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Silence et mutisme

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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SILENCE ET MUTISME

Claire LUCQUES (Mme Robert DossE) (Paris)

<< Au creux de la parole est allumé un feu Qui consume l'éclat du sens et des images, Afin que le silence ébloui du langage Prépare la Parole où Dieu parle de Dieu. »

Jean MAMBRINO Les théories concernant la commande verbale qui depuis vingt ans se sont succédé donnent à penser au moraliste.

La connaissance du très haut degré de complexité vitale indispensable au concert des organes et des fonctions qui préside au langage, et d'abord à la phonation humaine, rend attentif à la fragilité de ces pro­ cessus si délicats.

La simple constatation que la commande verbale intéresse les diffé­ rents systèmes nerveux, et de proche en proche toutes les postures corporelles, permet de fonder une éthique de la parole sur le grand prix biologique dont sont payés les moyens de communication : ce qui est sensible, indéfiniment virtuel, est nécessairement précieux et précaire, et confié à notre responsabilité.

Nous nous proposons de mettre en évidence le sérieux de la parole et de l'écoute en en faisant la contre-épreuve: en portant notre attention sur le pouvoir de retenir l'expression verbale. Examinons ici le silence et le mutisme en tant qu'ils sont des conduites vécues au sein de paroles proférées.

Soit l'exemple très juvénile de celui qui s'arrête au milieu d'une confidence, laissant l'auditeur en proie à la curiosité. Il s'est aperçu, sans doute, qu'il eût mieux valu garder son secret. Mais puisqu'il a commencé à se livrer, le mutisme auquel il a recours est une caricature du silence ; le véritable silence ici, consisterait à trouver les paroles capables d'apaiser la curiosité du confident.

Nous désignons du terme de mutisme le fait de ne pas apporter la vérité que l'autre attend de nous. Passons sur le désagrément de celui qui voudrait connaître la suite d'une anecdote. Et pensons au magistrat qui veut éclairer le mystère, à l'amoureux qui est en droit de savoir si son amour est partagé. De l'impéritie à la hargne, en passant par la lâcheté et la fausse pudeur, quelle gamme d'insuffisances conduit à l'obstination du << je ne dirai plus rien>>! Crispation analogue à celle Publié dans Le langage. Actes du XIIIe Congrès des Sociétés de philosophie de langue

française I, Section VI (Langage religieux, mythe et symbole), 348-350, 1966, source qui doit être utilisée pour toute référence à ce travail

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SILENCE ET MUTISME 349 d'Oronte à la fin du Tartuffe : parce qu'il a manqué de sens critique, il proclame, après la désillusion :

C'en est fait, je renonce à tous les gens de bien; J'en aurai désormais une horreur effroyable ...

Une attitude si brutale à l'égard de soi-même et des autres annonce qu'il n'est pas guéri de sa crédulité!

De même, celui qui s'obstine à ne plus rien dire n'est pas guéri de son bavardage.

Mais la confiance vaine, comme la parole vaine, ne sont pas seule­ ment des infantilismes. Le refus de la parole, c'est la négation même de la parole donnée, comme la crispation à soi est la négation même de la fidélité à soi.

Aussi, pour comprendre à quel point mutisme et silence sont anti­ thétiques, il faut atteindre les sources mêmes de la fécondité du silence. Il est facile d'analyser des cas de silence précautionneux et d'en faire des actions retardées, différées, comme parle Pierre Janet. Mais le simple retard psychologique est moralement ambivalent : il permet toutes les préparations de la feinte, et du mensonge subtilement monté, comme aussi les habitudes de discrétion, à qui nous devons d'éviter tant de mensonges et de médisances.

Et c'est à cette retenue, également, que nous sommes redevables de toutes les modalités de la pudeur verbale, de toutes les ressources de la métaphore ...

Par-delà ces conduites expressives, il nous faut atteindre le silence de réserve en ce que, << mensonge ontique >> (Heidegger) d'un esprit

fini, il devient la caution des échanges.

En d'autres termes : à quelles sources l'action retardée doit-elle s'alimenter pour être moralement bonne? A quelles conditions se taire est-il exercice de vraie prudence?

Quand il est porté par l'obscure et humble conscience de notre durée, le silence est celui d'un être qui sait avoir besoin de beaucoup de temps pour devenir ce qu'il doit être. Et il sait du même coup que, s'il ne se révèle que peu à peu à lui-même, c'est nécessairement par la médiation des autres hommes. Aussi le prudent et non précautionneux -silence fait-il bien plus que ménager la possibilité des rencontres ulté­ rieures, il garantit, avec la fidélité personnelle, notre présence agissante

à l'autre, à tous les autres.

Mais il ne faudrait pas que l'observation actuelle du silence prudent nous trompe sur sa dimension constante ; le silence actuel est nécessai­

rement en rapport avec une habitude de silence. Et qui dit habitude du

silence suppose que le silence n'est pas le contraire de la parole proférée - déjà proférée ou à proférer - c'est une conduite dont la source est dans le caractère sacré du silence. Max Picard nous fait considérer le

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350 CLAIRE LUCQUES (Mme ROBERT DOSSE)

silence comme un phénomène sans utilité, qu'on ne peut exploiter, afin de nous faire remarquer combien il donne aux choses de l'inutilité sacrée.

Et alors, il nous devient familier de concevoir le silence comme une activité positive - non tant comme une absence de parole, mais comme une participation au monde total - et du même coup, le mutisme obstiné présente son aspect névrotique. Il apparaît comme la triste compensation de la parole oiseuse, non retenue, la << machinerie de la

parole>>. Parole oiseuse et mutisme, en stérilisant les rapports aux autres hommes, stérilisent le moi lui-même. Alors toutes les techniques d'infor­ mation sont vidées de leur rôle, toutes les conditions biologiques de la parole sont neutralisées. L'animal historique se bloque en un démon muet.

En réalité, la fécondité des rapports d'expression se fonde bien au-delà de tous les moyens naturels de communication, et aussi bien au-delà de la sympathie, de la confiance entre les interlocuteurs.

C'est toujours en des moments bien vécus de participation silencieuse au monde total qu'un homme tire la force actuelle du dialogue. Mais que surtout ce terme conserve son sens étymologique, qui ne saurait être ni le pluriel, ni même le duel de monologue ! Le dialogue désigne la vérité quand elle se découvre indéfiniment grâce aux démarches humaines ; de soi à soi, de soi aux autres, de soi au monde, des hommes à Dieu, des hommes pour Dieu.

* *

Si le silence nous met en contact avec la réalité totale, il n'est pas la vérité; et il faut finalement dire, avec Max Picard, que la parole est plus que le silence, parce que c'est seulement dans la parole que la vérité prend forme.

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