’inutile, comme ils peinent et comme ils sont heureux dans une zone de faits totalement indiffe´rents a` quatre-vingt-dix pour cents de leurs concitoyens, et comme une pre´cieuse traıˆne´e d’illuminations inonde le pays graˆce a` leurs efforts, l’Avocat se mettait a` croire que ses propres subtilite´s e´rotiques, en apparence inutiles, avaient un sens quelconque pour la culture.

Exemple 2.

Claire se sentait parfaitement bien dans la ville. Tout ce qui s’y passait n’avait aucun lien avec elle, et pourtant depuis la place du marche´, depuis la plage et les collines se re´pandait une lueur de sentiments, une aura ne´cessaire a` un poe`te4.

Apre`s la Seconde guerre mondiale, lorsque « le rideau de fer » a coupe´ l’Europe centrale de l’Occident, Kazimierz s’est mis a` remplir une fonction supple´mentaire. Un groupe d’e´crivains, a` condition de passer sous silence des sujets de´sagre´ables pour le pouvoir populaire, a rec¸u de ces meˆmes autorite´s le privile`ge de partir a` l’e´tranger. Les descriptions du « genius loci » des villes et de diffe´rents lieux dans le monde interdits aux lecteurs sont devenues un motif fre´quent et attendu par tous ceux qui n’y avaient pas acce`s. Il s’agit, disons-le, de descriptions judicieuses et inte´ressantes encore aujourd’hui. Dans la production de ces e´crivains, Kazimierz devient une sucrette qu’ils rajoutent a` un the´ amer, servi aux lecteurs a` l’e´poque du communisme. Si vous ne pouvez pas vous rendre a` Assise, Florence, Rome ou Paris, allez a` Kazimierz. La` bas aussi, il y a un « genius loci ».

Les totalitarismes et les impe´rialismes du XXe sie`cle ont de manie`re de´cisive influe´ sur le caracte`re social de la ville. Le personnage principal d’une nouvelle de Adolf Rudnicki retourne apre`s neuf ans d’absence a` Kazimierz.

Je suis arrive´ le soir. Bientoˆt, le bus est parti et je suis reste´ seul sur la place du marche´. Je me souviens de la foule de six mille personnes de ce dernier e´te´ avant la guerre, je me souviens de la cohue bruyante des amis et connaissances. Et la`, cette place vide ! Le silence m’a saute´ dessus, comme un chat ! Dans le silence de la place, l’horreur des anne´es de guerre s’est mise a` hurler, le sang battait de nouveau ! De chaque feneˆtre, hurlait le visage d’un mort, chaque pierre hurlait, et chaque pierre qui manquait, hurlait deux fois plus fort5.

Sans que le sang soit verse´, la guerre de six jours, entre Israe¨l et les pays arabes, a laisse´ sur la ville une forte empreinte. L’impe´rialisme sovie´tique

4 M. Kuncewiczowa, Dwa księżyce, Warszawa, 1935. 5

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soutenait la cause arabe. Il en a re´sulte´ un nouvel exode : plusieurs milliers de personnes appartenant a` l’intelligentsia polonaise d’origine juive ont quitte´ la Pologne sovie´tise´e (le mars polonais de 1968). Ces gens ont aime´ Kazimierz. Jusqu’en 1968, on pouvait rencontrer, tout au long des apre`s-midi d’e´te´, sur la place de Kazimierz, une bonne partie de l’e´lite intellectuelle du pays. Apre`s leur de´part, la place centrale de la ville s’est remplie de groupes de touristes, venus pour un week-end, oriente´s dans leur choix touristique avant tout par la te´le´vision et des magazines illustre´s qui font la publicite´ des endroits a` la mode.

L’AVENIR DE LA VILLE

Selon toute vraisemblance, Kazimierz parviendra a` pre´server son « aˆme », mais il faut noter l’influence, sur son style architectural, du marche´ immobilier et du prix croissant des terrains constructibles. Les nouvelles constructions sont le plus souvent deux a` trois fois plus grandes que le baˆti traditionnel de cette petite ville. Dans la recherche des terrains a` construire, les investisseurs « mitent » avec engouement les pentes des collines, et les habitants transforment leurs jardins en parkings payants.

Le nombre croissant de re´sidences secondaires et d’immeubles de standing, habite´s seulement une partie de l’anne´e, changent la ville, par pe´riode, en un espace vide et mort. La fre´quentation en augmentation, et tout d’abord le nombre de touristes venus passer ici un week-end, de´te´riore et salit la ville, et plus parti-culie`rement ses richesses naturelles, sa flore. Dans le projet urbanistique de la ville, on a abandonne´ le principe de maintenir dans la ville et ses environs l’e´quilibre e´cologique.

La ville, lieu attractif, avec sa bonne image, sa renomme´e, est devenue l’objet de toute sorte d’entreprises de marketing que les autorite´s locales n’arrivent pas a` maıˆtriser par une quelconque strate´gie. Nous avons a` faire a` la disparition des me´tiers traditionnels de jardiniers, d’agriculteurs, de vanniers, de peˆcheurs et tant d’autres.

Toute proportion garde´e, nous pouvons faire la comparaison avec Venise. « L’Express » du 25 juin 2005 a publie´ un reportage sur cette ville, et il en ressort que, sur la place Saint-Marc, n’habite plus qu’un seul ve´nitien d’origine, lequel ne supportant pas les masses de touristes qui « pie´tinent » la place, sort de chez lui seulement tard la nuit.

Dans les anne´es soixante, Kazimierz Brandys e´crivait a` propos de Venise ce qu’on peut appliquer aujourd’hui a` Kazimierz :

Faire entrer des hoˆtes payants doit s’accompagner de perte d’honneur... La ville, qui s’annonce comme touristique, met une partie d’elle-meˆme en vente. C’est un

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cement a` la vie de famille, un acte moral et commercial, et comme conse´quence la ville rec¸oit des devises en e´change de son propre passe´. Dans ces villes, tout le monde fait office d’hoˆtelier, dans les lits matrimoniaux dorment les Anglais et les Allemands. Les souvenirs de famille, les images des saints, les objets de culte pour des ge´ne´rations entie`res, toute cette intimite´ inte´rieure, la pe´nombre des ruelles, les murmures des amoureux, les disputes des gondoliers, tout devient une marchandise6.

Il n’est pas a` exclure que, dans le souci de contourner les prescriptions des conservateurs de la place centrale de Kazimierz, un groupe capitaliste vigoureux construise, au-dela` de la zone prote´ge´e, a` coˆte´ de la ville, une re´plique a` l’identique de cette place, et la`, sans aucun obstacle, on pourra baˆtir un casino, un complexe de cine´mas, des discothe`ques, des supermarche´s, etc. Ce genre de site pseudo historique, une sorte de Disneyland, plairait certainement a` une partie de cliente`le touristique de masse qui visite Kazimierz d’aujourd’hui. Et dans la ville, de´bar-rasse´e ainsi de cette partie de son public, l’ambiance redeviendrait calme et discre`te, ce qu’il faudrait sans doute classer parmi les avantages et les effets positifs de la globalisation, dans la ville de Kazimierz Dolny sur la Vistule.

Traduit par A. Ciesielska-Ribard

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